L’Encyclopédie/1re édition/ARABE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 566-569).

ARABE, adj. on appelle arabe & arabique tout ce qui a rapport à l’Arabie, ou aux Arabes ; arabique langue, ou langue arabe, c’est une dialecte de l’Hébreu.

Le Pere Ange de S. Joseph exalte beaucoup la richesse & l’abondance de l’Arabe. Il assûre qu’il y a dans cette langue plus de mille mots qui signifient une épée : cinq cens qui signifient un lion, deux cens pour dire un serpent, & huit qui signifient du miel.

Caracteres arabes, ou figures arabiques, ce sont les chiffres dont on se sert ordinairement dans les calculs d’arithmétique. Voyez Figure, Nombre. Les caracteres arabes sont différens de ceux des Romains. Voyez Caractere.

On croît communément que les Sarrasins nous ont donné les caracteres arabes, qu’ils avoient appris eux-mêmes des Indiens. Scaliger étoit si persuadé de leur nouveauté, qu’il assûra qu’un médaillon d’argent sur lequel il fut consulté étoit moderne, parce que les caracteres 234 & 235 étoient gravés dessus.

On croit que Planude qui vivoit sur la fin du treizieme siecle, a été le premier d’entre les Chrétiens qui ait fait usage de ces chiffres. Le Pere Mabillon assûre dans son traité de Re diplomaticâ, que l’on ne s’en est pas servi avant le quatorzieme siecle. Le docteur Wallis soûtient qu’ils étoient en usage long-tems auparavant, du moins en Angleterre, & fixe cette époque au tems d’Hermannus-Contractus qui vivoit environ l’an 1050. Ces chiffres, selon lui, étoient d’usage, sinon dans les comptes ordinaires, du moins dans les Mathématiques, & surtout pour les tables astronomiques. Voyez Wallis, algeb. ch. iv.

Pour prouver l’antiquité des chiffres arabes, le même auteur se fonde sur une inscription en bas relief qui étoit sur un manteau de cheminée de la maison presbytérale de Helindon dans la province de Northampton, où on lisoit ces caracteres m°. 133 avec la date de l’année 1133. Transac. Philosoph. n°. 174.

M. Tuffkin fournit une preuve plus sûre de l’antiquité de l’usage de ces chiffres. C’est une croisée d’une maison faite à la romaine, & située dans la place du marché de Colchester, sur laquelle entre deux lions ciselés est un écusson contenant ces marques 1090. Transact. Philosoph. n°. 255.

M. Huet pense que ces caracteres n’ont point été empruntés des Arabes, mais des Grecs ; & que les chiffres arabes ne sont autre chose que les lettres greques, que l’on sait que ces peuples employoient pour nombrer & chiffrer. Voyez Nombre.

On dit que l’on nourrit les chevaux arabes avec du lait de chameau, & on rapporte des choses étonnantes de ces animaux. Le duc de Neucastle assûre que le prix ordinaire d’un cheval arabe est de 1000, 2000 & jusqu’à 3000 livres, & que les Arabes sont aussi soigneux de conserver la généalogie de leurs chevaux, que les Princes sont curieux de celle de leurs familles ; les écuyers ont soin d’écrire le nom des peres & meres de ces animaux, & on en trouve dont la noblesse en ce genre remonte fort haut. On assûre qu’il y a eu tels chevaux pour lesquels on a frappé des médailles.

Le bien que les Arabes donnent à leurs enfans, quand ils sont arrivés à l’âge d’homme, consiste en deux habits, deux cimeteres, & un cheval qui les accompagne toûjours. Les chevaux arabes que l’on a amenés en Angleterre n’ont jamais rien montré qui fût extraordinaire. Voyez Cheval.

Année des Arabes. Voyez An.

Arabes. Etat de la Philosophie chez les anciens Arabes : après les Chaldéens, les Perses & les Indiens, vient la nation des Arabes, que les anciens Historiens nous représentent comme fort attachée à la Philosophie, & comme s’étant distinguée dans tous les tems par la subtilité de son esprit : mais tout ce qu’ils nous en disent paroît fort incertain. Je ne nie pas que depuis l’Islamisme l’érudition & l’étude de la Philosophie n’ayent été extrèmement en honneur chez ces peuples : mais cela n’a lieu & n’entre que dans l’histoire de la Philosophie du moyen age. Aussi nous proposons-nous d’en traiter au long, quand nous y serons parvenus. Maintenant nous n’avons à parler que de la Philosophie des anciens habitans de l’Arabie heureuse.

Il y a des savans qui veulent que ces peuples se soient livrés aux spéculations philosophiques ; & pour prouver leur opinion, ils imaginent des systèmes qu’ils leur attribuent, & font venir à leur secours la religion des Zabiens, qu’ils prétendent être le fruit de la Philosophie. Tout ce qu’ils disent n’a pour appui que des raisonnemens & des conjectures : mais que prouve-t-on par des raisonnemens & des conjectures, quand il faut des témoignages ? Ceux qui sont dans cette persuasion que la Philosophie a été cultivée par les anciens Arabes, sont obligés de convenir eux-mêmes, que les Grecs n’avoient aucune connoissance de ce fait. Que dis-je ? Ils les regardoient comme des peuples barbares & ignorans, & qui n’avoient aucune teinture des lettres. Les écrivains Arabes, si l’on en croit Abulfarage, disent eux-mêmes qu’avant l’Islamisme, ils étoient plongés dans la plus profonde ignorance. Mais ces raisons ne sont pas assez fortes pour leur faire changer de sentiment sur cette Philosophie qu’ils attribuent aux anciens Arabes. Le mépris des Grecs pour cette nation, disent-ils, ne prouve que leur orgueil & non la barbarie des Arabes. Mais enfin quels mémoires peuvent-ils nous produire, & quels auteurs peuvent-ils nous citer en faveur de l’érudition & de la philosophie des premiers Arabes ? Ils conviennent avec Abulfarage qu’ils n’en ont point. C’est donc bien gratuitement qu’ils en font des gens lettrés & adonnés à la Philosophie. Celui qui s’est le plus signalé dans cette dispute, & qui a eu plus à cœur la gloire des anciens Arabes, c’est Joseph Pierre Ludewig. D’abord il commence par nous opposer Pythagore, qui, au rapport de Porphyre, dans le voyage littéraire qu’il avoit entrepris, fit l’honneur aux Arabes de passer chez eux, de s’y arrêter quelque tems, & d’apprendre de leurs Philosophes la divination par le vol & par le chant des oiseaux, espece de divination où les Arabes excelloient. Moyse lui-même, cet homme instruit dans toute la sagesse des Egyptiens, quand il fut obligé de quitter ce royaume, ne choisit-il pas pour le lieu de son exil l’Arabie, préférablement aux autres pays ? Or qui pourra s’imaginer que ce législateur des Hébreux se fût retiré chez les Arabes, si ce peuple avoit été grossier, stupide, ignorant ? Leur origine d’ailleurs ne laisse aucun doute sur la culture de leur esprit. Ils se glorifient de descendre d’Abraham, à qui l’on ne peut refuser la gloire d’avoir été un grand Philosophe. Par quelle étrange fatalité auroient-ils laissé éteindre dans la suite des tems ces premieres étincelles de l’esprit philosophique, qu’ils avoient hérité d’Abraham leur pere commun ? Mais ce qui paroît plus fort que tout cela, c’est que les livres saints pour relever la sagesse de Salomon, mettent en opposition avec elle la sagesse des Orientaux : or ces Orientaux n’étoient autres que les Arabes. C’est de cette même Arabie que la reine de Saba vint pour admirer la sagesse de ce Philosophe couronné ; c’est l’opinion constante de tous les savans. On pourroit prouver aussi par d’excellentes raisons, que les Mages venus d’orient pour adorer le Messie, étoient Arabes. Enfin Abulfarage est obligé de convenir qu’avant l’Islamisme même, à qui l’on doit dans ce pays la renaissance des lettres, ils entendoient parfaitement leur langue, qu’ils en connoissoient la valeur & toutes les propriétés, qu’ils étoient bons Poëtes, excellens Orateurs, habiles Astronomes. N’en est-ce pas assez pour mériter le nom de Philosophes ? Non, vous dira quelqu’un. Il se peut que les Arabes ayent poli leur langue, qu’ils ayent été habiles à deviner & à interpréter les songes, qu’ils ayent réussi dans la composition & dans la solution des énigmes, qu’ils ayent même eu quelque connoissance du cours des astres, sans que pour cela on puisse les regarder comme des Philosophes ; car tous ces arts, si cependant ils en méritent le nom, tendent plus à nourrir & à fomenter la superstition, qu’à faire connoître la vérité, & qu’à purger l’ame des passions qui sont ses tyrans. Pour ce qui regarde Pythagore, rien n’est moins certain que son voyage dans l’orient ; & quand même nous en conviendrions, qu’en résulteroit-il, sinon que cet imposteur apprit des Arabes toutes ces niaiseries, ouvrage de la superstition, & dont il étoit fort amoureux ? Il est inutile de citer ici Moyse. Si ce saint homme passa dans l’Arabie, & s’il s’y établit en épousant une des filles de Jétro, ce n’étoit pas assûrément dans le dessein de méditer chez les Arabes, & de nourrir leur folle curiosité de systèmes philosophiques. La Providence n’avoit permis cette retraite de Moyse chez les Arabes, que pour y porter la connoissance du vrai Dieu & de sa religion. La Philosophie d’Abraham, dont ils se glorifient de descendre, ne prouve pas mieux qu’ils ayent cultivé cette science. Abraham pourroit avoir été un grand Philosophe & avoir été leur pere, sans que cela tirât à conséquence pour leur philosophie. S’ils ont laissé perdre le fil des vérités les plus précieuses, qu’ils avoient apprises d’Abraham ; si leur religion a dégénéré en une grossiere idolatrie, pourquoi leurs connoissances philosophiques, supposé qu’Abraham leur en eût communiqué quelques-unes, ne se seroient-elles pas aussi perdues dans la suite des tems ? Au reste, il n’est pas trop sûr que ces peuples descendent d’Abraham. C’est une histoire qui paroît avoir pris naissance avec le Mahométisme. Les Arabes ainsi que les Mahométans, pour donner plus d’autorité à leurs erreurs, en font remonter l’origine jusqu’au pere des croyans. Une chose encore qui renverse la supposition de Ludewig, c’est que la philosophie d’Abraham n’est qu’une pure imagination des Juifs, qui veulent à toute force trouver chez eux l’origine & les commencemens des arts & des sciences. Ce que l’on nous oppose de cette reine du midi, qui vint trouver Salomon sur la grande réputation de sa sagesse, & des Mages qui partirent de l’orient pour se rendre à Jérusalem, ne tiendra pas davantage. Nous voulons que cette reine soit née en Arabie : mais est-il bien décidé qu’elle fût de la secte des Zabiens ? On ne peut nier sans doute, qu’elle n’ait été parmi les femmes d’orient une des plus instruites, des plus ingénieuses, qu’elle n’ait souvent exercé l’esprit des rois de l’orient par les énigmes qu’elle leur envoyoit ; c’est-là l’idée que nous en donne l’Historien sacré. Mais quel rapport cela a-t-il avec la philosophie des Arabes ? Nous accordons aussi volontiers que les Mages venus d’orient étoient des Arabes, qu’ils avoient quelque connoissance du cours des astres ; nous ne refusons point absolument cette science aux Arabes ; nous voulons même qu’ils ayent assez bien parlé leur langue, qu’ils ayent réussi dans les choses d’imagination, comme l’éloquence & la poësie : mais on n’en conclurra jamais, qu’ils ayent été pour cela des Philosophes, & qu’ils ayent fort cultivé cette partie de la littérature.

La seconde raison, qu’on fait valoir en faveur de la Philosophie des anciens Arabes, c’est l’histoire du Zabianisme, qui passe pour avoir pris naissance chez eux, & qui suppose nécessairement des connoissances philosophiques. Mais quand même tout ce que l’on en raconte seroit vrai, on n’en pourroit rien conclurre pour la philosophie des Arabes ; puisque le Zabianisme, étant de lui-même une idolatrie honteuse & une superstition ridicule, est plûtôt l’extinction de toute raison qu’une vraie philosophie. D’ailleurs, il n’est pas bien décidé dans quel tems cette secte a pris naissance ; car les hommes les plus habiles, qui ont travaillé pour éclaircir ce point d’histoire, comme Hottinger, Pocock, Hyde, & surtout le docte Spencer, avouent que ni les Grecs, ni les Latins ne font aucune mention de cette secte. Il ne faut pas confondre cette secte de Zabiens Arabes avec ces autres Zabiens dont il est parlé dans les annales de l’ancienne Église orientale, lesquels étoient moitié Juifs & moitié Chrétiens, qui se vantoient d’être les disciples de Jean-Baptiste, & qui se trouvent encore aujourd’hui en grand nombre dans la ville de Bassore, près des bords du Tigre, & dans le voisinage de la mer de Perse. Le fameux Moyse Maimonides a tiré des auteurs Arabes tout ce qu’il a dit de cette secte ; & c’est en examinant d’un œil curieux & attentif toutes les cérémonies extravagantes & superstitieuses, qu’il justifie très-ingénieusement la plûpart des lois de Moyse, qui blesseroient au premier coup d’œil notre délicatesse, si la sagesse de ces lois n’étoit marquée par leur opposition avec les lois des Zabiens, pour lesquelles Dieu vouloit inspirer aux Juifs une grande aversion. On ne pouvoit mettre entre les Juifs & les Zabiens qui étoient leurs voisins une plus forte barriere. On peut lire sur cela l’ouvrage de Spencer sur l’œconomie Mosayque. On n’est pas moins partagé sur le nom de cette secte que sur son âge. Pocock prétend que les Zabiens ont été ainsi nommés de עכא, qui en Hébreu signifie les astres ou l’armée céleste ; parce que la religion des Zabiens consistoit principalement dans l’adoration des astres. Mais Scaliger pense que c’est originairement le nom des Chaldéens ainsi appellés, parce qu’ils étoient orientaux. Il a été suivi en cela par plusieurs savans, & entr’autres par Spencer. Cette signification du nom de Zabiens est d’autant plus plausible, que les Zabiens rapportent leur origine aux Chaldéens, & qu’ils font auteur de leur secte Sabius fils de Seth. Pour nous, nous ne croyons pas devoir prendre parti sur une chose, qui déjà par elle-même est assez peu intéressante. Si par les Zabiens on entend tous ceux, qui parmi les peuples de l’orient adoroient les astres, sentiment qui paroît être celui de quelques Arabes & de quelques auteurs Chrétiens, ce nom ne seroit plus alors le nom d’une secte particuliere, mais celui de l’idolatrie universelle. Mais il paroît qu’on a toûjours regardé ce nom comme étant propre à une secte particuliere. Nous ne voyons point qu’on le donnât à tous les peuples, qui à l’adoration des astres joignoient le culte du feu. Si pourtant au milieu des ténebres, où est enveloppée toute l’histoire des Zabiens, on peut à force de conjectures en tirer quelques rayons de lumiere, il nous paroît probable que la secte des Zabiens n’est qu’un mêlange du Judaïsme & du Paganisme ; qu’elle a été chez les arabes une religion particuliere & distinguée de toutes les autres ; que pour s’élever au-dessus de toutes celles qui fleurissoient de son tems, elle avoit non-seulement affecté de se dire très-ancienne, mais même qu’elle rapportoit son origine jusqu’à Sabius, fils de Seth ; en quoi elle croyoit l’emporter pour l’antiquité sur les Juifs mêmes, qui ne peuvent remonter au-delà d’Abraham. On ne se persuadera jamais que le nom de Zabiens leur ait été donné, parce qu’ils étoient orientaux, puisqu’on n’a jamais appellé de ce nom les Mages & les Mahométans, qui habitent les provinces de l’Asie, situées à l’orient. Quoi qu’il en soit de l’origine des Zabiens, il est certain qu’elle n’est pas aussi ancienne que le prétendent les Arabes. Ils sont même sur cela partagés de sentimens ; car si les uns veulent la faire remonter jusqu’à Seth, d’autres se contentent de la fixer à Noé, & même à Abraham. Eutychius, auteur Arabe, s’appuyant sur les traditions de son pays, trouve l’auteur de cette secte dans Zoroastre, lequel étoit né en Perse, si vous n’aimez mieux en Chaldée. Cependant Eutychius observe qu’il y en avoit quelques-uns de son tems qui en faisoient honneur à Juvan, il a voulu sans doute dire Javan ; que les Grecs avoient embrassé avidement ce sentiment, parce qu’il flattoit leur orgueil, Javan ayant été un de leurs rois ; & que pour donner cours à cette opinion, ils avoient composé plusieurs livres sur la science des astres & sur le mouvement des corps célestes. Il y en a même qui croyent que celui qui fonda la secte des Zabiens étoit un de ceux qui travaillerent à la construction de la tour de Babel. Mais surquoi tout cela est-il appuyé ? Si la secte des Zabiens étoit aussi ancienne qu’elle s’en vante, pourquoi les anciens auteurs Grecs n’en ont-ils point parlé ? Pourquoi ne lisons-nous rien dans l’Ecriture qui nous en donne la moindre idée ? Pour répondre à cette difficulté, Spencer croit qu’il suffit que le Zabaïsme, pris matériellement, c’est-à-dire, pour une religion dans laquelle on rend un culte au soleil & aux astres, ait tiré son origine des anciens Chaldéens & des Babyloniens, & qu’il ait précédé de plusieurs années le tems où a vécu Abraham. C’est ce qu’il prouve par les témoignages des Arabes, qui s’accordent tous à dire que la religion des Zabiens est très-ancienne, & par la ressemblance de doctrine qui se trouve entre les Zabiens & les Chaldéens. Mais il n’est pas question de savoir si le culte des étoiles & des planetes est très-ancien. C’est ce qu’on ne peut contester ; & c’est ce que nous montrerons nous-mêmes à l’article des Chaldéens. Toute la difficulté consiste donc à savoir si les Zabiens ont tellement reçû ce culte des Chaldéens & des Babyloniens, qu’on puisse assûrer à juste titre que c’est chez ces peuples que le Zabaïsme a pris naissance. Si l’on fait attention que le Zabaïsme ne se bornoit pas seulement à adorer le soleil, les étoiles & les planetes, mais qu’il s’étoit fait à lui-même un plan de cérémonies qui lui étoient particulieres, & qui le distinguoient de toute autre forme de religion, on m’avouera qu’un tel sentiment ne peut se soûtenir. Spencer lui-même, tout subtil qu’il est, a été forcé de convenir que le Zabaïsme considéré formellement, c’est-à-dire, autant qu’il fait une religion à part & distinguée par la forme de son culte, est beaucoup plus récent que les anciens Chaldéens & les anciens Babyloniens. C’est pourtant cela même qu’il auroit dû prouver dans ses principes ; car si le Zabaïsme pris formellement n’a pas cette grande antiquité, qui pourroit le faire remonter au-delà d’Abraham : comment prouvera-t-il que plusieurs lois de Moyse n’ont été divinement établies, que pour faire un contraste parfait avec les cérémonies superstitieuses du Zabaïsme ? Tout nous porte à croire que le Zabaïsme est assez récent, qu’il n’est pas même antérieur au Mahométisme. En effet, nous ne voyons dans aucun auteur soit Grec, soit Latin, la moindre trace de cette secte ; elle ne commence à lever la tête que depuis la naissance du Mahométisme, &c. Nous croyons cependant qu’elle est un peu plus ancienne, puisque l’alcoran parle des Zabiens comme étant déja connus sous ce nom.

Il n’y a point de secte sans livres ; elle en a besoin pour appuyer les dogmes qui lui sont particuliers. Aussi voyons nous que les Zabiens en avoient, que quelques-uns attribuoient à Hermès & à Aristote, & d’autres à Seth & à Abraham. Ces livres, au rapport de Maimonides, contenoient sur les anciens patriarches, Adam, Seth, Noé, Abraham, des histoires ridicules, & pour tout dire, comparables aux fables de l’alcoran. On y traitoit au long des démons, des idoles, des étoiles & des planetes ; de la maniere de cultiver la vigne & d’ensemencer les champs ; en un mot on n’y omettoit rien de tout ce qui concernoit le culte qu’on rendoit au soleil, au feu, aux étoiles, & aux planetes. Si l’on est curieux d’apprendre toutes ces belles choses, on peut consulter Maimonides. Ce seroit abuser de la patience du lecteur, que de lui présenter ici les fables dont fourmillent ces livres. Je ne veux que cette seule raison pour les décrier comme des livres apocryphes & indignes de toute créance. Je crois que ces livres ont été composés vers la naissance de Mahomet, & encore par des auteurs qui n’étoient point guéris, ni de l’idolatrie, ni des folies du Platonisme moderne. Il nous suffira, pour faire connoître le génie des Zabiens, de rapporter ici quelques-uns de leurs dogmes. Ils croyoient que les étoiles étoient autant de dieux ; & que le soleil tenoit parmi elles le premier rang. Ils les honoroient d’un double culte, savoir d’un culte qui étoit de tous les jours, & d’un autre qui ne se renouvelloit que tous les mois. Ils adoroient les démons sous la forme de boucs ; ils se nourrissoient du sang des victimes, qu’ils avoient cependant en abomination ; ils croyoient par-là s’unir plus intimement avec les démons. Ils rendoient leurs hommages au soleil levant, & ils observoient scrupuleusement toutes les cérémonies, dont nous voyons le contraste frappant dans la plûpart des lois de Moyse ; car Dieu, selon plusieurs savans, n’a affecté de donner aux Juifs des lois qui se trouvoient en opposition avec celles des Zabiens, que pour détourner les premiers de la superstition extravagante des autres. Si nous lisons Pocock, Hyde, Prideaux, & les auteurs arabes, nous trouverons que tout leur système de religion se réduit à ces différens articles que nous allons détailler. 1°. Il y avoit deux sectes de Zabiens ; le fondement de la croyance de l’une & de l’autre étoit, que les hommes ont besoin de médiateurs qui soient placés entr’eux & la Divinité ; que ces médiateurs sont des substances pures, spirituelles & invisibles ; que ces substances, par cela même qu’elles ne peuvent être vûes, ne peuvent se communiquer aux hommes, si l’on ne suppose entr’elles & les hommes d’autres médiateurs qui soient visibles ; que ces médiateurs visibles étoient pour les uns des chapelles, & pour les autres des simulachres ; que les chapelles étoient pour ceux qui adoroient les sept planetes, lesquelles étoient animées par autant d’intelligences, qui gouvernoient tous leurs mouvemens, à peu près comme notre corps est animé par une ame qui en conduit & gouverne tous les ressorts ; que ces astres étoient des dieux, & qu’ils présidoient au destin des hommes, mais qu’ils étoient soûmis eux-mêmes à l’Être suprème ; qu’il falloit observer le lever & le coucher des planetes, leurs différentes conjonctions, ce qui formoit autant de positions plus ou moins régulieres ; qu’il falloit assigner à ces planetes leurs jours, leurs nuits, leurs heures pour diviser le tems de leur révolution, leurs formes, leurs personnes, & les régions où elles roulent ; que moyennant toutes ces observations on pouvoit faire des talismans, des enchantemens, des évocations qui réussissoient toûjours ; qu’à l’égard de ceux qui se portoient pour adorateurs des simulachres, ces simulachres leur étoient nécessaires, d’autant plus qu’ils avoient besoin d’un médiateur toûjours visible, ce qu’ils ne pouvoient trouver dans les astres, dont le lever & le coucher qui se succedent régulierement, les dérobent aux regards des mortels ; qu’il falloit donc leur substituer des simulachres, moyennant lesquels ils pussent s’élever jusqu’aux corps des planetes, des planetes aux intelligences qui les animent, & de ces intelligences jusqu’au Dieu suprème ; que ces simulachres devoient être faits du métal qui est consacré à chaque planete, & avoir chacun la figure de l’astre qu’ils réprésentent ; mais qu’il falloit sur-tout observer avec attention les jours, les heures, les degrés, les minutes, & les autres circonstances propres à attirer de bénignes influences, & se servir des évocations, des enchantemens, & des talismans qui étoient agréables à la planete ; que ces simulachres tenoient la place de ces dieux célestes, & qu’ils étoient entr’eux & nous autant de médiateurs. Leurs pratiques n’étoient pas moins ridicules que leur croyance. Abulfeda rapporte qu’ils avoient coûtume de prier la face tournée vers le pole arctique, trois fois par jour ; avant le lever du soleil, à midi, & au soir ; qu’ils avoient trois jeûnes, l’un de trente jours, l’autre de neuf, & l’autre de sept ; qu’ils s’abstenoient de manger des féves & de l’ail ; qu’ils faisoient brûler entierement les victimes, & qu’ils ne s’en réservoient rien pour manger.

Voilà tout ce que les Arabes nous ont appris du système de religion des Zabiens. Plusieurs traces de l’astrologie Chaldaïque, telle que nous la donnerons à l’article Chaldéens, s’y laissent appercevoir. C’est elle sans doute qui aura été la premiere pierre de l’édifice de religion que les Zabiens ont bâti. On y voit encore quelques autres traits de ressemblance, comme cette ame du monde qui se distribue dans toutes ses différentes parties, & qui anime les corps célestes, sur-tout les planetes, dont l’influence sur les choses d’ici bas est si marquée & si incontestable dans tous les vieux systèmes des religions orientales. Mais ce qui y domine sur-tout, c’est la doctrine d’un médiateur ; doctrine qu’ils auront dérobée, soit aux Juifs, soit aux Chrétiens ; la doctrine des génies médiateurs, laquelle a eu un si grand cours dans tout l’Orient, d’où elle a passé chez les cabalistes & les philosophes d’Alexandrie, pour revivre chez quelques Chrétiens hérétiques, qui en prirent occasion d’imaginer divers ordres d’æones. Il est aisé de voir par-là que le Zabaïsme n’est qu’un composé monstrueux & un mêlange embarrassant de tout ce que l’idolatrie, la superstition & l’hérésie ont pû imaginer dans tous les tems de plus ridicule & de plus extravagant. Voilà pourquoi, comme le remarque fort bien Spencer, il n’y a rien de suivi ni de lié dans les différentes parties qui composent le Zabaïsme. On y retrouve quelque chose de toutes les religions, malgré la diversité qui les sépare les unes des autres. Cette seule remarque suffit pour faire voir que le Zabaïsme n’est pas aussi ancien qu’on le croit ordinairement ; & combien s’abusent ceux qui en donnent le nom à cette idolatrie universellement répandue des premiers siecles, laquelle adoroit le soleil & les astres. Le culte religieux que les Zabiens rendoient aux astres, les jetta, par cet enchaînement fatal que les erreurs ont entr’elles, dans l’Astrologie, science vaine & ridicule, mais qui flatte les deux passions favorites de l’homme ; sa crédulité, en lui promettant qu’il percera dans l’avenir ; & son orgueil, en lui insinuant que sa destinée est écrite dans le ciel. Ceux qui d’entr’eux s’y sont le plus distingués, sont Thebet Ibn Korra, Albategnius, &c.