Identité et réalité/Chapitre V

Félix Alcan (p. 169-193).

CHAPITRE V

LA CONSERVATION DE L’ÉNERGIE

La formule la plus générale de ce principe peut s’énoncer en ces termes : en toute modification d’un système isolé, l’énergie totale de ce système garde une valeur invariable[1]. Si l’on fait abstraction de la condition d’isolement, dont nous verrons tout à l’heure la portée, cette formule ressemble à celle de la conservation de la matière. Elle offre sur celle-ci l’avantage d’être plus précise : en effet, la matière est un concept très vaste, créé par le sens commun, alors que le concept d’énergie a été créé ad hoc par la science et présente par conséquent toute la précision voulue.

On peut définir l’énergie comme la capacité de produire un effet ou d’accomplir une œuvre, pour nous servir des termes de M. Duhem qui nous avons emprunté la formule du principe. « La force absolue » (on sait que ce terme a longtemps désigné ce que nous appelons énergie), dit Leibniz dans son Essai de dynamique, « doit être estimée d’après l’effet violent qu’elle peut produire[2] ». Un projectile qui se meut avec une certaine vitesse peut, s’il heurte un obstacle, produire un effet déterminé : nous dirons qu’il possède une certaine énergie. Mais ce même boulet placé à une certaine hauteur au-dessus du sol pourra, en tombant, produire un effet analogue. Nous avons donc le droit, au point de vue de l’effet accompli, d’assimiler ces deux concepts si différents : le mouvement et la position, et de former le concept d’énergie de position, comme nous venons de former celui d’énergie de mouvement ou cinétique. L’énergie de position est qualifiée plus communément de potentielle : nous aurons l’occasion de revenir sur la signification de ce terme. La somme des deux énergies, composant l’énergie totale du système, devra, de par le principe que nous avons énoncé, rester constante.

La conservation de l’énergie est le plus récent des trois grands principes mentionnés par nous ; elle ne fut définitivement établie que vers le milieu du xixe siècle. Toutefois, ses origines sont plus anciennes. Sans doute il ne pouvait en être question dans l’antiquité, puisque l’inertie elle-même, nous l’avons vu, y était inconnue. Quelques indications plus ou moins obscures relatives aux mouvements des bras d’un levier et à l’effet des corps qui tombent, que l’on trouve chez Aristote[3], peuvent seules être rapportées ici. Mais chez Galilée déjà nous trouvons d’importants commencements. Le grand physicien s’est rendu compte que, pour toutes les machines simples, le travail de la résistance égale celui de la puissance ; il en conclut qu’on ne peut avec leur aide créer du travail. Par contre, comme l’a justement observé M. H. Poincaré dont nous suivons ici l’admirable exposé[4], il ne dit pas que le travail ne puisse être détruit ; on ne peut donc pas prétendre qu’il ait affirmé la conservation de l’énergie pour les machines en question. Toutefois, dans un cas particulier, à savoir en ce qui concerne la chute des graves, Galilée a donné une formule qui conduit directement à ce principe.

C’est Descartes qui, le premier, a énoncé que quelque chose de défini, une grandeur déterminée, doit se conserver à travers les modifications que subit le mouvement des corps. C’est le principe de la conservation du mouvement. On sait que Descartes s’est complètement trompé en ce qui concerne l’expression de la grandeur même qui reste constante, il supposait qu’elle était égale au produit de la masse par la vitesse, au lieu du carré de la vitesse que nous posons actuellement : c’est là ce que Leibniz appelait, à bon droit du reste, son « erreur mémorable[5] ». Le mérite de Descartes, en cette matière, n’en reste pas moins très grand. C’est en suivant l’ordre d’idées indiqué par lui que Huygens et Leibniz sont parvenus à établir le principe des forces.

On attribue généralement cette découverte au second seul de ces grands savants. Mais il semble bien que Huygens l’avait énoncée avant lui. Seulement il la formulait en quelque sorte comme une pure proposition de géométrie, et sans en reconnaître la grande portée. C’est Leibniz qui l’a proclamée comme principe fondamental de la mécanique. C’est ainsi du moins que Jean Bernoulli, qui était presque contemporain et fort bien placé pour juger les choses, les a représentées[6].

Il est à remarquer que Descartes aussi bien que Leibniz jugeaient que les principes formulés par eux embrassaient la totalité des phénomènes de l’univers. « Dieu, dit Descartes, ne change jamais sa façon d’agir et conserve le monde avec la mesme action qu’il l’a creé… Et pour ce qu’il les maintient avec la mesme action et les mesmes loix qu’il leur a fait observer en leur création, il faut qu’il conserve maintenant en elles toutes le mouvement qu’il y a mis deslors, avec la propriété qu’il a donnée à ce mouvement, de ne demeurer pas tousjours attaché aux mesmes parties de la matière et de passer des unes aux autres, selon leurs diverses rencontres[7]. » Leibniz s’est exprimé avec beaucoup de clarté dans le même sens. Ajoutons le passage suivant à ceux que nous avons cités plus haut à propos du principe de causalité (p. 16). « J’avais soutenu que les forces actives se conservent en ce monde. On m’objecte que deux corps mous, ou non élastiques, concourant entre eux, perdent de leur force. Je réponds que non. Il est vrai que les Touts la perdent par rapport à leur mouvement total, mais les parties la reçoivent, étant agitées intérieurement par la force du concours. Ainsi ce défaut n’arrive qu’en apparence. Les forces ne sont détruites, mais dissipées parmi les parties menues. Ce n’est pas les perdre, mais c’est faire comme ceux qui changent la grosse monnaie en petite[8]. » Jean Bernoulli développa les mêmes idées. Ayant formulé la loi de la « conservation de la quantité des forces vives », il ajoute : « Ce serait obscurcir cette loi que d’entreprendre de la démontrer. En effet, tout le monde regarde comme un axiome incontestable que toute cause efficiente ne saurait périr, ni en tout, ni en partie, qu’elle ne produise un effet égal à sa perte. L’idée que nous avons de la force vive, en tant qu’elle existe dans un corps qui se meut, est quelque chose d’absolu, d’indépendant et de si positif, qu’elle resterait dans le corps, quand même le reste de l’Univers serait anéanti. Il est donc clair que la force vive d’un corps diminuant ou augmentant à la rencontre d’un autre corps, la force vive de cet autre corps doit en échange augmenter ou diminuer de la même quantité ; l’augmentation de l’un étant l’effet immédiat de la diminution de l’autre ; ce qui emporte nécessairement la conservation de la quantité totale des forces vives ; aussi cette quantité est-elle absolument inaltérable par le choc des corps[9]. » Tout comme Leibniz, d’ailleurs, Jean Bernoulli affirmait que la perte de force vive par le choc de corps imparfaitement élastiques ne pouvait être qu’apparente[10].

Ces déclarations furent bien comprises dans leur généralité, ainsi qu’on peut s’en rendre compte par la manière dont en jugent au xviiie siècle les hommes qui n’étaient pas des physiciens de métier, tels que A. de Haller[11] ou Voltaire[12].

Il semble paradoxal de prime abord que ces énoncés, où il n’est question que d’expressions purement mécaniques et d’où, en outre, le concept d’énergie potentielle est absent, puissent être en apparence aussi généraux que notre formule de la conservation de l’énergie. Mais, pour Descartes, il n’existait au monde d’autres phénomènes que les phénomènes mécaniques et Leibniz, on le sait, est sur ce point un pur cartésien. D’ailleurs, pour Descartes comme pour Leibniz, tout est masse et mouvement ; il n’existe pas d’action à distance et par conséquent pas d’énergie potentielle ; dès lors, la conservation de l’énergie de mouvement seule suffisait. Et bien qu’il ait naturellement supposé que la chaleur était un mouvement, Leibniz n’a certainement pas pensé, en parlant de la dissipation des forces, à la transformation de l’énergie mécanique en chaleur, mais à des mouvements purement mécaniques, quoique indiscernables, des particules.

Dans le courant du xviiie siècle, le concept de chaleur-matière prévalut peu à peu sur celui de chaleur-mouvement. Cela résultait des principes de la physique newtonienne : le concept de la chaleur-mouvement, comme le remarque M. Duhem[13], y était un reste de physique cartésienne. Surtout depuis les travaux de Deluc, de Black et de Wilke[14], le triomphe de la première de ces théories sembla complet. Dès lors, la chaleur est traitée en véritable substance qui passe d’un corps à un autre sans que sa quantité (qu’on avait appris à mesurer) subisse une modification et qui, si elle cesse de se manifester à notre sensation et si le thermomètre ne la décèle pas, n’en continue pas moins d’exister dans un état particulier ; Black l’avait appelé l’état « latent », et ce concept de chaleur latente, c’est-à-dire ne se manifestant pas, mais susceptible de se manifester dans certaines conditions, appartient évidemment à la même famille que celui d’énergie potentielle dont fait usage la physique moderne. En effet, l’énergie qui a été mouvement et qui est susceptible de le redevenir ne se manifeste pas non plus comme mouvement tant qu’elle reste potentielle ; tout comme pour la chaleur latente, nous sommes obligés de lui supposer un état particulier. On verra d’ailleurs plus bas que Lazare Carnot désignait comme force vive latente ce que nous appelons énergie potentielle.

L’invention et la rapide vulgarisation du moteur thermique ne changèrent en rien cette situation : ni Watt, ni ses successeurs ne considérèrent ces phénomènes au point de vue de la transformation de la chaleur en mouvement mécanique.

Cependant les idées de Leibniz, continuaient à fructifier, et, par une sorte de sous-courant lent et puissant, les conceptions dont l’ensemble constitue notre principe de la conservation de l’énergie s’élaboraient peu à peu.

Vers la fin du xviiie siècle Lavoisier et Laplace[15], complétant la pensée de Leibniz, rattachent la production de la chaleur par frottement à la conception de la chaleur-mouvement et définissent la chaleur comme la somme des produits de la masse de chaque molécule par le carré de sa vitesse, c’est-à-dire la « force qui résulte des mouvements insensibles des molécules d’un corps ».

Au commencement du xixe siècle, Rumford et un peu plus tard Humphry Davy[16], à l’aide d’expériences directes qui ont un grand retentissement, démontrent la transformation du mouvement en chaleur. Fresnel, dans un ouvrage de vulgarisation, affirme nettement que « la quantité de forces vives qui disparaît comme lumière est reproduite en chaleur[17]. »

D’un autre côté, Lazare Carnot formule le concept de force vite latente[18], que Poncelet précise en l’appelant travail[19] — concept identique à celui que nous désignons actuellement comme énergie potentielle.

Dès lors, l’éclosion du principe est toute préparée. En 1839 un ingénieur, Séguin, dans un ouvrage sur la construction des chemins de fer, formule, pour ainsi dire en passant, des idées qui s’en rapprochent beaucoup[20].

Antérieurement à Séguin, le puissant esprit de Sadi Carnot avait clairement conçu le principe dans toute son étendue et calculé un chiffre pour l’équivalent mécanique de la chaleur. Mais ces découvertes, par suite de la mort prématurée du grand théoricien, sont restées enfouies dans ses notes manuscrites qui n’ont été publiées qu’en 1871[21].

En dépit de tout, la théorie de la chaleur-matière restait dominante. Sadi Carnot, dans son célèbre opuscule paru en 1824, avait fondé ses recherches sur cette conception. « La production de la puissance motrice, dit-il, est due, dans les machines à vapeur, non à une consommation réelle du calorique, mais à son transport d’un corps chaud à un corps froid[22]. »

Le travail de J.-R. Mayer[23] paru en 1842 est la première en date des publications sur le principe de la conservation de l’énergie, dans son sens actuel. Les travaux de Colding sont à peu près contemporains de ceux de Mayer, mais ont été publiés un peu plus tard[24]. L’attention du monde savant ne fut attirée cependant que par les recherches expérimentales de Joule, dont la première publication date de 1843[25]. Le travail de Helmholtz[26], publié en 1847 et qui donnait une interprétation mécanique complète du principe, contribua à assurer son triomphe.

La conservation de l’énergie est-elle une loi empirique ? Les physiciens ont quelquefois trouvé commode de la traiter comme telle ; mais M. H. Poincaré, en procédant ainsi, a eu soin d’avertir le lecteur que cette conception n’est pas conforme à la vérité historique[27]. En effet il faut alors, négligeant complètement le développement que nous avons tenté de retracer, prendre pour point de départ les travaux de Joule, en les considérant, non pas comme une vérification du principe (ce qu’ils étaient en réalité), mais comme une démonstration expérimentale. Mais les résultats de Joule[28] s’y prêtent encore infiniment moins que ceux de Lavoisier pour la conservation de la matière. Les chiffres du physicien anglais varient dans des limites extraordinairement larges ; la moyenne à laquelle il arrive est de 838 livres-pieds (pour la quantité de chaleur capable d’accroître la température d’une livre d’eau d’un degré de l’échelle de Fahrenheit) ; mais les diverses expériences d’où est tirée cette moyenne fournissent des résultats variant de 742 à 1 040 livres-pieds, c’est-à-dire de plus du tiers de la valeur la plus réduite, et il note même une expérience qui donne 587 livres-pieds, sans que d’ailleurs l’auteur y relève une source d’erreurs expérimentales particulièrement graves. Ce n’est que dans le post-scriptum de ce travail que Joule relate une série d’expériences donnant comme résultat 770 livres-pieds par livre-degré (Fahrenheit), ce qui se rapproche sensiblement de nos estimations actuelles. Si l’on considère d’ailleurs qu’à ce moment Sadi Carnot[29] et J.-R. Mayer[30] avaient déjà, chacun de leur côté, calculé l’équivalent de la chaleur, et étaient parvenus aux chiffres de 370 et de 365 kilogrammètres (ce qui est inférieur de plus d’un huitième à la valeur de Joule) il devient vraiment difficile de supposer qu’un savant consciencieux, en se fondant uniquement sur ces données expérimentales, eût pu arriver à la conclusion que l’équivalent devait constituer, dans toutes les conditions, une donnée invariable.

Depuis Mayer et Joule, des travaux très minutieux, en nombre considérable, ont été exécutés sur cette importante question. Les résultats n’ont pas toujours été tout à fait concordants, comme le constate M. Lippmann[31]. Sans doute, les physiciens arrivent à calculer une valeur moyenne et les écarts sont assez réduits pour qu’on puisse les mettre sur le compte d’erreurs d’expériences. Il n’en reste pas moins que cette explication est nécessaire, ce qui veut dire que les résultats immédiats des recherches ne conduisent pas directement à la constatation de l’invariabilité de l’équivalent.

Il est à noter que toutes les données relevées ci-dessus proviennent de travaux spécialement entrepris en vue de déterminer le rapport en question et exécutés dans certaines conditions très particulières, jugées les plus favorables au point de vue de la facilité de ces expériences, telles que, par exemple, les températures moyennes, etc. On ne peut pas, comme nous l’avons fait pour la conservation de la matière, invoquer ici les résultats d’expériences quotidiennes. Hirn a essayé de déduire l’équivalent à l’aide d’un grand nombre d’observations sur des machines à vapeur : il est arrivé à des chiffres variant entre 300 et 400[32] et ces résultats ont été considérés généralement comme remarquables, étant données les difficultés du problème.

Ces difficultés proviennent d’un fait physique primordial : bien plus que la matière, l’énergie tend à se dissiper et il est fort malaisé d’empêcher cette dissémination. La matière, depuis que nous avons appris à capter les gaz, est toujours et partout aisément saisissable. Il n’en est pas de même de la chaleur : nous ne connaissons pas de corps qui soit complètement imperméable à son action, et même le vide ne constitue qu’un isolateur imparfait. C’est ce qui explique que, dans la formule du principe de la conservation de l’énergie, on soit obligé de spécifier l’isolement du système. On fait tacitement la même réserve pour la conservation de la matière ; on ne l’énonce pas, le plus souvent, parce qu’elle est aisée à réaliser[33]. Nous savons cependant, depuis les travaux de Bunsen et de Berthelot, que les solides ne sont pas entièrement imperméables aux gaz[34] et MM. Warburg et Ch.-Éd. Guillaume[35] nous ont appris que, dans certaines conditions, le verre peut être traversé par du sodium ou du lithium. Nous n’avons qu’à nous imaginer cette perméabilité considérablement accrue pour être obligés de formuler des réserves analogues[36].

Que devrait être en réalité une démonstration expérimentale valable de la conservation de l’énergie ? Il faudrait une série considérable d’expériences démontrant qu’à travers toute sorte de transformations, dans les conditions les plus diverses, les différentes formes de l’énergie se transforment l’une dans l’autre d’après des équivalents restant constants, dans les limites des erreurs des instruments de mesure. C’est, semble-t-il, à une démonstration de ce genre que pensait Helmholtz en 1847 quand, après avoir fourni la double déduction dont il sera question plus bas, il terminait en déclarant que « la confirmation complète de la loi doit être considérée comme une des tâches principales que la physique aurait à accomplir dans les années à venir[37] ».

Or, aujourd’hui encore, la tâche ainsi comprise ne peut être remplie. Il n’est même pas bien certain que, si nous pouvions très exactement mesurer toute l’énergie à nous connue et qui entre en jeu dans un phénomène quelconque, nous la trouverions vraiment constante ; et ceci pour la raison bien simple que nous ne sommes nullement assurés de connaître toutes les formes de l’énergie. Pour affirmer le contraire, il faudrait que nous établissions entre les formes connues une relation d’où découlerait qu’elles sont les seules possibles. Or nous ne connaissons pas de relations de ce genre, ou plutôt celles que nous connaissons semblent indiquer qu’il doit y avoir de grandes lacunes dans notre savoir. Voici un faisceau de rayons solaires, c’est-à-dire de l’énergie de toute sorte qui nous vient du soleil, à travers l’espace ou le milieu semi-matériel dont nous sommes forcés de supposer l’existence. Nous faisons passer ces rayons à travers un prisme ; ils se dispersent et forment le spectre lumineux. Mais ce faisceau, nous le savons, contenait aussi des vibrations d’une fréquence plus grande et d’autres d’une fréquence moins grande que celle des rayons lumineux. En deçà des rayons rouges, il y a des rayons caloriques ; et au delà des rayons violets, les ultraviolets, accusés par l’action chimique, les corps phosphorescents, etc. Pouvons-nous affirmer qu’il n’y a pas de vibrations dans les rayons solaires, en dehors de celles que nous venons d’indiquer ? Cela n’est même pas probable. En étudiant la situation des parties explorées du spectre, telle qu’elle a été dressée par exemple par M. Ch.-É. Guillaume[38] on peut se rendre compte que celles-ci sont arbitrairement distribuées. On arrive à une constatation analogue en étudiant les rapports entre l’électricité et les rayons du spectre. Entre les oscillations électriques les plus rapides d’une part et les ondes les plus longues du spectre, il reste un intervalle égala celui qui sépare les rayons ultra-violets et infra-rouges les plus distants.

À supposer que ces intervalles soient entièrement comblés, qui oserait affirmer qu’il ne peut y avoir de manifestations d’énergie en dehors de ces limites ? Nous sommes entièrement ignorants de la nature du phénomène fondamental que nous supposons, à l’heure actuelle, électrique et que nous assimilons à une ondulation. On ne saurait donc prétendre a priori que l’éther soit incapable de développer de l’énergie sous une forme toute différente.

En réalité, notre connaissance des formes de l’énergie tient à des causes purement accidentelles, à ce que nous possédons des organes des sens pour la perception de certaines d’entre elles, et que, pour d’autres, nous avons découvert, plus ou moins fortuitement, des phénomènes qui les rendent apparentes, tels que l’action des rayons ultra-violets sur certaines substances chimiques. C’est ainsi, comme le fait ressortir M. Le Bon, que pendant vingt-cinq ans on a manié les tubes de Crookes et ignoré les rayons de Rœntgen. On les ignorerait toujours sans les plaques photographiques et la phosphorescence[39]. Il convient de se rappeler, à ce propos, combien est peu ancienne la découverte de l’électricité. Elle nous apparaît certainement aujourd’hui comme une des formes primordiales de l’énergie, voire même comme la forme primordiale. Or, elle date des travaux de Gilbert, c’est-à-dire de trois siècles à peine. La seule expérience électrique qu’aient connue l’antiquité et le moyen âge — la propriété de l’ambre frotté — paraissait une pure amusette ; y rattacher le phénomène grandiose de la foudre eût semblé le plus étrange des paradoxes. Ne serait-il pas téméraire d’affirmer que l’avenir ne nous réserve point de surprises du même genre ? Les dernières découvertes dans ce domaine, les ondes hertziennes, les rayons de Rœntgen, et la plus retentissante d’entre elles, celle des corps radioactifs, datent d’hier. On peut donc se demander légitimement si dans nombre de transformations il ne naît pas des formes d’énergie restées insoupçonnées jusqu’à ce jour ; il est certain qu’en supposant même la constance de E, les résultats expérimentaux obtenus jusqu’ici et qui, nous l’avons vu, varient entre des limites relativement étendues, ne permettent pas d’affirmer que même les transformations que nous croyons fort bien connaître ne donneront pas matière à des découvertes de cette nature dans l’avenir.

Ainsi, tout comme pour le principe de la conservation de la matière, mais à un degré bien supérieur, nous constatons que la certitude dont nous paraît revêtu le principe de la conservation de l’énergie dépasse de beaucoup ce que sembleraient comporter les données expérimentales. Cette « position privilégiée » du principe a frappé très justement M. H. Poincaré[40]. Un autre maître de la physique contemporaine, M. Lippmann, en résumant les recherches sur l’équivalent mécanique de la chaleur, s’exprime en ces termes : « Les écarts entre les diverses valeurs obtenues pour E sont toujours assez petits pour qu’on puisse les mettre sur le compte d’erreurs d’expériences… Une conséquence importante n’en découle pas moins de l’ensemble des déterminations qui ont été faites de E, c’est son invariabilité : il peut rester dans l’esprit quelque incertitude sur la véritable valeur de ce nombre, mais aucun doute n’est possible sur l’exactitude absolue du principe d’équivalence[41]. » Il est évident que si les expériences ne peuvent nous fixer sur la véritable valeur du nombre, elles peuvent moins encore nous démontrer qu’il est réellement invariable. Dès lors la conviction de l’exactitude absolue du principe doit provenir d’une autre source : nous avons vu que son historique concourt à cette démonstration.

De même que pour la conservation de la matière, l’aprioricité de la conservation de l’énergie a été proclamée par les philosophes au lendemain presque de la découverte de ce principe. Herbert Spencer, sous la forme un peu nébuleuse de la « conservation de la force » (persistence of force) combinée avec la « continuité du mouvement », lui prête un caractère axiomatique, tout comme à l’inertie et à la conservation de la matière[42]. Stallo constate également que la conservation de l’énergie « bien qu’elle n’ait été formulée que récemment à titre de principe scientifique distinct, est aujourd’hui universellement regardée comme ayant la même évidence et la même dignité d’axiome que l’indestructibilité de la matière ». Sans doute, Stallo semble rattacher cette opinion aux théories mécaniques ; mais comme il ne la réfute pas dans la suite, contrairement à ce qu’il fait pour ces théories en général, on est amené à conclure qu’il approuve cette manière de voir[43]. M. Lasswitz croit pouvoir déduire a priori, par une voie un peu détournée, soit la conservation de l’énergie elle-même[44], soit au moins celle d’une fonction quelconque du mouvement[45]. Spir également tente de déduire directement la conservation de l’énergie de la nécessité d’une transmission du mouvement[46].

Bien entendu, c’est l’identité causale que nous retrouverons au fond de toutes ces déductions. Si Spencer déclare inconcevable que le mouvement, la force puissent être créés ou détruits, c’est qu’en son imagination il les a transformés en entités, en substances : c’est pour la même raison que Stallo croit sans doute que la constance de la masse et celle de l’énergie pourront conserver leur « dignité d’axiomes », alors que le mécanisme, sur lequel ces principes semblaient s’appuyer, se trouvera ruiné. La démonstration de M. Lasswitz revient également à affirmer a priori que quelque chose doit persister dans la transformation du mouvement — ce qui est, nous l’avons vu, la forme la plus exacte du principe causal.

Si nous examinons de plus près à ce point de vue les principaux travaux que nous avons énumérés en faisant l’historique du principe, nous nous rendrons compte de même que partout la causalité constitue le véritable ressort moteur. Descartes, on l’a vu, déduit son principe de la conservation du mouvement directement de « l’immutabilité de Dieu », c’est-à-dire de l’identité de l’univers dans le temps ; et c’est à propos de la conservation des forces vives que Leibniz donne précisément du principe de causalité la formule rigoureuse dont nous nous sommes servis dans notre premier chapitre. C’est qu’en effet on ne saurait trouver un exemple plus net et plus frappant de l’emploi de la notion d’identité dans le temps. Avec sa vigueur d’esprit et sa pénétration merveilleuses, Leibniz a vu clairement ce qu’il faisait et est allé droit au but. La cause et l’effet doivent être identiques, interchangeables. Or, cela n’est possible que si le produit de la masse par le carré de la vitesse reste constant. Donc, c’est bien cette expression qui se maintient à travers les phénomènes changeants et qui est la véritable mesure de la force.

J.-R. Mayer s’exprime ainsi, tout au début de son célèbre travail de 1842 : « Les forces sont des causes et par conséquent il y a lieu de leur appliquer pleinement le principe : causa aequat effectum[47]. » Il en déduit que les forces sont « des objets indestructibles » changeants (wandelbar), impondérables[48] » et il répète encore une fois : « Nous terminons nos thèses qui se déduisent avec nécessité du principe causa aequat effectum[49]. » Après quoi, à l’aide d’un calcul unique, il cherche à déterminer l’équivalent ; c’est là une preuve qu’il était sincère dans sa déduction, car ce calcul n’aurait aucun sens si Mayer n’était pas parvenu par une autre voie à la conviction que E devait être une vraie constante : on voit que cet argument s’applique aussi à Sadi Carnot qui paraît avoir également cherché à déterminer E à l’aide d’un calcul unique, probablement le même que celui de Mayer.

Colding raisonne comme Bernoulli : « Puisque les forces sont des êtres spirituels et immatériels, puisque ce sont des entités qui ne nous sont connues que par leur empire sur la nature, ces entités doivent être sans doute très supérieures à toute chose matérielle existante ; et comme il est évident que c’est par les forces seulement que s’exprime la sagesse que nous apercevons et que nous admirons dans la nature, ces puissances doivent être en relation avec la puissance spirituelle, immatérielle et intellectuelle elle-même qui guide le progrès de la nature ; mais s’il en est ainsi, il est absolument impossible de concevoir que ces forces soient quelque chose de mortel ou de périssable. Sans aucun doute, par conséquent, elles doivent être regardées comme impérissables[50]. » Ainsi Colding estime qu’il suffit d’établir la haute importance de la notion de force, d’exalter pour ainsi dire le rang de cette notion, pour en déduire que la force doit être une substance, qu’elle doit se conserver. La forme quasi-théologique du raisonnement rappelle d’ailleurs celle de la déduction analogue de Descartes à propos de l’inertie (p. 130).

Joule semble, à première vue, procéder par induction. « Ayant démontré que la chaleur est engendrée par la machine magnéto-électrique… il devient très intéressant de rechercher si un rapport constant existe entre cette chaleur et la force (power) mécanique gagnée ou perdue[51]. » Rien, semble-t-il, de plus correct, au point de vue des principes du raisonnement a posteriori, que de poser le problème de cette manière. Seulement, une fois ces expériences instituées, comme leurs résultats étaient, nous l’avons vu, fort divergents, Joule, au lieu d’en conclure que ce rapport n’était pas constant, mais variable, a tiré une moyenne du tout et l’a proclamée comme la valeur réelle dudit rapport ; c’est donc qu’il était convaincu d’avance de sa constance.

D’ailleurs Joule a eu bien soin d’indiquer quelles étaient les sources de cette conviction. « Nous pourrions déduire a priori, dit-il dans un travail un peu postérieur, qu’une telle destruction absolue de force vive (mv²/2) ne saurait avoir lieu, car il est manifestement absurde de supposer que les forces (powers) dont Dieu a doué la matière puissent être détruites par l’action de l’homme ou créées par celle-ci ; mais nous ne sommes pas réduits à cet argument seul, quelque décisif qu’il doive paraître à tout esprit dénué de préjugé[52]. » M. Mach, à propos de ce passage, observe plaisamment que Joule n’aurait sans doute pas consenti à soumettre son affirmation concernant Dieu à un synode religieux[53]. Mais ce n’est là évidemment qu’une boutade ; le Dieu dont parle Joule n’a rien de commun avec la théologie : il est, comme celui de Descartes et de Leibniz dans quantité de passages analogues, comme celui de Colding dans l’extrait que nous venons de citer, un symbole de l’ordre général de la nature, et, dans le cas particulier, de l’immutabilité essentielle des choses, c’est-à-dire du principe causal.

Helmholtz, dans son travail de 1847, invoque, tout comme ses prédécesseurs, le principe causal[54] et dix ans plus tard encore, Faraday, en exposant ses idées sur la conservation de l’énergie, ne songe pas un seul instant à la traiter en loi expérimentale, mais fonde sa conviction sur l’égalité de la cause et de l’effet[55].

À côté de ces déductions purement causales, qui dominent incontestablement, on en trouve d’autres où la causalité semble moins directement mise en jeu. Elles appartiennent à deux types principaux : la démonstration par les forces centrales et celle qui est tirée de l’impossibilité du mouvement perpétuel : toutes les deux se trouvent formulées dans le travail de Helmholtz de 1847. La première consiste à supposer que tous les phénomènes du mouvement sont exclusivement régis par des forces émanant de centres et dont l’action se produit suivant des droites qui joignent ces centres deux à deux, d’après une loi qui ne dépend que de la distance ; la conservation de l’énergie peut alors être déduite par voie mathématique. Nous avons discuté plus haut (p. 63) la légitimité de cette hypothèse : nous avons vu qu’elle ne correspond point à la réalité des choses. Mais faisons abstraction pour le moment de ces objections ; qu’est-ce que la supposition de corps ou de particules discrètes exerçant des forces immuables dans le temps ? C’est, nous l’avons vu, une forme de l’hypothèse mécanique, c’est-à-dire une conception purement causale, une image du monde créée de toutes pièces uniquement en vue de satisfaire notre tendance à conserver l’identité dans le temps. Au fond de cette démonstration il n’y a donc pas autre chose que l’identité entre l’antécédent et le conséquent, la cause et l’effet, tout comme chez Leibniz et chez Mayer.

L’impossibilité du mouvement perpétuel a été affirmée de bonne heure. Léonard de Vinci se sert de ce principe[56], et de même Cardan[57]. Galilée affirme qu’on ne peut créer un tel mouvement à l’aide des machines simples (voir plus haut p. 170). Toutefois, ce n’est pas là pour lui un principe indépendant, il le déduit des conditions du fonctionnement de ces machines. Un peu plus tard, Stévin se sert au contraire de cette impossibilité, qu’il considère comme évidente par elle-même, pour déduire les règles des machines. Stévin suppose une chaîne sans fin posée sur un triangle à côtés inégaux et dont la base est horizontale. Les deux parties de la chaîne, posées sur les côtés inclinés, doivent nécessairement se faire équilibre ; car la partie qui pend en bas, étant symétrique, ne saurait exercer aucune influence ; et si une des parties de la chaîne avait le pouvoir de tirer le système de son côté, comme, après ce mouvement, la même situation se reproduirait « ce mouvement n’aurait aucune fin, ce qui est absurde[58] ». Leibniz s’est servi de l’impossibilité du mouvement perpétuel pour la démonstration de la conservation de la force vive[59] et Huygens aussi en a fait usage[60]. Sadi Carnot la place également à la base de la démonstration de son principe[61]. Helmholtz en 1847 a montré qu’il est possible d’en déduire le principe de la conservation de l’énergie.

Pour que la démonstration soit valable, il importe, bien entendu, que nous sachions exactement à quoi nous en tenir sur l’énoncé qui en forme la base ; est-ce une vérité apriorique ou une règle empirique ? Pour Leibniz, c’est un simple corollaire du principe causal : si le mouvement perpétuel était possible, l’effet serait plus grand que la cause[62]. Huygens s’exprime avec beaucoup de prudence ; l’impossibilité lui semble acquise pour des systèmes purement mécaniques ; mais il admet que pour d’autres « physico-mechanice comme en emploiant la pierre d’aimant, il y ait quelque espérance[63] ». Carnot considère également que le mouvement perpétuel est « démontré impossible par les seules actions mécaniques ». Mais, ajoute-t-il, « peut-on concevoir les phénomènes de la chaleur et de l’électricité comme dus à autre chose qu’à des mouvements quelconques des corps, et comme tels, ne doivent-ils pas être soumis aux lois générales de la mécanique[64] » ? Pour Helmholtz, c’est une vérité d’expérience ; l’impossibilité a été démontrée par l’infructuosité absolue des innombrables recherches, et solennellement proclamée à un moment donné par l’Académie des sciences de Paris[65]. L’opinion de Helmholtz est évidemment paradoxale. Il n’est pas tout à fait inconcevable, sans doute, que nous puissions parvenir, par l’expérience seule, à une proposition purement négative et très générale : tel est à peu près le cas du principe de Carnot auquel nous sommes certainement portés à attribuer une formule négative. Mais ce principe découle immédiatement, sans qu’il y ait besoin d’interprétation, d’expériences que nous faisons pour ainsi dire sans cesse. Il n’y a rien de pareil pour le mouvement perpétuel ; l’observation quotidienne ne nous donne en aucune façon la conviction de son impossibilité, témoin précisément la foule innombrable des chercheurs[66]. On pourrait encore, à la rigueur, supposer qu’une expérimentation très vaste et entreprise selon un plan rigoureux, de manière à comprendre les phénomènes dans des limites très étendues, nous conduirait à une proposition de ce genre. Mais peut-on réellement assimiler à une telle expérimentation les recherches bien souvent extravagantes de ces inventeurs ? Personne ne s’est même jamais donné la peine de classer méthodiquement leurs travaux — la tâche serait d’ailleurs aussi ardue que stérile. Or, une série quelconque d’expériences entreprises sans succès ne saurait suffire pour démontrer l’insolubilité d’un problème, sans quoi beaucoup de grandes découvertes, la veille de leur réalisation, auraient pu être démontrées impossibles. L’humanité cherche probablement le vol dynamique depuis plus longtemps qu’elle ne cherche le mouvement perpétuel, ainsi qu’en témoignent des légendes qui se trouvent dans le folk-lore d’un grand nombre de peuples ; ces recherches ont été infructueuses jusqu’à présent, et personne pourtant ne songe à ériger en principe cette stérilité. Il est exact qu’un certain discrédit s’attache aujourd’hui aux recherches du mouvement perpétuel ; mais il s’en faut cependant de tout qu’un consensus omnium (un véritable sentiment catholique) se soit établi à ce sujet. On continue toujours à inventer le mouvement perpétuel, même par des moyens purement mécaniques, et ces tentatives ont quelquefois pour auteurs des esprits ingénieux et point entièrement dépourvus de culture technique, comme en témoigne par exemple l’invention dont le Times s’est occupé assez récemment[67]. Remarquons que le collaborateur du journal anglais, pour faire ressortir la stérilité de cette tentative, ne fait pas valoir les résultats négatifs du passé, mais la conservation de l’énergie ; c’est là incontestablement le sentiment général, l’impossibilité du mouvement perpétuel s’appuie sur ce dernier principe, et non inversement. Ce sentiment est d’ailleurs conforme à la manière de voir des grands esprits dont nous avons cité les noms plus haut. Il ne saurait y avoir de doute pour Leibniz ; mais Huygens et Carnot, en affirmant l’impossibilité pour des actions purement mécaniques, songeaient sans doute au principe des forces vives ; peut-être Carnot pensait-il en outre à une déduction de la conservation de l’énergie par les forces centrales ; et très certainement l’impossibilité du mouvement perpétuel ne leur apparaissait pas comme un fait expérimental. La fameuse décision de l’Académie des sciences invoquée par Helmholtz ne saurait servir sa thèse, bien au contraire. Elle fut prise en 1775 ; l’Académie annonçait qu’à l’avenir elle n’examinerait plus « aucune solution des problèmes de la duplication du cube, de la trisection de l’angle ou de la quadrature du cercle, ni aucune machine annoncée comme un mouvement perpétuel ». Voici en quels termes l’Histoire de l’Académie rend compte des motifs de cette dernière décision : « La construction d’un mouvement perpétuel est absolument impossible : quand même le frottement, la résistance du milieu ne détruiroient point à la longue la résistance de la force motrice, cette force ne peut produire qu’un effet égal à sa cause : si donc on veut que l’effet d’une force finie dure toujours, il faut que cet effet soit infiniment petit dans un tems fini. En faisant abstraction du frottement et de la résistance, un corps à qui on a une fois imprimé un mouvement le conserveroit toujours ; mais c’est en n’agissant point sur d’autres corps, et le seul mouvement perpétuel possible dans cette hypothèse (qui d’ailleurs ne peut avoir lieu dans la nature) serait absolument inutile à l’objet que se proposent les constructeurs de mouvemens perpétuels[68]. » C’est encore, on le voit, la démonstration par la conservation de la force vive, fondée, comme chez Leibniz, sur l’égalité de l’effet et de la cause. Sans doute, dans l’idée de ses auteurs, cette résolution ne s’appliquent directement qu’aux mécanismes purs ; quelques-uns étaient probablement d’avis, comme Huygens, qu’en dehors de ces derniers, l’impossibilité n’était pas démontrée. En tout cas, c’est ainsi que cette résolution fut comprise du monde savant. On continua à chercher le mouvement perpétuel et les chercheurs, comme le dit très justement M. Duhem[69], n’étaient pas tous des fous. De même, on accepta très docilement les idées de Volta sur l’électricité de contact, d’où pourtant découlait la possibilité de trouver un système susceptible de fournir indéfiniment de l’énergie électrique sans s’user et sans être surveillé, possibilité que le grand physicien italien a expressément affirmée[70]. En 1833 encore un physicien notable, Muncke, a maintenu, tout à fait dans le sens de Huygens, que le mouvement perpétuel physique était possible, en citant à l’appui le système planétaire, la rotation de la terre, les rivières, le baromètre et l’aiguille aimantée[71]. Et si, à l’heure actuelle, la conviction contraire est devenue générale, c’est, on n’en saurait douter, parce que tout le monde croit à la conservation de l’énergie[72].

Il nous reste pourtant la démonstration de Stévin. M. Duhem[73] pense que Stévin a puisé sa foi chez Cardan, c’est-à-dire dans des considérations sur la puissance nécessaire pour maintenir une machine en mouvement. Cela se peut, mais ne ressort pas de sa déduction, qui est directe et, incontestablement, d’une grande force démonstrative, bien que des contemporains, entre autres Mersenne, aient émis des doutes à ce sujet[74].

Il y a certainement des mouvements que nous sentons d’instinct impossibles, et chaque fois que l’on pourra, dans une démonstration, simplifier le phénomène suffisamment pour le ramener, par exemple, au type de « la pierre qui remonte par son propre poids » notre conviction sera acquise. Mais cette clarté qui nous semble parfaite tant qu’il s’agit de phénomènes simples, s’atténue immédiatement dès que ceux-ci se compliquent. C’est qu’il n’y a pas là de vérité de raison. La loi de la pesanteur elle-même est purement empirique. Comme nous voyons continuellement les corps tendre vers la terre, nous concevons qu’il y a là une règle générale, une loi. Mais cela ne nous fait pas comprendre ce que c’est que la pesanteur, nous ne parvenons pas à y reconnaître une nécessité logique, et notre raison refuse de se prononcer dès qu’on nous parle de circonstances foncièrement différentes de celles que nous connaissons. Au fond, le fait qu’un petit poids puisse en soulever un grand est tout à fait contraire à notre sentiment immédiat, et nous avons tous été choqués d’apprendre que ce résultat pouvait être obtenu à l’aide d’un bras de levier approprié. C’est ce qui explique qu’il y ait tant de gens cherchant toujours le mouvement perpétuel, même par des moyens purement mécaniques[75].

Ainsi la conservation de l’énergie, tout comme l’inertie, comme la conservation de la matière, n’est ni empirique ni apriorique ; elle est plausible.

Cette vérité peut même être établie, sinon plus complètement, du moins plus directement pour l’énergie que pour la vitesse ou pour la masse.

D’abord, au point de vue historique, nous avons vu que la conservation est postulée avant même que le concept ne se précise. On veut que quelque chose se conserve, Descartes et ses contemporains l’affirment, tout en se trompant complètement sur la nature de ce qui se conserve. Il se peut que l’erreur soit d’origine expérimentale[76], mais il est certain que l’expérience de Mersenne qui fournissait le point de départ, à supposer même qu’elle fût exacte, n’autorisait pas, à beaucoup près, une généralisation aussi vaste. Il est tout aussi remarquable que, pendant toutes les discussions qui ont eu lieu au xviie et au xviiie siècle sur la question de la mesure de la force, mesure et conservation aient été absolument confondues. Si une force (nous disons une énergie) est susceptible d’exercer un certain effet, la force qui pourra exercer un effet identique devra être estimée égale à la première ; mais il ne s’ensuit point que la force doive égaler son effet. Or, c’est au contraire cette seconde formule, comme il est aisé de s’en convaincre, qui est au fond des discussions dont nous venons de parler. Enfin, il est clair que la découverte de Mayer et de Joule ne faisait que substituer un concept de constance à d’autres, déjà préexistants, qu’elle détruisait par là même. Leibniz supposait indestructible l’énergie mécanique et, d’autre part, Deluc, Black et Wilke admettaient l’indestructibilité de la chaleur-matière. Ce que nous appelons le principe de la conservation de l’énergie a consisté à démontrer au contraire qu’aussi bien la chaleur que l’énergie mécanique, prises isolément, peuvent naître et périr, mais qu’alors la disparition de l’énergie mécanique est accompagnée de l’apparition d’une certaine quantité d’énergie calorique et vice versa.

On arrive à des conclusions analogues en examinant de près le concept de l’énergie tel que nous le trouvons dans la science actuelle. Le concept de la masse n’est que l’expression du rapport suivant lequel les corps agissent les uns sur les autres. Cette action, en réalité, est strictement déterminée, c’est l’action mécanique : le rapport serait tout différent si nous prenions pour base l’action électrique ou calorique. D’ailleurs, par suite du principe d’inertie qui exprime que l’état du mouvement du corps est indifférent, pourvu que ce mouvement soit rectiligne et uniforme, nous avons la possibilité, pour déterminer le rapport en question, de partir d’un état initial qui nous apparaît comme identique : le repos relatif. Enfin, une expérience incessante nous fait connaître les rapports entre tous les corps qui nous entourent et un corps unique, toujours le même, la terre. C’est ce qui fait que la masse nous apparaît non plus comme un rapport entre deux corps, mais comme un coefficient s’attachant à chaque corps en particulier, comme une propriété du corps, après quoi la causalité se charge de la transformer en substance. Mais il n’en va pas de même de l’énergie ; elle reste un rapport et si l’on veut la concevoir comme une propriété, ce sera la propriété d’un système et non pas celle d’un corps. Sans doute on trouve quelquefois, surtout dans des livres de vulgarisation, des expressions qui feraient supposer le contraire ; on dit par exemple que tel corps constitue un « réservoir d’énergie » ; mais c’est que l’on sous-entend une foule de conditions. Ainsi une masse de houille est susceptible, en brûlant, de dégager un nombre de calories connu. Mais si notre atmosphère était composée de chlore gazeux, ce rapport serait tout autre. Deux corps célestes dégageraient, en tombant l’un sur l’autre, une quantité d’énergie calorique que nous pouvons calculer ; mais si ensuite il se produisait des réactions chimiques entre les composants de ces masses, cette chaleur s’accroîtrait d’un chiffre inconnu. Même en restant dans le domaine purement mécanique, nous ne parvenons point à rattacher l’énergie, comme propriété, aux corps : cette masse que je tiens dans ma main peut tomber sur le sol de ma chambre, dans la rue ou dans un puits que je peux m’imaginer aussi profond que je veux ; je puis aussi me figurer qu’elle tombera sur le soleil qui, incontestablement, l’attire, et la somme d’énergie que dégagera chacun de ces phénomènes sera très différente. Il est impossible de jauger d’avance, en ne considérant qu’un corps et non pas un système, quelle est la somme d’énergie qu’il est susceptible de dégager ; celle-ci est proprement infinie, même à l’intérieur de chaque corps, car nous n’avons qu’à supposer les corps composés de centres de forces pour qu’en faisant coïncider deux de ces centres, nous obtenions un travail infini. Lord Kelvin a introduit le terme d’énergie intérieure totale (total internal energy) et bien des physiciens s’en sont servis à sa suite. Mais il faut se rappeler que cette grandeur est définie par rapport à un état considéré comme normal (standard state), elle est donc susceptible de prendre une valeur négative[77]. Hertz fait remarquer à juste titre que cette supposition serait absurde pour une véritable substance, celle-ci, bien entendu, ne pouvant être conçue que comme une grandeur positive, et que, dans ces conditions, l’énergie potentielle résiste à toute définition lui attribuant les propriétés d’une substance[78]. Pour notre imagination la matière est quelque chose de réel et l’énergie n’est qu’une intégrale.

Il y a d’autres difficultés, tout aussi graves. Nous avons supposé jusqu’ici que l’énergie se compose de deux quantités, à savoir l’énergie du mouvement ou cinétique, T, et l’énergie de position ou potentielle, U. Nous avons alors T + U = constante. Mais cette décomposition ne s’applique en réalité qu’aux phénomènes purement mécaniques. Si au contraire nous devons tenir compte, en même temps, de l’énergie thermique, chimique ou électrique, il nous faut introduire un troisième terme, Q, pour représenter cette énergie interne, et l’équation devra s’écrire T + U + Q = constante. Pour que l’équation soit claire, il faut que les trois termes soient absolument distincts, c’est-à-dire que T devra dépendre uniquement du carré des vitesses, alors que U ne dépendra que des positions et sera indépendant de ces vitesses et de l’état des corps, et qu’enfin Q sera indépendant des vitesses et des positions des corps et dépendra exclusivement de leur état interne. Mais ce sont là des suppositions que l’expérience ne confirme pas. L’énergie électrostatique due à l’action mutuelle des corps électrisés ne dépend pas seulement de leur charge, c’est-à-dire de leur état, elle dépend aussi de leur position et de leurs vitesses. Dans ces conditions, nous ne pouvons plus faire le triage des termes T, U et Q, c’est-à-dire séparer les trois formes de l’énergie. Or, si T + U + Q reste constant, il en sera de même d’une fonction quelconque φ (T + U + Q). Si les termes T, U et Q étaient entièrement distincts les uns des autres, il y aurait, parmi toutes ces fonctions, une seule ayant une forme particulière et c’est celle-là que nous appellerions énergie. Mais si les termes dépendent des conditions que nous venons d’indiquer, cette forme particulière n’existe point. Dès lors, dit M. Poincaré à qui nous avons emprunté à peu près textuellement le développement qui précède, « nous n’avons plus rien qui puisse nous guider dans notre choix. Il ne nous reste plus qu’un énoncé pour le principe de la conservation de l’énergie : il y a quelque chose qui demeure constant[79] ».

C’est évidemment la formule la plus générale, la formule typique du principe de conservation ; elle montre clairement qu’il s’agit d’une tendance antérieure à l’expérience : ce quelque chose, nous ne le connaissons pas, nous ne pouvons pas en indiquer d’avance la nature, mais nous espérons qu’il demeurera constant dans le temps, nous l’exigeons. Le fait qu’un esprit aussi éminent que M. Poincaré, sans idée théorique préconçue et par simple désir de préciser la teneur du principe, soit arrivé à une formule de ce genre, fortifie, semble-t-il, singulièrement les conclusions auxquelles nous a amené notre analyse.


  1. Duhem. L’évolution de la mécanique. Paris, 1903, p. 227.
  2. Leibniz. Mathematische Schriften, éd. Gerhardt, vol. VI, p. 218.
  3. Cf. Rosenberger. Geschichte der Physik, vol. I, p. 19.
  4. H. Poincaré. Thermodynamique. Paris, 1892, pp. 2 ss.
  5. Leibniz, l. c., p. 117. « Brevis demonstratio erroris memorabilis Cartesii… »
  6. J. Bernoulli. Discours sur les lois de la communication des mouvements, Œuvres. Lausanne, 1742, vol. III, p. 58. — Leibniz a parfois l’air d’affirmer qu’il est l’auteur unique de la découverte et que Huygens l’a connue par lui. Cf. Lettre à L’Hôpital, Mathematische Schriften, vol. I, p. 320.
  7. Descartes. Principes, IIe partie, chap. xlii.
  8. Leibniz. Opera, éd. Erdmann, p. 775.
  9. J. Bernoulli, l. c., p. 56. Le Discours a été imprimé à Paris en 1727.
  10. id. De vera ratione virium vivarum, etc., § IX, ib., p. 243.
  11. A. de Haller. Elementa Physiologiæ corporis humani. Lausanne, 1762, vol. IV, p. 557 : « Cartesius et Leibnitius et plerique mathematici negant aut oriri in rerum natura motum novum, aut disperire : per circulum autem corpora impelli et se impellere, ut tantum de motu in aliqua parte universi dematur, quantum in alia videtur accedere. »
  12. Voltaire. Œuvres, éd. Beuchot. Paris, 1830, vol. XXXVIII, p. 500.
  13. Duhem. Le Mixte. Paris, 1902, p. 61.
  14. Cf. Rosenberger. Geschichte der Physik, vol. II, p. 345-348.
  15. Lavoisier et Laplace. Mémoires sur la chaleur. Lavoisier, Œuvres. Paris, 1862, vol. II, p. 285-286. Cependant les auteurs ne formulent ces suppositions qu’avec une certaine réserve, les présentant comme équivalentes, tout au plus, à la théorie de la chaleur-fluide. On sait d’ailleurs que Lavoisier inclinait manifestement vers cette dernière hypothèse (Cf. plus haut, p. 151).
  16. D’après M. Poincaré (Thermodynamique, p. 28) l’expérience de Rumford n’était pas absolument concluante. On peut d’ailleurs voir chez Biot, Précis élémentaire de physique expérimentale, 2e éd., Paris, 1820-21, vol. II, p. 683, comment la science contemporaine s’accommodait de cette expérience.
  17. Nous citons d’après Bohn. Notice sur la théorie mécanique de la chaleur. Annales de Chimie et de Physique, 4e série, vol. IV, 1865, p. 280. Nous n’avons pas réussi à retrouver le traité de Fresnel Sur la chaleur, qui n’a pas été compris dans l’édition de ses œuvres (Paris, 1866-1870).
  18. Lazare Carnot. Principes fondamentaux de l’équilibre et du mouvement. Paris, an XI, 1803, p. 37.
  19. Poncelet. Introduction à la mécanique industrielle physique ou expérimentale, 2e éd. Metz, 1841, § 138 : « L’eau renfermée dans le réservoir d’un moulin représente un certain travail disponible, qui se change en force vive quand on ouvre la vanne de retenue ; à son tour, la force vive acquise par cette eau, en vertu de sa chute du réservoir, se change en une certaine quantité de travail, quand elle agit contre la roue du moulin, et celle-ci transmet ce travail aux meules, etc. qui confectionnent l’ouvrage. »
  20. Séguin aîné. De l’influence des chemins de fer et de l’art de les tracer et de les construire. Paris, 1839, p. 382. « Comme la théorie actuellement adoptée conduirait cependant à ce résultat (sc. au mouvement perpétuel) il me paraît plus naturel de supposer qu’une certaine quantité de calories disparaît dans l’acte même de la production de la force ou puissance mécanique, et réciproquement ; et que les deux phénomènes sont liés entre eux par des conditions qui leur assignent des relations invariables. »
  21. Cf. Poincaré, l. c., p. 51. Ces notes ont été reproduites dans la 2e édition des Réflexions. Paris, 1878.
  22. Sadi Carnot. Réflexions sur la puissance motrice du feu. Paris, 1903, p. 10. Dans les dernières pages de ce travail, Carnot exprime des doutes sur la légitimité de cette conception (cf. plus bas, p. 186). Ces réserves ont passé inaperçues.
  23. J.-R. Mayer. Bemerkungen ueber die Kraefte der unbelebten Natur. Liebig’s Annalen, vol. XLII, 1842.
  24. Cf. plus bas, p. 183.
  25. J.-P. Joule. On the Calorific Effect of Magneto-Electricity and on the Mechanical Value of Heat. Philosophical Magazine, vol. XXIII. Londres, 1843.
  26. Helmholtz. Ueber die Erhaltung der Kraft. 1847, reproduit dans Wissenschaftliche Abhandlungen, vol. I, p. 12 ss.
  27. H. Poincaré, l. c., p. 65.
  28. Joule, l. c., p. 437-439.
  29. Cf. H. Poincaré, l. c., p. 51.
  30. J.-R. Mayer, l. c., p. 240.
  31. Lippmann. Cours de thermodynamique. Paris, 1889, p. 11 ss. On trouvera dans le rapport présenté au Congrès de physique de 1900 par M. Ames sur L’équivalent mécanique de la chaleur (vol. Ier) une discussion approfondie des travaux les plus remarquables sur cette matière. Sur 21 physiciens qui s’en sont occupés plus récemment, M. Ames écarte les résultats de 15 comme entachés d’erreurs trop grosses, et calcule ses moyennes d’après les résultats des six restants. Les limites maximum et minimum qu’il détermine présentent encore un écart de plus d’un 1/2 p. 100.
  32. Lippmann, l. c., p. 35.
  33. M. J. Perrin. Traité de chimie physique. Paris, 1903, p. 16, formule cependant expressément cette condition.
  34. R.-W. Bunsen. Ueber die Verdichtung der Kohlensæure an blanken Glasflaechen. Poggendorf’s Annalen, vol. XX, 1883, p. 558. M. Berthelot. Comptes rendus de l’Académie des sciences, vol. CXL, 1905, p. 817, 1253.
  35. Cf. W. Spring. Propriétés des solides, etc. Congrès de physique de 1900, vol. I, p. 421 et Dastre. La vie et la mort, p. 264.
  36. Notons, pour éviter tout malentendu, que la conservation de l’énergie et celle de la masse ne deviendraient pas pour cela strictement analogues, l’énergie ne pouvant pas être conçue comme la propriété d’un corps (cf. plus bas, p. 191). Notre observation ne porte que sur la condition d’isolement.
  37. Helmholtz. Wissenschaftliche Abhandlungen. Leipzig, 1832, I, p. 67.
  38. Ch.-É. Guillaume. L’échelle du spectre. Revue générale des sciences, X, 1899, p. 7 ss.
  39. G. Le Bon. L’évolution de la matière. Paris, 1905, p. 120.
  40. H. Poincaré, l. c., p. VII. On peut ranger dans la même catégorie la déclaration suivante de M. Helm. Die Lehre von der Energie, historisch-kritisch entwickelt. Leipzig, 1887, p. 2 : « Mancher hat daher wohl dos Gefuehl, als sei die Unterlage eine unsichere, auf der das moderne Energiegesetz ruht und als habe seine Entwicklung leichtfertige Schritte gemacht. » L’aveu est d’autant plus significatif qu’il émane d’un homme dont la doctrine exalte la portée du principe.
  41. Lippmann, l. c., p. 13.
  42. Spencer, l. c., p. 251 ss.
  43. Stallo, l. c., p. 10 ss.
  44. Lasswitz. Geschichte der Atomistik. Hambourg, 1890, vol. II, p. 377.
  45. id. Zur Rechtfertigung der kinetischen Atomistik. Vierteljahrsschrift fuer wissenschaftliche Philosophie, IX, 1885, p. 154.
  46. Spir, l. c., p. 424.
  47. J.-R. Mayer, l. c., p. 233.
  48. Ib., p. 234.
  49. Ib., p. 239.
  50. A. Colding. Lettre aux rédacteurs du Philosophical Magazine sur l’histoire du principe de la conservation de l’énergie, trad. Verdet. Annales de Chimie et de Physique, IVe série, vol. I, 1864, p. 467. Le travail original de Colding inséré dans les actes de l’Académie de Copenhague, 1843, ne paraît avoir jamais été traduit dans une langue plus accessible.
  51. Joule, l. c., p. 435.
  52. Joule. Scientific Papers. Londres, 1884-87, p. 268.
  53. Mach. Die Principien der Waermelehre. Leipzig, 1896, p. 261.
  54. Helmohltz. Wissenschaftliche Abhandlungen, p. 13. « Wir werden genoethigt und berechtigt… durch den Grundsatz, dass jede Veraenderung in der Natur eine zureichende Ursarhe haben muesse. » Plus tard Helmholtz, en ajoutant des notes à ce travail, a déclaré qu’il avait été trop influencé par Kant et que le principe de causalité n’était que l’hypothèse de la légalité de tous les phénomènes (Cf. p. 2). C’est la confusion bien connue, et l’on se rend compte aisément que le principe dont Helmholtz s’est servi pour affirmer qu’il fallait réduire les phénomènes à des forces immuables dans le temps, est bien celui de causalité. On voit aussi par la suite du passage (ib., p. 68) que ce qui l’a induit en erreur, c’est la confusion entre les lois et les propriétés des corps : « Das Gesetz als objektive Macht anerkannt, nennen wir Kraft. » (Cf. plus haut, p. 28 ss.)
  55. Faraday. On the Conservation of Force. Phil. Mag. (4) XIII, 1857, p. 239, cf. id. Experimental Researches on Electricity. Londres, 1839-1855, vol. II, §§ 2069, 2073. Il est curieux de constater que les violentes attaques de Tait contre J.-R. Mayer et Séguin accusés d’être « philosophes spéculateurs » et « métaphysiciens » (cf. par exemple Tait. Conférences. Paris, 1856, p. 18, 73, 77) se retournent contre Faraday et même, nous l’avons vu, contre Joule.
  56. Cf. Duhem. Les origines de la statique, p. 21.
  57. Ib., p. 58.
  58. Stévin. Œuvres mathématiques, trad. Gérard. Leyde, 1634, p. 448. — Cf. Duhem, l. c., p. 266 ss.
  59. Cf. notamment Leibniz. De legibus naturæ et vera æstimatione virium motricium. Mathem. Schriften, vol. VI, p. 204 ss.
  60. Cf. Lettre de Huygens, ib., vol. I, p. 140.
  61. Sadi Carnot. Réflexions sur la puissance motrice du feu. Paris, 1824. Réimpression. Paris, 1903, p. 21.
  62. Leibniz, l. c., p. 204 : « docui ex contraria essentia sequi inæqualitatem causæ et effectus, imo motum perpetuum, quæ absurda videantur. » Ib. « nascitur motus perpetuus seu effectus potior causa. » p. 206 : « saltem negabunt quidem motum perpetuum seu effectum causa potiorem esse possibilem. » Cf. Couturat. Revue de métaphysique, XI, 1903, p. 89.
  63. Leibniz. Mathem. Schriften, vol. Ier, p. 149.
  64. S. Carnot, l. c., p. 21, note.
  65. Helmholtz. Wissenschaftliche Abhandlungen, p. 73. « Uebrigens ist dieses Gesetz, wie alle Kenntniss von Vorgaengen der wirklichen Welt, auf inductivem Wege gewonnen worden. Dass man kein Perpetuum mobile bauen, das heisst Triebkraft ohne Ende nicht ohne entsprechenden Verbrauch gewinnen koenne, war eine durch viele vergebliche Versuche, es zu leisten, allmaehlig gewonnene Induction.

    « Schon laengst halte die franzoesische Akademie das Perpetuum mobile indieselbe Kategorie wie die Quadratur des Zirkels gestellt und beschlossen, keine angeblichen Loesungen dieses Problem mehr anzunehmen. Das muss doch als der Ausdruck einer unter den Sachverstaendigen weit verbreiteten Ueberzeugung angesehen werden. »

  66. « Que la doctrine de la conservation de l’énergie ne soit pas évidente par elle-même, cela est montré par les tentatives répétées en vue de trouver le mouvement perpétuel. » Maxwell, La chaleur, trad. Mouret. Paris, 1891, p. 187.
  67. Times. Engineering Supplement, 19 avril 1905, p. 64.
  68. Histoire de l’Académie Royale des sciences, année 1775. Paris, 1777, p. 61-65.
  69. Duhem. Les origines de la Statique, p. 279.
  70. Cf. M. Le Blanc. Les idées nouvelles sur la théorie des piles. Revue générale des sciences, 10, 1899, p. 725.
  71. Muncke. Perpetuum mobile, dans Gehler.Physikalisches Woerterbuch. Leipzig, 1833, vol. VII, p. 408.
  72. M. J. Perrin. Traité de chimie physique. Paris, 1903, p. 77, déduit l’impossibilité du mouvement perpétuel du principe de la conservation de l’énergie.
  73. Duhem, l. c., p. 279.
  74. Ib., p. 298.
  75. M. Helm, bien qu’il ait aperçu clairement que l’affirmation de l’impossibilité du mouvement perpétuel n’est pas un énoncé purement empirique (Die Lehre von der Energie, Leipzig, 1887, p. 92), croit pouvoir néanmoins s’en servir comme base d’une démonstration inductive du principe de la conservation de l’énergie (ib., p. 41). À notre avis, les conceptions aprioristiques (aprioristische Vorstellungen) dont M. Helm admet l’intervention à propos du mouvement perpétuel se rapportent à la conservation de l’énergie ; le premier de ces principes s’appuie sur le second et non inversement.
  76. Cf. Rosenberger. Geschichte, vol. II, p. 95.
  77. Cf. à ce sujet Helm, l. c., p. 35.
  78. Hertz. Gesammelte Werke. Leipzig, 1895, vol. I, p. 11-27. M. Helm, l. c., p. 16, exprime une opinion analogue.
  79. H. Poincaré, l. c., p. IX. — id. La science et l’hypothèse, p. 152-153, 158, 195.