L’Encyclopédie/1re édition/VERS

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VERS, (Poésie.) un vers est un discours, ou quelque portion d’un discours, dont toutes les syllabes sont réglées, soit pour la quantité qui les rend breves ou longues, soit pour le nombre qui fait qu’il y en a plus ou moins ; quelquefois même elles le sont pour l’un & pour l’autre. Il y a des vers latins dont les syllabes sont réglées pour la quantité & pour le nombre : comme l’asclépiade, l’hendécasyllabe. Il y en a qui ne le sont que pour la quantité seulement, comme pour les héxametres. Les vers françois ne le sont que pour le nombre des syllabes.

On sait que les latins nommerent ainsi le vers, parce qu’il ramene toujours les mêmes nombres, les mêmes mesures, les mêmes piés ; ou si l’on veut, parce, quand on l’a écrit, fût-on au-milieu de la page, on recommence la ligne. Il appellent versus, tout ce qui est mis en ligne ; ce qui par-là faisoit ordre.

Une mesure est une espace qui contient un ou plusieurs tems. L’étendue du tems est d’une fixation arbitraire. Si un tems est l’espace dans lequel on prononce une syllabe longue, un demi-tems sera pour la syllabe breve. De ces tems & de ces demi-tems sont composées les mesures : de ces mesures sont composés les vers, & enfin de ceux-ci sont composés les poëmes. Voyez donc Poeme, & ses différentes especes ; voyez Poésie, Vers (Poësie du) Poete, Versification, &c. car il ne s’agit ici que de la définition des vers en général ; les détails sont réservés à chaque article particulier.

J’ajouterai seulement qu’avant Herodote, l’histoire ne s’écriyoit qu’en vers chez les Grecs. Cet usage étoit très-raisonnable, car le but de l’histoire est de conserver à la postérité le petit nombre de grands hommes qui lui doivent servir d’exemple. On ne s’étoit point encore avisé de donner l’histoire d’une ville en plusieurs volumes in-folio ; on n’écrivoit que ce qui en étoit digne, que ce que les peuples devoient retenir par cœur, & pour aider la mémoire on se servoit de l’harmonie des vers. C’est par cette raison que les premiers philosophes, les législateurs, les fondateurs des religions, & les historiens étoient poetes. (D. J.)

Vers François, (Poësie françoise.) assemblage d’un certain nombre de syllabes qui finissent par des rimes, c’est-à-dire, par un même son à la fin des mots.

C’est seulement par le nombre des syllabes, & non par la qualité des voyelles longues ou breves, qu’on a déterminé les différentes especes de vers françois. Le nombre des syllabes est donc ce qui fait toute la structure de nos vers ; & parce que ce nombre de syllabes n’est pas toujours égal en chaque genre de vers ; cela a donné occasion de nommer nos vers les uns masculins & les autres féminins.

Le vers masculin a une syllabe moins que le féminin, & se termine toujours ou par un e clair, comme beauté, clarté, ou par quelque syllabe que ce soit qui ne finisse point par un e muet.

On nomme vers féminin celui dont la derniere voyelle du dernier mot est un e muet ou obscur, ainsi que l’e de ces mots, ouvrage, prince soit qu’après cet e il y ait une s, comme dans tous les pluriels des noms ouvrages, princes, &c. ou nt, comme en de certains tems des pluriers des verbes aiment, désirent, &c.

L’e obscur ou féminin se perd au singulier quand il est suivi d’un mot qui commence par une voyelle, & alors il est compté pour rien, comme on le peut remarquer deux fois dans le vers qui suit.

Le sexe aime à jouir d’un peu de liberté,
On le retient fort mal avec l’austérité.

Moliere.

Mais il arrive autrement lorsqu’il est suivi d’une consonne, ou qu’il y a une s ou nt à la fin, alors il ne se mange & ne se perd jamais, en quelque rencontre que ce soit.

Son teint est composé de roses & de lis . . .
Ils percent à grands coups leurs cruels ennemis.

Racan.


Il faut encore remarquer que le nombre des syllabes se prend aussi par rapport à la prononciation, & non à l’ortographe ; de cette maniere le vers suivant n’a que douze syllabes pour l’oreille, quoiqu’il en offre aux yeux dix-neuf.

Cache une ame agitée, aime, ose, espere & crains.

Quoiqu’on prétende communément que notre poesie n’adopte que cinq especes différentes de vers, ceux de six, de sept, de huit, & de dix syllabes appellés vers communs, & ceux de douze qu’on nomme aléxandrins ; cette division n’est pas néanmoins trop juste, car on peut faire des vers depuis trois syllabes jusqu’à douze ; il est vrai que les vers qui ont moins de cinq syllabes, loin de plaire, ennuient par leur monotomie ; par exemple, ceux-ci de M. de Chaulieu ne sont pas supportables.

Grand Nevers,
Si les vers
Découloient,
Jaillissaient,
De mon fonds,
Comme ils font
De ton chef ;
De rechef,
J’aurois jà
De pié çà
Répondu, &c.

Les vers de cinq syllabes ne sont pas dans ce cas, & peuvent avoir lieu dans les contes, les fables, & autres petites pieces où il s’agit de peindre des choses agréables avec rapidité. On peut citer pour exemple les deux strophes suivantes tirées d’une épitre moderne assez connue.

Telle est des saisons
La marche éternelle ;
Des fleurs, des moissons,
Des fruits, des glaçons,
Le tribut fidele,
Qui se renouvelle
Avec nos desirs,
En changeant nos plaines,
Fait tantôt nos peines,
Tantôt nos plaisirs.

Cédant nos campagnes
Aux tyrans des airs,
Flore & ses compagnes
Ont fait ces désires ;
Si quelqu’une y reste,
Son sein outragé,
Gémit ombragé
D’un voile funeste ;
Et la nymphe en pleurs
Doit être modeste
Jusqu’au tems des fleurs.

Les vers de six syllabes servoient autrefois à des odes, mais aujourd’hui on les emploie volontiers dans les petites pieces de poësie & dans les chansons.

Cher ami, ta fureur
Contre ton procureur
Injustement s’allume ;
Cesse d’en mal parler ;
Tout ce qui porte plume,
Fut créé pour voler.

Les vers de sept syllabes ont de l’harmonie, ils sont propres à exprimer les choses très-vivement ; c’est pourquoi ils servent à composer de fort belles odes, des sonnets, & plus ordinairement des épîtres, des contes & des épigrammes.

Matelot, quand je te dis
Que tu ne mets en lumiere
Que des livres mal écrits,
Qu’on envoye à la beurriere,
Tu t’emportes contre moi ;
Et même avec insolence ?
Ah, mon pauvre ami, je voi
Que la vérité l’offense !


Benserade a fait une fable en quatre vers de cette mesure.

Le serpent rongeoit la lime ;

Elle disoit cependant :
Quelle fureur vous anime,
Vous qui passez pour prudent ?

Les vers de huit syllabes, aussi-bien que ceux de douze, sont les plus anciens vers françois, & ils sont encore fort en usage. On les emploie ordinairement dans les odes, dans les épîtres, les épigrammes, mais rarement dans les balades & les sonnets.

Ami, je vois beaucoup de bien
Dans le parti qu’on me propose ;
Mais toutefois ne pressons rien.
Prendre femme est étrange chose :
Il y faut penser mûrement.
Sages gens en qui je me fie,
M’ont dit que c’est fait prudemment
Que d’y songer toute sa vie.

Maucroix.

On se sert d’ordinaire des vers communs, ou de dix syllabes dans les épîtres, les balades, les rondeaux, les contes, & rarement dans les poëmes, les odes, les élégies, les sonnets & les épigrammes. Le repos de ces vers est à la quatrieme syllabe quand elle est masculine ; sinon il se fait à la cinquieme, qui doit être toujours un e muet au singulier, pour se perdre avec une voyelle suivante ; mais il n’importe que le repos de ces vers, ni des vers alexandrins finisse le sens ; il faut seulement que si le sens va au-delà, il continue sans interruption jusqu’à la fin du vers.

Tel d’un Séneque … affecte la grimace,
Qui feroit bien … le Scaron à ma place.

Scaron.

Les vers que nous appellons alexandrins sont nos plus grands vers ; ils ont douze syllabes étant masculins, & treize étant féminins, avec un repos au milieu, c’est-à-dire, après les six premieres syllabes. Ce repos doit être nécessairement la fin d’un mot, ou un monosyllabe sur lequel l’oreille puisse agréablement s’arrêter. Il faut de plus qu’il se fasse sur la sixieme syllabe quand elle est masculine, ou sur la septieme quand elle est féminine ; mais alors cette septieme peut être d’un e muet au singulier, pour se perdre avec une voyelle suivante. Ex.

Au diable soit le sexe … il damne tout le monde. Mol.

Un poëte à la cour … fut jadis à la mode.
Mais des fous aujourd’hui … c’est le plus incommode.

Despreaux.

On compose les fables de toutes sortes de vers, & la Fontaine l’a bien prouvé.

Pour ce qui regarde les chansons, comme c’est l’usage de mettre une rime à toutes les cadences sensibles d’un air, on est obligé d’y employer des tronçons de vers qui ne sont point sujets à l’exactitude des regles ; néanmoins on observe aujourd’hui de n’y point mettre de vers de neuf ni d’onze syllabes, s’il faut nommer cela des vers. On aime mieux employer de petits bouts rimés lorsqu’ils ont quelque grace.

Finissons par une remarque générale de l’abbé du Bos sur les vers françois. Je conviens, dit-il, qu’ils sont susceptibles de beaucoup de cadence & d’harmonie. On n’en peut guere trouver davantage dans les vers de nos poëtes modernes, que Malherbe en a mis dans les siens ; mais les vers latins sont en ce genre infiniment supérieurs aux vers françois. Une preuve sans contestation de leur supériorité, c’est qu’ils touchent plus, c’est qu’ils affectent plus que les vers françois, ceux des François qui savent la langue latine. Cependant l’impression que les expressions d’une langue étrangere font sur nous, est bien plus foible que l’impression que font sur nous les expressions de notre langue naturelle. Dès que les vers latins font plus d’impression sur nous que les vers françois, il s’ensuit que les vers latins sont plus parfaits & plus capables de plaire que les vers françois. Les vers latins n’ont pas naturellement le même pouvoir sur une oreille françoise qu’ils avoient sur une oreille latine ; & ils ont plus de pouvoir que les vers françois n’en ont sur une oreille françoise. (D. J.)

Vers blancs, noms que les Anglois donnent aux vers non-rimés, mais pourtant composés d’un nombre déterminé de syllabes que quelques-uns de leurs poëtes ont mis à la mode ; tels sont ceux-ci de Milton dans le Paradis perdu, liv. I.

… Round he throws his baleful yes
That witness’d huge affliction and dismay,
Mix’d with obdurate pridé, and stedfast hate,
At once, as far as angels ken, he views
The dismal situation waste and wild, &c.

où l’on voit que les finales n’ont aucun rapport de consonnance entr’elles. Les Italiens ont aussi des vers blancs, & M. de la Mothe avoit tenté de les introduire dans la poésie françoise, & d’en bannir la rime, qui s’est maintenue en possession de nos vers.

Vers enjambé. (Poésie françoise) vers dont le sens n’est point achevé, & ne finit qu’au milieu ou au commencement de l’autre ; c’est en général un défaut dans la poésie françoise, parce qu’on est obligé de s’arrêter sensiblement à la fin du vers pour faire sentir la rime, & qu’il faut que la pause du sens & celle de la rime concourrent ensemble. Pour cet effet, notre poésie veut qu’on termine le sens sur un mot qui serve de rime, afin de satisfaire l’esprit & l’oreille ; on trouve cependant quelquefois des exemples de vers enjambés dans les pieces dramatiques de nos plus grands poëtes ; mais l’enjambement se permet dans les fables, & y peut être agréablement placé.

Quelqu’un fit mettre au cou de son chien qui mordoit
Un bâton en travers : — lui se persuadoit
Qu’on l’en estimoit plus, — quand un chien vieux & grave,
Lui dit : on mord en traître aussi souvent qu’en brave.

La Fontaine en fournit aussi cent exemples qui plaisent, & entr’autres celui-ci :

Un astrologue un jour se laissa cheoir
Au fond d’un puits. On lui dit : pauvre bête,
Tandis qu’à peine à tes piés tu peux voir,
Penses-tu lire au-dessus de ta tête ?

Quoique ce soit une faute en général de terminer au milieu du vers le sens qui a commencé dans le vers précédent, il y a des exceptions à cette regle qui ne partent que du génie ; c’est ainsi que Despreaux fait dire à celui qui l’invite à dîner, Sat. 3.

N’y manquez pas du moins, j’ai quatorze bouteilles
D’un vin vieux …… Boucingo n’en a point de pareilles.

La poésie dramatique permet que la passion suspende l’hémistiche, comme quand Cléopatre dit dans Rodogune.

Où seule & sans appui contre mes attentats,
Je verrois …… mais, seigneur, vous ne m’écoutez pas.

L’exception a encore lieu dans le dialogue dramatique, lorsque celui qui parloit est coupé par quelqu’un, comme dans la même tragédie de Rodogune, elle dit à Antiochus, act. IV. sc. 1.

Est-ce un frere ! Est-ce vous dont la témérité
S’imagine ……

Antiochus.
Appaisez ce courroux emporté.

Quand le dialogue est sur la scène, chaque récit doit finir avec un vers entier, à moins qu’il n’y ait occasion de couper celui qui parle, ou que le tronçon de vers, par où l’on finit, ne comprenne un sens entier & séparé par un point de tout ce qui a précédé. Ainsi dans la scène III. du quatrieme acte d’Andromaque, Oreste acheve un récit de cette sorte :

De Troie en ce pays réveillons les miseres,
Et qu’on parle de nous, ainsi que de nos pères.
Partons, je suis tout prêt.

Cet hémistiche ne tient à rien ; & Hermione finissant, sa réponse est interrompue avant la fin du vers.

Courez au temple, il faut immoler. . . . .
Oreste.
Courez au temple, il faut immolerQui ?
Hermione.
Courez au temple, il faut immoler Qui ?Pyrrhus.

Tout cela non-seulement est dans les regles, mais c’est un dialogue plein de beautés. (D. J.)

Vers gliconique, (Poésie lat.) vers latin de trois mesures précises, & qui est composé d’un spondée, & de deux dactiles.

Dūlce ēst dēsĭpĕre īn lŏcŏ. (D. J.)

Vers pentamètre, (Poésie.) voyez Pentamêtre, Elégiaque, Elégie, &c.

C’est assez de remarquer en passant que les anciens ignoroient eux-mêmes qui a été le premier auteur du vers pentametre, ensorte qu’il n’est pas à présumer qu’on ait aujourd’hui plus de lumieres sur cette question qu’on en avoit du tems d’Horace ; tout ce qu’on en a dit depuis, n’a d’autre fondement que des passages d’auteurs mal-entendus : c’est ainsi qu’on cite Terentianus Maurus, comme en attribuant la gloire à Callinus, au-lieu que cet auteur rapporte seulement l’opinion de quelques grammairiens qui déféroient à ce poëte d’Ephèse, l’honneur de l’invention du vers pentametre. Il est certain que cette invention est fort ancienne, puisque Mimnerme lui donna la perfection, & que pour l’avoir rendu plus doux & plus harmonieux, il mérita le surnom de Ligystade. Le savant Shuckford fait remonter si haut l’invention du vers pentametre ou élégiaque, qu’il la découvre chez les Hébreux ; & sans persuader sa chimere à personne, il justifie à tout le monde qu’il a beaucoup de connoissance de la langue hébraïque. (D. J.)

Vers politique, (Littér.) espece de vers grec du moyen âge.

Les savans ne sont point d’accord sur la nature des vers nommés politiques : la plûpart estiment que ce sont des vers qui approchent fort de la prose, dans lesquels la quantité n’est point observée, & où l’on n’a égard qu’au nombre des syllabes & aux accens. Ils sont de quinze syllabes, dont la 9e commence un nouveau mot, & la 14e doit être accentuée ; tels sont les chiliades de Tzetzès, grammairien grec du 12e siecle. Vigneul Marville parlant de cette espece de vers, adopte le sentiment de Lambécius. « Il prétend qu’il faut entendre par versus politici les vers ou les chansons qui se chantoient par les rues. Policitos vocatos arbitror, quod vulgo Constantinopoli per compita canerentur πόλιν enim κατ’ ἐξοχὴν, & sermonis contractionem Constantinopolim appellant, meretrices publicæ à Græcis recentioribus politicæ vocantur ». (D. J.)

Vers saphique, (Poés. grecq. & latine.) espece de vers inventé par Sapho, & qui prit faveur chez les Grecs & les Latins ; le vers saphique est de onze syllabes ou de cinq piés, dont le premier, le quatrieme & le cinquieme sont trochées ; le second est un spondée, & le troisieme un dactyle. On met ordinairement trois vers de cette nature dans chaque strophe qu’on termine par un vers adonique, composé d’un dactyle & d’un spondée. (D. J.)

Vers serpentins. (Belles-lettres.) Ce sont des vers qui commencent & finissent par le même mot, comme

Ambo storentes ætatibus, arcades ambo.

Vers tautogrammes. (Poésie.) On nomme ainsi ces vers dont tous les mots commencent par la même lettre. Nous ne comprenons pas aujourd’hui que cette barbarie du goût ait pu plaire à personne. (D. J.)

Vers coupés. (Poésie.) On appelle ainsi de petits vers françois de quatre & six syllabes qui riment au milieu du vers, & le plus souvent contiennent le contraire de ce qui est exprimé dans le vers entier. En voici deux exemples tirés des bigarrures du sieur des Accords.

Premier exemple.
Je ne veux plus ——— La messe fréquenter,
Pour mon repos ——— C’est chose très-louable :
Des Huguenots ——— Les préches écouter
Suivre l’abus ——— C’est chose misérable, &c.
Second exemple.
Je n’ai aimé onc ——— Anne ton acquaintance ;
A te déplaire ——— Je guiers incessamment
Je ne veux onc ——— A toi prendre alliance,
Ennui te faire ——— Est tout mon pensement.

J’ai vu quantité de strophes en vers coupés contre les Jésuites ; mais cet ouvrage, ennemi de la satyre, recuse de pareilles citations ; d’ailleurs ces sortes de jeux de mots sont d’un bien mauvais goût. (D. J.)

Vers lettrisé, (Poésie.) on nomme vers lettrisés, ceux dont tous les mots commencent par la même lettre. Les auteurs grecs & latins les ont appellés paranœmes, de παρὰ ὁμοίου, id est juxta similis, c’est-à-dire, auprès & semblable : en voici des exemples.

Maxima multa minax minitatur maxima muris.
At tuba terribili tonitru taratantara transit
O Tite, tute tati tibi tanta tyranne tulisti.

Un allemand nommé Petrus Porcius, autrement Perrus Placentius, a fait un petit poëme, dans lequel il décrit Pugnam porcorum, en 350 vers, qui commencent tous par un P. Un autre allemand, nommé Christianus Pierius, a publié un poëme sacré intitulé, Christus crucifixus, d’environ mille vers, dont tous les mots commencent par C.

Currite castalides, Christo comitante, camenæ,
Concelebraturæ cunctorum carmine certum
Consugium collapsorum, concurrite, cantus.

Je ne sache que les begues qui puissent tirer quelque profit de la lecture à haute voix de pareils ouvrages. (D. J.)

Vers de passages, (Poésie.) on nomme ainsi des vers foibles dans une strophe : il y en a beaucoup dans les odes de Malherbe. On n’exigeoit pas encore de son tems, que les poésies fussent toujours composées, pour ainsi dire, de beautés contiguës : quelques endroits brillans suffisoient pour faire admirer toute une piece. On excusoit la foiblesse des autres vers, qu’on regardoit seulement comme étant faits pour servir de liaison aux premiers ; & on les appelloit, ainsi que nous l’apprenons des mémoires de l’abbé de Marolles, des vers de passages.

Il est des strophes dans les œuvres de Desportes & de Bertaut, comparables à tout ce qui peut avoir été fait de meilleur depuis Corneille ; mais ceux qui entreprennent la lecture entiere des ouvrages de ces deux poëtes sur la foi de quelques fragmens qu’ils ont entendu réciter, l’abandonnent bien-tôt. Les livres dont je parle, sont semblables à ces chaînes de montagnes, où il faut traverser bien des pays sauvages pour trouver une gorge riante. (D. J.)

Vers rhopaliques, (Poésie.) rhopalique vient de ῥόπαλον, une massue ; on donne ce nom à des vers qui commencent par un mot monosyllabe, & continue graduellement par des mots toujours plus grands les uns que les autres, jusqu’au dernier qui est le plus grand de tous, de même qu’une massue commence par une queue assez foible, & va en augmentant jusqu’à la tête qui est le plus gros bout. Ce n’est que par hasard qu’on trouve dans les Poëtes quelques exemples de vers rhopaliques ; on cite seulement ce vers d’Homere, & le suivant qui est latin.

Ὦ μάκαρ Ἀτρεΐδη μοιρηγενὲς ὀλβιόδαιμον.
Spes Deus æterne est stationis conciliator.

(D. J.)

Vers, Poésie du, (Art poëtique.) la poésie du vers est la couleur, le ton, la teinte, qui constituent la différence essentielle du vers d’avec la poésie.

On voit des vers qui ont la mesure & le nombre des piés, qui ont les figures & les tours poétiques, outre cela de la noblesse, de la force, de la grace, de l’élévation, & qui cependant n’ont point ce goût, cette saveur qu’on trouve dans ce qui est réellement vers. Nous le sentons sur tout dans la poésie françoise, dont nous sommes plus en état de juger que de toute autre. Qu’on attache des rimes & la mesure à la prose toute poétique de Télémaque, on n’a point pour cela des vers : on sent le ton prosaïque qui perce à-travers les atours de la Poésie. Il y a plus : un vers de Moliere est vers chez lui, & il sera prose dans Corneille ; celui de Corneille sera vers dans le dramatique, & cessera de l’être dans l’épique.

Ce n’est point l’inversion qui constitue l’essence du vers, comme le prétend le pere du Cerceau ; car si cela étoit, de trente vers de nos meilleurs poëtes, il s’en trouveroit à peine cinq qui eussent ce caractere prétendu essentiel. L’inversion n’est qu’un sel du style poétique, qui doit être jetté avec discrétion de tems-en-tems pour soutenir l’attention de l’esprit, & prévenir le dégoût. Disons donc qu’un vers est poétique, quand l’expression mesurée a une élévation, une force, un agrément dans les mots, les tours, les nombres, qu’on ne trouve point dans le même genre lorsqu’il est traité en prose ; en un mot, quand elle montre la nature annoblie, enrichie, parée, élevée au-dessus d’elle-même.

La prose a des mots, des tours, de l’harmonie ; la poésie du vers a tout cela, mais elle l’a dans un degré beaucoup plus parfait, toutes les fois qu’elle le peut. Dans la langue grecque, elle se fabriquoit à elle-même des mots nouveaux : elle changeoit, transformoit, étendoit, resserroit à son gré les mots d’usage : elle alloit jusqu’à dire, « les mortels parlent ainsi ; mais voici comme disent les dieux ». Chez les Latins, elle oublie l’ordre & la marche de la prose ; elle emprunte des tours étrangers ; elle fait un composé singulier des choses qui sont communes, afin de s’élever au-dessus du ton vulgaire. Dans l’une & dans l’autre langue, elle se forge des chaînes, au milieu desquelles elle fait gloire de conserver tant d’aisance & de liberté, qu’on y reconnoît plutôt la puissance d’une divinité que les efforts de quelque mortel.

Enfin, c’est pour s’élever à cette sphere qui est au-dessus de l’humanité, que dans la langue françoise, elle s’est assujettie à des symmétries, des consonnances concertées entre l’esprit & l’oreille, qu’elle employe des mots qui ne sont qu’à elle seule, qu’elle brusque les constructions, &c. Cours de Belles-Lettres. (D. J.)

Vers, envers, (Gramm. franç.) vers est pour le lieu, versùs ; envers, pour les personnes, ergà ; vers Paris, envers Dieu. On dit se tourner vers Dieu, pour dire, avoir son recours à lui : on dit aussi, envoyer un ambassadeur vers quelqu’un.

Quand est pronom relatif, il est mal de le joindre à vers, comme le lieu vers où il alloit, il faut dire vers lequel il alloit. (D. J.)