L’Encyclopédie/1re édition/REPAS

◄  REPARTONS
REPASSER  ►

REPAS, s. m. (Théologie.) réfection qu’on prend à certaines heures reglées de la journée. Voyez Refection.

Ce mot vient du latin repastus formé de pastus, qui signifie une personne qui a pris une refection suffisante. Aussi les Italiens & les Espagnols disent-ils pasto dans le même sens.

Les repas qui sont rapportés dans l’Ecriture du tems des premiers patriarches, font voir que ces premiers hommes ne connoissoient pas beaucoup les rafinemens en fait de cuisine, même dans leurs repas les plus magnifiques. Abraham, personnage riche & distingué dans son pays, ayant à recevoir trois anges cachés sous la figure d’hommes, leur sert un veau, du pain frais, mais cuit à la hâte & sous la cendre, du beurre & du lait ; mais ils se dédommageoient de la qualité par la quantité. Un veau tout entier & trois mesures de farine qui revenoient à plus de deux de nos boisseaux, c’est-à-dire à plus de cinquante-six livres pour trois personnes : de même Rebecca apprêta pour Isaac seul deux chevreaux. Joseph pour témoigner à son frere Benjamin la considération qu’il a pour lui, lui fait servir une portion quadruple de celle qu’il avoit fait donner à ses autres freres. Tous ces traits semblent prouver que ces premiers hommes étoient grands mangeurs, aussi faisoient-ils grand exercice, & peut-être étoient-ils de plus grande taille, aussi-bien que de plus longue vie. Les Grecs croyoient aussi que les hommes des tems héroïques étoient de plus haute stature, & Homere les fait grands mangeurs. Quand Eumée reçoit Ulysse, il appréte un grand porc de cinq ans pour cinq personnes. Odyss. 14.

Les héros d’Homere se servent eux-mêmes pour la cuisine & les repas, & l’on voit agir de même les patriarches. Quelques-uns pensent que chez les anciens les repas étoient très-souvent des sacrifices, & que c’est pour cela qu’ils étoient souvent préparés par des rois. Cette raison peut être vraie à certains égards, & insuffisante à d’autres : elle n’a pas lieu, par exemple, pour le repas qu’Achille aidé de Patrocle, donne dans sa tente aux députés des Grecs, qui venoient le prier de se réconcilier avec Agamemnon. Il ne s’agit point là de sacrifice ; disons que telle étoit la simplicité & la candeur des mœurs de ces premiers âges, où la frugalité fut long-tems en honneur ; car pour ne parler ici que des Hébreux, leur vie étoit fort simple, ils ne mangeoient que tard & après avoir travaillé. On peut juger de leurs mets les plus ordinaires, par les provisions que donnerent en divers tems à David, Abigaïl, Siba, Berzellai. Les especes qui en sont marquées dans l’Ecriture, sont du pain & du vin, du blé & de l’orge, de la farine de l’un & de l’autre, des feves & des lentilles, des pois chiches, des raisins secs, des figues seches, du beurre, du miel, de l’huile, des bœufs, des moutons & des veaux gras. Il y a dans ce dénombrement beaucoup de grains & de légumes ; c’étoit aussi la nourriture la plus ordinaire des anciens Egyptiens ; c’étoit celle des Romains dans les meilleurs tems, & lorsqu’ils s’adonnoient le plus à l’agriculture. Il est peu parlé de poisson dans leurs repas si ce n’est dans les derniers tems ; les anciens le méprisoient, comme une nourriture trop délicate & trop legere pour des hommes robustes.

On ne voit guere non plus chez les Hébreux de sauces ni de ragoûts, leurs festins étoient composés de viandes solides & grasses, ils comptoient pour les plus grands délices le lait & le miel. En effet, avant que le sucre eût été apporté des Indes, on ne connoissoit rien de plus agréable au goût que le miel. On y confisoit les fruits, & on en mêloit aux pâtisseries les plus friandes. Au lieu du lait, l’Ecriture nomme souvent le beurre, c’est-à-dire la crème qui en est le plus délicat. Les offrandes ordonnées par la loi, Levit. 11. 4. & 5 montrent que dès le tems de Moïse ; il y avoit diverses sortes de pâtisseries, les unes paitries à l’huile, les autres cuites ou frites dans l’huile. Fleury, Mœurs des Israélites I. part. n° 4. & II. part. n°. 12.

Les Israélites mangeoient assis à table comme les Grecs du tems d’Homere, mais dans la suite, c’est-à-dire depuis le régne des Perses ; ils mangeoient couchés sur des lits, comme les Perses & les autres orientaux. Il est fort probable que le long regne de Salomon, où fleurirent la paix, le commerce & l’abondance, introduisit peu-à-peu le luxe & la somptuosité à la table des rois Hébreux, de-là chez les grands & par degrés jusques parmi le peuple ; on s’éloigna insensiblement de l’ancienne simplicité, & l’on tomba dans les excès & dans les débauches, la preuve en est claire par les écrits des prophetes, & en particulier par le vj. chap. d’Amos.

Repas de charité, (Hist. anc. ecclésiast.) ces repas des premiers chrétiens sont ceux qu’on a nommés agapes, festins d’amour mutuel. Voyez Agapes.

J’ajoute seulement que l’usage de ces sortes de repas étoit fort connu chez les païens. Ils avoient leurs festins d’amitié, où chacun faisoit porter son plat ; ils appelloient ces repas ἐράνους, soupers réunis. Pindare en parle dans sa premiere ode olympique. Ἔρανοι, dit Athénée, sont des repas où tous ceux qui y assistent contribuent ; on les a nommés de la sorte du verbe συνερᾶν, qui signifie faire porter ensemble ou contribuer. On appelloit ceux qui n’y contribuoient point asymboloi. Théodoret trouvoit deux défauts dans les repas de charité des premiers Chrétiens, l’un que le riche mangeoit à-part & bûvoit à-part, l’autre qu’il bûvoit trop largement. Saint Paul, en écrivant aux Corinthiens, leur dit, c. xj. vers. 21. « Chacun dans vos repas mange ce qu’il a fait porter, l’un a faim & l’autre est rassasié, ὃς δὲ μεθύει ». Toutes nos versions traduisent est ivre ; cependant μεθύειν ne signifie que boire un peu largement, boire jusqu’à être rassasié. C’est le sens qu’il a, Jean ch. ij. vers. 10. & Genèse xliij. 44. où il y a schacar dans l’hébreu. (D. J.)

Repas de confédération, (Hist. anc.) l’antiquité confirmoit ordinairement ses traités & ses alliances par des festins fédéraux, sur lesquels il faut lire Stuckius in antiquitatibus convivalibus, lib. cap. xl. c’est un livre plein de recherches curieuses & profondes. (D. J.)

Repas par écot, (Antiq. greq. & rom.) l’usage des repas par écot est fort ancien. Homere l’appelle dans le premier livre de l’Odyssée ἔρανος ; sur quoi Eustache a remarqué que les Grecs avoient trois sortes de repas ; celui des noces, appellé γάμος ; le repas par écot, dont chaque convive payoit également sa part, ἔρανος ; & le repas qu’un particulier donnoit à ses dépens, εἴλαπη. Suidas dit, ἔρανος est une somme ramassée pour faire un repas par écot ; & comme les Grecs appelloient συμβολὴ l’argent que chacun donnoit pour le repas, les Romains donnoient le nom de symbola aux repas qu’ils faisoient par contribution ou par écot. Nous lisons dans l’Eunuque de Térence, acte III. scène 4.

Herì aliquot adolescentuli coimus in Piræo
In hunc diem, ut de symbolis essemus. Chæræamei rei
Præfecimus, &c.

Et dans l’Andrienne symbolum dedit, cænavit ; comme il a payé son écot, il s’est mis à table. (D. J.)

Repas des Francs, (Hist. des usages.) Ils étoient peu délicats ; du porc & de grosses viandes ; pour boisson, de la biere, du poiré, du cidre, du vin d’absynthe, &c. Leur nourriture la plus commune étoit la chair du porc. La reine Frédégonde voulant noircir un certain Nectaire dans l’esprit du roi, l’accusa d’avoir enlevé du lieu où Chilperic menoit ses provisions, tergora multa. La maison du seigneur Eberulfe, située à Tours, regorgeoit tergoribus multis, ce qu’on ne sauroit entendre que de la chair de porc, la seule qui se puisse conserver long-tems. Une foule de passages de la plus grande force ne laisse aucun doute sur ce point.

L’usage fréquent de servir de la chair de porc à table sur certains plats fit qu’on donna à ces bassins le nom de bacconique, dérivé de l’ancien mot bacon ou baccon, qui signifioit un porc engraissé. Au reste, l’usage de la chair du porc n’excluoit point celui des autres viandes.

La boisson commune des Francs étoit la biere. Ils y étoient accoutumés dès le tems qu’ils demeuroient au-dela du Rhin ; & ils en trouverent l’usage établi parmi les peuples chez qui ils camperent en commençant la conquête des Gaules, quoique situés dans des cantons entourés de vignobles.

Deux autres sortes de liqueurs furent usitées en France sous la premiere race. Fortunat de Poitiers observe que Ste Radegonde ne but jamais que du poiré & de la tisane. Les Francs usoient aussi de cidre & du vin. Ils avoient encore imaginé une liqueur assez bisarre, c’étoit un mélange de vin avec le miel & l’absynthe. Quelquefois ils méloient avec le vin des feuilles seches qui en dénaturoient un peu le goût.

On peut ajouter que ces peuples étoient de parfaits imitateurs des Germains, quant à la coutume de boire abondamment, même après le repas ; en parlant de cette coutume, Gregoire de Tours s’exprime ainsi, mos Francorum est. Il paroît, par le même auteur, que les Francs avoient la délicatesse de ne point admettre de chandeliers sur leurs tables, & qu’ils faisoient tenir à la main par leurs domestiques les chandelles dont elle devoit être éclairée.

Quelques testamens du vij. siecle prouvent aussi que les Francs usoient à table des mêmes ustensiles grossiers qui sont en usage de nos jours, aux fourchettes près, dont il n’est fait aucune mention. Sidoine Apollinaire dit qu’ils venoient tout armés dans les festins, & que les meurtres y étoient fréquens. Le titre XLV. de la loi salique porte expressément, que si l’on se trouve à table au-dessous du nombre de huit & qu’il y ait un des convives de tué, tous les autres seront responsables du meurtre, à-moins qu’ils ne représentent le meurtrier. (D. J.)

Repas funéraire, (Antiq. greq. & rom.) cérémonie de religion instituée pour honorer la mémoire de celui dont on pleuroit la perte, & pour rappeller à ceux qui s’y trouvoient le souvenir de sa mort ; ils s’embrassoient en sortant, & se disoient adieu, comme s’ils n’eussent jamais dû se revoir ; le repas se faisoit chez quelqu’un des parens du mort. La république d’Athènes fit un de ces repas aux obseques de ceux qui avoient été tués à Chéronnée, & elle choisit la maison de Démosthene pour le donner. Le repas funéraire s’appelloit silicernium ; c’est pourquoi Térence se sert de ce mot au figuré, & donne ce nom à un vieillard décrépit, peut-être parce qu’un homme de cet âge est à la veille de couter à ses parens un repas funéraire. (D. J.)

Repas des Hébreux, (Critique sacrée.) les anciens Hébreux ne mangeoient pas avec toute sorte de personnes, ils auroient cru se souiller de manger avec des gens d’une autre religion ou d’une profession décriée. Du tems du patriarche Joseph, ils ne mangeoient point avec les Egyptiens, ni les Egyptiens avec eux. Du tems de Jesus-Christ, les Juifs ne mangeoient pas avec les Samaritains, Jean iv. 9. Aussi étoient-ils fort scandalisés de voir notre Sauveur manger avec les publicains & les pécheurs, Matth. ix. 11.

Comme il y avoit plusieurs sortes de viandes interdites aux Juifs par la loi, ils ne pouvoient manger avec ceux qui en mangeoient, de peur de contracter quelque souillure en touchant de ces viandes ; l’on remarque dans les repas des anciens Hébreux que chacun avoit sa table à-part. Joseph donnant à manger à ses freres en Egypte, les fit asseoir séparément ; & lui-même s’assit séparément avec les Egyptiens qui mangeoient avec lui. Genèse xliij. 31.

On trouvoit dans leurs repas l’abondance, mais peu de délicatesse. Avant que de se mettre à table, ils avoient grand soin de se laver les mains, & regardoient cette pratique comme obligatoire, Marc vij. 3. Leurs festins solemnels étoient accompagnés de chants & d’instrumens. Les parfums & les odeurs précieuses y regnoient. D’abord les Hébreux furent assis à table, de même comme nous le sommes aujourd’hui ; mais dans la suite, ils imiterent les Perses & les Chaldéens qui mangeoient couchés sur des lits. (D. J.)

Repas de réception, (Littérature.) il y avoit des repas de réception lorsqu’on étoit promu à la charge des augures & des pontifes. Tous les augures étoient obligés de se trouver au repas que leur nouveau collegue donnoit à sa réception, à-moins qu’ils ne fussent malades ; & il falloit alors que trois témoins ou plus jurassent qu’ils étoient véritablement malades. Ces repas s’appelloient æditiales cænæ ; & on en faisoit de pareils à la consécration des pontifes. Ut excuser morbi causa in dies singulos signifie, « j’atteste que ma santé ne me permet pas encore de me trouver au repas qu’Apuléius doit donner, & je demande qu’on le fasse différer d’un jour à l’autre ». (D. J.)

Repas des Romains, (Usage des Romains.) les Romains déjeûnoient, dînoient & soupoient ; ils déjeûnoient le matin fort légerement de quelque morceau de pain trempé dans du vin pur ; ils appelloient ce repas en latin jentaculum, & en grec ἀκράτισμα & ἀκρατισμός d’ἀκρατος, qui signifie du vin pur. Le second repas étoit le prandium, le dîner, d’ὔρα, le matin, & ἒνδιον ou d’ἄριστον, qui signifie simple & fort sobre. Voyez Déjeûner, Dîner.

Leur troisieme & leur meilleur repas étoit le souper. Voyez Souper. Nous nous étendrons beaucoup sur cet article.

Après le souper, ils faisoient encore quelquefois un quatrieme repas qu’ils appelloient commessatio ou commissatio, une collation, un réveillon.

Suétone & Dion font mention de ces quatre repas dans la vie de Vitellius : Epulas trifariam semper, interdum quadrifariam dispertiebat : in jentacula, & prandia, & cænas, commessationesque. Ils ajoutent que ceux qui avoient entrepris de le régaler n’avoient pas peu à faire, quoiqu’il partageât ses faveurs, déjeûnant chez les uns, dînant chez les autres, & taxant de nouveaux hôtes à lui donner le souper & le réveillon ; mais l’intempérance de cet empereur ne conclut rien pour l’usage ordinaire. Le déjeûner n’étoit guere que pour les enfans. Le dîner étoit fort léger, comme il paroît par le détail qu’en fait Varron ; & la collation d’après souper n’avoit lieu que par extraordinaire & dans les festins d’apparat. (D. J.)

Repas du mort, cæna mortui, cérémonie funéraire en usage chez les anciens Hébreux, aussi-bien que chez plusieurs autres peuples. Elle consistoit à faire un festin ou sur le tombeau même d’une personne qu’on venoit d’inhumer, ou dans sa maison après ses funérailles.

Le prophete Baruch, chap. vj. vers. 31. parle en ces termes de ceux des païens, rugiunt autem clamantes contra deos suos, sicut in cænâ mortui, les païens hurlent en présence de leurs dieux, comme dans un repas qu’on fait pour les morts. Il parle de certaines solemnités où les idolâtres faisoient de grandes lamentations, comme dans les fêtes d’Adonis. Voyez Adonies ou Adoniennes.

Quant aux repas pour les morts, on en distinguoit de deux sortes, les uns se faisoient dans la maison du mort au retour du convoi, entre ses parens & ses amis qui ne manquoient pas d’y faire éclater leur douleur par des cris & des lamentations ; les autres se faisoient sur le tombeau même du mort, l’on y servoit à manger pour les ames errantes, & on croyoit que la déesse Trivia qui présidoit aux rues & aux chemins s’y trouvoit pendant la nuit : mais en effet c’étoient les pauvres qui venoient pendant les ténebres enlever tout ce qui étoit sur le tombeau.

Est honor, & tumulis animas placare paternas,
Parvaque in extructas munera ferre pyras.

Ovid. fast.

Quelquefois néanmoins les parens faisoient un petit repas sur le tombeau du mort. Ad sepulcrum antiquo more silicernium consecimus, id est περιδειπνον quo pransi discedentes dicimus alius alii : vale. Nonn. Marcell. ex Varron.

L’usage de mettre de la nourriture sur les sépulcres des morts étoit commun parmi les Hébreux. Tobie exhorte son fils à mettre son pain sur la sépulture du mort & de n’en point manger avec les pécheurs, c’est-à-dire avec les païens qui pratiquoient la même cérémonie.

Cette coutume étoit presque générale, elle avoit lieu chez les Grecs, chez les Romains, & presque dans tout l’Orient. Encore aujourd’hui, dans la Syrie, dans la Babylonie, dans la Chine la même chose est en usage. Saint Augustin, épitre 22, remarque que de son tems en Afrique on portoit à manger sur les tombeaux des martyrs & dans les cimetieres. La chose se fit dans les commencemens fort innocemment, mais ensuite il s’y glissa des abus que les plus saints & les plus zélés évêques, comme S. Ambroise & S. Augustin, eurent assez de peine à déraciner.

Les repas qu’on faisoit dans la maison du mort parmi les Juifs étoient encore de deux sortes ; les uns se faisoient pendant la durée du deuil, & ces repas étoient considérés comme souillés, parce que tous ceux qui y avoient part, étoient impurs à cause des obseques du mort : les autres qu’on faisoit dans le deuil sont ceux qui se donnoient après les funérailles. Josephe, lib. II. de bell. judaïc. c. j. raconte qu’Archelaüs, après avoir fait pendant sept jours le deuil du roi son pere, traita magnifiquement tout le peuple ; & il ajoute que c’est la coutume dans sa nation de donner à toute la parenté du mort des repas qui entraînent souvent une dépense excessive. Voyez Funérailles, Deuil, Tombeau, Sépulcre, &c. Calmet, Dictionn. de la Bible. tome III. p. 364.

Repas de noces, (Antiq. grecq.) pour instruire le lecteur de la nature des repas de noces chez les Grecs, je ne puis guere mieux faire que de transcrire la description qu’en a donnée Lucien dans un dialogue intitulé les lapithes : c’est dommage que ce morceau soit si court.

Dès qu’on fut assemblé, dit Lucien, & qu’il fallut se mettre à table, les femmes, qui étoient en assez grand nombre, & l’épousée au milieu couverte d’un voile, prirent le côté de la main droite, & les hommes se mirent vis-à-vis ; le banquier Eucrite au haut bout, puis Aristenet ; ensuite Zénothemis & Hermon : après eux s’assit le péripatéticien Cléodeme, puis le platonicien, & ensuite le marié ; moi après, le précepteur de Zénon après moi, puis son disciple.

On mangea assez paisiblement d’abord, car il y avoit quantité de viandes, & fort bien apprêtées. Après avoir été quelque tems à table, Alcidamas le cynique entra : le maître de la maison lui dit qu’il étoit le bien venu, & qu’il prît un siege près de Dionysidore. Vous m’estimeriez bien lâche, dit-il, de m’asseoir à table ou de me coucher comme je vous vois, à demi renversés sur ces lits avec des carreaux de pourpre, comme s’il étoit question de dormir, & non pas de manger : je me veux tenir de bout, & paître deçà & delà à la façon des Scythes, &c. cependant les santés couroient à la ronde, & l’on s’entretenoit de divers discours. Comme on tardoit à apporter un nouveau service, Aristene qui ne vouloit pas qu’il se passât un moment sans quelque divertissement, fit entrer un bouffon pour réjouir la compagnie. Il commença à faire mille postures extravagantes, avec sa tête rase & son corps tout disloqué ; ensuite il chanta des vers en égyptien ; après cela il se mit à railler chaque convive, ce dont on ne faisoit que rire. On apporta le dernier service, où il y avoit pour chacun une piece de gibier, un morceau de venaison, un poisson & du dessert : en un mot, tout ce qu’on peut honnêtement ou manger, ou emporter. (D. J.)