L’Encyclopédie/1re édition/PÉRIPATÉTICIENNE Philosophie

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PÉRIPATÉTICIENNE Philosophie, ou Philosophie d’Aristote, ou Aristotélisme, (Hist. de la Philosoph.) Nous avons traité fort au long du Péripatéticisme, ou de la philosophie d’Aristote à l’article Aristotélisme ; il nous en reste cependant des choses intéressantes à dire, que nous avons réservées pour cet article, qui servira de complément à celui du premier volume de cet ouvrage.

De la vie d’Aristote. Nous n’avons rien à ajouter à ce qui en a été dit à l’article Aristotélisme. Consultez cet endroit sur la naissance, l’éducation, les études, le séjour de ce philosophe à la cour de Philippe & à celle d’Alexandre, sur son attachement & sa reconnoissance pour Platon son maître, sur sa vie dans Athènes, sur l’ouverture de son école, sur sa maniere de philosopher, sur sa retraite à Chalcis, sur sa mort, sur ses ouvrages, sur les différentes parties de sa philosophie en général. Mais pour nous conformer à la méthode que nous avons suivie dans tous nos articles de Philosophie, nous allons donner ici les principaux axiomes de chacune des parties de sa doctrine considérées plus attentivement.

De la logique d’Aristote. 1. La logique a pour objet ou le vraissemblable, ou le vrai ; ou, pour dire la même chose en des termes différens, ou la vérité probable, ou la vérité constante & certaine ; le vraissemblable ou la vérité probable appartient à la dialectique, la vérité constante & certaine à l’analyse. Les démonstrations de l’analyse sont certaines ; celles de la dialectique ne sont que vraissemblables.

2. La vérité se démontre, & pour cet effet on se sert du syllogisme, & le syllogisme est ou démonstratif & analytique ; ou topique & dialectique. Le syllogisme est composé de propositions ; les propositions sont composées de termes simples.

3. Un terme est ou homonyme, ou synonyme, ou paronyme ; homonyme, lorsqu’il comprend plusieurs choses diverses sous un nom commun ; synonyme, lorsqu’il n’y a point de différence entre le nom de la chose & sa définition ; paronyme, lorsque les choses qu’il exprime, les mêmes en elles, different par la terminaison & le cas.

4. On peut réduire sous dix classes les termes univoques ; on les appelle prédicamens ou catégories.

5. Et ces dix classes d’êtres peuvent se rapporter ou à la substance qui est par elle-même, ou à l’accident qui a besoin d’un sujet pour être.

6. La substance est ou premiere proprement dite, qui ne peut être le prédicat d’une autre, ni lui adhérer ; ou seconde, subsistante dans la premiere comme les genres & les especes.

7. Il y a neuf classes d’accidens, la quantité, la relation, la qualité, l’action, la passion, le tems, la situation, l’habitude.

8. La quantité est ou contenue ou discrete ; elle n’a point de contraire ; elle n’admet ni le plus ni le moins, & elle dénomme les choses, en les faisant égales ou inégales.

9. La relation est le rapport de toute la nature d’une chose à une autre ; elle admet le plus & le moins ; c’est elle qui entraîne une chose par une autre, qui fait suivre la premiere d’une précédente, & celle-ci d’une seconde, & qui les joint.

10. La qualité se dit de ce que la chose est, & l’on en distingue de quatre sortes, la disposition naturelle & l’habitude, la puissance & l’impuissance naturelles, la passibilité & la passion, la forme & la figure ; elle admet intensité & rémission, & c’est elle qui fait que les choses sont dites semblables ou dissemblables.

11. L’action & la passion ; la passion, de celui qui souffre ; l’action, de celui qui fait, marque le mouvement, admet des contraires, intensité & rémission.

12. Le tems & le lieu, la situation & l’habitude indiquent les circonstances de la chose désignées par ces mots.

13. Après ces prédicamens, il faut considérer les termes qui ne se réduisent point à ce système de classes, comme les opposés ; & l’opposition est ou relative, ou contraire, ou privative, ou contradictoire ; la priorité, la simultanéité, le mouvement, l’avoir.

14. L’énonciation ou la proposition est composée de termes ou mots ; il faut la rapporter à la doctrine de l’interprétation.

15. Le mot est le signe d’un concept de l’esprit, il est ou simple & incomplexe, ou complexe ; simple, si le concept ou la perception est simple, & la perception simple n’est ni vraie, ni fausse ; ou la perception est complexe, & participe de la fausseté & de la vérité, & le terme est complexe.

16. Le nom est un mot d’institution, sans rapport au tems, & dont aucune des parties prise séparément & en elle-même n’a de signification.

17. Le verbe est un mot qui marque le tems, dont aucune partie ne signifie par elle-même, & qui est toujours le signe des choses qui se disent d’un autre.

18. Le discours est une suite de mots d’institution, dont chaque partie séparée & l’ensemble signifient.

19. Entre les discours, le seul qui soit énonciatif & appartenant à l’hermeneutique, est celui qui énonce le vrai ou le faux ; les autres sont ou de la rhétorique ou de la poésie. Il a son sujet, son prédicat & sa copule.

20. Il y a cinq sortes de propositions, des simples & des complexes, des affirmatives & des négatives, des universelles, des particulieres, des indefinies & des singulieres, des impures & modales. Les modales sont ou nécessaires ou possibles, ou contingentes, ou impossibles.

21. Il y a trois choses à considérer dans la proposition, l’opposition, l’équipollence & la conversion.

22. L’opposition est ou contradictoire ou contraire ou sous-contraire.

23. L’équipollence fait que deux propositions désignent la même chose, & peuvent être ensemble toutes les deux vraies ou toutes les deux fausses.

24. La conversion est une transposition de termes, telle que la proposition affirmative & négative soit toujours vraie.

25. Le syllogisme est un discours où de prémisses posées il s’ensuit nécessairement quelque chose.

26. Trois termes font toute la matiere du syllogisme. La disposition de ces termes, selon les figures & les modes, en est la forme.

27. La figure est une disposition du terme moyen & des extrèmes, telle que la conséquence soit bien tirée. Le mode est la disposition des propositions, eu égard à la quantité & à la qualité.

28. Il y a trois figures de sillogisme. Dans la premiere, le terme moyen est sujet de la majeure, & prédicat de la mineure ; & il y a quatre modes où la conséquence est bien tirée. Dans la seconde, le terme moyen est le prédicat des deux extrèmes, & il y a quatre modes qui concluent bien. Dans la troisieme, le moyen est le sujet aux deux extrèmes, & il y a six modes où la conclusion est bonne.

29. Tout syllogisme est dans quelqu’une de ces figures, se parfait dans la premiere, & peut se réduire à son mode universel.

30. Il y a six autres formes du raisonnement ; la conversion des termes, l’induction, l’exemple, l’abduction, l’instance, l’enthymème. Mais toutes ayant force de syllogisme, peuvent & doivent y être réduites.

31. L’invention des syllogismes exige 1. les termes du problème donné ; & la supposition de la chose en question, des définitions, des propriétés, des antécédences, des conséquences, des répugnances. 2. Le discernement des essentiels, des propres, des accidentels, des certaines & des probables. 3. Le choix de conséquences universelles. 4. Le choix d’antécédences dont la chose soit une conséquence universelle. 5. L’attention de joindre le signe d’universalité non au conséquent, mais à l’antécédent. 6. L’emploi de conséquences prochaines & non éloignées. 7. Le même emploi des antécédens. 8. La préférence de conséquences d’une chose universelle, & de conséquences universelles d’une chose.

La finesse & l’étendue d’esprit qu’il y a dans toutes ces observations est incroyable. Aristote n’auroit découvert que ces choses, qu’il faudroit le regarder comme un homme du premier ordre. Il eût perfectionné tout d’un coup la logique, s’il eût distingué les idées de leurs signes, & qu’il se fût plus attaché aux notions qu’aux mots. Interrogez les Grammairiens sur l’utilité de ses distinctions.

32. Tout discours scientifique est appuyé sur quelque pensée antérieure de la chose dont on discourt.

33. Savoir, c’est entendre ce qu’une chose est, qu’elle est, que telle est sa cause, & qu’elle ne peut être autrement.

34. La démonstration est une suite de syllogismes d’où naît la science.

35. La science apodictique est des causes vraies, premieres, immédiates ; les plus certaines, & les moins sujettes à une démonstration préliminaire.

36. Il n’y a de science démonstrative que d’une chose nécessaire ; la démonstration est donc composée de choses nécessaires.

37. Ce qu’on énonce du tout, est ce qui convient au tout, par lui-même & toujours.

38. Le premier universel est ce qui est par soi-même, dans chaque chose, parce que la chose est chose.

39. La démonstration se fait par des conclusions d’éternelle vérité. D’où il s’ensuit qu’il n’y a ni démonstration des choses passageres, ni science, ni même définitions.

40. Savoir que la chose est, est un, & savoir pourquoi elle est, est un autre. De-là deux sortes de démonstrations, l’une à priori, l’autre à posteriori. La démonstration à priori est la vraie & la plus parfaite.

41. L’ignorance est l’opposé de la science ; ou c’est une négation pure, ou une dépravation. Cette derniere est la pire ; elle naît d’un syllogisme qui est faux, dont le moyen péche. Telle est l’ignorance qui naît du vice des sens.

42. Nulle science ne nait immédiatement des sens. Ils ont pour objet l’individuel ou singulier, & la science est des universaux. Ils y conduisent, parce que l’on passe de l’individuel connu par le sens à l’universel.

43. On procede par induction, en allant des individuels connus par le sens aux universaux.

44. Le syllogisme est dialectique, lorsque la conclusion suit de chose probable : or le probable est ce qui semble à tous ou à plusieurs, aux hommes instruits & sages.

45. La dialectique n’est que l’art de conjecturer. C’est par cette raison qu’elle n’atteint pas toujours sa fin.

46. Dans toute proposition, dans tout problême on énonce ou le genre, ou la différence, ou la définition, ou le propre, ou l’accident.

47. La définition est un discours qui explique la nature de la chose, son propre, non ce qu’elle est, mais ce qui y est. Le genre est ce qui peut se dire de plusieurs especes différentes. L’accident est ce qui peut être ou n’être pas dans la chose.

48. Les argumens de la dialectique procedent ou par l’induction ou par le syllogisme. Cet art a ses lieux. On emploie l’induction contre les ignorans, le syllogisme avec les hommes instruits.

49. L’élenchus est un syllogisme qui contredit la conclusion de l’antagoniste ; si l’élenchus est faux, le syllogisme est d’un sophiste.

50. L’élenchus est sophistique ou dans les mots ou hors des mots.

51. Il y a six sortes de sophismes de mots, l’homonisme, l’amphibologie, la composition, la division, l’accent, la figure du mot.

52. Il y a sept sortes de sophismes hors des mots ; le sophisme d’accident, le sophisme d’universalité, ou de conclusion d’une chose avouée avec restriction à une chose sans restriction ; le sophisme fondé sur l’ignorance de l’élenchus ; le sophisme du conséquent ; la pétition de principe ; le sophisme de cause supposée telle, & non telle ; le sophisme des interrogations successives.

53. Le sophiste trompe ou par des choses fausses, ou par des paradoxes, ou par le solécisme, ou par la tautologie. Voilà les limites de son art.

De la philosophie naturelle d’Aristote. Il disoit 1. le principe des choses naturelles n’est point un, comme il a plu aux Eléatiques ; ce n’est point l’homéomérie d’Anaxogore ; ni les atômes de Leucippe & de Démocrite ; ni les élémens sensibles de Thalès & de son école, ni les nombres de Pithagore, ni les idées de Platon.

2. Il faut que les principes des choses naturelles soient opposés entr’eux, par qualités & par privations.

3. J’appelle principes, des choses qui ne sont point réciproquement les unes des autres, ni d’autres choses, mais qui sont d’elles-mêmes, & dont tout est. Tels sont les premiers contraires. Puisqu’ils sont premiers, ils ne sont point d’autres ; puisqu’ils sont contraires, ils ne sont pas les uns des autres.

4. Ils ne sont pas infinis ; sans cette condition, il n’y a nul accès à la connoissance de la nature. Il y en a plus de deux. Deux se mettroient en équilibre à la fin, ou se détruiroient, & rien ne seroit produit.

5. Il y a trois principes des choses naturelles ; deux contraires, la forme & la privation ; un troisieme également soumis aux deux autres, la matiere. La forme & la matiere constituent la chose. La privation n’est qu’accidentelle. Elle n’entre point dans la matiere. Elle n’a rien qui lui convienne.

6. Il faut que ce qui donne origine aux choses soit une puissance. Cette puissance est la matiere premiere. Les choses ne sont pas de ce qui est actuellement, ni de ce qui n’est pas actuellement, car ce n’est rien.

7. La matiere ni ne s’engendre, ni ne se détruit ; car elle est premiere ; le sujet infini de tout. Les choses sont formées premierement, non pas d’elles-mêmes, mais par accident. Elles se résoudront ou se résolvent en elle.

8. Des choses qui sont, les unes sont par leur nature, d’autres par des causes. Les premieres ont en elles le principe du mouvement ; les secondes ne l’ont pas. La nature est le principe & la cause du mouvement ou du repos en ce qui est premierement de soi & non par accident ; ou elles se reposent & se meuvent par leur nature ; telles sont les substances matérielles. Les propriétés sont analogues à la nature qui consiste dans la matiere & dans la forme. Cependant la forme qui est un acte est plus de nature que la matiere.

Ce principe est très-obscur. On ne sait ce que le philosophe entend par nature. Il semble avoir pris ce mot sous deux acceptions différentes, l’une de propriété essentielle, l’autre de cause générale.

9. Il y a quatre especes de causes ; la matérielle, dont tout est ; la formelle, par qui tout est, & qui est la cause de l’essence de chaque chose ; l’efficiente, qui produit tout ; & la finale pour laquelle tout est. Ces causes sont prochaines ou éloignées ; principales ou accessoires ; en acte ou en puissance ; particulieres ou universelles.

10. Le hasard est cause de beaucoup d’effets. C’est un accident qui survient à des choses projettées. Le fortuit se prend dans une acception plus étendue. C’est un accident qui survient à des choses projettées par la nature, du moins pour une fin marquée.

11. La nature n’agit point fortuitement, au hasard, & sans dessein : ce que nature prémédite a lieu, en tout ou en partie, comme dans les monstres.

12. Il y a deux nécessités, l’une absolue, l’une conditionnelle. La premiere est de la matiere ; la seconde, de la forme ou fin.

13. Le mouvement est un acte de la puissance en action.

14. Ce qui passe sans fin est infini. Il n’y a point d’acte infini dans la nature. Il y a cependant des êtres infinis en puissance.

15. Le lieu est une surface immédiate & immobile d’un corps qui en contient un autre. Tout corps qu’un autre contient est dans le lieu. Ce qui n’est pas contenu dans un autre n’est pas dans le lieu. Les corps ou se reposent dans leur lieu naturel, ou ils y tendent comme des portions arrachées à un tout.

16. Le vuide est un lieu dénué de corps. Il n’y en a point de tels dans la nature. Le vuide se suppose, il n’y auroit point de mouvement. Car il n’y auroit ni haut, ni bas, ni aucune partie où le mouvement tendît.

17. Le tems est le calcul du mouvement relatif à la priorité & à la postériorité. Les parties du tems touchent à l’instant présent, comme les parties d’une ligne au point.

18. Tout mouvement & tout changement se fait dans le tems ; & il y a dans tout être mu, vîtesse ou lenteur qui se peut déterminer par le tems. Ainsi le ciel, la terre & la mer sont dans le tems, parce qu’ils peuvent être mus.

19. Le tems étant un nombre nombré ; il faut qu’il y ait un être nombreux qui soit son support.

20. Le repos est la privation du mouvement dans un corps considéré comme mobile.

21. Point de mouvement qui se fasse en un instant, Il se fait toujours dans le tems.

23. Ce qui se meut dans un tems entier, se meut dans toutes les parties de ce tems.

24. Tout mouvement est fini ; car il se fait dans le tems.

25. Tout ce qui se meut est mu par un autre qui agit ou au-dedans ou au-dehors du mobile.

26. Mais comme ce progrès à l’infini est impossible ; il faut donc arriver à un premier moteur, qui ne prenne son mouvement de rien, & qui soit l’origine de tout mouvement.

26. Ce premier moteur est immobile, car s’il se mouvoit, ce seroit par un autre ; car rien ne se meut de soi. Il est éternel, car tout se meut de toute éternité, & si le mouvement avoit commencé, le premier moteur n’auroit pu mouvoir, & la durée ne seroit pas éternelle. Il est indivisible & sans quantité. Il est infini ; car le moteur doit être le premier, puisqu’il meut de toute éternité. Sa puissance est illimitée ; or une puissance infinie ne peut se supposer dans une quantité finie, telle qu’est le corps.

27. Le ciel composé de corps parfaits, comprenant tout, & rien ne le comprenant, est parfait.

28. Il y a autant de corps simples que de différences dans le mouvement simple. Or il y a deux mouvemens simples, le rectiligne & le circulaire. Celui-là tend à s’éloigner du centre ou en approcher, sans modification ou avec modification. Comme il y a quatre mouvemens rectilignes simples, il y a quatre élemens ou corps simples. Le mouvement circulaire étant de nature contraire au mouvement rectiligne, il faut qu’il y ait une cinquieme essence, differente des autres, plus parfaite, divine, c’est le ciel.

29. Le ciel n’est ni pesant, ni leger. Il ne tend ni à s’approcher, ni à s’éloigner du centre comme les graves & les légers. Il se meut circulairement.

30. Le ciel n’ayant point de contraire, il est sans génération, sans conception, sans accroissement, sans diminution, sans changement.

31. Le monde n’est point infini, & il n’y a hors de lui nul corps infini ; car le corps infini est impossible.

32. Il n’y a qu’un monde. S’il y en avoit plusieurs poussés les uns contre les autres, ils se déplaceroient.

33. Le monde est éternel ; il ne peut ni s’accroître ni diminuer.

34. Le monde ou le ciel se meut circulairement par sa nature ; ce mouvement toutefois n’est pas uniforme & le même dans toute son étendue. Il y a des orbes qui en croisent d’autres ; le premier mobile a des contraires ; de-là les causes des vicissitudes, de générations & de corruptions dans les choses sublunaires.

35. Le ciel est sphérique.

36. Le premier mobile se meut uniformément ; il n’a ni commencement, ni milieu, ni fin. Le premier mobile & le premier moteur sont éternels, & ne souffrent aucune altération.

37. Les astres de même nature que le corps ambiant qui les soutient, sont seulement plus denses. Ce sont les causes de la lumiere & de la chaleur. Ils frottent l’air & l’embrasent. C’est sur-tout ce qui a lieu dans la sphere du soleil.

38. Les étoiles fixes ne se meuvent point d’elles-mêmes ; elles suivent la loi de leurs orbes.

39. Le mouvement du premier mobile est le plus rapide. Entre les planetes qui lui sont soumises, celles-là se meuvent le plus vîte qui en sont les moins éloignées, & réciproquement.

40. Les étoiles sont rondes. La lune l’est aussi.

41. La terre est au centre du ciel. Elle est ronde, & immobile dans le milieu qui la soutient. Elle forme un orbe ou globe avec l’eau.

42. L’élement est un corps simple, dans lesquels les corps composés sont divisibles ; & il existe en eux ou en acte ou en puissance.

43. La gravité & la légereté sont les causes motrices des élémens. Le grave est ce qui est porté vers le centre ; le léger ce qui tend vers le ciel.

44. Il y a deux élemens contraires ; la terre qui est grave absolument ; le feu qui est naturellement leger. L’air & l’eau sont d’une nature moyenne entre la terre & le feu, & participent de la nature de ces extrêmes contraires.

45. La génération & la corruption se succédent sans fin. Elle est ou simple, ou accidentelle. Elle a pour cause le premier moteur & la matiere premiere de tout.

46. Etre engendré est un, être altéré, un autre. Dans l’altération, le sujet reste entier, mais les qualités changent. Tout passe dans la génération. L’augmentation ou la diminution est un changement dans la quantité ; le mouvement local, un changement d’espace.

47. L’accroissement suppose nutrition. Il y a nutrition lorsque la substance d’un corps passe dans la substance d’un autre. Un corps animé augmente, si sa quantité s’accroît.

48. L’action & la passion sont mutuelles dans le contact physique. Il a lieu entre des choses en partie dissemblables de forme, en partie semblables de nature ; les unes & les autres tendant à s’assimiler le patient.

49. Les qualités tactiles, objets des sens, naissent des principes & de la différence des élemens qui différentient les corps. Ces qualités sont par paires au nombre de sept ; le froid & le chaud ; l’humide & le sec ; le grave & le léger ; le dur & le mol ; le visqueux & l’aride ; le rude & le doux ; le grossier & le tenu.

50. Entre ces qualités premieres, il y en a deux d’actives, le chaud & le froid ; deux de passives, l’humide & le sec ; le chaud rassemble les homogenes ; le froid dissipe les hétérogenes. On retient difficilement l’humide, le sec facilement.

51. Le feu naît du chaud & de l’aride ; l’air du chaud & de l’humide ; l’eau du froid & de l’humide ; la terre du froid & du sec.

52. Les élemens sont tous convertibles les uns dans les autres, non par génération, mais par altération.

53. Les corps mixtes sont composés ou mélangés de tous les élemens.

54. Il y a trois causes des mixtes ; la matiere qui peut être ou ne pas être telle chose ; la forme, cause de l’essence ; & le mouvement du ciel, cause efficiente universelle.

55. Entre les mixtes, il y en a de parfaits ; il y en a d’imparfaits ; entre les premiers, il faut compter les météores, comme les cometes, la voie lactée, la pluie, la neige, la grêle, les vents, &c.

56. La putréfaction s’oppose à la génération des mixtes parfaits. Tout est sujet à putréfaction, excepté le feu.

57. Les animaux naissent de la putréfaction aidée de la chaleur naturelle.

Principes de la Psychologie d’Aristote. 1. L’ame ne se meut point d’elle-même ; car tout ce qui se meut est mu par un autre.

2. L’ame est la premiere entélechie du corps organique naturelle ; elle a la vie en puissance. La premiere entélechie est le principe de l’opération ; la leconde est l’acte ou l’opération même. Voyez sur ce mot obscur entélechie, l’article Léibnitianisme.

3. L’ame a trois facultés ; la nutritive, la sensitive & la rationelle. La premiere contient les autres en puissance.

4. La nutritive est celle par qui la vie est à toute choses ; ses actes sont la génération & le développement.

5. La sensitive est celle qui les fait sentir. La sensation est en général un changement occasionne dans l’organe par la présence d’un objet apperçu. Le sens ne se meut point de lui-même.

6. Les sens extérieurs sont la vue, l’ouie, l’odorat, le goût, le toucher.

7. Ils sont tous affectés par des especes sensibles abstraites de la matiere, comme la cire reçoit l’impression du cachet.

8. Chaque sens apperçoit les différences de ses objets propres, aveugle sur les objets d’un autre sens. Il y a donc quelqu’autre sens commun & interne, qui saisit le tout, & juge sur le rapport des sens externes.

9. Le sens differe de l’intellect. Tous les animaux ont des sens. Peu ont de l’intellect.

10. La fantaisie ou l’imagination differe du sens & de l’intellect ; quoique sans exercice préliminaire des sens, il n’y ait point d’imagination, comme sans imagination, il n’y a point de pensée.

11. La pensée est un acte de l’intellect qui montre science, opinion & prudence.

12. L’imagination est un mouvement animal, dirigé par le sens en action, en conséquence duquel l’animal est agité, concevant des choses tantôt vraies, tantôt fausses.

13. La mémoire nait de l’imagination. Elle est le magasin de réserve des choses passées ; elle appartient en partie à l’imagination, en partie à l’entendement ; à l’entendement par accident, en elle-même à l’imagination. Elles ont leur principe dans la même faculté de l’ame.

14. La mémoire qui naît de l’impression sur le sens, occasionnée par quelque objet, cesse si trop d’humidité ou de sécheresse, efface l’image. Elle suppose donc une sorte de tempérie dans le cerveau.

15. La réminiscence s’exerce, non par le tourment de la mémoire, mais par le discours, & la recherche exacte de la suite des choses.

16. Le sommeil suit la stupeur ou l’enchaînement des sens ; il affecte sur-tout le sens interne commun.

17. L’insomnie provient des simulacres de l’imagination offerts dans le sommeil, quelques mouvemens s’excitant encore, ou subsistant dans les organes de la sensation vivement affectés.

18. L’intellect est la troisieme faculté de l’ame ; elle est propre à l’homme, c’est la portion de lui qui connoît & qui juge.

19. L’intellect est ou agent ou patient.

20. Patient, parce qu’il prend toutes les formes des choses ; agent, parce qu’il juge & connoît.

21. L’intellect agent peut être séparé du corps ; il est immortel, éternel, sans passion. Il n’est point confondu avec le corps. L’intellect passif ou patient est périssable.

22. Il y a deux actes dans l’entendement ; ou il s’exerce sur les indivisibles, & ses perceptions sont simples, & il n’y a ni vérité ni fausseté ; ou il s’occupe des complexes, & il affirme ou nie, & alors il y a ou vérité ou fausseté.

23. L’intellect actif est ou théorétique ou pratique ; le théorétique met en acte la chose intelligible ; le pratique juge la chose bonne ou mauvaise, & meut la volonté à aimer ou à haïr, à desirer ou à fuir.

24. L’intellect pratique & l’appétit sont les causes du mouvement local de l’animal ; l’un connoît la chose & la juge ; l’autre la desire ou l’évite.

25. Il y a dans l’homme deux appétits ; l’un raisonnable & l’autre sensitif : celui-ci est ou irascible, ou concupiscent, il n’a de regle que le sens & l’imagination.

26. Il n’y a que l’homme qui ait l’imagination délibérative, en conséquence de laquelle il choisit le mieux. Cet appétit raisonnable qui en naît doit commander en lui à l’appétit sensitif qui lui est commun avec les brutes.

27. La vie est une permanence de l’ame retenue par la chaleur naturelle.

28. Le principe de la chaleur est dans le cœur ; la chaleur cessant, la mort suit.

Métaphysique d’Aristote. 1. La Métaphysique s’occupe de l’être en tant qu’être, & de ses principes. Ce terme être se dit proprement de la substance dont l’essence est une ; & improprement, de l’accident qui n’est qu’un attribut de la substance. La substance est donc le premier objet de la Métaphysique.

2. Un axiome universel & premier ; c’est qu’il est impossible qu’une chose soit & ne soit pas, dans le même sujet, en même tems, de la même maniere & sous le même point de vue. Cette vérité est indémontrable, & c’est le dernier terme de toute argumentation.

3. L’être est ou par lui-même, ou par accident ; ou en acte ou en puissance, ou en réalité, ou en intention.

4. Il n’y a point de science de l’être par accident ; c’est une sorte de non-être ; il n’a point de cause.

5. L’être par lui, suit dans sa division, les dix prédicamens.

6. La substance est le support des accidens ; c’est en elle qu’on considere la matiere, la forme, les rapports, les raisons, la composition. Nous nous servons du mot de substance par préférence à celui de matiere, quoique la matiere soit substance, & le sujet premier.

7. La matiere premiere est le sujet de tout. Toutes les propriétés séparées du corps par abstraction, elle reste ; ainsi elle n’est ni une substance complete, ni une quantité, ni de la classe d’aucun autre prédicament. La matiere ne peut se séparer de la forme ; elle n’est ni singuliere, ni déterminée.

8. La forme constitue ce que la chose est dite être ; c’est toute sa nature, son essence, ce que la définition comprend. Les substances sensibles ont leurs définitions propres ; il n’en est pas ainsi de l’être par accident.

9. La puissance est ou active ou passive. La puissance active est le principe du mouvement, ou du changement d’une chose en une autre, ou de ce qui nous paroît tel.

10. La puissance passive est dans le patient, & l’on ne peut séparer son mouvement du mouvement de la puissance active, quoique ces puissances soient en des sujets différens.

11. Entre les puissances il y en a de raisonnables, il y en a qui n’ont point la raison.

12. La puissance séparée de l’exercice n’en existe pas moins dans les choses.

13. Il n’y a point de puissance dont les actes soient impossibles. Le possible est ce qui suit ou suivra de quelque puissance.

14. Les puissances sont ou naturelles ou acquises ; acquises ou par l’habitude, ou par la discipline.

15. Il y a acte lorsque la puissance devient autre qu’elle n’étoit.

16. Tout acte est antérieur à la puissance, & à tout ce qui y est compris, antérieur de concept, d’essence & de tems.

17. L’être intentionnel est ou vrai ou faux ; vrai si le jugement de l’intellect est conforme à la chose ; faux si cela n’est pas.

18. Il y a vérité & fausseté même dans la simple appréhension des choses, non-seulement considérée dans l’énumération, mais en elle-même en tant que perception.

19. L’entendement ne peut être trompé dans la connoissance des choses immutables ; l’erreur n’est que des contingens & des passagers.

20. L’unité est une propriété de l’être ; ce n’est point une substance, mais un catégorème, un prédicat de la chose, en tant que chose ou être. La multitude est l’opposé de l’unité. L’égalité & la similitude se rapportent à l’unité ; il en est de même de l’identité

21. Il y a diversité de genre & d’espece ; de genre entre les choses qui n’ont pas la même matiere ; d’espece entre celles dont le genre est le même.

22. Il y a trois sortes de substances ; deux naturelles, dont l’une est corruptible, comme les animaux ; & l’autre sempiternelle, comme le ciel ; la troisieme immobile.

23. Il faut qu’il y ait quelque substance immobile & perpétuelle, parce qu’il y a un mouvement local éternel ; un mouvement circulaire propre au ciel qui n’a pu commencer. S’il y a un mouvement & un tems éternels, il faut qu’il y ait une substance sujet de ce mouvement, & mue, & une substance source de ce mouvement & non mue ; une substance qui exerce le mouvement & le contienne ; une substance sur laquelle il soit exercé & qui le mouve.

24. Les substances génératrices du mouvement éternel ne peuvent être matérielles, car elles meuvent par un acte éternel sans le secours d’autres puissances.

25. Le ciel est une de ces substances. Il est mu circulairement. Il ne faut point y chercher la cause des générations & des conceptions, parce que son mouvement est une forme. Elle est dans les spheres inférieures, & sur-tout dans la sphere du soleil

26. Le premier ciel est donc éternel ; il est mu d’un mouvement éternel ; il y a donc autre chose d’éternel qui le meut, qui est acte & substance, & qui ne se meut point.

27. Mais comment agit ce premier moteur ? En desirant & en concevant. Toute son action consiste en une influence par laquelle il concourt avec les intelligences inférieures pour mouvoir leurs spheres.

28. Toute la force effectrice du premier moteur n’est qu’une application des forces des moteurs subalternes à l’ouvrage qui leur est propre, & auquel il coopere, de maniere qu’il en est entierement indépendant quant au reste ; ainsi les intelligences meuvent le ciel, non par la génération des choses inférieures, mais pour le bien général auquel elles tendent à se conformer.

29. Ce premier moteur est Dieu, être vivant, éternel, très-parfait, substance immobile, différente des choses sensibles, sans parties matérielles, sans quantité, sans divisibilité.

30. Il jouit d’une félicité complete & inaltérable ; elle consiste à se concevoir lui-même & à se contempler.

31. Après cet être des êtres, la premiere substance, c’est le moteur premier du ciel, au-dessous duquel il y a d’autres intelligences immatérielles, éternelles, qui président au mouvement des spheres inférieures, selon leur nombre & leurs degrés.

32. C’est une ancienne tradition que ces substances motrices des spheres sont des dieux, & cette doctrine est vraiment céleste. Mais sont-elles sous la forme de l’homme, ou d’autres animaux ? c’est un préjugé qu’on a accrédité parmi les peuples pour la sûreté de la vie & la conservation des lois.

De l’athéisme d’Aristote. Voyez l’article Aristotélisme.

Principes de la morale ou de la philosophie pratique d’Aristote. 1. La félicité morale ne consiste point dans les plaisirs des sens, dans la richesse, dans la gloire civile, dans la puissance, dans la noblesse, dans la contemplation des choses intelligibles ou des idées.

2. Elle consiste dans la fonction de l’ame occupée dans la pratique d’une vertu ; ou s’il y a plusieurs vertus, dans le choix de la plus utile & la plus parfaite.

3. Voilà le vrai bonheur de la vie, le souverain bien de ce monde.

4. Il y en a d’autres qu’il faut regarder comme des instrumens qu’il faut diriger à ce but ; tels sont les amis, les grandes possessions, les dignités, &c.

5. C’est l’exercice de la vertu qui nous rend heureux autant que nous pouvons l’être.

6. Les vertus sont, ou théoritiques ou pratiques.

7. Elles s’acquierent par l’usage. Je parle des pratiques, & non des contemplatives.

8. Il est un milieu qui constitue la vertu morale en tout.

9. Ce milieu écarte également l’homme de deux points opposés & extrèmes, à l’un desquels il péche par excès, & à l’autre par défaut.

10. Il n’est pas impossible à saisir même dans les circonstances les plus agitées, dans les momens de passions les plus violens, dans les actions les plus difficiles.

11. La vertu est un acte délibéré, choisi & volontaire. Il suit de la spontanéité dont le principe est en nous.

12. Trois choses la perfectionnent, la nature, l’habitude & la raison.

13. Le courage est la premiere des vertus ; c’est le milieu entre la crainte & la témérité.

14. La tempérance est le milieu entre la privation & l’excès de la volupté.

15. La libéralité est le milieu entre l’avarice & la prodigalité.

16. La magnificence est le milieu entre l’économie sordide & le faste insolent.

17. La magnanimité qui se rend justice à elle-même, qui se connoît, tient le milieu entre l’humilité & l’orgueil.

18. La modestie qui est relative à la poursuite des honneurs est également éloignée du mepris & de l’ambition.

19. La douceur comparée à la colere, n’est ni féroce, ni engourdie.

20. La popularité ou l’art de capter la bienveillance des hommes, évite la rusticité & la bassesse.

21. L’intégrité, ou la candeur se place entre l’impudence & la dissimulation.

22. L’urbanité ne montre ni grossiereté ni bassesse.

23. La honte qui ressemble plus à une passion qu’à une habitude, a aussi son point entre deux excès opposés ; elle n’est ni pusillanime ni intrépide.

24. La justice relative au jugement des actions, est ou universelle ou particuliere.

25. La justice universelle est l’observation des lois établies pour la conservation de la société humaine.

26. La justice particuliere qui rend à chacun ce qui lui est dû, est ou distributive, ou commutative.

27. Distributive, lorsqu’elle accorde les honneurs & les récompenses, en proportion du mérite. Elle est fondée sur une progression géométrique.

28. Commutative, lorsque dans les échanges elle garde la juste valeur des choses, & elle est fondée sur une proportion arithmétique.

29. L’équité differe de la justice. L’équité corrige le défaut de la loi. L’homme équitable ne l’interprete point en sa faveur d’une maniere trop rigide.

30. Nous avons traité des vertus propres à la portion de l’ame qui ne raisonne pas. Passons à celle de l’intellect.

31. Il y a cinq especes de qualités intellectuelles, ou théorétiques ; la science, l’art, la prudence, l’intelligence, la sagesse.

32. Il y a trois choses à fuir dans les mœurs ; la disposition vicieuse, l’incontinence, la férocité. La bonté est l’opposé de la disposition vitieuse ; la continence est l’opposé de l’incontinence. L’héroïsme est l’opposé de la férocité. L’héroïsme est le caractere des hommes divins.

33. L’amitié est compagne de la vertu ; c’est une bienveillance parfaite entre des hommes qui se payent de retour. Elle se forme ou pour le plaisir ou pour l’utilité ; elle a pour base ou les agrémens de la vie, ou la pratique du bien ; & elle se divise en imparfaite & en parfaite.

34. C’est ce que l’on accorde dans l’amitié, qui doit être la mesure de ce que l’on exige.

35. La bienveillance n’est pas l’amitié, c’en est le commencement ; la concorde l’amene.

36. La douceur de la société est l’abus de l’amitié.

37. Il y a diverses sortes de voluptés.

38. Je ne voudrois pas donner le nom de volupté aux plaisirs deshonnetes. La volupté vraie est celle qui naît des actions vertueuses, & de l’accomplissement des desirs.

39. La félicité qui naît des actions vertueuses est ou active, ou contemplative.

40. La contemplative qui occupe l’ame, & qui mérite à l’homme le titre de sage, est la plus importante.

41. La félicité qui résulte de la possession & de la jouissance des biens extérieurs n’est pas à comparer avec celle qui découle de la vertu, & de ses exercices.

Des successeurs d’Aristote, Théophraste, Straton, Lycon, Ariston, Critolaüs, Diodore, Dicéarque, Eudeme, Héraclide, Phanias, Demetrius, Hyeronimus.

Théophraste naquit à Eresse, ville maritime de l’île de Lesbos. Son pere le consacra aux muses, & l’envoya sous Alcippe. Il vint à Athenes ; il vit Platon ; il écouta Aristote, qui disoit de Callisthène & de lui, qu’il falloit des éperons à Callisthène & un mors à Théophraste. Voyez à l’article Aristotélisme, les principaux traits de son caractere & de sa vie. Il se plagnoit, en mourant, de la nature qui avoit accordé de si longs jours aux corneilles, & de si courts aux hommes. Toute la ville d’Athenes suivit à pié son convoi. Il nous reste plusieurs de ses ouvrages. Il fit peu de changemens à la doctrine de son maître.

Il admettoit avec Aristote autant de mouvemens, que de prédicamens ; il attribuoit aussi au mouvement l’altération, la génération, l’accroissement, la corruption, & leurs contraires. Il disoit que le lieu étoit immobile ; que ce n’étoit point une substance, mais un rapport à l’ordre & aux positions ; que le lieu étoit dans les animaux, les plantes, leurs dissemblables, animés ou inanimés, parce qu’il y avoit dans tous les êtres une relation des parties au tout qui déterminoit le lieu de chaque partie ; qu’il falloit compter entre les mouvemens les appétits, les passions, les jugemens, les spéculations de l’ame ; que tous ne naissent pas des contraires ; mais que des choses avoient pour cause leurs contraires, d’autres leurs semblables, d’autres encore de ce qui est actuellement. Que le mouvement n’étoit jamais séparé de l’action ; que les contraires ne pouvoient être compris sous un même genre ; que les contraires pouvoient être la cause des contraires ; que la salure de la mer ne venoit pas de la chaleur du soleil, mais de la terre qui lui servoit de fond ; que la direction oblique des vents avoit pour cause la nature des vents même, qui en partie graves, & en partie légers, étoient portés en même tems en haut & en bas ; que le hasard & non la prudence mene la vie ; que les mules engendrent en Cappadoce ; que l’ame n’étoit pas fort assujettie au corps, mais qu’elle faisoit beaucoup d’elle-même ; qu’il n’y avoit point de volupté fausse ; qu’elles étoient toutes vraies ; enfin qu’il y avoit un principe de toutes choses par lequel elles étoient & subsistoient, & que ce principe étoit un & divin.

Il mourut à l’âge de 85 ans ; il eut beaucoup d’amis, & il étoit d’un caractere à s’en faire & à les conserver ; il eut aussi quelques ennemis, & qu’est-ce qui n’en a pas ? On nomme parmi ceux-ci Epicure & la celebre Léontine.

Straton naquit à Lampsac. Il eut pour disciple Ptolomée Philadelphe ; il ne négligea aucune des parties de la Philosophie, mais il tourna particulierement ses vues vers les phénomenes de la nature. Il prétendoit :

Qu’il y avoit dans la nature une force divine, cause des générations, de l’accroissement, de la diminution, & que cependant cette cause étoit sans intelligence.

Que le monde n’étoit point l’ouvrage des dieux, mais celui de la nature, non comme Démocrite l’avoit rêvé, en conséquence du rude & du poli, des atomes droits ou crochus, & autres visions.

Que tout se faisoit par les poids & les mesures.

Que le monde n’étoit point un animal, mais que le mouvement & le hasard avoient tout produit, & conservoient tout.

Que l’être ou la permanence de ce qui est, c’étoit la même chose.

Que l’ame étoit dans la base des sourcils.

Que les sens étoient des especes de fenêtres par lesquelles l’ame regardoit, & qu’elle étoit tellement unie au sens, que eu égard à ses opérations, elle ne paroissoit pas en différer.

Que le tems étoit la mesure du mouvement & du repos.

Que les tems se résolvoient en individu, mais que le lieu & les corps se divisoient à l’infini.

Que ce qui se meut, se meut dans un tems individuel.

Que tout corps étoit grave & tendoit au milieu.

Que ce qui est au-delà du ciel étoit un espace immense, vuide de sa nature, mais se remplissant sans cesse de corps ; ensorte que ce n’est que par la pensée qu’on peut le considérer comme subsistant par lui-même.

Que cet espace étoit l’enveloppe générale du monde.

Que toutes les actions de l’ame étoient des mouvemens, & l’appétit irraisonnable, & l’appétit sensible.

Que l’eau est le principe du premier froid.

Que les cometes ne sont qu’une lumiere des astres renfermée dans une nue, comme nos lumieres artificielles dans une lanterne.

Que nos sensations n’étoient pas, à proprement parler, dans la partie affectée, mais dans un autre lieu principal.

Que la puissance des germes étoit spiritueuse & corporelle.

Qu’il n’y avoit que deux êtres, le mot & la chose, & qu’il y avoit de la vérité & de la fausseté dans le mot.

Straton mourut sur la fin de la 127e olympiade. Voyez à l’article Aristotélisme le jugement qu’il faut porter de sa philosophie.

Lycon, successeur de Straton, eut un talent particulier pour instruire les jeunes gens. Personne ne sut mieux exciter en eux la honte & réveiller l’émulation. Sa prudence n’étoit pas toute renfermée dans son école ; il en montra plusieurs fois dans les conseils qu’il donna aux Athéniens ; il eut la faveur d’Attale & d’Eumene. Antiochus voulut se l’attacher, mais inutilement. Il étoit fastueux dans son vêtement. Né robuste, il se plaisoit aux exercices athlétiques ; il fut chef de l’école péripatéticienne pendant 44 ans. Il mourut de la goutte à 74.

Lycon laissa la chaire d’Aristote à Ariston. Nous ne savons de celui-ci qu’une chose, c’est qu’il s’attacha à parler & à écrire avec élégance & douceur, & qu’on desira souvent dans ses leçons un poids & une gravité plus convenables au philosophe & à la Philosophie.

Ariston eut pour disciple & successeur Critolaüs de Phasclide. Il mérita par son éloquence d’être associé à Carneade & à Diogène, dans l’ambassade que les Athéniens décernerent aux Romains. L’art oratoire lui paroissoit un mal dangereux, & non pas un art. Il vécut plus de 80 ans. Dieu n’étoit, selon lui, qu’une portion très-subtile d’æther. Il disoit que toutes ces cosmogonies que les prêtres débitoient aux peuples, n’avoient rien de conforme à la nature, & n’étoient que des fables ridicules ; que l’espece humaine étoit de toute éternité ; que le monde étoit de lui-même ; qu’il n’avoit point eu de commencement ; qu’il n’y avoit aucune cause capable de le détruire, & qu’il n’auroit pas de fin. Que la perfection morale de la vie consistoit à s’assujettir aux lois de la nature. Qu’en mettant les plaisirs de l’ame & ceux du corps dans une balance, c’étoit peser un atome avec la terre & les mers.

On sait que Diodore instruit par Critolaüs, lui succéda dans le lycée, mais on ignore qui il fut ; quelle fut sa maniere d’enseigner ; combien de tems il occupa la chaire, ni qui lui succéda. La chaîne péripatéticienne se rompit à Diodore. D’Aristote à celui-ci, il y eut onze maîtres, entre lesquels il nous en manque trois. On peut donc finir à Diodore la premiere période de l’école péripatéticienne, après avoir dit un mot de quelques personnages célebres qui lui ont fait honneur.

Dicéarque fut de ce nombre ; il étoit Messénien. Ciceron en faisoit grand cas. Ce philosophe disoit :

1. L’ame n’est rien : c’est un mot vuide de sens. La force par laquelle nous agissons, nous sentons, nous pensons, est diffuse dans toute la matiere dont elle est aussi inséparable que l’étendue, & où elle s’exerce diversement, selon que l’être un & simple est diversement configuré.

2. L’espece humaine est de toute éternité.

3. Toutes les divinations sont fausses, si l’on en excepte celles qui se présentent à l’ame, lorsque libre de distraction, elle est suffisamment attentive à ce qui se passe en elle.

4. Qu’il vaut mieux ignorer l’avenir que le connoître.

Il étoit versé profondément dans la politique. On lisoit tous les ans une fois, dans l’assemblée des éphores, le livre qu’il avoit écrit de la république de Lacédémone.

Des princes l’employerent à mesurer la hauteur & la distance des montagnes, & à perfectionner la Géographie.

Eudeme, né à Rhodes, étudia sous Aristote. Il ajouta quelque chose à la logique de son maître, sur les argumentations hypotétiques & sur les modes. Il avoit écrit l’histoire de la Géométrie & de l’Astronomie.

Héraclide de Pont écouta Platon, embrassa le pytagorisme, passa sous Speusipe, & finit par devenir aristotélicien. Il réunit le mérite d’orateur à celui de philosophe.

Phanias de Lesbos étudia la nature, & s’occupa aussi de l’histoire de la Philosophie.

Démetrius de Phalere fut un des disciples de Théophraste les plus célebres. Il obtint de Cassandre, roi de Macédoine, dans la 115 olympiade, l’administration des affaires d’Athènes, fonction dans laquelle il montra beaucoup de sagesse. Il rétablit le gouvernement populaire, il embellit la ville ; il augmenta ses revenus ; & les Athéniens animés d’une reconnoissance qui se montroit tous les jours, lui eleverent jusqu’à 350 statues, ce qui n’étoit arrivé à personne avant lui. Mais il n’étoit guere possible de s’illustrer & de vivre tranquille chez un peuple inconstant : la haine & l’envie le persécuterent. On se souleva contre l’oligarchie. On le condamna à mort. Il étoit alors absent. Dans l’impossibilité de se saisir de sa personne, on se jetta sur ses statues, qui furent toutes renversées en moins de tems qu’on n’en avoit élevé une. Le philosophe se réfugia chez Ptolomée Soter, qui l’accueillit & l’employa à réformer la législation. On dit qu’il perdit les yeux pendant son séjour à Alexandrie ; mais que s’étant adressé à Siparis, ce dieu lui rendit la vûe, & que Démétrius reconnut ce bienfait dans des hymnes que les Athéniens chanterent dans la suite. Il conseilla à Ptolomée de se nommer pour successeurs les enfans d’Euridice, & d’exclure le fils de Bérénice. Le prince n’écouta point le philosophe, & s’associa Ptolomée connu sous le nom de Philadelphe. Celui-ci après la mort de son pere, rélégua Démétrius dans le fond d’une province, où il vécut pauvre, & mourut de la piquure d’un aspic. On voit par la liste des ouvrages qu’il avoit composés, qu’il étoit poëte, orateur, philosophe, historien, & qu’il n’y avoit presque aucune branche de la connoissance humaine qui lui fût étrangere. Il aima la vertu, & fut digne d’un meilleur sort.

Nous ne savons presque rien d’Hyeronimus de Rhodes.

De la philosophie péripatéticienne à Rome, pendant le tems de la république & sous les empereurs. Voyez l’article Aristotélisme, & l’article Philosophie des Romains.

De la philosophie d’Aristote chez les Arabes. Voyez les articles Arabes & Aristotélisme.

De la philosophie d’Aristote chez les Sarrazins, voyez l’article Sarrasins & Aristotélisme.

De la philosophie d’Aristote dans l’Eglise, voyez les articles Jesus-Christ & Peres de l’Eglise, & Aristotélisme.

De la philosophie d’Aristote parmi les Scholastiques, voyez les articles Philosophie scholastique & Aristotélisme.

Des restaurateurs de la philosophie d’Aristote, voyez l’article Aristotélisme & l’article Philosophie.

Des philosophes récens Aristotelico-scholastiques, voy. l’article Aristotélisme, où ce sujet est traité très-au long. Nous restituerons seulement ici quelques noms moins importans qu’on a omis, & qui peut-être ne valent guere la peine d’être tirés de l’oubli.

Après Bannez, on trouve dans l’histoire de la Philosophie, Franciscus Sylvestrius. Sylvestrius naquit à Ferrare ; il fut élu chef de son ordre ; il enseigna à Bologne ; il écrivit trois livres de commentaires sur l’ame d’Aristote. Matthæus Aquarius les a publiés avec des additions & des questions philosophiques. Sylvestrius mourut en 1528.

Michel Zanard de Bergame, homme qui savoit lever des doutes & les résoudre ; il a écrit de triplici universo, de Physicâ & Metaphysicâ, & commentaria cum dubiis & questionibus in octo libros Aristotelis.

Joannes, à S. Thoma, de l’ordre aussi des Dominicains ; il s’entendit bien en Dialectique, en Métaphysique & en Physique, en prenant ces mots selon l’acception qu’ils avoient de son tems, ce qui réduit le merite de ses ouvrages à peu de chose, sans rien ôter à son talent. Presque tous ces hommes qui auroient porté la connoissance humaine jusqu’où elle pouvoit aller, occupés à des argumentations futiles, furent des victimes de l’esprit dominant de leur siecle.

Chrysostome Javelle. Il naquit en Italie en 1488 ; il regarda les opinions & la philosophie de Platon comme plus analogues à la Religion, & celle d’Aristote comme préférable pour la recherche des vérités naturelles. Il écrivit donc de la philosophie morale selon Aristote d’abord, ensuite selon Platon, & en dernier lieu selon Jesus-Christ. Il dit dans une de ses préfaces, Aristotelis disciplina nos quidem doctos ac subtilissime de moralibus, sicut de naturalibus differentes efficere potest ; at moralis Platonica ex vi dicendi atque paternâ adhortatione, veluti prophetia quœdam, & quasi superum vox inter homines tonans, nos procul dubio sapientiores, probatiores, vitæque feliciores reddet. Il y a de la finesse dans son premier traité, de la sublimité dans le second, de la simplicité dans le troisieme.

Parmi les disciples qu’Aristote a eu chez les Franciscains, il ne faut pas oublier Jean Ponzius, Mastrius, Bonaventure Mellut, Jean Lallemandet, Martin Meurisse, Claude Frassenius, &c.

Dans le catalogue des aristotéliciens de l’ordre de Citeaux, il faut insérer après Ange Manriquez, Bartholomée Gomez, Marcile Vasquez, Pierre de Oviedo, &c.

Il faut placer à la tête des scholastiques de la société de Jesus, Pierre Hurtado de Mendosa avant Vasquez, & après celui-ci, Paul Vallius & Balthazar Tellez ; & après Suarès François Tollet & Antoine Rubius.

A ces hommes on peut ajouter François Alphonse, François Gonsalez, Thomas Compton, François Rassler, Antonius Polus, Honoré Fabri : celui-ci soupçonné dans sa société de favoriser le Cartésianisme, y souffrit de la persécution.

Des philosophes qui ont suivi la véritable philosophie d’Aristote, voyez l’article Aristotélisme.

Parmi ceux-ci, le premier qui se présente est Nicolas Leonic Thomée. Il naquit en 1457 ; il étudia la langue grecque & les Lettres sous le célebre Démétrius Chalcondylas ; & il s’appliqua sérieusement à exposer la doctrine d’Aristote telle qu’elle nous est présentée dans les ouvrages de ce philosophe. Il ouvrit la voie à des hommes plus célebres, Pomponace & à ses disciples. Voyez à l’article Aristotélisme, l’abrégé de la doctrine de Pomponance.

Celui-ci eut pour disciples Hercules Gonzaga, qui fut depuis cardinal ; Theophile Polengius, de l’ordre de saint Benoît, & auteur de l’ouvrage burlesque que nous avons sous le titre de Merlin Cocaye ; Paul Jove, Helidée, Gaspard Contarin, autre cardinal, Simon Porta, Jean Genesius de Sepulveda, Jules Cæsar Scaliger, Lazare Bonami, Jules-Cæsar Vanini, & Ruphus, l’adversaire le plus redoutable de son maître. Voyez l’article Aristotélisme.

Inscrivez après Ruphus, parmi les vrais Aristotéliciens, Marc-Antoine Majoragius, Daniel Barbarus, Jean Genesius de Sepulveda, Petrus Victorius ; & après les Strozze, Jacques Mazonius, Hubert Gifanius, Jules Pacius ; & à la suite de Cæsar Cremonin, François Vicomescat, Louis Septale, plus connu parmi les Anatomistes qu’entre les Philosophes ; Antoine Montecatinus, François Burana, Jean Paul Pernumia, Jean Cottusius, Jason de Nores, Fortunius Licet, Antoine Scaynus, Antoine Roccus, Felix Ascorombonus, François Robertel, Marc-Antoine Muret, Jean-Baptiste Monslor, François Vallois, Nunnesius Balsurcus, &c.

Il ne faut pas oublier parmi les protestans aristotéliciens, Simon Simonius, qui parut sur la scene après Joachin Camerarjus & Melanchton ; Jacob Schegius, Philippe Scherbius, &c.

Ernest Sonerus précéda Michel Piccart, & Conrad Horneius lui succcéda & à Corneille Martius.

Christianus Dreierus, Melchior Zeidlerus, & Jacques Thomasius, finissent cette seconde période de l’Aristotélisme.

Nous exposerons dans un article particulier la philosophie de Thomasius. Voyez Thomasius, philosophie de.

Il nous resteroit à terminer cet article par quelques considérations sur l’origine, les progrès & la reforme du Péripatéticisme, sur les causes de sa durée, sur le ralentissement qu’elle a apporté au progrès de la vraie science, sur l’opiniâtreté de ses sectateurs, sur les argumens qu’elle a fournis aux athées, sur la corruption des mœurs qui s’en est suivie, sur les moyens qu’on pouvoit employer contre la secte, & qu’on négligea ; sur l’attachement mal entendu que les Protestans affecterent pour cette maniere de philosopher, sur les tentatives inutiles qu’on fit pour l’améliorer, & sur quelques autres points non moins importans ; mais nous renvoyons toute cette matiere à quelque traité de l’histoire de la Philosophie en général & en particulier, où elle trouvera sa véritable place. Voyez l’article Philosophie en général, (histoire de la)