Joyeux propos de Gros-Jean/Pour le conducteur

Les cahiers populaires (p. 19-22).




POUR LE CONDUCTEUR

 
L’épouse de Gros-Jean était venue en ville
Un samedi, jour de marché.
Pour s’éviter de trop marcher
Voilà qu’en « p’tits chars » elle file :
Elle a parents à visiter…
Choses qu’elle doit acheter…
Elle se hâte… elle s’empresse…
Elle précipite ses pas
Quoiqu’elle porte avec tendresse
Un beau gros bébé dans ses bras.
Dans un des tramways de la ville,
De ceux, je crois, du « Bout de l’Isle »
Elle avait pris place à l’avant.

* * *


Le poupon, tout à coup, crevant
De soif, bruyamment braille et clame.
On dirait qu’il va rendre l’âme.

La maman veut le consoler,
Sur ses genoux le sautiller,
Mais en vain ; l’enfant crie et pleure.
La mère, alors, mise en demeure,
Sans fausse honte, mais bravement,
Au petit fournit l’aliment.
Voilà que bientôt il s’apaise,
Désaltéré, bien à son aise,
Il promène un œil satisfait
Autour de lui, puis, gaîment jase,
Pendant qu’une goutte de lait
Perle comme au bord d’un vase
Au coin de son menton rosé.
Il voudrait bien causer !
Mais la mère veut qu’il finisse.
Elle le presse donc et lui dit :
— Ho ! dépêche-toé,’Vangélisse !…
Mais il babille et lui sourit.
Derechef elle l’admoneste
Et le menace de ce geste,
Comme pour lui faire une peur :
— Si tu t’dépêches pas, mon cœur !
M’a l’donner au conducteur !