L’Encyclopédie/1re édition/ORAISON

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ORAISON, s. f. DISCOURS, s. m. (Synonym.) ces deux mots en grammaire signifient également l’énonciation de la pensée par la parole ; c’est en quoi ils sont synonymes.

Dans le discours on envisage surtout l’analogie & la ressemblance de l’énonciation avec la pensée énoncée.

Dans l’oraison, l’on fait plus attention à la matiere physique de l’énonciation, & aux signes vocaux qui y sont employés. Ainsi, lorsque l’on dit en grec ἀθάνατος ἐστὶ ὀ θεός, en latin æternus est Deus, en françois, Dieu est éternel, en italien, eterno è Iddio, en allemand, Gott ist ewig ; c’est toujours le même discours, parce que c’est toujours la même pensée énoncée par la parole, & rendue avec la même fidélité ; mais l’oraison est différente dans chaque énonciation, parce que la même pensée n’est pas rendue partout par les mêmes signes vocaux. Legi tuas litteras, tuas legi litteras, litteras tuas legi, c’est encore en latin le même discours, parce que c’est l’énonciation fidele de la même pensée ; mais quoique les mêmes signes vocaux soient employés dans les trois phrases, l’oraison n’est pourtant pas tout-à-fait la même, parce que l’ensemble physique de l’énonciation varie de l’une à l’autre.

Le discours est donc plus intellectuel ; ses parties sont les mêmes que celles de la pensée, le sujet, l’attribut, & les divers complémens nécessaires aux vues de l’énonciation. Voyez Sujet, Attribut, Régime, &c. il est du ressort de la Logique.

L’oraison est plus matérielle ; ses parties sont les différentes especes de mots, l’interjection, le nom, le pronom, l’adjectif, le verbe, la préposition, l’adverbe, & la conjonction, que l’on nomme aussi les parties d’oraison. Voyez Mot. Elle suit les lois de la Grammaire.

Le style caractérise le discours, & le rend précis ou diffus, élevé ou rampant, facile ou embarrassé, vif ou froid, &c. La diction caractérise l’oraison, & fait qu’elle est correcte ou incorrecte, claire ou obscure. Voyez Elocution, au commencement.

L’étymologie peut servir à confirmer la distinction que l’on vient d’établir entre discours & oraison. Le mot discours, en latin discursus, vient du verbe discurere, courir de place en place, ou d’idée en idée ; parce que l’analyse de la pensée, qui est l’objet du discours, montre, l’une après l’autre, les idées partielles, & passe en quelque maniere de l’une à l’autre. Le mot oraison est tiré immédiatement du latin oratio, formé d’oratum, supin d’orare ; & orare a une premiere origine dans le génitif oris, du nom os, bouche, qui est le nom de l’instrument organique du matériel de la parole : orare, faire usage de la bouche pour énoncer sa pensée ; oratio, la matiere physique de l’énonciation.

J’ajouterai ici ce qu’a écrit M. l’abbé Girard sur la différence des trois mots harangue, discours, oraison : quoiqu’il prenne ces mots relativement à l’éloquence, on verra néanmoins qu’il met entre les deux derniers une distinction de même nature que celle que j’y ai mise moi-même.

« La harangue, dit-il, (Synon. fr.) en veut proprement au cœur ; elle a pour but de persuader & d’émouvoir ; sa beauté consiste à être vive, forte, & touchante. Le discours s’adresse directement à l’esprit ; il se propose d’expliquer & d’instruire ; sa beauté est d’être clair, juste & élégant. L’oraison travaille à prévenir l’imagination ; son plan roule ordinairement sur la louange ou sur la critique ; sa beauté consiste à être noble, délicate & brillante.

» Le capitaine fait à ses soldats une harangue, pour les animer au combat. L’académicien prononce un discours, pour développer ou pour soutenir un système. L’orateur prononce une oraison funebre, pour donner à l’assemblée une grande idée de son héros.

» La longueur de la harangue rallentit quelquefois le feu de l’action. Les fleurs du discours en diminuent souvent les graces. La recherche du merveilleux dans l’oraison fait perdre l’avantage du vrai. »

Ainsi, il en est du discours & de l’oraison dans le langage des Rhéteurs, comme dans celui des Grammairiens : de part & d’autre le discours est pour l’esprit, parce qu’il en représente les pensées ; l’oraison est pour l’imagination, parce qu’elle représente d’une maniere matérielle & sensible. (B. E R. M.)

Oraison dominicale, (Critique sacrée.) c’est-à-dire, priere de Notre Seigneur, ou le modele d’oraison que Notre Seigneur daigna donner à ses disciples qui l’en sollicitoient, Luc. II. 2. Matt. 6. 9. Notre pere qui êtes dans le ciel ; appellatio pietatis & potestatis, dit fort bien Tertulien : Que ton nom soit sanctifié : Que ton regne vienne : Que ta volonté soit faite, &c. Autant d’expressions graduées, qui signifient que Dieu soit reconnu pour le seul vrai Dieu ; & qu’il soit honoré en cette qualité par toute la terre, d’un culte pur & conforme à ses perfections. Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ; ce qui nous est nécessaire pour chaque jour, ou ce qui convient à chaque jour. Pardonnez-nous nos offenses, comme nous les pardonnons : Jesus-Christ recommande par ce comme, le pardon des injures. C’est ainsi qu’il est dit dans l’ecclésiastiq. 28. 2. « Pardonnez à votre ennemi l’injure qu’il vous a faite, & vos péchés vous seront remis, quand vous en demanderez le pardon. » Ne nous induisez point en tentation. Ne nous exposez point à des épreuves trop rigoureuses, où nous pourrions succomber, mais délivrez-nous du mal, ἀπὸ τοῦ πονήρου, mais soutenez-nous contre les intentions que nous pourrions avoir de nuire aux autres hommes ; πονηρία est une passion maligne, qui tend à faire du tort aux autres. Καϰία est le vice opposé à la vertu, qui doit régler nos actions par rapport à nous-mêmes. On a quelques bonnes paraphrases de cette excellente priere ; mais la plupart des théologiens l’ont noyée d’explications diffuses & trop recherchées. Quant à la doxologie ; car c’est à toi qu’appartiennent le regne, la puissance & la gloire aux siecles des siecles ; elle a été prise vraissemblablement des constitutions apostoliques, lib. III. 18. où elle se trouve, & de quelques anciennes liturgies, d’où elle a passé dans le texte. Il est vrai du moins qu’elle manque dans quelques exemplaires grecs, comme dans la vulgate. (D. J.)

Oraison, (Rhétor. & Eloq.) le mot oraison est d’une signification fort étendue, si l’on en considere seulement l’étymologie ; il désigne toute pensée exprimée par le discours, ore ratio expressa. C’est dans ce sens qu’il est employé par les Grammairiens. Ici il désigne un discours préparé avec art, pour opérer la persuasion.

Il faut observer qu’il y a une grande différence entre le talent de l’oraison & l’art qui aide à le former. Le talent s’appelle éloquence, l’art, rhétorique : l’un produit, l’autre juge : l’un fait l’orateur, l’autre ce qu’on nomme le rhéteur.

Toutes ces questions, dans lesquelles la persuasion peut avoir lieu, sont du ressort de l’éloquence. On les réduit ordinairement à trois genres, dont le premier est le genre démonstratif ; le second, le genre délibératif ; le troisieme, le genre judiciaire. Le premier a pour objet sur tout le présent ; le second, l’avenir ; le troisieme, le passé. Dans le démonstratif, on blâme, on loue. Dans le délibératif, on engage à agir, ou à ne pas agir. Dans le judiciaire, on accuse, on défend.

Le genre démonstratif renferme donc les panégyriques, les oraisons funebres, les discours académiques, les complimens faits aux rois & aux princes, &c. Il s’agit dans ces occasions de recueillir tout ce qui peut faire honneur & plaire à la personne qu’on loue.

Dans le genre démonstratif, on préconise la vertu ; on la conseille dans le genre délibératif, & on montre les raisons pour lesquelles on doit l’embrasser. Il ne s’agit pas dans le genre délibératif d’étaler des graces, de chatouiller l’oreille, de flatter l’imagination ; c’est une éloquence de service, qui rejette tout ce qui a plus d’éclat que de solidité. Qu’on entende Démosthene, lorsqu’il donne son avis au peuple d’Athènes, délibérant s’il déclarera la guerre à Philippe : cet orateur est riche, il est pompeux ; mais il ne l’est que par la force de son bon sens.

Dans le genre judiciaire, l’orateur fixe l’état de la question ; il a pour objet ou le fait, ou le droit, ou le nom ; car, dans ce genre, il s’agit toujours d’un tort ou réel, ou prétendu réel.

Mais ces trois genres ne font pas tellement séparés les uns des autres, qu’ils ne se réunissent jamais. Le contraire arrive dans presque toutes les oraisons. Que sont la plûpart des éloges & des panégyriques, sinon des exhortations à la vertu ? On loue les saints & les héros pour échauffer notre cœur, & ranimer notre foiblesse. On délibere sur le choix d’un général : l’éloge de Pompée déterminera les suffrages en sa faveur. On prouve qu’il faut mettre Archias au nombre des citoyens romains, pourquoi ? Parce qu’il a un génie qui fera honneur à l’empire. Il faut déclarer la guerre à Philipe, pourquoi encore ? Parce que c’est un voisin dangereux, dont les forces, si on ne les arrête, deviendront funestes à la liberté commune des Grecs. Il n’y a pas jusqu’au genre judiciaire, qui ne rentre en quelque sorte dans le délibératif, puisque les juges sont entre la négative & l’affirmative, & que les plaidoyers des Avocats ne sont que pour fixer leur incertitude, & les attacher au parti le plus juste. En un mot, l’honnêteté, l’utilité, l’équité, qui sont les trois objets de ces trois genres, rentrent dans le même point, puisque tout ce qui est vraiment utile est juste & honnête, & réciproquement ; ce n’est pas sans raison que quelques rhéteurs modernes ont pris la liberté de regarder comme peu fondée cette division célebre dans la Rhétorique des anciens. (D. J.)

Oraison funebre, (Art orat. des anciens.) discours oratoire en l’honneur d’un mort. Ces sortes de discours semblent n’avoir commencé en Grece qu’après la bataille de Marathon, qui précéda de seize ans la mort de Brutus. Dans Homere on célebre des jeux aux obseques de Patrocle, comme Hercule avoit fait auparavant aux funérailles de Pélops, mais nul orateur ne prononce son éloge funebre.

Les Poëtes tragiques d’Athènes supposoient, il est vrai, que Thesée avoit fait un discours aux funérailles des enfans d’Œdipe ; mais c’est une pure flatterie pour la ville d’Athenes. Enfin, quoique le rhéteur Anaximènes attribue à Solon l’invention desoraisons funebres, il n’en apporte aucune preuve. Thucydide est le premier qui nous parle des oraisons funebres des Grecs. Il raconte dans son second livre que les Athéniens firent des obsèques publiques à ceux qui avoient été tués au commencement de la guerre du Péloponnèse. Il détaille ensuite cette solemnité, & dit qu’après que les ossemens furent couverts de terre, le personnage le plus illustre de la ville tant en éloquence qu’en dignité, passa du sépulcre sur la tribune, & fit l’oraison funebre des citoyens qui étoient morts à la guerre de Samos. Le personnage illustre qui fit cet éloge est Périclès si célebre par ses talens dans les trois genres d’éloquence, le délibératif, le judiciaire, & le démonstratif.

Dans ce dernier genre, l’orateur pouvoit sans crainte étaler toutes les fleurs & toutes les richesses de la poësie. Il s’agissoit de louer les Athéniens en général sur les qualités qui les distinguoient des autres peuples de la Grece ; de célébrer la vertu & le courage de ceux qui étoient morts pour le service de la patrie ; d’élever leurs exploits au-dessus de ce que leurs ancêtres avoient fait de plus glorieux ; de les proposer pour exemple aux vivans ; d’inviter leurs enfans & leurs freres à se rendre dignes d’eux, & de mettre en usage pour la consolation des peres & des meres, les raisons les plus capables de diminuer le sentiment de leurs pertes. Platon, qui nous présente l’image d’un discours parfait dans le genre dont il s’agit, l’avoit vraissemblablement formé sur l’éloge funebre que Péricles prononça dans cette occasion.

Il plut tellement, qu’on choisit dans la suite les plus habiles orateurs pour ces sortes d’oraisons ; on leur accordoit tout le tems de préparer leurs discours, & ils n’oublioient rien pour répondre à ce qu’on attendoit de leurs talens. Le beau choix des expressions, la variété des tours & des figures, la brillante harmonie des phrases faisoient sur l’ame des auditeurs une impression de joie & de surprise, qui tenoit de l’enchantement. Chaque citoyen s’appliquoit en particulier les louanges qu’on donnoit à tous le corps des citoyens ; & se croyant tout-à-coup transformé en un autre homme, il se paroissoit à lui-même plus grand, plus respectable, & jouissoit du plaisir flatteur de s’imaginer que les étrangers qui assistoient à la cérémonie, avoient pour lui les mêmes sentimens de respect & d’admiration. L’impression duroit quelques jours, & il ne se détachoit qu’avec peine de cette aimable illusion, qui l’avoit comme transporté en quelque sorte dans les îles fortunées. Telle étoit, selon Socrate, l’habileté des orateurs chargés de ces éloges funebres. C’est ainsi qu’à la faveur de l’éloquence leurs discours pénétroient jusqu’au fond de l’ame, & y causoient ces admirables transports.

Le premier qui haranga à Rome aux funérailles des citoyens, fut Valerius Publicola. Polybe raconte qu’après la mort de Junius Brutus son collegue, qui avoit été tué le jour précédent à la bataille contre les Etrusques, il fit apporter son corps dans la place publique, & monta sur la tribune, où il exposa les belles actions de sa vie. Le peuple touché, attendri, comprit alors de quelle utilité il peut être à la république de récompenser le mérite, en le peignant avec tous les traits de l’éloquence. Il ordonna sur le champ, que le même usage seroit perpétuellement observé à la mort des grands hommes qui auroient rendu des services importans à l’état.

Cette ordonnance fut exécutée, & Quintus Fabius Maximus fit l’oraison funebre de Scipion. Souvent les enfans s’acquittoient de ce devoir, ou bien le sénat choisissoit un orateur pour composer l’éloge du mort. Auguste à l’âge de douze ans récita publiquement l’éloge de son ayeul, & prononça celui de Germanicus son neveu, étant empereur. Tibere suivit le même exemple pour son fils, & Néron à l’égard de l’empereur Claude son prédécesseur.

Sur la fin de la république, l’usage s’établit chez les Romains de faire l’oraison funebre des femmes illustres qui mouroient dans un âge un peu avancé. La premiere dame romaine qui reçut cet honneur fut Popilla, dont Crassus son fils prononca l’oraison funebre. César étant questeur fut le premier qui fit celle de sa premiere femme morte jeune. Cicéron écrivit aussi l’éloge de Porcia, sœur de Caton, mais il ne le prononça pas.

Il résulte de ce détail que l’invention des oraisons funebres paroît appartenir aux Romains ; ils ont du moins cet avantage d’en avoir étendu la gloire avec plus de justice & d’équité que les Grecs. Dans Athènes on ne louoit qu’une sorte de mérite, la valeur militaire ; à Rome toutes sortes de vertus étoient honorées dans cet éloge public ; les politiques comme les guerriers, les hommes comme les femmes, avoient droit d’y prétendre ; & les empereurs eux-mêmes ne dédaignerent point de monter sur la tribune, pour y prononcer des oraisons funebres.

Après cela, qui ne croiroit que cette partie de l’art oratoire n’ait été poussée à Rome jusqu’à sa perfection ? cependant il y a toute apparence qu’elle y fut très-négligée ; les Rhéteurs latins n’ont laissé aucun traité sur cette matiere, ou n’en ont écrit que très superficiellement. Cicéron en parle comme à regret, parce que, dit il, les oraisons funebres ne font point partie de l’éloquence : Nostræ laudationes scribuntur ad funebrem concionem, quæ ad orationis laudem minimè accommodata est. Les Grecs au contraire aimoient passionnément à s’exercer en ce genre ; leurs savans écrivoient continuellement les oraisons funebres de Thémistocle, d’Aristide, d’Agésilas, d’Epaminondas, de Philippe, d’Alexandre, & d’autres grands hommes. Epris de la gloire du bel esprit, ils laissoient au vulgaire les affaires & les procès ; au lieu que les Romains, toujours attachés aux anciennes mœurs, ignoroient ou méprisoient ces sortes d’ecrits d’appareil. (Le chevalier de Jaucourt.)

Oraison funebre, (Hist. de l’Eloq. en France.) discours prononcé ou imprimé à l’honneur funebre d’un prince, d’une princesse, ou d’une personne éminente par la naissance, le rang ou la dignité dont elle jouissoit pendant sa vie.

On croit que le fameux Bertrand du Guesclin, mort en 1380, & enterré à S. Denis à côté de nos rois, est le premier dont on ait fait l’oraison funebre dans ce royaume ; mais cette oraison n’a point passé jusqu’à nous ; ce n’est proprement qu’à la renaissance des lettres qu’on commença d’appliquer l’art oratoire à la louange des morts, illustres par leur naissance ou par leurs actions. Muret prononça à Rome en latin l’oraison funebre de Charles IX. Enfin, sous le siecle de Louis XIV. on vit les François exceller en ce genre dans leur propre langue ; & M. Bossuet remporta la palme sur tous ses concurrens. C’est dans ces sortes de discours que doit se déployer l’art de la parole ; les actions éclatantes ne doivent s’y trouver louées, que quand elles ont des motifs vertueux ; & la gravité de l’évangile n’y doit rien perdre de ses privileges. Toutes ces conditions se trouvent remplies dans les oraisons de l’évêque de Meaux.

Il s’appliqua de bonne heure, dit M. de Voltaire, à ce genre d’éloquence qui demande de l’imagination, & une grandeur majestueuse qui tient un peu à la poésie, dont il faut toujours emprunter quelque chose, quoiqu’avec discrétion, quand on tend au sublime. L’oraison funebre de la reine-mere qu’il prononça en 1667, lui valut l’évêché de Condom ; mais ce discours n’étoit pas encore digne de lui, & il ne fut pas imprimé. L’éloge funebre de la reine d’Angleterre, veuve de Charles I. qu’il fit en 1669, parut presque en tout un chef-d’œuvre. Les sujets de ces pieces d’éloquence sont heureux, à proportion des malheurs que les morts ont éprouvés. C’est en quelque façon, comme dans les tragédies, où les grandes infortunes des différens personnages sont ce qui intéresse davantage.

L’éloge funebre de Madame, enlevée à la fleur de son âge, & morte entre ses bras, eut le plus grand & le plus rare des succès, celui de faire verser des larmes à la cour. Il fut obligé de s’arrêter après ces paroles. « O nuit désastreuse, nuit effroyable ! où retentit tout-à-coup comme un éclat de tonnerre cette étonnante nouvelle, Madame se meurt, Madame est morte », &c. L’auditoire éclata en sanglots, & la voix de l’orateur fut interrompue par ses soupirs & par ses larmes.

M. Bossuet naquit à Dijon en 1627, & mourut à Paris en 1704. Ses oraisons funebres sont celles de la reine-mere, en 1667 ; de la reine d’Angleterre, en 1669 ; de Madame, en 1670 ; de la reine, en 1684 ; de la princesse palatine, en 1685 ; de M. le Tellier, en 1686 ; & de Louis de Bourbon prince de Condé, en 1687.

Fléchier (Esprit), né en 1632, au comtat d’Avignon, évêque de Lavaur, & puis de Nismes, mort en 1710, est sur-tout connu par ses belles oraisons funebres. Les principales sont celles de la duchesse de Montausier, en 1672 ; de M. de Turenne, en 1679 ; du premier président de Lamoignon, en 1679 ; de la reine, en 1683 ; de M. le Tellier, en 1686 ; de madame la dauphine, en 1690 ; & du duc de Montausier dans la même année.

Mascaron (Jules) né à Marseille, mort en 1734 ; évêque d’Agen en 1703. Ses oraisons funebres sont celle d’Anne d’Autriche, reine de France, prononcée en 1666 ; celle d’Henriette d’Angleterre, duchesse d’Orléans ; celle du duc de Beaufort ; celle du chancelier Séguier, & celle de M. de Turenne. Les oraisons funebres que nous venons de citer, balancerent d’abord celles de Bossuet ; mais aujourd’hui elles ne servent qu’à faire voir combien Bossuet étoit un grand homme.

Depuis cinquante ans, il ne s’est point élevé d’orateurs à côté de ces grands maîtres, & ceux qui viendront dans la suite, trouveront la carriere remplie. Les tableaux des miseres humaines, de la vanité, de la grandeur, des ravages de la mort, ont été faits par tant de mains habiles, qu’on est réduit à les copier, ou à s’égarer. Aussi les oraisons funebres de nos jours ne sont que d’ennuyeuses déclamations de sophistes, & ce qui est pis encore, de bas éloges, où l’on n’a point de honte de trahir indignement la vérité. Hist. univ. de M. de Voltaire, tom. VII. (D. J.)

Oraison mentale, (Théol. myst.) on la définit celle qui se forme dans le cœur, & qui y demeure.

Quoiqu’on ait extrèmement relevé l’oraison mentale, qui est en effet l’ame de la religion chrétienne, puisque c’est l’exercice actuel de l’adoration en esprit & en vérité prescrite par Jesus-Christ, il ne faut pas néanmoins déguiser que cette oraison même a servi de prétextes à plusieurs abus. Cette dévotion oisive pendant des heures entieres, à genoux & les bras croisés, a été très-ordinaire depuis environ cinq cens ans, particulierement chez les femmes naturellement paresseuses & d’une imagination fort vive. De-là vient que les vies des saintes de ces derniers siecles, sainte Brigitte, sainte Catherine de Sienne, la bienheureuse Angele de Foligny, ne contiennent presque que leurs pensées & leurs discours sans aucun fait remarquable & sans aucune bonne œuvre. Leurs directeurs, prévenus en faveur de telles pénitentes dont ils connoissoient la vertu, prirent leurs pensées pour des révélations, & ce qui leur arrivoit pour des miracles.

Ces directeurs étant nourris de la méthode & des subtilités de la scholastique qui régnoit alors, ne manquerent pas de l’appliquer à l’oraison mentale, dont ils firent un art long & pénible, prétendant distinguer exactement les divers états d’oraison & les degrés du progrès dans la perfection chrétienne. Et comme c’étoit la mode depuis long tems de tourner toute l’Ecriture à des sens figurés, faute d’en entendre la lettre, ces docteurs y trouverent tout ce qu’ils voulurent ; ainsi se forma la Théologie mystique que nous voyons dans les écrits de Rusbroc, de Taulere, & des auteurs semblables. A force de subtiliser, ils employoient souvent des expressions outrées, & avançoient des paradoxes auxquels il étoit difficile de donner un sens raisonnable. Ces excès produisirent les erreurs des faux Gnostiques, celles des Béguarres & des Béguines, & dans le dernier siecle, celle de Molinos & des Quiétistes. L’autre effet de la spiritualité outrée est le fanatisme, tel que celui de Grégoire Palamas & des moines grecs du mont Athos dans le quatorzieme siecle. La vraie oraison mentale doit être simple, solide, courte, & tendant directement à nous rendre meilleurs. (D. J.)