L’Encyclopédie/1re édition/SYSTEME

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SYSTEME, s. m. (Métaphysique.) système n’est autre chose que la disposition des différentes parties d’un art ou d’une science dans un état où elles se soutiennent toutes mutuellement, & où les dernieres s’expliquent par les premieres. Celles qui rendent raison des autres s’appellent principes, & le système est d’autant plus parfait, que les principes sont en plus petit nombre : il est même à souhaiter qu’on les réduise à un seul. Car de même que dans une horloge il y a un principal ressort duquel tous les autres dépendent, il y a aussi dans tous les systèmes un premier principe auquel sont subordonnées les différentes parties qui le composent.

On peut remarquer dans les ouvrages des philosophes trois sortes de principes, d’où se forment trois sortes de systèmes. Les uns sont des maximes générales ou abstraites. On exige qu’ils soient si évidens ou si bien démontrés, qu’on ne les puisse révoquer en doute. La vertu que les philosophes leur attribuent est si grande, qu’il étoit naturel qu’on travaillât à les multiplier. Les métaphysiciens se sont en cela distingués. Descartes, Mallebranche, Leibnitz, &c. chacun à l’envi nous en a prodigué ; & nous ne devons plus nous en prendre qu’à nous-mêmes, si nous ne pénétrons pas les choses les plus cachées. Les principes de la seconde espece sont des suppositions qu’on imagine pour expliquer les choses dont on ne sauroit d’ailleurs rendre raison. Si les suppositions ne paroissent pas impossibles, & si elles fournissent quelque explication des phénomenes connus, les philosophes ne doutent pas qu’ils n’aient découvert les vrais ressorts de la nature. Une supposition qui donne des dénouemens heureux, ne leur paroît pas pouvoir être fausse. De-là cette opinion que l’explication des phénomenes prouve la vérité d’une supposition, & qu’on ne doit pas tant juger d’un système par ses principes, que par la maniere dont il rend raison des choses. C’est l’insuffisance des maximes abstraites qui a obligé d’avoir recours à ces sortes de suppositions. Les métaphysiciens ont été aussi inventifs dans cette seconde espece de principes que dans la premiere. Les troisiemes principes sont des faits que l’expérience a recueillis, qu’elle a consultés & constatés. C’est sur les principes de cette derniere espece que sont fondés les vrais systèmes, ceux qui mériteroient seuls d’en porter le nom. Conséquemment à cela, j’appellerai systèmes abstraits ceux qui ne portent que sur des systèmes abstraits ; hypotheses, ceux qui n’ont que des suppositions pour fondement ; & vrais systèmes, ceux qui ne s’appuyent que sur des faits bien prouvés.

M. l’abbé de Condillac, dans son traité des systèmes, s’est appliqué sur-tout à décrire tous les systèmes abstraits. Selon lui, il y a trois sortes de principes abstraits en usage. Les premiers sont des propositions générales exactement vraies dans tous les cas. Les seconds sont des propositions vraies par les côtés les plus frappans ; & que pour cela on est porté à supposer vraies à tous égards. Les derniers sont des rapports vagues qu’on imagine entre des choses de différente nature. Les premiers ne conduisent à rien. Qu’un géometre, par exemple, médite tant qu’il voudra ces maximes, le tout est égal à toutes ses parties ; à des grandeurs égales, ajoutez des grandeurs égales, les tous seront égaux ; ajoutez-en d’inégales, ils seront inégaux : aura-t-il là de quoi devenir un profond géometre ? S’il n’est donné à aucun homme de devenir, après quelques heures de méditation, un Condé, un Turenne, un Richelieu, un Colbert ; quoique l’art militaire, la politique & les finances aient comme toutes les autres sciences leurs principes généraux, dont on peut en peu tems découvrir toutes les conséquences : pourquoi un philosophe deviendroit-il tout-à-coup un homme savant, un homme pour qui la nature n’a point de secrets ; & cela par le charme de deux ou trois propositions ? Ce seul parallele suffit pour faire voir combien s’abusent ces philosophes spéculatifs, qui apperçoivent une si grande fécondité dans les principes généraux. Les deux autres ne menent qu’à des erreurs. Et c’est ce que l’auteur du traité des systèmes prétend prouver, par les différens systèmes qu’il parcourt. Bayle, Descartes, Mallebranche, Leibnitz, l’auteur de l’action de Dieu sur la créature, & Spinosa, lui fournissent des exemples de ce qu’il avance. En général le grand défaut des systèmes abstraits, c’est de rouler sur des notions vagues & mal déterminées, sur des mots vuides des sens, sur des équivoques perpétuelles. M. Loke compare ingénieusement ces faiseurs de systèmes à des hommes, qui sans argent & sans connoissance des especes courantes, compteroient de grosses sommes avec des jettons, qu’ils appelleroient louis, livre, écu. Quelques calculs qu’ils fissent, leurs sommes ne seroient jamais que des jettons : quelques raisonnemens que fassent des philosophes à systèmes abstraits, leurs conclusions ne seront jamais que des mots. Or de tels systèmes, loin de dissiper le cahos de la métaphysique, ne sont propres qu’à éblouir l’imagination par la hardiesse des conséquences où ils conduisent, qu’à séduire l’esprit par des fausses lueurs d’évidence, qu’à nourrir l’entêtement pour les erreurs les plus monstrueuses, qu’à éterniser les disputes, ainsi que l’aigreur & l’emportement avec lequel on les soutient. Ce n’est pas qu’il n’y ait de ces systèmes qui ne méritent les éloges qu’on leur donne. Il y a tels de ces ouvrages qui nous forcent à les admirer. Ils ressemblent à ces palais où le goût, les commodités, la grandeur, la magnificence concourroient à faire un chef-d’œuvre de l’art ; mais qui ne porteroient sur des fondemens si peu solides, qu’ils paroîtroient ne se soutenir que par enchantement. On donneroit sans doute des éloges à l’architecte ; mais des éloges bien contrebalancés par la critique qu’on feroit de son imprudence. On regarderoit comme la plus insigne folie d’avoir bâti sur de si foibles fondemens un si superbe édifice ; & quoique ce fût l’ouvrage d’un esprit supérieur, & que les pieces en fussent disposées dans un ordre admirable, personne ne seroit assez peu sage pour y vouloir loger.

Par la seule idée qu’on doit se faire d’un système, il est évident qu’on ne peut qu’improprement appeller système ces ouvrages, où l’on prétend expliquer la nature par le moyen de quelques principes abstraits. Les hypothèses, quand elles sont faites suivant les regles que nous en avons données, méritent mieux le nom de système. Nous en avons fait voir les avantages. Voyez l’article Hypothese.

Les vrais systèmes sont ceux qui sont fondés sur des faits. Mais ces systèmes exigent un assez grand nombre d’observations, pour qu’on puisse saisir l’enchaînement des phénomenes. Il y a cette différence entre les hypothèses & les faits qui surviennent des principes, qu’une hypothèse devient plus incertaine à mesure qu’on découvre un plus grand nombre d’effets, dont elle ne rend pas raison, au lieu qu’un fait est toujours également certain, & il ne peut cesser d’être le principe des phénomenes, dont il a une fois rendu raison. S’il y a des effets qu’il n’explique pas, on ne doit pas le rejetter, on doit travailler à découvrir les phénomenes qui le lient avec eux, & qui forment de tous un seul système.

Il n’y a point de science ni d’art où l’on ne puisse faire des systèmes : mais dans les uns, on se propose de rendre raison des effets ; dans les autres, de les préparer & de les faire naître. Le premier objet est celui de la physique ; le second est celui de la politique. Il y a des sciences qui ont l’un & l’autre, telles sont la Chimie & la Médecine.

Système, s. m. (Philos.) signifie en général un assemblage ou un enchaînement de principes & de conclusions : ou bien encore, le tout & l’ensemble d’une théorie dont les différentes parties sont liées entre elles, se suivent & dépendent les unes des autres.

Ce mot est formé d’un mot grec qui signifie composition ou assemblage.

C’est dans ce sens-là que l’on dit un système de Philosophie, un système d’Astronomie, &c. le système de Descartes, celui de Newton, &c. Les Théologiens ont formé une quantité de systèmes sur la grace.

Gassendi a renouvellé l’ancien système des atomes, qui étoit celui de Démocrite, suivi par Epicure, Lucrece, &c. Voyez Corpusculaire, Atome & Matiere.

Les expériences & les observations sont les matériaux des systèmes. Aussi rien n’est-il plus dangereux en Physique, & plus capable de conduire à l’erreur, que de se hâter de faire des systèmes, sans avoir auparavant le nombre de matériaux nécessaires pour les construire. Ce n’est souvent qu’après un très grand nombre d’expériences qu’on parvient à entrevoir la cause d’un effet, & il y en a même plusieurs, sur lesquelles des expériences répétées & variées à l’infini, n’ont pu encore nous éclairer. Le Cartésianisme qui avoit succédé au Péripatétisme, avoit mis le goût des systèmes fort à la mode. Aujourd’hui, grace à Newton, il paroît qu’on est revenu de ce préjugé, & qu’on ne reconnoît de vraie physique que celle qui s’appuie sur les expériences, & qui les éclaire par des raisonnemens exacts & précis, & non pas par des explications vagues. Voyez Expérience & Expérimental.

Système, en terme d’Astronomie, est la supposition d’un certain arrangement des différentes parties qui composent l’univers ; d’après laquelle hypothese les Astronomes expliquent tous les phénomenes ou apparences des corps célestes, &c. Voyez Astronomie, Planete, &c.

Il y a dans l’Astronomie trois systèmes principaux, sur lesquels les philosophes ont été partagés : le système de Ptolomée, celui de Copernic, & celui de Tycho-Brahé.

Le système de Ptolomée place la terre immobile au centre de l’univers, & fait tourner le cieux autour de la Terre d’orient en occident ; de sorte que tous les corps célestes, astres & planetes suivent ce mouvement. Voyez Ptolomée.

Pour ce qui est de l’ordre & des distances des différens corps qui entrent dans ce système : les voici. D’abord la Lune tourne autour de la Terre ; ensuite Vénus, puis Mercure, le Soleil, Mars, Jupiter & Saturne. Tous ces astres, selon Ptolomée, tournoient autour de la Terre en vingt-quatre heures ; & ils avoient outre cela un mouvement particulier par lequel ils achevoient leurs révolutions annuelles. Voyez Pl. astron. fig. xliij.

Les principaux partisans de ce système sont Aristote, Hipparque, Ptolomée & un grand nombre d’anciens philosophes que tout l’univers a suivi pendant plusieurs siecles, & que suivent encore plusieurs universités & autres colleges d’où l’on a banni la liberté de philosopher ; mais les observations des derniers tems ont entierement détruit ce système ; & même aujourd’hui on ne manque pas de démonstrations pour l’anéantir absolument. Voyez Terre, &c.

En effet, les observations nous apprennent qu’en quelque lieu que l’on place le Soleil, il faut nécessairement reconnoître qu’il est renfermé dans l’orbite de Vénus, puisque cette planete paroît passer tantôt derriere le Soleil, tantôt entre le Soleil & la terre. Donc l’orbite du Soleil ne sauroit entourer celle de Vénus, comme elle l’entoure dans le système de Ptolomée. Il en est de même de Mercure qui est presque perpétuellement plongé dans les rayons du Soleil, & qui, parce qu’il s’en écarte beaucoup moins que Vénus, doit par cette raison avoir une orbite beaucoup plus petite.

D’ailleurs, nous n’exposons ici que ce qu’il y a de plus simple dans le système de Ptolomée. Si nous y ajoutions tous les cieux de crystal qu’il imaginoit pour rendre raison des différens phénomenes célestes, c’est seroit assez à un bon esprit pour rejetter entierement cette hypothese.

Le système de Copernic place le Soleil immobile au centre de l’univers, si ce n’est qu’il donne au Soleil un mouvement de rotation autour de son axe. Voyez Soleil.

Autour de lui tournent d’occident en orient, & dans différentes orbites, Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter & Saturne. Voyez Planete.

La Lune tourne dans une orbite particuliere autour de la Terre, & elle l’accompagne dans tout le cercle qu’elle décrit autour du Soleil. Voyez Lune.

Quatre satellites tournent de-même autour de Jupiter, & cinq autour de Saturne. Voyez Satellite.

Dans la région des planetes sont les cometes qui tournent autour du Soleil, mais sur des orbites fort excentriques, le Soleil étant placé dans un de leurs foyers. Voyez Comete.

A une distance immense, au-delà de la région des planetes & des cometes, sont les étoiles fixes. Voyez Etoile.

Les étoiles, eu égard à l’immensité de leur distance, & au peu de rapport qu’elles paroissent avoir à notre monde, ne sont pas censées en faire partie. Il est très-probable que chaque étoile est elle-même un soleil & le centre de l’univers & de son immensité, & toutes les observations s’accordent à en prouver la vérité. Voyez Copernic.

Le système qu’on vient d’exposer, est le plus ancien ; c’est le premier qui ait été introduit par Pythagore en Grece & en Italie, où il a été appellé pendant plusieurs siecles le système pythagoricien : il fut suivi par Philolaüs, Platon, Archimede, &c. Il se perdit sous le regne de la philosophie péripatéticienne ; mais enfin il fut remis en vigueur heureusement il y a plus de deux cens ans, par Nicolas Copernic dont il porte aujourd’hui le nom. Voyez-en le plan, Pl. astron. fig. xliv. Voyez aussi Copernic.

Le système de Tycho-Brahé revient, à plusieurs égards, à celui de Copernic ; mais dans celui de Tycho-Brahé l’on suppose la terre immobile, on supprime son orbite que l’on remplace par l’orbite du Soleil qui tourne autour de la terre, tandis que toutes les autres planetes, excepté la Lune & les satellites, tournent autour de lui.

Mais il n’y a aucune raison ni aucun phénomene dans la nature qui oblige d’avoir recours à un subterfuge si manifeste, que l’auteur n’a employé lui-même que par le motif de la persuasion superstitieuse où il étoit que c’étoit une chose contraire à l’Ecriture, que de supposer le Soleil immobile & la Terre en mouvement : ce scrupule n’a pas donné un échec bien considérable au vrai système.

L’Ecriture, dans les endroits où elle semble supposer le mouvement de la Terre, parle conformément aux idées vulgairement reçues, & aux simples apparences. C’est pourquoi on ne sauroit taxer d’hérésie ceux qui soutiennent l’opinion contraire, une telle matiere n’intéressant ni les mœurs ni la foi. Dailleurs, la loi découverte par Kepler dans les mouvemens des planetes, & expliquée si heureusement par le célebre Newton, fournit une démonstration directe contre le système de Ticho-Brahé.

Kepler a observé, que les tems des révolutions des planetes autour du Soleil, avoient un certain rapport avec leurs distances à cet astre, & on a trouvé que la même loi s’observoit dans les satellites de Jupiter & de Saturne ; & M. Newton a fait voir que cette loi si admirable étoit une suite nécessaire de la gravitation de toutes les planetes vers le Soleil, & de la gravitation des satellites vers leurs planetes principales, en raison inverse du quarré des distances. De sorte que si la Lune & le Soleil tournoient autour de la terre, il faudroit que ces deux planetes gravitassent ou pesassent vers la terre, comme font les autres planetes vers le Soleil, & que les tems des révolutions du Soleil & de la Lune autour de la Terre fussent entr’eux dans le rapport que la loi de Kepler établit ; c’est-à-dire, comme les racines quarrées des cubes de leurs distances à la Terre. Or ces tems ne sont point du-tout dans ce rapport ; d’où il s’ensuit que le Soleil & la Lune ne tournent point autour de la Terre comme centre commun. Voyez le plan du système de Tycho, fig. xlv. astron.

On se sert aussi en général du mot de système pour marquer une certaine disposition ou arrangement que plusieurs corps ont les uns par rapport aux autres. Ainsi dans la méchanique, l’assemblage de plusieurs corps qui se meuvent ou qui sont en repos, sur un plan ou sur une surface quelconque, s’appelle un système de corps ; une verge chargée de trois corps, est un système de trois corps, &c. Chambers. (O)

Systeme, en Anatomie, c’est un assemblage des parties d’un tout ; c’est dans ce sens qu’en parlant de tous les vaisseaux sanguins, on dit le système des vaisseaux sanguins, de tous les nerfs, le système des nerfs, &c.

Systeme, (Belles Lettr.) en poésie, se dit d’une hypothèse que le poëte choisit, & dont il ne doit jamais s’éloigner.

Par exemple, s’il fait son plan selon la Mythologie, il doit suivre le système fabuleux, s’y renfermer dans tout le cours de son ouvrage, sans y mêler aucune idée de Christianisme : si au contraire il traite un sujet chrétien, il doit en écarter toute hypothèse de paganisme. Voyez Invocation, Muses, &c.

Ainsi dès qu’une fois il a invoqué Apollon, il doit s’abstenir de mettre sur la scène le vrai Dieu, les anges ou les saints, afin de ne point confondre les deux systèmes. Il est vrai que le système fabuleux est plus gai, plus riche, plus figuré ; mais d’un autre côté quelle figure font, & quel rôle peuvent jouer dans un poëme chrétien les dieux du paganisme ? Le pere Bouhours observe que le système de la poésie est de sa nature entierement payen & fabuleux, & plusieurs auteurs l’ont pensé comme lui ; mais cette opinion n’est pas universelle, & d’autres écrivains célebres ont prouvé que les fictions de la Mythologie ne sont nullement essentielles à la poésie ; qu’aujourd’hui même elles ne sont plus de saison, & qu’un poëme pour plaire & pour intéresser n’a pas besoin de tout cet attirail de divinités & de machines qu’employoient les anciens. Voyez Machine & Merveilleux.

Systeme, dans l’Art militaire, est l’arrangement d’une armée, ou la disposition de toutes les parties de la fortification, suivant les idées particulieres d’un général ou d’un ingénieur.

Ainsi l’on diroit qu’un ordre de bataille ou un ordre d’attaque est, suivant le système de M. de Folard, s’il étoit conforme à l’arrangement prescrit par cet auteur ; & de même qu’une ville est fortifiée selon le système de M. de Vauban, lorsque sa fortification est disposée selon les regles de ce fameux ingénieur. Voyez à la suite du mot Fortification, les principaux systèmes de fortification.

Bien des gens se plaignent de notre fortification actuelle, qu’ils jugent mauvaise par le peu de résistance des places. On souhaiteroit d’avoir une méthode plus parfaite & moins dispendieuse que celle qui est en usage, pour les rendre capables d’une plus longue résistance ; mais en attendant qu’on trouve un système qui réponde à ces vues, il est un moyen bien simple de rendre les places susceptibles d’une plus longue défense sans en augmenter ou changer les fortifications : il ne s’agit pour cela que de ne les confier qu’à des chefs habiles & expérimentés, fort au fait de la place, de l’artillerie & de tout ce qui concerne le génie ; on verra alors ce qu’on peut attendre de la fortification moderne, comme M. Dupuy-Vauban l’a fait voir dans sa belle défense de Béthune. Voyez Guerre des sieges. (Q)

Systeme, en Musique, est tout intervalle composé, ou que l’on conçoit composé d’autres intervalles plus petits ; & ces intervalles premiers, qui sont les élemens du système s’appellent par les Grecs diastèmes. Voyez ce mot.

Il y a une infinité d’intervalles différens ; il y a, par conséquent, autant de systèmes possibles. Pour nous borner ici à quelque chose de réel, nous parlerons seulement des systèmes harmoniques ; c’est-à-dire, de ceux dont les élémens sont, ou des consonnances, ou des intervalles engendrés médiatement ou immédiatement par des consonnances. Voyez Intervalles.

Les anciens divisoient les systèmes en systèmes particuliers & en systèmes généraux. Ils appelloient système particulier tout composé d’au-moins deux intervalles, tels que sont l’octave, la quinte, la sixte, & même la tierce. J’ai traité de ceux-ci au mot Intervalle.

Les systèmes généraux qu’ils appelloient plus communément diagrammes, étoient formés par la somme de tous les systèmes particuliers, & comprenoient par conséquent tous les sons employés dans la mélopée. C’est de ceux-là qu’il me reste à parler dans cet article.

On doit juger des progrès de l’ancien système par ceux des instrumens de musique destinés à l’exécution ; car ces instrumens accompagnant la voix, & jouant tout ce qu’elle chantoit, devoient nécessairement rendre autant de sons différens qu’il en entroit dans le système. Or les cordes de ces premiers instrumens se touchoient à vuide ; il y falloit donc autant de cordes que le système renfermoit de sons, & c’est ainsi que dès l’origine de la Musique, on peut sur le nombre des cordes de l’instrument déterminer le nombre des sons du système.

Tout le système des Grecs ne fut donc d’abord composé que de quatre cordes qui formoient l’accord de leur lyre ou cithare. Ces quatre sons, selon quelques-uns, formoient des degrés conjoints, selon d’autres, ils n’étoient pas diatoniques, mais les deux extrèmes sonnoient l’octave, & les deux sons moyens la partageoient en une quarte de chaque côté, & en un ton dans le milieu ; de cette maniere :

Ut ­— trite diezeugmenon,
Sol ­— lichanos meson,
Fa ­— parypate meson,
Ut ­— parypate hypaton.

C’est ce que Boëce appelle le tretracorde Mercure.

Ce système ne demeura pas long-tems borné à si peu de sons Chorèbe, fils d’Athis, roi de Lydie, y ajouta une cinquieme corde, Hyagnis une sixieme, Terpandre une septieme, à l’imitation du nombre des planetes, & enfin Lichaon de Samos la huitieme.

Voilà ce que dit Boëce ; mais Pline témoigne que Terpandre ayant ajouté trois cordes aux quatre anciennes, joua le premier de la cithare à sept cordes, que Simonide y en joignit une huitieme, & Thimothée une neuvieme. Nicomaque le Gérasénien attribue cette huitieme corde à Pythagore, la neuvieme à Théophraste de Piérie, puis une dixieme à Histyée de Colophon, & une onzieme à Timothée de Milet, &c. Phérécrate, dans Plutarque, fait faire au système un progrès plus rapide ; il donne douze cordes à la cithare de Mélanippide, & autant à celle de Timothée ; & comme Phérécrate étoit contemporain de ces musiciens, son témoignage est d’un grand poids sur un fait qu’il avoit, pour ainsi dire sous les yeux.

Mais comment pourroit-on à un certain point s’assurer de la vérité parmi tant de contradictions, soit entre les auteurs, soit dans la nature même des faits qu’ils rapportent ? Par exemple, le tétracorde de Mercure donne évidemment l’octave ou le diapazon. Comment donc s’est-il pu faire qu’après l’addition de trois cordes, tout le diagramme se soit trouvé diminué d’un degré & réduit à un intervalle de septieme ? c’est pourtant ce que font entendre la plûpart des auteurs anciens, & entr’autres Nicomaque, qui dit que Pythagore trouvant tout le système composé seulement de deux tétracordes conjoints qui formoient entre leurs extrèmes un intervalle dissonnant, il le rendit consonnant en divisant ces deux tétracordes par l’intervalle d’un ton, ce qui produisit l’octave.

Quoi qu’il en soit, c’est du-moins une chose certaine que le système des Grecs s’augmenta insensiblement, tant en haut qu’en bas, & qu’il atteignit, & passa même l’étendue du disdiapason, ou de la double octave ; étendue qu’ils appellent systema perfectum, maximum, immuatum, le grand système, le système parfait, immuable par excellence, à cause qu’entre ces extrémités, dont l’intervalle formoit une consonnance parfaite, étoient contenues toutes les consonnances simples, doubles, directes & renversées, tous les systèmes particuliers, &, selon eux, les plus grands intervalles qui pussent avoir lieu dans la mélodie.

Ce système étoit composé de quatre tétracordes ; trois conjoints & un disjoint, & d’un ton de plus, qui fut ajouté au-dessous du tout pour achever la double octave, d’où la corde qui le formoit prit le nom de proslambanomene ou d’ajoutée. Cela n’auroit dû produire que quinze sons dans le genre diatonique ; il y en avoit pourtant seize. C’est que la disjonction se faisant sentir tantôt entre le second & le troisieme, tantôt entre le troisieme tétracorde & le quatrieme, il arrivoit dans le premier cas qu’après le son la, le plus aigu du second tétracorde, suivoit en montant le son si qui commençoit le troisieme ; ou-bien, dans le second cas, que ce même son la commençant lui-même le troisieme tétracorde étoit immédiatement suivi du si bémol ; car le premier degré de chaque tétracorde étoit toujours d’un semi-ton. Cette différence produisoit donc un seizieme son, à cause du si naturel qu’on avoit d’un côté, & de l’autre le si bémol. Ces seize sons étoient représentés par dix-huit noms, c’est-à-dire que l’ut & le re étant, ou les deux derniers sons, ou les sons moyens du troisieme tétracorde, selon ces deux différens cas de disjonction, on donnoit à chacun de ces deux sons des noms qui marquoient ces diverses circonstances.

Mais comme le son fondamental varioit selon le mode, il s’ensuivoit pour chaque mode dans le système total, une différence du grave à l’aigu qui multiplioit de beaucoup les sons. Car si les divers modes avoient plusieurs sons communs, ils en avoient aussi de particuliers à chacun ou quelques-uns seulement. Ainsi, dans le seul genre diatonique l’étendue de tous les sons admis dans les quinze modes dénombrés par Alypius, est de trois octaves & un ton ; & comme la différence de chaque mode à son voisin étoit seulement d’un semi-ton, il est évident que tout cet espace gradué de semi-ton en semi-ton, produisoit dans le diagramme général la quantité de 39 sons pratiqués dans la musique ancienne. Que si déduisant toutes les repliques des mêmes sons on se renferme dans les bornes d’une seule octave, on la trouvera divisée chromatiquement par douze sons différens, comme dans la musique moderne ; ce qui est de la derniere évidence par l’inspection des tables mises par Meibomius à la tête de l’ouvrage d’Alypius. Ces remarques sont nécessaires pour relever l’erreur de ceux qui s’imaginent, sur la foi de quelques modernes, que toute la musique ancienne n’étoit composée que de seize sons.

On trouvera, dans nos Pl. de Musiq. une table du système général des Grecs pris dans un seul mode & dans le genre diatonique. A l’égard des genres enharmoniques & chromatiques, les tétracordes s’y trouvoient bien divisés, selon d’autres proportions ; mais comme ils contenoient toujours également quatre sons & trois intervalles consécutifs, de même que dans le genre diatonique, ces sons portoient chacun dans leur genre le même nom que chaque son qui leur correspondoit portoit dans le diatonique. C’est pourquoi je ne donne point de tables particulieres de chacun de ces genres. Voyez Genre. Les curieux pourront consulter celles que Meibomius a mises à la tête de l’ouvrage d’Aristoxene ; on y en trouvera six, une pour le genre en harmonique, trois pour le chromatique, & deux pour le diatonique, selon les diverses modifications de chacun de ces genres.

Ce système demeura à-peu-près dans cet état jusqu’à l’onzieme siecle, où Guy d’Arezze y fit des changemens considérables. Il ajouta dans le bas une nouvelle corde, qu’il appella hypoprostambanomene, & dans le haut, un cinquieme tétracorde qu’il appella le tétracorde des suvaigués. Outre cela, il inventa, dit-on, le bémol, nécessaire pour distinguer le si, deuxieme note d’un tétracorde conjoint d’avec le si du même tétracorde disjoint, c’est-à-dire qu’il fixa cette signification de la lettre b, que S. Grégoire, avant lui, avoit déja assignée à la note si : car puisqu’il est certain que les Grecs avoient depuis long-tems ces mêmes conjonctions & disjonctions de tétracordes, & par conséquent des signes pour en exprimer chaque degré dans ces deux différens cas, il s’ensuit que ce n’étoit pas un nouveau son introduit dans ce système par Guy, mais seulement un nouveau nom qu’il donnoit à ce son, réduisant ainsi à un même degré ce qui en faisoit deux chez les Grecs.

On conçoit aisément que l’invention du contrepoint, à quelque auteur qu’elle soit due, dut bientôt reculer encore les bornes de ce système. Quatre parties doivent avoir bien plus d’étendue qu’une seule. Le système fut fixé à quatre octaves, & c’est l’étendue du clavier de toutes les anciennes orgues. Mais enfin on s’est trouvé gêné par des limites, quelque espace qu’elles pussent avoir ; on les a franchies, on s’est étendu en haut & en bas : on a fait des claviers à ravallement ; on a démanché sans cesse ; & enfin, on s’est tant donné de licence à cet égard, que le système moderne n’a plus d’autres bornes dans le haut, que le caprice des compositeurs. Comme on ne peut pas de même démancher pour descendre, la plus basse corde des basses ordinaires ne passe pas encore le c sol ut ; mais on trouvera également le moyen de gagner de ce côté-là en baissant le ton du système général : c’est même ce qu’on fait insensiblement ; & je tiens pour une chose certaine que le ton de l’opéra est plus bas aujourd’hui qu’il ne l’étoit du tems de Lully. Au contraire celui de la musique instrumentale est monté, & ces différences commencent même à devenir assez sensibles pour qu’on s’en apperçoive dans la pratique.

Voyez dans nos Pl. une table générale du grand clavier à ravallement, & de tous les sons qui y sont contenus dans l’étendue de cinq octaves. (S)

Systeme, (Finance) on a donné très-bien ce nom vers l’an 1720 au projet connu & exécuté par le sieur Law écossois, de mettre dans ce royaume du papier & des billets de banque pour y circuler, & représenter l’argent monnoyé, comme en Angleterre & en Hollande. J’ai vu plusieurs éloges de ce grand projet, & quelques-uns faits avec éloquence. C’étoit, dit M. Dutot, un édifice construit par un habile architecte, mais dont les fondemens n’avoient été faits que pour porter trois étages. Sa beauté surpassa même les espérances que l’on en avoit conçues, puisqu’il fit mépriser pendant quelques mois l’or & l’argent, espece de miracle que la postérité ne croira peut-être pas. Cependant, sans égard au bien que la postérité pouvoit retirer de cette idée, une puissante cabale formée contre l’architecte, eut assez de crédit pour engager le gouvernement à surcharger ou à élever cet édifice jusqu’à sept étages, en sorte que les fondemens ne pouvant supporter cette surcharge, ils s’écroulerent, & l’édifice tomba de fond en comble. Voilà bien de l’esprit en pure perte.

Je veux croire cependant que le sieur Law en formant une banque, se proposoit d’augmenter utilement la circulation publique, de faciliter le commerce, & de simplifier la perception des revenus du roi ; mais comment pouvoit-il se flatter dans la disette la plus générale, d’établir une banque de crédit qui eût la confiance de la nation & des étrangers ? Si l’on parut pendant quelques mois donner la préférence des billets de sa banque à l’argent réel, c’étoit dans la vue de les fondre, & d’en tirer du profit dès qu’ils auroient haussé davantage par le délire de la nation. Enfin, les remboursemens du sieur Law n’ont enrichi que des familles nouvelles en ruinant les anciennes, & les débris de son système n’ont produit dans l’état qu’une compagnie exclusive de commerce, dont je laisse à de plus habiles que moi à calculer les avantages rélativement au bien public. (D. J.)

Systeme, (Rubanier.) se dit en galon pour la fabrication duquel on se sert de deux navettes, l’une de filé d’or ou d’argent pour travailler en-dessus, & l’autre de soie convenable à la couleur pour le dessous ; par ce moyen il ne paroît point de filé du tout en-dessous, ce qui épargne considérablement les étoffes d’or ou d’argent.