L’Encyclopédie/1re édition/MUSES

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MUSES, f. s. (Mythol.) ces déesses sont si célébres, que je suppose tout le monde instruit de leurs épithetes, de leurs noms & de leurs surnoms. On les fait présider, chacune en particulier, à différens arts, comme à la Musique, à la Poésie, à la Danse, à l’Astronomie, &c. Elles sont, dit on, appellées Muses, d’un mot grec qui signifie expliquer les mysteres, Μύειν, parce qu’elles ont enseigné aux hommes des choses très-curieuses & très importantes, qui sont hors de la portée du vulgaire. Enfin, on a été jusqu’à imaginer que chacun de leurs noms propres renfermoit une allégorie particuliere ; mais Varron en a eu des idées plus saines.

Ce n’est pas Jupiter, nous dit-il, qui est le pere des neuf muses ; ce sont trois sculpteurs de Sycione. Cette ville voulant mettre trois statues des muses au temple d’Apollon, nomma trois sculpteurs pour faire chacun trois statues des muses. On se proposoit de les prendre de celui des sculptents qui auroit mieux réussi ; mais Sycione acheta les neuf statues, & les dédia à Apollon, parce qu’elles étoient toutes neuf de la plus grande beauté. Il a plu ensuite à Hésiode d’imposer des noms à chacune de ces statues.

Cependant Diodore donne aux muses une autre origine. Osiris, dit-il, amateur passionné du chant & de la danse, avoit toujours à sa cour une troupe de musiciens, parmi lesquels se distinguoient neuf filles instruites de tous les arts qui ont quelque rapport à la Musique ; les Grecs les appellerent les neuf muses.

M. le Clerc croit que la fable des muses vient des concerts que Jupiter avoit établis dans l’île de Créte. & qui étoient composés de neuf chanteuses ; que ce dieu n’a passé pour le pere des muses, que parce qu’il est le premier d’entre les Grecs qui ait eu un concert réglé, & qu’on leur a donné Mnémosyne pour mere, parce que c’est la mémoire qui fournit la matiere des vers & des poëmes.

Quoi qu’il en soit, cette fiction des muses prit grande faveur. On dit qu’elles s’occupoient à chanter dans l’olympe les merveilles des dieux ; & qu’elles connoissoient le passé, le présent, & l’avenir. Elles furent non-seulement mises au nombre des déesses, mais on leur prodigua tous les honneurs de la divinité. On leur offroit des sacrifices en plusieurs villes de la Grece & de la Macédoine. Elles avoient à Athenes un magnifique autel, sur lequel on sacrifioit souvent. Le mont Hélicon dans la Béctie leur étoit consacré ; & les Thespiens y célébroient chaque année une fête en leur honneur, dans laquelle il y avoit des prix pour les musiciens. Ce fut Piérus si célebre par ses talens, & par ceux des Piérides ses filles, qui fonda le temple des neuf muses à Thespies. Rome avoit aussi deux temples consacrés aux muses, dans la premiere région de la ville, & un troisieme où elles étoient fêtées sous le nom de Camenes. De plus, les muses & les graces n’avoient d’ordinaire qu’un même temple. On sait l’union intime qui étoit entre ces deux sortes de divinités. On ne faisoit guere de repas agréables, sans les y appeller conjointement, & sans les saluer le verre à la main. Hésiode, après avoir dit que les muses ont établi leur séjour sur l’Hélicon, ajoute que l’Amour & les Graces habitent près d’elles. Pindare confond leur jurisdiction. Enfin, personne ne les a tant honorées que les poëtes, qui ne manquent jamais de les invoquer au commencement de leurs poëmes, comme des déesses capables de leur inspirer ce noble enthousiasme qui est le fondement de leur art. Si on les en croit, les neuf filles savantes ordonnoient autrefois les cités, gouvernoient les états, vivoient dans les palais des rois,

Et d’une égalité légitime & commune
Faisoient tout ce que fait aujourd’hui la Fortune.

(D. J.)