Le Mythe de la femme et du serpent/Texte entier

LE MYTHE

DE LA FEMME

ET DU SERPENT

ÉTUDE SUR LES ORIGINES
D’UNE ÉVOLUTION PSYCHOLOGIQUE PRIMORDIALE

PAR

CHARLES SCHOEBEL


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PARIS
MAISONNEUVE ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
25, Quai Voltaire, 25
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1876



LE MYTHE

DE LA FEMME ET DU SERPENT






orléans, imprimerie de G. Jacob, cloître saint-étienne, 4




LE MYTHE

DE LA FEMME

ET DU SERPENT

ÉTUDE SUR LES ORIGINES
D’UNE ÉVOLUTION PSYCHOLOGIQUE PRIMORDIALE

PAR

CHARLES SCHOEBEL


_______


PARIS
MAISONNEUVE ET Cie, LIBRAIRES-ÉDITEURS
25, Quai Voltaire, 25
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1876

PRÉFACE


« Je ne doute pas que plusieurs ne trouvent cet ouvrage frivole : non dubito fore plerosque, qui hoc genus scripturæ leve… » Peut-être que ces paroles de l’honnête et élégant Cornélius Nepos paraîtront à quelques-uns en situation ici. Des recherches sur un sujet comme celui de cet écrit sont en effet de nature à ne convenir qu’aux hommes dont la pensée ne s’arrête pas à de petites et mesquines considérations de convenance. Et l’on sait si le nombre en est grand, même dans les compagnies et sociétés spécialement vouées aux études historiques et philologiques.

Mais peu m’importe. D’ailleurs, n’ai-je pas parmi mes prédécesseurs dans ce genre de recherches des hommes comme Beger, Meiners et O. Jahn ? Je ne dois donc pas craindre de publier un travail qui vise à pénétrer un problème de la nature humaine, fût-ce même aux dépens d’un sentiment intime que je suis le premier, on peut m’en croire, à respecter profondément. Mais la science ne connaît ni le pur ni l’impur ; elle est toute observation, méditation et étude, et ne voit que son objet. Elle est aussi la méthode ; mais la méthode, c’est-à-dire la voie correcte pour arriver à un résultat positif et certain, est multiple, suivant la nature du sujet à étudier. Or, la nature humaine est bien compliquée ; elle est plus compliquée que quoi que ce soit dans ce cosmos où rien n’est simple ; elle a des coins et des recoins qu’aucun procédé historique, philologique ou linguistique ne suffit à explorer et à expliquer ; il y faut une forte dose de physiologie et de psychologie, un esprit nourri de deux disciplines dont l’étroite connexion est fondée sur l’état le plus intime de notre organisme. Particulièrement les phénomènes psychiques dont nous traitons dans ces pages exigent que nous cherchions leur première manifestation dans l’irritabilité physiologique autant pour le moins que dans un mouvement animique ; mais il y a là une corrélation si intime, que l’analyse ne parvient pas à déterminer nettement lequel des deux phénomènes est la cause de l’autre et lequel en est l’effet. Dès lors, autant vaut dire qu’il y a, pour le cas dont il s’agit comme pour beaucoup d’autres, réciprocité simultanée de cause et d’effet. Et ainsi, nous aboutissons à conclure que l’âme et le corps reviennent, en fin de compte, à un principe primigène identique.

Que les esprits timorés ne crient pas au matérialisme. La philosophie de grande critique ne connaît ni matérialisme ni spiritualisme ; elle est positive et idéaliste, mais son positivisme est scientifique, et son idéalisme est rationnel, même dans ses abstractions les plus transcendantes.

Cependant notre travail n’a pas pour but l’obtention d’un résultat abstrait. La scène où la légende place les conditions de ce qu’on a appelé la chute (et le mot que Platon a inventé est acceptable même en science), cette scène, puisqu’elle est censée se passer dans un milieu terrestre nettement déterminé, nous impose un problème historique, préhistorique si l’on veut, et nous en avons trouvé la solution dans le fait de l’idolâtrie. Jusqu’ici on n’avait pas dit le fin mot de l’idolâtrie ; on en avait indiqué le motif dans des causes extérieures à l’homme, dans des causes pour ainsi dire accidentelles. J’espère que mon étude montrera que l’idolâtrie est en son origine un acte de détermination psychique et, à vrai dire, volontaire de l’homme. L’homme, arrivé à un certain moment de son évolution, a voulu être démiurge ; il a voulu être semblable à la fonction souveraine de la nature ; il a voulu créer et, par suite, s’adorer lui-même ou s’adorer dans son œuvre. C’est, du reste, ce qu’il veut encore et toujours, quels que soient les déguisements sous lesquels la réflexion et les convenances le poussent à cacher cette infirmité héréditaire. Le caractère profondément anthropomorphique de toutes les religions le démontre sans réplique. Toujours et partout l’homme adore un dieu fait à son image et à sa ressemblance. La morale seule est divine, mais personne ne la suit.

Pourquoi ? Dirons-nous avec l’Écriture que c’est parce que tout homme est menteur : πᾶς ἄνθρωπος ψεύστης[1] ? Nous n’y contredisons pas ; bien au contraire : pourvu toutefois qu’il soit entendu que notre état de menteur est en principe inconscient et involontaire. Il est inconscient, parce que la nature dont nous relevons et dont nous sommes l’ouvrage est inconsciente ; il est involontaire, parce que la morale est une conception idéale et que l’idéal est absolument inaccessible à l’homme. Rien d’ailleurs ne peut transmuter la nature : non mutat genus. Les théologiens et les moralistes qui emboîtent le pas marqué par les ingénieuses imaginations des « doctes » sont, il est vrai, d’un autre avis. Ils affirment carrément que la faute de l’état imparfait de l’homme est à l’homme, que la tradition de la chute le démontre. L’homme était libre ; il a abusé de sa liberté, et ce faisant, il a faussé à jamais une nature qui, à l’origine, était parfaite.

Ce raisonnement n’a qu’un défaut : il pèche par sa base. L’homme était libre ! Mais c’est ce qu’avant tout il fallait démontrer. Si on ne l’a pas fait, c’est que probablement cela est impossible. Nous venons de le dire, l’homme procède de la nature et ne procède que d’elle. Rien, en effet, n’existe en dehors de la nature ; jamais on n’a vu une créature surnaturelle. Or, « la nature obéit forcément, semblable au battement mécanique de l’horloge, à la loi de la pesanteur », sa propre loi. Donc, toutes ses créatures, les génies les plus transcendants comme les plus pauvres esprits, y obéissent aussi ; et de la sorte, ce qu’on appelle la chute est tout simplement un de ces phénomènes auxquels la loi universelle et fondamentale de la pesanteur donne lieu à tous les moments de l’existence du cosmos.

Maintenant aussi on s’explique comment il se fait que le mythe de la chute est, sous une forme ou sous une autre, si universellement répandu. Un lucide et vigoureux esprit critique, K. Müllenhoff, a dit et prouvé par de remarquables exemples que des mythes analogues peuvent naître partout où les conditions de la nature ambiante se combinent d’une manière analogue avec la vie et les habitudes propres aux divers peuples, et qu’ainsi les mythes qui se ressemblent ne prouvent pas toujours qu’ils proviennent d’une source unique qui, dans l’espèce, serait l’apologue de la chute tel que le donne la Bible. Notre mythe montre d’ailleurs une telle variété de forme et de détails, que cela seul suffit déjà pour nous autoriser à repousser l’argument de l’emprunt en faveur de la source où a puisé la Genèse mosaïque.

Néanmoins, un fait général domine tous les mythes de cette famille, et ce fait auquel, astreint à l’interprétation directe, nous avons à peine touché dans notre livre, c’est l’apparition qui s’y dégage d’une force nouvelle de l’humanité. Cette force est celle qui achève de constituer l’homme, car c’est la conscience consciente, la connaissance réfléchie. L’homme l’avait de tout temps possédée en principe, il en avait naturellement la capacité, mais il fallait une occasion (zu-fall) pour qu’elle se produisît. Le mythe nous la montre qui jaillit de l’attraction mutuelle et réciproque de la nature intérieure et de la nature extérieure, puis du contrat étroit qui s’ensuit. Dans ce rapprochement intime, dans cette chute l’un vers l’autre de deux corps destinés à se compléter pour former l’homme définitif, le Prométhée enchaîné, s’il ne se délivre pas de ses attaches cosmiques, ce qui d’ailleurs est impossible, discerne du moins la nature comme sa cause et sa fin, et éclaire ainsi sa propre situation avec le flambeau de la lumière intellectuelle. Dès ce moment, il devient capable aussi d’aspirations morales, parce que, bien que la nature ne soit pas en elle-même un être moral, elle tient cependant de quelque manière, par là même qu’elle existe, à l’Être pur et simple, la morale en soi, l’absolu. Quelle est cette manière ? Nous répondrons à cette question, qui nous mènerait trop loin ici, dans un ouvrage que nous publierons sous le titre de Philosophie de la critique. Disons seulement que nos explications ne toucheront pas à ce qui est ineffable. Accessible à l’intellect, l’être en soi demeure caché à la compréhension. On ne saurait donc pas même lui attribuer un nom. « Je ne sais pas son nom, disait déjà Lao-tseu ; personne ne peut le nommer ; il ne peut être nommé. Le nom qui peut être nommé n’est pas le nom éternel. Il n’a pas de nom[2] ». En effet, un nom est une définition, et on ne définit pas l’inconnu et l’inconnaissable. Pour définir Dieu, il faudrait l’être soi-même ; l’amour, quelque puissant qu’il soit, n’y suffit pas. Une légende frisonne raconte que le dieu Ekke promit un jour la liberté à son amante si elle pouvait lui dire son vrai nom divin[3]. Jamais elle n’y parvint. Mais Goethe avait raison : « Qui ose le nommer ? et qui ose dire : Je crois en lui ? Qui peut sentir et se permettre de dire : Je ne crois pas en lui » ?

LE MYTHE
DE LA FEMME ET DU SERPENT.
étude sur les origines
d’une évolution psychologique primordiale.

Ὁ σοφὸς εὐθυῤῥημονησει.
(L’École stoïque.)


CHAPITRE PREMIER


Le sage doit parler librement, et la science ne connaît que son objet. Mais l’esprit humain est fait pour chercher et chercher toujours ; c’est à la fois son droit et son devoir, et aucune autorité, quelle qu’elle soit, ne saurait prévaloir contre cette vocation. Or, parmi tant de problèmes moraux que nous proposent la nature de l’homme et la société, il en est de particulièrement intéressants à résoudre, et, pour notre part, nous voudrions savoir à cette heure pourquoi la chasteté et la pudeur, qui sont assurément des vertus, s’excluent l’une l’autre. Pareille chose, que je sache, ne s’est pas encore rencontrée.

Sans doute, il y a beaucoup de vertus qui sont opposées les unes aux autres, mais elles ne sont pas contradictoires pour cela ; toujours elles peuvent se concilier en celui qui les possède. L’honneur va on ne peut mieux avec le courage, quoique le collège des pontifes romains ait obligé Marcellus à placer leurs représentations plastiques dans deux temples séparés[4] ; de même la modestie s’accorde très-bien avec la force, comme la prévoyance avec la valeur ; la justice n’exclut pas l’humilité, ni la douceur l’austérité, ni la prudence la libéralité, ni la simplicité la finesse, et ainsi de suite. Mais jamais un homme chaste, et je prends bien entendu le mot chaste dans l’intégrité du sens primitif de pureté morale vierge, jamais un homme chaste ne connut la pudeur. Au moment où l’homme devient pudique, il est impossible qu’il soit encore chaste. Cela n’empêche nullement qu’il ne puisse conserver des mœurs très-pures ; le sentiment de la pudeur lui est au contraire une garantie qu’il les conservera, et c’est lui qui réalisera le casta pudicitiam servat domus[5]. Toutefois, l’impression que lui fait éprouver la pudeur est celle d’une atteinte pénible à la délicatesse de ses sentiments ; il se trouble, il rougit, une sensation indéfinissable le tourmente, il a honte, et sa conscience n’est plus tranquille. Mais l’homme dont la chasteté est encore intègre viole constamment les règles de la pudeur ; seulement il les viole sans le savoir, sans même le soupçonner, avec une sérénité placide. Il est impudique, mais il l’est naïvement, et sa conscience ne lui reproche rien.

D’après cela, il est clair que la chasteté fait essentiellement partie de l’état de nature, et c’est à cause de cela que l’enfant et l’homme à l’état de nature ignorent son contraire, cette pudeur que nous trouvons aussi belle que le motif en est honteux. Ah ! la pure et simple naïveté ! C’est elle qui est tout aimable, nous le voyons tous les jours, mais l’âge qui la possède passe rapidement ; la sainte ignorance de la chasteté s’évanouit en général de bonne heure. La vierge de nos vieilles civilisations n’est pas tant chaste que pudique, eût-elle, comme Occie, présidé pendant toute sa vie un collège de vestales[6]. La chose est vraie aussi, pour l’homme, fût-il cuisinier du roi d’Angoy[7]. Le chevalier des Grieux put, dit-on, conserver sa chasteté jusqu’à l’âge de dix-sept ans. « Jamais, assure-t-il, je n’avais pensé à la différence des sexes. » Mais c’est écrit dans un roman, comme Daphnis ; l’histoire parle autrement : elle nous dit, pour citer un exemple illustre, que Louis XIII, qui passe cependant pour chaste, s’irrita tellement d’un tableau mythologique fait par Michel-Ange, qu’il le fit brûler[8]. Jeter au feu, sous le prétexte fallacieux d’indécence, une œuvre du plus grand artiste qui ait jamais existé ! Certes, il n’était pas chaste celui qui commit une barbarie pareille. La chasteté est par un côté comme la charité ; elle n’a point de mauvais soupçon, non cogitat malum ; elle ne se scandalise de rien, non irritatur[9]. Elle est comme la Vierge qui, à l’annonce : « Tu concevras et tu enfanteras », demande placidement : « Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point d’homme » ? quomodo fiet istud, quoniam virum non cognosco[10] ? Voilà qui est adorable, et je ne sais si on pourrait mettre en parallèle de cette naïveté celle des Lacédémoniennes qui, nous dit Montaigne, étaient à tout âge plus vierges femmes que ne sont nos filles[11]. Chez les Spartiates, en effet, l’éducation de Sparte explique le phénomène ; mais chez les Juifs ? Il est vrai que l’évangéliste Luc est le seul qui nous présente cet exemple prodigieux d’une chasteté pure et sans tache aucune ; Mathieu se borne à une allusion ; encore la revêt-il de la forme d’un songe. Quant à Luc, il convient de se le rappeler, il était Grec, c’est-à-dire amateur de mythes, et de plus, il était artiste, dit-on. Mais ce qu’un artiste fait, un autre artiste peut le défaire ; et, en effet, Fr. Albani n’a pas craint d’interpréter au sens réaliste la conception mystique de son confrère, en représentant l’ange qui s’avance la cuisse découverte vers la Vierge ; Vasari, de son côté, le fait rougir[12]. De plus, la légende qui dit que la Vierge n’abandonna sa ceinture qu’au moment où elle monta au ciel laisse percer un scepticisme impie quand elle ajoute que Marie remit sa ceinture aux mains de Thomas[13].

Mais n’insistons pas ; ce que personne n’a vu ni entendu est de plein droit du domaine de la poésie[14]. Demandons-nous pourquoi la chasteté et la pudeur ne s’harmonisent pas ; pourquoi même elles ne peuvent pas exister en nous simultanément. Il y a, cela est clair, dans cette incompatibilité allant jusqu’au plus rigoureux exclusivisme, une énigme à résoudre. Ce qu’on est peut-être autorisé à conclure avant toute autre recherche de ce fait singulier, c’est que la pudeur n’est pas réellement un étal de virilité, comme cela est indubitable quant à la chasteté, mais que, tout au contraire, elle présente un phénomène de défaillance morale. Elle se manifeste en effet par un état d’appréhension ou de crainte ; elle est donc, au sens propre du mot, une passion. Aussi voit-on que, quoiqu’elle puisse rendre la jeune personne qui l’éprouve « plus belle qu’un ange », la courtisane ne la subit pas moins que l’honnête fille[15]. En tous cas, on peut dire que, comme il y a deux sortes de vertus, celles qui relèvent de la morale naturelle et celles qui dépendent surtout des conditions du milieu où l’on vit, la chasteté et la pudeur se trouvent classées, l’une dans le domaine de l’éthique qui nous apprend ce que nous devons être, l’autre dans la sphère de la psychologie qui nous montre ce que nous sommes. Cependant les anciens ont dit : Naturalia non sunt turpia. Sans doute, mais ils n’ont pas voulu affirmer par là que la chasteté n’a aucune atteinte à redouter de la pudeur, ni que la pudeur n’a jamais à se voiler devant la nature. Le mot qu’on attribue à Livie, « qu’à une femme chaste un homme nu n’est pas plus qu’une image[16] », ce mot ne s’est peut-être jamais réalisé. Ce qui paraît possible, sinon au sentimental Yorick[17], du moins à l’héroïque Alexandre, c’est l’inverse. Plutarque rapporte du grand conquérant[18] qu’à un certain moment de sa vie, il passait auprès des femmes comme devant des statues. En effet, on ne devrait rougir que de ce qui est honteux en soi[19]. Il n’en est rien cependant, et de la sorte la sentence précitée n’est vraie pour les anciens que dans le domaine de l’idéal, alors qu’il s’agit d’art, de poésie ou d’esthétique transcendante. Hors de là, elle se trouve soumise chez les peuples civilisés de l’antiquité, sinon aux mêmes réserves que chez nous, du moins à toutes celles que l’honnêteté publique est en droit de réclamer. Aux enfants, en Grèce comme à Rome, on inculquait sévèrement le sentiment de la pudeur ; Aristophane et Juvénal nous le disent[20], et on peut les en croire. L’attentat à la pudicité était vengé par les mœurs autant que par la loi[21]. Les ménades mêmes, les bacchantes, dont le nom éveille l’idée de femmes emportées et ne gardant aucune mesure, n’avaient pas licence d’en agir à leur tête ; les monuments figurés nous les montrent toujours sévèrement couvertes[22]. Le contraire est une exception et ne devient la règle que dans les basses époques. La jeune fille n’allait sans ceinture que pendant son enfance[23] ; une fois nubile, elle ne valait autant qu’elle était vierge ; déflorée, sa considération était perdue parmi ses compagnes, et les jeunes gens n’avaient plus que de l’indifférence pour elle. On la comparait à une pomme tombée de l’arbre ou à une fleur cueillie et flétrie[24]. Diorna ou Diane (virgo puella) devenait Dirne (meretrix)[25].

Les Grecs n’avaient pas comme les Romains un collège de Vestales ; chez eux, le culte de Vesta, Ἑστία, incombait aux mères de famille. Toutefois les vierges étaient censées former l’entourage de Vesta[26] et de cette Minerve Parthénos

dont l’âme acérée
Rebouchait tous les traits du fils de Cythérée[27].


C’est donc une exagération manifeste, une véritable calomnie, pour dire le mot, d’assurer que les anciens formaient une société uniquement occupée de choses charnelles ou matérielles[28]. L’idée de se figurer l’antiquité comme adonnée surtout au dévergondage des mœurs est due aux apologistes chrétiens. Les mœurs des anciens n’étaient pas plus immorales que les nôtres, et si le contraire paraît çà et là, c’est que la société antique était moins hypocrite que la nôtre. Spécialement les vierges jouissaient chez les Grecs du patronage respecté de la gardienne ou protectrice par excellence, τῆς ἐπισκόπου Ἀρτέμιδος[29], la déesse qui avait prié Jupiter en disant : « Ô mon

père, accorde à ta fille de rester toujours vierge[30] ! » Diane voulut même n’avoir d’autres compagnes que soixante filles ayant cet âge où, en Grèce, comme nous l’avons dit tout à l’heure, elles ne portaient point encore de ceinture.

On comprend donc que les Béotiens aient pu ériger à une vierge des autels sur lesquels, dit Plutarque[31], « les époux qui n’étaient que fiancés lui faisaient des sacrifices. » Il est vrai que ces mêmes Béotiens firent bâtir aussi un temple à la Vénus de Lamia, cette courtisane publique qui fut la maîtresse de Démétrius Poliorcète[32]. Il y avait, on le voit, compensation. Néanmoins, pour tout mettre à sa place, on doit reconnaître que la faveur dont jouissaient chez les Grecs les courtisanes tenait bien plus à la violence morale que nous font la grâce et la beauté, et, par suite, au tempérament esthétique de ce peuple, qu’à l’absence du sentiment des convenances et de la décence, c’est-à-dire au manque de sentiments de pudeur. Au contraire, les Athéniens, sur ce point, étaient d’une extrême délicatesse. Ainsi, pour n’en citer qu’un exemple, lors d’une recherche domiciliaire chez tous les orateurs qu’on soupçonnait d’avoir reçu des présents, le peuple d’Athènes respecta la maison de Calliclès, parce que, nouvellement marié, la jeune épouse était dans sa maison : νύμφης ἔνδον οὔσης[33]. Si donc, malgré ces traits d’une exquise pudeur, les Grecs étaient si faciles aux belles courtisanes, il faut en chercher la cause dans le sens singulièrement développé chez eux de la beauté plastique et des plaisirs transcendants de la grâce. C’est la beauté et la grâce qui levaient promptement leurs « esprits de terriene pensée en contemplation hautaine des merveilles de nature[34], » et les rendait accessibles, plus qu’il ne fallait sans doute, aux charmes de la société des hétaïres[35], ou, comme dit le bon Homère,[36] à l’attrait secret et indéfinissable de la ceinture de Vénus.

C’était aussi le même motif qui les portait à l’amour des meirakia, cet amour de la beauté mâle à sa période la plus ferme et la plus gracieuse. On aurait tort de conclure de cet amour, τῶν παίδων ἔρως, si répandu chez les Grecs, et jusque chez les anciens Américains[37], à la perversion des mœurs de la Grèce et des autres pays. Les dieux et les héros étaient censés s’y adonner tout comme les hommes[38]. Et en effet, l’amour des garçons était, en principe et dans la réalité, un amour honnête, καλός ; Vénus Uranie l’avait inspiré, et la loi religieuse le consacrait. Platon et bien d’autres encore l’assurent.[39] Zénon, Chrysippe et Apollodore affirment que le sage peut aimer les jeunes gens dont la beauté révèle d’heureuses dispositions à la vertu ; que cet amour est un élan de bienveillance déterminé par la vue de la beauté, et qu’il a pour objet, non l’union charnelle, mais l’amitié.[40] Plutarque, qui est certainement un auteur moral, dit en toutes lettres que les attachements dont il s’agit n’avaient rien de vicieux, qu’ils étaient au contraire pleins de pudeur et d’honnêteté, qu’ils naissaient d’une émulation louable pour la vertu.[41] Ce n’est pas parce qu’il était aimé de Démétrius que le beau Damoclès, Δημοκλῆς ὁ καλός, cherche une mort affreuse dans les eaux bouillantes d’un bain public ; il se tua pour conserver pur un amour que le tyran voulait souiller.[42] Ces inclinations étaient si chastes à Lacédémone, ville où elles avaient le caractère d’institution religieuse, que ceux qui s’y adonnaient vivaient entre eux comme les pères avec leurs enfants et les frères avec leurs frères ;[43] de même les femmes les plus honnêtes s’y attachaient à de jeunes filles.[44] Rien ne s’oppose à penser que les fêtes dionysiaques appelées Anthestéries qu’on célébrait en Grèce, ainsi que les veillées secrètes et mystérieuses passées à Rome en l’honneur de la Bonne-Déesse, fêtes où, dans l’un et l’autre pays, n’étaient admises que des femmes, ne fussent également des réunions honnêtes. Pour les Anthestéries, nous avons le témoignage d’Euripide, qui dit que la femme sage s’y conservait pure[45] ; et quant aux fêtes de Rome, on sait que c’est à leur occasion que fut dite la parole célèbre : « La femme de César ne doit pas même être soupçonnée[46]. »

Mais la passion fait brèche partout et finit par tout pervertir ; l’amour même de Dieu y passe ; les fureurs érotiques des mystiques sont connues ; comment l’amour des éphèbes ferait-il exception[47] ? Mais la preuve invincible que l’amour érastique, dont le nom nous paraît aujourd’hui si effroyable, est et a été en principe pur et innocent, c’est que le fondateur du christianisme s’y est adonné publiquement et sans réserve. Il aimait un beau jeune homme qu’on pouvait voir couché sur son sein.[48] Un argument non moins célèbre est l’existence et surtout la mort du fameux bataillon sacré, ἱερὸν λόχον, de Thèbes. Ceux qui le produisent pour soutenir le contraire ne sont pas recevables en leur conclusion. Ils oublient que le vice ne rend pas héroïque ; ils oublient le témoignage que rendit aux jeunes gens dont cette phalange était composée le roi qui avait éprouvé leur valeur à Chéronée. S’arrêtant devant les trois cents cadavres étendus par terre, serrés les uns contre les autres, et tous percés par devant, Philippe de Macédoine s’écria avec des larmes dans la voix : « Périssent misérablement ceux qui soupçonnent de tels hommes d’avoir pu faire ou souffrir rien de déshonnête ! » Ἀπόλοιντο κακῶς οἱ τούτους τι ποιεῖν πάσχειν αἰσχρὸν ὑπονοοῦτες[49]. Cri du cœur et digne d’un homme dont le fils répondit au courtisan lui proposant deux jeunes gens d’une grande beauté : « Quelle action infâme m’a-t-on donc vu faire pour m’en proposer une pareille[50] ? » Il est vrai que plus tard… mais alors la flatterie l’avait fait dégénérer de lui-même et l’avait corrompu[51].

D’ailleurs, j’en conviens tant qu’on voudra, la παιδεραστία dégénérée (κιναιδία) n’est pas un conte[52] ; elle existait en Grèce ainsi que dans les pays de dépendance[53], et y exerçait des ravages. Platon, en nous disant que l’amour des garçons, au sens mauvais du mot, était dans l’Ionie et ailleurs, déclaré infâme, αἰσχρόν, le constate[54], et Platon n’est pas le seul[55]. La République romaine aussi souffrit de ce vice ; Caïus Gracchus, dans une occasion solennelle, en fit la censure publique[56]. Qu,’on lise au surplus l’ouvrage de Valère Maxime : De la Chasteté et de la Volupté. Mais qu’est-ce à dire ? Voudrait-on par hasard accabler l’antiquité sous le blâme d’un vice que la société moderne, à en juger par les débats officiels que publient nos gazettes des tribunaux, est loin de pouvoir ranger parmi les crimes qui se commettent rarement ? Le christianisme, tout en réformant la société, mais frappé lui-même d’un germe morbide originel comme toutes les autres religions[57], sauf celle de la pure et simple morale, le christianisme assiste impuissant à la continuation d’une infinité de superstitions, et n’a encore extirpé dans aucun temps ni parmi n’importe quel peuple la pratique des mœurs les plus détestables. Tout au plus, l’état des mœurs publiques oblige-t-il aujourd’hui le vice de se cacher, ce qui était le cas aussi dans les bonnes époques de la Grèce et de Rome.

Mais laissons ce sujet, et remarquons que quant aux artistes et aux poètes de l’antiquité, il est vrai qu’ils étaient autorisés à se mettre, dans leurs œuvres lyriques, dramatiques et plastiques, au-dessus de la pudeur et de la critique vive, ou du blâme implacable à qui la pudeur doit le privilège d’exister et dont le nom est honte, hônida en vieux allemand[58]. Toutefois, cette exemption dépendait d’une condition, de la condition de faire oublier la pudeur au public dans la contemplation de la justice ou de la beauté, comme nous le voyons par les œuvres d’Eschyle et de Sophocle, de Platon et d’Hypéride[59] ; c’était à la condition de ravir le spectateur dans l’empire de l’idéal, à la condition d’être un Apelle ou un Praxitèle. Seuls, les poètes comiques avaient les coudées franches, licence pleine et entière leur était laissée à ce sujet[60]. C’était une nécessité sociale, une sorte de soupape de sécurité publique. N’en avons-nous pas aussi ?

Maintenant, si de tout cela il résulte que la nature particulière de la pudeur est un fait constant, il doit y avoir dans ses origines un motif qui l’explique, un motif sui generis ; et comme elle s’impose à tout le monde, avec cette circonstance caractéristique que quand nous commençons à ressentir son atteinte nous sortons à peine de l’âge de l’enfance, il est permis d’inférer par raison d’analogie que l’apparition de la pudeur parmi les hommes doit remonter au berceau de la société, ou du moins à l’époque de l’organisation sociale des races méditerranéennes. Car remarquons que toutes les races ne connaissent pas, originellement, les phénomènes psychologiques dont nous traitons ici, que beaucoup de peuples n’ont appris à connaître la honte et la pudeur sexuelles qu’ensuite de leur contact avec la race blanche. C’est là le cas de tous les peuples dont les croyances sont, en principe, purement cosmiques, c’est-à-dire libres de tout élément surnaturel, comme par exemple le dravidisme, le bouddhisme primitif[61]. Il en est ainsi encore, les voyageurs les plus dignes de foi nous l’assurent, chez beaucoup de tribus nègres et négritos, où l’entière nudité est le fait des femmes plutôt que celui des hommes. Tandis que les hommes, dans certains pays du Victoria Niyanza, dans l’Ouganda et ailleurs, ne doivent pas même laisser entrevoir un seul instant leurs jambes nues, et que les ânes même y portent des caleçons ou culottes (trousers), le laisser-aller excessif des femmes n’y scandalise personne[62]. Les jeunes filles, dans une nudité complète, in a state of absolute nudity, à l’âge de puberté, s’exposaient, dit Speke, hardiment à nos regards, sans la moindre arrière-pensée du mal. Ainsi, chez les Égyptiens, Isis est habituellement toute nue, mais Osiris porte toujours le pagne nommée schenti.

Schweinfurth remarque que le langage et les gestes des Bongo[63], qui habitent sous le 7e degré latitude nord, sont fort souvent de telle nature qu’ils feraient « baisser les yeux à nos harangères et rougir jusqu’aux oreilles le sapeur… » Quant aux Bongo, ils ne se doutent seulement pas des énormités qu’ils commettent. Rappelons aussi ce que le grand navigateur Cook rapporte des Taïtiens de son temps. « Ce peuple, dit-il, n’a aucune idée de l’indécence, et il satisfait en public ses désirs et ses passions avec aussi peu de scrupule que nous apaisons notre faim en mangeant avec nos parents et nos amis. Les deux sexes y parlent de tout sans retenue et dans les termes les plus simples[64] ». Cela est toujours vrai de beaucoup de peuples. Voici par exemple ce que remarque un missionnaire des Dayaks indépendants de Bornéo : « Entre les jeunes personnes des deux sexes, pas l’ombre de retenue. Les plus complètes familiarités amoureuses sont échangées entre eux sous les yeux mêmes des parents[65] ». Chez les nègres de la côte de Loango, Bastian a observé que le commerce sexuel est fort libre entre les jeunes gens et les jeunes filles, tandis que les femmes mariées sont assujetties à la plus grande réserve, que même elles ne reçoivent plus leurs maris dès qu’elles se sentent enceintes[66].

Tout cela concourt à prouver qu’une moitié de l’humanité, celle dont les races inférieures font partie, connaît et pratique la chasteté, mais non pas la pudeur, tandis que l’inverse a lieu dans l’autre, qui est celle des races blanches. Par conséquent, l’événement qui a fait naître la honte, la mère de la pudeur, ne peut se trouver que dans les origines des races qui cultivent la pudeur comme une vertu héréditaire, dans les origines des races blanches, pour employer un terme général. Mais quel est cet événement ou ce fait ?


CHAPITRE II


Ce fait, chose étrange en y réfléchissant, est l’acte même qui, dans l’ordre de la nature, est absolument nécessaire à l’existence et à la durée de l’humanité. Aussi le poète romain nous montre-t-il sans embarras la protectrice du genre humain, la chaste Junon, qui y préside et dit : adero[67]. « À la tête de tout, les dieux : devâ agre[68] » ; ç’a été aussi et c’est encore le sentiment des Indiens, et cela nous explique pourquoi dans l’Inde le représentant des dieux, le brahmane, non seulement assiste à la consommation du mariage, mais qu’il en règle même les mouvements[69]. Les jésuites n’en faisaient-ils pas ainsi au Paraguay ? De telles mœurs assurément ne sauraient convenir à la civilisation actuelle ; néanmoins, comme Montaigne, à la demande qu’il s’adresse : « Qu’a faict l’action génitale aux hommes, si naturelle, si nécessaire et si juste, pour n’en oser parler sans vergogne[70] ? » nous restons perplexes et nous ne savons que répondre. Du reste, les anciens, tout comme nous, entouraient de mystère et cachaient dans l’ombre[71] un acte que la nature nous commande comme le boire et manger, qu’elle nous impose sous peine de mort, sous peine de faire périr les familles d’abord, puis enfin l’humanité même. Cela étant, il y a certainement lieu de dire, en voyant la honte dont est couvert le commerce sexuel, qu’il doit y avoir là du plus ou du moins. On ne peut pas attribuer un sentiment aussi profond que général à l’hypocrisie, bien que la disposition à ce vice soit, après celle de la peur, le caractère le plus prononcé de la pauvre humanité. Dès lors on peut admettre a priori que ce commerce aura été, à l’origine, accompagné de circonstances propres à en vicier le caractère naturel et à le dénaturer en quelque sorte. Serait-ce une pure et vaine hypothèse ? Mais si vraiment elle l’était, nous ne concevrions absolument pas comment un acte légitime et nécessaire pourrait être entaché d’une invincible honte ; comment le mariage, qui passe cependant pour être un sacrement, pourrait être « honteux dans son usage » ; comment nous pourrions éprouver au sujet de cet usage le tourment de la pudeur, marterndes Gefühl der Scham, pourquoi enfin « on ne doit point dire à de chastes oreilles ce dont de chastes cœurs ne sauraient se passer[72] ».

Toutefois c’est à étudier, et je ne vois pas que jusqu’ici il y ait un document qui convienne mieux à la base de cette étude que le texte des chapitres ii et iii de la Genèse mosaïque. C’est la légende biblique de la chute qui se répète, à ce qu’il semble, comme un écho polyphème plus ou moins distinct chez tous les peuples sémitiques et indo-européens, sans que nous sachions jusqu’ici où l’auteur de la Genèse l’a recueillie.

Cependant, avant d’entrer au cœur de notre sujet, rappelons la sentence déjà citée des stoïciens que « le sage doit parler librement », et armons-nous, si l’esprit de science, pour qui tout est pur, n’y suffisait déjà, de la vertu des vestales ou des matrones romaines qui, soutenues par des motifs de l’ordre le plus élevé, approchaient du démon mystérieux sans penser à mal, lui sacrifiaient même et le couronnaient. C’étaient même les vestales qui étaient préposées à la garde de son simulacre. Sous le nom de Liber, Fascinus (nous retrouverons ce nom tout à l’heure), Fascinus était en effet, non de la plèbe divine, suivant l’expression de saint Augustin, mais du nombre des dieux choisis, qui selecti appellantur[73]. On mettait sous sa protection, on dirait par une sorte d’homéopathie morale, jusqu’aux petits enfants[74], leur inoculant le virus pour les préserver du virus. C’est le principe sur lequel repose la foi aux amulettes, et il s’agit ici en effet de cette superstition. Mais, avant de continuer ce sujet, une remarque préliminaire ne nous paraît pas déplacée.

On s’aventure beaucoup quand on veut ramener les choses morales et religieuses de notre race au seul culte des phénomènes cosmiques, au culte surtout de la lumière et de ses agents. Holtzmann a pleinement raison de s’élever avec force contre un procédé qui menace de dégénérer en manie et de fausser toute la science de la mythologie comparée[75]. La lumière, il n’y a pas de doute, le nom même de la divinité, chez plusieurs peuples indo-européens, le prouve avec la dernière évidence ; la lumière fut dès l’abord un des facteurs les plus importants dans le mouvement religieux primitif de notre race ; son rôle réellement saisissant dans l’ordre cosmique l’y prédestinait : cuncta gignunt, inque lucem dant[76] ; L’importance capitale qu’elle eut pour l’homme des premiers âges, comme pour l’homme primitif de tous les temps[77], se reflète encore dans celui de nos usages qui consiste à s’aborder entre amis et même entre indifférents avec le souhait de « bon jour » (bona dies). C’est comme si on se souhaitait « le bon Dieu ». Et, en effet, le jour où les chrétiens reçoivent  « le bon Dieu » est dit « le bon jour[78] », et chez les peuples germaniques il porte même le nom de soleil, de soleil levant, Ostern, d’Ostarâ, qui est étymologiquement identique à aurora. Par métaphore, Dieu aussi est appelé « soleil » ; Philon d’Alexandrie l’avait déjà remarqué, et l’Église a imité l’Écriture[79]. La lumière et son agent principal, le soleil[80], l’œil de la divinité, suivant une croyance populaire[81], eut donc une grande influence sur la pensée de nos ancêtres naissant à la vie intellectuelle, mais cette influence ne fut pas exclusive, alors même qu’ils ne raisonnèrent pas comme la Hagada le dit d’Abrâm[82]. Ce qui, primitivement, occupa l’homme plus que le soleil ou tout autre agent cosmique, on peut l’assurer sans crainte de se tromper, ce fut lui-même, sa propre personne. Homo sibi Deus : voilà le ressort principal et le fait capital de l’histoire humaine. C’est son individu qui l’attachait tout d’abord par les liens les plus intimes et les plus puissants, et cela est si naturel qu’encore aujourd’hui il ne pourrait en être autrement. Notre individu est constamment pour nous une source inépuisable de surprise, d’étonnement et de réflexion. Or, dans le nombre des motifs qui donnaient à penser aux hommes primitifs, se trouvaient certaines fonctions corporelles, celles surtout qui concourent ouvertement à nous faire vivre et exister. Ainsi, par exemple, l’acte de manger, à la suite duquel on se sentait renaître, prenait un caractère mystérieux, et la nourriture devenait une chose divine, une divinité. La nourriture, dit une Upanishat, est produite de Brahma, et, à son tour, elle produit le souffle vital, l’âme, la réalité et ce qui est immortel dans les œuvres humaines : (Brahma) tato ’nnam abhijâyate annât prâno manaḥ satyan lokâḥ karmasu câ ’mṛitam[83]. Aussi l’Indien observe-t-il toujours encore le précepte de Manou, qui veut « qu’on honore sa nourriture, pûjayed açanam ; qu’en la voyant on se réjouisse, dṛishtvâ hṛishyêt ; elle doit être constamment révérée, pûjitam açanam nityam[84] », et l’initié, le deux fois né, après avoir observé tout un rituel en se disposant à manger et en mangeant, doit terminer son repas en disant à voix basse : « Mon péché est tué ! tué est mon péché ! Ainsi soit-il ![85] »

Mais il y a l’acte qui, bien autrement puissant que celui qui nous fait renaître, donne à l’homme la vie elle-même et l’appelle à l’existence. Devant ce prodige, car c’en est un dans tous les sens[86], les hommes de nature, nos premiers ancêtres, restaient confondus et s’inclinaient ; le culte de l’organe qui sert à l’opérer s’établit de bonne heure, et bientôt, par la suite qu’entraîne toute aberration du sens religieux sur un sujet d’ordre purement physique, apparurent les mythes et les légendes phalliques. On les trouve chez tous les peuples de la race blanche ; seulement il est évident, par l’étude comparative, que partout ils ne se présentent plus qu’à l’état de « membres épars ». Cet état fragmentaire est d’ailleurs propre à toutes les légendes primitives, et il n’a pas nui à la popularité des mythes phalliques ; il a, au contraire, favorisé cette popularité en ce qu’il a augmenté le mystérieux qui s’y rattache. Or, le peuple n’aime rien tant que le mystère. On sait la ténacité avec laquelle les Grecs, d’ailleurs sceptiques et moqueurs[87], tenaient aux mystères religieux, et la fureur qu’excita chez les Athéniens la mutilation dont tous les hermès, sauf un seul, devinrent un jour victimes chez eux[88]. Ces hermès n’étaient autre chose que des simulacres phalliques, ou du moins c’était là leur caractère essentiel[89]. Souvent ce n’étaient que des pieux équarris ; un gros bâton, truncus ligni, fiché dans le sol, suffisait aussi pour en faire l’office. Bâton ou colonne est au surplus le sens originaire des mots ἑρμῆς et φαλλός. Grimm signale l’irmansûl germanique[90], et cela avec d’autant plus de raison que chez le peuple congénère des Indiens, le lingam, primitivement toujours en bois, affecte souvent la forme d’une colonne fort élevée. Je ne sais si l’exclamation de vanaspate ! ô maître pilon (ou ô grand bois) ! qu’on lit dans un passage passionnel de l’Atharva-Véda[91], se rapporte à notre sujet ; mais un lingam des plus considérables, celui que brisa à Soumenath, dans le Guzerat, Mahmoud le Ghaznevide, en 1025, n’était pas en bois[92]. Du reste, quant aux dimensions qu’on donnait à cet objet, l’Égypte, si on peut ajouter foi au dire d’Athénée, surpassa encore l’Inde, puisque le phallus de Ptolémée Philadelphe eut une hauteur de 80 mètres[93].

Le nom de « colonne » est donc amplement justifié. Maintenant, pour ce qui est de l’assertion de Welcker, qu’il n’est pas sûr que le phallus ait été en principe l’attribut de tout hermès[94], peu importe, puisque, en fût-il ainsi, le fils de Maïa, personnification du renouveau à l’approche duquel on célébrait les Lupercales que nous caractériserons plus loin, Hermès n’en demeure pas moins le personnage phallique par excellence. Il se rattache par sa mère aux Océanides, les déesses, c’est-à-dire les fonctions des eaux créatrices de l’Océan. Alles ist aus dem Wasser entsprungen, et cette idée philosophique, déjà émise par Homère, c’est Hermès qui l’a personnifiée chez les Grecs, comme Osiris chez les Égyptiens[95]. Aussi, et c’est un fait qu’on ne saurait contester, le bouc a-t-il de tout temps accompagné ce dieu ; or, le bouc est l’équivalent du phallus[96]. Dans une occasion solennelle, l’oracle romain lui en adjuge le rôle. « Ô prodige ! on entend la déesse parler ainsi dans les cimes agitées de la forêt : Italidas matres sacer hircus inito[97]. On a trouvé aussi le bouc placé entre les jambes du dieu qui passe pour être l’Hermès gaulois[98].


CHAPITRE III


Le culte du phallus, sous l’une ou l’autre forme, comme lingam ou comme yonî, était répandu dans le monde plus que nul autre culte. La raison en est claire, car, comme le dit Diodore, le phallus est la cause de la perpétuité des hommes. C’est ainsi qu’il a obtenu des hommages qui ne finiront jamais[99]. Même les adorateurs de Jahwéh ne s’en dispensèrent pas. Le livre des Rois et les Paralipomènes[100] nous montrent le culte de Mipledseth[101] en si grand honneur en Juda qu’une reine-mère ne dédaignait pas d’en être la prêtresse[102]. L’idole était sans doute une Baalath phénicienne, comme la Baaltis de Biblos ou la Ummath de Moab[103], divinité qui personnifiait, comme on le voit suffisamment déjà par ses attributs et son attitude[104], les forces toutes physiques que représentent le phallus et la yoni[105]. En Grèce, on promenait le phallus triomphalement (πομπὴ τοῦ φαλλοῦ)[106] au printemps, avec des chants spéciaux, porté en érection, comme ithyphalle, derrière la jeune fille canéphore, ainsi que nous le lisons dans les Acharniens[107] ; et le grave Plutarque atteste cet usage en le regrettant[108]. On y allait en effet gaîment, plebeio more et hilari agebatur, et dans ces phallogogies étaient phallophores, officiels ou bénévoles, tous ceux qui chantaient le phallicon. Mais il y avait des villes entières qui étaient consacrées à Priape, comme par exemple Lampsaque sur l’Hellespont, dans la Troade, et peut-être aussi l’antique Sicyone. D’autres portèrent même son nom[109] ; et l’usage de placer son simulacre devant certains sanctuaires et de le graver sur des monnaies, comme aussi de l’ériger sur la demeure des morts, était assez répandu[110].

Le culte du « dieu de Lampsaque » a du reste survécu à l’antiquité. Je ne sais si, au moyen âge, on jurait par le phallus, comme le dit Fischart ; il plaisante, je pense[111]. Ce qui est certain, c’est qu’encore aujourd’hui les habitants du pays qui fut la grande Grèce, les descendants des plus anciens colons de l’Hellas[112], instituent des ex-voto phalliques au beau milieu des sanctuaires catholiques, et les femmes de nos jours, comme jadis leurs aïeules[113], s’y entourent le bras et la poitrine de simulacres du santo membro[114]. Ce serait obscène, si le sens qu’on y attache comme pronostic de fécondité et symbole d’avenir n’en éloignait toute idée de souillure. C’est encore ainsi que dans l’Inde, où les dévots de Çiva portent toujours le lingam à leur bonnet[115], la doctrine religieuse afférente, consacrée par toute une littérature, ne voit dans le phallus que l’emblème du principe de vie ou l’enveloppe des éléments qui constituent l’âme. C’est pour les Çivaïtes surtout que le lingam est la vie, la vie individuelle même de celui qui le porte[116]. Aussi assure-t-il au lingadhari ou phallophore la rémission de ses péchés et son salut dans le ciel de Çiva[117], dans ce kailâsa ou paradis qui, pour ses plaisirs d’amour, ressemble beaucoup à celui de Mahomet. Le lingadhari arrive, de plus, à la connaissance philosophique suprême où « cinq devient identique à un », où le pansâtsaram se transmute en ekâtsaram[118]. Après cela, on pense bien que les fêtes et les processions lingamiques étaient et sont encore célébrées dans l’Inde avec des démonstrations qui ne le cèdent en rien à celles dont le phallus était le sujet en Grèce et en Égypte. Le pèlerinage à Pandharpur en l’honneur de Vithoba, incorporation de Krishna, est très-populaire. Or, le dieu est couronné du lingam et les pèlerins portano in questa occasione varj lingam di legno in mano saltando et ballando[119]. C’est absolument ce qu’Hérodote rapporte des femmes égyptiennes : per vicos circumferunt mulieres, nutante veretro… procedit tibia, sequunturque mulieres, etc.[120].

Le culte du phallus n’était pas non plus négligé dans le Nord, et il y persiste, bien qu’à un degré beaucoup moindre qu’au Midi de l’Europe. Les Scandinaves, suivant Adam de Brême, adoraient Friggr (Fricco), dieu d’une importance égale à Odhinn et Thôrr, sois la forme d’un priape[121]. En cherchant, on trouverait aisément des vestiges de ce culte en Normandie, en Belgique, dans les Pays-Bas et en Allemagne. Je ne parle pas de la France proprement dite, où les railleries des huguenots sur les abus qu’on faisait de saint Photin ou Foutain[122], passant pour favoriser la fécondité des femmes, ont banni la dévotion phallique dans ce qu’elle avait de trop explicite[123]. Mais quant à la Belgique, Bruxelles conserve précieusement son Manneken-Piss, dont quelques écrivains plus pieux qu’instruits veulent faire un petit duc de Brabant du XIIe siècle[124]. Mais les femmes stériles protestent en cherchant à se rendre favorable le démon par des offrandes de fleurs, tandis que leurs sœurs allemandes tendent au même but en s’asseyant sur le phallus de Frey[125], comme jadis les femmes en Égypte s’asseyaient sur un bouc en bronze et les jeunes filles romaines sur Mutinus[126]. Des pratiques identiques, nous dit Lucien, avaient lieu aussi en Orient. Au fond de tous ces procédés, il y a l’idée de la virtu generativa, et non une pensée immorale à n’importe quel titre. C’est ainsi que Callimaque nous montre le phallus érigé dans la partie la plus centrale des maisons, non pour exciter, mais pour intimider les jeunes filles[127]. Chez les Romains, il apparaît, nous l’avons déjà dit, sous le nom de Fascinus, mot qui signifie « charmeur[128] ». C’est un démon qui, comme le Nâga ou serpent chez les Indiens et l’ἀγαθοδαίμων des Grecs, a sa place sous l’autel domestique[129], et s’élance des cendres du foyer des pitris ou ancêtres dans le sein de la femme. C’est de la sorte que, d’après une légende, furent engendrés Romulus et Rémus[130].

L’origine de l’Hermès-Ithyphalle, considéré comme le génie de la fécondation ou de la force génératrice, est placée par Hérodote chez les Pélasges[131] ; mais la priorité paraît toutefois revenir ici, comme en tant d’autres points, à l’Égypte[132]. Là le culte du phallus prenait une importance et des dimensions comme nulle part ailleurs, si ce n’est dans l’Inde, au sein du çivaïsme, ainsi que nous l’avons indiqué déjà. Le lingâm y apparaît comme l’image typique ou, en tous cas, comme le symbole préféré du rival victorieux de Brahmâ et du compétiteur de Vishnu, et se trouve célébré, plus ou moins spiritualisé, par toute une littérature, en tête de laquelle se place le Linga-Purâna[133]. Mais le çivaïsme n’étant pas, en tant que secte brahmanique, de date ancienne, le culte lingamique qu’il pratique avec une si visible prédilection[134] ne l’est pas non plus[135]. Cependant il se peut que ce culte ait toujours existé dans la religion indienne aborigène, le drâvidisme, dont, sous plusieurs rapports, le çivaïsme, de même que le jaïnisme, ne sont que les continuateurs[136]. D’un autre côté, il est certain que dans le buddhisme le lingam apparaît de bonne heure sous la forme du stûpa, s’élançant des tombes comme le phallus chez les Étrusques, et ainsi il est certain que si les titres phalliques de l’Inde le cèdent pour l’ancienneté à ceux de l’Égypte, ils sont du moins fort anciens. Puis il y a cet avantage du côté de l’Inde que le buddhisme de Çâkya a dépouillé le culte du lingam du grossier matérialisme de la religion indienne primitive, qu’il a transformé le culte du stupa-lingam en celui du stupa-autel, monument symbolique de la présence du Buddha par les reliques qu’il est censé renfermer du grand réformateur. Il en est de même, par contre-coup, du lingam des Çivaïtes. Maheçvara, le tout-puissant dieu, est présent en lui et en rayonne au dehors par la triple flamme du triçûlu.

Mais, répétons-le, tout cela, comparé à la prodigieuse antiquité historique du culte phallique chez les Égyptiens[137], est récent, le drâvidisme, quelque ancien qu’il soit, ne nous ayant laissé aucun monument figuré, aucun document lapidaire. En Égypte, au contraire, la croix, emblème du phallus, avec l’idée qu’elle représente de vie et de vivre, idée qui nous l’a fait adopter comme signe de multiplication[138] ; la croix ansée (le lingam uni à la yoni) se trouve gravée sur les monuments les plus antiques. Souvent, au surplus, elle forme groupe avec le serpent, symbole aussi tout parlant de la vie et de son renouvellement. La croix ansée est donc la figure la plus complète de l’idée phallique, et c’est aussi à cause de cela qu’elle est devenue la figure de Vénus ou de la planète qui porte le nom de la mère de Priape.

Cependant l’argument décisif de la haute antiquité du culte phallique égyptien ; c’est que ce culte se relie intimement à celui d’Osiris, le dieu égyptien par excellence, depuis qu’il existe une Égypte[139]. On recule l’époque où ce dieu-roi régna à vingt-trois mille ans avant Alexandre[140], et c’est Isis qui établit dans la basse Égypte, à On (Heliopolis), dit-on, le culte des parties génitales de son divin époux, après qu’il fut devenu la victime du rouge et cruel Set ou Typhon. Un mythe analogue, on peut dire identique, est celui d’Aphrodite (Baaltis) et ; d’Adonis (Thammuz). Les Phéniciens de Byblos (Gebal) l’avaient emprunté à l’Égypte, cela n’est pas douteux[141].

Il paraît donc certain, à moins qu’un document assyrien n’y vienne contredire, chose possible après tout, puisque déjà, tel qu’il est, on peut démêler dans le récit du paradis un élément assyrien important, celui des Kirubu ou chérubs[142] ; je dis il paraît certain, jusqu’à nouvel ordre, que la légende de la chute est d’origine égyptienne ; mais cela ne nous fait pas sortir du domaine de notre race. L’Égypte appartient encore au domaine sémitique, ou si l’on veut prosémitique ; l’illustre Benfey l’a démontré il y a plus de trente ans. Nous rencontrons en effet, à l’origine de l’histoire de l’Égypte, les noms de Ména « celui qui résiste » et de Schesch, la « blanche[143] », noms qui donnent à penser, comme ceux de Manu « le pensant[144] » et d’Ilâ « l’autel », et Moïse, qui était savant dans la science hiératique[145], a pu s’instruire aux archives de quelque temple du pays qui l’a vu naître. Or, dans le récit mosaïque, le phallus existe ; il y est sous la forme qu’on lui attribuait si souvent, sous celle du serpent[146] ; il y est aussi sous celle de l’arbre.

D’autres symboles, équivalents aux précédents, étaient la fève et l’amande[147]. Mais ils ne sont pas arrivés à la popularité. La fève a toujours paru impure, μὴ καθαρὸν εἶναι, et les hallucinations d’Anne-Catherine Emmerich, qui vit sous cette forme pénétrer le Saint-Esprit dans les flancs de la Vierge, n’ont pas réussi, quoique préconisées par le clergé, à la rendre sainte[148].

Maintenant, avant d’aborder de près l’interprétation de notre légende, il faut dire que nous ne sommes pas les premiers à voir un mythe ithyphallique dans l’apologue de la chute biblique. Les talmudistes et certaines académies, comme dit Rabelais[149], nous ont devancé, et les explications du fameux contemporain du plus fameux Paracelse, je veux dire Agrippa de Cologne, sont à cet égard des plus catégoriques[150]. Mais ce qu’on n’a pas fait, je crois, c’est d’avoir étudié comparativement toutes les parties du récit biblique, de manière à en tirer le mot du problème moral qu’il couvre évidemment et que nous avons indiqué déjà par le titre de notre travail.


CHAPITRE IV


Le récit du paradis est une mise en scène figurative de la personne de l’homme et de son éveil à la vie physique et à la vie morale. Le jardin ou enclos planté par le démiurge Elohim, la personnification des fonctions souveraines de la nature, φύσεως ὑπόστασις, comme Métrodore, disciple de Démocrite et d’Anaxagore, l’a le premier reconnu pour les dieux en général[151], l’enclos paradisiaque est l’image de la créature humaine (dans cet âge où elle n’avait encore rien fait de conscient, où aucun acte réfléchi ne l’avait déjà révélée à elle-même, et où, par conséquent, toutes les conditions favorables à la culture de son être subsistaient en leur intégrité native. L’homme était encore tout nature ; nature supérieure aux autres créatures, il était tout paradis, un clos privilégié dans un lieu de délices, gan be eden[152]. Il était en si parfaite unisson avec le milieu qui l’avait produit, qu’il s’y trouvait comme l’enfant dans le sein de sa mère. Il y respirait (nous reviendrons sur ce point) par l’arbre de vie planté dans le centre du jardin ou du clos organique, et de son corps sortaient, semblables à quatre fleuves, les quatre grands membres dont des besoins incessants lui imposaient le constant usage. Mais au milieu de la créature paradisiaque s’élevait, différent de l’arbre de vie, l’arbre de la connaissance du bien et du mal, hetz ha dahath tôb wa rach, arbre qui n’est autre que l’organe de la génération.

La figure n’est pas insolite. Un arbre représente dans beaucoup de mythes l’éclair, le carreau ou le coin de foudre, Donnerkeil, qui tombe dans le sein de la femme et la féconde. Olympias, mère d’Alexandre, crut que cela était arrivé à son sujet[153], et la légende dit que Thrym ou Donar lança son marteau dans le sein de la jeune fille sa fiancée, i meyjar knê[154]. Les mariages conclus jusqu’en ces derniers temps par le forgeron de Gretna Green sont évidemment une réminiscence de la fonction mythique du marteau de Thôrr, et le fait se répète ailleurs. L’éclair est aussi symbolisé par la hache[155]. Nous devons y revenir ; pour le moment, il faut, quant aux arbres, signaler, comme incorporation mythique de l’organe de virilité, la mélia, l’éberesche, le sorbier, l’açvattha, c’est-à-dire le figuier. C’est un figuier, ἐρινεός, qui marque le lieu où Pluton, le serpent chthonique, le ravisseur de trésors et leur gardien (Plutus), se rend maître de la vierge Proserpine[156]. Au reste, nous pouvons, sur le chapitre des arbres, renvoyer le lecteur au savant ouvrage d’A. Kuhn, La descente du feu[157]). Rappelons seulement qu’aujourd’hui encore le mythe de l’arbre-phallus subsisté dans l’esprit du peuple. Ainsi, en beaucoup d’endroits, pour rendre fécond le jeune bétail, on le frappe avec une branche de frêne, de sorbier, de sureau, de noisetier ou de bouleau[158]. Dans l’Inde, une telle branche ou verge s’appelle parna[159], qui fortifie ou rend vigoureux ; et le terme appellatif de verge, ruthe, est effectivement appliqué au membre viril, même par la science anatomique.

Je reviens au document biblique.

Elohim ordonne à l’homme d’utiliser tous ses membres en lui disant : « De chaque arbre du jardin tu peux manger », et il ajoute : « mais tu ne mangeras pas de celui de la connaissance du bien et du mal, car dès que tu en mangeras, tu mourras ». Pour bien comprendre cette défense qui équivaut, à ce qu’il semble, à celle de se servir de ses organes sexuels de soi-même, c’est-à-dire arbitrairement et pour sa seule satisfaction, il faut se rappeler qu’elle est faite avant la naissance de la personne femelle, alors que l’être humain était encore gynandromorphique, qu’il était encore dans un seul et même corps homme et femme. En effet, « Elohim les créa mâle et femelle, zakar oue neqêbah bara ôtham[160] », et lui-même était androgyne, puisque, avant de nous dire que l’homme fut créé mâle et femelle, le document biblique nous affirme qu’Elohim le créa à son image et à sa ressemblance[161]. De plus, dès le commencement, la Genèse nous présente l’énergie (ruach) d’Elohim sur les eaux primordiales, les frappant et les couvant à la fois, ainsi que le fait clairement entendre le terme merachpheth[162].

Nous ne voulons pas rechercher ici si, relativement à l’homme, le gynandromorphisme a jamais été, comme le texte nous le montre dans l’humanité représentée par le premier être humain[163], une réalité effective et normale ; ce que nous pouvons dire, c’est que l’homme androgyne n’est pas impossible. Aujourd’hui, il est vrai, l’hermaphroditisme est un cas de monstruosité que Rudolphi, Berthold, Meyer, Gruber et plusieurs autres savants ont constaté et techniquement décrit[164]. Les Romains ne furent pas si avisés ; les androgynes leur étaient tellement odieux qu’ils se hâtaient de les jeter à l’eau, in flumen ou in mare, quand ils leur tombaient sous la main ; et une fois, l’apparition d’un androgyne leur parut même si néfaste, qu’ils ordonnèrent des supplications publiques[165]. Cependant, primitivement on croyait que l’état androgyne avait été naturel aux êtres. Toute l’antiquité, dit Gerhard, se représentait comme androgynes les auteurs de la création[166]. Nous avons déjà nommé Elohim ; ajoutons-y Pthah, Uranus, Aphrodité, Déméter, Athéné et Dionysos : ἄρσενα καὶ θῆλυν, διφυῆ[167] ; puis Mithra, Yama, Çiva, représenté « mi-femme, ardha- » nâri[168], dans le temple d’Elephanta et ailleurs ; enfin Mashya, Meahuatl et Tuisco, nom qui, selon Wackernagel[169], veut dire Zwitter, qui est des deux (sexes). Les récits des temps héroïques connaissent aussi comme androgynes Cénis ou Cénée et Tirésias[170]. J’en passe. Mais la croyance de l’hermaphroditisme était si profondément entrée dans l’esprit du peuple grec que, pour la satisfaire, les poètes avaient dû créer une divinité androgyne spéciale, un composé d’Hermès et d’Aphrodite, le dieu Hermaphrodite[171]. Il y avait des fêtes à son honneur, et à Argos on célébrait les Hybristika longtemps encore après notre ère[172].

Du reste, on sait quel magnifique parti la statuaire grecque a su tirer du principe androgyne. Rien de plus heureux que les inspirations qu’elle lui a dues dans la création des types de la plupart des dieux et des déesses. C’est ainsi qu’elle est parvenue à allier dans ses chefs-d’œuvre la force et l’austérité viriles aux grâces et à l’élégance féminines. L’idéal de l’art grec est donc l’androgynisme[173], et qui en doute encore n’a qu’à bien regarder l’Apollon de Belvédère et la Vénus de Milo. Leur sublime fierté, leur charme ineffable sont uniquement dus au mélange discret des éléments anatomiques des deux sexes.

D’ailleurs on dirait qu’il y a comme une réminiscence du gynandromorphisme primordial et comme un désir de rentrer dans l’unité sexuelle qui le constitue, dans l’affirmation sur laquelle est fondée l’indissolubilité du mariage, dans l’affirmation que les mariés seront tous deux une seule chair : et erunt duo in carne una[174]. Il est certain du moins que Jésus, en rejetant le divorce, sauf le cas où il se produit de fait par l’adultère, s’appuie sur le texte de la Genèse, qui dit que l’homme fut créé dans l’unité des deux sexes : Adam unus id est Eva et ipsa enim Adam est[175]. Je ne sais si c’est aussi par ce motif qu’un poète tamul enseigne que l’union maritale constitue à l’homme et à la femme une seule et même vie[176] ; ce qui est certain, c’est qu’il a inspiré Platon dans son Banquet. Ce philosophe dit en effet : « La cause du désir d’être indissolublement uni, de ne plus former qu’un seul être avec l’objet aimé, c’est que notre nature primitive était une, et que nous étions un tout complet : ὅτι ἡ ἀρχαία φύσις ἡμῶν ἦν αὕτη καὶ ἦμεν ὅλοι. » Et il ajoute : « On donne le nom d’amour au désir et à la poursuite de cet ancien état[177] ». La muse de Schiller s’inspire de la même idée quand, dans « le mystère de la réminiscence », elle s’écrie : « Oui, nous n’étions qu’un ! oui, tu m’as été intimement unie dans des éternités qui ont disparu… tu ne fus qu’un avec ton bien-aimé !… Et dans cette union étroite, intime, nous étions, je l’ai lu stupéfait, un dieu, une vie créatrice… »

En principe, l’homme était donc androgyne ; il était mâle et femelle dans une seule chair : le baschar echad[178]. En cet état, nous dit le document recueilli par l’auteur de la Genèse, il pouvait être fécond, se multiplier et remplir la terre[179]. Nous voyons, en effet, que ce pouvoir ne manque pas aux animaux inférieurs, dont la vie zoologique est en général plus énergique que celle des animaux supérieurs ; pour eux, comme les anciens le pensaient encore du dragon de Delphes[180], le gynandromorphisme est demeuré l’état normal. La fécondation de l’individu par lui-même pouvait s’accomplir, paraît-il, par endosmose, par un procédé intérieur en quelque sorte passif. Se multiplier de soi-même est d’ailleurs le cas de tout germe primitif, et Aug. Comte a rêvé que, par suite du progrès, ce pouvoir nous sera de nouveau acquis un jour, que la femme seule, dans une île déserte, pourra se donner toutes les joies de la maternité.

Credat Apella ! Ce qui est certain d’après nos textes, c’est qu’un moment vint où l’homme mâle et femelle à la fois se dédoubla, un moment où il y eut un isch et une ischa, un yama et une yamî (dschem et dschemê), un maschya et une maschyâna, un vir et une virago, un Mann et une Männin. Alors la défense de manger du tympanum[181], pour parler le langage voilé d’Eleusis, existant toujours, la tentation sexuelle partagée remplace la tentation solitaire ; la défense, restreinte d’abord, ce semble, à un vice analogue à celui d’Onan, se rapporte maintenant aussi à la cohabitation dans la forme sous laquelle elle a prévalu et qu’Ahuramazda déclare mauvaise au premier chef, paorîm ashâiçtem. Il paraît certain du moins que les termes arezûrahe grîvya ou grevaya[182], les saisissements d’Arezura, désignent le commerce sexuel tel qu’il existe.

On peut supposer que la reproduction humaine pouvait se faire encore par d’autres procédés, que l’homme pouvait être « extrait de cervelle comme Pallas[183], ou de cœur comme Bhrigu[184], ou de la cuisse comme Aurva[185], Bacchus et Jacchus[186], ou de la main comme les Dactyles[187], ou de l’aisselle comme les fils et filles d’Ymir, l’Örgemlir, l’ancien primordial[188], ou d’un des membres qui produisirent, au dire des Indiens, les ancêtres des quatre castes. Brahma les engendra par la bouche, par le bras, par la cuisse et par le pied, mukhabâhûrupâdataḥ[189]. La mère de Çâkyamuni, dit le Lalita vistara, enfanta le Buddha par le flanc droit, et la Genèse présente ainsi la naissance d’Ève[190]. Toutes ces idées, si singulières qu’elles nous paraissent, ne sont pas plus ridicules que d’autres, et elles ont l’avantage d’être plus propres que la réalité qui l’a emporté par le pudendum muliebre[191].

Mais revenons au document mosaïque.



CHAPITRE V


La tragédie commence, car c’est bien à un drame tragique, prélude de la grande tragédie humaine, que nous avons affaire dans tout ce qui suit maintenant. L’importante personnalité des acteurs de la légende imprime à la passion qui se trouve mise en jeu une allure réellement pathétique ; le crime qui se consomme a le caractère de la fatalité ; l’ironie intervient, et, vu la puissance de celui qui la manie, elle est terrible, et la fin de toute l’action étant la mort, le châtiment suprême des coupables, la terreur et certes aussi la pitié tiennent l’âme captive sous le coup d’une profonde émotion.

Soudain se présente le serpent, ha nachasch[192], l’Arezura du Vendidad, le jaloux[193], l’envieux d’Elohim ou d’Ahuramazda. Qu’il sortit de l’Erèbe comme un Narcisse[194], beau à croquer, je ne saurais l’assurer, mais il est certain qu’il plut à Ève et qu’il enivra ses sens comme il en arriva à Coré, la vierge Perséphone, au moment où elle fut enlevée par Pluton. Il semble aussi que le reptile s’identifie avec l’arbre du bien et du mal. L’image n’a rien que de conforme au rôle du serpent. Le Vendidad, dans un des fragments que les Irâniens avaient conservés du mythe premier, le Vendidad connaît aussi le serpent, et ce serpent, raoidhita, plein de mort ou de venin, pouru mahrko, est une création d’Ahriman[195]. Cependant, sous une autre forme, la légende parsie nous présente l’aiguillon, açtra, et la lance, çufra, qui, également destinés à porter le trouble dans la nature et à l’engrosser, sont donnés aux premiers humains par Ahuramazda[196]. La terre, zâo, la mère par excellence, représente la femme qui reçoit de cette fonction les noms d’Ève, de Pandore, etc.[197], possédant et donnant la vie telle quelle, bonne et mauvaise. De là vient que, dans les idées aryennes, la femme est le champ, kshétra[198], de l’homme, et le terme est synonyme d’épouse. « Yima (l’Adam irânien) fendit le premier cette terre avec sa lance d’or (comme Osiris avec la charrue)[199] ; il la perça avec l’aiguillon, la mère des animaux et des hommes : hô imam zâm aiwisvat çuvairya zaranaênya avi dem çifat açtraya… berethri paçvãmca mashyânâm ca[200] ». Boccace et Rabelais n’auraient pas usé de tant de voiles[201], mais ils racontaient « pour exciter le monde à rire », et le mythe est sérieux comme un sphinx.

Cependant Ève, qui sentait sans doute ce qui depuis n’a pas cessé de se vérifier, « qu’on peut tout supporter ; excepté une suite continue de beaux jours[202] » ; Ève regarde le serpent comme Alibech regardait « il diavolo », et ses sens troublés par le beau démon, qui est issu de mauvais parents, dit Simonide[203], la jettent en proie à une telle passion qu’elle en éprouve des hallucinations où, comme nous l’avons déjà expliqué il y a bien des années[204], elle fait parler la bête. Ce n’était pas pour se faire dire, comme les Romains, par le bœuf qui leur parla pendant la seconde guerre punique : « Prends garde à toi[205] ! », et la pauvre femme ne pouvait pas non plus savoir aussi bien qu’une autre que le démon s’enfuirait en lui résistant, car il n’y avait pas de précédent, n’y ayant pas eu encore d’autre femme. Ainsi, Ève, séduite, enivrée, croit entendre le serpent lui demander : « Elohim a-t-il effectivement dit : ne mangez d’aucun arbre de ce jardin » ? Et elle de lui répondre : « Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin ; quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Elohim a dit : « N’en mangez pas, n’y touchez pas, vous pourriez en mourir, themuthûn ». Ainsi, au mode positif : tu mourras, thamôth[206], la femme, sous l’empire de la passion, substitue le mode infléchi du conditionnel, c’est-à-dire une négation in nuce du crime qui l’attire, et avec satisfaction, cela va de soi, elle entend le serpent lui prophétiser : « Vous n’en mourrez pas. Mais Elohim sait qu’aussitôt que vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront ; vous serez comme Elohim, ke elohim, connaissant, le bien et le mal. »

On peut saisir ici la raison du mythe si répandu dans l’antiquité qui douait le serpent du don d’une prophétie toujours fallacieuse et menteuse, et attirait au prophète par excellence, Pythios, la qualification de loxias, d’obliquant. La vérité est que tout prophète philippise comme le serpent de Delphes, qu’il rend, comme le serpent du paradis, des oracles intéressés, et que, dupe et victime comme Ève, l’homme ne cesse d’ajouter foi aux paroles ambiguës du séducteur. Comment lui échapper d’ailleurs ? Ne tient-il pas, comme l’Edda le dit de Jörmungandr, le serpent de Midgard, Midgardsormr, le monde enserré dans ses plis[207] ? N’en est-il pas le génie qui dispense la vie et la mort, qui en porte la source dans son propre corps ? Ève mangea donc du fruit défendu, et en même temps, le mouvement de la chair ayant aussi saisi Adam, celui-ci mangea ce que la femme lui offrit[208]. Le Bundehesh indique également cette simultanéité d’action, et ce qui peut paraître singulier, Kotzebue, dans son voyage autour du monde, vit ce moment critique plastiquement représenté chez des insulaires, au milieu de l’Océan Pacifique. La scène montrait l’homme saisissant le fruit concurremment avec la femme[209]. Toutefois, il se peut que cette représentation fût due au passage de quelque missionnaire aux îles Sandwich[210].

Si maintenant nous cherchons notre mythe, pour établir son universalité, dans d’autres documents, primitifs quant au fond de leur contenu, nous le rencontrons d’abord, passablement embrouillé il faut le dire, dans les deux Eddas, dans la Vôluspâ et dans la Gylfaginning. Mais ce ne sont pas Asc et Embla, les premiers êtres humains, impuissants et abandonnés du sort, litt magandi, orlöglausa[211], qui sont présentés comme acteurs dans le drame fatal ; l’événement s’accomplit par des êtres de race divine, par des Ases. L’immortelle Idhunn demeurait avec Bragi, le premier des skaldes ou inspirés, à Asgard, dans le Midhgard, le milieu du monde, le paradis, en un état de parfaite innocence. Les dieux avaient confié à sa garde les pommes de l’immortalité ; mais le blasphémateur, le fauteur de tout mal, l’infâme Loki, la séduisit avec d’autres pommes qu’il avait découvertes, disait-il, dans un bois. Elle l’y suivit pour comparer ses pommes, epli sin, avec celles du rusé et beau trompeur, la honte des dieux et des hommes, ok vömm allra godha ok manna ; mal lui en prit, car soudain elle se sentit enlevée par un géant, et le bonheur ne fut plus à Asgard[212].

Dans le Rig-Véda, la première partie du récit biblique n’est plus guère reconnaissable dans le mythe Kriçânu et de Çyena[213]. Mais il y a une scène, relatée par le 164e hymne du premier mandala, qui rappelle vivement par ses jumeaux primordiaux mangeant, l’un le doux fruit du figuier, qui a nom pippala, tandis que l’autre se borne à regarder, la scène correspondante du document biblique[214]. Et, ce qui est plus intéressant encore, c’est la reprise, dirait-on, dans le 10e mandala du récit mosaïque, au moment où la femme étant gagnée par le serpent fait son possible pour s’assurer la complicité de l’homme. Dans la Genèse, cette coopération va de soi ; Ève n’a qu’à s’offrir à Adam pour que, autre Kriçânu, l’homme lui fasse selon son désir ; mais Yama, l’Adam védique, travaillé déjà par l’esprit brahmanique, qui a évidemment présidé à la rédaction définitive du mantra que nous allons citer, Yama n’est pas de facile composition pour Yamî, l’Ève védique. En vain celle-ci lui dit : Les dieux désirent de toi, qui es l’unique mortel, un descendant, uçanti ghâ te amritâsa etad ekasya cit tyajasam martyasya ; en vain l’assure-t-elle que Tvashta et Savitri les ont destinés dès le sein de leur mère aux fonctions d’époux et d’épouse, garbhe nu nau janitâ dampati kar devas Tvashtâ Savitâ. Qui a connu, lui répond-il, son premier jour ? Ko asya veda prathamasyâhnah ? C’est l’amour, lui réplique Yamî, qui me pousse vers Yama, Yasmasya mâ Yamyam kâma âgant. Peu galamment, il lui répond : Va-t-en vite, yâhi tuyam, et satisfais-toi avec un autre que moi, anyêna mad, etc. Elle insiste encore : Que Yamî, dit-elle, trouve un conjoint dans Yama, Yamir Yamasya bibhriyâd ajâmi. Puis, après un nouveau refus, elle continue intrépidement : Unis ton corps au mien, tanva me tanvam sam piprigdhi. Alors Yama, poussé à bout, dit le mot de sa résistance en s’écriant : Je n’unirai point mon corps au tien ; il est dit pécheur celui qui épouse sa sœur ; na vâ u ta tanvâ tanvam sam papricyâm ; pâpam âhur yah svasâram nigachât. Ton frère, ma toute belle, ne veut pas de toi, na te bkrâtâ subhage vashty etat[215].

Voilà le brahmane, le gardien des mœurs publiques, le législateur d’une société déjà parfaitement policée, qui parle[216]) ; l’homme de nature, l’Adam né du sol, ne s’avise pas de cet argument, et pourtant il avait dit à Ève, son enfant : Tu es un os de mes os, la chair de ma chair, chetzem mechetzamai ou baschar mibeschari[217]. Mais il en avait conclu que sa fille était sa femme. Et en effet, l’inceste n’a rien qui scandalise l’homme de nature et les peuples naïfs. Il était la règle dans les commencements de la société humaine[218]. Homère nous le montre établi déjà dans les temps mythiques, et Euripide le constate chez tous les barbares. « Toute la race barbare, dit-il, unit le père à la fille et le fils à la mère, la sœur à son frère, τοιοῦτον πᾶν τὸ βάρϐαρον γένος· πατήρ τε θυγατρὶ παῖς τε μητρὶ μίγνυται.[219]. Et il en est ainsi encore aujourd’hui[220]. » Aussi suffit-il du cri d’indignation de Yama pour nous permettre d’affirmer que le récit biblique nous est parvenu dans un état beaucoup plus ancien que la légende védique. Cela, quoique pour d’autres raisons, est sans doute le cas aussi quant au mythe d’Isis, « sœur et femme d’Osiris[221] », mais non peut-être en ce qui concerne la légende du Bundehesh, qui dit expressément que Yimâ était la sœur de Yima, son mari[222]. Les mœurs grecques, par une conséquence apparente du mariage de Saturne et de Jupiter avec leurs sœurs Rhéa et Junon, mais au fond par une situation qu’enseignaient aux époptes les mystères d’Éleusis, les mœurs grecques autorisaient aussi l’inceste ; il est certain que la pratique n’en répugnait pas au sentiment public. Cimon encore et Denys le jeune épousèrent chacun sa sœur[223], et un certain Callias, prêtre de Cérès au temps d’Alcibiade, avait deux femmes, dont l’une était sa mère et l’autre sa sœur[224]. Il est probable que les Ptolémées, chez lesquels les mariages de cette espèce étaient de règle, avaient apporté ces mœurs de leur pays d’origine en Égypte où, du reste, comme nous venons de l’indiquer, régnait le même usage. Mais de tous les peuples policés, ce sont les Perses qui se sont le plus longtemps complu dans cette coutume, et ils l’ont même exagérée. « Non seulement, dit l’historien du règne de Justinien, les Perses épousent leurs sœurs et leurs cousines, mais les pères s’unissent à leurs filles, et, chose plus étrange, les fils à leurs mères[225] ». Ces dernières alliances étaient consacrées par le code national. Jus est apud Persas misceri cum matribus, dit Minutius Félix[226], et une foule d’autres auteurs se prononcent dans le même sens[227]. Ah ! certes, la fornication, pour nommer la chose par son nom, est si répandue, et elle remonte à une époque si reculée, que l’humanité pourrait dire, comme certaine prêtresse de Priape : « Je veux que les dieux me punissent si je me souviens d’avoir été vierge, car je n’étais encore qu’un enfant que je m’abandonnais à ceux de mon âge[228] ». Caligula, quelque fou qu’il fût d’ailleurs, eut donc raison de se servir de Priape comme d’un terme outrageant[229], bien qu’au fond le mot veuille simplement dire « le semeur[230] ».

CHAPITRE VI

Nous venons de voir ce qu’il en reste de notre mythe dans le Véda. Les autres monuments poétiques anciens de l’Inde, le Mahâbhârata et le Râmâyana, en ont aussi conservé quelques traces. Pour le premier, il nous présente dans la lutte du divin oiseau Garouda contre les serpents, du corps desquels il arrache l’immortalité[231], une réminiscence transformée du mythe védique de Kriçânu et de Çyéna, que nous avons mentionné plus haut. Et à cette occasion, nous devons remarquer que tous ces récits de lutte d’êtres ailés contre des nâgas rampant sur le ventre, mais résidant dans un lieu construit par les dieux et possédant en eux la source de la vie sans cesse renaissante, la force génératrice de l’amrita, présentent, comme la fable de Prométhée, le côté élevé du mythe, tandis qu’en général c’est l’ἡδονή, la passion grossièrement sexuelle, qui prévaut. Cette bifurcation de la donnée primitive, nous pouvons la constater sur le champ par la forme que le mythe prend dans le poème de Vâlmîki.

Indra brûle pour Ahalyâ, la chaste et intègre épouse de Gautama, solitaire dans sa forêt. Il l’aborde sous le déguisement de son mari et lui dit qu’il désire l’embrasser. La belle n’est pas dupe du travestissement ; on voit même, par l’empressement avec lequel elle cède au tentateur, qu’elle se plaît dans la malice, que son cœur est déjà perverti, durmedhâ. Elle commet donc le crime ; mais, désirant sauver son honneur aux yeux du magnanime ascète, elle presse le dieu de s’esquiver avant qu’il ne soit vu. C’est ce que désire faire aussi le séducteur « comblé de bonheur » ; malheureusement, par la crainte même qu’il a de rencontrer le redoutable solitaire, il ne voit pas avec ses mille yeux, sahasrâksha, celui qu’il veut éviter. Il se heurte contre Gautama qui arrive à l’improviste. Le mari s’aperçoit aussitôt au trouble du déva de la mauvaise action que l’intrus a commise. Alors, maudissant le séducteur, il lui dit : « Puisque tu as fait ce qui ne doit pas être fait et que tu as commis le crime en empruntant ma forme, sois désormais impuissant, tasmât tvan viphalo bhava ». Et au même instant les testicules, vṛishanai, du déva tombèrent sur la terre ; toute la splendeur de son aspect s’évanouit, et la maladie le saisit. Le terrible ascète alors se tourne vers la femme, la maudit (çaptavân) aussi et lui dit : « Puisque tu as fait une mauvaise action, que la douleur te consume, pendant un nombre d’années incalculables, couchée sur la poussière, bhasmaçâyini. Tu ne seras délivrée et débarrassée de tes péchés que quand tu auras vu et servi celui qui arrivera ici ; Râma, le fils de Daçaratha ». Il dit et s’en va dans le lieu pur des Siddhas, au sommet de l’Himavat[232].

Je puis me tromper, mais il me semble qu’on ne peut méconnaître dans ce conte quelques réminiscences du sujet qui constitue l’apologue de la chute biblique. Le Vendidad, comme nous l’avons déjà vu, ne nous en a pas conservé autant, mais on dirait que plus tard la race irânienne s’est ressouvenue et qu’elle a voulu reconstituer notre mythe, autant que possible, avec la fable de Mashya et de Mashyâna, qu’on lit dans le livre des Sassanides, appelé le Bundehesh. Ce livre n’a certainement pas copié la Genèse mosaïque, puisque dans la succession des actes de la création il suit un ordre tout différent et plus naturel, on peut l’assurer. Néanmoins, R. Roth[233] a raison quand il dit qu’on ne saurait débrouiller les obscurs mélanges de sens et de non-sens qui règnent dans ce singulier recueil. Toutefois, pour ce qui est spécialement de notre mythe, on l’y trouve dans un état qui fait penser qu’il est emprunté à la même source que le récit de la Genèse. Il est cependant beaucoup moins intéressant que l’apologue mosaïque, bien qu’il y ait certain détail que nos oreilles ne veulent entendre qu’en latin. Mais le drame si épique avec ses trois acteurs en est absent. Après cela, on y voit les deux arbres et l’homme androgyne, ou du moins, ce qui revient au même, deux personnes de même taille et de même figure unies par le milieu de leur corps. Puis aussi on y apprend leur dédoublement en deux personnes indépendantes l’une de l’autre, la déchéance morale de ces deux êtres se produisant en principe par un acte de sensualité qui consiste en ce qu’ils boivent du lait. Il est à présumer que c’est là une figure par laquelle le mythe substitue à l’acte sexuel l’impression douce et agréable que les hommes en ressentirent. Il leur semblait avoir bu du lait. Cette interprétation est d’autant plus acceptable que le lait apparaît aussi comme symbole dans l’acte du mariage chez les Indiens. L’homme qui se marie doit donner du lait (dadhi) à la femme et lui demander : « Que bois-tu ? » À quoi elle répond trois fois (trik) ; « procréation d’homme[234] », kin pibasi ? punsavanam. Enfin le Bundehesh dit la honte que Maschya et Maschyâna éprouvent de leur action et le vêtement de feuilles dont ils se couvrent. « Le désir vint sur eux deux en même temps, et par le désir ils arrivèrent à la connaissance. »

Mais si le motif épique du démon séducteur est absent du mythe sassanide, il réapparaît dans la fable du Schah-Nameh. Malheureusement, Firdousi, à la manière des poètes musulmans, s’est donné ses coudées franches, et il a accommodé notre légende aux visées d’une fable politique.

La voici en substance cette fable :

Jemschid, « le glorieux Yima », est roi d’Irân, la terre privilégiée, le paradis. Pendant trois cents ans, il règne dans une félicité inaltérable, et la mort est inconnue aux créatures[235]. Mais voilà que l’orgueil envahit le cœur de ce roi trop heureux, et il dit : « Je ne reconnais dans le monde que moi… Il faut reconnaître en moi le créateur du monde ».

Cependant Iblis, c’est-à-dire Ahriman, avait tenté l’ambitieux Zohak, fils du roi d’Arabie, et lui avait dit : « Pourquoi y aurait-il un autre maître que toi ? À quoi bon un père quand il y a un fils comme toi ?… Prends son trône, c’est à toi que doit appartenir sa place… »

Zohak se mit à rêver. Il dit au tentateur : « Cela ne se peut pas, conseille-moi autre chose ». Iblis lui répondit, l’enveloppa dans ses filets, et l’amena à se décider à lui obéir. Le roi avait un jardin qui réjouissait son cœur. Le div l’y fit tomber dans un piége, et le roi périt. Alors Iblis prépare pour Zohak un mets de sa composition et le lui fait manger. Dès ce moment, celui-ci s’abandonne entièrement au démon et lui permet de le baiser, de l’embrasser. Et soudain un serpent noir sort de chaque épaule de Zohak, et le criminel devient « l’homme à la face de serpent ». Voilà qui explique le nom de Zohak qui est une contraction arabe de l’irânien Aji dahâka, « le serpent qui blesse ».

Après cela, le jour brillant et pur devint noir, et Irân déchut. Les sujets de Jemschid brisèrent les liens qui l’attachaient à un roi devenu insensé, et allèrent rendre hommage à Zohak, qui devint ainsi roi de l’Irân. Et l’homme à la face de serpent prit le trône de Jemschid ; « il prit le monde comme une bague pour le doigt[236]. »

Telle est, en peu de mots, la fable de Firdousi, et l’on voit que si elle diffère beaucoup de l’apologue de la Genèse, elle a cependant de commun avec lui assez de traits pour qu’on ne puisse y méconnaître un type identique. Seulement il y a un oubli essentiel : la femme y manque : mulier teterrima belli causa[237]. Mais serait-ce vraiment un oubli ? Je ne le pense pas. Dans l’esprit du poète musulman, il ne convenait pas d’attribuer un rôle politique important au sexe dont les sectateurs du Korân usent et abusent, mais qu’ils méprisent. Ils appellent, il est vrai, la femme l’honneur (harma) de la famille, mais ils disent aussi qu’elle en est la faiblesse (âwra), et c’est cette dernière idée qui prévaut et détermine en général leur conduite envers les femmes. Le chef des croyants lui-même ne trouve pas grâce chez eux en faveur de sa mère ; il est « le fils de l’esclave ».

Avec les Grecs qui, eux aussi, comme il appert du mythe de Pandore, n’avaient, en principe du moins, qu’une triste opinion de la femme, bien qu’ils la fassent créer par Minerve, qu’accompagne, on le sait, le serpent[238], et par les Grâces, et qu’ils lui fissent apporter l’espérance avec les maux, ce qui d’ailleurs est tout naturel[239] ; avec les Grecs, nous rentrons largement dans les données du mythe primitif. Le premier homme encore androgyne veut monter au ciel et s’égaler aux dieux ; Jupiter, identique à l’Elohim biblique, au Baalim phénicien[240], et androgyne comme eux, Zeus[241], pour le rendre plus modeste, l’affaiblit en le partageant en deux[242]. C’est une sorte de chute et la première application du divide ut imperes. Passons ce qui suit ; l’imagination de Platon s’y donne les coudées franches avec le mythe babylonien de Bérose[243]. Du reste, on sait que non seulement Platon, mais tous les Grecs, avaient le défaut de trop amplifier ce qui, à un titre ou à un autre, occupait leur imagination. « Ils avaient, nous dit Pausanias[244], des édifices spéciaux, les leschés, où ils s’assemblaient pour parler de leurs affaires, mais aussi pour faire des contes sur un sujet donné, pour fabriquer des mythes en quantité, καὶ ὁπόσα μυθώδη. On peut ainsi prendre sur le fait la formation des mythes qui, en général, est la résultante de la promiscuité de trois facteurs, à savoir : le sentiment religieux, la sensation que causent à l’homme les phénomènes physiques, et enfin l’esprit étymologique sans jugement critique. C’est ainsi que la mythologie présente, comme le dit Schelling, le monothéisme disloqué, ein zertrennter Monotheismus[245]. Dans le bavardage populaire, l’intelligence du sens des mots, principalement des noms propres, prend le change et s’élance sur la piste d’un autre sens qui, avec le premier, le sens naturel et positif, n’est souvent plus que dans un rapport des plus relatifs, pour ne pas dire fantaisiste. Il est parlé déjà de ces fabriques de mythes dans l’Odyssée, et Mélanthus y renvoie le grand jaseur Ulysse[246]. Puis les poètes brodent sur le tout et augmentent la confusion. Goethe, qui l’a dit[247], a fait, poète, comme les poètes ; la seconde partie de Faust le démontre.

Nous n’avons pas le courage de les en blâmer, mais il n’en reste pas moins vrai que le décousu des procédés mythiques a eu pour résultat l’éparpillement des faits et gestes qui se trouvaient réunis dans le cadre de la légende primitive, et c’est ce qui explique pourquoi notre apologue ne se retrouve plus qu’en lambeaux plus ou moins reconnaissables chez les divers peuples de notre race. Parfois même ces lambeaux ne sont plus reconnaissables du tout, et pour ma part, je ne suis pas bien sûr si, dans un fragment déjà cité plus haut, Sappho a réellement varié le thème primitif quand elle représente la jeune fille sous l’image d’une pomme appétissante qui, tant qu’elle est sur l’arbre, est désirée par tout le monde, mais qui, dès qu’elle en est tombée, et que, par suite, elle s’est endommagée, n’est plus enviée par personne : οἱον τὸ γλυκύμαλον ἐρεύθεται κτλ.[248].

Ce qu’on ne saurait nier, c’est que tous les éléments du mythe biblique de la femme et du serpent ne se retrouvent dans les mystères des diverses religions populaires. En Phrygie, on portait processionnellement dans les fêtes de Cybèle, la mère première, l’image de l’agent de fécondation ; et dans les mystères phéniciens d’origine de Samothrace, relativement à Sabazius, qui est le Jacchus d’Éleusis[249], on passait un serpent d’or dans le sein des initiés : in quibus aureus coluber in sinum dimittitur consecratis[250]. Ce serpent d’or rappelle le feu du ciel qui, suivant une autre variante de la légende, a donné naissance à Bacchus[251] ; il rappelle aussi l’Agni-Çyavana du Véda, l’éclair qui tombe pour mettre au monde Aurva, nourri dans la cuisse, nous l’avons déjà dit, comme Dionysos, μηροτραφής[252]. Mais cet éclair n’est autre que le phallus ailé, forme sous laquelle, suivant Hésychius, il se spiritualise[253] et devient, dit Beger, animam in semine et conceptu[254]. Une fois dans cette voie, l’imagination s’est donnée pleine carrière, et, subtilisant de plus en plus le symbole, le phallus est devenu la parole fécondante qui descend dans le sein de la vierge[255], et dans un conte allemand il suffit qu’un jeune homme dise : « Ô que tu eusses un enfant dans le ventre ! » pour que cette imprécation lancée à la fille du roi la rende enceinte et lui fasse enfanter un garçon avec une pomme d’or dans la main[256]. Enfin, il suffit d’une effluve, d’un invisible rien ; la jeune fille se trouve enceinte, sans qu’elle s’en doute, en passant dans un tel endroit[257].

On sait que l’art des anciens n’a pas été avare à représenter le phallus ailé ; on peut même dire, que leur imagination s’y est donné carrière plus que pour nul autre sujet[258]. Ce qui n’est pas rare non plus, c’est de voir remplacer le phallus par un oiseau, et, spécialement, par l’oiseau que Buffon, d’accord avec d’autres naturalistes, considère comme doué de la puissance de satisfaire à l’accouplement à l’indéfini, à savoir le pigeon ou la colombe[259] Un vieil adage juridique dit : creditur virgini parturienti ; mais la science nous dispense d’exiger pour le cas que nous avons en vue un aveu personnel. La symbolique du mythe est transparente. Et pour compléter ces indications et celles déjà données dans le chap. III, rappelons que le phallus trouve un équivalent aussi dans l’amande. Il suffit à la jeune fille de la mettre dans son sein pour perdre sa virginité et devenir grosse : ἐσθεμένης δὲ ἐς τὸν κόλπον… αὐτὴ δὲ ἐκύει[260].

CHAPITRE VII.

J’espère que voilà des mystères[261]. Il en faut ; le peuple d’en haut et d’en bas, éternellement enfant ou gobe-mouche, ne peut s’en passer, et ses maîtres le servent à souhait. Mais, souvent aussi, les habiles se prennent dans leurs propres filets, et ils finissent par croire eux-mêmes ce que d’abord, pour atteindre un but ambitieux, ils voulaient seulement faire accroire aux autres. On a donc de tout temps célébré des mystères phalliques, et on continuera à en célébrer ; c’est devenu tradition sacrée et immaculée d’intention. Ceux qu’on fêtait non loin de Thèbes montraient Déméter communiquant la connaissance de quelque chose au chercheur Prométhée : ἐς γνῶσιν τι[262]. Cette connaissance avait évidemment pour but de rendre l’homme égal aux dieux ou Elohim : ἔσεσθε ὡς θεοί[263]. Mais c’était un mystère que les initiés n’avaient pas la permission de divulguer. Aussi, depuis Hérodote jusqu’à Pausanias, les écrivains grecs qui touchent cette corde ne manquent-ils pas de nous dire qu’ils ne sont pas libres de révéler une tradition sacrée, ἱερὸς λόγος. Je sais bien qu’on m’objectera Lucien[264]. Mais l’humeur bien connue de ce sceptique peut faire supposer qu’il a voulu mystifier ses lecteurs. Il n’est aucunement probable, en effet, que ce qui se passait aux mystères d’Eleusis représentât les choses terribles qu’on voyait dans le royaume de Rhadamanthe, le Hadès[265]. Mais les voiles de la satyre et du respect, la franchise du document mosaïque les a déchirés. Le secret des mystères d’Eleusis est le : « Vous serez comme des dieux », c’est-à-dire vous aurez, en vertu de la reproduction sexuelle, une existence sans fin. Ainsi nous sommes encore sur le terrain de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, γινώσκοντες καλὸν καὶ πονηρὸν, et les mystères d’Éleusis ont un caractère psychologique plutôt que théologique.

Aristote le dit : « les initiés à ces mystères devaient être disposés à éprouver un certain sentiment : ἀλλὰ παθεῖν καὶ διατεθῆναι[266]. Ainsi, psychologiquement préparés, on leur montrait des faits significatifs, des faits qui leur révélaient un état propre à les rapprocher de la divinité et à les exalter. On rêvait les yeux ouverts, mais ces rêves étaient d’un si haut et puissant attrait qu’on s’explique l’attachement et la grande estime que les hommes les plus considérables de l’antiquité ne cessèrent de porter aux représentations éleusiniennes.

Quant à connaître ces mystères dans tous leurs détails, nous ne pouvons. Qu’importe d’ailleurs ? D’après ce que nous en disent, à mots plus ou moins couverts, l’hymne homéride à Cérés[267], Aristote, Apollodore, Diodore, Hygin, Plutarque, Lucien, Pausanias, les Philosophumena, Clément d’Alexandrie, Tertullien, Porphyre, Arnobe, Proclus, puis les monuments figurés, nous en savons assez pour pouvoir dire que le fond sur lequel ils pivotaient était la doctrine de la continuité personnelle de l’homme, notre immortalité physique. La connaissance de cette durée se perpétuant à l’indéfini, la connaissance que l’homme est immortel dans l’ordre cosmique et cosmogonique empiétait, dans la pensée des premiers âges, sur la science divine, et son acquisition était considérée comme un rapt sur le domaine du créateur. Aussi la foi naïve et craintive, mais fort grossière, de la haute antiquité, reculant devant l’impiété des entreprises prométhéiques, s’était-elle déchargée d’une initiation si périlleuse sur un être dont le caractère et les allures paraissaient naturellement convenir à l’acte qu’il fallait, à ce qu’on pensait, pour consommer un attentat subreptice et perfide. Ou Prométhée ou serpent. L’audace des Grecs se complut comme plus généreuse dans l’emploi de la force ouverte ; généralement, on préféra l’action cauteleuse. Le serpent domine donc dans notre mythe ; mais le serpent était le phallus[268]. Dans la célébration des mystères d’Éleusis, c’était le phallus qu’on exhibait aux yeux de ceux qui étaient jugés dignes de tout voir sans voiles. Cette présence du phallus est positivement affirmée par Tertullien[269], et la yonî (αἰδοῖα ou κτεὶς) aussi y jouait un rôle. Ils y apparaissaient en relation avec Déméter, la Première-Née (Protogenia), et au suprême moment, moment qui dissipait les doutes de la chercheuse, on entendait une voix qui criait : ὕε verse ! κύε enfante[270] ! Ainsi, dans un mystère pascal dont on nous a récemment révélé l’existence, Adam, réconcilié, crie à la femme : « Ève, Ève, épouse bienheureuse, approche[271] ! » À Éleusis, l’ithyphalle, au moment du ἱερὰ δείκνεισθαι, dominait la scène et ne rentrait dans le sous-sol, la ciste scénique, que pour faire place à un épi, le plus noble emblème de l’énergie créatrice.

C’était le démiurge lui-même, le père des dieux et des hommes, dont le serpent ou phallus était censé jouer le rôle le plus important dans les grands mystères. Ceux-ci étaient précédés d’autres, nommés les petits mystères, qu’on célébrait à Agrae, sur l’Ilisse, rivière où se trouvait aussi, au pied est de l’Acropole, l’Éleusinion, temple dédié à Déméter et Cora. C’est là où, à Athènes, commençait « la voie sacrée » qui aboutissait à Éleusis. Ces petits mystères, bien que confusément, complètent le mythe. Ils nous apprennent que le dieu qui traverse le sein, ὁ διὰ κόλπου θεὸς, Zeus, sous sa forme chthonique, Ζεὺς χθόνιος, c’est-à-dire Pluton, qui du serpent avait aussi le venin[272], séduisit Coré ou bien Déo, sa mère, deux personnages sans cesse confondus en un seul[273], et que le rejeton de cette union subreptice, Jacchos, identique à Sabazius, accompagné du serpent, identique aussi à Zagreus, l’enfant du serpent[274], périt pour se reproduire sous la forme d’un épi, le symbole d’une vie nouvelle tout comme l’enfant de l’autel-foyer, παῖς ἀφ’ ἑστίας, la consolation suprême, la τελετή, le fin mot de tout le drame. Aux yeux des Grecs, ces mystères étaient purs, ἀγνῶν ὀργίων[275], comme l’était l’intention dans laquelle, en Orient ainsi qu’en Occident (nous en avons déjà cité des exemples)[276], on érigeait le lingam ou phallus sur la tombe des êtres qu’on avait aimés. C’était dire qu’on le considérait comme le semeur[277] par qui tout revit, et que rien ne renaît s’il ne meurt auparavant[278]. Und neues Leben blüht aus den Ruinen. Seule, la sombre et sanguinaire religion des Phéniciens, à laquelle des Grecs ont emprunté presque toute la terminologie du tartare, chantait des hymnes à la mort[279] et lui érigeait des autels.

Chez les Égyptiens où, peut-être, ainsi que l’ont pensé Zoëga, Münter, Creuzer, Jacobs et d’autres, il faut chercher l’origine des énigmes et des mystères[280], particulièrement des mystères de Samothrace, source avérée de ceux d’Éleusis ; chez les Égyptiens, on donnait parfois même aux morts embaumés la forme ithyphallique. « C’était, dit M. de Rougé[281], la manière la plus énergique d’exprimer cette croyance qu’au sein même de la mort repose pour l’homme la promesse d’une nouvelle génération ».

Maintenant, nous pénétrons aussi le sens des paroles sacramentelles que prononçaient les mystes pour être admis à l’époptie, à cette initiation suprême que le seul Démétrius Poliorcète emporta d’emblée, et qui étaient[282] : « J’ai jeûné, j’ai bu le cycéon[283] ; je l’ai pris dans la ciste, et après avoir labouré, je l’ai déposé dans le calathus[284], puis du calathus dans la ciste ». Directement, tous ces mots sont fort anodins et se rapportent aux aventures mythologiques de Déméter ; mais leur sens est double, et en nous reportant à la situation que nous peint l’apologue biblique des IIe et IIIe chapitres de la Genèse, nous y voyons exprimé l’état premier de la femme, la jouissance sensuelle qu’elle se procure, puis les soins qu’elle a pour l’objet de sa passion et de son enivrement. Dans l’histoire, il n’y a qu’Olympias, la mère d’Alexandre, qui soit autant infatuée du serpent[285], et qui, par suite de son exaltation sensuelle, fasse croire à son fils qu’il est dieu eritis sicut deus[286]. Il le crut avec tant de conviction, qu’il décréta déesse sa mère[287] et qu’il immola à son infatuation ses amis les plus intimes, Clitus et Callisthène.


CHAPITRE VIII


Exilé d’Athènes, Démosthène s’écria : « Ô Minerve, comment peux-tu l’intéresser à une bête aussi méchante que le serpent[288] ! » Aujourd’hui, mieux instruits que l’illustre orateur, nous comprenons le muet langage du symbole. Mais de tout temps le charme du serpent a été si puissant sur les imaginations populaires qu’on en a usé et abusé, grâce à la connivence des poètes et des artistes, les corrupteurs par excellence. Ainsi encore, dans les chants du Rhodope, le serpent apparaît pour se montrer funeste aux vierges ; il dévore toutes les vierges qu’il peut atteindre, et il les atteint toutes[289]. N’est-il pas le porteur du feu qui brûle et consume, le génie du principe rénovateur, le récipient de cette sève de vie et de continuité que les Indiens appelaient amrita, immortalité[290] ?

Nous naissons ainsi et renaissons par le serpent ; nous sommes tous, pour le dire avec saint Ephrem[291], sa progéniture, car il enlace le monde dans ses plis et replis ; les mythographes l’affirment[292] et les artistes aussi. Un tableau de Giordano, pour n’en citer qu’un seul exemple, représente l’amour couché sur le globe autour duquel rampe un serpent[293]. Les romanciers français ont nommément attribué une telle origine à l’illustre et puissante famille des Lusignans, en Poitou. C’est par la fée Mélusine, sous la forme de laquelle se produisit le serpent, que se vérifia l’oracle post eventum de Jehan le Maire :

De Lusignan la très noble serpente,
Mere iadis de princes et de roys[294].

Le premier rejeton de la lignée fut « le preux vaillant Urian », nom qui donne à réfléchir[295]. Et « si ces discours ne satisfont à l’incrédulité de vos seigneuries, présentement visités Lusignan, etc. Là trouverez tesmoins vieux de renom et de la bonne forge, lesquels vous jugeront (sic) sur le bras saint Rigomé, que Mellusine, leur première fondatrice avoit corps féminin jusques aux boursavits, et que le reste en bas estoit andouille serpentine, ou bien serpent andouillique[296]. » D’ailleurs aujourd’hui encore, il y a dans la petite ville de Lusignan, « moult esbahie » d’avoir eu pour dame « la figure d’une serpente », une rue qui s’appelle, en souvenir de la femme du comte Raimondin, « rue Serpente ».

Cependant, laissons là le mythe facile et inépuisable du serpent, et essayons d’expliquer ce qu’il en est de l’arbre de vie, chetz ha chaîim, qui, comme l’arbre de la connaissance du bien et du mal, est placé au milieu du jardin. Dans le conte du Bundehesh aussi il est parlé de deux arbres qui s’avoisinent : le harviçptokhma et le gaokerena[297]. Le premier, qui contient toute semence, pourrait passer pour un symbole phallique, tandis que l’autre, qui est pour éloigner la douloureuse vieillesse et pour servir à l’obtention de l’immortalité, serait l’arbre de vie de l’enclos biblique. Le Véda le nomme divo vṛikshaḥ, l’arbre céleste, et la Kâthaka-upanishat la désigne par amṛita, immortalité[298].

L’étude comparative nous montre ainsi que les interprètes qui ont pensé que les deux arbres du document mosaïque sont identiques et qui lisent le texte : lignum vitæ seu lignum scientiæ boni et mali[299], se trompent. Il y a deux arbres différents. Cela est d’ailleurs évident par ce que dit Elohim en éloignant Adam et Ève, après qu’ils eurent consommé leur action, de l’arbre de vie, afin, dit le texte, qu’ils n’en mangent pas et vivent éternellement[300].

Que l’arbre de vie que le buddhisme connaît sous le nom de bodhidruma, et qui dans le Véda encore est l’arbre au beau feuillage, vṛiksha supalâçe[301], sous lequel Yâma nous a placés ; que l’arbre de vie est un symbole, la chose n’est guère douteuse ; mais pour savoir ce qu’il représente au sens propre et naturel, on est réduit à émettre des conjectures. Cependant, puisqu’il faut se prononcer, je dirai que la métaphore biblique, avec laquelle s’accorde celle des Indiens et des Perses, est, ce me semble, équivalente à la figure éleusinienne de l’épi mûr dont l’apparition terminait le drame mystique. Le rapport qu’il y a entre ces deux symboles également représentatifs de la vie n’offre aucune obscurité, mais cela ne nous révèle pas encore le fait physique qu’ils voilent à nos regards.

Après y avoir longuement réfléchi, je trouve possible de soutenir que l’arbre de vie est la figure du nombril[302]. L’ombilic apparaît aussi dans les mystères d’Éleusis ; il signifiait la virilité : καὶ ὀμφαλός ὅπερ ἐστὶν ἀνδρεία[303]. Mais un peu plus loin, le texte le définit au naturel en l’appelant le joint ou l’harmonie de la respiration, de l’esprit vital : ἁρμονία πνεύματος. Nous voici dans la bonne voie interprétative, si je ne me trompe. En effet, l’ombilic est l’organe au moyen duquel l’homme, avant de naître au jour, respire et se nourrit ; il fournit seul, dit la physiologie, à la respiration et à la nutrition de l’enfant pendant toute la période embryonnaire[304], et sa tige occupe le point central du corps. Eh bien, l’arbre de vie aussi est placé au milieu du jardin qui est l’emblème du corps paradisiaque de l’homme[305], et comme le cordon ombilical est coupé après la naissance, l’arbre de vie est ôté à l’être humain sitôt qu’il est né à l’existence consciente ou à la connaissance réfléchie. Notre apologue nous dit ainsi l’évolution première de l’intelligence humaine, évolution dont l’homme a pu conserver le vague et flottant souvenir, et à laquelle la critique peut conclure par analogie physiologique relative au fœtus. Encore aujourd’hui, certains peuples attachent, on dirait par une sorte de réminiscence primordiale, une grande valeur à la possession d’un cordon ombilical, dans la croyance qu’il procure une longue vie[306].

Ainsi, l’arbre de vie figure la communication de l’homme primordial avec la nature extérieure, à l’instar de l’ombilic qui effectue la communication entre l’enfant et la mère jusqu’à la naissance de l’enfant. À ce moment, la tige ombilicale, l’arbre de la vie première, disparaît ; l’homme respire par d’autres voies, par des voies personnelles, pour m’exprimer ainsi, et il ne reste de la première, dit un physiologiste, qu’une marque comme d’une bourse dont on aurait tiré les cordons. Mais cette marque demeure ineffaçable, et, continuant le premier mythe, elle nous fait comprendre comment et pourquoi tous les peuples primitifs voient chez eux le centre de la terre mère, de leur terre natale à chacun. C’est chez eux que les Indiens placent, au milieu de la demeure par excellence, la demeure de Yama, le séjour des heureux : madhye divaḥ svadhayâ mûdayante[307]. C’est dans l’Irân, le milieu de la terre, qu’est, chez les Perses, le séjour de Yima et des siens[308], L’ombilic de la Grèce, Delphes, était l’endroit où se concentrait la vie morale et religieuse de la nation. Au rapport de Strabon, Delphes passait pour être placée in medio totius terrarum orbis[309] ; elle en est pour ainsi dire la matrice (δελφύς, garbha), et une médaille, décrite par Bröndsted[310], vient appuyer un sentiment déjà fortement exprimé par Pindare[311]. Aux yeux des Tibétains, c’est dans leur pays qu’est situé le nombril du monde, gsaji-lte, et sans doute que les Égyptiens pensaient qu’il en était de même du leur, car Amon, leur dieu principal pendant une longue période de leur histoire, le grand dieu vivant et ithyphallique, le générateur par excellence, avait la forme d’un nombril fait par une émeraude[312].

Les Chinois croient habiter le tchung-kué, l’empire du milieu. Les Scandinaves se disaient originaires d’Asgard, dans le Midhgardhr, la demeure du milieu[313], et les Romains se flattaient que l’Italie était au beau milieu, entre le levant et le couchant, inter ortus occasusque medium[314]. Enfin la légende chrétienne veut que le nombril du monde soit au centre du Katholikon de l’église mère par excellence, l’église du Saint-Sépulcre à Jérusalem[315].

Pourra-t-on nier que dans tout cela il n’y ait quelque réminiscence d’un clos organique primordial, comme le présente symboliquement, si je ne me trompe, le jardin d’Éden ? Ce sentiment, bien que dégénéré, se trouve aussi au fond de la prétention des Américains qui croient que leur pays est le centre du monde, et qui, en conséquence, appellent Boston, leur cité par excellence, the Hub, le moyeu (de la roue de l’univers)[316]. Une idée pareille a été émise aussi par la vanité parisienne. « Nous sentons, non sans un certain orgueil, dit un journal, que Paris est le nombril de la terre[317]. »


CHAPITRE IX


J’arrive maintenant à la partie principale de ma tâche. Elle consiste à dégager du mythe de la femme et du serpent le fait qui nous dira pourquoi une évolution physique et morale prévue dans la nature humaine, puisqu’elle s’est accomplie, a eu le pouvoir d’abaisser l’homme à ses propres yeux et de le couvrir de honte.

Schelling qui, autant que je sache, est le premier qui a porté le scalpel d’une sérieuse critique philosophique dans la légende génésiaque[318], Schelling y a bien vu un mythe psychologique ; seulement les conclusions de cet éminent penseur sont trop restreintes, car elles aboutissent à un enseignement purement moral. Mais il y a ici plus qu’une simple didactique, il y a une révélation historique de première importance, et on s’attend à ce que Schelling en dise le mot quand il donne pour motif des actions des premiers humains l’amour de soi, amor sui, cet amour exagéré et partant vicieux, qui a nom égotisme. Mais le mot ne lui vient pas ; voyons si nous serons plus heureux, et précisons, dans ce but, l’état de la question.

L’être humain, en si parfaite unisson avec la nature cosmique, que pour ainsi dire il se confondait avec elle, était d’abord androgyne. Puis un moment arriva où, par le jeu des intentions cosmologiques, il se vit dédoublé. En cet état, il ne se nourrit ni ne respira plus, l’une de ses moitiés par l’autre, comme l’enfant qui est encore renfermé dans le sein de sa mère, mais ses deux corps eurent chacun une existence indépendante.

Entièrement heureux, parce qu’il était tout instinctif, tout inconscient, l’homme primordial trouva, semblable à l’enfant, les jouissances de sa vie dans le libre et insouciant emploi de ses quatre membres, et cette existence paradisiaque dura jusqu’à ce que, par suite de son dédoublement, s’éveillèrent en lui, sous la forme qu’elles ont conservée depuis, les passions sexuelles. C’est que, avec ces passions, naquit aussi, violent et presque irrésistible, le sentiment du moi, l’orgueil de la force individuelle, et soudain l’homme se sentit capable de faire par lui-même œuvre de démiurge, la force de produire, comme Elohim, un être à son image et à sa ressemblance. Moment psychologique fatal ! Cet état lui causa un trouble si profond que l’heureux équilibre de son être en fut à jamais rompu. Il put, il est vrai, satisfaire ses désirs, mais cette satisfaction le mit incontinent dans une situation dont l’avertit la voix railleuse de Jahwéh, c’est-à-dire la voix souveraine de sa conscience, le remords. Auparavant, sa conscience ne lui avait encore rien dit, parce qu’elle n’avait rien à lui dire ; mais dès qu’il eut, poussé par la chair, empiété volontairement, avec une intention téméraire, sur le domaine du démiurge, elle lui parla avec raillerie (hônida), le rendit honteux et le fit rougir de lui-même. Ainsi disparut la chasteté, la pureté native de l’âme, et à sa place la honte mit son équivoque, la pudeur.

Les hommes virent qu’ils étaient nus, et ils en eurent honte. Pourquoi l’homme eut-il honte de se voir nu ? Que peut-il y avoir de honteux dans la nudité ? Rien ; aussi l’homme n’avait-il d’abord éprouvé aucun tourment à ce sujet. Mais l’acte sexuel consommé, son moral se sentit frappé ; il vit du mal là où il n’en avait pas vu et où, la chose considérée en soi, il ne saurait y en avoir. Mais voilà que sa nudité lui mettait sous les yeux, à tout instant, la folie d’une entreprise manquée, la folie d’avoir voulu égaler, par la force de sa chair, la puissance créatrice du démiurge. Avoir voulu faire concurrence aux fonctions souveraines d’Elohim ! Le malheureux eut peur, et la mort dans l’âme, il courut se cacher. Il connut qu’il est une puissance jalouse qui ne souffre pas que la créature sorte du rang qui lui est assigné dans l’ordre des choses ; il connut qu’il est un Dieu. Tant il est vrai le mot d’un ancien : Primus in orbe deos fecit timor[319].

Oui, c’est en définitive la peur, le sentiment qui domine la force de l’homme le plus fort, fût-il Ajax ou Pompée, c’est la peur qui révéla, à ne pas s’y tromper, à nos premiers ancêtres que la nature a un maître, et cette peur fut, comme de juste, la suite immédiate de leur présomption de s’être posés en Elohim et de la honte qu’ils eurent d’avoir échoué dans leur entreprise. L’homme se couvrit donc ; il sentit qu’il ne pouvait plus rester ἄμιτρος sans ceinture, comme l’être chaste et innocent ; il eût voulu se cacher à lui-même. « Tantost et incontinent qu’ils eurent péchié », dit en son langage naïf un ancien document français, « ilz se hontoièrent l’un de l’autre, et par espécial orent honte et confusion de cellui membre dont génération de lignée est créée et multipliée. — Pourquoy plus de cellui membre que des autres ? — Pour ce que ils cogneussent bien que ceulx qui vendroient d’eulx seraient coqceuz par celle manière-là[320] ». Soit ; mais ce n’est pas la raison efficiente de la honte et de sa compagne la pudeur. La raison efficiente du secret honteux où sont tenus chez tous les peuples, sauf chez les races indépendantes en leur origine de la nôtre, les organes sexuels et les fonctions qui leur sont dévolues, est dans le motif de l’acte tout naturel en soi de la première cohabitation sexuelle. Mais quel est ce motif ? Qu’on médite ces paroles d’Ezéchiel : « Tu habitais, dit-il, dans le jardin des délices du Seigneur… parfait dans tes voies depuis le jour de ta naissance jusqu’au jour où l’orgueil a été trouvé en toi. Quand tu voulais multiplier les trésors, tes entrailles ont été remplies d’iniquité, et tu as péché… Ton cœur s’est enflé de ta beauté, et tu as perdu ta sagesse et ta gloire, et tu as été renversé sur la terre, et je t’ai donné en spectacle… Tu as souillé ta sainteté[321] », ta pureté, ta chasteté.

Ces paroles nous auraient mis sur la voie, si nous ne l’avions trouvée déjà dans le mot de la Genèse : « Vous serez comme des dieux ». Il est ainsi évident que l’acte sexuel des premiers hommes avait été perverti en principe et vicié dans son but par l’intention orgueilleuse de faire, comme on dit, pièce à Elohim et de s’admirer, de s’adorer, autre créateur, dans sa propre créature. Tant que l’homme avait été mâle et femelle à la fois, c’est-à-dire hermaphrodite, son penchant à s’adorer, manquant d’objet extérieur, n’avait pas trouvé à se satisfaire. Mais dès qu’il fut deux, et par suite trois, l’idolâtrie naquit à la réalité et eut ses coudées franches. Qu’il s’agisse d’idolâtrie en tout ceci, c’est ce dont on ne peut douter vu la définition du mot, qui signifie fornication par excellence[322]. En effet, l’idolâtrie, pour qui la pénètre bien, ne fait que répéter l’acte d’orgueil, tant d’esprit que de matière, dont nous entretient notre légende. Elle seule du reste fait pleinement comprendre pourquoi l’homme devint honteux. Ève, suivant une tradition musulmane, eut honte d’avoir fait tant d’enfants, et elle se cacha devant Dieu[323]. Elle eut honte d’une maternité qui, au lieu de réaliser ses pensées présomptueuses et de placer sa personne dans la gloire démiurgique, ne lui avait donné, par sa fécondité, qu’autant de témoins de sa faiblesse et de son abaissement. C’est le comble de la misère, remarque Goethe, quand la honte s’unit au dommage. L’acte qui l’avait rendue mère devait donc laisser à Ève un sentiment ineffaçable d’humiliation et d’avilissement ; la sensation qu’elle en éprouvait devait être comme si on lui avait craché à la figure ou in sinum, et ainsi elle n’eut garde, plus encore que son complice, de montrer désormais au grand jour l’organe qui avait été l’instrument de sa déception. La légende ne dit pas si elle se voilait aussi le visage avec ses cheveux ou autrement, mais saint Paul supplée à ce silence en affirmant que la chevelure a été donnée à la femme comme un voile qui la doit couvrir[324]. Il se peut, en effet, que l’habitude des femmes de porter un voile et, comme en Orient, d’y ensevelir leur figure, usage que les jeunes épousées conservent encore dans notre libre Occident, tient par une réminiscence obscure à la honte qui couvrit la mère de notre race. S’il n’y avait pas une raison de ce genre, pourquoi encore la vierge, qui est sur le point de devenir épouse, est-elle saisie d’une indicible tristesse ? pourquoi rougit-elle et son visage se trouve-t-il inondé de larmes ? Ce n’est certainement pas par pure sentimentalité, car le fait n’est pas signalé seulement chez les Allemands[325], mais aussi chez les Indiens, tant anciens[326] que modernes, principalement chez les Kaller, cette caste inférieure qui n’a que faire de la sentimentalité[327]. Chez les Grecs aussi, les vierges, au moment de franchir le pas fatal, étaient tristes et avaient l’air abattu ; les monuments figurés en font foi[328]. Cependant le peuple grec, cela est certain, n’était pas sentimental ; sa nature aussi limpide que robuste s’y refusait. Si donc la femme, au moment d’échanger le trésor de sa virginité contre une déception, pleure et se voile la figure[329], il y a une raison historique qu’il faut reconnaître sans aller pour cela avec l’Apôtre flétrir le sentiment qu’elle éprouve en disant que c’est honteux, turpe est, si elle ne se voile point la tête[330].

Cependant toute cette honte et la torture de la pudeur qui en naquit, si elles furent toute une évolution dans la vie morale de l’homme, manquèrent d’effet réparateur, et l’humanité était désormais condamnée à se dire comme Marguerite :

Ma paix est perdue ; j’ai le cœur oppressé.
Jamais je ne retrouverai le repos,
JamaJamais, jamais.

En effet, au lieu d’affaiblir en son âme l’idée que l’orgueil physique, le soulèvement de la chair y avait fait naître, l’idée de s’adorer lui-même dans son œuvre, l’enfant, et d’adorer aussi, cela va de soi, la femme, l’instrument indispensable pour effectuer cette idée, révolution psychologique qui se fit au moment fatal ne put qu’exagérer le sentiment du moi, et l’homme mit à s’adorer lui-même une obstination maladive qui a abouti à pervertir toutes les religions. Ce n’est pas Dieu, l’Être pur et simple, qu’on y adore, c’est une divinité créée à notre image et ressemblance, c’est l’homme avec toutes ses passions. Et, quant à la femme, en dépit de tout le mal qu’on ne se lasse de dire d’elle, depuis Manou[331], elle conserve chez tous les peuples de notre race le prestige et les allures d’un être supérieur ; elle est Hélène ou Marie ; elle est déesse chez les anciens comme chez les modernes[332]. Tacite remarque des femmes germaines qu’elles avaient, aux yeux de leurs compatriotes, quelque chose de saint et de prophétique. Velléda était honorée comme une divinité : numinis loco habitam[333], et les Grecs, les Étrusques et les Romains n’étaient pas loin d’agir à cet égard comme les Celtes et les Allemands. N’est-ce pas chez les Grecs que la majesté du sexe dispensait la femme de monter sur la scène ? La conscience qu’elle avait de son ascendant sur l’homme était si entière, que la courtisane Aspasie[334] pouvait dire aux officiers de Cyrus, qui l’appelaient auprès de ce roi : « Le premier de vous qui mettra la main sur moi s’en repentira[335] ». Et personne n’osa l’approcher. Chez les Étrusques, la famille s’honorait volontiers d’adopter le nom de son aïeule, et les monuments funéraires témoignent que la femme était l’égale de l’homme[336]. Chez les Romains, le respect de la femme était, s’il est possible, plus grand encore. Non seulement on l’appelait déesse, dea, mais on lui rendait volontiers un culte après sa mort : ut numen colit. Un grand nombre de monuments funéraires, où on la voit même représentée sous la forme d’une divinité, témoigne de ces dispositions[337]. Il en était ainsi dans l’Inde, tant chez les sectateurs de Brahma que chez ceux du Buddha, et cela malgré toutes les diatribes que Manou et Çâkya sont d’ailleurs censés lancer contre elle. Le bouddhisme notamment reconnaît que pour l’obtention de la perfection morale, la femme ne le cède en rien à l’homme, et si elle ne peut devenir un buddha en conservant son sexe, elle peut du moins, tout comme le buddha, mériter le nirvâna après s’être transformée en homme[338]. Quant aux brahmanistes, ils n’hésitent pas à ériger des sanctuaires à des femmes. Draupadi, par exemple, la femme des Pandavas, en a un à Sandirapadi, près Trankebar[339].

En effet, « partout où les femmes sont honorées, pûjyante, les divinités sont satisfaites ; mais lorsqu’on ne les honore pas, tous les actes pieux sont stériles, aphalâh[340] ».

Il est donc faux de dire que c’est le christianisme qui a enseigné au monde le respect de la femme. Le vrai est, au contraire, que saint Paul, en disant que « l’homme n’a point été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme[341] », a ouvert la porte à tous les abus dont la société chrétienne n’a jamais cessé de se rendre coupable envers la femme[342]. Si la chose n’est pas allée au pire, suivant le principe posé par l’apôtre, il faut en rendre grâce à l’excellente nature de notre race. C’est encore à cette disposition naturellement pleine de respect pour la femme qu’on doit les manifestations qui se font jour en faveur de l’égalité légale des deux sexes, égalité que le génie de la langue germanique a d’ailleurs, on peut le dire, consacrée à l’avance en créant des termes tels que woman et syman[343], comme qui dirait maître de compte à demi avec l’homme. On raconte que des armées, qui déjà pliaient et lâchaient pied, ont été ralliées par les femmes, a feminis restitutæ[344].


CHAPITRE X


Maintenant, pour reprendre le fil interrompu de ce qui fait ici le sujet de notre argumentation, citons comme un exemple du penchant irrésistible de chercher dans les parties sexuelles un motif d’exaltation personnelle les agissements de ces singuliers sectaires qu’on appelle Skoptsy. On sait, par un célèbre procès qu’on leur a intenté en 1871, que « les blanches colombes, belié golouby », comme ils se nomment eux-mêmes, parviennent, selon ce qu’ils croient, à l’état de purs esprits, à l’état même de Dieu, en s’émasculant, en retranchant de leur corps l’organe qui a motivé l’oracle menteur de l’eritis sicut Dii. Mais quoique menteur au sens direct, il ne s’en vérifie pas moins dans les imaginations de l’orgueil qu’il a fomentées, n’importe le rôle, soit positif, soit négatif, qu’y occupent les choses sexuelles.

C’est d’ailleurs sous les formes les plus diverses que se produisent ces rêves et que l’homme tend à les réaliser. Ainsi en est-il des arts plastiques. Les législateurs religieux se sont donc accordés en tout temps à défendre la reproduction artistique de la figure humaine. Ce pastiche de la création de l’homme se prête en effet on ne saurait mieux à la satisfaction de l’orgueilleux moi. Mais les efforts des législateurs ont été vains. Le pli était pris, et rien n’a pu ni ne pourra probablement jamais l’effacer. L’homme continuera à faire un dieu de lui-même, et le Deus de Deo, tout comme « le Un de Un », quoique intentionnellement on ait voulu formuler ainsi le dogme du monothéisme, a tourné, avant qu’on ne s’en doutât, au sens de l’anthropomorphisme. La passion sexuelle a rendu l’anthropomorphisme indéracinable. Nulle religion plus que le buddhisme n’avait fait divorce avec lui ; il avait circonscrit la destinée humaine dans la limite des évolutions cosmiques, lui donnant pour dernier terme, en tous sens, le nirvâna, l’extinction dans l’atome universel, la substance amorphe du monde. Mais, sauf quelques rares exceptions[345], cette pure doctrine philosophique n’a pas pu se maintenir dans les esprits ; on est revenu à l’anthropomorphisme avec l’Adibuddha et les hiérarchies célestes. Le christianisme, à quelques tentatives isolées près, comme celles de Molinos et de Fénelon, n’a même jamais essayé de répudier la divinisation de l’homme ou l’humain Dieu. Il ne le pouvait, car son fondateur est anthropomorphite dans l’âme ; son moi humain et Dieu ne font qu’un ; Jésus l’a dit, et on le croit. On le croit, parce que chacun de nous penche à croire autant de soi-même. Le christianisme est ainsi l’humanisme par excellence, et sa vraie formule serait : homo sibi Deus. C’est d’ailleurs là, qu’on ne s’y trompe pas, la raison intime de l’invincible popularité du christianisme chez tous les peuples d’une race aussi subjective que la nôtre.

Le motif de la première reproduction de l’homme, cette reproduction de la personne humaine par laquelle l’homme, à l’éveil de la passion sexuelle, a voulu faire concurrence au démiurge et se poser en face des Elohim comme un autre Jahwéh[346], ce motif, quelque inconscient qu’il soit, a donc continué d’inspirer et d’accompagner le commerce sexuel, et les hommes sont restés adonnés en diverses manières au culte de leur œuvre personnelle, au culte de l’enfant, leur propre personne au fond. Ecce Deus ! il vit ! er lebt ! tel était le cri qui accueillit Goethe au seuil de l’existence ; et cet exemple de parents s’adorant dans leur enfant est fait pour bien démontrer, par sa répétition à l’infini[347], que la substitution du moi humain à l’auteur du monde est devenue un besoin impérieux et comme une seconde nature pour nous. La voix de la conscience qui, à l’origine même de cette idolâtrie, l’avait si sévèrement châtiée, n’a pas pu prévaloir contre la prostitution κατ’ἐξοχήν. Les hommes se sont toujours leurrés de l’espoir qu’un jour ou l’autre leur grand et suprême rêve pourrait avoir chance de se réaliser, et, effectivement, quelques individualités ont paru toucher au but. La légende fait dire à Goethe encore enfant : « Je ne puis me contenter de ce qui suffit aux autres[348] ». Ecce Deus !

Toutefois, les tentatives pour sortir de la voie fatale n’ont pas manqué ; il y a eu à ce sujet un effort presque unanime. On a essayé de tempérer la coupable portée de la passion qui nous dévore en la détournant sur le culte en quelque sorte impersonnel des simulacres et des images. Malheureusement, les artistes sont venus gâter par leur intervention cet essai d’abstraction. Le travail souvent admirable de la statuaire a donné au culte des symboles une impulsion idolâtrique pour le moins aussi décisive que le mauvais esprit auquel Mar Jacques l’attribue seul dans son discours[349]. De ces artistes, chacun, pour plaire davantage, épuisa tout son art afin de former une plus parfaite image. Et la multitude, séduite par la beauté des ouvrages, appela dieux ceux qu’elle avait connus hommes. Telle fut l’illusion de la vie humaine : et hæc fuit vitæ humanæ deceptio[350]. La chose alla donc de mal en pis. Cependant, par un procédé contraire à celui des artistes, les peuples, plus fins et mieux avisés souvent que les hommes civilisés, se sont mis à faire abstraction de toute figure humaine et se sont rejetés sur le culte des objets bruts. C’était au moins refouler les exigences de l’orgueil personnel. C’est ainsi que chez les Grecs, dont le tempérament prédisposait à une philosophie simple et lucide, l’objet de l’adoration religieuse est devenu en général, malgré le sentiment esthétique si développé de la nation, une idole à peine façonnée ou entièrement informe, un ξύλινον ἄμορφον. On adorait à Athènes, de préférence aux œuvres les plus exquises de la statuaire, un pieu grossièrement taillé, à Paphos un cône, à Samos une planche, à Thespie une branche, à Délos une bûche[351], des colonnes et des arbres[352] en je ne sais combien d’endroits, et tout le monde sait que le culte des pierres, des bétyles, tant en Orient qu’en Occident, subsista longtemps encore après notre ère, si tant est qu’il ait cessé d’y être suivi au centre même de la catholicité. Ce qui est du moins certain, c’est que Mammon, l’idole la plus puissante, ne discontinue pas d’y lutter avec avantage, en la personne même de « l’idole du Vatican », contre le Christ, le contempteur de l’or, de la passion de l’or et de ses adeptes. « L’adoration de l’or et de l’argent, dit Jacques de Saroug, a souillé même les saints[353] ». Autant vaut dire qu’il n’y a pas de saints, et ainsi le veut, en effet, le meilleur des mondes possibles.

Restons sur ce mot charmant d’ironie et de vérité de Leibnitz, et résumons le gros volume que nous avons condensé dans les pages qui précèdent en disant que de très-anciens mythes, dont il faut chercher l’origine chez les peuples de la race blanche, semblent nous raconter que les organes du commerce sexuel et ce commerce lui-même se sont trouvés frappés, à l’éveil de la conscience humaine, de raillerie et de honte ; que, par suite, un sentiment vengeur, l’équivoque pudeur a pris la place de la chasteté, parce que l’homme, par un motif d’orgueil, a cherché dans la cohabitation une satisfaction qui détournait cet acte de sa portée immédiate et en viciait le principe. Ce n’est plus de la simple propagation de l’espèce qu’il s’agit dans l’union sexuelle de l’homme et de la femme, mais du culte de la créature ; c’est l’exaltation du moi, l’idolâtrie, qui se dresse sous l’acte charnel tel qu’Ève l’inaugure, et c’est en conséquence l’idolâtrie que vise la défense de manger du fruit de l’arbre en en montrant la vanité par le néant qui l’attend, c’est-à-dire par la mort.

Mais pourquoi avoir proposé ce curieux chapitre d’histoire psychologique primitive sous le voile de l’apologue, de l’allégorie et du mythe ? Pourquoi un langage si énigmatique ? Uniquement, je pense, parce que c’était la méthode d’enseignement préférée des sages de l’antiquité. « Lorsque nous étions enfants, nous étions assujettis aux instructions imagées[354] », et d’ailleurs, faute de saisir et de comprendre la réalité, l’esprit populaire l’exigeait ainsi, enchérissant lui-même sur les récits proposés par des fables et par des contes plus enfantins, les uns que les autres. Et il en est toujours ainsi : le monde ne fait, mutatis mutandis, que ce qu’il a déjà fait, et tout n’est que répétition et redites. Les variantes ne changent rien à l’ensemble du texte. L’humanité est toujours en mouvement ; elle marche, mais c’est une illusion de croire qu’il existe un progrès universel. Le progrès n’est toujours et partout que partiel ; il est limité à l’individu ou au groupe ethnique qui le poursuit. Chacun y est pour soi ; le contraire n’est qu’une apparence, et les événements se chargent de le faire voir à ceux qui sont capables de voir. Les Égyptiens, les Assyriens, les Chinois, il y a 4000 ans et plus, étaient aussi civilisés, aussi cultivés que nous pouvons l’être aujourd’hui ; seulement ils l’étaient autrement. Voilà tout. Le cercle où nous tournons est une hélice ; mon ami, M. H. Montucci, l’a ingénieusement démontré il n’y a pas longtemps. Déjà, d’ailleurs, la sagesse antique avait parlé par la bouche de l’Ecclésiaste, et voici ses paroles : « Ne dites pas : Pourquoi les temps anciens étaient-ils meilleurs que les temps d’aujourd’hui ? Car une telle question est déraisonnable. Une génération passe, une génération vient, mais la terre demeure la même. Le soleil se lève et se couche, et reparaît aux lieux d’où il est parti. Le vent souffle vers le midi et retourne vers le nord ; et, après mille circuits, κυκλοῖ κυκλῶν, il revient aux lieux qu’il avait parcourus. Qu’est-ce qui a été ? Ce qui sera. Qu’est-ce qui a été fait ? Ce qui sera fait. Nul ne peut dire : Voilà une chose nouvelle ; car déjà elle a été dans les siècles écoulés avant nous. Rien de nouveau sous le soleil : καὶ οὐκ ἔστι πᾶν πρόσφατον ὑπὸ τὸν ἥλιον »[355].

Certes, on ne saurait plus fortement humilier l’orgueil de nos rêves démiurgiques. Malheureusement cet orgueil est trop vieux pour profiter de la leçon. « Tout vient trop tard. »

TABLE DES MATIÈRES

(ne fait pas partie de l’ouvrage original)

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OUVRAGES OU MÊME AUTEUR

En vente chez MAISONNEUVE et C><>. Analogies constitutives de la langue allemande avec le grec et le latin expliquées par le sanscrit. 1846, iu-8 10 fr. Recherches sur la religion première de la race indo-iranienne, 2« édition. 1872, in-8 5 fr. Le Buddhisme et ses origines ; le Nirvana : accord de la morale avec le Nirvana. 1874, in-8 2 fr. 50 j Démonstration de l’authenticité mosaïque du Lêvitique et des Nombres. 1869, in-8 broch 2 fr. 501 Démonstration critique de l’authenticité mosaïque de * YExode. 1871, in-8 broch 2 fr. 50 « Démonstration de l’authenticité de la Genèse. 1873, in-8 broch 2 fr. 50 3 . 1 Démonstration de l’authenticité du Deutéronome. 1868,1 in-8 •.... 3fr. 50 Le Moïse historique et la rédaction mosaïque du Pentateuque. 1875, in-8 2 fr. 50 Étude sur le rituel du respect social dans l’état brahmanique. 1870, .in-8 1 fr. 50 ORLÉANS, 1MP. DE G. JACOB, CLOITRE SAINT-ETIENNE, a.

    concepisti. — Gargantua vint au jour par l’oreille, gauche de sa mère, et cette idée est aussi dans le Bundehesch, où Maschya féconde Maschyana en mettant sa main dans l’oreille de sa compagne.

  1. Psalm. cxv, 11 ; Epist. ad Romanos, III, 4.
  2. Tao te king, XXV, 6, XLI, 14 ; XIV, 6, I, 1, XXXII, 1, tr. Julien.
  3. Hansen, Sagen und Erzählungen der Sylter Friesen, p. vii.
  4. Valère Maxime, Memorabilia, I, 1, 8.
  5. Virgile, Georgica, II, 524.
  6. Tacite, Annal., II, 86.
  7. Le cuisinier du roi d’Angoy, nous dit Bastian (Deutsche Expedition an der Loango-Küste, I, 216), doit être chaste et ne jamais avoir commerce avec une femme.
  8. Lépicié, Catalogue raisonné des tableaux du Roy, I, p. 27.
  9. I Corinth., xiii, 5.
  10. La grâce naïve du moyen âge aimait à amplifier ce thème. On lit dans un manuscrit du xiiie siècle : « Jésus : Nam ego sum absque labe natus humane condicionis ac originalis peccati seu libidinis contagii carnalis. — Marie : Vere, fili, sicut dicis fine commixtione virilis contagii seu pollutione humane fragilitatis te concipi salvo pudore pudicicie seu castitatis alvo. » (V. Zeitsch. für Deutsch. Alterthum, XVII, p. 526.)
  11. Essais, III, 5.
  12. V. au Louvre l’Annonciation, de Fr. Albani, no 2 de la collection, et la Salutation angélique de G. Vasari, no 453.
  13. Socin, Palaestina und Syrien, p. 226.
  14. C’est ainsi qu’un pape (Grégoire le Grand) déclara que le diable avait sa demeure dans le Nord : diabolus sedit in lateribus aquilonis. Il ne l’avait vu ni entendu dire, mais cela lui semblait ainsi, probablement parce qu’il craignait le froid plus que le feu.
  15. Scarron, Le Roman comique, XIII.
  16. Viros nudos… pudicis mulieribus hos nihil a statuis differre. (Dion Cassius, Hist. rom., LVIII, 3, vol. II, 876, éd. Reimar.)
  17. « Si j’en trouvais dans cet état, dit-il, je les couvrirais d’un manteau, pourvu que je susse comment il faudrait m’y prendre. »
  18. Ὡοσπερ ἀψύχους εἰκόνας ἀγαλμάτων παρέπεμψεν. (Plut., Alex., XXI.) V. aussi l’impassibilité du philosophe Xénocrate, sur le sein duquel Phryné s’était couchée avec l’intention de le séduire. N’y réussissant pas, elle se vengea en disant : « J’entendais avoir affaire à un homme, non à une statue. » (Valère Maxime, IV, 3.)
  19. Assuefaciens se ne cujus ipsum rei nisi turpis puderet. (Plutarch., Cato, VI.)
  20. V. Aristophanes, Nubes, v. 973 sqq. ; Juvénal, Satir. VII, v. 237. Cf. Xénophon, République de Sparte, III.
  21. V. Demosth., c. Androt, p. 321 ; c. Stephan., p. 590, éd. Didot. Les Athéniens poussaient à cet égard le scrupule jusqu’à ne pas permettre qu’aucun chien entrât dans le Parthénon. La raison qu’ils en donnaient était que cet animal s’accouple publiquement, quod præcipue id animal palam coit. (Plutarch., Demet. cum Ant. comp., IV.) V. Val. Max., Memor., VI, 1.
  22. Cf. A. Rapp, Die Mänade im griech. Cultus, in der Kunst und Poesie, dans Rhein. Museum, XXVII, p. 577, 579, etc. Voir surtout les peintures céramiques si nombreuses au Louvre.
  23. Callimaque, Hymne à Diane, v. 14, 43.
  24. Sapho, Fragmenta, rec. Volger, LIV. Catulle, LXII, 4. Cf. Musaeus, Stumme Liebe : Nach ihrer strengen Moral verglich sie ein Mädchen, das vor der priesterlichen Einsegnung Liebe im Herzen hatte einnisten lassen, einem wurmstichigen Apfel, etc., p. 87, éd. 1839.
  25. Il est probable que l’allemand Dirne, qui d’abord avait aussi le sens de vierge, se rattache au nom de Diorna, la Diane celtique, qu’on a trouvé inscrit sur une pierre au monastère de Saint-Nabor, en Lorraine. (V. Jean de Wal, Mythologiæ septentrionalis monumenta, no 6, p. 71.) Le sens de Dirne, tout comme celui de garce (on disait « son garçon et sa garce, » Livre des métiers, p. 203, pass.), n’a pas été péjoratif dès l’abord, parce que les Germains primitifs ne connurent pas de filles de mauvaise vie, et que leurs femmes étaient chastes. « Les femmes des Teutons, dit Valère Maxime (VI, 1), supplièrent Marius de les mettre entre les mains des Vestales, assurant qu’elles vivraient, comme les Vestales, dans la continence.
  26. On voit cependant par la Vesta de Scopas, flanquée de deux chamétaïres, que des hétaïres distinguées par leur beauté trouvaient place aussi auprès de la grave déesse du foyer. C’est le cas de dire que tout cède à la beauté ; elle est la reine du monde. (V. au sujet des chamétaïres Welcker, dans Denkmäler und Forschungen, XII, col. 7, sqq., 1860.)
  27. Denys le Périégète, tr. p. Saumaize, 1597, fol. 13. Callimaque,
    Hymne à Pallas, v. 33.
  28. Cette exagération est sortie de la bouche de l’infaillible Pie IX, parlant, par bref, à l’évéque d’Avanzo. (V. l’Univers du 7 août 1875.)
  29. Un sanctuaire spécial, l’Aristarchéum, lui était consacré en Élide. (Plutarch., Quæstiones græcæ, XLVII.)
  30. Δός μοι παρθενίην αἰώνιον, ἄππα, φυλάσσειν. (Callim., Hymne à Diane, 6.)
  31. Plut., Aristide, XXXV.
  32. Alciphron, Lettre Ire ; Athénée, l. VI. — Les Béotiens étaient d’ailleurs particulièrement adonnés au culte de Priape. (Pausanias, Beotica, IX, c.31.)
  33. Theopompe, ap. Plut., Demosthenes, XXV.
  34. Pantagruel, iii, 18.
  35. Alciphron, Lettre x.
  36. Ilias, xiv, 214 :

    ἱμάντα…
    ἔνθ᾽ ἔνι μὲν φιλότης, ἐν δ᾽ ἵμερος, ἐν δ᾽ ὀαριστὺς

    πάρφασις, ἥ τ᾽ ἔκλεψε νόον πύκα περ φρονεόντων.

  37. On l’y connaissait, selon le P. Lafiteau, sous le nom de atour assap, alliance parfaite. Les liaisons d’amitiés particulières entre les jeunes gens, nous dit cet auteur, ne laissent aucun soupçon de vice… (Mœurs des sauvages américains, I, p. 607 ; édit. 1724)
  38. Parmi les plus célèbres de ces amours, il faut nommer ceux de Jupiter pour Ganymède, et d’Héraclès pour Hylas. Voyez, quant à ce dernier, Panofka, Explication d’un camée au musée Borbonico, dans Archäol. Zeit., mai 1848.
  39. Plato, Convivium, viii, ix. Cf. Ælian., Hist. var., III, 9, t1.
  40. V. Diogenis Laertii, 1. viii, c. 1, 66 : Καὶ ἐρασθήσεσθαι δὲ τὸν σοφὸν τῶν νέων κτλ.
  41. Plutarch., Agesilaus, xx.
  42. Plutarch., Demetrius, xxiv.
  43. Xénophon, De republi. Lacedœm., ii.
  44. Plutarch., Lycurgus, xviii,
  45. Καὶ γὰρ ἐν βακχεύμασιν οὖσ’ἥ γε σώφρων οὐ διαφθαρήσεται.(Euripides, Bacchæ, 217 et al.)
  46. Plutarch., Cæsar, x ; Cicer., xxix.
  47. Cernik (Expedition durch die Gebiete des Euphrat und Tigris, p. 7) décrit sommairement un de ces excès qui reviennent périodiquement chez les Ismaéliens et les Nazaréens. V. aussi Erman, Reise um die Erde, 1, 299 et alibi pl.
  48. Erat ergo recumbens unus ex discipulis ejus in sinu Jesu, quem diligebat Jesus. (Joan., xiii, 23, 25 ; xxi, 20.)
  49. Plutarch., Pelopidas, xviii.
  50. Plutarch., Alexander, xxix.
  51. Ad ultimum a semetipso degeneravit. (Quinte Curce, x, 1.)
  52. Ce qui a lieu de surprendre, c’est que cet amour comme vice contre nature est pratiqué par les animaux. Il suffira de nommer les colombidés, et parmi eux les tourterelles. Dés qu’on met dans une cage des mâles seulement ou même des femelles, on les voit pratiquer le jeu. Buffon en parle. (Œuvr. compl., v, 408, édit. Comte.)
  53. À ce sujet, il me paraît opportun de relever le passage de la vie de Dion, où Plutarque dit que Denys l’ancien était si méfiant, qu’il ne souffrait pas qu’on lui fit les cheveux avec des ciseaux, mais qu’il se les faisait raccourcir par un ouvrier sculpteur : τῶν πλαστῶν τις. Ce garçon sculpteur a toujours intrigué les philologues, mais je suis d’avis que c’est un euphémisme qui cache l’érastès, le mignon du tyran.
  54. Plato, Convivium, ix.
  55. V. Xénophon, La Républ. de Sparte, II. Suivant Élien et Athénée, ce seraient les Crétois, le peuple vicieux par excellence, qui auraient perverti en Grèce l’amour licite des Érastes, φιλία ἐρωτική. (Ælian., De natura animalium, IV, 1 ; Variæ historiæ, III, 9.)
  56. Plutarch., Caïus Gracchus, VI.
  57. « Tout en ce monde naît moribond, » a dit le poète. Et les langues latines confirment sa sentence par le mot « déicide. » Paul Chenavard a illustré le sentiment général par cet admirable tableau philosophique : Comment les religions s’en vont, qui est conservé au Luxembourg.
  58. De hônida dérivent à la fois hohn, raillerie, et honte, humiliation, et, par suite, déshonneur. Voyez d’ailleurs Grimm, D.W. s. v.
  59. J’ai en vue le fait d’Hypéride, qui, par le spectacle que cet orateur offrit aux juges de la beauté sans voile de Phryné, porta ces connaisseurs des grâces plastiques à absoudre la célèbre courtisane de la peine qu’elle avait encourue par un crime capital. (V. Athénée, XIII, 8.)
  60. « Le phallus, remarque O. Jahn (Denkm. und Forsch., 1855, col. 55), était une pièce indispensable du costume des personnages comiques. Toutefois, chez les anciens, cela ne se voyait qu’au théâtre, que les femmes ne fréquentaient pas, tandis que chez nous, aux XVe et XVIe siècles, les regards du public étaient continuellement blessés par cette braguette en forme « d’un arc-boutant, » comparable, suivant Rabelais (Garg., I, 8), « à une belle corne d’abondance, » à peu près comme on en voit aux quatre coins du postament de la colonne d’Égypte sur la place du Châtelet. Fischart en parle comme d’un arc tendu, wie er zu Roan in der Kirchen hangt, » et le compare à une tête de bœuf, disant encore : Es war sein vorschuss und vorschupff wie eyn lang Ror oder Feld Geschutz. (V. Huldrich Elloposcleron (Fischart), Gargantua, etc., f. N, 5, éd. 1582.) On peut s’en convaincre de visu par les statues de Philippe le Beau, de Maximilien Ier et de Charles-Quint, de la cheminée de Bruges, faite en 1529 et suivant, dont le moulage est au Louvre. (Cf. Quicherat, Histoire du costume en France, p. 301 et suiv.) Rien de semblable ne s’est jamais vu en public chez les anciens, ni même chez les nègres, chez lesquels la nudité entière est moins contraire à la chasteté que nos pantalons. (Speke, Voyage aux sources du Nil, p. 294, tr. fr.)
  61. V. mon ouvrage Le Buddhisme, où j’expose les raisons de l’existence primordiale du bouddhisme indien, réformé dans les temps historiques par Çâkhya-Muni.
  62. Speke, l. c., p. 169, 207, 261, 320, tr. fr. ; 194, 237, éd. angl. Cf. Barth, Voyage en Afrique, II, 475.
  63. Schweinfurth, Im Herzen von Afrika, I, 384 sq.
  64. V. Bibliothèque des voyages, V, p. 253.
  65. L’abbé Langenhoff, Congrès international des Orientalistes, I, p. 524.
  66. Bastian, Die Expédition an der Loango-Küste, I, 169, 295.
  67. Virg., Æneidos, IV, 125.
  68. Atharva-Véda-Sanhita, XIV, 2, 32.
  69. Kauçikasûtra, II, 47 : Sacerdos virum penem introducere jubet ; puis, au commandement ihe, mâv Indra, nous voici, ô Indra ! Trih samnudati (ter compulsat). (Cf. Weber, Ind. stud., V, 401, 404. — E. Haas, Die Heirathsgebräuche der alten Inder nach den Grihyasûtra, ib., p. 278 sq.)
  70. Essays, III, 5.
  71. et nocte tegentur opaca, speluncam Dido, dux. (Æneid., IV, 123.)
  72. Man darf das nicht vor keuschen Ohren nennen,
    Was keusche Herzen nicht entbehren können.

    (Faust, p. 131, éd. 1847.)
  73. August., Civit. Dei, VII, 5, 21.
  74. Pline, Hist. nat., XXVIII, 4, 7 : Illos (infantes) religione tutatur et Fascinus, imperatorem quoque non solum infantium custos, qui deus inter sacra Romana a Vestalibus colitur.
  75. Holtzmann, Die altere Edda, p. 566, 582.
  76. Diodori Siculi lib. I, 7. Le mot est d’Euripide.
  77. Un Vedda, autochthone de Ceylan, interrogé sur son dieu par un missionnaire, répondit : « Tous les jours je vois le soleil qui se lève et le soleil qui se couche ; voilà tout ce que je sais. > (Graul, Reise in Ostindien, III, 24.)
  78. Bonnetty, Croyances et traditions populaires de la haute Provence, dans les Annal. de phil. chrét., juin 1875, p. 468.
  79. Voir les Grandes Antiennes du 20 décembre. Cf. Gen., XXVIII, 11 : ὁ ἥλιος ; Psalm. xxvi}, 1 : Κύριος φωτισμός. — V. Siegfried, Philo von Alexandria, p. 186. De même dans le poème anglo-saxon de Cynevulf, le Christ est appelé sunnan leoma, la vraie lumière solaire.
  80. La lune participe aux honneurs rendus au soleil, mais dans notre race pas autant qu’on le croit en disant que le dieu suprême du culte védique, Soma, était la lune. Cela n’est pas exact. Soma était avant tout le dieu qui présidait au sacrifice. Mais cette réserve faite, il es certain que partout, et principalement dans les pays chauds, la lune a été dès le principe fort considérée. Cela devait être, car son éclat dans ces pays y rend parfois la nuit tageshell, et on y éprouve ses coups comme des coups de soleil. Il en est déjà question dans la Bible : Sol uret te, luna (uret te) (Psalm. cxxi, 6), et Graul le constate dans l’Inde. (V. Reise in Ostind., III, 169.) J’avais d’abord cru que c’étaient là des exagérations de langage, mais il m’a fallu y ajouter foi après avoir vu l’effet d’un « coup de lune > sur un militaire revenant de la Cochinchine.
  81. V. A. Stöber, Alsatia, 1875, p. 163.
  82. Il ne voulait pas adorer la lumière, le feu, parce que, disait-il, l’eau était plus puissante en l’éteignant. (V. Jolowicz, Polyglotte der orient. Poesie, p. 289.)
  83. Mundaka-Upunishat, I, 1, 7.
  84. Mânavadh., II, 54, 55.
  85. V. le Code domestique (grihyasûtra) d’Açvalâyana, I, 24, §§ 14-31 ; Stenzler, dans Abh. f. d. K. d. M., III, IV.
  86. Prodigium, dans le sens premier, désignait une chose qui occupe la première place, la chose qui importe le plus, puis, par extension, une chose étonnante, un fait merveilleux et inexplicable. De même aussi quant au mot « miracle. » Les anciens appelaient ainsi les choses dont il est difficile, dit Valère Maxime, de discerner le principe et la raison. (Val.-M., I, 8.)
  87. On l’a dit aussi des Romains, mais à tort, la moquerie des Romains étant purement politique.
  88. V. Plutarch., Alcibiades, XXII ; Nicias, XVIII ; Thucydide, VI, 27, 53 ; Andocide, Discours sur les mystères, p. 109 sqq., tr. Auger.
  89. Preller, Griech. Myth., I, 241 ; Nork, Myth. Realwörterbuch, IV, 33. V. l’image d’un hermès ithyphalle, ap. Laur. Beger, Thesaurus Brandenburgici Numismat. Rom., tab. ad p. 427, et sur une amphore chez Gerhard, Auserlesene griech. Vasenbilder, IV, pl. cclxxvi. Cf. une épigramme sur un hermès mutilé, dans Archäol. Zeitschrift, XXI, col. 16.
  90. J. Grimm, Deutsche Mythologie, p. 106 sq., 2e édit.
  91. Atharva-Véda, XIV, 2, 50 : « Tout mon corps tremble… ô Vanaspate, offre-le avec ta pointe. »
  92. Schoebel, Le Buddha et le Buddhisme, p. 172 sqq.
  93. Athénée, Banquet, etc., V.
  94. Welcker, Gr. Götterlehre, II, 526.
  95. Ilias, XIV, 246. — « Osiris figure l’élément de l’eau. » (Brugsch, Hist. d’Égypte, p. 22, 2e édit.)
  96. Preller, Röm. myth., p. 345.
  97. Ovide, Fastes, II, 440 sq. Inuus ist der Bespringer, ab ineundo, dit Preller, ib., 336.
  98. Comptes-rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 25 juin 1875.
  99. Quod humanæ generationis caussa sit, immortales honores ex omni sæculorum memoria consequutum fuisse. (Diod., ap. Eusèbe, Préparation évang., II, 2, p. 54, p. p. Viger, 1628.)
  100. I Rois, xv, 13 ; xxii, 47 ; I Paral., xv, 16.
  101. La forme du mot montre que c’était une yoni ; et si le nom veut dire « qui fait frémir, horreur, abomination, » ce n’est sans doute pas celui sous lequel l’idole était invoquée, mais l’appellation que lui avaient imposée les prophètes.
  102. La prêtresse Maacha était la mère du roi Asa, 3e roi de Juda, 944 av. J.-C.
  103. Cf. Schlottmann, dans Z. der D. M. G., XXVI, pl. ad p. 786.
  104. La colombe, l’uræus (serpent), les cornes et l’épi de blé. Cf. de Vogüé, Stèle de Yehawmelek, dans Comptes-rendus de l’Acad. des Inscr., 1875, p. 44 sqq.
  105. Jérôme (v. Comment, in Hoseam IV) l’appelle simulacrum Priapi.
  106. Hérodote, II, 49.
  107. Aristophanes, Acharnes, 243 : Τὸν φαλλὸν ὄρθον κτλ. ; 263 : Φαλῆς, ἑταίρε Βακχίου, κτλ. Dans les processions d’Éleusis, le droit de porter les ἀποῤῥητα était réservé aux jeunes filles, et encore fallait-il qu’elles fussent de bonne maison. (Thucydide, VI, 56.) Ces choses secrètes étaient la corbeille contenant des figues, symbole du sexe femelle. Cf. Suidas, s. v. Ἀρρηφορία.
  108. Plutarch., De cupiditate divitiarum, X : Nunc ea negliguntur et evanescunt, dit-il avec mélancolie.
  109. Plutarch., Lucullus, XIX ; Pline, Hist. nat., V, 40, 1. Le nom du roi Priam, qui, comme on sait, était fort prolifique, paraît aussi se rattacher à Priape. (V. Müllenhoff, D. Alt., p. 16.) Par contre, il n’y avait qu’une Parthénie ou Virginie, comme on nommait anciennement l’île de Samos. (Callimaque, Hymne à Délos, v. 49.) N’oublions cependant pas la ville de Parthénope, aujourd’hui Naples.
  110. Corpus intc. grœc., II, p. 180 sq. V. pour les Étrusques, peuple très-pudique d’ailleurs, Corssen, Ueber die Sprache der Etrusker, I, 401.
  111. Wan eyner eyn Eyd schwur, küsst er zween Finger, und legt sie auf den Latz, und schwur beim Inhalt. (Gargantoa, f. N 5.)
  112. Antérieurs même, quant à Cumes du moins, aux colonies grecques de l’Ionie. (V. Vell. Paterc., I. 4 ; Strabon, p. 243.)
  113. Priapus genius mulierum habebatur, siquidem ejus virilia præcipue colebant fæminæ ad fecunditatem sibi procurandam, phallaque tum ex ære tum ex auro et argento de collo suspendebant, et alia in annulis expressa gerebant. (L. Beger, Thes. numism. Rom., II, 428.) Cf. Winckelmann, Sendschreiben von den herculanischen Entdeckungen, p. 40 ; Dresde, 1762. — O. Jahn, dans Berichte über die Verh. der K. sächs. Gesellsch. der Wiss. zu Leipzig, 1855, p. 71. Nork, Myth. Realwörterb., IV, 54.
  114. Méphistophélès, dans Faust, comme les peuples du Victoria Niyanza, se sert de l’expression de « parties nobles, » et Speke (Les Sources du Nil, p. 474) était soupçonné de dévorer trois fois par jour les parties nobles de quelque être humain. On comprend donc que le roi Karamsi hésitât à le recevoir, et qu’il eût mieux aimé que son hôte allât mettre en fuite ses frères, les rebelles.
  115. Wilson, Sketch of the Religious Sects, etc., dans Asiat. Research., XVII, p. 192.
  116. Graul, Reise in Ostindien, II, 96.
  117. Si portarebbe il Lingam al collo, al bracico o alla testa, e che tutti quelli ch’avrebbero questa devozione, otterebbero la rimissione di tutti li loro peccati, ed avrebbero per ricompensa il cielo de Siva. (Paullinus a Bartbolomæo, Systema Brahmanicum liturgicum, etc., p. 32 ; 1791.)
  118. Ce tour de force dépasse, on le voit, celui auquel Faust est initié dans la cuisine de la sorcière.
  119. Paolino da S. Bartolomeo, Viaggio alle Indie orientali, p. 318, éd. Rome, 1796. Cf. Graul, loc. l., I, 75.
  120. Hérodote, II, 48. — Bastian, Deutsche Exped. an der Loango-Küste, II, 196, note un usage identique chez les nègres du Congo. Cela viendrait à l’appui de ce dont nous dirons un mot plus loin, à savoir que le culte du phallus fait partie intégrante du naturisme primitif qui, dans l’Inde, est désigné par le nom de drâvidisme.
  121. Adami Historia ecclesiastica, p, 152, éd. Maderus : Cujus etiam simulachrum fingunt cum ingento priapo. Remarquons par anticipation que Frigg ou Frey se confondant parfois avec Odhinn, et celui-ci ayant séduit une vierge divine ou Walkyrie au moyen d’une pomme (V. Simrock, Handbuch der deutsch. myth., p. 193, 348), la personnalité mythique de Frey vient ainsi à se rattacher fort étroitement au mythe biblique.
  122. Une corruption linguistique analogue est celle de S. Théofred en S. Chaffre, au Puy-en-Velay.
  123. V. à ce sujet de Laure, Des divinités génératrices chez les anciens et les modernes, p. 238 sqq.
  124. Collin de Plancy, Hist. d’un petit duc de Brabant ; Émile Dunart, Hist. de Manneken-Piss.
  125. Holtzmann, Deutsche Mythologie, p. 110.
  126. Mutinus (Mutunus) in cujus sinu pudendo nubentes præsident.(Lactant., I. 20, 36.)
  127. Callimaque, Hymne à Diane, 63 : ὁ δὲ δώματος κτλ.
  128. Fascinum = Βασκάνιον, charme. (V. Auli Gellii Noctes Atticæ, XII, 12, 4.)
  129. Om ! o you serpents… enter under this Vedi, and stay in this house… (The Vâstu Yâga, dans le Journal of the Asiatic Society of Bengal, XXXIX, p. 209.)
  130. Plutarch., Romulus, II.
  131. Herod., II, 51.
  132. Cf. Creuzer, Symbolique, I, 262, éd. allem.
  133. Wilson, The Vishnu Purâna, pref., lxix.
  134. Comme un exemple entre mille, on peut citer le fameux temple çivaïte d’Éléphanta, où le sanctus sanctorum est la chapelle du lingam. (Graul, loc. laud., I, 131, 187.)
  135. V. Stevenson, The Ante-Brahmanical Religion of the Hindus, dans The Journ. of the R. Asiat. Soc., VIII, 336 sq.
  136. V. Graul, l. l., I, 70, 184. Il me sera permis de rappeler à ce sujet qu’en cherchant à établir dans mon ouvrage le Buddhisme la forme primordiale de la religion indienne, et à démontrer que le buddhisme de Çâkyamuni la continue épurée et spiritualisée par une réforme philosophique, je me suis rencontré, sans le savoir, avec le savant auteur précité dont je ne connaissais pas encore l’ouvrage sur l’Inde, Cf. l’ouv. cité, I, 69, 184 ; II, 127, 299, al. pl.
  137. L’égyptologie place actuellement l’avènement de la 1re dynastie avec Mena, quarante-quatre siècles avant notre ère. C’était, du reste, déjà l’opinion des Arabes. (Brugsch, Hist. d’Égypte, p. 179, 2e édit. Cf. p. 24, 33.) Ebers, cependant, tient encore au chiffre de Lepsius, qui est 3892. (Papyros Ebers, I, p. 9.) Au-delà, il y a le règne des souverains imaginaires, dont est Orisis, fils de Seb, le représentant de la terre, et Adam, par conséquent.
  138. L’addition aussi s’en sert, car additionner c’est encore multiplier.
  139. On donne le premier rang à Amon ; mais le fait qu’il s’est trouvé un roi, Aménophis IV (18e dynastie), qui fit marteler, partout où il put l’atteindre, le nom de ce dieu, thébain d’origine, donne à penser qu’Amon était un intrus. Il était d’ailleurs ithyphalle, lui aussi.
  140. V. Diodore de Sicile, I, 22, 23 ; cf. 13 sq.
  141. V. Ebers, Papyros Ebers, p. 12 sq.
  142. C’est une identification qu’on doit, je crois, à la perspicacité de F. Lenormant.
  143. Dont le nom se lit pour la première fois sur le Papyros Ebers, qui a 3400 ans d’âge, et date de la XVIIIe dynastie. V. cet ouvrage, édité avec une rare perfection typographique, à Leipzig, 1875, vol. I, p. 36.
  144. L’homme est un roseau pensant, a dit Pascal ; il résiste en pensant, et voilà la connexion de ces deux noms.
  145. Et eruditus est Moyse omni sapientia Ægyptiorum. (Act., VII, 22.)
  146. V. O. Jahn, dans Hermès, d’Em. Hübner, III, 323 sqq. Welcker, Griech. Goett., II, 600.
  147. Pausanias, VII, 17 ; VIII, 15.
  148. Le traducteur français a supprimé ce détail, mais Cl. Brentano a tout écrit et tout imprimé.
  149. Pantagruel, IV, 38.
  150. Il dit, dans son traité De originali peccato : Hunc serpentem non alium arbitramur, quam sensibilem carnalemque affectum, imo quem recte dixerimus, ipsum carnalis concupiscentiæ genitale viri membrum, membrum reptile, membrum serpens, membrum lubricum, variisque anfractibus tortuosum, quod Evam tentavit atque decepit. Cf. Gottlob Regis, Remarques (II, p. 674), qui accompagnent son excellente traduction de Rabelais.
  151. Tatiani Oratio ad Græcos, XXXVII, Oxoniæ, 1700, p. 80.
  152. Genèse, II, 8. On confond habituellement le paradis avec l’Éden ; mais le texte montre que ce sont deux choses différentes. Le paradis est dans l’Éden.
  153. Tonitru fulmen in ventrum suum incidisse. (Plutarch., Alexand., II.)
  154. Thrymskvidha, 32. V. Simrock, Die Edda, p. 79. Cf. Wolf, Zeitsch. für D. M., III, 86.
  155. Ibid., p. 106. Dans Gargantua, le terme « cognée » est employé dans le même sens. Remarquons que la hache est bipennis, ce qu’on peut traduire par « ailée » ou par « à deux tranchants. » Or le phallus est souvent représenté ailé.
  156. Cf. Schelling, Philosophie der Mythologie, p. 160, éd. 1857.
  157. Adalbert Kuhn, Die Herabkunft des Feuers und des Somatrankes, p. 199 sqq., 224 sq.
  158. Ce qu’on pratiquait dans la fête des Lupercales, à Rome, rentre évidemment aussi dans cet ordre de faits. Des jeunes gens, appelés du nom significatif de creppi, boucs, couraient nus par la ville, et frappaient de bandes de peau de bouc, qui avaient tout leur poil, les femmes qu’ils rencontraient. Elles se laissaient faire, persuadées que c’était un moyen sûr de les rendre fécondes et de les faire accoucher heureusement. (Ovide, Fastes, II, 445 ; Plut., Cæsar., LXI ; Romains, XXI.)
  159. Yajur-Véda, I, 1, p. 3, édit. Weber.
  160. Genèse, I, 27 ; V, 2.
  161. Et dixit Elohim : Faciamus hominem ad imaginem nostram, et ad similitudinem. Et fecit Elohim hominem : ad imaginem Elohim fecit eum : masculum et feminam fecit eos. (Ib., 26, 27.)
  162. Cf. F. Nork, Andeutungen eines Systems der Mythologie, 317, note 1.
  163. Genèse, V, 2 : Elochim le créa mâle et femelle, et le nomma homme (Adam).
  164. Mém. de l’Acad, de Berlin, 1828, p. 63 ; Mém. de la Soc. royale des sciences de Gœttingue, 1845, p. 104 ; Archives de path., etc, de Virchow, XI, 420 ; Mém. de l’Acad. des sciences de S.-Petersbourg, 1859 ; Debay, Physiologie du mariage, p. 299, 35e édit.
  165. Supplicatum in Urbe, quod androgynus inventus. (Jul. Obséquens, Des Prodiges, CVIII.)
  166. Gerhard, Antike Bildwerke, p. 128. Cf. F. Lajard, Rech. sur les attrib. de Vénus, p. III, 115, al.
  167. Orphica, rec. G. Hermann, hym. XLII, 4, p. 306.
  168. Lassen, Ind. Alt., II, 817, 1089. Graul, Reise in Ostind., 1, 131.
  169. Die Anthropogonie der Germanen, ap. Haupt, Z. f. DA, VI, p. 19.
  170. Venus huic erat utraque nota. (Ovid., Met., III, v. 323. Voir aussi Diodore de Sicile, I. XXXII.)
  171. La fable rapporte aussi son état androgyne à sa réunion en une seule personne avec la nymphe Salmacis.
  172. Ea die etiam hodie Hybristika sacra agunt. (Plutarch., De mulierum viriutibus, IV.)
  173. Mais cela n’autorise pas à dire, comme le font quelques savants, que l’idée même de cet état est originairement grecque, qu’elle est une idée de Platon. (V. Siegfried, Philo von Alexandrin, p. 284.)
  174. Matth., xix, 4-6. Chez les Indiens brahmaniques, par suite de la doctrine politique de l’émanation graduée des hommes, la formule du mariage, loin d’exprimer l’unité intime de l’homme et de la femme (reconnue cependant par Manu, IX, 45 : Le mari ne fait qu’une même personne avec son épouse, bhartâ sâ smritânganâ), proclame la séparation des mariés. En effet, l’époux doit dire à l’épousée : « Lui c’est moi, elle c’est toi, amo’ham asmi, sâ ivam. » (V. Code domestique (Grihyasûtra) d’Açvalâyana, I, 7, § 6, éd. et tr. par Stenzler dans Abhandl. für die Kund. des Morg., III, IV.) Cf. Atharva-Véda, XIV, 2, 71, où l’on lit la même formule et d’autres encore. C’est ainsi aussi dans quelques pays en Allemagne ; dans celui de Trêves, par exemple, le fiancé dit à l’épousée au moment où il va la conduire chez lui : Wo ich Mann bin, da bist du Frau, und wo du Frau bist, da bin ich Mann (Zeitsch. fur Deutsch. Myth. und Sittenkunde, I, 397.) Les Romains, enfin, ne disaient pas autre chose avec la célèbre formule : Ubi tu Gaius, ibi ego Gaia. Mots de bonne augure probablement ; Gaius et Gaia (de γαίω gaudeo) sont mis là pour les noms des mariés. (V. K. Dilthey, dans Rheinisches museum, XXVII, 1872, p. 404.)
  175. Ambrosius, Epist. ad Rom., c. V.
  176. Graul, l. laud., II, 203.
  177. Platonis Convivium, XVI.
  178. Genèse, II, 24. Cf. Bérose, ap. Eusèbe, Chronicon, I, p. 22, éd. Aucher, 1818.
  179. Genèse, I, 28.
  180. Apollonius de Rhodes, Argonaut., II, 708, appelle le dragon delphique : immanem Delphinam.
  181. Ἐκ τυμπάυον ἔφαγον. (Clém. Alex., Protreptikos, p. 17 ; Potter.)
  182. Vendidad, III, 22, 23.
  183. Pantagruel, III, 12.
  184. Brahman hṛidayam bhittvâ nihsṛito bhagavân Bhriguḥ, « Brahma, de son cœur fendu, produisit l’heureux Bhrigu. » (Mahâbhâr., I, 2606 ; 1, p. 95, Calc.)
  185. Urum bhittvâ. Cf. μηροτραφής, épithète de Bacchus.
  186. La naissance de Jacchus de la cuisse de Dionysus est une hypothèse de Braun, que n’appuie aucun document littéraire, mais que paraissent justifier quelques monuments figurés, puis le surnom de Maron, qui semble être formé de μηρός, cuisse. (V. Panofka, Denkm. u. Forsch., dans Arch. Zeit., IX, no 29.)
  187. C’est la nymphe Anchiale qui les engendra ainsi. (Apollonius, Argon., I,1130.)
  188. Holtzmann, D. Myth., p. 189.
  189. Mânavadh., I, 31.
  190. Genèse, II, 21 : םצלעתיו. Le sens de tséla est d’abord « côté laïus ; » puis, par extension spécifique, « côte costa. » C’est aussi par le côté droit qu’Anne-Catherine Emmerich fait pénétrer le Saint-Esprit fécondateur dans la Vierge. (V. Vie de la Sainte-Vierge, d’après A.-C. Em., rédigée par Cl. Brentano, tr. fr., p. 155.) Dans un âge plus rapproché de nous, ce rôle ne lui aurait plus convenu, car depuis Abélard le Saint-Esprit n’est plus tant amour que bonté. (Zeitsch. für D. A., XVIII ; p. 49.) Dans un hymne de saint Éphrem, il est dit qu’elle avait conçu par l’oreille : Gaude, Virgo, mater Christi, quæ per aurem
  191. La littérature talmudique, dite la Hagada, énumère comme pouvant servir à la reproduction : la tête, l’oreille, l’œil, le nez, la nuque, le cœur, la main, le pied et la côte. (V. Polyglotte de la poésie orient., par Jolowicz, p. 287.)
  192. Genèse, III, 1.
  193. Suivant Spiegel (Parsigram., p. 193), arezura se rapporte à araçka, jalousie, envie.
  194. Allusion à un passage de l’Hymne à Cérès, 428 : θαῦμα ἰδέσθαι, ναρκισσόν κτλ..
  195. Vendidad, I, 7, sq.
  196. Ibid., II, 18, 32.
  197. Πανδώρα ἡ γῆ. (Hesychius, sub. v., II, c. 851.)
  198. Mânav., IX, 33.
  199. Primus aratra manu solerti fecit Osiris. (Tibulle, 1, 7, 29.)
  200. Vendidad, II, 32, 33, 36.
  201. V. Il Decamerone, giorn. terza, nov. X.
  202. Gœthe, Sentences.
  203. Ap. Furtwängler, Eros in der Vasenmalerei, p. 7.
  204. Schœbel, Satan et la chute de l’homme, p. 9, 1859.
  205. Valère-Maxime, I, 6, no 5.
  206. Genèse, III, 17.
  207. V. dans l’Edda de Snorri, Gylfaginning, 34, I, p. 105. C’est, du reste, un mythe spécial, et je n’entends pas, directement du moins, rattacher ce serpent, ainsi que l’Ananta indien, au serpent du paradis.
  208. Il y a dans l’histoire d’Antoine et de Cléopâtre comme un reflet spécial du drame d’Adam et d’Ève. Antoine abandonne une victoire qu’il tenait dans ses mains, pour suivre honteusement Cléopâtre, victime voulue d’un serpent.
  209. Otto de Kotzebue, Entdeckungsreise in die Südsee, II, 115.
  210. Peut-être en est-il de même du groupe que Bastian vit chez des nègres sur la côte de Loango, représentant une idole ithyphalle accompagnée d’une femme qui détourne quelque peu la tête. (Exp. an der Loango-Küste, 1, 47, 243.)
  211. Vôlutspâ, st. 15 ; Edda Saemundar, III, p. 31, éd. Havniae, 1828.
  212. V. Gylfaginning, 26, 33 ; Bragarödhur, 56, dans Edda Snorra Sturlusonar, I, p. 99, 104, 210, éd. Hafniae, 1848.
  213. Voir mes Recherches sur la religion première de la race indo-iranienne, p. 142, 2e édit.
  214. Ibid., p. 139 sqq.
  215. R.-Véda, X, h. 10, st. 3, 5, 6, 7, 8, 9, 11, 12.
  216. Tout comme Jésus, il défend de convoiter la femme d’autrui, même en pensée. (V. la Caraka Samhitâ, dans Zeitsch. der D. M. G., XXVI, p. 448.)
  217. Genèse, II, 23.
  218. Die altvetater, dit une ancienne Chronique, gabent ye einen bruder und ein swester ze sammen. (Kurze Colmarer Chronik, dans Alsatia d’Aug. Stöber, p 223.)
  219. Ἔνθ’ ὅγε θυγατέρας πόρεν υἱάσιν εἶναι ἀκοίτις. (Odyss., X, 7.) — Euripid., Andromache, 173 sqq. — V. quant aux Arabes, Strabon, XVI, c. IV, 25.
  220. V. Waitz, Anthropologie, III, 106. — Post, die Geschlechtsgenossenschaft der Urzeit, p. 53.
  221. Diodor. Sicul., I, 13, 21. Brugsch, Hist. d’Égypte, p. 14.
  222. Le Bundehesh, chap. XXXII, éd. Justi.
  223. Plutarchi Cimon, V ; Timoléon, XV.
  224. Andocide, Discours sur les mystères, dans les Orateurs athéniens de l’abbé Auger, p. 149. — Il est vrai que le commerce sexuel d’Œdipe avec sa mère Jocaste, et de Thieste avec sa fille Pélopée fut considéré comme un crime et eut des suites tragiques ; mais ce sont des mythes accommodés dans un but politique et moral.
  225. Agathias, Histor. de Imperio Justiniani, II, p. 58 ; 1594.
  226. Minut. Félix, Octav., XXXI.
  227. Ctesias, ap. Tertullien, Apolog., IX ; Bardesane, ap. Eusèbe, Préparat. évang., VI, 10 ; Quint. Curt., VIII, 2, 19 ; Xanthus, ap. Clemens Alex., Stromat., III, p. 515 ; Sextus, Hypotyp., I, 14 ; Theodoret, Therapeut., p. 128, éd. Sylburg ; S. Jérôme, Cont. Jovin., XI ; Tatian., Oratio ad Græcos, XLV, p. 100, éd. Oxford, 1700 : Conjungi cum matre… inprimis laudabile.
  228. Junonem meam iratam habeam, si unquam me meminerim virginem fuisse, etc. (Petronii Satyricon, XXV.)
  229. Suétone, Caligula, 56.
  230. V. plus loin, p. 83.
  231. V. Mahâbhârata, çl. 1493-1505
  232. Râmâyana, I, 49, 17 sqq.
  233. V. Zeitschrift der deutschen morgenländischen Gesellschaft, IV, p. 421.
  234. V. le Grihyasûtra d’Açvalâyana, I, 13, § 2, 3. — Le lait doit être caillé, par analogie, peut-être avec l’Urschleim. Cf. le vers d’une poésie arabe où l’amante se console de l’adversité en disant : L’amour et le caillé me restent. (Jolowicz, Polyglotte der Orientalischen Poesie, p. 431.) Je ne suis cependant pas bien sûr de la traduction.
  235. Rappelons à ce sujet le mythe grec rapporté par Hésiode (Opera et Dies, v. 170 sqq.) sur le séjour où règnent les lois de Saturne :

    Là coulent des héros les paisibles journées
    Dans les riants bosquets des îles fortunées,
    Où l’arbre, trois fois l’an, se couronne de fleurs
    Et prodigue ses fruits aux plus douces saveurs.

    (Tr. Salmon.)
  236. Schâh-Nameh, t. p. Mohl, I, p. 53-65.
  237. « Où est la femme ? » est vrai partout, même chez les nègres. Il n’y a pas de querelle chez eux sans qu’une femme n’y soit en cause. Schweinfurth eut souvent occasion de le constater, (Im Herzen von Afrika, II, p. 440.)
  238. V. Gerhard, Abh. über die Minerven-Idole, pl. II.
  239. En effet, l’espérance procède des maux. Sans les maux, l’espérance n’aurait pas de raison d’être. Mais comme l’espérance est toujours fallacieuse, qu’elle est à proprement parler un Wahn, une illusion, mot qui la désigne même dans l’ancien germanique, elle est en somme le comble des maux.
  240. V. le Baalim androgyne représenté pl. I, no 1, dans l’atlas de Lajard, Recherches sur Vénus.
  241. Vom Zeus ist die Gattin unzertrennlich, dit Welcker, Gr. G., I, p. 196.
  242. Platon, Le Banquet, p. 353.
  243. Ap. Eusèbe, Chron., I, p. 22, éd. Auger.
  244. Phocica, XXV.
  245. Schelling, Philosophie der Mythologie, 5e leçon, in fine.
  246. Odyss., XVIII, v. 328.
  247. Es werden sich Poeten finden, durch Thorheit Thorheit zu entzünden. (Faust, IV act., p. 394 ; 1847.)
  248. V. Philologus, III, 242.
  249. Diodore, IV, 4.
  250. Arnobius, Adv. Nationes, V, 21 ; Cf. Clem. Alex., Protrept, p. 14 ; Potter.
  251. Διόνυσος… ἀστραπηφόρῳ πυρί. (Eurip., Bacchæ, 3.)
  252. Cf. Kuhn, Die Herabk. des Feuers, etc., p. 11 ; Weber, Ind. Stud., I, 418, note.
  253. Φάλλη ἡ πετομένη ψυχή. (Hesychii, Lexicon II, col. 1492.)
  254. Laur. Beger, Thesaurus numismatum Rom., II, p. 427.
  255. Porphyre, ap. Eusèbe, Præp. evang., III, 11.
  256. J.-W. Wolf, Zeitschrift für Deutsche Mythologie, I, p. 39.
  257. Cela lui arrive quand, comme à Osterode dans le Harz, elle passe sous une chemise qu’on conserve à cet endroit, et qui est censé avoir appartenu à la Vierge. (V. Zeitsch. f. D. M., I., p. 78.)
  258. V. des spécimens de la chose dans Berichte über die Verhandl. der K. sächs. Gesellsch. der Wissensch. zu Leipzig, VII, 77 sqq. V. un triple phallus ailé prenant sa course, ap. L. Beger, Thes. num. Rom., pl. ad p. 427.
  259. De tous les colombidés, c’est le cas surtout de la tourterelle. (V. Chenu, Hist. nat. des oiseaux, VI, 18, 44.)
  260. Pausanias, Achaïca (VII), c. 17.
  261. N’oublions pas de mentionner que, dans les mythes germaniques, il y avait le mystère de la noix. La noix y joue un rôle considérable comme symbole érotique. L’immortelle Idhunn prend elle-même la forme d’une noix, ou c’est Loki, le séducteur, qui lui impose cette forme, hnotar liki. (V. Bragarædur, 76, dans l’Edda de Snorri, I, 212. Cf. Mannhardt, Frô-Donar, dans Zeitsch. f. D. M., III, 95 sqq.) Ève, suivant une légende juive, avait la forme d’un noisetier, et le fruit défendu était une noix. (Cf. Nork, Myth. R. W. B., 287, et Andeutungen eines Syst. der Myth., p. 158.)
  262. Pausanias, Beotica, c. 25.
  263. Genesis, III, 6.
  264. V. Luciani Trajectus (Κατάπλους), XXII.
  265. Micylius : Dic mihi (initiatus enim es, Cynisce, Eleusintis), nonne tibi similis hic status superis esse rebus videtur ? Cyniscus : Bene dicis.
  266. Aristoteles, ap. Synesium, De Dione, p. 48, édit. D. Petau. In-fol., 1612, Lutetiæ.
  267. Suivant R. Fœrster, l’hymne date d’avant Solon, de la première moitié du VIIe siècle. (V. Der Raub und die Rückkehr der Persephone, p. 39.)
  268. L’identité du serpent et du phallus, outre ce que nous en avons dit déjà plus haut (p. 48, 60), se montre dans un grand nombre de monuments. Voir entre autres le Codex vaticanus reproduit par Kingsborough, et sur la planche XX des Archives de la Société américaine de France, I. — Michel-Ange, dans un dessin qui est au Louvre (salle 2, no 130), nous montre un Adam couché dont le phallus affecte la forme d’un serpent sortant d’entre deux figues et d’un feuillage qui le couronne.
  269. Simulacrum membris virilis revelatur. (Tertullian., Adv. Valentinianos, I. Cf. Clem. Al., Protrept., p. 19.) Pour être reçu, on présentait comme offrande un porc ou un bouc, animaux aussi prolifiques que lascifs. Sur le rapport de Hermès changé en bouc avec Cora et Cérès, voy. Gerhard, Archäolog. Zeit., VIII (1850), col. 155. Les Phénéates, qui passaient pour être les autochthones de l’Arcadie, célébraient des mystères semblables à ceux d’Éleusis, et ils avaient dédié un Hermès qui portait sous son bras un bouc ou un bélier. (Pausanias, Arcadica (VIII), 14, 15 ; Elid. (V), 27. Cf. sup., p. 30.)
  270. Philosophumena, p. 115, éd. Miller. — Proclus, Comment. in Platonis Timæum, p. 711, éd. Schneider.
  271. Freybe, Das Mecklenburger Osterspiel, v. 593 sq.
  272. Claudian., De raptu Proserpinæ, l. III, v. 244. Cf. Clem. Alex., Protrept., p. 14 ; Tatiani Orat. ad Græcos, XIII, et note 7, éd. W. Worth, XVI, no 3 ; Jupiter… Proserpinam filiam suam sub draconis specie violavit.
  273. Otf. Müller, Eleusinien, p. 294, dans l’Encyclop. d’Ersch et Gruber ; E. Gerhard, Antike Bildwerke, I, 56.
  274. Ibid., I, 54 ; Creuzer, Symb., IV, 214.
  275. Aristophanes, Ranæ, 384.
  276. V. sup., p. 44, 46.
  277. Le mot πρίαπος n’a pas un autre sens si, comme le pense Müllenhoff (D. Alterthumsk., p. 16), il est étymologiquement identique au goth. fraiv et au scand. frio, semence. Cf. le franç. frai, œufs fécondés du poisson.
  278. Cf. I, Corinth., XV, 36.
  279. Voir les autorités, ap. Müllenhoff, l. laud, p. 118 sq., note, 62 sq., 134 sq.
  280. Hérodote, en plus d’un endroit de son ouvrage, le fait d’ailleurs clairement entendre, par exemple quand il dit (II, 55) que deux colombes noires, δύο πελειάδας μελαίνας, s’envolèrent du temple d’Ammon à Thèbes en Égypte, et que l’une d’elles s’établit à Dodone pour y constituer l’oracle de Zeus.
  281. Notice des monuments égyptiens, p. 93, 2e édit.
  282. Clem. Alex., Protrept., p. 18 ; Potter. Cf. Otf. Müller, Eleusinien, 284 ; Gerhard, Auserl. griech. Vasenbilder, pl. LXXIV.
  283. Le mot κυκεών, qui désigne un breuvage composé qui trouble, revient à un radical (κύω) dont le sens est indicatif du commerce sexuel.
  284. Dans les fêtes de Cérés, où l’on portait en procession le calathus, les femmes, les filles et les enfants devaient craindre d’y plonger leurs regards. (Callimaque, Hymn. à Cérès, 5.) Cf. Gerhard, Archäo. Zeit. VII, 58, pl. VI, n° 8. On y voit un camée où est gravé un calathus contenant des pommes ou un phallus, présenté par un Silène à une femme qui a la sagesse de prendre la fuite.
  285. Pausanias, IV, 14, cite encore Aristodama, mère d’Aratus, qui passa pour avoir eu commerce avec un serpent. La mère du grand Scipion aussi avait conçu d’un serpent.
  286. Plutarque, Alex., II, III, XXVII.
  287. Quinte Curce, X, 5.
  288. Démosthène ajoute encore le hibou et le dêmos aux bêtes très-méchantes, χαλεπωτάτοις θηρίοις. (Plut., Demosth., XXVI.)
  289. V. les chants du Rhodope, par Chozdko, dans le Bulletin de la Société de Linguistique, juin 1875, no 13.
  290. V. Mahâbhârata, cl. 1503 sq.
  291. S. Ephraemi Carmina XXVII, 15, ed. G. Bickell, p. 123.
  292. V. sup., p. 62.
  293. V. Galerie du Louvre, no 208.
  294. Jehan le Maire de Belges, Le Triomphe de l’amant vert (incunable), la seconde epistre. Cf. Melusine, par Jehan d’Arras, p. 66, ed. Ch. Brunet. Elle « se mua en forme de serpent moult grande, grosse et longue comme de xv piés » (p. 358). Plus anciennement déjà, Mélusine avait épousé Sigfried, petit-fils de Charlemagne, dans le Luxembourg. (V. Zeitsch. für D. M. I, 309.)
  295. Par antithèse d’Uriel (Oriel en copte), flamme de Dieu (un des quatre archanges), Urian a sans doute le sens de « flamme de Satan, » Cf. Goethe, La nuit de Walpurgis : Herr Urian sitzt oben drauf. Il se peut cependant que ce nom soit simplement le magyar orias (ailleurs urias), géant.
  296. Pantagruel, IV, 38.
  297. Le Bundehesh, IX, XVIII, ed. Justi.
  298. Rig-Véda, I, 164 ; Kâthaka-up., VI, 1.
  299. D. Calmet, Comment. sur la Genèse, p. 81, ed. 1715, in-4.
  300. Genèse, III, 22.
  301. Lalita-Vistara, 190, 1 ; 427, 1. R.-Véda, X, 135 : Yasmin vṛikshe supalâçe devaiḥ sampibate yamaḥ atrâ no viçpatiḥ pitâ purâṇân anuvenati, « sous cet arbre au beau feuillage où Yama boit avec les dieux, le pire des hommes a rangé nos ancêtres. »
  302. Sur les monuments assyriens où apparaît aussi l’arbre de vie, l’offrande symbolique qu’on lui présente est la pomme de pin. (V. O. Jahn, Archäologischer Anzeiger, déc. 1857.)
  303. Origenis Philosophumena, V, 20, p. 144, éd. Miller.
  304. Cl. Bernard, Phénomènes de la vie, dans Rev. scient., 24 octobre 1874.
  305. L’interprétation n’est pas aussi insolite qu’elle pourra paraître à quelques-uns. La mythologie scandinave voit dans le monde le corps d’Ymir, l’homme primordial. (V. Holtzmann, D. M., p. 190 et 194.) Souvent l’homme a une valeur ethnographique ou géographique. (V. la Table des peuples.) Un pays a donc pu à son tour représenter un homme où l’homme en général.
  306. Morillot, Mythes et légendes des Esquimaux du Groenland, III, 1, dans les Actes de la Société philologique, 1874.
  307. Rig-Véda, X, h. 15, st. 14.
  308. Vendidad, II, 97 sqq. ; Anquetil, Zend-Avesta, II, 409, note 1.
  309. Strab., IX, 3, 6.
  310. Bröndsted, Voyage dans la Grèce, p. 130, in-fol.
  311. Pind., Pyth., IV, 6.
  312. Umbilico similis… smaragdo. (Quinte Curce, IV, 7.) Pourquoi formé d’une émeraude ? La Vierge-mère est comparée à une émeraude dans un chant du moyen âge, et la glose explique : Smaragdus a tota semper est amator castitatis et non potest sustinere coytum, nisi rumpatur. (V. Alemannia, II, 223.) « L’émeraude seule mérite de verdoyer sur ton sein, » dit Lyncée à Hélène. (Faust, IIIe acte.)
  313. V. Gylfaginning, 9, dans l’Edda de Snorra, I, 54. Cf. Völuspâ, 4, dans l’Edda de Saemund. Cf. Tacite, Germania, 3, où le bourg des Ases, Asciburgium, est transplanté sur les bords du Rhin, in ripa Rheni, qui marque le centre du monde celtique et germanique, une seule et même race, suivant Holtzmann et d’autres.
  314. Pline, Hist. nat., XXXVII, 77 ; cf. III, 6.
  315. Socin, Pal. u. Syr., p. 207.
  316. Fr. Ratzel, Boston, dans la Köln. Zeit. du 31 juillet 1874.
  317. Le XIXe siècle du 24 avril 1875.
  318. V. dans le 1er volume de ses Œuvres complètes (1857) la dissertation : Antiquissimi de prima malorum humanorum origine philosophematis Genes. III explicandi tentamen criticum et philosophicum.
  319. Petronius, Fragmenta, 5. Cf. Revue de linguistique, oct. 1872, p. 181. On sait que les anciens étaient singulièrement frappés de la pensée que la Divinité est jalouse de tout succès humain qui dépasse la commune mesure, et ils avaient à ce sujet inventé une déesse qui représentait cette envie, à savoir Némésis, et imaginé la fable de la botte de Pandore. Voyez aussi, comme un exemple remarquable de ce sentiment, les paroles que le vainqueur de Persée, Lucius Paulus, prononce devant le peuple la veille de son entrée triomphale : « Si parmi les dieux immortels, s’écria-t-il, il en est un qui soit blessé de l’éclat de ma fortune… si quis eorum invideret, etc. » (V. Velleius Paterculus, Hist. rom., 1,10.) Quant à l’aphorisme de Pétrone, il y a au livre V du poème de Lucrèce, v. 1217 sqq., un beau commentaire, par anticipation.
  320. V. Les Demandes faites par le roi Charles vi, etc., d’après un ms. de la bibloth. du roi, p. p. Crapelet, 1833, préf., p. vii.
  321. Ézéchiel, XXVIII, 13 sqq.
  322. V. Sapientia, XIV, 12 ; Jérémie, III, 2, 9 ; Ézéch., XVI, 5, 20 ; XXIII, 29 ; Osée, II, 2, 4 ; IV, 12 ; V, 4, et alibi pluries.
  323. V. W. Menzel, Etymol. Forschungen, I, 40.
  324. Quoniam capilli pro velamine ei dati sunt. (I Corinth., XI, 15.)
  325. Zeitschrift für D. Alterthum, XVII, p. 576.
  326. V. Atharva-Véda, XIV, 2, çl. 60.
  327. Leur nom veut dire « voleurs. » Aujourd’hui ce sont des soudards surtout. (V. Graul, loc. l., II, 178, 180, 232.)
  328. Friedrichs, Archäol. Zeit., XIII (1885), col. 84, pl. LXXX.
  329. Cf. Wolf, Zeitsch. für D. M., I, 887.
  330. Corinth., XI, 6.
  331. « Manu, dit le texte (IX, 17), a donné en partage aux femmes l’amour du lit et de la parure, la concupiscence, la colère, les mauvais penchants, le désir de mal faire et la perversité. » Proudhon n’a pas mieux dit. Cf. Spence Hardy, Eastern monachism, 140 : « Toute femme ayant une bonne occasion, dit le Buddha, fera ce qui est mal. »
  332. Les mystiques rivalisent ici avec les poètes et les dépassent. D’après eux, Marie est la femme de Dieu, sin wîp (Grazer Marienleben, dans Zeitsch. f. D. A. XVII, p. 546) ; elle est mère par indivis de celui dont l’Éternel est éternellement le Père ; elle peut toujours dire comme Dieu à leur commun fils : Ego hodie genui te ; elle est mulier amicia sole ; elle complète la Trinité et ne la représente pas seulement (ce qui serait déjà fort joli) ; enfin elle a procuré au Père, au Fils et au Saint-Esprit une gloire qu’ils n’avaient pas. (V. Aug, Nicolas, La Vierge Marie, p. 336, 344, 368, 370, 376, édit. 1856.) Ce sont là des imaginations d’un particulier, dira-t-on ; l’Église ne connaît pas cette doctrine impossible. Mais si vraiment, elle la connaît, et de plus elle la consacre. Il y a au Vatican deux tableaux faits par ordre du pape Pie IX, où la Vierge occupe la place de Dieu le Père, qui lui-même avec le Fils est relégué au second rang. (Max Schlesinger, Gazette de Cologne, 2 janvier 1876.)
  333. Tacitus, Germania, VIII.
  334. Qu’il ne faut pas confondre avec la célèbre amante de Périclès. Celle-ci était de Milet, l’autre de Phocée.
  335. Οἰμώζεται μέντοι τούτων ὅς ἄν ἐμοὶ προσαγάγῃ τὰς χεῖρας. (Plut., Artaxerces, XXVI.)
  336. Corssen, Ueber die Spr. der Etrusk., II, p. 520 sqq.
  337. V. Orelli, Inscriptionum latinarum collectio, no 4456 ; cum vixit dea et sanctissima dicta est, lit-on dans l’inscr. no 4647 ; Deæ dominæ Rufiæ, no 4588 ; Deæ sanctæ meæ, no 7348. Cf. l’inscription que donne la Civilla cattolica, 1858, no 192.
  338. V. les analyses d’ouvr. bouddh., par Csoma de Körös, dans le XXe vol. des Asiatic Researches.
  339. Graul, Reise in Ostindien, II, 26.
  340. Mânavadharmaçâstram, III, 56 ; cf. 58. Celui qui tient à connaître la pensée des peuples les plus divers sur la femme trouvera à se satisfaire en parcourant la Polyglotte der Orientalischen Poésie compilée par Jolowicz. Leipzig, 1853.
  341. I Corinth., XI, 9.
  342. Jusqu’à la boucler « à la Bergamasque. » (Rabelais, Pant., III, 35.) Les ceintures de chasteté furent une invention de la catholique Italie. On sait qu’on les inventa à Padoue. Mais dans la « très-chrétienne » France aussi on en usa, et même la tradition ne s’en est pas perdue dans ce pays « chevaleresque. » On lit en effet (le 14 octobre 1875) dans un journal très-répandu le prospectus d’un industriel d’Aveyron annonçant la vente, au prix de 120 fr. et au-dessus, d’appareils « gardiens de la fidélité de la femme, » avec armure et serrure.
  343. Sy will in dem hause syman sein. (Poème du XVIe siècle. V. Bibl. des litter. Vereins in Stuttgart, XIX, no 4, p. 29.)
  344. Tacite, Germ., VIII.
  345. Les buddhistes du Sud (Ceylan) soutiennent das Verwehen des Geistes, le nirvâna de Çâkkya Muni encore aujourd’hui. (Graul, l. l., II, 279.)
  346. D’après le Graecus Venetus, le sens de Jahwéh ne serait autre que ὁ ὀντουργός ou ὁ ὀντωτής.
  347. C’est en France surtout qu’on peut amplement vérifier le mot attribué à Anacréon, que « nos enfants sont nos dieux. »
  348. Mit dem, was anderen Leuten genügt, kann ich nicht fertig werden. (V. J. Scherr, Göthe’s Jugend, p. 18.)
  349. Discours de Jacques de Saroug sur la chute des idoles, dans Zeitsch. der D. M. G., XXIX, p. 130, par l’abbé Martin.
  350. Sapientia, XIV, 18-21.
  351. V. Pausanias, VII, 22, VIII, passim, X, 19 al. ; Athénée, XIV, 614 ; Lactance, II, 2 ; Arnobe, Adv. Gent., XVI ; Clement. Alex., Protrept., IV, 46 ; Eusèbe, Prép. év., III, 8, etc.
  352. Dans l’arbre, l’homme se voyait d’autant mieux lui-même, qu’il croyait être sorti de terre, à l’instar et sous forme d’un arbre, δενδροφυεῖς. (Frag. Pindar., dans Philologus, I, 586. Cf. Æneid., VIII, 131 ; Juvénal, VI, 11. V. encore Simrock, Deutsch. myth., p. 32.) Dans le Bundehesh, les hommes naissent sous la forme de la plante Reiva (Rheum ribes), ch. XV ; dans l’Edda, I, 52, Gylfaginning, IX, ils sortent du frêne et du tremble. Nous avons déjà rappelé que, suivant une légende juive, Ève avait la forme d’un noisetier. (V. Nork, Andeut. eines Syst. der Myth., p. 158.) Enfin, la parole d’Isaïe (XI, 1), que la Vierge, la nouvelle Ève, sortira de la racine de Jessé, a donné lieu au mythe artistique qui représente Marie sortant à mi-corps d’un arbre s’élançant du nombril de la personne qui fait souche. (Voir une peinture dans la chapelle de la Vierge, à Saint-Séverin.) Un chant du moyen âge déjà cité (on nomme comme auteur Heinrich de Loufenberg), dit que Marie est une tige fleurie issue dans le paradis : du blügendes ris entsprungen in dem paradis. (V. Alemannia, II, 227.)
  353. L’auteur fait preuve dans son discours d’une grande élévation d’esprit contre l’amour de l’argent surtout, qui est, dit-il, « une espèce de résurrection pour l’idolâtrie, » et qui « a souillé même les saints. » (Loc. cit., p. 143 sq.)
  354. Galat., IV, 4.
  355. Ecclesiaste, I, 4 sqq., vii, 11.