Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines/Résumé et conclusions de l’ouvrage, ou sur une cause unique, extérieure et générale des monstruosités

Chez l’auteur, rue de Seine-Saint-Victor, no 33 (p. 473-478).
§ I  ►
Résumé et conclusions de l’ouvrage.

RÉSUMÉ
et
CONCLUSIONS DE L’OUVRAGE,
ou
sur une cause unique, extérieure et générale des monstruosités.



J’ai posé quelques faits dans les mémoires qui composent cet ouvrage ; je vais présentement essayer d’en donner les conséquences.

Je me suis par ces recherches placé tout-à-fait sur le terrain de l’Anatomie humaine : simple naturaliste par mes précédens, ce n’est donc pas sans d’assez vives appréhensions que je m’y vois aussi avant engagé[1]. Je n’ignore pas que la plupart des anatomistes, forcés de sacrifier les spéculations de la science à la pratique laborieuse et pénible de leur art comme médecins, vivent sur un fonds d’idées toutes faites ; et de plus qu’il en est bien quelques-uns qui portent la prévention jusqu’à repousser de nouvelles vérités, ayant à leurs yeux le tort de n’être pas nées avant ou durant leurs études. Toutefois ce ne peut être une raison de taire ces vérités, si l’on s’est trouvé dans une position à en avoir l’esprit frappé. Il y a mieux : ce n’est très-probablement pas ce que véritablement on exige. Que je me rassure donc ; et je le puis surtout, si, fidèle à ma règle de conduite, je continue d’agir dans cette circonstance avec la plus grande circonspection.

Si c’était à des succès du moment que je prétendisse, je sais, comme bien d’autres, ce qu’il y aurait à faire pour cela, principalement vis-à-vis de la partie du public médical, susceptible le plus de pareilles préventions. Il suffirait sans doute de revenir continuellement sur le passé, d’amonceler sur nouveaux frais les trésors d’une littérature usuelle ; et de faire du nouveau, en réajustant une opinion reçue, en la rajeunissant sous une forme nouvelle. Avec cette prudence et sans peine, on avance soi, mais non, mais nullement la science. Et en effet, la science pourrait-elle prendre, pourrait-elle accepter pour des explications satisfaisantes de l’érudition et des opinions qu’on ne discute pas, des jugemens présomptueux qu’on ne craint pas de diriger contre des hommes du plus éminent savoir ?

Si j’ai rencontré ce vague et ce ton tranché dans quelques écrits sur les monstruosités, la cause en est sans doute dans la limite du possible, en ce moment, touchant cette importante question. Et dans le vrai, là où ne sont encore que des faits incohérens, où les routes n’ont point été tracées, où le but est à peine entrevu, on ne peut s’accorder les procédés des sciences qui ont perfectionné leurs moyens d’investigation ; et surtout, on ne saurait marcher bien rapidement, par aphorismes, conclusions et hautes généralisations.

Mais cependant, en embrassant beaucoup moins, en bornant son sujet, c’est-à-dire en réservant son attention pour quelques faits, on peut être sur eux plus clairvoyant et plus pénétrant. C’est alors qu’on peut passer de ces faits à leurs conséquences. Que chaque déduction vous paraisse en être une bien sévère application ; peu importe ce que vous ignorerez sur tous les autres points de la question, la science n’enregistrera pas moins et à toujours vos faits et leur philosophie.

J’explique de cette manière comment j’ai la confiance de pouvoir donner dans un résumé quelques généralités sur les monstres, et je puis sans doute ajouter, comment j’espère même arriver jusqu’à une cause supérieure. Quatre genres seulement, l’Anencéphale, le Notencéphale, l’Hypérencéphale et le Podencéphale, ont fourni à mes observations ; mais si seuls ils y ont suffi, c’est que j’ai pu pénétrer dans leur organisation plus avant, je crois, qu’occupé des mêmes recherches on ne l’avait fait, et, je ne crains pas de le dire, qu’on ne le pouvait faire avant moi.

On n’a encore jusqu’ici considéré les organes qu’en eux-mêmes, qu’en leur totalité, pour en connaître, soit la forme, soit les usages. Et alors ce que dans l’esprit de ces recherches l’étude des monstruosités pouvait faire connaître, c’est que plusieurs parties de l’organisme animal étaient susceptibles d’altérations et de difformités. Et en effet, voulait-on revenir sur ces irrégularités et y porter une attention encore plus grande ; ces efforts multipliés devaient et ne pouvaient aboutir qu’à exprimer un seul sentiment, qu’à faire rendre par le langage ce qui était manifeste oculairement. Tout ce qu’on pouvait constater et décrire, c’était que tel organe existait plus long ou plus court, ou rejeté hors de sa position, ou bien qu’il manquait entièrement. Ainsi l’on tournait dans le même cercle d’idées ; car c’était redire les mêmes choses, que de remarquer que les organes s’altèrent et se modifient, ou que l’organisme animal ne s’en tient pas toujours dans la même espèce aux conditions de son type fondamental.

Une position qui m’est propre m’a permis de creuser ce sujet avec plus de profondeur. L’étude des animaux m’avait anciennement forcé de recourir à une nouvelle méthode de détermination des organes, et celle des faits de diversité, qui séparent les êtres des classes supérieures de ceux des classes inférieures, m’avait de plus forcé de remonter à l’essence des organes eux-mêmes, et de rechercher quels en pouvaient être les élémens constitutifs. De la même manière qu’à l’égard des êtres réguliers, il devenait possible de se porter sur l’origine de l’organisation, de suivre celle-ci dans tous ses degrés, et de la décomposer dans tous ses détails ; on pouvait, à l’égard des monstres, embrasser aussi leur conformation vicieuse sous un point de vue plus général, et, en ne se laissant plus prévenir par ce qui aurait dû être, voir par delà les faits d’une association insolite, considérer isolément tous les matériaux organiques, c’est-à-dire examiner là aussi l’organisation décomposée en ses primitifs élémens. C’est ramenés de cette façon que les faits de monstruosité sont devenus le plus souvent pour moi des faits de l’ordre régulier ; et c’est dans cette position enfin que j’ai pu concevoir que c’était moins le nombre des observations que la manière dont elles sont analisées, réfléchies et senties, qui en forme la valeur philosophique.

En traitant dans cet ouvrage de divers faits particuliers de monstruosité, nous avons donné, au fur et à mesure de leur exposition, les explications que nous avons pensé devoir s’y appliquer naturellement. Nous allons présentement reprendre toutes ces causes et les montrer comme n’étant encore que des effets, qui eux-mêmes ressortissent à une cause supérieure ; celle-ci agissant seule d’abord et étant d’une application universelle, pourvu toutefois, comme nous l’avons fait jusqu’ici, que nous nous renfermions dans les considérations des monstruosités par défaut. Mais, avant de produire la théorie que nous devons exposer, nous jetterons un coup d’œil sur ce qui a été imaginé à cet égard, sur ce qui forme aujourd’hui la croyance des physiologistes.

  1. Je ne puis cependant regretter d’être entré dans une autre voie ; car, autrement, l’Anatomie des écoles m’eût entraîné dans ces ornières.