Joyeux propos de Gros-Jean/Le wagon-lit

Les cahiers populaires (p. 59-62).


LE WAGON-LIT


Une fois, Gros-Jean, en voyage,
Retournait vers son cher village :
Il avait pris le train du soir.
Il dut donc dans le char dortoir
Se louer un lit. Le cher homme
Aurait voulu faire un bon somme.
Bien à son aise, comme il faut,
Mais il n’eut qu’un lit du haut,
Le seul qui lors fut disponible.
Gros-Jean n’était pas susceptible ;
Quoiqu’il fût très haut perché,
Cela n’allait pas l’empêcher,
Dans un moment, une seconde,
D’oublier tous les bruits du monde
Et, sur son oreiller moëlleux,
De dormir comme un bienheureux.

* * *

Et le convoi fila rapide
Dans le noir de la nuit vide.
Le silence régnait partout,
Excepté lorsque tout à coup
La voix de la locomotive
Semait dans sa marche hâtive
Le cri vibrant de son sifflet.
Mais hors ça, silence complet !

* * *

Soudain, un staccato bizarre,
Éclatant comme une fanfare
Se répandit dans le wagon,
Suivi bientôt d’un autre son ;
Le souffle d’une forte gorge
Bruyant comme un tuyau de forge.

* * *

C’était le Gros-Jean qui ronflait !

* * *

Dans le lit sous le sien, dormait
Ou reposait une matrone.
Ce bruit la réveille et l’étonne ;
Elle comprend qu’il vient d’en haut.
Pour en protester aussitôt
Elle frappe de son ombrelle.
Elle frappe fort de plus belle,
Jusqu’à ce que Gros-Jean troublé,
S’arrête enfin de ronfler.
Mais il n’a pas pris connaissance ;
Il est toujours sous la puissance
Du sommeil, et, Gros-Jean qui dort,
Grogne en se retournant de bord.
D’avoir arrêté le tumulte,
La bonne dame alors exulte
Et se prépare à fermer l’œil,
Mais elle en doit faire son deuil :
Rompant derechef le silence,
Gros-Jean à ronfler recommence.
Lors, la dame d’en bas, en courroux,
Bondit sur son lit, à genoux,
Et frappe en haut, frappe avec rage.

Jean se lève en son lit-étage,
Constate d’où viennent les coups :
Se penche et regarde en dessous
De son lit, voit la femme
Qui frappe toujours : « Hé ! la dame !
Lui dit-il, « tant que tu voudras,
Frappe, mais tu sais ! j’descends pas ! »