Joyeux propos de Gros-Jean/Texte entier

Les cahiers populaires (p. titre-np).


JOYEUX PROPOS
DE GROS-JEAN


Joyeux
propos
de Gros-Jean
PAR
Régis Roy


illustrations de Bourgeois


RÉGIS ROY



JOYEUX PROPOS
DE GROS-JEAN



Petits monologues comiques en prose rimée
Illustrations de
ALBÉRIC BOURGEOIS

LES CAHIERS POPULAIRES
MONTRÉAL
1928

Droits réservés
Copyright, Canada, 1928




PRÉFACE

Il est bon de rire de temps à autre. L’esprit français est suprême dans le domaine des historiettes gaies, amusantes, et nous trouvons cette caractéristique partout chez nos bons Canadiens. Nous avons publié déjà une série de ces petits contes, bons mots du terroir, sous le titre de L’Épluchette, dont l’édition s’est enlevée en quelques semaines. Nous lançons cette nouvelle série dans l’espoir qu’elle recevra le même accueil que son aînée et qu’elle pourra également égayer, amuser nos lecteurs.

R. R.




LE PRÔNE DU BEDEAU


Le curé de notre village,
Un dimanche matin,
S’aperçut avec chagrin
Qu’il avait pour partage
Un enroûment méchant,
De parler l’empêchant.
Quel sort cruel ! Que faire ?
Il n’avait pas de vicaire
Qui pût le remplacer ;
Sa cure étant trop petite,
Il avait dû s’en passer.
Ce qui le trouble et l’agite,
Ce n’est pas son sermon
Qu’il ne peut dire, non !
Mais les annonces à faire ;
Voilà bien la belle affaire
Qui ne se remet pas !

Comment sortir de ce pas ?
Il en était là, perplexe,
En ce cas qui le vexe,
Lorsqu’il pense à son bedeau.
Ce n’est pas un finaud,
Tant s’en faut, mais en somme
C’est vraiment un bon homme.
Il lui faut l’embaucher,
Pas d’autre alternative ;
Il lui fait signe d’approcher
Et dans son oreille attentive
Il lui révèle tout bas
Quel est son mauvais cas.
Comme Gros-Jean ne sait lire,
Le curé répète deux fois,
Quoique se fatiguant la voix,
Ce qu’il vient de lui dire
Pour en sa mémoire fixer
Ce qu’il lui faut annoncer.

* * *


« On recommande aux prières
Jean-Baptiste Des Rivières
Malade dangereusement.
Lundi, sera le mariage
De Joséphine Lallemand
Avec Alexis Beaurivage.
Ce sera la fête mardi,
De deux grands saints : Saint Pierre
et Saint Paul. Mercredi,
Service de feu Paul Lapierre.
Il n’y aura rien jeudi.
Vendredi, comme à l’ordinaire,
Premier vendredi du mois. »
— Allons, sauras-tu comment faire ?
Je te l’ai répété deux fois !
Dit le curé. — C’est facile,
Pour lors, répondit Jean,
Et sa mémoire docile
Lui permit sur le champ
De prouver à son maître
Qu’il se souvient mot à mot.
Rassuré, le bon prêtre
Commence l’Office aussitôt.

Le temps du prône arrive.
L’attention est très vive
Lorsque l’on voit Gros-Jean
Au bas du chœur approchant.
Il va pour ouvrir la bouche,
Mais un émoi nouveau le touche :
Il voit deux cents paires d’yeux
Sur lui braqués, Grands Dieux !
Et du coup perd son assurance.
Indicible est sa souffrance !
(Parfois en scène l’acteur
Éprouve cette frayeur.)
Gros-Jean se sent glisser comme
Sur une pente et le pauvre homme
Ne peut plus s’arrêter.
Le feu lui monte au visage.
Avant de glisser davantage,
De réagir il veut tenter,
Mais ne peut plus reprendre
Son aplomb disparu.
Vraiment il se sent perdu.

Cependant, il persiste à rendre
Le message du curé.
Il ne peut plus se retirer.

* * *


«  On recommande à vos prières…
M’sieu l’curé… son enroûment…
Jean-Baptiste Des Rivières…
Y n’parl’plus… dangereusement…
Lundi, service anniversaire
De feu l’défunt Paul Lapierre !
Y n’y aura rien mardi !
C’est l’mariage, mercredi,
De Saint Paul et d’Saint Pierre…
Jeudi, comme les autres fois
S’ra l’premier vendredi du mois ! »




POUR LE CONDUCTEUR

 
L’épouse de Gros-Jean était venue en ville
Un samedi, jour de marché.
Pour s’éviter de trop marcher
Voilà qu’en « p’tits chars » elle file :
Elle a parents à visiter…
Choses qu’elle doit acheter…
Elle se hâte… elle s’empresse…
Elle précipite ses pas
Quoiqu’elle porte avec tendresse
Un beau gros bébé dans ses bras.
Dans un des tramways de la ville,
De ceux, je crois, du « Bout de l’Isle »
Elle avait pris place à l’avant.

* * *


Le poupon, tout à coup, crevant
De soif, bruyamment braille et clame.
On dirait qu’il va rendre l’âme.

La maman veut le consoler,
Sur ses genoux le sautiller,
Mais en vain ; l’enfant crie et pleure.
La mère, alors, mise en demeure,
Sans fausse honte, mais bravement,
Au petit fournit l’aliment.
Voilà que bientôt il s’apaise,
Désaltéré, bien à son aise,
Il promène un œil satisfait
Autour de lui, puis, gaîment jase,
Pendant qu’une goutte de lait
Perle comme au bord d’un vase
Au coin de son menton rosé.
Il voudrait bien causer !
Mais la mère veut qu’il finisse.
Elle le presse donc et lui dit :
— Ho ! dépêche-toé,’Vangélisse !…
Mais il babille et lui sourit.
Derechef elle l’admoneste
Et le menace de ce geste,
Comme pour lui faire une peur :
— Si tu t’dépêches pas, mon cœur !
M’a l’donner au conducteur !


COMMIS VOYAGEUR


Les enfants sont d’une logique
Impitoyable, et, fort souvent
Formulent leur raisonnement
Sous un aspect vraiment comique.
C’est ce côté-là que moi
J’aime à considérer, ma foi !
Car c’est le plus délectable,
Et je crois vous être agréable
En vous rapportant ici,
Un trait advenu ces jours-ci.

* * *

Un petit enfant dont le père
Était commis-voyageur,
Jouait auprès de sa mère,
Avec un chaton de couleur.

Or, le commis-voyageur
Est d’une fréquente absence
De son foyer conjugal,
Appelé par l’exigence
De son commerce, et, petit Louis,
De tout cela note avait pris.
Voilà donc avec véhémence
Qu’il apostrophe l’animal
Mais sans lui faire de mal.
C’est à ce moment, je pense,
Que la mère observa l’enfant,
Et remarqua son geste violent.
Il disait : — « Écoute, Tit-Mine !
Écoute, et ne fais pas la mine
De vouloir te sauver de moi !
Écoute-moi bien un peu, quoi !
Je connais tes frères… ta mère…
Je connais aussi tes sœurs…
Mais je ne vois jamais ton père !…
’S’que c’est un commis-voyageur ? »




SOURD COMME UN POT

C’est bien d’André Surditot
Que l’on aurait pu dire,
Sans songer à médire :
« Il est sourd comme un pot ! »
Les histoires sur son compte
Feraient un volume fort gros,
Car, toutes sont de gais propos.
Je vais donc vous en dire une…
Le désir m’en importune,
Et, comme j’adore ce jeu,
Ne m’en gardez pas rancune.

* * *

Le jour de l’hymen d’André,
Quand messire le curé,
Allait unir l’un à l’une,

Il dit donc à notre sourdaud
D’un ton ni trop bas ni trop haut,
Sans penser que le pauvre homme
N’entendait presque pas, en somme :
— « Prenez-lui la main ! »
— Hé ! de quoi ?
Demande André.’Scusez-moi,
J’ai l’entente pas mal dûre.
Le bon prêtre répète encor
Mais sur un ton un peu plus fort :
— « Prenez-lui la main ! »
L’erreur dure,
Et voilà que notre sourdet
Se fait de la main un cornet
Qu’il place à côté de l’oreille
Pour mieux entendre, et dit : — Hé !
La future devient vermeille,
Et l’on entend chuchoter
Dans la nef : ce sont les fidèles
Qui s’amusent énormément.
Madame se sent vraiment
Mal à l’aise ; aussi songe-t-elle
À s’interposer pour Surditot.

L’homme saint reprend de plus belle
Scandant fortement chaque mot :
— « PRENEZ-LUI LA MAIN ! »
On s’esclaffe
Lorsque André, le pauvre André,
Commet l’amusante gaffe :
— Quoi z’y prendre, m’sieu l’curé ?




LE STIME

C’est une histoire authentique
Qui vient du bord de l’Atlantique,
Offerte à nos bons amis.
L’endroit précis ?
La Gaspésie :
Peut-être à la Cascapédie,
Percé, Pabos, Port-Daniel,
Ou ailleurs sous le même ciel…
L’endroit précis n’importe guère.

* * *

Le steamer qui relie avec
La péninsule, Québec,
Était au débarcadère
De l’un de ces endroits,
Tout prêt à larguer l’amarre.

Le timonnier, je crois,
Attendait à la barre,
Le signal du départ.
Une brave Gaspésienne
S’avance vers le capitaine
Et lui fait part
Qu’elle voulait aller à terre,
Ayant emplette à faire
Pour sa fille : un paquet de coton
Qu’elle avait oublié.
— Comment donc
Dit le marin ; allez, madame !
On attendra, sur mon âme !
Un instant.
— Sûr qu’il m’attendra, le Stime ?
— Oui, mais dépêchez… autrement…
(Stime ! c’est ainsi qu’on s’exprime
Là-bas, en parlant du vapeur.)
La bonne femme, sans lenteur,
Comme bien on le pense
Se dirige vers un magasin
Qui sur la place fait coin ;

Puis, au commis qui s’avance,
(Une vieille connaissance)
Elle lui dit du plus loin
Qu’elle le voit : — Vite ! Maxime !
Un paquet d’ouate ou j’perds mon stime !


UN BEDEAU SAVANT

Certain bedeau de campagne
Dont je tais le nom,
Un jour avec sa compagne,
Jasait, causait sur un ton
De louanges mutuelles ;
C’était un concert bien doux.
Les deux charmants époux
S’en contaient bien des belles.
— Depuis si longtemps… trente ans
Que t’es avec notre bon prêtre,
Tu dois en savoir presque autant
Que lui, hein, vieux ?
— Pour être
Juste, répond le bedeau,
Sans suivre le mot à mot,
Pour dire les vêpres vite…
M’sieu l’curé, j’crois que j’le bitte !


PREUVE D’AMOUR

Par un beau soir de lune.
Deux amoureux causaient :
L’un blond et l’autre brune.
Voici ce qu’ils disaient :
Elle :
— Si j’étais votre femme,
Et que cela fût urgent,
Traverseriez-vous la flamme
Et l’onde pour moi, Jean ?
Lui :
— Pensez-vous bien, ma chère,
Que ce soit jamais nécessaire ?
Elle :
— C’est possible.
Lui (s’esquivant) :
— Votre affaire,
Alors, est d’épouser
Un pompier !


UNE PLACE AU GOUVERNEMENT

Un jour, sir Wilfrid passait dans son comté.
Un bon vieil habitant, libéral réputé,
Vint le voir et lui tint à peu près ce langage :
— Sire Wilfrid, voilà que je m’avance en âge ;
J’n’en peux guère plus du métier d’habitant,
Et j’aimerais autant
Avoir un’p’tit’job en ville.
Oh ! je s’rai pas trop difficile.
Puis, d’ailleurs, le Parti, je l’crois, me doit ben ça !
Sir Wilfrid du chef acquiesça.
— Que voulez-vous que je fasse ?
Dit-il, de bonne humeur.
— Oh ! j’demand’pas grand’chose : un’place
De messager… ou d’sénateur !


LE POSSIBLE DE JOVITE


— Tu vas te laver comme il faut ;
Et partout, en bas comme en haut ;
Disait une matrone,
Mère tendre et bonne
À son fils, joli bambin
De douze ans. Et le cher gamin,
Docile aux ordres de sa mère,
S’en fut se donner un bon bain.
Ce fut pour lui courte affaire,
Car bientôt, content, il revint.
— Je crois que tu reviens trop vite,
Lui dit-elle ; es-tu certain
De t’être bien lavé, Jovite ?
— Oui, mouman, répond le gâs ;
Je me suis lavé haut et bas ;

Aussi haut que possible,

Et puis, fit l’enfant terrible ;
Aussi bas que possible.
— Eh ben ! à présent,
Mon enfant,
Dit la mère impassible,

Marche te laver le possible !




OCTAVE DE NOËL


C’était dans le temps de Noël,
Lorsqu’un jour, le vieux Michel,
xxBonhomme à la tête grise,
Alla faire un tour à l’église.
xxTerminant ses dévotions :
Chemins de croix, puis oraisons.
xxDeci, delà, par les allées,
xxLe voilà qui passe et revient.
xxLe curé voyant ces allées,
Se dit : — Que cherche-t-il bien ?
xxAu vieillard qui se promène
xxxxxEt semble en peine
xxEt dont la vue est en défaut,
xxIl demande : — Voyons, père !
Qu’y a-t-il ? Ça va bien, j’espère ?
— Oui !… oui !…

xxNotre petit E— Avez-vous vu
xxNotre petit Enfant Jésus ?
xx(Le vieux se gratta la nuque.)
— C’est pas ça, m’sieu l’curé,
xxJ’voudrais voir l’enfant sucré
xxxxQui m’a volé ma tuque !




LE POÈTE IMPROMPTU


Gros-Jean était de passage
Au magasin du village.
Alors qu’on y parlait
Du livre d’un nouveau poète,
Que hautement on louait.
Ayant fini son emplette,
Il s’approche pour écouter.
Mais il est tôt dérouté :
Il ne peut pas comprendre
Certains mots que l’on vient de rendre.
Il demande donc, agacé,
Sur quoi l’on est à jaser.
On le lui dit : — « C’est d’un poète ! »
— Un poète ? Quoi qu’c’est ça ?
Comment s’que c’est faite ?
— C’est un homme, vous saurez, là !
Qui fait des vers, pour que ça rime !
— Ah ! des rimes ? fit Gros-Jean,
Mais c’est pas malaisé, j’estime ;
J’peux en faire, n’importe quand !

— Ah bah ! dit-on ; vous voulez rire
— Pantoute ! Je suis sérieux !
Si vous voulez, j’peux vous en dire
Pendant que j’suis sur les lieux ?
Écoutez ben !— Au bout d’ma terre
Écoutez ben !— Au bout d’ma terre
Y a t’un ruisseau d’eau claire ;
J’étais allé faire un tour, là,
Quand tout d’un coup, v’là
Que j’vois venir deux jeunes filles,
Ben chics, ben gentilles !
La première à l’eau
Dans le ruisseau,
Une petite blonde,
Pas grande, toute ronde :
Mamzelle Desmarais,
Avait d’l’eau jusqu’aux jarrets ;

Et son amie,
Une brune jolie ;
Mamzelle Gladu,
Avait d’l’eau jusqu’aux jarrets !
Ah ! mais !… fit-on, Gladu !… jarrets
Oui, je l’sais ben, dit notre homme,
Que ça rime pas, en somme :
Mais y avait pas plus d’eau
Dans mon ruisseau !




LA PRIÈRE DU SOIR


C’était beau de voir
Chez Gros-Jean, le soir,
La prière en famille ;
De voir ses fils, sa fille,
Son épouse, le « vieux » —
C’est-à-dire son « père », —
Tous mettre genoux à terre
Pour cet acte pieux.
C’était le « père » ou la « mère »
Qui conduisait la prière,
Et, toujours, pour finir,
Désireux d’obtenir
Quelque faveur spéciale,
De nature familiale,
Pour garantir de tous maux
Leur « terre » et les « animaux »,
La « mère » ou le « père »
Ajoutait à la prière
Des pater et des ave,
Toujours bien motivés.

Un soir, grande surprise :
Le « vieux » à tête grise
A requête à présenter,
Faveur qu’il veut demander ;
Il parle, sa voix tremblote :
— Un pater… un ave… là !…
Pour qu’on ait du bon tabac…
Toujours fumer d’celui qu’on a…
Moé, j’aime autant fumer d’la crotte !


LE WAGON-LIT


Une fois, Gros-Jean, en voyage,
Retournait vers son cher village :
Il avait pris le train du soir.
Il dut donc dans le char dortoir
Se louer un lit. Le cher homme
Aurait voulu faire un bon somme.
Bien à son aise, comme il faut,
Mais il n’eut qu’un lit du haut,
Le seul qui lors fut disponible.
Gros-Jean n’était pas susceptible ;
Quoiqu’il fût très haut perché,
Cela n’allait pas l’empêcher,
Dans un moment, une seconde,
D’oublier tous les bruits du monde
Et, sur son oreiller moëlleux,
De dormir comme un bienheureux.

* * *

Et le convoi fila rapide
Dans le noir de la nuit vide.
Le silence régnait partout,
Excepté lorsque tout à coup
La voix de la locomotive
Semait dans sa marche hâtive
Le cri vibrant de son sifflet.
Mais hors ça, silence complet !

* * *

Soudain, un staccato bizarre,
Éclatant comme une fanfare
Se répandit dans le wagon,
Suivi bientôt d’un autre son ;
Le souffle d’une forte gorge
Bruyant comme un tuyau de forge.

* * *

C’était le Gros-Jean qui ronflait !

* * *

Dans le lit sous le sien, dormait
Ou reposait une matrone.
Ce bruit la réveille et l’étonne ;
Elle comprend qu’il vient d’en haut.
Pour en protester aussitôt
Elle frappe de son ombrelle.
Elle frappe fort de plus belle,
Jusqu’à ce que Gros-Jean troublé,
S’arrête enfin de ronfler.
Mais il n’a pas pris connaissance ;
Il est toujours sous la puissance
Du sommeil, et, Gros-Jean qui dort,
Grogne en se retournant de bord.
D’avoir arrêté le tumulte,
La bonne dame alors exulte
Et se prépare à fermer l’œil,
Mais elle en doit faire son deuil :
Rompant derechef le silence,
Gros-Jean à ronfler recommence.
Lors, la dame d’en bas, en courroux,
Bondit sur son lit, à genoux,
Et frappe en haut, frappe avec rage.

Jean se lève en son lit-étage,
Constate d’où viennent les coups :
Se penche et regarde en dessous
De son lit, voit la femme
Qui frappe toujours : « Hé ! la dame !
Lui dit-il, « tant que tu voudras,
Frappe, mais tu sais ! j’descends pas ! »


ENCHANTÉ DE SA CONNAISSANCE


Simplice chez une cousine,
Dans la « concession » voisine
S’en alla visiter un jour.

* * *

On lui demande à son retour
Comment elle s’est amusée ;
Elle répond la voix vexée :
— Les garçons, là, sont pas gentils !
Y s’en manque qu’y soient polis !
S’on leur présente un’ demoiselle,
Sont là qu’y restent tous assis,
Y diront même pas : « Sans connaissance, mamzelle ! »



UN SUISSE

Vous savez ce que c’est qu’un suisse ?
xxC’est une espèce d’écureuil !

* * *

xxUn petit garçon de Belœil,
xxRépondant au nom de Narcisse,
xxEn avait pris un, le malin,
xxPuis avec beaucoup de courage
xxIl en commença le dressage,
xxTant, que voilà qu’un beau matin
xxLe suisse faisait l’exercice
xxÀ l’ébahissement de tous.
xxCe fut un quart d’heure bien doux
xxFaut-il le dire, pour Narcisse ?

* * *

xxNarcisse avait alors dix ans
xxEt fréquentait la mutuelle ;

xxOn l’y citait comme modèle
xxMême parmi les bons enfants !
xxTous les dimanches à l’église
xxAu saint catéchisme il allait.
xxC’était leur curé qui parlait —
xxUn bon vieillard à tête grise ;
xxEt les enfants apprenaient bien.
xxMais un jour, quelle horrible affaire !
xxOn riait dans les bancs d’arrière !
xxC’était scandaleux, ah ! oui bien !
xx— Craignez que Jésus vous punisse
xDe ce sacrilège. Ho ! qui rit donc
xComme ça ?… Toi, Paul ?…
xxComme ça ?… Toi, Narcisse ?…
xxToi, Marguerite ?…
xxToi, Margu— Non ! non ! non !
— Quoi ! personne ?… Dieu me bénisse !
C’est quelqu’un… Il me faut son nom !

xxLisette se lève et répond :
x— Narcisse y joue avec son suisse !


DICTION


Dans un bazar, pour un but charitable,
Des amateurs donnèrent un concert.
Sans démenti, leur jeu fut très louable,
Excellent même, au dire d’un expert.
Madame Unixe apparaît au programme
Et dit des vers. « — La belle diction !
S’exclame Untel à l’époux de la dame.
Mais celui-ci reprend :
Mais celui-ci— Ce n’est rien, sur mon âme !
Si vous connaissiez sa contradiction !

LES DENTS DE PRIME

Un jour que l’on commentait
xxxxEn cercle intime
Sur la blancheur de lait
xxxxDes dents de Prime,
Voici que l’un remarqua :
xxxx— Par artifice
xxxxDe dentifrice,
Il obtint ce résultat…
xxxxUn bon frottage
xxxxPonctuel et régulier
xxxxDoit être en usage —
xxxxEn usage journalier !
xxxxAlors, dit Prime :
— Je me frotte les dents
Que de temps en temps,
xxxxEt pour la frime.
Mais son épouse parla
Et dit : — Eh ben ! là !

xxxxxxxxDe Sozodonte,
xxxxxxxxFacile est le compte :
Par jour tu t’en sers quat’ fois !
xxxxxxxxLa belle-mère
xxxxQui n’avait pour lors dit quoi,
xxxxxxxxCrut très bien faire
De mettre : — « Ou j’me trompe fort,
Il est couché qu’il s’frotte encor ! »


LA JARRETIÈRE


Une comtesse belle et fière,
Ainsi dit la tradition,
Au bal d’un roi d’Albion
Perdit une jarretière.
Le roi la ramasse aussitôt.
Ses pairs ont un méchant sourire…
Le monarque sans mot dire
S’en décore. Il est la mire
Des assistants, dont plusieurs
Ricanent avec indécence.
Lors, le roi, fâché : — Messeigneurs !
On y souhait’ qui mâle y pense !




LA TORDEUSE



Tit-Jean courait nu-pieds
Sur la route poudreuse ;
Il faillit s’estropier
Sur une pierre anguleuse.
De douleur, il bondit
Et lâche un gros « sacre »,
Comme un cocher de fiacre.
Un passant qui l’entendit,
Vertement, le reprit.
Mais Jean, la mine moqueuse ;
— Si vous entendiez mouman
Quand a lave et qu’a s’prend
L’estomac dans la tordeuse !

UNE PETITE DIFFÉRENCE

xxxxDans une paroisse rurale,
xxxxPar un beau dimanche d’été,
xxxxDans sa blanche chaire murale,
xxxxMessire Jean était monté.
xxxxAinsi son sermon, il commence :
xxxx— Dieu fit nos premiers parents
xxxxÀ son image et ressemblance.
xxxxIl y avait bien, j’y consens,
xxxxUne petite différence…
xxxxAussitôt, un brave habitant,
xxxxCommettant une irrévérence,
xxxxSe lève et s’écrie en son banc :
— Hourra ! pour la petite différence !

VÔTRE ET NÔTRE

xxLa mère Ladéroute
xxParle beaucoup et mal.
Cela n’est pas, sans doute,
xxUn crime capital.
xxMais je lui reproche
xxLe défaut du Corbeau :
Aussitôt qu’on l’approche,
Son parler n’est pas beau !
xxElle écorche avec aise
xxLa grammaire française,
xxEt confond adjectifs
xxEt pronoms possessifs.
xxAh ! la mère Ladéroute,
xxAvec voute pi noute !




TENDRE CARESSE


Elle avait les yeux
Comme l’azur des cieux,
Et le regard limpide.
Dorés, ses cheveux,
Comme les blés soyeux.
Son front candide,
Du lis avait l’éclat,
Et ses lèvres l’incarnat
Du bouton de rose…
Enfin, c’est bien le portrait
Le plus beau qu’on ferait
En vers ou même en prose.

* * *


Il était beau, grand, bien fait.
Rien qu’à le voir on sentait
Pour lui beaucoup de sympathie.
Il était doux, fort et bon.

 Elle avait nom Marie
Et lui s’appelait Léon.
Ils s’aimaient d’un amour tendre,
Mais Léon se faisait attendre
Dans sa déclaration,
Car le cher garçon
Près de Marie était timide.
Un jour la fillette candide
Lui dit : — Je sais bien, Léon,
Que ton amour est extrême
Pour moi ! Moi, je t’aime de même.
Mais je ne puis pourtant pas
Me jeter dans tes bras,
Et tu ne m’as pas faite,
Même le jour de ma fête,
Cadeau d’un petit baiser !

* * *

De tout cela que fallait-il penser ?

* * *

Sur le champ, Léon presse
Marie entre ses bras.
Elle soupire bas
Si forte fut la caresse :
— Jamais aucun garçon,
Ne m’a serrée ainsi, Léon !


ADAM


Notre curé monte en chaire
Un dimanche pour faire
Un sermon.
Ce fut sur la création
D’Adam et d’Ève.
Juste avant cela
Un habitant se lève
Et dehors s’en alla.
La coïncidence
En la circonstance
Fut que l’habitant
Aussi s’appelait Adam !
Racontant la scène biblique,
Messire en était rendu
Au passage : « Adam, d’où viens-tu ? »
Adam, ainsi que l’explique
La Genèse, s’était caché,
Ayant conscience
Qu’il avait péché

Par désobéissance.
Jéhovah haussa la voix
Encore une fois
Pour faire paraître notre homme.
Le curé en fit autant, en somme.
Ce fut à cet instant
Que l’habitant rentrant,
Se crut en cause
Et confus, tout chose,
À l’appel : « Adam ! d’où viens-tu ? »
Avait répondu
Du fond de l’église :
— J’viens d’voir à ma jument grise !


LE TORTICOLIS


Tit-Jean, un jour, à confesse,
S’accusait d’avoir commis
Le péché de torticolis.
Le confesseur, d’abord surpris
De ce mot, à l’enfant s’adresse,
Et doucement le presse
Pour une explication,
Une définition.
L’enfant, de nature simplesse,
Dit toujours sur un même ton :
— J’sais pas, j’étais pas bon garçon
À c’qui paraît, à la maison,
Et mouman fatiguée,
À la fin s’est écriée :
— « C’est un péché, ça, qu’a m’dit
Qu’tu fais… l’péché d’torticolis !

* * *

Le confesseur qui se doute
De quelque simplicité,

Dit enfin à Tit-Jean : — Écoute !
Tu vas devant moi répéter
Ton péché. L’enfant s’exécute
Et fait… une double culbute !

* * *


Une vieille femme attendait
Son tour, lorsqu’elle constate,
L’esprit stupéfait,
Le geste d’acrobate.
Elle s’y méprend,
Croit que c’est une pénitence,
Qu’il lui peut en échoir autant.
Elle s’alarme d’avance
Et s’éloigne vivement.
Le confesseur l’appelle :
— C’est votre tour maintenant !
— Non, mon Père, répond-elle :
J’n’en veux pas d’mon tour,
En cas d’pénitence pareille :
Vous savez… J’suis trop vieille,
Et pis, j’suis pas habillée pour !



FÊTE CHAMPÊTRE


Notre digne prêtre
Avait organisé
Une fête champêtre,
Afin de réaliser
Une somme nécessaire
Pour travaux à faire
Au temple sacré.
Le succès était assuré,
Car pour semblable affaire,
Nos braves Canadiens
Sont bons paroissiens.
Le clou de la fête champêtre
Devait être
Un discours du député
Du comté.
Il y avait grande affluence :
On s’y coudoyait
Plus qu’on ne prévoyait.

Le curé lors, par prudence,
Avait aux abords du champ
Posté son bedeau, Gros-Jean,
Pour y guetter l’arrivée
De monsieur le député,
Qui, pour raison privée,
 Avait été retardé.
Enfin, l’homme arrive
Et Gros-Jean, de voix vive
L’appelle : — Hé ! m’sieu !
Venez vite, mon Dieu !…
M’sieu l’curé m’envoie à sa place ;
Il est pris pour l’instant…
Mais l’heure se passe
Et l’on vous attend !
(Vers la foule se tournant : )
Allons ! faites d’l’espace
Pour m’sieu l’député !…
L’représentant du comté !…
Allons ! rangez-vous vite…
Not’ membre est en retard !…
V’nez, m’sieu, par icitte !…

Allons !… un peu plus d’écart !
Messieu’ c’est not’ membre !
Not’ membre de Chambre !!…


Et le bedeau file en avant.
Criant toujours son boniment,
Fendant la foule,
Laquelle comme une houle
Aussitôt va se reformant.
Le député s’arrête
Presque à chaque pas ;
Les gens de la fête,
Le saluent chapeau bas ;
Ce qui lui plaît, en somme !
Le bedeau, tout à coup,
Se tourne et ne voit plus son homme.
Le ton vexé, plein de dégoût
Il dit : — « Où s’qu’il est, l’crapaud d’fou ? »



JOSUÉ


Un jour, à l’école
Que fréquentait Nicole,
— Le fils de Gros-Jean —
Il vint un nouvel enfant.
Le maître fit sa classe ;
Sans incident, tout se passe,
Tout va bien, rien de fâcheux,
Hors à l’Histoire des Hébreux,
Du passage en terre promise,
Le maître demandant :
— Qui s’qu’a m’né les enfants d’Moïse
Sur la terre de Canaan ?
Personne ne dit mot, personne !
Il répéta sa question
Sans meilleure solution.
Derechef, il la redonne,
Et remarquant le « nouveau » :
— Allons ! toi ! là ! mon beau !
Il faut que tu nous le dises ;

« Qui s’qu’a m’né les enfants d’Moïse
Sur la terre de Canaan ? »
— C’est pas moi, m’sieu ! dit l’enfant,
J’connais pas Canaan,
Ni Moïse, ni sa terre.
L’affaire est ben claire :
D’mandez à n’importe qui,
On vient rien q’ d’arriver ici !

TABLE DES MATIÈRES



Pages
 33
 67
 69
 89
 101

ILLUSTRATIONS


Pages
Joyeux propos de Gros-Jean 
 5
Le prône du bedeau 
 11
Pour le conducteur 
 19
Sourd comme un pot 
 25
Le Stime 
 31
Octave de Noël 
 45
Le poète impromptu 
 49
La prière du soir 
 55
Un suisse 
 65
La tordeuse 
 75
Tendre caresse 
 83
Fête champêtre 
 93
Josué 
 99


Achevé d’imprimer
à Montréal (Canada)
le quinze septembre
mil neuf cent vingt-huit

pour

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Imprimeurs
Printed in Canada.