L’Encyclopédie/1re édition/VERRUE

VERRUE, (Chirurg.) par le vulgaire poireau, en latin verruca.

Les verrues sont de petites excroissances ou tubercules brunâtres qui viennent sur plusieurs parties du corps, mais plus ordinairement sur le visage & sur les mains.

Elle varient pour la forme & pour la grosseur. Les unes sont grosses & plates, d’autres menues, d’autres ressemblant à une poire pendante par la queue. On ne les extirpe pas pour la douleur ou le danger, mais pour la difformité qu’elles causent, sur-tout lorsqu’elles sont placées sur des endroits visibles, comme le visage, le cou ou les mains de femmes belles d’ailleurs. Quoiqu’on cite une infinité de remedes, les uns sympathiques, d’autres purement superstitieux & frivoles, dont on vante l’efficacité ; il n’y a rien de plus sur ni de plus prompt que la main du chirurgien. Voici les principales méthodes qu’il emploie.

Celle qui mérite le premier rang est la ligature : on la pratique pour les verrues qui sont menues du côté de la racine, & en quelque maniere pendantes ; on passe autour de la verrue un crin de cheval, ou un fil de soie ou de chanvre qu’on serre bien fort. La verrue privée par le retrécissement de ses vaisseaux, des sucs qui la nourrissoient, se desseche & tombe.

Un autre moyen est d’employer un instrument de chirurgie, embrassant la verrue avec un crochet ou une pince, & de la séparer ensuite bien adroitement avec des ciseaux ; on applique après cela pendant quelques jours la pierre infernale, ou quelques autres remedes corrosifs ; afin que s’il restoit une portion de la racine qui pût pousser un nouveau tubercule, elle se trouve détruite.

Si les verrues sont d’une grosseur extraordinaire, il faut avoir recours aux corrosifs ; & afin que ces remedes puissent bientôt consumer la partie saillante, on commence par couper la sommité dure du tubercule avec un rasoir, ou une paire de bons ciseaux ; cela fait, on applique de tems en tems sur la plaie de l’huile de tartre par défaillance, ou quelque esprit acide, dont le plus doux est l’esprit de sel. Si l’on ne réussit pas, on substituera des remedes plus forts, par exemple, de l’esprit ou de l’huile de vitriol, de l’eau-forte ou du beurre d’antimoine.

Pour les verrues tendres & molettes, on vient quelquefois à bout de les emporter simplement, en les frottant souvent avec le suc jaune de la grande chélidoine ou le lait d’ésule.

Mais il faut apporter bien de la précaution dans l’usage des corrosifs autour des paupieres ou des yeux, de crainte qu’il n’en entre dans l’œil, & que la vue n’en soit éteinte. Il faut aussi avoir attention que les parties adjacentes au tubercule ne soient point endommagées par le corrosif. Pour cet effet, il convient d’environner la verrue d’un anneau ciré ou d’une emplâtre perforée dont la verrue sorte, au moyen de quoi on la pourra cautériser sans risque pour les parties circonvoisines. On peut appliquer le corrosif plusieurs fois par jour. On détruira par la même méthode les autres tubercules, & toutes les difformités cutanées de même espece.

La quatrieme façon d’extirper les verrues est d’y appliquer un fer rouge de la largeur du tubercule, de maniere qu’il pénetre jusqu’au fond de la racine. Il est vrai qu’il n’y a point de méthode plus violente ; mais il faut avouer aussi que, si la douleur est aiguë, c’est l’affaire d’un moment. On applique sur l’endroit cautérisé du basilicon ou de l’onguent digestif, & par-dessus une emplâtre refrigérative, comme, par exemple, l’emplâtre de frai de grenouille. On ne sauroit exprimer combien cette méthode est efficace en ce que ces excroissances détruites ne reviennent jamais.

Il y a une cinquieme méthode qui est seulement particuliere aux empiriques, c’est de frotter d’abord & d’échauffer le tubercule avec quelque onguent émollient, puis de l’arracher & de l’emporter de vive force avec le pouce & l’index. Mais outre que cette méthode est fort douloureuse, elle est fort souvent inutile, la verrue repoussant ordinairement de sa racine qui n’a pas été exactement arrachée.

Enfin nous ne devons pas manquer d’observer qu’il se voit quelquefois, sur-tout au visage, aux levres, & près des yeux une espece de verrues livides ou bleuâtres, qui semblent tendre à un carcinome ou à un cancer ; il faut laisser ces sortes de verrues telles qu’elles sont, plutôt que d’en tenter l’extirpation ; car dès qu’elles ont été irritées par la main du chirurgien, elles dégénerent en carcinome, & font enfin périr le patient d’une maniere déplorable. Heister. (D. J.)

Verrue des paupieres, (Méd. Chirurg.) maladie des paupieres. Voici ce qu’en dit Maître-Jean, le meilleur auteur à consulter.

On sait que les verrues sont des prolongations des fibres nerveuses, & des vaisseaux qui rampent sous l’épiderme ; ces prolongations forment de petites excroissances ou de petites tumeurs qui s’élevent au-dessus de la peau, & qui attaquent les paupieres, comme beaucoup d’autres parties du corps. Elles naissent ou sur leur superficie extérieure ou sur l’intérieure, ou sur leur bord ; de-là les différentes especes de verrues des paupieres, sur lesquelles nous allons entrer dans quelque détail.

La verrue des paupieres qui a la base ou racine grêle & longue, & une tête plus large & de médiocre grandeur, appellée par les Grecs acrochordon, vient plus souvent sur la superficie extérieure ou au bord des paupieres. C’est la premiere espece de verrue pendante, nommée par les Latins verruca pensilis.

Celle qui est appellée thymale (thymus) à cause qu’elle ressemble en figure & en couleur à la tête du vrai thym blanc de Candie ou verrue porale, pour sa ressemblance à la tête d’un porreau, seconde espece de verrue pendante, est une petite éminence charnue pareillement étroite, mais plus courte par le bas & large par le haut, âpre, inégale ou crevassée par-dessus, couleur blanchâtre ou rougeâtre, & sans douleur quand elle est benigne ; quand elle est maligne, cette éminence est plus grande, plus dure, plus âpre, de couleur livide, sanieuse, douloureuse lorsqu’on la touche ou qu’on y applique des remedes. Elle se forme plutôt en la partie intérieure des paupieres, & quelquefois aussi en l’extérieure. Quand cette verrue est petite, elle retient le nom de thymale ; & quand elle est fort grande, on l’appelle un fic, ficus en latin, συκότις en grec, à cause de sa ressemblance à une figue.

Celle qui a la base large, nommée par les Latins verruca sessilis, qu’on peut appeller fourmilliere, du mot grec myrmecia, & du latin formica, parce que par le grand froid elle cause des douleurs qui imitent le picotement des fourmis, est une éminence de la peau peu élevée, ayant la base large & qui diminue vers le haut ; cette verrue est caleuse, quelquefois noire, & le plus souvent rougeâtre ou blanchâtre ; elle a plusieurs petites éminences semblables aux grains d’une mûre, d’où vient qu’on l’appelle aussi meurale ou morale. Elle vient assez ordinairement à la partie intérieure des paupieres. Voilà les trois especes de verrues qui arrivent le plus communément dans ces parties. Je n’ai rapporté leurs différens noms, qu’afin qu’on les puisse connoître dans les auteurs.

Les verrues extérieures sont plus seches, plus fermes, moins sujettes à saigner, quoique crevassées, & souvent elles sont presque de la couleur de la peau, particulierement quand elles ne sont pas chancreuses ; quand elles attaquent la superficie intérieure des paupieres, elles sont humides, molasses, sujettes à saigner au moindre attouchement ; quelquefois purulentes, à cause qu’elles s’échauffent & s’ulcerent aisément par l’humidité du lieu & le frottement fréquent des paupieres ; leur grosseur le plus souvent n’excede pas celle d’un pois, & leur couleur est ordinairement d’un rouge blanchâtre.

Les verrues pendantes ont des vaisseaux à leur base qui les abreuvent, & qui sont si considérables, eu égard à leur peu de volume, que lorsqu’on les extirpe, il en sort du sang assez abondamment. Quelquefois elles tombent, se dissipent & se guérissent d’elles-mêmes, particulierement celles qui viennent en la partie intérieure des paupieres, & qui renaissent assez souvent ; quelquefois même les unes & les autres s’enflamment, s’abscedent ou s’ulcerent ; & quelquefois aussi, après être tombées, abscédées ou ulcérées, leur racine restante se grossit insensiblement & se convertit en une tumeur skirrheuse.

La premiere espece, quand on l’extirpe, ne laisse aucune racine, & par conséquent ne revient point ; mais la seconde espece, à cause d’une petite racine ronde & quelquefois filamenteuse qui reste enfoncée dans la chair, est sujette à germer de nouveau, à-moins qu’on ne consomme cette petite racine.

Les verrues à base large rarement guérissent, si on ne les panse, & même souvent on ne les peut dissiper ; & quand leur base est fort large, on ne les peut couper sans qu’il y reste un ulcere, dont les suites seroient fâcheuses : c’est pourquoi on ne coupe que celles dont la base n’a pas plus d’étendue que leur corps.

Les verrues malignes & chancreuses ne guérissent point par les remedes, & il est très-rare qu’elles guérissent par l’opération quand leurs racines sont grosses & dures, & qu’elles rampent en plusieurs endroits de la paupiere, à-moins qu’on n’emporte la piece qui les contient, encore cette opération est fort suspecte.

On dissipe ou emporte les verrues des paupieres par les remedes ou par l’opération. Les remedes ne conviennent qu’aux verrues de leur superficie extérieure, l’œil ne pouvant souffrir de tels remedes, si on vouloit s’en servir pour les verrues intérieures ; & l’opération convient également aux extérieures & aux intérieures.

Les remedes dissipent & emportent les verrues en desséchant & absorbant l’humeur qui les nourrit, ce qui fait qu’elles s’attrophient ensuite & s’évanouissent. De ces remedes, les uns agissent si lentement, qu’à peine s’apperçoit-on de leurs effets ; les remedes lents sont le suc laiteux de pissenlit, le suc de chicorée verrucaire, de geranium robertianum, de pourpier, de millefeuille, &c. mais les autres remedes agissent plus puissamment, comme le suc de racines de grande chélidoine, la poudre de sabine, &c. Il faut préférer ces derniers, &, pour s’en servir, on doit incorporer la poudre de sabine avec un peu de miel, pour en oindre les verrues trois ou quatre fois par jour, ou les oindre de même du suc de chélidoine jusqu’à ce qu’elles disparoissent. Mais on les détruit plus promptement par les remedes caustiques, je veux dire en les touchant légerement avec l’eau forte, l’esprit-de-vitriol, l’eau de sublimé, ou bien on peut employer la liqueur suivante.

Prenez du verdet, de l’alun & du sel commun, une dragme de chacun, du vitriol romain & du sublimé corrosif, de chacun une demi-dragme ; pilez ces choses, & les faites bouillir dans quatre onces d’eau de pluie ; filtrez la liqueur, & la conservez dans une phiole pour vous en servir comme dessus : prenez bien garde qu’il n’entre d’aucun de ces remedes dans l’œil.

L’opération qui est le plus sûr moyen & le plus prompt pour emporter les verrues considérables des paupieres, soit extérieures ou intérieures, se fait en deux manieres, ou en les liant ou en les coupant. La ligature convient aux deux especes de verrues pendantes, quand elles sont en-dehors des paupieres ou à leurs extrémités : on les lie d’un nœud de chirurgien le plus près de la peau qu’on peut, avec un fil de soie ou de lin ; ce nœud se fait en passant deux fois l’extrémité du fil par l’anneau qu’on forme d’abord, & par ce moyen on le serre quand on veut, de jour à autre, jusqu’à ce que la verrue soit tombée. S’il reste quelque petite racine, on la consomme en la touchant avec quelques-unes des eaux caustiques susdites, pour empêcher qu’elle ne repullule ; ensuite on desseche l’ulcere restant ou avec l’onguent de tuthie, ou quelque collyre dessicatif.

La ligature ne se pratique point pour les intérieures, parce que le fil seroit un corps étranger qui incommoderoit trop l’œil ; ainsi on les coupe. Pour le faire, on prend avec le pouce & le doigt indice de la main gauche le bord de la paupiere, on la renverse, & avec des ciseaux qu’on tient de l’autre main, on coupe les verrues tout près de la peau, soit qu’elles soient à base large ou à base étroite ; on laisse ensuite abaisser la paupiere, & le sang s’arrête presque toujours de lui-même ; s’il tardoit à s’arrêter, on feroit couler dans l’œil quelques gouttes d’un collyre fait avec quinze grains de vitriol blanc, & un scrupule de bol de levant lavé, dissout dans deux onces d’eau de plantain, rendue fort mucilagineuse par l’infusion de la gomme arabique ou tragacanth. On desseche enfin l’ulcere avec un collyre dessicatif.

On coupe aussi les verrues extérieures des paupieres & celles qui pendent à leurs bords de la même maniere que les intérieures ; & pour le faire plus sûrement, on étend avec deux doigts la paupiere, & on les tranche avec la pointe des ciseaux ; si le sang ne s’arrête pas, on se sert d’une poudre faite avec une partie de vitriol romain calciné, deux parties de gomme arabique, & trois parties de bol de levant ; on en met un peu sur un plumaceau qu’on applique sur la plaie, & que l’on contient avec les doigts jusqu’à ce que le sang soit arrêté. On applique ensuite dessus un petit emplâtre de diapalme, une compresse, & le bandage ordinaire qui finissent la cure. (D. J.)

Verrue, (Conchyl.) terme à-peu-près synonyme à bosse ou tubercule ; il faut seulement remarquer que les verrues sont des tubérosités plus inégales, plus poreuses & plus petites. (D. J.)

Verrue, (Jardinage.) est une espece de boutons qui vient sur l’écorce des arbres ; c’est une excroissances de matiere, une abondance de la seve qui se porte plus sur une branche que sur une autre.