Identité et réalité/Chapitre IV

Félix Alcan (p. 136-168).

CHAPITRE IV

LA CONSERVATION DE LA MATIÈRE

On trouve ce principe énoncé de manières fort diverses. Écartons tout d’abord la formule « rien ne se crée, rien ne se perd » qu’on lui attribue encore quelquefois et qui, évidemment, est beaucoup trop large : elle s’appliquerait tout aussi bien à la conservation de la vitesse et à celle de l’énergie, ce qui n’est pas surprenant puisque cette formule n’est, nous l’avons vu, qu’une des expressions du principe de causalité. Il faut donc dire au moins : la matière ne se crée ni ne se perd. Mais cette formule encore manque de précision. Voici un lingot d’argent : sa couleur, son éclat, sa dureté, sa malléabilité, sa conductibilité pour l’électricité et la chaleur, en un mot toutes les propriétés physiques que je lui connais font certainement partie intégrante de ma conception de cette matière. Entend-on affirmer que tout cela soit indestructible ? Assurément non, puisqu’il suffit de dissoudre le métal dans de l’acide azotique pour que toutes ces propriétés s’évanouissent. Le terme matière est donc pris ici dans un sens plus étroit que celui qui lui est assigné communément, et l’énoncé du principe doit être complété par une définition de ce terme. Afin de suivre l’évolution de la matière à travers des modifications analogues à celle que nous venons de faire subir au lingot d’argent, le chimiste se sert de la balance. C’est à l’aide de la balance que Lavoisier a accompli sa « révolution chimique », pour parler avec Berthelot. Il semble donc que le terme matière doive se définir par : ce qui est pesant. Remarquons cependant que ce poids, dont nous avons eu l’air d’affirmer l’indestructibilité, nous le voyons, sans surprise, se modifier selon l’endroit où nous faisons l’expérience : il ne sera pas strictement le même au pôle et sous l’équateur, et nous supposons que le même lingot d’argent, pesé à l’aide d’une balance à ressort, cela va sans dire, aurait un poids encore bien plus différent à la surface de la lune. Ces variations, qui proviennent de celles de la constante de la gravitation en ces divers endroits, nous les éliminerons en divisant le poids par cette constante. Nous parvenons ainsi au concept de masse, rattaché à celui de poids par l’équation p = mg, et notre principe se précise finalement comme celui de la conservation de la masse.

Nous allons, dans ce chapitre, nous arrêter à cette définition. Nous verrons plus tard (p. 217 ss.) qu’elle n’épuise pas en réalité tout le contenu du principe, ce dernier renfermant, en outre, un énoncé moins facile à préciser, mais néanmoins fort important.

La conservation du poids de la matière a été formulée dans l’antiquité. C’est ce dont on ne saurait douter en lisant avec quelque attention le De natura rerum. Sans doute le « nil posse creari de nihilo » ne prouve rien : le contexte même démontre clairement que Lucrèce entendait sa formule dans le sens le plus général, c’est-à-dire que c’était bien le principe de causalité lui-même[1]. Mais cette formule, il l’applique aussitôt aux atomes. Ils sont éternels, incréés, indestructibles[2]. Ils sont aussi pesants. Toute matière est pesante, il n’existe pas de corps absolument léger, c’est-à-dire ayant une tendance à monter[3], et le poids est la véritable mesure de la quantité de la matière[4]. Il s’ensuit, de toute évidence, que le poids doit rester constant, et bien que cette règle ne se trouve explicitement énoncée nulle part dans le De natura rerum, on ne saurait douter qu’elle n’ait été ainsi comprise et enseignée dans certaines écoles philosophiques de l’antiquité. Un curieux passage d’un traité attribué à Lucien en fait foi. « Si je brûle mille mines de bois, Démonax, combien y aura-t-il de mines de fumée ? Pèse la cendre, dit-il, la fumée est le reste cherché[5] ». Démonax était un philosophe cynique du iie siècle de notre ère. Il paraît s’être occupé exclusivement de morale, de théologie et de politique[6]. Rien n’indique qu’il ait professé des opinions atomistiques, ni qu’il ait étudié des questions scientifiques. La phrase est citée comme une « repartie heureuse ». La citation n’en est que plus significative, car elle prouve que ce raisonnement, analogue à ceux que nous faisons en vertu du principe, était devenu courant dans les écoles philosophiques. — Il est certain, d’ailleurs, que Lucrèce n’a fait que répéter les enseignements de son maître Épicure, et il est au moins fort probable que cette partie de la doctrine avait déjà été formulée par Démocrite, peut-être même par Leucippe[7].

On peut dire qu’en un certain sens les anciens atomistes ont dû concevoir, en même temps que la constance du poids, celle de la masse. En effet, ils confondaient, semble-t-il, complètement ces deux concepts. Il n’est guère aisé de se figurer comment Démocrite et Épicure se représentaient les mouvements des atomes dans le vide, le principe d’inertie et l’ordre d’idées tout entier qui s’y rattache leur étant demeurés étrangers. On croit presque deviner, par la manière dont Aristote expose sa théorie du mouvement dans le plein, qu’il devait y avoir là une lacune dans les conceptions de ses adversaires, lacune dont le Stagirite triomphe avec quelque complaisance. Quoi qu’il en soit, il n’est pas douteux que, dans le poème de Lucrèce, les atomes agissent en vertu de leur poids ; ce dernier concept, déjà attribut inséparable de la matière, devient donc en même temps la mesure directe de son principe d’action, c’est-à-dire qu’au lieu de poser p = mg, on formule p = m. Il est à remarquer, d’ailleurs, que cette confusion est conforme à notre sentiment immédiat, que nous sommes continuellement enclins à la commettre et que, dès nos premières leçons de mécanique, il nous a fallu quelque effort pour séparer les deux notions[8].

Les conceptions des atomistes, si répandues qu’on les suppose, ne gouvernaient pourtant pas sans rivales les esprits dans l’antiquité. La doctrine d’Aristote, destinée à une si brillante fortune dans les siècles suivants, contredisait consciemment, sur presque tous les points, celle de Leucippe et de Démocrite.

Aristote, tout comme les atomistes, confond, semble-t-il, masse et poids en tant que principe d’action mécanique. Mais, d’autre part, il dissocie complètement les deux concepts de matière et de poids. Le poids est une qualité accidentelle de la matière. Il est la résultante de l’action de deux principes opposés, la pesanteur et la légèreté. « Il y a des choses qui naturellement s’éloignent toujours du centre et d’autres qui, non moins naturellement, sont toujours portées vers le centre… Ainsi donc, nous disons qu’un corps est léger d’une manière absolue quand il est porté en haut et vers l’extrémité, et nous disons qu’il est absolument lourd quand il va en bas, c’est-à-dire vers le centre[9] ». C’est le cas de deux des éléments sur les quatre qu’admet la théorie d’Aristote : « le feu n’a pas de pesanteur, ni la terre de légèreté[10]. » Quant à l’eau et à l’air, ils ont aussi bien pesanteur que légèreté, celle-là prévalant dans l’eau et celle-ci dans l’air. On voit combien, dans cette théorie, ce que nous appelons poids est un concept dérivé. C’est aussi évidemment une propriété accidentelle. Platon, déjà, avait fait ressortir que les éléments se transforment sans cesse les uns dans les autres[11]. D’ailleurs, il est d’expérience journalière que l’air et le feu interviennent dans les transformations de la matière : l’eau qui bout, le bois qui brûle. Aussi Aristote et ses sectateurs rangent-ils la pesanteur avec la couleur et la chaleur.

On sait à quel point ces doctrines prévalurent pendant le moyen âge[12]. On trouve sans doute quelquefois, chez les alchimistes, des raisonnements fondés sur des considérations de poids. Il se peut que ce fût en partie un héritage datant des origines de cette science, c’est-à-dire d’une époque antérieure à la domination de la philosophie des formes substantielles. On peut aussi supposer que les théories atomiques dont le reflet, nous l’avons vu, se retrouvait dans certains écrits fort répandus, exerçaient une certaine influence. Mais il faut dire aussi que ces raisonnements n’étaient pas en contradiction directe avec la philosophie régnante. Sans doute, il est très difficile de parvenir, par les formes substantielles, au concept numérique du poids ; mais en supposant ce concept donné, — le bon sens et l’expérience quotidienne s’acquittent suffisamment de cette tâche — il n’y a rien que de très naturel à attribuer une certaine importance aux observations relatives au poids, de même qu’on en accorde une aux observations concernant la couleur ou la chaleur des corps. Mais ce qui distingue ces opinions des nôtres, c’est que pour nous les considérations fondées sur le poids priment toutes les autres sans exception. C’était là un ordre d’idées complètement étranger à la science du moyen âge. Il n’est pas rare de trouver, dans les écrits de cette époque, des passages où la constance du poids est plus ou moins directement niée, sans même que l’auteur semble avoir conscience d’émettre une proposition hasardée. C’est ainsi que les alchimistes, parlant de la transmutation, mentionnent quelquefois la modification du poids du métal. « Par notre artifice, dit Geber, nous formons facilement de l’argent avec du plomb ; dans la transformation, ce dernier ne conserve pas son propre poids, mais se change en un poids nouveau ». De même l’étain « acquiert du poids dans le magistère[13]. » Les modernes, devant ces affirmations, sont toujours portés à croire, ou bien que l’auteur ne supposait qu’une modification du poids spécifique, ou bien qu’il admettait l’adjonction d’une matière venant de l’air ou du feu ; mais, en réalité, cette adjonction ne paraissait nullement indispensable ; et quant au poids spécifique, on le confondait le plus souvent avec le poids absolu. Cette confusion est encore très fréquente à une époque postérieure ; non seulement Scaliger, au xviie siècle, mais à la veille même de la grande révolution opérée par Lavoisier, Kunckel et Juncker la commettent[14]. Cette erreur, si l’on veut bien y réfléchir, est toute naturelle. Du moment que le poids est non pas une propriété essentielle, mais une qualité accidentelle de la matière, n’est-il pas naturel de supposer qu’au moment où cette qualité se modifie manifestement, c’est-à-dire où le poids spécifique change, le poids total doit changer aussi[15] ? Le chancelier Bacon qui professait sur les qualités de la matière des opinions se rapprochant de celles des alchimistes, a affirmé l’existence de corps absolument légers[16] et le changement de poids par modification de l’état[17] ; bien que, par ailleurs, il ait solennellement proclamé la constance du poids, en empruntant probablement cette idée aux atomistes anciens[18].

On trouve quelquefois, chez les savants de cette époque, des raisonnements impliquant le principe de la conservation du poids. Telle l’expérience de Cusa qui, pour démontrer que la plante tire sa matière surtout de l’eau, pèse une quantité de terre dans un pot, y place des semences qu’il arrose, repèse la terre après que la plante a poussé vigoureusement et constate que le poids est resté presque le même[19]. Mais il est certain qu’on n’attribuait à des considérations de ce genre qu’une valeur très secondaire. Wislicenus, résumant les croyances des alchimistes, affirme qu’ils étaient convaincus qu’on pouvait, à l’aide de quantités infimes de magistère, transformer des livres de plomb ou de mercure en quintaux de l’or le plus pur[20]. Il serait probablement difficile d’appuyer directement cette affirmation sur un texte tiré d’un auteur de l’époque ; mais il est certain qu’une proposition de ce genre n’aurait pas paru comporter le merveilleux que nous y apercevons. Si, en somme, on trouve plutôt rarement chez les alchimistes des affirmations concernant le changement de poids, ce n’est pas parce qu’ils le considéraient comme un phénomène rare, mais parce qu’ils n’y attachaient aucune importance ; le moindre changement de qualité leur paraissait sans doute bien plus remarquable. Ces affirmations sont plus fréquentes à des époques postérieures, où les opinions sur cette question se rapprochent bien davantage des nôtres, à cause précisément de cette dernière circonstance. Des récits comme ceux des expériences de Reussing, de Dierbach, de Stahl au xviiie siècle, où l’on voit le poids de la masse primitivement employée s’augmenter d’une quote-part et même doubler presque[21], n’auraient étonné personne au moyen âge ; l’alchimiste eût probablement passé ce détail sous silence, le jugeant inutile pour frapper l’imagination du lecteur.

Si l’on ne croyait pas à la constance du poids, croyait-on à celle de la masse ? On était certainement convaincu que quelque chose d’essentiel dans la matière, sa « substance », persistait à travers les modifications. Mais comme on avait, à juste titre d’ailleurs, dégagé le concept de matière du phénomène de la pesanteur, il devenait infiniment plus malaisé de donner à la matérialité un substrat quantitatif. Il serait pour le moins oiseux de rechercher si, en développant logiquement la doctrine d’Aristote, on eût pu néanmoins parvenir à une conception de la masse permettant la détermination d’un coefficient numérique. La vérité, c’est que le souci des rapports de quantité était absolument étranger à toute la philosophie des formes substantielles. Aussi ne trouve-t-on nulle part de tentative dans ce sens et, sans doute, la tâche étant bien plus ardue que celle qui consistait à dégager le principe d’inertie, il est naturel que, dès qu’il y eut progrès réel, il se soit accompli plutôt dans cette dernière direction.

Mais, dès qu’on s’écarte d’Aristote, le concept de masse se forme, Képler en saisit le contenu essentiel[22] et, mieux encore, Descartes. Il est vrai qu’en toute occasion (comme par exemple quand il explique les lois du choc) Descartes affecte de parler de la grandeur des corps[23] ; et cette expression ne laisse pas que de paraître troublante quand on se rappelle sa théorie de la matière. On sait que Descartes, tout comme les scolastiques — les plus grands révolutionnaires sont toujours conservateurs par quelque côté — était partisan du plein. L’étendue était pour lui l’unique attribut essentiel de la matière, la gravitation étant un phénomène secondaire qui demandait à être expliqué et qu’il expliquait en effet, par les mouvements d’une de ses substances élémentaires. Le poids, tout comme chez les scolastiques, est un accident. La quantité réelle de la matière est indiquée par le volume : « Lorsqu’un vase, par exemple, est plein d’or ou de plomb, il ne contient pas pour cela plus de matière que lorsque nous pensons qu’il est vide[24]. » Cependant Descartes, en réalité, distinguait parfaitement la masse du volume, en supposant que, pour les mouvements mécaniques, la quantité de son troisième élément comptait seule[25]. On pourrait croire qu’il concevait la proportionnalité de la masse (ainsi comprise) et du poids ; mais cette idée était loin de sa pensée, bien que dans la pratique il eût souvent fait usage du poids dans ce sens. En effet, le poids étant la conséquence d’un mouvement plus ou moins compliqué, la stricte proportionnalité aurait été l’effet d’un hasard, et même d’un hasard difficilement explicable. Il a d’ailleurs exposé ses idées à ce sujet dans la IVe partie des Principes. Le titre du chapitre xxv porte : « Que leur pesanteur n’a pas toujours même rapport avec leur matière. » Ce n’est pas là, comme on pourrait le supposer, une simple répétition de la phrase que nous avons citée plus haut ; il faut prendre garde, en effet, que la matière dont il s’agit dans ce chapitre est la matière terrestre. C’est ce que confirme d’ailleurs le texte du chapitre en question ; il y est dit que « la pesanteur seule ne suffit pas pour faire connoistre combien il y a de matière terrestre en chaque corps ». Ainsi « une masse d’or vingt fois plus pesante qu’une quantité d’eau de mesme grosseur » pourrait bien contenir non pas vingt fois plus de matière, mais quatre ou cinq fois seulement « pource qu’il en faut autant soustraire de l’eau que de l’or, à cause de l’air dans lequel on les pesé ; puis aussi pour ce que les parties terrestres de l’eau, et généralement de toutes les liqueurs, ainsi qu’il a esté dit de celles de l’air, ont quelque mouvement qui, s’accordant avec ceux de la matière subtile, empesche qu’elles ne soient si pesantes que celles des corps durs ».

C’est bien parce qu’il s’agit de « matière terrestre » et non pas de matière en général, qu’il ne saurait plus être question d’assimiler sa quantité au volume. Il est à remarquer qu’au moment où Descartes écrivait, la pesanteur de l’air était déjà à peu près généralement reconnue. Gorlaeus[26], Carpentarius[27], Galilée[28] l’avaient supposée et Descartes lui-même s’en montre convaincu. Mais, on vient de le voir, cela ne suffit point pour lui faire concevoir cette idée, que la pesanteur est un attribut essentiel, immuable de la matière. C’est qu’il reste encore le feu, et cet élément-là, Descartes, tout comme les scolastiques, le croit dénué de poids. « Ostons-en la pesanteur », dit-il en cherchant à déterminer ce qui « constitue la nature du corps », « pour ce que nous voyons que le feu, quoy qu’il soit tres-leger, ne laisse pas d’estre vn corps[29]. »

La conception de Descartes présentait, sur celle des anciens atomistes, l’immense avantage théorique de dissocier complètement les deux concepts de masse et de poids. Mais, bien entendu, la constance du poids devenait difficile à admettre. Descartes aurait probablement admis même des variations de la masse, puisque, en somme, ses divers éléments sont composés de la même matière.

Avant la publication des Principes, mais à un moment où l’autorité de Descartes commençait déjà à être reconnue, parurent les Essays de Jean Rey. Rey a-t-il été influencé par les anciens atomistes ? Cela se peut, car Lucrèce était assez lu à l’époque et, nous l’avons vu, une certaine tradition des théories atomistiques se perpétuait chez les médecins. Cette circonstance ne diminuerait d’ailleurs en rien le mérite de Rey, car ce qui chez Lucrèce n’était qu’inféré, secondaire, apparaît ici pour la première fois comme le « fondement inébranlable », le grand principe qui règle les modifications de la matière. D’ailleurs Rey ne rattache cet énoncé à aucune théorie particulière de la matière. Il tente une sorte de démonstration apriorique du principe. Elle tient en quelques lignes : « Soit prinse vne portion de terre, qui aye en soy la moindre pesanteur qui puisse estre, et au delà de laquelle n’en puisse subsister : que cette terre soit conuerti en eau, par les moyens cogneu et pratiquez par la nature : il est euident que cette eau aura de la pesanteur, puisque toute eau en doibt auoir : or sera-t-elle, ou plus grande que celle qui estait en la terre, ou plus petite, ou esgalle. D’estre plus grande ils ne le diront pas, (car ils professent du côtraire) et ie ne le veus pas aussi : plus petite, elle ne peut, veu que i’ay prins la moindre qui puisse estre : il reste donc qu’elle luy soit esgalle, ce que ie prétendais prouuer[30]. » Évidemment, la déduction est singulièrement faible ; elle repose surtout sur ce fait qu’il considère en grande partie comme donné ce qu’il s’agit de démontrer[31]. On croit presque deviner que Rey lui-même n’attachait pas trop d’importance à cette preuve. Par contre, il se donne beaucoup de peine pour établir que l’air est pesant et qu’il peut être épaissi par diverses opérations. C’est cet air épaissi qui, se mêlant à la chaux de l’étain (Rey semble avoir conçu l’accession de l’air et la formation de la chaux comme deux opérations distinctes[32]) accroît sa pesanteur, étant donné que toute autre cause doit être exclue, ainsi que Rey le démontre avec beaucoup de rigueur, en se fondant sur des expériences d’autrui et aussi sur les siennes propres[33]. En somme, au point de vue du principe de la conservation du poids, Rey établit que, dans deux cas particuliers où l’on pourrait le croire en défaut, l’anomalie pourrait s’expliquer en supposant l’intervention de l’air ; et c’est plutôt, ainsi que du reste le titre l’indique, l’explication de ce phénomène particulier que le principe lui-même qui forme le véritable objet de cet opuscule justement célèbre auprès de la postérité, mais qui demeura complètement ignoré des contemporains.

Il n’est pas trop malaisé, semble-t-il, de se rendre compte pourquoi le clair exposé du médecin de Bazas eut si peu de succès. Sans doute, Rey était un homme inconnu, perdu dans un petit trou de province ; dans ce siècle où les communications épistolaires parmi les savants étaient particulièrement vives, il ne semble avoir été en correspondance avec personne en dehors de Mersenne : le P. Mersenne connaissait décidément tout le monde. Cependant il faut chercher les causes dans la doctrine elle-même. La chimie sortait à peine du brouillard semi-mystique des recettes alchimiques ; elle était entièrement dominée par la conception de l’élément de qualité : nous verrons plus tard quelle était la vitalité de cette théorie, et quelle défense elle était encore en mesure de fournir en réponse aux attaques vigoureuses de Lavoisier et de ses disciples, un siècle et demi plus tard, alors que le domaine des faits connus se trouvait immensément élargi. On comprend que dans ces conditions la théorie de Rey, où il n’était tenu aucun compte de la qualité, ait été écartée pour ainsi dire d’emblée par l’opinion des chimistes. Quant aux physiciens, ils devaient se trouver rebutés par ce fait que Rey, tout en ne formulant aucune théorie de la matière, se mettait en contradiction flagrante avec les deux théories qui se partageaient la direction des esprits à cette époque, dans une question où ces deux théories demeuraient d’accord : Aristote aussi bien que Descartes considéraient le poids comme une qualité accidentelle de la matière, alors que Rey revenait aux idées des atomistes anciens. Aristote et Descartes avaient d’ailleurs raison au point de vue logique, et en un certain sens les conceptions de Rey constituaient une véritable régression.

Les idées de Descartes finirent par triompher dans la science aussi bien que dans la philosophie. « Tous accidents autres que la grandeur ou l’étendue (des corps) peuvent être engendrés ou détruits », déclare Hobbes[34] et l’on voit que dans cette théorie il n’y a pas de place pour la conservation du poids. Leibniz encore raisonne quelquefois d’une manière analogue. L’eau contient à volume égal autant de matière que le mercure, seulement à la matière propre de l’eau vient s’ajouter « une matière étrangère non pesante qui passe à travers ses pores » car, conclut-il, « c’est une étrange fiction que de faire toute la matière pesante[35] ». Cependant, Leibniz concevait avec beaucoup de clarté ce que nous désignons actuellement sous le terme de masse[36] ; il serait peut-être exagéré d’affirmer qu’il l’ait « inventé[37] » ; mais il est certain qu’il l’a dégagé des brouillards dont il se trouvait enveloppé chez Descartes.

Huygens affirme nettement que c’est le poids qui mesure la quantité de matière[38]. Newton confirme par des expériences précises[39] que le poids est proportionnel à la masse, ce qui, du reste, ressortait déjà des expériences de Galilée[40]. Newton n’admettait pas de matière impondérable, mais bientôt après lui ce concept s’établit fermement dans la science, ce qui n’était pas pour favoriser l’éclosion du principe de la conservation du poids. Il est, en général, malaisé de se rendre compte quelle était la véritable opinion des physiciens des xviie et xviiie siècles au sujet de ce que nous appelons les phénomènes chimiques. Il y avait là un domaine mal connu, nous dirions presque mal famé, constitué par un amas formidable de faits à moitié mystérieux. Les physiciens ne s’y hasardaient pas volontiers, ou bien, s’ils en parlaient, le traitaient d’une manière tout à fait générale, sans s’occuper pour ainsi dire des constatations dues aux chimistes, ni surtout de leurs théories[41]. La méthode des uns et des autres était aussi totalement différente. Les physiciens suivaient la méthode mathématique, alors que les chimistes s’occupaient de la qualité seule. Robert Boyle est le seul homme de cette époque qui fasse exception. À la fois grand comme physicien et comme chimiste, il cherche à réunir les avantages des deux méthodes. Il est très remarquable que Boyle, bien qu’il ne formule nulle part le principe, raisonne cependant constamment comme s’il admettait la conservation du poids[42]. Mais Boyle ne fit pas école ; après lui, la séparation entre physiciens et chimistes continua comme auparavant. C’est ce qui fait qu’il est difficile de dire si les physiciens de cette époque admettaient ou non la possibilité d’un changement de poids au cours d’une opération chimique. À tout bien considérer, on arrive cependant à concevoir qu’au moins ceux d’entre eux qui supposaient l’existence de matières impondérables, ne voyaient rien de choquant dans l’hypothèse de leur intervention dans les réactions chimiques et de modifications de poids consécutives.

Telle était, en effet, l’opinion générale des chimistes. L’impondérable dont ils faisaient le plus souvent usage n’était autre que le « feu élémentaire », le quatrième élément d’Aristote ; le « soufre » de Paracelse en dérivait directement et aussi, plus tard, le phlogistique de Becher et de Stahl. À travers tous ces avatars, il lui était resté comme une sorte de privilège, c’est d’échapper aux considérations de poids. Encore à la veille de la révolution chimique de Lavoisier, l’idée que le phlogistique était un corps absolument léger, doué d’un poids négatif, ne paraissait pas autrement choquante. Cela se voit clairement à la manière dont est traitée cette supposition dans les notes qui accompagnent la traduction de l’Essai sur le phlogistique de Kirwan et qui, œuvre collective de la nouvelle et triomphante école, en constituent comme une sorte de bréviaire[43].

Cependant, au xviie siècle déjà, la pesanteur du feu avait été affirmée à peu près en même temps que celle de l’air. Carpentarius[44], Galilée[45] la supposent, de même que plus tard, Rob. Boyle[46]. Si, contrairement à ce qui se passa pour l’air, cette conception ne fut pas aussitôt généralement acceptée, cela tient sans doute à ce que la matière hypothétique que l’on désignait sous ce nom de « feu élémentaire » paraissait être d’une nature particulière. Cependant cette conception se répandit peu à peu. Au xviiie siècle Duclos, Homberg[47], en étaient partisans et, chose remarquable, ceux qui professent cette opinion raisonnent instinctivement (tout comme Boyle) comme s’ils supposaient le principe de la conservation de la matière. « Dans l’analyse des corps inflammables, dit Berkeley après avoir commenté les expériences de Homberg, le feu ou soufre est perdu, et la diminution du poids indique la perte. Le feu ou vinculum disparaît, mais n’est pas détruit[48]. » Rien de plus correct aussi, à ce point de vue, que le raisonnement de Mussenbrœk[49]. Il recherche, comme Jean Rey, la cause de l’augmentation de poids que subissent certains métaux quand on les chauffe. Il rejette l’hypothèse d’après laquelle cette augmentation proviendrait des « parties salines acides ou huileuses du feu ». En effet, l’augmentation a été constatée pour l’antimoine chauffé à l’aide d’un miroir ardent ; or, les rayons du soleil forment le feu le plus pur. Donc, c’est le feu élémentaire lui-même qui doit être pesant. On pourrait, il est vrai, objecter que l’accroissement du poids est trop considérable ; mais « on ne connaît pas le poids d’un rayon de soleil ». Ce sont là des opinions assez généralement répandues dans la seconde moitié du xviiie siècle. Ainsi Diderot dira que « le feu de nos fourneaux augmente considérablement le poids de certaines matières, telles que le plomb calciné[50] ». Cependant, il faut prendre garde de s’exagérer la portée de ces raisonnements ; ceux qui en usent ne les estiment pas, à beaucoup près, aussi péremptoires qu’ils nous apparaissent, et il est certain que des considérations basées sur la qualité, leur semblent primer de beaucoup les considérations de quantité. Kopp note que la plupart des chimistes, au xviiie siècle, ne se donnent même pas la peine d’expliquer le changement de poids, tellement ce phénomène leur paraît dénué d’intérêt[51]. Stahl se contente de constater que le poids des métaux qu’on calcine augmente, « bien que » (quamvis) le phlogistique s’en aille[52]. D’ailleurs Stahl adopte l’opinion de Lémery, d’après laquelle le métal calciné et réduit ensuite pèse moins que primitivement[53]. Macquer encore, en 1778, considère ce fait comme hors de doute, sans d’ailleurs supposer le moins du monde, tout comme ses prédécesseurs, que cette constatation permette de conclure à une perte de la matière du métal[54] : c’est qu’apparemment il considère le poids comme une propriété purement accidentelle, susceptible d’être modifiée.

Rien de plus caractéristique au point de vue de cet état d’esprit que cette déclaration de Macquer, considéré à ce moment comme le plus autorisé parmi les chimistes français, à la nouvelle que Lavoisier allait s’attaquer à la théorie du phlogistique. Macquer avouait qu’il avait été inquiet un moment, mais il s’était tranquillisé sur le sort de cette théorie, ayant appris que Lavoisier puisait ses objections uniquement dans des raisons de quantité[55].

On sait que certains parmi les adversaires de Lavoisier, et dans ce nombre ses contemporains les plus illustres, Priestley et Cavendish, sont restés impénitents jusqu’au bout et, chose remarquable, Cavendish, qui pourtant dans ses expériences usait de la balance avec beaucoup d’attention, ne croyait manifestement pas à la conservation de la matière[56]. Mais nulle part la différence entre ces conceptions et les nôtres, le peu d’importance qu’on attribuait aux considérations de poids, la facilité avec laquelle on acceptait l’intervention de corps « impondérables » ne se manifestent peut-être aussi clairement que dans l’œuvre de l’homme qui, médiocre théoricien, fut probablement le « découvreur de faits » le plus prodigieux de cette merveilleuse époque. Pour Scheele, la chaleur est un composé de phlogistique et d’air du feu (oxygène). Il croit les deux composants pesants ; mais il n’en suppose pas moins qu’ils peuvent donner naissance à un corps impondérable. La chaleur « unie avec très peu de phlogistique » se transforme en lumière ; mais surchargée d’une quantité plus grande du même phlogistique, elle devient air inflammable, c’est-à-dire hydrogène[57]. On peut encore apercevoir, chez Lavoisier lui-même, les traces de conceptions analogues. C’est ainsi qu’il considère les gaz, et surtout l’oxygène, comme résultant de la combinaison d’une matière pondérable avec un fluide impondérable, le calorique. Et ce n’est pas là une pure image. Berthelot a noté avec beaucoup de justesse que Lavoisier considérait réellement la chaleur comme un élément matériel constitutif des gaz et que la conception qu’il avait de ces derniers se confondait chez lui, par une série d’intermédiaires hypothétiques, avec celle des fluides impondérables[58]. C’est ainsi que, dans l’énumération des substances simples, la lumière et le calorique sont cités côte à côte avec l’oxygène et l’azote[59], et que la combustion apparaît comme une véritable substitution du calorique[60].

On peut dater l’instauration définitive du principe de la conservation de la matière du mémoire de Lavoisier sur le Changement de l’eau en terre, qui parut dans les Mémoires de l’Académie pour 1770, publiés en réalité seulement en 1773[61]. Sans doute, le principe ne s’y trouve énoncé nulle part. Mais Lavoisier l’emploie implicitement, recherchant en première ligne les rapports de poids, traitant d’arguments sans réplique les considérations qu’il en tire. Dans le travail que nous venons de mentionner Lavoisier se propose de contrôler l’affirmation de plusieurs chimistes du xviiie siècle, d’après laquelle l’eau, par l’ébullition, se changeait en terre ; on en donnait pour preuve que l’eau bouillie longtemps dans un vase de verre fournissait à l’évaporation un résidu terreux. Lavoisier fait chauffer de l’eau pendant cent jours, dans un appareil appelé pélican, où le produit de la distillation retourne dans le vase. Il s’était procuré une balance très précise et avait soigneusement relevé la limite des erreurs de cet instrument ; il entoure son expérience de précautions multiples de nature à garantir l’exclusion de toute matière étrangère. Il pèse l’appareil vide et le repèse rempli d’eau ; il repèse aussi le tout après l’expérience et constate que le poids est presque rigoureusement le même ; d’où une première conclusion, à savoir qu’il n’y a pas, dans ce cas, de matière du feu passant à travers le verre et se combinant avec l’eau[62]. Il vide l’appareil et relève la diminution du poids. Il rassemble le résidu que l’eau avait déposé pendant l’opération, y joint celui qu’il obtient par l’évaporation de l’eau : les deux ensemble se trouvent à peu près égaux à la perte de poids du pélican. Mais la divergence, cette fois, est beaucoup plus forte que la limite des erreurs de sa balance. En effet, le pélican n’a perdu que 17,4 grains, alors que les deux résidus ensemble pèsent 20,4. Lavoisier, très justement, attribue l’erreur à ce que l’eau a attaqué, non seulement la matière du pélican, mais encore celle des autres récipients avec lesquels elle fut en contact et conclut que le dépôt terreux provenait bien de ces vases. Étant donnée la faible quantité du dépôt, il ne peut le soumettre à beaucoup d’expériences. Toutefois, il en fait une qui ne laisse pas de le troubler quelque peu. La terre obtenue n’est pas fusible, comme l’est le verre à cette température. « J’avoue que cette dernière circonstance formerait une objection assez forte contre ce que j’ai rapporté dans ce mémoire, s’il était possible d’argumenter contre des faits. »

Grimaux relève cette coïncidence curieuse que Scheele, s’occupant du même problème, arriva à un résultat identique par une voie toute différente : analysant le résidu terreux, il y trouva de la silice, de la potasse, de la chaux, matières qui entrent dans la composition du verre, et en conclut que ces matières provenaient du vase[63]. Il n’est pas douteux que, pour les contemporains, la démonstration de Scheele était autrement convaincante que celle de Lavoisier ; c’est Scheele qui se servait de méthodes appartenant véritablement à la chimie, alors que celles de Lavoisier paraissaient empruntées à un domaine étranger.

Dans les Opuscules physiques et chimiques parus en 1774[64], Lavoisier, toujours par l’emploi de la balance, décide entre les deux théories rivales de Black et de Meyer. D’après le premier, la pierre calcaire, en se transformant en chaux, perdait un composant (que nous appelons aujourd’hui acide carbonique) ; d’après le second, elle acquérait au contraire un principe désigné sous le nom d’acidum pingue et qui provenait du feu. Lavoisier fait voir que la terre calcaire perd par la calcination une partie de son poids, qu’elle recouvre si elle se transforme de nouveau en chaux ordinaire[65]. Le même ouvrage contient le commencement des immortels travaux sur la combustion. Lavoisier, qui ignorait à cette époque l’existence de l’oxygène, découvert plus tard par Priestley, constate, en calcinant l’étain et le plomb en vase clos au moyen d’une lentille, que ces métaux augmentent de poids ; c’était là, nous l’avons vu, une expérience ancienne. Mais Lavoisier découvre qu’il en est de même pour le soufre et le phosphore et, ce qui est plus important, il établit que volume de l’air subit une diminution d’un cinquième environ et que le poids de l’air disparu est à peu près identique à l’augmentation de celui du corps brûlé. D’ailleurs, comme il a pesé le vase avant et après l’opération et trouvé le poids à peu près identique (sauf une très légère augmentation qu’il attribue, avec justesse, au dépôt que le feu a formé extérieurement), l’hypothèse de l’intervention du feu élémentaire se trouve écartée et l’accroissement du poids ne peut provenir que de l’air.

Les contemporains eurent bien la sensation qu’il y avait quelque chose de nouveau dans ces considérations de quantité. « On verra, dirent dans leur rapport les commissaires de l’Académie Trudaine, Macquer, Leroy et Cadet) que M. Lavoisier a soumis tous les résultats à la mesure, au calcul, à la balance, méthode rigoureuse qui, heureusement pour l’avancement de la chimie, commence à devenir indispensable dans la pratique de cette science[66]. »

Les nouvelles conceptions ne triomphèrent que lentement. Même après que la composition de l’eau fut connue et que Lavoisier put établir une théorie embrassant tous les phénomènes que nous comprenons actuellement sous le nom de « phénomènes d’oxydation », la résistance ne cessa point. Ni Scheele, ni Priestley, ni Cavendish n’adhérèrent jamais. Si l’on étudie les polémiques, on constate qu’il n’y est pour ainsi dire pas question du principe de la conservation de la matière. Mais il est certain que ce principe était en jeu. Les uns faisaient valoir des arguments de quantité, en affirmant implicitement que toutes autres considérations devaient leur céder le pas : les autres mettaient en première ligne des arguments fondés sur la qualité, ce qui était dénier au principe la position dominante et par conséquent nier son essence même. Le triomphe final de la théorie de Lavoisier fut aussi celui du principe de la conservation de la matière.

Ce principe est-il d’origine empirique ? On l’a souvent affirmé, et John Stuart Mill notamment a formulé cette thèse avec beaucoup de clarté. D’après lui, la conservation de la matière nous est suggérée dès le début pour ainsi dire de nos observations par un grand nombre de phénomènes concordants, alors que d’autres, au contraire, paraissent la contredire. On a formulé l’hypothèse que ce principe serait non pas partiellement, mais entièrement vrai, et l’on a vérifié après coup. La vérification ayant réussi, le principe s’est trouvé établi, exactement comme toute autre loi expérimentale[67].

Littré s’est exprimé d’une manière analogue. « L’axiome essentiel du matérialisme, c’est l’éternité de la matière, à savoir qu’elle n’a point eu d’origine et qu’elle n’aura point de fin. On sait que telle n’a point toujours été l’opinion des philosophes et qu’on a cru jadis aux créations et aux destructions de substances. Et en effet comment sommes-nous arrivés à cet axiome qui a maintenant un ascendant irrésistible sur notre esprit ? Par l’expérience, a posteriori[68]. »

L’historique du principe, tel que nous venons de l’esquisser, suffit, semble-t-il, pour établir que cette théorie est fort éloignée de la réalité. Quelles sont les expériences sur lesquelles se fondaient les atomistes anciens pour énoncer le principe ? On serait fort empêché de le dire. Ils se contentaient d’affirmer que toute matière était nécessairement pesante, mais c’est là une thèse qui a besoin elle-même d’une preuve expérimentale ; or cette preuve était impossible à fournir à l’époque, et rien ne démontrait certes, au moment où fut écrit le De natura rerum, que la théorie aristotélicienne de la légèreté absolue de certains corps fût inexacte. Les deux expériences, fort imparfaites, de Jean Rey peuvent-elles passer pour des preuves ? Il suffit de parcourir les Essays pour se convaincre que rien n’était plus loin de la pensée de l’auteur que de les présenter comme telles. Le principe lui paraît établi avant toute expérience et il s’en sert ensuite pour élucider des phénomènes particuliers ; à aucun moment il n’indique que la réussite de cette opération puisse être considérée comme une confirmation du principe, lequel évidemment, à son avis, n’en avait pas besoin. Lavoisier, nous l’avons vu, applique d’abord le principe sans le formuler. Dans ses écrits postérieurs, on le trouve quelquefois énoncé, avec beaucoup de netteté, cela va sans dire, comme tout ce qui émane de cet admirable esprit, fait de clarté et de précision. C’est ainsi que dans le Traité élémentaire de chimie, il remarque en passant qu’une « matière quelconque ne peut rien fournir dans une expérience au delà de la totalité de son poids » et que « la détermination du poids des matières et des produits avant ou après les expériences » est « la base de tout ce qu’on peut faire d’utile et d’exact en chimie ». Parfois il insiste un peu plus, en déclarant que « rien ne se crée ni dans les opérations de l’art, ni dans celles de la nature » et que « l’on peut poser en principe que, dans toute opération, il y a une égale quantité de matière avant et après l’opération[69]. » Mais à aucun moment il n’indique qu’il y a là un énoncé ayant besoin d’être démontré. Est-ce à dire qu’à cette époque la démonstration fût devenue inutile, puisqu’elle découlait implicitement de quantité de faits connus ? Telle n’était assurément pas l’avis des contemporains, même des plus illustres, nous l’avons vu par l’exemple de Scheele. On pourrait encore supposer que Lavoisier se servait du principe comme d’une sorte d’hypothèse provisoire, « hypothèse de travail », se réservant de confirmer ou d’infirmer cette supposition au cours de ses expériences ; mais il suffit de parcourir ses œuvres pour se convaincre qu’il n’en est point ainsi, que, tout comme les anciens et comme Jean Rey, il applique le principe en toute certitude, ne doutant pas un seul instant que l’expérience ne doive le confirmer, que toute anomalie ne doive être qu’apparente et trouver son explication. Il lui arrive parfois, au cours d’une série d’expériences, de peser directement une matière dont il avait d’abord déterminé le poids par voie indirecte. Il estime cette vérification utile car « il n’est jamais permis, en physique, de supposer ce qu’on peut déterminer par des expériences directes. » Mais il indique en même temps que la conclusion d’après laquelle le poids du corps en question devait être égal à la somme des poids de ses composants lui paraît « évidente » et « était facile à prévoir a priori[70] ». On ne peut même pas affirmer que le triomphe définitif du principe fût dû à des expériences très probantes. Prenons un travail postérieur de Lavoisier, un des plus justement célèbres, celui qui porte le titre Expériences sur la respiration des animaux etc.[71]. Il a chauffé, pendant douze jours, 4 onces de mercure, dans un appareil contenant 50 pouces cubiques d’air commun. Au bout de ce temps il a constaté qu’un sixième environ de l’air avait disparu, alors qu’il s’était formé 45 grains de mercure précipité per se ou chaux de mercure. Les ayant soigneusement rassemblés, il les a mis dans une petite cornue en verre dont le col recourbé s’engageait sous une cloche remplie d’eau, et a procédé à la réduction. Il constate qu’il retrouve par cette opération « à peu près la même quantité d’air qui avait été absorbée pendant la calcination, c’est-à-dire 8 à 9 pouces cubiques environ » et qu’en ajoutant cet air (qui était ce qu’il a appelé plus tard de l’oxygène — il le qualifie d’air « éminemment respirable ») à celui qui avait été « vicié par la calcination du mercure », il rétablit ce dernier « assez exactement dans l’état où il était avant la calcination, c’est-à-dire dans l’état de l’air commun ». Il conclut que c’est là « l’espèce de preuve la plus complète à laquelle on puisse arriver en chimie, la décomposition de l’air et sa recomposition. » Il est évident cependant, par ses expressions mêmes (à peu près, assez exactement) qu’il n’a recherché, au point de vue quantitatif qu’un accord tout à fait approximatif ; nul doute que s’il avait constaté une légère dérogation au principe de la conservation du poids, il n’eût pas hésité à formuler des hypothèses auxiliaires, comme celles de l’attaque des vases accessoires ou du dépôt formé par le feu du charbon dans ses travaux antérieurs. Le fond de sa pensée, c’est, tout comme chez Jean Rey, que, si l’on admet le principe, les expériences en question ne le contredisent point expressément.

Quelle est, à cet égard, la situation actuelle ? Depuis Lavoisier, la balance est devenue l’instrument de prédilection du chimiste ; et l’on a pu dire — c’est par exemple l’avis de M. Ostwald[72], — qu’en un certain sens toute analyse quantitative accomplie par un chimiste constitue une vérification de la conservation de la matière. Cependant, il ne faudrait pas vouloir trop prouver. Ces analyses ne s’accordent généralement que tout à fait grosso modo : il est rare que dans une série d’opérations quelque peu compliquée on ne relève pas des déviations beaucoup trop considérables pour être attribuées aux instruments de mesure, ainsi que M. Ostwald est obligé de l’admettre[73]. C’est que les causes d’erreur sont nombreuses et difficiles à éviter. On le constate si l’on examine les travaux de l’ordre scientifique le plus élevé, qui ont servi à déterminer les poids atomiques des éléments. On sait quelle somme vraiment prodigieuse d’efforts Stas a dépensée pour parvenir à connaître l’équivalent de l’argent, base de toutes les déterminations ultérieures ; or, on a reconnu depuis que les résultats de Stas étaient entachés d’une cause d’erreur et il serait téméraire d’affirmer que cette rectification doive être la dernière. Pour d’autres éléments, même des plus répandus et des mieux connus, les déterminations sont souvent encore tout à fait incertaines, ainsi qu’on peut s’en convaincre par les travaux des commissions qui se sont constituées dans ces derniers temps, précisément en vue de contrôler ces données et d’amener un accord[74]. Or, il ne faut point l’oublier, les analyses quantitatives reposent en dernière instance sur ces constantes si insuffisamment connues encore ; le chimiste n’isole que très rarement les constituants d’une combinaison, il les amène dans d’autres combinaisons et détermine leur poids indirectement par des calculs dont les poids atomiques sont la base. La précision de ses résultats, dans le cas le plus favorable, ne saurait donc dépasser celle de ces données fondamentales.

Là où l’on s’est appliqué à vérifier directement et avec précision la conservation du poids dans les phénomènes chimiques, on n’est pas toujours arrivé à des résultats confirmant absolument ce principe. On sait que des anomalies ont été constatées, assez récemment, par M. Landolt[75]. Les résultats du chimiste allemand, quoique parfois contestés[76], paraissent avoir été accueillis en général sans trop de scepticisme par le monde scientifique[77].

Il ressort, semble-t-il, des données que nous venons de résumer brièvement, qu’à l’heure actuelle encore la certitude dont nous paraît revêtu le principe de la conservation de la matière est très supérieure à celle que comporteraient les expériences qui sont censées lui servir de fondement. Ainsi la théorie de John Stuart Mill et de Littré ne s’adapte ni à la genèse du principe dans l’histoire, ni à sa situation réelle dans la science contemporaine. Le principe de la conservation de la matière, comme l’a bien vu Maxwell, doit « reposer sur un fondement plus profond que les expériences qui l’ont suggéré à notre esprit[78] ».

Le principe serait-il donc apriorique ? Il semble que ce soit là l’opinion la plus répandue de nos jours parmi les savants et les philosophes, opinion tantôt nettement énoncée, tantôt implicitement affirmée. D’ailleurs, à l’encontre de ce qui nous est arrivé pour l’inertie, nous n’aurons pas à chercher longuement le fondement de cette opinion : tous ceux qui se sont appliqués à démontrer par l’a priori la conservation de la matière ont mis directement en jeu le principe de causalité, au point que, comme nous l’avons vu au début de ce chapitre, les expressions mêmes des deux principes se confondent parfois. Cette différence dans la façon de traiter l’inertie et la constance de la matière se comprend du reste : la vitesse est un concept dérivé et très abstrait, alors que la matière est une notion de sens commun qui se trouve à la base de toute expérience.

Kant s’est occupé à plusieurs reprises de cette question. Elle se trouve même incidemment traitée dans la Critique de la raison pure. En élucidant le concept de substance, Kant, d’une façon assez curieuse, cite à peu près textuellement (mais sans en indiquer la source) le passage du Démonax de Lucien, rattachant ainsi sommairement le poids à la substance[79]. Il s’est expliqué avec plus de détails dans les Premiers principes métaphysiques de la science et de la nature. Il y formule en ces termes son « premier théorème de la mécanique » : « À travers toutes les modifications de la nature matérielle, la quantité de la matière reste au total la même, sans accroissement et sans diminution. » Dans la « démonstration » de ce théorème, Kant se sert de ce principe qu’il emprunte à la « métaphysique générale » que, dans toutes les modifications de la nature, la substance ne se crée ni ne se perd. Il établit ensuite que, pour la matière, la substance, c’est la quantité, la matière se trouvant d’ailleurs définie comme « ce qui est mobile dans l’espace » (das Bewegliche im Raume[80]). Dans le traité De la transition des premiers principes métaphysiques de la science de la nature à la physique, on voit comment Kant entend passer de cette notion à celle du poids. La jonction se fait à l’aide du concept intermédiaire de la « matière en tant qu’elle est douée de forces motrices[81] » : c’est le concept de masse des physiciens ; Kant y rattache immédiatement celui du poids et affirme qu’une « matière absolument impondérable serait une matière immatérielle, c’est-à-dire un concept contradictoire en soi[82]. » Cette brusque transition s’explique par le fait que, pour Kant, l’attraction dans la proportion inverse au carré de la distance et par conséquent la gravitation dans sa conception la plus générale fait partie intégrante du concept de la matière[83]. C’est en somme, on le voit, une démonstration complètement apriorique. Il est juste d’observer que Kant semble avoir éprouvé quelques scrupules en ce qui concerne la transition entre la masse et le poids. Dans les Premiers principes il ne déduit la loi de l’attraction qu’avec certaines réserves, comme « une construction peut-être possible[84]. » Mais les passages de son œuvre postérieure que nous venons de citer prouvent que sa conviction s’est affermie plus tard[85].

Schopenhauer, qu’on a beaucoup cité à propos de cette question[86], n’a fait que suivre Kant ; il a également déduit la conservation de la matière de la persistance de la substance, mais avec moins de clarté que son prédécesseur, se contentant d’affirmer que la substance n’est qu’un synonyme de la matière[87]. Il a cependant reconnu que la pesanteur est une « qualité occulte ». Mais telles sont aussi, d’après lui, toutes les forces fondamentales qui constituent la matière et dont la causalité garantit la persistance[88]. Whewell croit également pouvoir déduire directement la conservation du poids du principe de causalité ; il confond en effet masse et poids, et ce dernier concept, pour lui, fait partie intégrante de celui de substance[89].

Herbert Spencer s’est exprimé, avec beaucoup de force, dans le même sens : « Notre incapacité de concevoir que la matière devienne non-existante, est une conséquence de la nature même de la pensée… L’anéantissement de la matière est inimaginable pour la même raison pour laquelle la création de la matière est inimaginable, et son indestructibilité devient une notion (cognition) a priori de l’ordre le plus élevé, non pas une notion résultant d’un enregistrement longtemps continué d’expériences graduellement organisées en un mode de pensée irréversible, mais une notion donnée dans la forme de toutes les expériences quelles qu’elles soient. » Évidemment Spencer, en écrivant ces lignes, pensait non à la masse et au poids, mais à la causalité et à la substance ; cependant le contexte indique clairement qu’il entendait établir ainsi le principe de la conservation de la matière dans le sens que lui attribue la science moderne ; il était donc en recul sur Kant qui avait indiqué la nécessité d’une double transition entre substance, masse et poids. Par contre, il est curieux de constater que Spencer, qui écrivait à une époque bien plus éloignée de celle où le principe fut définitivement instauré (les Premiers principes de Kant ont paru à un moment où les polémiques autour des théories de Lavoisier n’étaient même pas encore complètement éteintes), a vu plus clairement la difficulté que cette supposition entraînait au point de vue historique. « Il sera sans doute considéré comme étrange, dit-il, qu’une vérité qui n’a été considérée comme incontestable que dans les temps modernes, et même alors par des hommes de science, puisse être considérée comme une vérité a priori, d’une certitude non seulement égale à celles que l’on classe communément sous cette rubrique, mais même supérieure. Classer parmi celles que l’on ne saurait concevoir une proposition que l’humanité autrefois affirmait généralement concevoir et que la grande majorité affirme concevoir même à l’heure actuelle, semble absurde. L’explication c’est que, dans ce cas comme dans d’autres innombrables, les hommes ont supposé qu’ils croyaient quelque chose qu’ils ne croyaient point[90]. »

Nous avons indiqué plus haut, à propos de l’inertie, les objections auxquelles se heurte une supposition de ce genre. Sans doute, la conservation de la matière n’a jamais été traitée d’absurde, comme le fut la persistance du mouvement rectiligne par Aristote. Mais des générations de savants et de philosophes ont avancé des opinions impliquant clairement la négation du principe. Peut-on dire que cette idée ne leur fut jamais suggérée ? L’idée en elle-même est d’une grande simplicité et se déduit si directement du principe de causalité qu’elle se présente pour ainsi dire invinciblement à notre esprit. Nous avons vu d’ailleurs qu’à deux reprises au moins elle est apparue dans l’histoire des sciences, pour disparaître ensuite : le De natura rerum était très lu depuis la Renaissance et il serait étrange que personne n’y eût vu cette conception de la conservation de la matière ; et il est tout aussi étrange que le livre de Jean Rey ait fait si peu d’impression, si l’on suppose que l’idée qui en fait le fond était réellement apriorique.

L’énigme disparaît si l’on considère ce qu’est en réalité la démonstration apriorique du principe. Elle est fondée entièrement sur la causalité. Or, ce que nous appelons ainsi n’est qu’une tendance, la tendance à maintenir l’identité de certaines choses dans le temps. Tout au plus pourrait-on dire que la tendance causale nous fait souhaiter que ces choses soient telles que nous puissions, sans trop de violence, les estimer essentielles. Mais nous avons vu que ce penchant est suffisamment fort pour vaincre au besoin toutes les résistances que notre esprit pourrait opposer à cet égard, au point de transformer en chose immuable, en substance, un concept dérivé et abstrait.

Il y a, au fond du principe de la conservation de la matière, trois notions distinctes : la matière, le poids, la masse. La matière est une notion de sens commun, notion complexe et qui synthétise un nombre infini de propriétés. Il est manifestement contraire à l’expérience, même la plus superficielle, de supposer la conservation de toutes ces propriétés. Donc, en affirmant la conservation de la matière, on ne postule que la persistance de certaines d’entre elles ; et c’est pourquoi cette affirmation, quand on ne précise pas en même temps ce qui doit se conserver, ne saurait intéresser la science. Dans notre historique du principe, nous avons cru devoir passer sous silence des énoncés de ce genre, comme par exemple celui de Locke[91].

Toutefois, nous l’avons vu, parmi les phénomènes de la matière, ceux d’une certaine classe nous apparaissent, de par la tendance causale, comme jouissant d’une sorte de privilège : ce sont les phénomènes du déplacement que nous concevons comme étant simples, fondamentaux. De toutes les propriétés de la matière, la plus essentielle sera donc celle d’être cause du déplacement d’une autre matière : ce sera là le vrai critérium de la matérialité. Ainsi Lucrèce, afin de démontrer que l’air est une vraie matière, célébrera dans des vers d’une beauté impérissable l’action destructrice de la tempête[92]. Cette action que les corps exercent les uns sur les autres est susceptible d’être mesurée ; nous appelons masse le coefficient résultant de ces mesures et que nous pouvons rapporter à une unité arbitraire. Ces coefficients peuvent d’ailleurs s’ajouter les uns aux autres : la masse est, comme on dit, une propriété additive ; il nous semble tout naturel qu’une masse exerce une action qui est la somme de celles qui auraient été exercées par ses parties, et l’expérience confirme cette manière de voir. La masse nous apparaît donc comme mesurant la quantité de la matière : c’est sous ce nom que Descartes l’a introduite d’abord et depuis on se sert couramment de cette notion. On la retrouve chez Newton, chez Laplace, chez Poisson. Sans doute, comme l’a fait ressortir M. A. Gautier[93], on peut mesurer la matière d’après d’autres propriétés encore, par exemple par sa capacité calorique ou électrique, et les mesures qui en résulteraient seraient fort différentes. Mais si M. Mach, en se fondant sur des considérations analogues, entend proscrire ce terme de quantité de matière comme synonyme de masse[94], c’est bien parce que, en vertu de sa théorie, il méconnaît la précellence des considérations mécaniques. Il nous semble clair, au contraire, que la masse, expression mécanique de la matière, nous apparaît comme étant non seulement sa mesure, mais pour ainsi dire son véritable substrat.

Ainsi, cette tendance dont nous avons parlé plus haut et qui nous fait souhaiter que les choses persistantes soient essentielles, trouve ici sa pleine satisfaction ; et sans doute la persistance contribue de son côté à faire apparaître à nos yeux la notion de masse comme plus essentielle encore.

Observons cependant que ce concept de masse qui nous semble si important, notre esprit ne l’a pas saisi d’instinct et de prime abord, mais qu’il nous a, au contraire, paru entouré d’une certaine obscurité. Nous n’avons qu’à faire appel à nos souvenirs d’école pour nous convaincre qu’il en est ainsi ; dans les manuels de physique élémentaire on tient généralement compte de cet état de choses, en ayant soin de faire bien pénétrer dans l’esprit du lecteur la distinction entre la masse et le poids. Tout récemment, un observateur attentif et compétent a constaté que l’esprit de ses élèves était pour ainsi dire réfractaire à la notion de masse, au point qu’il a cru devoir prôner un système d’exposition où ce concept ne serait pas traité de fondamental[95]. C’est ce qui explique que ce concept n’ait été dégagé que très tardivement et que la confusion entre la masse et le poids, qui faisait le fond même de la théorie des anciens atomistes, ait pu se produire encore au xixe siècle, non seulement chez un métaphysicien comme Schopenhauer, mais encore chez un penseur aussi renseigné des choses de la science que Whewell. Une preuve curieuse de la facilité avec laquelle on confond ces deux notions nous est fournie par le fait que la législation dans les divers pays, entendant évidemment définir la masse (puisque la constante de gravitation ne présentait, à ce point de vue, aucun intérêt) a le plus souvent défini le poids[96].

Nous pouvons, semble-t-il, apercevoir la source profonde de cette difficulté. L’action par laquelle une matière en déplace une autre et qui nous apparaît comme fondamentale reste en même temps irrémédiablement obscure. Nous ne pouvons en réalité, nous l’avons vu, saisir le comment ni de l’action à distance, ni du choc. Dans les livres de mécanique on définit généralement la masse en faisant intervenir, d’une manière plus ou moins détournée, l’action à distance[97]. Il est certainement préférable de la définir par le choc, comme l’ont fait par exemple MM. Andrade[98] et Wulf[99]. Cependant la définition par le choc a quelque chose de malaisé : nous ne pouvons pas prédire exactement ce qui se passera après, car cela dépendra de l’élasticité des corps. Le mieux, sans doute, c’est de laisser dans l’indétermination la nature de l’action que les masses exercent les unes sur les autres et de se contenter de stipuler, comme l’a fait M. Mach, que si action il y a, si les corps se communiquent des vitesses ou des accélérations, cette communication se fait conformément à des coefficients immuables appelés masses[100] : l’indétermination ici n’est ni accidentelle, ni provisoire, elle est la manifestation de quelque chose de profond et d’essentiel.

Contrairement à ce que nous venons de constater pour la masse, le poids est une notion immédiate du sens commun ; mais c’est une notion purement empirique. Toute matière, c’est entendu, doit agir ; mais peut-on affirmer que toute matière doit graviter vers toute autre matière ? Il suffit de se rappeler, à cet égard, avec quel étonnement l’humanité a appris par les travaux de Newton qu’une force analogue ou identique à celle que nous appelons pesanteur sur la terre agit entre les corps célestes. Encore à l’heure actuelle, la gravitation nous apparaît comme une énigme à laquelle nous cherchons une explication. Or, en vue de cette explication, l’équation p = mg, loin de paraître nécessaire, prend au contraire toutes les apparences d’un paradoxe. La proportionnalité de la masse et du poids constitue, comme le dit M. de Freycinet, une « surprise[101] ». En réalité le poids devrait dépendre de la position des corps les uns à l’égard des autres[102]. Il est surprenant que dix cubes qui font équilibre à un poids donné étalés sur le plateau d’une balance, exercent le même effet quand nous les empilons les uns sur les autres et qu’ils se font mutuellement écran à l’égard de la terre ; et il est très difficile de comprendre que la masse entière de la terre soit absolument perméable à l’attraction du soleil, ainsi que l’exige la théorie des marées. La gravitation semble, pour ainsi dire, ignorer l’espace intermédiaire et les obstacles qui y sont accumulés : nous retrouvons là cet aspect anti-spatial du concept qui nous avait frappé plus haut (p. 70 ss.).

L’association entre le poids et la masse apparaît aux physiciens comme purement fortuite, accidentelle[103]. C’est au point que M. Boussinesq[104], par une théorie curieuse qui compte M. Ostwald au nombre de ses partisans[105], a cherché à expliquer cette association par une sorte d’évolution de notre univers, évolution qui aurait eu pour conséquence d’éloigner toute matière où cette association ne se trouvait pas accomplie.

En imaginant l’éther, les physiciens ont été obligés de le douer de masse ; il a été en effet créé pour agir, et la masse est le principe de l’action mécanique ; mais l’éther n’a pas de poids, il est impondérable par définition : nous avons vu d’ailleurs que dans le passé aussi on avait eu recours à ces fluides impondérables et pourtant agissants, c’est-à-dire doués de masse. En spéculant sur la constitution de la matière, les physiciens ont souvent eu soin de ne pas séparer éther et matière pondérable par un abîme infranchissable : il y a là, nous le verrons plus tard, une tendance inhérente à l’esprit humain, tendance dont on peut suivre aisément les manifestations depuis Descartes, dont les divers éléments ont une même origine, jusqu’à Tait et Thomson qui constituent leurs atomes à l’aide d’anneaux d’éther. On ne peut donc pas dire que l’idée d’après laquelle la matière pondérable pouvait se résoudre en quelque chose d’impondérable ait jamais paru véritablement inadmissible, et à ce point de vue les nouvelles théories qui se rattachent à la découverte des corps radioactifs ont trouvé le terrain tout préparé.

C’est sans doute parce qu’ils confondaient la masse et le poids que les anciens atomistes étaient parvenus à concevoir la conservation du poids de la matière ; et inversement, nous l’avons vu, la dissociation entre les deux concepts, opérée par Descartes, a certainement contribué dans une grande mesure à empêcher les contemporains de Jean Rey d’adhérer à sa doctrine. Actuellement la masse et le poids sont de nouveau associés ; mais cette liaison n’a rien de logique, et toute tentative pour déduire a priori le principe de la conservation du poids serait certainement stérile. L’illusion contraire ne peut avoir sa source que dans la tendance causale ; et c’est cette même tendance qui, chez les atomistes anciens, chez Jean Rey, probablement chez Lavoisier lui-même, et sûrement chez ses contemporains, a contribué à l’éclosion du principe, a permis de l’énoncer sans preuves comme une vérité évidente en soi, et a assuré sa domination.

Nous voulons la masse constante, comme toute chose ; mais nous le voulons plus fortement parce qu’elle nous apparaît comme l’essence de la matière. C’est ce qui explique que dans la théorie électrique de la matière, où le concept de masse n’occupe plus la même position dominante, on ait pu faire abstraction de sa conservation. En effet, d’après M. Lorentz, les masses mécaniques ne seraient pas constantes, mais varieraient d’après les mêmes lois que les masses électro-dynamiques et ces variations deviendraient sensibles pour des corps animés de vitesses comparables à celle de la lumière[106]. D’après M. Gustave Le Bon, ce que nous appelons matière se composerait d’une sorte de matière primitive et pourrait, par dissociation, retourner dans cet état[107]. Dans le cas d’une dissociation de ce genre, nous serions empêchés de constater non seulement la conservation du poids, mais encore celle de la masse, étant donné que la matière, dans cet état, ne suivrait probablement pas le mouvement de la matière non dissociée. Dans ces conditions, la matière non dissociée serait donc destructible, et quant à la conservation de la matière dissociée, n’ayant pas de substrat numérique, elle redeviendrait ce qu’était le principe de la conservation de la substance, c’est-à-dire un pur postulat. Le fait seul que des théories de ce genre aient pu surgir suffirait, semble-t-il, pour démontrer, à défaut d’autres preuves, que la conservation de la masse ne saurait être considérée comme une vérité apriorique ; et l’ensemble des considérations que nous avons fait valoir tend, croyons-nous, à établir nettement qu’il s’agit d’une proposition plausible, tout comme le principe d’inertie.


  1. Lucrèce. De natura rerum, l. Ier, vers 150 ss.
  2. Ib., l. Ier, vers 486-7 et 500.
  3. Ib., l. II, vers 185-186.
  4. Ib., l. Ier, vers 361-363.
  5. Lucien de Samosate. Œuvres, trad. Talbot. Paris, 1882, t. Ier, p. 531.
  6. Cf. J. Bernays. Lucian und die Kyniker. Berlin, 1876, p. 27, 33, 57, 95. Bernays doute que le traité sur Démonax soit de Lucien, mais l’attribue à un contemporain de Démonax.
  7. Cf. par exemple Aristote. Traité du Ciel, l. I, chap. vii, d’où il semble ressortir que les atomistes ont affirmé nettement la pesanteur universelle des corps. En ce qui concerne les atomes, tes témoignages directs de l’antiquité sont quelque peu contradictoires. Cependant, après les avoir discutés, M. Mabilleau {l. c., p. 211) arrive à la conclusion que Démocrite leur attribuait bien de la pesanteur.
  8. Cf. plus bas p. 164.
  9. Aristote. Traité du Ciel, l. IV, chap. ier.
  10. Ib., l. IV, chap. ii, § 7.
  11. Platon. Timée, Œuvres, trad. Collet. Paris, 1845, p. 648. Aristote. Traité du ciel, l. III, chap. iii, § 1. — Cf. l’exposé de la doctrine péripatéticienne chez Galilée. Massimi sistemi, giorn. Iª (Œuvres, Florence, 1842, vol. I, p. 48).
  12. D’après certains travaux récents, la domination de la philosophie péripatéticienne au moyen âge aurait été bien moins absolue qu’on ne le supposait jusqu’ici. M. F. Picavet, notamment, a cherché à établir dans son Esquisse d’une histoire des philosophies médiévales, que le vrai maître de la philosophie du moyen âge a été non pas Aristote, mais Plotin. Cette thèse appuyée par une étude approfondie des textes, a cependant trouvé de nombreux contradicteurs (Ib., p. 110 ss, note). Son adoption ne modifierait pas sensiblement notre exposé. M. Picavet fait ressortir tout ce que Plotin doit à Aristote ; Porphyre déjà avait constaté que « la Métaphysique d’Aristote est condensée tout entière » dans l’œuvre du néoplatonicien (Ib., 49) ; en somme, c’est Aristote qui lui fournit sa logique et sa science du monde sensible (Ib., p. 88, 113). Donc, et bien qu’Aristote soit plus nommé que lu et étudié pendant une grande partie du moyen âge (Ib., p. 143), c’est bien de lui, directement ou indirectement, que relève la philosophie de cette période, du moins en ce qui concerne l’étude du monde sensible (Ib., p. 89-91, 177). Mais on ne le connaît qu’imparfaitement, et surtout à travers ses commentateurs néoplatoniciens ; on ne le comprend pas toujours et on l’interprète et le complète avec une certaine liberté (Ib., p. 93). On trouvera, au cours de notre travail, quelques faits qui viennent à l’appui de cette manière de voir. (Cf. notamment p. 298 ss).
  13. Kopp. Geschichte der Chemie. Braunschweig, 1845, vol. III, p. 119. Kopp pense qu’il s’agit de l’augmentation de poids que le plomb et l’étain subissent pendant l’oxydation. Ce serait donc le même phénomène qui a finalement tant contribué à établir la conservation du poids, qui aurait servi primitivement à démontrer le contraire, par suite de l’opinion préconçue qu’à l’oxydation le corps perdait quelque chose.
  14. Kopp, l. c., p. 120, 126, 128. Il est curieux que Kopp lui-même ait cédé à la tentation et ait expliqué dans le sens moderne (en ajoutant au terme poids l’adjectif spécifique) un passage d’Albert. (Die Alchemie in aelterer und neuerer Zeit. Heidelberg, 1886, I, p. 17). Il suffit d’examiner sans idée préconçue le passage cité par lui, pour se convaincre qu’Albert entendait bien affirmer une augmentation du poids.
  15. Jean Rey, voulant établir le principe de la conservation du poids, déclare qu’il va « ores porter le démenti a cette maxime erronée, qui a eu cours depuis la naissance de la Philosophie, que les elemens allant mutuellement au change de l’vn à l’autre, ils perdent ou gaignent de la pesanteur, à mesure qu’en ce changement ils se raréfient ou condensent ». (Essays, Réimpression. Paris, 1896, p. 48.)
  16. Bacon. Works. Londres, 1837, vol. I, p. 173 (Sylva sylvarum, § 789).
  17. Ib., vol. II, p. 361 (De augmentis scientiarum, l. V, chap. iii).
  18. id. Novum organon, trad. Buchon. Paris, 1838, l. II, § 40. Cf. Historia densi et rari, Works, vol. II, p. 538.
  19. Cf. Rosenberger. Geschichte der Physik, vol. Ier, p. 107. C’est évidemment l’expérience dont on attribue généralement l’honneur à Van Helmont et par laquelle ce dernier entendait démontrer la transformation de l’eau en terre.
  20. Wislicenus. Die Chemie und das Problem der Materie, Rectoratswechsel. Leipzig, 31. Okt. 1893, p. 24.
  21. Cf. sur ces transmutations, Kopp, l. c., vol. II, p. 176-177. Stahl n’est pas le célèbre chimiste, mais un homonyme.
  22. Cf. à ce sujet Appendice III, p. 423-426.
  23. Descartes. Principes. IIe partie, chap. 46 ss.
  24. id. Le Monde. Paris, 1824, p. 234.
  25. id. Principes. IIIe partie, chap. cxxi.
  26. Gorlaeus. Exercitationes philosophicae, etc. Leydc, 1620, p. 154, 332.
  27. Carpentarius. Philosophia libera. Oxford, 1622, p. 66.
  28. Galilée. Alcuni scritti inediti, etc., éd. Favaro. Bulletino di bibliografia, etc., vol. XVI. Rome, 1885, p. 28, 53, 95.
  29. Descartes. Principes. IIe partie, chap. XI.
  30. Jean Rey. Essays, Réimpression. Paris, 1896, p. 49.
  31. À remarquer que Rey savait fort bien que l’on admettait non seulement la diminution, mais encore l’accroissement du poids à la suite d’une opération chimique (cf. plus haut, p. 141, note 2).
  32. Cf. notre travail sur Jean Rey. Revue Scientifique, VII, 1884, p. 304.
  33. Essays, p. 100-129.
  34. Hobbes. Elements of philosophy, éd. Molesworth. Londres, 1835, p. 116.
  35. Leibniz. Opera, éd. Erdmann, p. 767.
  36. Cf. Appendices I, p. 407 ss. et III, p. 425.
  37. Cf. L. Couturat. Sur le système de Leibniz d’après M. Cassirer, Revue de métaphysique, vol. XI, 1903, p. 89.
  38. Huygens. De causa gravitatis, Opera reliqua. Amsterdam, 1728, p. 106. « Demonstrabo… gravitatem corporum praecise sequi proportionem materiae ex qua componuntur. »
  39. Newton. Principes, trad. du Chastellet. Paris, 1759, l. III, prop. 6, p. 17.
  40. Cf. Brillouin. Recherches récentes sur diverses questions d’hydrodynamique. Paris, 1891, p. 37.
  41. Cf. Kopp. Geschichle, vol. Ier, p. 281.
  42. Boyle. Works. Londres, 1744, vol. III. New Experiments to make Fire and Flame ponderable, etc., p. 318, 342-352.
  43. Essai sur le phlogistique et sur la constitution des acides, traduit de l’anglais de M. Kirwan ; avec des notes de MM. de Morveau, Lavoisier, de la Place, Monge, Berthollet et de Fourcroy. Paris, 1788, p. 3.
  44. Carpentarius, l. c., p. 73-74.
  45. Galilée, l. c. L’écrit publié par M. Favaro appartient à la jeunesse de Galilée et semble refléter des opinions qui, à ce moment, étaient courantes dans certaines écoles d’Italie. On peut voir, par le De motu de Galilée (Œuvres, éd. Favaro. Florence, 1890 ss., vol. I, p. 252) qui est également un écrit d’école, que cette affirmation de l’universelle pesanteur des corps se rattache directement à la réaction contre le péripatétisme.
  46. Boyle, l. c., vol. III, p. 717.
  47. On trouvera un bon résumé de la question telle qu’elle se présentait vers le milieu du xviiie siècle, chez Mussenbrœk. Cours de physique expérimentale, trad. Sigaux de la Fond. Paris, 1769, vol. II, p. 371.
  48. Berkeley. Works, éd. Fraser. Oxford, 1871, vol. II, Siris, § 192. — Le Siris a paru en 1744.
  49. Mussenbrœk, l. c.
  50. Diderot. Pensées sur l’interprétation de la nature, Œuvres. Paris, 1875, vol. II, p. 28.
  51. Kopp, l. c., vol. III, p. 124.
  52. Ib., p. 127.
  53. Ib., p. 141.
  54. Ib., ib.
  55. Ib., vol. I, p. 223.
  56. Cf. Berthelot. Lavoisier, 2e éd. Paris, 1902, p. 41 et 122.
  57. Berthelot, l. c., p. 88 et 96.
  58. Ib., p. 43, 97.
  59. Dictionnaire de chimie de l’Encyclopédie méthodique (de Guyton de Morveau), vol. In p. 638. De même chez Lavoisier, dans les tableaux du Traité élémentaire de chimie (Œuvres, vol. I, p. 149, 152, 155. 157, etc.) le calorique apparaît, parmi les éléments, suivi de l’oxygène, de l’hydrogène, etc. La lumière n’est pas citée, mais dans le texte du même traité (p. 141), il est question de sa « grande affinité avec l’oxygène » et de ce qu’elle « se combine avec quelques parties des plantes et que c’est à cette combinaison qu’est due la couleur verte et la diversité de couleurs des fleurs ».
  60. Lavoisier, l. c., p. 52. « Cette expérience prouve, d’une manière évidente, qu’à un certain degré de température, l’oxygène a plus d’affinité avec le phosphore qu’avec le calorique ; qu’en conséquence le phosphore décompose le gaz oxygène, qu’il s’empare de sa base et qu’alors le calorique devient libre. » Cf. ib., p. 65, 78, 141.
  61. Lavoisier. Premier mémoire sur la nature de l’eau, etc. Mém. Acad., 1770, p. 73. Œuvres, vol. II, p. 1.
  62. Nous avons vu (p. 149) que telle était, à cette époque, l’explication la plus ordinaire que les chimistes donnaient de l’augmentation du poids des métaux qu’on calcine. Lavoisier lui-même semble l’adopter dans le mémoire en question. « Les physiciens savent, en effet, que la matière du feu augmente le poids des corps dans lesquels elle est combinée » (l. c., p. 16). Mais il se peut que le résultat de ses expériences sur l’eau lui ait inspiré des doutes sur la valeur de cette théorie et c’est ainsi que ce travail se rattache à la série des grands travaux sur l’oxydation.
  63. Grimaux. Lavoisier. Paris, 1899, p. 99.
  64. Lavoisier. Œuvres, vol. I, p. 439.
  65. Il est à noter que la perte de poids par la calcination de la chaux, établie par Black, n’avait pas empêché l’éclosion de la théorie de Meyer. Cf. plus bas, p. 307.
  66. Lavoisier. l. c., p. 663.
  67. J. S. Mill. A System of Logic, etc. Londres, 1884, p. 163.
  68. Littré. La science au point de vue philosophique, 3e éd. Paris, 1873, p. 322.
  69. Lavoisier, l. c., vol. I, p. 76, 251, 101.
  70. Lavoisier, l. c., p. 52-53.
  71. Lavoisier. Expériences sur la respiration des animaux etc., Œuvres. Paris, 1862, vol. II, p. 175 ss.
  72. Ostwald. Lehrbuch der allgemeinen Chemie, 2e éd.}} Leipzig, 1891-93, p. 2.
  73. Ib.
  74. Cf. chez F. W. Clarke. Chemical News 86, 1902, le tableau comparatif des poids atomiques adoptés par la commission allemande et la commission internationale.
  75. Cf. A. Heydweiller, Wiedemann’s Annalen, V, 1891, p. 394 ss. M. Landolt a publié plus récemment une série d’observations très minutieuses qui semblent confirmer ses résultats antérieurs (Sitzungsberichte der Kgl. preuss. Akademie der Wissenschaften, 1906, VIII). On y trouvera (p. 3 ss. du tirage à part) la discussion des résultats d’autres observations.
  76. Cf. Lo Surdo. Il Nuovo Cimiento, juillet 1904, p. 45.
  77. Ostwald. Vorlesungen ueber Naturphilosophie. Leipzig, 1902, p. 283.
  78. Maxwell. Whewell’s Writings and Correspondence, Scientific Papers. Cambridge, 1890, vol. II, p. 531.
  79. Kant. Kritik der reinen Vernunft, éd. Rosenkranz et Schubert. Leipzig, 1838, p. 156-159.
  80. Kant. Metaphysische Anfangsgruende der Naturwissenschaft. Leipzig, 1838, p. 404. Cf. Premiers principes, trad. Andler et Chavannes, p. 74.
  81. id. Vom Uebergange von den metaphysischen Anfangsgruenden der Naturwissenschaft zur Physik, éd. A. Krause. Francfort, 1888, p. 9.
  82. Ib., p. 6, cf. ib., p. 159.
  83. Kant, l. c., p. 153. « Ce qui est mobile dans l’espace est donné a priori comme attraction et répulsion, car autrement aucun espace ne pourrait être rempli. » Kant en déduit que la pondérabilité a appartient aussi bien à la métaphysique de la nature qu’à la physique et par là à la transition de la première à la seconde. » Cf. ib., p. 15 où cette attraction est définie comme s’exerçant dans la proportion inverse du carré de la distance.
  84. id., Premiers principes, p. 52. Il affirme cependant le principe de l’attraction comme apriorique (p. 41, 50).
  85. Kant est, en général, moins « dynamiste » dans l’Uebergang que dans les Metaphysische Anfangsgruende ; ainsi il n’attribue plus la cohésion à l’action d’une force d’attraction, mais à celle du milieu. Cependant, c’est à tort, à notre avis, que M. Rosenberger (Geschichte, vol. III p. 41-42) croit qu’il était parvenu à déduire de la même manière l’action de la gravitation. Au contraire, à ce point de vue, sa conviction semble être devenue plutôt plus absolue.
  86. Cf. par exemple Ostwald. Vorlesungen ueber Naturphilosophie. Leipzig, 1902, p. 283.
  87. Schopenhauer. Ueber die vierfache Wurzel des Satzes vom zureichenden Grunde, Werke, éd. Frauenstaedt. Leipzig, 1877, vol. I, p. 43-44.
  88. Ib., vol. II, p. 95.
  89. Whewell. The Philosophy of the Inductive Sciences. Londres, 1840, p. 30. — Cf. Maxwell. Scientific Papers, vol. II, p. 531.
  90. Spencer. First Principles. Londres, 1863, p. 241.
  91. Cf. Reid. On the Human Mind, Works, éd. Hamilton. Édimbourg, 1846, p. 136.
  92. Lucrèce. De natura rerum, l. Ier, vers 278-298.
  93. A. Gautier. Les manifestations de la vie. Revue générale des sciences, vol. VIII, 1897, p. 291.
  94. E. Mach. Die Principien der Waermelehre. Leipzig, 1896, p. 425.
  95. Clementitch de Engelmayer. Sur l’origine sensorielle des notions mécaniques. Revue philosophique, 39, 1895, p. 517.
  96. Cf. L. Poincaré. La physique moderne. Paris, s. d., p. 33-34. Lord Kelvin. Sur le mouvement, etc. Congrès international de physique de 1900, vol. II, p. 21.
  97. On sait que Newton avait défini la masse par la densité. Cette définition est certainement inacceptable, comme l’ont fait ressortir MM. Thomson et Tait. Cf. H. Poincaré. La science et l’hypothèse, p. 120.
  98. Andrade. Les idées directrices de la mécanique. Revue philosophique, vol. XLVI, 1898, p. 402.
  99. Wulf. Zur Mach’schen Massendefinition. Wiedem. Annalen, Spl., 1899.
  100. C’est là aussi, semble-t-il, l’opinion de M. H. Poincaré (La science et l’hypothèse, p. 127). La définition de M. Duhem (L’évolution de la mécanique, p. 227) qui fait usage de la notion de travail, sans préciser comment ce dernier sera appliqué au corps, appartient à ce point de vue au même ordre d’idées.
  101. De Freycinet. Sur les principes de la mécanique rationnelle, p. 26.
  102. Cf. Maxwell. Whewell’s Writing and Correspondence, Scientific Papers, vol. II, p. 532.
  103. Selon la théorie électrique de la matière, une variation du poids à la suite d’une réaction chimique n’aurait rien de surprenant. Cf. Rutherford, l. c., p. 474. Il est à remarquer que M. J.-J. Thomson a cru devoir établir, par voie expérimentale, la proportionnalité du poids et de la masse pour certains corps radioactifs.
  104. Cf. Guillaume. Revue générale des sciences, vol. VIII, 1897, p. 56.
  105. Ostwald. Vorlesungen ueber Naturphilosophie. Leipzig, 1902, p. 180, 192.
  106. Cf. H. Poincaré. L’état actuel et l’avenir de la physique mathématique. Revue des idées, I, 1904, p. 811-812 ; id. La valeur de la science, p. 196.
  107. Le Bon. L’évolution de la matière. Paris, 1905, p. 70.