Identité et réalité/Chapitre VII

Félix Alcan (p. 213-235).

CHAPITRE VII

L’UNITÉ DE LA MATIÈRE

Parménide se représentait l’univers comme une sphère matérielle et, apparemment, composée partout d’une seule et même matière. En d’autres termes il affirmait, en même temps que l’immutabilité essentielle de l’être matériel, son unité[1]

Cette conception se retrouve dans la plupart des systèmes atomistiques. Kanada, semble-t-il, avait conçu ses atomes comme divers ; mais chez les Jaïnas ils sont constitués d’une matière unique, toujours identique à elle-même[2]. Leucippe et Démocrite se sont exprimés avec beaucoup de netteté à ce sujet. « S’ils sont distincts par leurs formes, dit Aristote en parlant des atomes tels que les concevaient ces deux philosophes, ils n’ont cependant, à ce qu’on nous dit, qu’une seule et même matière, tout aussi bien que si, par exemple, chacun d’eux était un morceau d’or distinct et séparé[3]. » Les atomistes grecs de l’époque postérieure ont constamment maintenu l’enseignement des maîtres. Nous savons par un passage de Galien, lui-même adversaire des théories atomistiques, que l’unité de la matière était considérée en son temps comme faisant partie intégrante de ces doctrines[4]. Au moyen âge, alors que l’aristotélisme régnait souverainement, la croyance à l’unité de la matière était à peu près générale ; elle faisait le fond des théories des alchimistes et de leurs tentatives de transmutation[5]. Il se peut qu’il y ait là, comme on la dit, une influence exercée par une sorte de sous-courant de doctrines atomistiques[6] qui, nous l’avons vu, a en effet existé, tirant sa source de certains écrits médicaux ; mais nous verrons plus tard qu’il n’est pas besoin d’avoir recours à cette hypothèse et que les théories d’Aristote elles-mêmes suffisent à expliquer cette tendance. Dès la renaissance des théories mécaniques l’unité de la matière est affirmée et ne rencontre pour ainsi dire pas de contradicteurs. Pour Descartes, c’est une vérité fondamentale et évidente par elle-même : « Il n’y a qu’une mesme matière en tout l’Univers[7]. » Après lui, tout le monde semble d’accord sur ce point. Dans les ardentes polémiques que soulève la question de l’attraction newtonienne, on ne trouvera pas la moindre mention de cette objection qui se présente facilement à l’esprit des modernes : comment attribuer une seule et même propriété à des matières fondamentalement diverses ? Sans doute amis et adversaires de l’action à distance étaient à un degré égal convaincus de l’unité de la matière. Les chimistes étaient du même avis et Boyle, ferme adhérent des théories corpusculaires, affirme hautement l’unité de la matière qui lui paraît inséparable de ces théories[8]. Puis, au xviiie siècle, une crise s’ouvre, crise qui ira en s’accentuant presque jusqu’à notre époque, et qui est d’autant plus intéressante à observer qu’elle est en quelque sorte latente et inavouée. Il est en effet très remarquable, au point de vue historique, que l’évolution dont nous parlons s’opère sans attirer l’attention de personne. Il n’y a, semble-t-il, rien de plus essentiel en chimie que le concept de l’élément, et c’est ce concept qui est en train de se transformer complètement. Cependant, jamais les historiens de la chimie n’ont pris cette transformation pour le point de départ d’une époque. C’est qu’elle est tout à fait lente, insensible et comme spontanée ; il y a là une sorte de sous-courant extrêmement puissant, mais dont les protagonistes mêmes de la chimie d’alors n’ont pas conscience, qui les entraîne pour ainsi dire malgré eux[9]. Au début de la chimie du phlogistique, Becher est fermement convaincu de la possibilité de la transmutation[10] et croit même avoir trouvé un procédé pour l’effectuer dans certaines limites[11]. C’est donc que non seulement les métaux, mais encore les chaux métalliques (ce que nous appelons les oxydes) ne lui apparaissaient point comme de véritables éléments. En effet, il croyait que ces derniers n’étaient qu’au nombre de trois, c’étaient au fond les mêmes que ceux de Paracelse, bien que Becher les décore de noms différents[12]. Même Stahl, qui a été le premier à se servir du terme phlogiston, ne doutait pas non plus, du moins pendant la première partie de sa carrière, de l’existence d’une substance appelée Elixir ou Teinture[13] et dont la principale propriété consistait à transmuer les métaux ; il a expressément affirmé la possibilité d’une transmutation du plomb[14]. Plus tard, il a changé d’opinion et est devenu l’adversaire des alchimistes[15] ; toutefois, on ne voit pas qu’il ait jamais déclaré qu’il considérait les chaux métalliques comme de véritables éléments[16]. Cependant peu à peu cette dernière opinion (préparée au xviie siècle par les écrits de Boyle[17] qui pourtant, nous l’avons dit, croyait lui-même à l’unité de la matière) tend à prévaloir parmi ses successeurs. Il est certain qu’elle se trouve déjà solidement établie à la veille des découvertes de Lavoisier[18], et qu’à ce point de vue du moins la « révolution chimique » dont ce dernier a été l’auteur trouvait les voies préparées. Sans doute, on n’avait pas entièrement perdu le souvenir des éléments d’Aristote ni de ceux de Becher et, dans les manuels surtout, on en parlait encore quelquefois. Lavoisier, dans la préface au Traité élémentaire de chimie, montre, avec sa clarté habituelle, ce que ces anciennes conceptions ont d’inconsistant. « Cette tendance que nous avons à vouloir que tous les corps de la nature ne soient composés que de trois ou quatre éléments tient à un préjugé qui nous vient originairement des philosophes grecs. » L’élément chimique est au contraire une notion résultant de l’expérience. « Le dernier terme auquel parvient l’analyse, toutes les substances que nous n’avons encore pu décomposer par aucun moyen sont pour nous des éléments[19]. » Mais on sent, par la brièveté de ses déclarations, qu’il n’a pas de controverse à craindre en cette matière. C’est qu’au fond ses contemporains les plus autorisés étaient là-dessus d’accord avec lui[20]. Kopp constate que Lavoisier ne s’est jamais donné la peine de proclamer l’inanité des transmutations.

Depuis le triomphe définitif de la théorie de Lavoisier, rien, semble-t-il, n’est mieux garanti au point de vue empirique que l’existence des « éléments », c’est-à-dire de corps différant les uns des autres au point de vue de leurs qualités fondamentales, corps qui nous apparaissent comme indestructibles, capables de s’unir entre eux pour former des combinaisons, mais incapables de se transformer les uns dans les autres. Helmholtz désigne le principe chimique dont nous parlons comme celui de « l’inaltérabilité des substances » (Unveraenderlichkeit der Stoffe) ou de la « constance des éléments » et le considère comme fondamentale[21]. M. Armand Gautier constate de même qu’il est une des bases de notre chimie et lui attribue, très justement, la première place dans l’énumération de ces notions fondamentales[22]. M. Étard est du même avis[23]. Il est d’ailleurs facile de se rendre compte que cette notion fait même en quelque sorte partie intégrante du principe de la conservation de la matière. C’est là précisément cette partie indéterminée, mais fort importante du principe dont nous avons parlé plus haut (p. 137).

Je brûle un morceau de soufre à l’aide d’oxygène et je recueille l’anhydride sulfureux ainsi produit. D’autre part, je fabrique de l’eau en combinant de l’oxygène avec de l’hydrogène et, en y faisant dissoudre du potassium, une solution de potasse ; finalement je fais absorber l’acide sulfureux par cette solution. J’obtiens ainsi du bisulfite de potasse. Évidemment, dans toute cette série d’opérations, le poids a dû se conserver, c’est-à-dire que si j’additionne d’une part les poids des matières que j’ai fait entrer dans ces combinaisons multiples : soufre, oxygène, hydrogène et potassium, et d’autre part ceux des produits obtenus, sulfite de potasse et produits accessoires comme l’hydrogène qui a été régénéré par la dissolution du potassium, etc., les deux sommes se trouveront rigoureusement égales. C’est le principe de la conservation de la matière ; mais est-ce tout le principe ? Ne puis-je énoncer rien de plus au point de vue de cette conservation ? Je puis au contraire affirmer que non seulement les poids, mais encore les matières elles-mêmes se conserveront, que le soufre restera soufre, l’oxygène, oxygène et ainsi de suite. La preuve en est que je n’hésite pas à désigner mon produit final par le symbole KHSO3. Sans doute, on peut à la rigueur affirmer que cette formule signifie, non pas que ces corps élémentaires se trouvent actuellement contenus dans le bisulfite, mais uniquement qu’ils peuvent en être dégagés dans certaines conditions. C’était l’avis de Henri Sainte-Claire Deville[24], et M. Ostwald semble également y incliner[25]. Dans cette hypothèse, les éléments disparaîtraient dans les combinaisons. Cela n’a, en soi, rien de paradoxal. Des problèmes de ce genre ont été à maintes reprises posés en chimie et n’ont pas toujours reçu des solutions identiques. Ainsi, on peut se demander si l’eau que nous voyons s’ajouter facilement, dans certaines conditions, aux molécules des corps y subsiste après comme telle. Les chimistes le supposent assez généralement pour ce qu’on appelle eau de cristallisation. Mais pour l’eau des acides les hypothèses ont varié. On supposait autrefois que l’acide sulfurique, par exemple, était un composé de ce que nous appelons actuellement l’anhydride (et ce qui était considéré à ce moment comme le véritable acide) et d’eau ; celle-ci se conservait donc comme telle dans la molécule composée. Dans nos formules actuelles, au contraire, la molécule d’eau qui s’ajoute à l’anhydride se scinde, l’hydroxyle et l’hydrogène allant se fixer dans deux endroits différents de la chaîne atomique.

Il suffit cependant, ayant posé ainsi les conditions du problème, d’examiner les théories de la chimie pour voir que la doctrine généralement acceptée est l’opposé de celle de Sainte-Claire Deville. Reportons-nous au passage de Lavoisier que nous avons cité au chapitre précédent et pesons bien ces termes : « On est obligé de supposer dans toutes les expériences une véritable égalité ou équation entre les principes du corps qu’on examine et ceux qu’on en retire par l’analyse. »

Si nous avions un doute sur la portée de ce passage, nous n’aurions qu’à nous référer à ce qui précède ; dans une phrase que nous avions omise dans notre citation, Lavoisier déclare qu’avant ou après l’opération « la qualité et la quantité des principes est la même et qu’il n’y a que des changements, des modifications ». Ainsi donc, ce que Lavoisier affirme, c’est que les « principes » (il s’agit en l’espèce de corps qu’il savait composés, mais cela s’applique évidemment a fortiori aux éléments) préexistent comme tels à leur isolement.

Il est facile, d’ailleurs, de se convaincre que la chimie, sur ce point, est restée fidèle à la pensée du plus illustre de ses maîtres.

On affirme que les corps n’ont pas seulement été composés, mais qu’ils sont réellement composés de leurs éléments, que ces derniers y sont véritablement contenus, qu’ils persistent dans leurs combinaisons. On recherche même la manière dont leurs parties ultimes ont pu se grouper. Toutes les théories émises depuis Berzélius jusqu’à M. Van’t Hoff sur ces formules qu’on appelle maintenant de « constitution », formules en lesquelles se résument pour ainsi dire les progrès de la chimie, perdraient leur sens si nous pouvions douter un seul instant de cette persistance.

Sans doute, personne n’affirme que les éléments, en entrant dans ces combinaisons conservent toutes leurs propriétés ; il semble même, à première vue, qu’il ne saurait y avoir aucun rapport à cet égard entre le métal potassium, le gaz hydrogène, etc. d’une part, et le bisulfite d’autre part. On sait cependant que de tels rapports existent. Le plus important, qu’on appelait autrefois la loi des équivalents, fut établi par Gay-Lussac et transformé par Avogadro, lequel y rattacha des considérations sur les poids spécifiques des gaz. Depuis, les chimistes en ont trouvé d’autres : patiemment ils continuent à chercher, convaincus d’avance que ces rapports existent, qu’il ne s’agit que de les dégager ; ce qu’on appelle chimie physique ou générale n’est par le fait que l’étude de l’influence qu’exerce sur les propriétés des corps leur composition chimique, c’est-à-dire l’ensemble des propriétés de leurs éléments et leur mode de groupement.

Il est difficile, semble-t-il, de douter, dans ces conditions, que l’hétérogénéité des éléments primordiaux constitue réellement le fond de la chimie. Si cependant nous recherchons à cet égard les opinions des chimistes eux-mêmes, et surtout des théoriciens de la chimie, nous constaterons des doutes manifestes, et même quelquefois l’affirmation nette de l’unité de la matière. Cela date de loin. Lavoisier déjà hésitait à placer sur le même rang tous les éléments dont il avait établi l’existence. L’oxygène, l’azote, l’hydrogène lui paraissaient plus simples que les autres corps qui, par conséquent, n’auraient été que des composés[26]. En 1815 Prout formula sa théorie bien connue en vertu de laquelle l’hydrogène serait l’élément primordial, dont seraient composés tous les autres ; cette conception eut une fortune extraordinaire et compta parmi ses adhérents beaucoup de chimistes autorisés, entre autres J.-B. Dumas qui, il est vrai, la modifia légèrement, en partant d’un sous-multiple du poids atomique de l’hydrogène[27]. Les recherches ultérieures ne la confirmèrent pas ; mais elle résista longtemps et elle est loin d’avoir définitivement disparu[28]. Plus considérable encore fut le succès des conceptions fondées sur la périodicité des poids atomiques, conceptions dont le premier initiateur fut Chancourtois[29], mais qui reçurent leur forme définitive de Mendéléef. Les théories du chimiste russe ont été le point de départ d’un grand nombre de travaux scientifiques, et bien que les polémiques qu’elles ont suscitées soient loin d’être éteintes, ce n’est certes pas aller trop loin que d’affirmer qu’elles font à l’heure actuelle partie intégrante de la chimie théorique[30].

Étant donné que l’abandon de l’immutabilité des éléments bouleverserait profondément, nous l’avons vu, l’édifice entier de la chimie, on serait porté à croire que toute supposition qui y tendrait serait accueillie avec une méfiance extrême, et qu’il faudrait des preuves expérimentales très probantes pour engager la science dans cette voie. Or, ni du temps de Prout, ni du temps de Mendéléef on n’a connu ombre d’un fait pouvant faire douter de la fixité des éléments chimiques. Il y a plus, les bases expérimentales des deux théories ont toujours été extrêmement minces et il fallait certes, à l’époque où elles ont paru, une bonne volonté extrême pour admettre des constructions aussi hardies érigées sur des fondements aussi peu solides[31].

Ces considérations démontrent clairement, semble-t-il, que les chimistes, en dépit des résultats expérimentaux et des exigences de la théorie qu’ils professent ostensiblement, n’ont jamais accepté qu’à leur corps défendant le fait de l’existence d’une soixantaine d’éléments. Berthelot nous assure que les chimistes avaient « toujours conservé l’espoir de dépasser » ce qu’ils considéraient comme une limite provisoire[32]. Il est tout aussi significatif que Gibbs, dont les célèbres travaux théoriques semblent devoir orienter la science entière dans une direction nouvelle et fructueuse, n’ait pas hésité à fonder un des postulats fondamentaux de sa doctrine sur la possibilité de la transmutation[33] et que Friedel, après avoir déclaré que « la notion d’une matière élémentaire unique est plutôt une conception philosophique qu’autre chose » ait réclamé, trois pages plus loin, « une explication mécanique du fait général auquel on a donné le nom d’atomicité ou valence des atomes[34] ». L’atomicité ou valence est une expression de l’affinité, la propriété la plus intime des atomes chimiques, celle par laquelle, en définitive, les autres doivent pouvoir s’expliquer. Si elle exige à son tour une explication, c’est qu’on la reconnaît comme qualité occulte, c’est-à-dire qu’on suppose que tout doit se ramener à une matière unique dépourvue de qualités.

Nous pouvons aussi citer les témoignages de philosophes, tels que Spencer, Lotze, M. Wundt et Hannequin. Pour Herbert Spencer, les propriétés des différents éléments chimiques « résultent de différences d’arrangement provenant de la composition et recomposition d’unités ultimes homogènes[35]. » M. Wundt, après avoir constaté que « la chimie rapporte encore les diverses qualités de la matière à une différence qualitative originelle entre les atomes » ajoute aussitôt : « Mais la tendance générale de l’atomisme en physique est de dériver toutes les propriétés qualitatives de la matière des formes du mouvement atomique. Ainsi les atomes eux-mêmes restent des éléments entièrement dépourvus de qualités[36]. » De même Hannequin déclare que l’unité de la matière est « le postulat secret de tout atomisme[37] ». Mais il est peut-être encore plus significatif que cette tendance soit constatée par Lotze[38], car ce métaphysicien est l’adversaire du concept de l’unité de la matière et ces tendances des chimistes et des physiciens l’étonnent.

Évidemment, une tendance aussi générale et aussi puissante doit avoir une cause profonde. Or, nous ne pouvons invoquer la causalité telle que nous l’avons définie, d’après Leibniz, c’est-à-dire l’identité entre la cause et l’effet, l’antécédent et le conséquent. Ce principe postule des conditions pour l’existence des choses dans le temps ; mais, à ce point de vue, à supposer que le soufre reste soufre et l’oxygène, oxygène, il est indifférent que le soufre soit, comme on l’a supposé, un simple polymère de l’oxygène[39] ou bien une matière radicalement distincte. Ou plutôt, au point de vue de la portée et de la facilité des déductions, il est préférable au contraire de partir d’un nombre d’éléments aussi grand que possible et ayant des propriétés très diverses. C’est là une observation très générale et qu’il impute de mettre bien en lumière.

La nature nous présente un nombre immense de phénomènes d’une diversité infinie. Nous devons tous les expliquer par le déplacement de quelque chose. Mais ce qui se déplace n’étant pas autrement défini, il y aurait évidemment avantage à choisir ces « éléments » aussi divers que possible ; car plus il y aura de diversité dans les éléments et plus il sera aisé d’en déduire celle des phénomènes composés. Pour faire application de ces généralités à nos éléments et composés chimiques, nous sommes fort loin, pour le moment, de savoir expliquer complètement les propriétés des composés par celles des éléments ; mais on conçoit que cela serait plus aisé, qu’il y aurait moins de chemin à faire pour aboutir à des matières qualitativement diverses, que si l’on devait résoudre tout en une matière unique : les propriétés des sulfites s’expliqueraient certes moins difficilement par celles du soufre, etc., que s’il fallait par exemple que tout fût ramené à l’hydrogène. En allant plus loin dans cet ordre d’idées, on aboutirait à peu près à une théorie comme celle des homéoméries d’Anaxagore qui supposait, on le sait, l’existence d’un nombre infini d’éléments ou de principes différant les uns des autres au point de vue qualitatif ; mais non pas aux atomes de Leucippe et de Démocrite, formés tous d’une seule et même matière.

Ainsi, loin de pouvoir déduire l’unité de la matière du principe causal, nous constatons que ce dernier nous pousse dans la direction opposée. Mais peut-être cette déduction ne serait-elle pas impossible par une voie un peu plus détournée. Nous avons en effet admis, au cours de nos analyses, que la propriété la plus importante de la matière est celle d’être une cause de déplacement pour une autre matière. Ce qui semble confirmer cette déduction, c’est le fait que, depuis Locke, on s’accorde assez généralement à distinguer entre les qualités premières et les qualités secondes de la matière, en comprenant parmi celles-là, qu’on considère comme inséparables du concept lui-même, l’impénétrabilité. Mais d’où vient cette distinction ? Est-il exact que, mentalement, nous puissions dépouiller le concept de matière de certaines propriétés et non d’autres ? La matière, objet de nos sensations, a des qualités diverses ; elle est chaude, colorée, électrisée, aimantée, etc. Pouvons-nous faire abstraction de la première de ces qualités et supposer une matière qui n’aurait aucune température ? Cela est proprement inconcevable, notre imagination s’arrête au corps qui, au toucher, ne nous donnerait ni la sensation du froid ni celle de la chaleur, c’est-à-dire dont la température se rapprocherait de celle de notre sang ; encore ce même corps nous donnerait-il une sensation calorique dans d’autres circonstances, si nous avions, par exemple, trempé préalablement la main dans de l’eau froide. Il en est de même pour la couleur, qui seule nous permet de voir la matière : toute vision est une vision de couleur, a dit Maxwell[40], après Berkeley du reste[41]. Sans doute, pour les états électrique et magnétique, nous ne pouvons nous livrer à la même analyse, car un organe de sensation immédiate correspondante nous fait défaut ; mais il est clair que la situation est la même et qu’il ne saurait exister de matière dépourvue de ces propriétés. En tant qu’objet de nos sensations, en tant que notion du sens commun, la matière est par conséquent un concept complexe qui doit se définir par l’ensemble des propriétés énumérées ci-dessus ; nous sommes obligés de les considérer toutes comme premières et l’on sait d’ailleurs que les idées à ce sujet ont varié : les péripatéticiens considéraient comme qualités premières le froid et le chaud, le sec et l’humide. Que si, au contraire, nous recherchions les propriétés concevables a priori, l’impénétrabilité ne serait certainement pas du nombre ; nous avons vu que l’on ne parvient pas à la loger dans l’atome, à l’égard duquel elle apparaît comme une véritable qualité occulte. Donc en rangeant l’impénétrabilité parmi les qualités premières, on ne fait encore qu’obéir à la tendance qui nous pousse à considérer le phénomène mécanique comme primordial, à ramener les phénomènes au mécanisme.

Ainsi, la propriété d’être une cause de déplacement est bien, en vertu du principe de causalité, la plus importante d’entre celles que nous sommes forcés d’attribuer à la matière ; et il est clair de ce chef que, si nous devions définir la matière par une propriété unique, c’est bien celle-là que nous choisirions. Mais pourquoi aurions-nous recours à une propriété unique ? Le concept naturel de la matière, nous venons de le voir, est, au contraire, fort complexe ; et puisque, à l’égard de l’atome, l’impénétrabilité apparaît comme une qualité occulte, on pourrait tout aussi bien y loger toutes les autres causes de nos sensations, ce qui, d’autre part, nous l’avons vu, faciliterait grandement les explications. Par conséquent, le principe de l’identité dans le temps ne saurait être invoqué pour expliquer ce trait important des théories mécaniques qu’est l’unité de la matière. Devrons-nous donc avoir recours à des principes obscurs et généraux, tels qu’une tendance vers l’unité ou vers la simplicité ? Devrons-nous supposer avec Lotze que nos motifs sont d’ordre esthétique[42] ? Est-il réellement possible d’attribuer à une cause de ce genre une tendance qui, en dépit d’obstacles immenses qu’elle semble ignorer comme à plaisir, se manifeste avec une vigueur si singulière, tendance qu’un métaphysicien très avisé et très informé des choses de la science a tout récemment qualifiée « d’irrésistible[43] » ? Il semble qu’il doive y avoir là une cause plus profonde.

Partons de l’image de l’univers telle que nous la présente la théorie atomique courante : des masses corpusculaires ayant, en dehors de la faculté de se déplacer, le pouvoir de causer mutuellement leur déplacement, mais dépourvues de toute autre qualité. Essayons de leur en conférer une, soit pour fixer les idées, ce qu’on appelle en chimie l’atomicité ou valence, c’est-à-dire essayons de donner à un certain nombre d’entre ces atomes le pouvoir de s’attacher en quelque sorte un nombre déterminé d’autres atomes. Tâchons de nous représenter, de réaliser cette nouvelle image : notre entendement ou, si l’on aime mieux, notre « imagination » résistera. Comment relier cette qualité à l’image de l’atome que nous avions formée, où la loger ? Cela nous paraît mystérieux, l’atomicité, ainsi que maintes fois l’ont fait valoir les adversaires de ce concept, apparaît comme inexplicable. « Toute véritable force de la nature, dit Schopenhauer, est essentiellement qualitas occulta[44] ».

Arrêtons-nous à ce dernier terme. Jusqu’ici nous n’avions parlé d’explication qu’à propos des rapports des phénomènes dans le temps. Or, manifestement, il ne s’agit pas ici de ce rapport : ces atomes, aussi bien que la qualité dont nous prétendons les douer, tout cela doit être éternel, immuable, indépendant du temps. Cela ne devient pas, cela est. Ce n’est donc plus une explication du devenir que nous avons demandée, mais une explication de l’être.

La question a été traitée par Aristote dans le VIIIe livre de sa Physique. Il s’agissait précisément, comme dans le cas qui vient de nous occuper, d’une qualité des atomes. Démocrite, pour expliquer leur agitation, affirmait, nous l’avons vu, qu’elle avait existé de tout temps. Aristote trouve cette explication insuffisante. « En général, dit-il, admettre que ce soit un principe et une cause suffisante d’un fait de dire que ce fait est toujours ou qu’il se produit toujours de telle ou telle manière, ce n’est pas du tout satisfaire la raison. » Et il ajoute : « C’est là cependant à quoi Démocrite réduit toutes les causes dans la nature, en prétendant que les choses sont actuellement de telle manière et qu’elles y étaient antérieurement. Mais quant à la cause de cet état éternel, il ne croit pas devoir la rechercher[45]. »

Aristote, on le voit, se sert du terme de « cause » bien qu’il s’agisse d’un « état éternel » ; il faut donc qu’il y ait là un rapport au moins très voisin de celui de la causalité proprement dite.

Reportons-nous à l’énoncé du principe de la raison déterminante donné par Leibniz : « jamais rien n’arrive sans qu’il y ait une cause ou du moins une raison déterminante, c’est-à-dire quelque chose qui puisse servir à rendre raison a priori pourquoi cela est existant plutôt que de toute autre façon[46]. » La première partie de la formule « jamais rien n’arrive » paraît avoir trait au devenir seul, mais dans la seconde partie Leibniz, par une sorte de saut mental, va évidemment plus loin, puisqu’il demande une raison de ce qui « est existant ».

Un autre passage que nous empruntons à un opuscule récemment mis au jour par M. Couturat est peut-être plus clair encore. « C’est pourquoi, dit Leibniz, il faut rendre raison même des choses éternelles ; si l’on suppose que le monde a existé depuis l’éternité et qu’il n’y a en lui que des globules, il faut rendre raison pourquoi ce sont des globules plutôt que des cubes[47]. »

Il n’est pas douteux que c’est au principe ainsi étendu qu’il pensait en protestant contre l’attribution aux substances de qualités quelconques. « Ainsi, dit-il, dans l’ordre de la nature (les miracles mis à part) il n’est pas arbitraire à Dieu de donner indifféremment aux substances telles ou telles qualités ; et il ne leur en donnera jamais que celles qui seront naturelles, c’est-à-dire qui pourront être dérivées de leur nature comme des modifications explicables[48]. » Wolf a donc réellement résumé les enseignements de son maître quand il a formulé : Nihil est sine ratione cur potius sit quam non sit, et cette formule qui, nous l’avons vu, a été adoptée textuellement par Schopenhauer[49], indique clairement qu’il s’agit de la raison de l’être et non de celle du devenir seulement.

Nous avons demandé tout à l’heure : pourquoi les choses ont-elles changé ? et la causalité nous a répondu : elles n’ont pas changé, elles sont restées les mêmes. Nous demandons maintenant : pourquoi, à supposer qu’elles soient telles de toute éternité, sont-elles ainsi et non autrement ? Évidemment, les deux questions répondent à un seul et même mode de la pensée. Le monde extérieur est pour nous une vérité de fait, une vérité fortuite ; nous voudrions l’expliquer, le concevoir comme une vérité de raison, vérité nécessaire. Comment nous y prendrons-nous ?

Revenons à notre concept de l’atome mécanique. Est-il réellement dénué de qualités ? Non pas, il lui reste au moins une faculté, celle d’être une cause de mouvement pour d’autres atomes. Mais, en la discutant, nous avons, semble-t-il, démontré qu’elle ne saurait lui être attribuée, qu’elle est incompatible avec l’image que nous nous en faisons ; c’est donc encore une « qualité occulte ». Pour nous rendre compte comment nous sommes parvenus à la reconnaître comme telle, nous n’avons qu’à considérer ce qu’est cette image de l’atome avec laquelle la faculté en question ne peut s’accorder. Que reste-t-il de l’atome corpusculaire si l’on enlève la force à distance et l’impénétrabilité ? Il ne reste évidemment qu’un morceau de l’espace. « Je conçois comme atome, dit M. Lasswitz (c’est le passage dont nous avons déjà fait usage, en établissant le concept fondamental de l’atome corpusculaire) une partie mobile de l’espace, dont les parties géométriques sont en repos relatif les unes à l’égard des autres[50]. » Donc, nous avons en réalité cherché à concilier l’impénétrabilité avec les propriétés de l’espace, et nous avons finalement établi que l’on ne saurait la déduire de ces propriétés : c’est ainsi que nous avons pu la traiter de « qualité occulte ». Ce terme, en effet, ne saurait se définir que comme : ce qui ne fait pas partie du concept (Leibniz, dans le passage que nous venons de citer, dit : « qui pourront être dérivées de leur nature »). Il dépendra donc de la manière dont nous formerons le concept de matière, de sa définition, que telle ou telle qualité soit ou ne soit pas « occulte ». Ici, nous avons confondu la matière avec l’espace et, bien entendu, celui-ci étant absolument inerte, son concept excluant à la fois l’activité et la passivité, l’impénétrabilité et, à plus forte raison, l’action à distance sont devenues « qualités occultes ».

Pour s’en convaincre, il suffit du reste de considérer les indications de Descartes et de Locke au sujet des qualités premières. Descartes affirme que « la nature de la matière ou du corps pris en général ne consiste pas en ce qu’il est une chose dure ou pesante ou colorée ou qui touche nos sens de quelque autre façon, mais seulement en ce qu’il est une substance étendue en longueur, largeur et profondeur[51]. » Locke énumère comme suit « les qualités du corps qui n’en peuvent être séparées et qui produisent en nous des idées simples » : la solidité, l’étendue, la figure, le nombre, le mouvement ou le repos[52]. Ce sont là encore, si l’on excepte la première, des qualités purement spatiales. Locke d’ailleurs, pas plus que Leibniz dans ses discussions avec les cartésiens, n’essaiera d’établir que la solidité (Leibniz dit impénétrabilité ou antitypie et puissance) peut se loger réellement dans l’image spatiale. Il la pose par postulat en déclarant que le corps ne peut agir que par impulsion[53].

Donc, au point de vue logique, Descartes a raison contre Locke. On a dit fréquemment que Descartes annihile l’espace au profit de la matière, et cela est exact, car il n’existe pas d’espace chez lui en dehors de celui que remplit la matière. Mais c’est en réalité une assimilation bilatérale et si la matière résorbe l’espace, elle n’est en revanche elle-même autre chose que de l’espace hypostasié, puisque, nous venons de le voir, elle n’a d’autre propriété que la grandeur spatiale. Avec la prodigieuse vigueur de son esprit. Descartes, en cette question comme en bien d’autres, est allé du coup aux limites de la pensée humaine : il n’y a pas d’autre « explication » de la matière et de l’être en général (l’être intellectuel et moral, bien entendu, mis à part) que par l’espace, et c’est bien en vue de cette explication ultérieure, comme acheminement vers elle, tout comme nous l’avons vu pour le temps, que nous cherchons à éliminer de la matière toute « qualité occulte », c’est-à-dire toute propriété spécifique en général.

Descartes d’ailleurs, sur ce point, ne faisait que préciser les idées des anciens atomistes. Leucippe et Démocrite, nous dit Aristote, ne connaissent que trois différences, causes de tous les phénomènes : la forme, l’ordre et la position[54]. Il n’est pas douteux que le terme forme est employé ici dans le sens spatial ; ce sont donc des relations purement spatiales.

Si notre supposition est exacte, il doit évidemment se manifester dans la science moderne, parallèlement à la tendance à unifier la matière, une autre tendance vers la réduction de la matière à l’espace. C’est ce qui a lieu en effet.

Notons d’abord, à l’appui de notre affirmation, quelques constatations directes d’observateurs attentifs. M. H. Poincaré proteste contre les exigences de certains partisans de théories mécaniques extrêmes, qui voudraient tout ramener à une matière « n’ayant plus que des qualités purement géométriques[55]. ». Or cette matière, apparemment, n’est au fond que l’espace. M. Duhem, à propos de théories très différentes, constate également qu’elles tendent à réduire la matière à l’espace[56]. Le fait que ces deux savants autorisés considèrent ces tendances comme blâmables ajoute encore, si possible, au poids de leur témoignage.

Mais il y a plus, et il est possible, semble-t-il de montrer qu’il ne s’agit nullement d’excroissances tératologiques de la science, mais de ses produits naturels. Tout le monde, en effet, sera d’accord pour constater dans la science un courant manifestement dirigé vers l’explication de la matière par un milieu universel remplissant l’espace. « Depuis longtemps, l’ambition plus ou moins avouée de la plupart des physiciens a été de construire avec la particule d’éther toutes les formes possibles de l’existence corporelle » dit M. Lucien Poincaré[57]. Cela commence immédiatement après Descartes qui, nous l’avons vu, avait assimilé explicitement la matière à l’espace : dès qu’on les différencie par nécessité, la tendance à les identifier se manifeste. Leibniz, dans sa Theoria motus concreti[58], expose que l’espace est rempli partout par une matière homogène fluide, incompressible ; cette matière est susceptible de mouvements tourbillonnaires et c’est à ces derniers seuls que sont dus tous les phénomènes du monde sensible. Malebranche expose des vues tout à fait analogues[59]. Il est presque inutile d’insister sur l’analogie entre ces théories et celles de certains physiciens modernes, notamment de Thomson et Tait et de Helmholtz, sur les atomes tourbillons. Mais ce n’est pas manquer de respect à ces grands noms de la science que de constater que la base expérimentale de ces conceptions était entièrement hors de proportion avec l’édifice qu’on prétendait y ériger, et que le nombre des faits ou des rapports qu’elles étaient susceptibles d’expliquer était extrêmement réduit ; il est surprenant qu’elles aient eu un succès considérable, et plus étonnant encore que leurs auteurs aient pu s’abuser sur leur valeur : ce fait seul nous ferait soupçonner au besoin qu’il doit y avoir là une secrète propension de l’esprit humain. Dans les tout derniers temps, le courant semble avoir encore gagné en force. Que l’éther doive, comme l’a dit Hertz, expliquer tout en dernière instance, même « l’essence de la vieille matière elle-même et de ses qualités les plus intimes de gravitation et d’inertie » et que cette explication soit ce le but ultime de la physique[60] » c’est ce qui a paru, aux savants du xixe siècle, le moins contestable des principes. Dans les théories électriques de la matière, autant qu’elles conservent la notion de l’éther, le nouvel atome, « l’électron », n’apparaît que comme un « point singulier dans l’éther[61] ».

Or, qu’est-ce au fond que l’éther ? Nous avons vu qu’au sujet de ses propriétés les suppositions les plus diverses, et bien souvent les plus contradictoires et les moins acceptables, ont été formulées par les physiciens. Mais il y a un trait qui domine toutes ces hypothèses : c’est que l’éther remplit l’espace ; c’est là sa fonction essentielle, celle en vue de laquelle il a été créé. Cette genèse a été fort clairement expliquée par M. H. Poincaré[62]. La lumière qui nous parvient d’étoiles lointaines met, nous le savons, un temps considérable pour arriver jusqu’à nous. Où est-elle pendant ce laps de temps ? Nous ne pouvons supposer qu’elle n’existe pas, car alors la lumière atteignant la terre ne serait plus la conséquence d’un fait immédiatement précédent, mais, directement et sans continuité, d’un fait séparé par un intervalle de temps, ce qui est inadmissible. Par conséquent, il faut bien qu’elle soit quelque part, et elle ne peut être que dans l’espace intermédiaire, espace qui, à d’autres égards, nous apparaît comme vide. Les propriétés que nous attribuons à l’éther sont donc en réalité celles du vide, ainsi que l’a dit Maxwell[63] et l’éther lui-même n’est, comme l’a déclaré Helmholtz, qu’une hypostase de l’espace. Kant, d’ailleurs, avait déjà appliqué précisément le même terme au « fluide calorique » (Waermestoff) qui jouait, dans la physique de son temps, un rôle à peu près analogue à celui de notre éther[64].

Ainsi, la réduction à l’éther n’est au fond autre chose qu’une tentative de réduction à l’espace ; et cette réduction constitue réellement le procédé par lequel nous cherchons à expliquer l’être matériel, à en déterminer la raison suffisante.

Constatons en même temps que, si la pensée maîtresse d’où découle cette tendance est analogue à celle qui engendre le principe de causalité proprement dit, le procédé est, lui aussi, strictement semblable. Quand nous avons voulu connaître le pourquoi du devenir, c’est-à-dire la raison des modifications qui se produisent dans le temps, la science nous a répondu que ce n’étaient que des modifications apparentes, que sous cette apparence se cachait une identité réelle. Nous voulons savoir maintenant le pourquoi de l’être, c’est-à-dire la raison de la diversité dans l’espace. De même que nous avons demandé tout à l’heure : pourquoi ce qui m’apparaît en ce moment diffère-t-il de ce qui m’est apparu au moment précédent ? nous demandons maintenant : pourquoi ce qui m’apparaît en tel lieu diffère-t-il de ce qui m’apparaît en tel autre ? Dès lors, la seule réponse « rationnelle » est : cette différence n’existe pas, elle n’est qu’apparente, superposée à une identité réelle. Partout, que l’espace paraisse vide ou qu’il semble être au contraire rempli par des corps, il n’y a qu’un seul et même être[65], l’éther, « fluide continu, incompressible, non visqueux, de température uniforme et constante[66] », ainsi que les physiciens l’imaginent pour en tirer leurs théories — l’idéal étant en effet de le définir par des attributs purement négatifs, comme E. Du Bois-Reymond l’a expressément réclamé[67] et comme il convient à une hypostase de l’espace. Il va sans dire du reste qu’étant conçu de cette façon, il n’est susceptible d’aucun changement réel. Dans un milieu doué de qualités purement négatives, les parties ne sauraient se différencier. Comment dès lors un mouvement y serait-il possible, comment y concevoir les anneaux de Thomson et de Helmholtz ou les points singuliers de M. Larmor ? Par quoi l’éther des uns et des autres peut-il se distinguer de l’éther environnant ? Leibniz a dit que « si l’on pose le plein et l’unité de la matière, en y ajoutant le mouvement seul, les choses équivalentes se substituant constamment les unes aux autres, l’état d’un moment ne sauroit être distingué de l’état d’un autre, pas même par un ange, et par conséquent il ne sauroit exister de variété dans les phénomènes[68] », et c’est encore la même idée qu’exprime M. Russell en déclarant que « tant qu’on fait abstraction de la matière, une position est absolument indiscernable d’une autre et une science des relations est impossible. Pour que des relations spatiales puissent apparaître, il faut détruire l’homogénéité de l’espace vide et c’est la matière qui doit le détruire.[69] » Ces conceptions sont tellement contradictoires qu’elles n’ont pu naître, tout comme celle de l’atome corpusculaire, qu’à la commande d’une tendance apriorique. C’est qu’en effet, comme nous l’avons vu précédemment pour le mouvement, nous voulons qu’il y ait là à la fois différenciation et identité, et cette volonté est créatrice d’illusions. C’est pourquoi l’éther est pour ainsi dire à double face. D’une part nous entendons qu’il explique les phénomènes, et dès lors nous lui attribuons les propriétés susceptibles d’engendrer la diversité que nous sommes forcés de supposer à l’espace vide, par suite de la propagation de la lumière et de l’électricité, etc. et, d’autre part, nous lui enlevons toute qualité, pour pouvoir l’assimiler à l’espace. C’est bien là une de ces supercheries (comme l’unité de l’atome, l’état de « puissance », que nous avons coutume de commettre inconsciemment quand il s’agit de satisfaire à notre tendance causale.

L’analogie profonde entre les deux tendances ou plutôt la continuité absolue de la pensée maîtresse d’où elles sont issues se révélera mieux encore si nous suivons l’évolution que les concepts de temps et d’espace subissent par le fait des explications successives du devenir et de l’être. Nous avons commencé par considérer le temps et l’espace comme homogènes tous deux par rapport aux lois : nous avons posé en même temps l’identité des corps dans leur mouvement à travers l’espace. Ces trois conditions caractérisent la partie empirique de la science, la science des lois. Postulant ensuite l’identité des corps dans leur mouvement à travers le temps, nous sommes parvenus à la notion de cause et avons vu naître la partie rationnelle de la science, la science des hypothèses. Mais parvenus là, l’analogie entre le temps et l’espace que nous avons cru rétablir par cette opération se montre au contraire troublée une fois de plus. Les corps, identiques à travers le temps, sont aussi immobiles dans le temps, alors que, identiques à travers l’espace, ils pouvaient encore s’y mouvoir. Par suite du fait que le temps n’a qu’une seule dimension le long de laquelle tout se meut d’un mouvement uniforme dans la même direction, le postulat de l’identité des corps à travers le temps, qui constitue la causalité, vide pour ainsi dire du coup le temps de son contenu. Les instants successifs sont devenus identiques ; mais, dans l’espace, les parties se distinguent encore par les corps qui les remplissent. Cette fois l’identification est donc plus complète pour le temps que pour l’espace. Alors « l’explication » continue son œuvre et ramène définitivement l’espace à la condition du temps, en identifiant toutes ses parties.

C’est à cette dernière identification que les hypothèses mécaniques doivent l’unité de la matière qui les caractérise, cette unité n’étant d’ailleurs qu’un acheminement vers la réduction de la matière à l’espace. Les deux tendances en effet ont encore ce trait commun que, le but visé par notre entendement lui paraissant excessivement éloigné, il est tout prêt à se contenter de satisfactions partielles, quelque minimes et quelque imaginaires même qu’elles puissent être. Tout progrès, même purement apparent, dans l’une ou l’autre de ces directions nous apparaît toujours comme une « explication » ; et l’on voit fort bien comment Aristote a pu, à un moment donné, les confondre et désigner par le terme de cause ce qui n’avait manifestement aucun rapport avec l’identité dans le temps.

Obéissant aux deux tendances, nous avons, de théorie en théorie et d’identification en identification, fait complètement disparaître le monde réel. Nous avons d’abord expliqué, c’est-à-dire nié le changement, identifiant l’antécédent et le conséquent, et la marche de monde s’est arrêtée. Il nous restait un espace rempli de corps. Nous avons constitué les corps avec de l’espace, ramené les corps à l’espace, et les corps se sont évanouis à leur tour. C’est le vide, « rien du tout » comme dit Maxwell, le néant. Car le temps et l’espace se sont dissous. Le temps, dont le cours n’implique plus de changement, est indiscernable, inexistant ; et l’espace, vide de corps, n’étant plus marqué par rien, disparaît aussi.

Il ne pouvait en être autrement. Nous avons cherche le pourquoi du monde réel, et nous l’avons fait à l’aide du principe d’identité. La source ultime de toute réalité ne peut donc être qu’éternellement identique à elle-même, aux parties indiscernables : c’est bien, cette fois, la sphère de Parménide. Mais, d’autre part, comment cette chose en soi, n’ayant aucune diversité, entrerait-elle en rapport avec ce monde divers ? « Il est trop clair, dit avec raison Renouvier, que la matière uniforme homogène et immobile n’est ni cause ni raison de quoi que ce soit au monde[70]. » N’étant cause de rien, n’agissant pas, elle est comme si elle n’était pas et par conséquent s’évanouit.

Nous pouvons, par une autre voie encore, rendre sensible la logique de ce résultat. Le raisonnement causal, de par son essence, tend à remonter à une cause ultime, puisque chaque cause découverte devient aussitôt, par ce fait même, une conséquence dont il faut rechercher la cause à son tour. Or, que peut être cette cause ultime ? Elle ne peut être, pour parler avec Spinoza (qui n’a d’ailleurs fait que reproduire une expression de saint Anselme) qu’une chose qui soit cause de soi, causa sui, c’est-à-dire « ce dont l’essence enveloppe l’existence[71] ». Donc, aboutir au néant, c’est simplement constater qu’il est impossible de trouver cette cause de soi.

Est-ce donc là l’ultime résultat de la science et ne nous reste-t-il, comme à l’hiérophante de Saïs, que le regret d’avoir d’une main téméraire arraché à la vérité ses voiles ? Pour qu’il en fût ainsi, il faudrait d’abord, semble-t-il, que cette constatation fût réellement au bout de la science. Or, il n’en est rien. Le mécanisme n’est pas le fruit de la science, il est né en même temps qu’elle. Dès le début de la science, nous le trouvons constitué, prêt, y compris ce dernier terme, l’unité de la matière. On a prétendu écarter l’analogie entre les atomes des anciens et les nôtres, en affirmant que les premiers étaient chimériques alors que l’existence des seconds serait démontrée expérimentalement : nous savons qu’il n’existe, à ce point de vue, entre les uns et les autres, que des différences de degré. Le mécanisme n’a pas pour origine l’expérience, ses racines plongent dans ce qui est la base de la science elle-même, dans ces notions métaphysiques initiales qui conditionnent notre savoir tout entier. Spinoza l’a clairement aperçu quand, à l’encontre de Boyle, il a affirmé que le mécanisme se démontre par « la raison et le calcul », et non pas par des expériences de chimie[72] ; Leibniz, sur ce point comme sur bien d’autres, s’est trouvé d’accord avec lui et, par exception, il l’a même expressément reconnu : « Spinoza (que je ne fais point de difficulté de citer quand il dit de bonnes choses) dans une de ses lettres à feu M. Oldenbourg, secrétaire de la Société royale d’Angleterre, imprimées parmi les œuvres posthumes de ce juif subtil, fait une réflexion approchante sur un ouvrage de M. Boyle[73] qui s’arrête un peu trop, pour dire la vérité, à ne tirer d’une infinité de belles expériences d’autre conclusion que celle qu’il pourrait prendre pour principe, savoir que tout se fait mécaniquement dans la nature, principe qu’on peut rendre certain par la seule raison et jamais par les expériences, quelque nombre qu’on en fasse[74] ».

Le mécanisme et son aboutissement ultime, la réduction de la réalité au néant, font partie intégrante de la science : c’est que celle-ci, en effet, ne saurait se soustraire complètement à la domination du principe d’identité qui est la forme essentielle de notre pensée. Mais loin de se prêter passivement à ses dictées, elle y résiste avec force, ainsi que nous allons le voir.


  1. Cf. Zeller. Philosophie des Grecs, trad. Boutroux. Paris, 1877, vol. II, p. 43 ss.
  2. Cf. cependant à ce sujet p. 75, note 2.
  3. Aristote. Traité du ciel, l. Ier, chap. vii, § 18, cf. ib., l. IV, chap. ii, § 14. Zeller (l. c., vol. II, p. 50) établit la filiation qui rattache la doctrine des atomistes à celle de Parménide. M. Hermann Cohen (Logik der reinen Erkenntniss. Berlin, 1902, p. 29) fait également ressortir que l’atomistique est « issue de l’identité de Parménide ». (Cf. ib., p. 40, 187, 272.)
  4. Galien. Opera, éd. Kuehn. Leipzig, 1821. De elementis, I, p. 416-417, cf. Lasswitz. Geschichte der Atomistik, vol. I, p. 231 ss.
  5. Cf. Berthelot. Les origines de l’alchimie. Paris 1885, p. 282 ss.
  6. Cf. Mabilleau, l. c., p. 389 ss.
  7. Descartes. Principes, l. II, chap. XXIII.
  8. Boyle. Works. Londres, 1772, vol. III, p. 15. « I agree with the generality of philosophers so far as to allow that there is one catholick or universal matter common to all bodies. »
  9. On peut voir chez Kopp, Geschichte der Chemie, vol. IV, passim, avec quelle lenteur s’élaborait le concept de la spécificité de la plupart des substances chimiques et notamment des métaux. Cf. aussi ib., vol. I, p. 191-214, 219, 258.
  10. On trouvera chez Kopp, Die Alchemie in aelterer und neuerer Zeit. Heidelberg, 1886, vol. I, p. 67, les titres de deux ouvrages de Bêcher où ce dernier défend l’alchimie contre ses adversaires. Ib., p. 241, un extrait de Becher où ce dernier affirme que les « Spagyristes » peuvent bien fabriquer de l’or à l’aide de divers ingrédients (tels que : argent, mercure, soufre, etc.) puisque la nature elle-même procède par cette voie. Cf. ib., p. 104 et id. Geschichte, vol. I, p. 178.
  11. Cf. chez Kopp, Die Alchemie, vol. I, p. 144 et 147 des détails sur le procédé et les négociations avec les États de Hollande.
  12. Ib., p. 67, 71. cf. Geschichte, vol. I, p. 133, vol. II, p. 277.
  13. Kopp. Alchemie, I, p. 69.
  14. Ib., I, p. 71.
  15. Ib., I, p. 72.
  16. On peut voir chez Kopp, Geschichte, vol. II, p. 278 combien curieux était le mélange que présentaient ses opinions en cette matière.
  17. Cf. Duhem. Le mixte. Paris, p. 16, 17, 48, et Kopp. Geschichte, vol. II, p. 275.
  18. Kopp. Alchemie, vol. II, p. 164. Geschichle, vol. II, p. 279-280.
  19. Lavoisier. Œuvres. Paris, 1864, vol. I, p. 5-7.
  20. M. Duhem fait cependant ressortir à juste titre que la création d’une nomenclature nouvelle contribua puissamment à fixer la notion du corps chimiquement simple. (Le Mixte, P. 47.)
  21. Helmholtz. Populaere wissenschaftliche Vortraege, p. 192.
  22. A. Gautier. Les problèmes de la chimie moderne. Revue générale des sciences, 1890, p. 225.
  23. M. Étard. Revue générale des sciences, vol. XIV, p. 450, en énumérant les lois spéciales à la chimie, attribue la première place à l’énoncé : « Il existe des éléments spécifiques indestructibles ».
  24. Cf. Duhem. Le mixte, p. 164.
  25. Ostwald. Vorlesungen ueber Naturphilosophie. Leipzig, 1902, p. 287.
  26. Cf. Bouasse. Introduction à l’étude des théories de la mécanique. Paris, 1895, p. 166.
  27. Ib., p. 169.
  28. Cf. E. Booth. Prout’s Hypothese, etc. Wiedemann’s Annalen, 1902, Spl. — R. J. Strutt. Ueber die Tendenz, etc., ib.C. Hollins. Atomgewichts-grundzahlen, ib., 1903. — Hinrichs. The Elements of Atom Mechanics, vol. Ier (cité d’après la Revue générale des sciences, vol. VI, 1895, p. 756).
  29. A.-E. Béguyer de Chancourtois. Vis tellurique. Paris, 1863.
  30. Cf. à ce sujet Schutzenberger. Traité de chimie générale, p. VIII où l’on voit clairement que ce qui tente surtout les chimistes dans ces conceptions, c’est qu’elles apparaissent comme un acheminement vers l’unité de la matière.
  31. On trouvera chez A. Étard. Les nouvelles théories chimiques, 3e éd. Paris, s. d., p. 51 et Revue générale des sciences, vol. VI, 1895, p. 782, quelques indications sur les objections que rencontre la théorie de Mendéléef.

    La contradiction fondamentale entre le concept, généralement adopté, de l’élément chimique et le postulat de l’unité de la matière a été excellemment mise en lumière par M. Kozlowski (Sur la notion, etc. Congrès de philosophie de 1900, vol. III, p. 536 ss, Zasady przyrodoznawstwa. Varsovie, 1903, p. 272 ss.). Notons cependant que d’après M. Kozlowski le postulat en question aurait sa source dans l’unité de la sensation tactile (Zasady, p. 264).

  32. M. Berthelot. Les origines de l’alchimie. Paris, 1883, p. 289.
  33. Cf. Le Chatelier. La loi des phases. Revue Générale des sciences, 10, 1899, p. 760.
  34. Ch. Friedel. Préface à J.-B. Stallo. La matière et la physique moderne, 3e éd. Paris, 1899, p. 9 et 12.
  35. H. Spencer. Contemporary Review, juin 1872.
  36. Wundt. Die Theorie der Materie. Deutsche Rundschau, décembre 1875, p. 387.
  37. Hannequin, l. c., p. 166.
  38. Lotze. System der Philosophie. Leipzig, 1879, vol. II, p. 376.
  39. M. Berthelot. Les origines de l’alchimie. Paris, 1885, p. 297.
  40. Maxwell. Scientific Papers. Cambridge, 1890, vol. II, p. 267.
  41. Berkeley. Works, éd. Fraser, vol. Ier. An Essay towards a New Theory of Vision, § 130, 158.
  42. Lotze, l. c., p. 382.
  43. A. Balfour. Réflexions sur la théorie nouvelle de la matière. Revue scientifique, 1er juillet 1905, p. 11.
  44. Schopenhauer. Ueber die vierfache Wurzel, etc. Leipzig, 1877, p. 46.
  45. Aristote. Physique, l. VIII, chap. i, § 27. On peut rapprocher de ce passage sa définition de la science dans les Derniers analytiques, l. Ier, chap. II, § 7 : « Nous pensons savoir les choses d’une manière absolue et non point d’une manière sophistique, purement accidentelle, quand nous savons que la cause pour laquelle la chose existe, est bien la cause de cette chose, et que par suite la chose ne saurait être autrement que nous la savons. »
  46. Cf. plus haut, p. 15.
  47. Couturat. Sur la métaphysique de Leibniz. Revue de métaphysique, vol. X, 1902, p. 3.
  48. Leibniz. Opera, éd. Erdmann. Nouveaux Essais, p. 203.
  49. Cf. plus haut p. 16.
  50. Cf. plus haut, p. 58.
  51. Descartes. Principes, IIe partie, chap. iv.
  52. Locke. Essai philosophique concernant l’entendement humain, trad. Coste, 4e éd. Amsterdam, 1742, chap. viii, § 9.
  53. Ib., chap. VIII, § 11.
  54. Aristote. Métaphysique, l. Ier, chap. iv, § 13.
  55. H. Poincaré. Électricité et optique. Paris, 1901, p. 3.
  56. Duhem. L’évolution de la mécanique. Paris, 1903, p. 177-178.
  57. Lucien Poincaré. La physique moderne, p. 278.
  58. Leibniz. Theoria motus concreti seu hypothesis nova. Mayence, 1671. Mathematische Schriften, éd. Gerhardt, vol. VI, p. 17 ss. Leibniz concevait cependant la nécessité d’un principe de différenciation (voir plus loin, p. 232).
  59. Malebranche. Réflexions sur la lumière et les couleurs. Histoire de l’Académie Royale des sciences, année 1699, Mémoires, p. 22.
  60. Hertz. Ueber die Beziehungen zwischen Licht und Elektricitaet, Gesammelte Werke. Leipzig, 1895, vol. Ier, p. 352.
  61. H. Poincaré, l. c., p. 298, 301. Larmor. Aether and Matter. Cambridge, 1900, p. 171.
  62. H. Poincaré. La science et l’hypothèse, p. 199.
  63. Maxwell. Scientific Papers, p. 323. « These are some of the already discovered properties of that which has often been called vacuum or nothing at all. »
  64. Kant. Vom Uebergange, etc. Francfort, 1888, p. 111, 119, 121. On trouvera dans Lalande. Lectures sur la philosophie des sciences, p. 249-250, un passage de la Physique de l’abbé Nollet qui expose les opinions courantes vers le milieu du xviiie siècle, au sujet du fluide calorique. Cf. aussi Rosenberger. Geschichte, vol. III, p. 38.
  65. M. Bergson (Matière et Mémoire, 3e éd., p. 223) a admirablement saisi que le caractère essentiel des explications de la matière par l’éther est de faire évanouir « la discontinuité que notre perception établissait à la surface ».
  66. Duhem. L’évolution de la mécanique. Paris, 1903, p. 171.
  67. E. Du Bois-Reymond. Reden. Leipzig, 1886-1887, p. 109.
  68. Leibniz. Philosophische Schriften, éd. Gerhardt, vol. II, p. 295. Lettre à Des Bosses, 2 fév. 1706.
  69. Russell. Essai sur le fondement de la géométrie, trad. Cadenat. Paris, 1901, p. 97. On peut rapprocher ce passage de celui de Berkeley que nous avons cité p. 115 ; étant donné que le matière unifiée se confond avec l’espace, les arguments contre l’espace absolu vide de tout contenu matériel trouvent ici leur application.
  70. Renouvier. Critique philosophique, vol. XI, 1, p. 188,
  71. Spinoza. Opera. La Haye, 1887. Éthique, I, 39.
  72. Spinoza. Opera, vol. II. Ep. VI (à Oldenburg).
  73. Il s’agit probablement du traité intitulé The Origin of Forms and Qualities according to Corpuscular Philosophy, paru en 1666.
  74. Leibniz. Opera, éd. Erdmann. Nouveaux Essais, l. IV, § 13.