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auquel il appartient de voir cette vérité dont le Sauveur a dit : « La vérité, c’est moi[1] ». Il parlait par la bouche de saint Paul, qui disait : « Voulez-vous éprouver le pouvoir de Jésus-Christ qui parle en moi[2] ? » et son langage n’était point extérieur, mais dans l’intimité du cœur, dans ce lieu secret où nous devons prier[3].

9. Mais les hommes, en grand nombre, épris des biens temporels, incapables de voir dans leurs cœurs les biens réels et solides, n’ont su que demander : « Qui nous montrera les biens ? » C’est donc avec justesse qu’on peut leur appliquer le verset suivant « Ils se sont multipliés à la récolte de leur froment, de leur vin et de leur huile[4] ». Et s’il est dit « leur froment », ce n’est pas sans raison ; car il y a aussi un froment de Dieu, « qui est le pain vivant descendu du ciel[5] ». Il y a un vin de Dieu, puisqu’ils « seront enivrés dans l’abondance de sa maison[6] ». Il y a aussi une huile de Dieu, dont il est dit « Votre huile a parfumé ma tête[7] ». Ces hommes nombreux, qui disent : « Qui nous montrera les biens ? » et ne voient pas le royaume de Dieu qui est en eux-mêmes[8], « se sont donc multipliés par la récolte de leur froment, de leur vin et de leur huile ». Se multiplier, en effet, ne se dit pas toujours de l’abondance, mais quelquefois de la pénurie, alors qu’une âme enflammée pour les voluptés temporelles d’un désir insatiable, devient la proie de pensées inquiètes qui la partagent, et l’empêchent de comprendre le vrai bien qui est simple. C’est d’une âme en cet état qu’il est dit : « Le corps qui se corrompt appesantit l’âme, et cette habitation terrestre accable l’esprit d’une foule de pensées[9] ». Partagée par cette foule innombrable de fantômes que lui causent les biens terrestres, s’approchant d’elle sans relâche pour s’en éloigner, ou la récolte de son froment, de son vin et de son huile, elle est loin d’accomplir ce précepte : « Aimez Dieu dans sa bonté, et recherchez-le dans la simplicité de l’âme[10] ». Cette simplicité est incompatible avec ses occupations multiples. Mais, à l’encontre de ces hommes nombreux qui se jettent sur l’appât des biens temporels, et qui disent : « Qui nous montrera les biens » que l’on ne voit point des yeux, mais qu’il faut chercher dans la simplicité du cœur ? l’homme fidèle dit avec transport : « C’est en paix que je m’endormirai dans le Seigneur et que je prendrai mon repos[11] ». Il a droit d’espérer en effet que son cœur deviendra étranger aux choses périssables, qu’il oubliera les misères de ce monde, ce que le Prophète appelle justement un sommeil et un repos, et ce qui est la figure de cette paix que nul trouble n’interrompt. Mais un tel bien n’est point de cette vie, nous devons l’attendre seulement après la mort, comme nous l’enseignent encore les paroles du Prophète qui sont au futur, car il n’est pas dit : J’ai pris mon sommeil, mon repos ; non plus que : Je m’endors, je me repose ; mais bien : « Je dormirai, je prendrai mon repos. Alors ce corps corruptible sera revêtu d’incorruptibilité, ce corps mortel sera revêtu d’immortalité, et la mort elle-même sera absorbée dans la victoire[12] ». De là ce mot de l’Apôtre : « Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous l’attendons par la patience[13] ».

10. Aussi le Prophète a-t-il eu raison d’ajouter : « Parce que c’est vous, Seigneur, qui m’avez singulièrement affermi, d’une manière unique, dans l’espérance[14] ». Il ne dit point ici : qui m’affermirez, mais bien : « Qui m’avez affermi ». Celui-là donc qui a conçu une telle espérance jouira certainement de ce qu’il espère. L’adverbe « singulièrement », est plein de sens, car on peut l’opposer à cette foule qui se multiplie, par la récolte de son froment, de son vin et de son huile, et qui s’écrie : « Qui nous montrera les biens ? » Cette multitude périra, mais l’unité subsistera dans les saints, dont il est dit dans les Actes des Apôtres : « La multitude de ceux qui « croyaient n’avait qu’un cœur et qu’une âme[15] ». Il nous faut donc embrasser la singularité, la simplicité, c’est-à-dire nous soustraire à cette foule sans nombre de choses terrestres qui naissent pour mourir bientôt, et nous attacher à ce qui est un et éternel, si nous voulons adhérer au seul Dieu, notre Seigneur.

  1. Jn. 14,6
  2. 2Co. 13,3
  3. Mat. 6,6
  4. Psa. 4,8
  5. Jn. 6,51
  6. Psa. 35,9
  7. Id. 22,5
  8. Luc. 17,22
  9. Sag. 9,15
  10. Id. 1,1
  11. Psa. 4,9
  12. 1Co. 15,54
  13. Rom. 8,25
  14. Psa. 9,10
  15. Act. 9,32