L’Encyclopédie/1re édition/NARRATION

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NARRATION, s. f. (Belles-Lettres.) dans l’éloquence & dans l’histoire est un récit ou relation d’un fait ou d’un événement comme il est arrivé, ou comme on le suppose arrivé.

Il y en a de deux sortes, l’une simple & historique, dans laquelle l’auditeur ou le lecteur est supposé entendre ou lire un fait qui lui est transmis de la seconde main : l’autre artificielle & fabuleuse, où l’imagination de l’auditeur échauffée prend part au récit d’une chose, comme si elle se passoit en sa présence.

La narration, selon les Rhéteurs, est la seconde partie du discours, c’est-à-dire, celle qui doit suivre immédiatement l’exorde Voyez Oraison ou Discours.

Dans l’histoire, la narration fait le corps de l’ouvrage ; & si l’on en retranche les réflexions incidentes, les épisodes, les digressions, l’histoire se réduit à une simple narration. Voyez Histoire.

Ciceron demande quatre qualités dans la narration, savoir, clarté, probabilité, briéveté & agrément.

On rend la narration claire, en y observant l’ordre des tems, ensorte qu’il ne résulte nulle confusion dans l’enchaînement des faits, en n’employant que des termes propres & usités, & en racontant l’action sans interruption.

Elle devient probable par le degré de confiance que mérite le narrateur, par la simplicité & la sincérité de son récit, par le soin qu’on a de n’y rien faire entrer de contraire au sens commun ou aux opinions reçues, par le détail précis des circonstances & par leur union, ensorte qu’elles n’impliquent point contradiction, & ne se détruisent point mutuellement.

La briéveté consiste à ne point reprendre les choses de plus haut qu’il n’est nécessaire, afin d’éviter le défaut de cet auteur ridicule dont parle Horace, qui gemino bellum trojanum orditur ab ovo, & à ne la point charger de circonstances triviales ou de détails inutiles.

Enfin on donne à la narration de l’agrément en employant des expressions nombreuses d’un son agréable & doux, en évitant dans leur arrangement les hiatus & les dissonnances, en choisissant pour objet de son récit des choses grandes, nouvelles, inattendues, en embellissant sa diction de tropes & de figures, en tenant l’auditeur en suspens sur certaines circonstances intéressantes, & en excitant des mouvemens de tristesse ou de joie, de terreur ou de pitié. Voyez Nombre, Cadence, Figures, Passions, &c.

C’est principalement la narration oratoire qui compose ces ornemens ; car la narration historique n’exige qu’une simplicité mâle & majestueuse, qui coûte plus à un écrivain que tous les agrémens du style qu’on peut répandre sur les sujets qui sont du ressort de l’éloquence.

Il ne sera pas inutile d’ajouter ici quelques observations sur les qualités propres à la narration oratoire.

1°. Quoiqu’on recommande dans la narration la simplicité, on n’en exclut pas toujours le pathétique. Ciceron, par exemple, remue vivement les passions, en décrivant les circonstances du supplice de Gavius, citoyen romain, qui fut condamné à être battu de verges, par l’injustice & par la cruauté de Verrès. Rien n’est plus touchant que le récit qu’il fait de la mort des deux Philodamus pere & fils, tous deux immolés à la fureur du même Verrès, le pere déplorant le sort de son fils, & le fils gémissant sur le malheur de son pere. Il y a donc des causes qui demandent une narration touchante & passionnée, comme il en est qui n’exigent qu’une exacte & tranquille exposition du fait. C’est à l’orateur sensé à distinguer ces convenances & à varier son style, selon la différence des matieres.

2°. Pour les causes de peu d’importance, comme sont la plûpart des causes privées, il faut relever la médiocrité du sujet par une diction simple en apparence, mais pure, élégante, variée. Sans cette parure elles paroissent tristes, seches, ennuyeuses ; on doit même y jetter quelques pensées ingénieuses, quelques traits vifs, qui piquent la curiosité, & qui soutiennent l’attention.

3°. A l’égard des causes où il s’agit d’un crime ou d’un fait grave, d’un intérêt public, elles admettent des mouvemens plus forts ; on y peut ménager des surprises qui tiennent l’esprit en suspens, y faire entrer des mouvemens de joie, d’admiration, d’étonnement, d’indignation, de crainte & d’espérance, pourvu que l’on se souvienne que ce n’est pas là le lieu de terminer ces grands sentimens, & qu’il suffit de les ébaucher ; car l’exorde & la narration ne doivent avoir d’autres fonctions que de préparer l’esprit des juges à la preuve & à la peroraison. (G)

Narration, est un mot dont on fait particulierement usage en poésie, pour signifier l’action ou l’événement principal d’un poëme. Voyez Action ou Fable.

Le P. le Bossu observe que l’action en poésie est susceptible de deux sortes de narrations oratoires, & que ces deux sortes de narrations constituent deux especes de grands poëmes.

Les actions dont le récit est sous une forme artificielle ou active constituent les poëmes dramatiques. Voyez Drame.

Celles qui sont seulement racontées par le poëte, comme historien, forment les poëmes épiques. Voyez Epopée.

Dans le drame, la narration mise en action est le fond unique & total du poëme : dans l’épopée, l’action mise en récit n’en fait qu’une partie ; mais à la vérité la partie principale. Elle est précédée par une proposition & une invocation que le même auteur appelle prélude, & que d’autres nomment début, & elle est fréquemment interrompue par le poëte dans les endroits où il parle en personne, pour demander aux lecteurs & aux dieux de la bienveillance, de l’indulgence, du secours, & dans ceux où il raconte les faits en historien. Voyez Invocation.

La narration du poëme épique renferme l’action entiere, avec ses épisodes, c’est-à-dire, avec les ornemens dont le poëte l’accompagne. Voyez Episode.

Dans cette partie l’action doit être commencée, continuée & finie, c’est-à-dire, qu’on doit apprendre les causes des événemens qui font la matiere du poëme qu’on y doit proposer, & résoudre les difficultés, déveloper les caracteres & les qualité des personnages, soit humains, soit divins, qui prennent part à l’action ; exposer, & ce qu’ils font, & ce qu’ils disent ; démêler les intérêts, & terminer le tout d’une maniere satisfaisante. Tout cela doit être traité en vers nobles, harmonieux, dans un style rempli de sentimens, de comparaisons & d’autres ornemens convenables au sujet en général, & à chacune de ses parties en particulier. Voyez Style.

Les qualités d’une narration épique sont, la vraisemblance, l’agrément, la clarté. Elle doit être également noble, vive, énergique, capable d’émouvoir & de surprendre, conduisant, pour ainsi dire, à chaque pas le lecteur de merveilles en merveilles. Voyez Merveilleux.

Selon Horace l’utile & l’agréable sont inséparablement nécessaires dans un poëme épique.

Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci.

Le P. le Bossu prétend que l’utile y est de nécessité absolue, & que l’agréable n’est que de nécessité accessoire ; d’autres au contraire veulent qu’on ne s’y propose que l’agrément, & que l’instruction morale n’en fasse pas une partie essentielle. Voyez Fable, Epique, Epopée.