L’Encyclopédie/1re édition/ASYMPTOTE

Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 795-796).

ASYMPTOTE, Asymptotus, s. f. terme de Géométrie. Quelques auteurs définissent l’asymptote une ligne indéfiniment prolongée, qui va en s’approchant de plus en plus d’une autre ligne qu’elle ne rencontrera jamais. Voyez Ligne.

Mais cette définition générale de l’asymptote n’est pas exacte, car elle peut être appliquée à des lignes qui ne sont pas des asymptotes. Soit (fig. 20. n°. 2. sect. con.) l’hyperbole KSL ; son axe CM ; son axe conjugué AB. On sait que si du centre C, on mene les droites indéfinies CD, CE, paralleles aux lignes BS, AS, tirées du sommet S de l’hyperbole, aux extrémités de son axe conjugué : ces lignes CD, CE, seront les asymptotes de l’hyperbole KSL.

Soient tirées les paralleles fg, hi, &c. à l’asymptote CD ; il est évident que ces paralleles indéfiniment prolongées, vont en s’approchant continuellement de l’hyperbole qu’elles ne rencontreront jamais. La définition précédente de l’asymptote convient donc à ces lignes ; elle n’est donc pas exacte.

Qu’est-ce donc qu’une asymptote en général ? C’est une ligne, qui étant indéfiniment prolongée s’approche continuellement d’une autre ligne aussi indéfiniment prolongée, de maniere que sa distance à cette ligne ne devient jamais zéro absolu, mais peut toûjours être trouvée plus petite qu’aucune grandeur donnée.

Soit tirée la ligne Nopq perpendiculairement à l’asymptote CD, & à ses paralleles fg, hi &c. il est évident que l’asymptote CD peut approcher de l’hyperbole, plus près que d’aucune grandeur donnée ; car la propriété de l’asymptote CD consiste en ce que le produit de Cp par pq est toûjours constant ; d’où il s’ensuit que Cp augmentant à l’infini, pq diminue aussi à l’infini : mais la distance des paralleles fg, hi à cette courbe sera toûjours au moins de np, de op, &c. & par conséquent ne sera pas plus petite qu’aucune grandeur donnée. Voyez Hyperbole.

Le mot asymptote est composé de privatif, de σύν, avec, & de πίπτω, je tombe ; c’est-à-dire, qui n’est pas co-incident, ou qui ne rencontre point. Quelques auteurs Latins ont nommé les asymptotes, lineæ intactæ.

Certains Géometres distinguent plusieurs especes d’asymptotes ; il y en a, selon ces auteurs, de droites, de courbes, &c. Ils distribuent les courbes en concaves, convexes, &c. & ils proposent un instrument pour les tracer toutes : le mot d’asymptote tout court ne désigne qu’une asymptote droite.

L’asymptote se définit encore plus exactement une ligne droite, qui étant indéfiniment prolongée, s’approche continuellement d’une courbe, ou d’une portion de courbe aussi prolongée indéfiniment, de maniere que sa distance à cette courbe ou portion de courbe ne devient jamais zéro absolu, mais peut toûjours être trouvée plus petite qu’aucune grandeur donnée.

Je dis 1°. d’une courbe ou d’une portion de courbe, afin que la définition convienne, tant aux courbes serpentantes qu’aux autres.

Car la ligne fgh, (fig. 20. n°. 3.) ne peut être considérée comme l’asymptote de la courbe serpentante mnoprs, que quand cette courbe a pris un cours réglé relativement à elle ; c’est-à-dire un cours, par lequel elle a été toûjours en s’en approchant.

Je dis 2°. que la distance de l’asymptote à la courbe peut toûjours être trouvée moindre qu’aucune grandeur donnée ; car sans cette condition, la définition conviendroit à l’asymptote, & à ses paralleles. Or une définition ne doit convenir qu’à la chose définie.

On dit quelquefois que deux courbes sont asymptotes l’une à l’autre, lorsqu’indéfiniment prolongées elles vont en s’approchant continuellement, sans pouvoir jamais se rencontrer. Ainsi deux paraboles de même parametre, qui ont pour axe une même ligne droite, sont asymptotes l’une à l’autre.

Entre les courbes du second degré, c’est-à-dire entre les sections coniques, il n’y a que l’hyperbole qui ait des asymptotes.

Toutes les courbes du troisieme ordre ont toûjours quelques branches infinies, mais ces branches infinies n’ont pas toûjours des asymptotes ; témoins les paraboles cubiques, & celles que M. Newton a nommées paraboles divergentes du troisieme ordre. Quant aux courbes du quatrieme, il y en a une infinité, qui non-seulement n’ont pas quatre asymptotes, mais qui n’en ont point du tout, & qui n’ont pas même de branches infinies, comme l’ellipse de M. Cassini. Voyez Courbe, Branche, Ellipse, &c.

La Conchoïde, la Cissoide, & la Logarithmique qu’on ne met point au nombre des courbes géométriques ont chacune une asymptote. Voyez Courbe.

L’asymptote de la conchoïde est très-propre pour donner des notions claires de la nature des asymptotes en général. Soit (Planch. de l’Analys. fig. premiere) MMAM une portion de conchoïde, C le pole de cette courbe, & BR une ligne droite au-delà de laquelle les parties QM, EA, QM, &c. des droites tirées du pole C, sont toutes égales entr’elles. Cela posé, la droite BR sera l’asymptote de la courbe. Car la perpendiculaire MI étant plus courte que MO & MR plus courte que MQ, &c. il s’ensuit que la droite BD va en s’approchant continuellement de la courbe MMAM ; desorte que la distance MR va toûjours en diminuant, & peut être aussi petite qu’on voudra, sans cependant être jamais absolument nulle. Voyez Divisibilité, Infini, &c. Voyez aussi Conchoide.

On trace de la maniere suivante les asymptotes de l’hyperbole. Soit (Planch. des sect. coniq. fig. 20) une droite DE tirée par le sommet A de l’hyperbole, parallele aux ordonnées Mm, & égale à l’axe conjugué de ; en sorte que la partie AE soit égale à la moitié de cet axe, & l’autre partie DA égale à l’autre moitié. Les deux lignes tirées du centre C de l’hyperbole par les points D & E, savoir CF & CG, seront les asymptotes de cette courbe.

Il résulte de tout ce que nous avons dit jusqu’ici, qu’une courbe peut avoir dans certains cas pour asymptote une droite, & dans d’autres cas une courbe. Toutes les courbes qui ont des branches infinies, ont toûjours l’une ou l’autre de ces asymptotes ; & quelquefois toutes les deux ; l’asymptote est droite, quand la branche infinie est hyperbolique ; l’asymptote est courbe, lorsque la branche infinie est parabolique, & alors l’asymptote courbe est une parabole d’un degré plus ou moins élevé. Ainsi la théorie des asymptotes des courbes dépend de celle de leurs branches infinies. Voyez Branche.

Une courbe géométrique ne peut avoir plus d’asymptotes droites qu’il n’y a d’unités dans l’exposant de son ordre. Voyez Stirling, Enum. lin. 3i. ord. prop. VI. cor. 7. & l’Introduction à l’analyse des Lignes courbes, par M. Cramer, p. 344. art. 147. Ce dernier ouvrage contient une excellente théorie des asymptotes des courbes géométriques & de leurs branches, chap. viii.

Si l’hyperbole GMR, fig. 12. est une des courbes dont la nature exprimée par l’équation aux asymptotes soit renfermée dans l’équation générale  ; tirez la droite PM, partout où vous voudrez, parallele à l’asymptote CS ; achevez le parallélogramme PCOM. Ce parallélogramme sera à l’espace hyperbolique PMGB, terminé par la ligne PM, par l’hyperbole indéfiniment continuée vers G, & par la partie PB de l’asymptote indéfiniment prolongée du même côté, comme m-n est à n. Ainsi lorsque m sera plus grand que n, l’espace hyperbolique sera quarrable. Si m=n, comme dans l’hyperbole ordinaire, le parallélogramme PCOM sera à l’espace hyperbolique comme zéro est à 1. c’est-à-dire, que cet espace sera infini relativement au parallélogramme, & par conséquent non quarrable. Enfin si m est moindre que n, le parallélogramme sera à l’espace hyperbolique comme un nombre négatif à un nombre positif, l’espace PMGB sera infini, & l’espace MPCE sera quarrable. Voyez la fin du cinquieme livre des sections coniques de M. le marquis de l’Hôpital. Voyez aussi un mémoire de M. Varignon imprimé en 1705. parmi ceux de l’Académie Royale des Sciences, & qui a pour titre Réflexions sur les espaces plus qu’infinis de M. Wallis. Ce dernier Géometre prétendoit que l’espace MPGB, étant au parallélogramme comme un nombre positif à un nombre négatif, l’espace MPGB étoit plus qu’infini. M. Varignon censure cette expression, qui n’est pas sans doute trop exacte. Ce qu’on peut assûrer avec certitude, c’est que l’espace PMGB est un espace plus grand qu’aucun espace fini, & par conséquent qu’il est infini.

Pour le prouver, & pour rendre la démonstration plus simple, faisons a=1, & nous aurons l’équation ou . (Voyez Exposant.) Donc ydx, élément de l’aire , dont l’intégrale (Voyez Intégral) est  ; pour compléter cette intégrale, il faut qu’elle soit =0 lorsque x=0 ; d’où il s’ensuit que l’intégrale complete est . Donc 1°. Si m < n, on a égal à une quantité positive. Ainsi l’intégrale se réduit à qui représente l’espace ECPM, d’où l’on voit que cet espace est fini tant que x est fini, & que quand x devient infini, l’espace devient infini aussi. Donc l’espace total renfermé par la courbe & ses deux asymptotes, est infini ; & comme l’espace ECPM est fini, il s’ensuit que l’espace restant PMGB est infini.

Il n’y a que l’hyperbole ordinaire où les espaces PMGB, ECPM, soient tous deux infinis ; dans toutes les autres hyperboles l’un des espaces est infini, & l’autre fini ; l’espace infini est PMGB dans le cas de m < n, & dans le cas de m > n c’est PMCE. Mais il faut observer de plus que dans le cas de m < n, l’espace infini PMGB est plus grand en quelque maniere que celui de l’hyperbole ordinaire, quoique l’un & l’autre espace soient tous deux infinis ; c’est-là sans doute ce qui a donné lieu au terme plus qu’infini de M. Wallis. Pour éclaircir cette question, supposons CP=1 & PM=1, & imaginons par le point M une hyperbole équilatere entre les deux asymptotes CB, CE, que je suppose faire ici un angle droit ; ensuite par le même point M décrivons une hyperbole, dont l’équation soit , m étant < n, il est visible que dans l’hyperbole ordinaire , & que dans celle-ci  ; d’où l’on voit que x étant plus grand que 1, c’est-à-dire que CP, l’ordonnée correspondante de l’hyperbole ordinaire, sera plus petite que celle de l’autre hyperbole. En effet, si x est plus grand que 1, & que soit < 1, il s’ensuit que sera > , puisque m étant < n, on a , lorsque x est plus grand que 1. D’où il s’ensuit que & ou ou . Donc l’espace PMGB de l’hyperbole représentée par , renfermera l’espace de l’hyperbole ordinaire représentée par l’équation xy=1, & ayant la même ordonnée PM. Ainsi, quoique ce dernier espace soit infini, on peut dire que l’autre, qui est infini à plus forte raison, est en quelque maniere un infini plus grand. Voyez à l’article Infini, la notion claire & nette que l’on doit se former de ces prétendus infinis plus grands que d’autres.

Soit MS, fig. 33. une logarithmique, PR son asymptote, PT sa soûtangente, & PM une de ses ordonnées. L’espace indéterminé RPMS sera égal à PM x PT ; & le solide engendré par la révolution de la courbe autour de son asymptote VP, sera égal à la moitié du cylindre, qui auroit pour hauteur une ligne égale à la soûtangente, & pour demi-diametre de sa base, une ligne égale à l’ordonnée QV. Voyez Logarithmique.