HOMÉLIE SUR LE PARALYTIQUE DESCENDU PAR LE TOIT


HOMÉLIE SUR LE PARALYTIQUE DESCENDU PAR LE TOIT.

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Qu’il est différent de celui dont parle saint Jean, et de l’égalité du Père et du Fils.

AVERTISSEMENT et ANALYSE.

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Dans l’exorde de cette homélie, saint Chrysostome dit qu’il avait fait depuis peu un discours sur le paralytique de trente-huit ans ; ce qui désigne, sans aucun doute, la douzième homélie contre les Anoméens (voyez tome II), dans laquelle il prouve, par la guérison miraculeuse de ce paralytique, que le Fils est égal au Père en puissance. Il fit, comme l’on croit cette homélie en 398, étant déjà évêque de Constantinople ; ainsi il faut rapporter vers le même temps l’homélie sur le paralytique descendu par le toit.

1o Nature des richesses spirituelles, elles ne s’épuisent jamais. L’histoire du paralytique nous apprend à supporter les épreuves de la vie. — 2o Dieu est toujours père et médecin soit qu’il use de sévérité, soit qu’il use d’indulgence. Le secours de la grâce divine est nécessaire. — 3o L’orateur passe au second paralytique. Les Évangélistes ne se contredisent pas. — 4o Différences des deux paralytiques. — 5o Grande foi du paralytique. — 6o Le Christ démontre sa divinité. — 7o La rémission des péchés. 8o Exhortation à la patience dans les peines.

1. Quand nous avons dernièrement parlé du paralytique qui gisait dans son lit auprès de la piscine, nous avons trouvé un grand et magnifique trésor, non en creusant la terre, mais en examinant les sentiments de ce malade ; nous avons trouvé un trésor, non d’or, d’argent et de pierres précieuses, mais de force, de sagesse, de patience, d’espoir en Dieu : ce qui vaut mieux que l’or et la richesse. La richesse matérielle vous expose aux embûches des voleurs, à la langue des calomniateurs, aux attaques des brigands, aux crimes de vos propres esclaves, et si vous évitez tout cela, elle ne vous en causera pas moins les plus grands malheurs en attirant sur vous les regards de l’envie et vous suscitant mille tempêtes. La richesse spirituelle échappe à tous ces périls, nul accident ne peut l’atteindre dans la haute région où elle est placée, elle se rit des voleurs, des brigands, des envieux, des calomniateurs, et même de la mort. La mort ne la sépare pas de celui qui la possède ; au contraire, c’est après la mort surtout qu’elle lui est assurée, qu’elle le suit, qu’elle habite avec lui dans la vie future, qu’elle plaide puissamment en sa faveur et lui rend le juge propice.

Nous avons trouvé ces richesses cachées en abondance dans l’âme du paralytique. Je vous en atteste, vous qui avez mis toute votre ardeur à creuser cette mine, sans l’épuiser toutefois. Car telle est la nature de la richesse spirituelle ; elle est comme l’eau qui coule sans tarir, elle est plus abondante encore : car elle croît à mesure qu’augmente le nombre de ceux qui viennent puiser à ses sources. Elle entre dans l’âme de chacun et se communique sans se diviser ni s’amoindrir, elle se donne tout entière, et elle reste tout entière sans pouvoir être jamais épuisée, sans pouvoir jamais manquer : c’est ce qui est arrivé en cette circonstance. Vous vous êtes jetés en foule sur ce trésor, chacun de vous y a puisé largement selon ses forces ; et que parlé-je de vous, c’est depuis Notre-Seigneur que des milliers et des milliers d’hommes s’y enrichissent, et néanmoins il

demeure dans son intégrité. Ne nous lassons donc pas de puiser à cette source intarissable de richesses spirituelles ; venons encore aujourd’hui y remplir nos âmes ; contemplons la charité du Maître et la patience de l’esclave. Affligé depuis trente-huit ans d’une maladie incurable, tourmenté continuellement, il ne se plaignit pas, il ne fit pas entendre une parole répréhensible, il n’accusa pas Celui qui l’avait ainsi traité, mais il supporta ce malheur avec courage et patience. – Et comment le savez-vous ? me dira-t-on ; la sainte Écriture ne nous a rien appris de sa vie antérieure ; elle nous a dit seulement que sa maladie durait depuis trente-huit ans ; mais qu’il n’y ait eu chez lui ni plainte, ni emportement, ni colère, elle ne l’a pas ajouté. – C’est cependant ce qu’elle vous montrera avec évidence, si vous voulez lire avec une attention sérieuse et non superficielle et momentanée. En le voyant en présence du Christ qui vient le trouver, qui ne lui est pas connu, qu’il ne croit encore être qu’un homme, en le voyant, dis-je, si réservé dans son langage, n’en pouvez-vous pas conclure quelle a été sa conduite antérieure ? Car, à cette question : Voulez-vous être guéri ? il ne répond pas comme on aurait pu s’y attendre Vous me voyez gisant ici paralytique depuis tant d’années ; et vous Me demandez si je veux être guéri ? Vous êtes donc venu insulter à mes souffrances, vous en moquer et mire de mon malheur ? Il ne dit rien de semblable ; mais avec une parfaite tranquillité d’âme : Oui, Seigneur, répond-il. Mais si après trente-huit ans il était si calme, si paisible, alors – que toute force d’âme devait être brisée chez lui, figurez-vous quelle devait être sa patience au commencement de sa maladie. Car, tout le monde sait que les malades ne sont pas aussi moroses au début de leurs maladies que lorsqu’il y a déjà longtemps qu’ils souffrent : ils deviennent très-difficiles, lorsque leur maladie traîne en longueur ; ils deviennent parfois insupportables. Celui-ci donc qui après tant d’années se montre si calme et répond avec tant de patience, a dû évidemment supporter antérieurement avec reconnaissance ce mal qui lui était envoyé de Dieu.
Stimulés par cet exemple, imitons la patience de notre frère ; sa paralysie sera pour nos âmes un principe de force ; quel homme sera si indolent, si lâche, qu’à la vue de ce malheur, il ne se sente disposé à supporter avec courage même les choses les plus intolérables ? Ce n’est pas son état de santé, c’est sa maladie qui nous est d’une grande utilité ; car sa guérison a fait, il est vrai, louer le Seigneur par ceux qui l’ont entendu raconter ; mais sa maladie et son infirmité nous sont une leçon de patience, nous provoquent à l’imiter et nous fournissent une nouvelle preuve de la charité de Dieu pour nous. Lui avoir envoyé une maladie et si grave et si longue, c’est déjà une preuve d’amour. L’orfèvre jette l’or dans le creuset et l’y laisse éprouver par le feu, jusqu’à ce qu’il soit devenu plus pur : de même pour les âmes des hommes, Dieu les laisse éprouver par le malheur, jusqu’à ce qu’elles soient devenues pures et brillantes, jusqu’à ce qu’elles aient retiré de cet état de grands avantages : ainsi cette infirmité était un premier bienfait de Dieu.
2. Donc pas de trouble, pas de désespoir quand il nous arrive des épreuves. Si l’orfèvre sait après combien de temps il faut retirer du feu l’or qu’il y a mis et ne le laisse pas brûler et se consumer, Dieu le sait bien mieux encore, et quand il nous verra devenus plus purs, il saura bien faire disparaître les épreuves, de peur qu’accablés par des maux trop nombreux nous ne chancelions et ne tombions. Pas de découragement, pas de défaillance, si nous sommes surpris par quelque malheur ; mais laissons Dieu qui s’y entend, laissons-le, dis-je, purifier notre âme ; il n’agit que dans l’intérêt et pour le plus grand avantage de ceux qu’il éprouve. Aussi un auteur sage nous adresse-t-il cet avis : Mon fils, lorsque vous entrerez au service du Seigneur, préparez votre âme à l’épreuve ; que votre cœur soit plein de droiture et de force, et ne vous hâtez pas dans le temps de la tentation. (Ecc. 2, 1-2)
Laissez-le, nous veut-il dire, entièrement maître ; il sait bien le moment où il faudra nous retirer de ces maux qui sont comme la fournaise où nous sommes purifiés. Il faut le laisser faire partout, lui rendre grâces de tout, témoigner notre reconnaissance pour tout, soit qu’il nous comble de biens, soi-même qu’il nous frappe : car c’est là aussi un bienfait. Le médecin n’est pas médecin seulement quand il fait prendre des bains, ordonne une nourriture substantielle et veut que le malade se promène dans des jardins fleuris, mais aussi quand il brûle et qu’il coupe ; le père n’est pas père seulement quand il caresse son fils, mais aussi quand il le chasse de la maison, qu’il le réprimande, qu’il le châtie ; il n’est pas moins père alors que quand il récompense. Aussi sachant que Dieu nous aime mieux que tous les médecins, ne vous inquiétez pas, ne lui demandez pas compte des moyens qu’il emploie ; mais qu’il veuille user d’indulgence ou de sévérité, abandonnons-nous à lui ; par l’un comme par l’autre de ces moyens, c’est toujours pour nous sauver, pour nous unir à lui qu’il agit ; il sait ce dont chacun a besoin, ce qui est utile à chacun, comment et de quelle manière chacun se sauvera et c’est dans cette route qu’il nous conduit. Marchons donc où il veut nous mener, marchons sans hésitation, que la route soit douce et facile ou bien rude et âpre, tout comme a fait ce paralytique. Le premier bienfait que Dieu lui accorda, ce fut de purifier par une si longue maladie son âme qu’il jetait en quelque sorte dans un creuset où le feu des tentations devait la dépouiller de toute souillure. Un second, non moindre que celui-là, ce fut de lui être présent dans ses épreuves et de lui procurer de vives consolations. C’est lui qui le soutenait et le dirigeait, qui lui tendait une main secourable sans jamais le laisser tomber. Et en entendant dire que Dieu lui venait ainsi en aide, n’allez pas retirer votre admiration ni à ce paralytique ni à tout autre qui dans l’épreuve montre de la force. Car fussions-nous mille fois parfaits, fussions-nous plus forts et plus puissants que tous les hommes, si le bras de Dieu nous abandonne, nous ne pourrons plus résister à la première tentation venue. Et que parlé-je de nous, faibles et pauvres ? Quand ce serait un autre Pierre, un autre Paul, un autre Jacques, un autre Jean, si Dieu ne vient à son secours, il est facile de l’attaquer, de l’ébranler, de le terrasser. Et à ce propos, je vous rappellerai une parole du Christ ; il dit à Pierre : Voici que Satan a demandé de vous cribler comme le froment ; et j’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point. (Luc. 22, 31-32)
Qu’est-ce à dire, vous cribler ? C’est vous entraîner, vous agiter, vous précipiter, vous tourmenter, vous frapper, vous torturer, comme ce qui passe au crible ; mais, ajoute-t-il, je l’ai empêché : je savais que vous n’auriez pu supporter cette épreuve car dire pour que ta foi ne défaille point, c’est montrer que, s’il l’avait permis, sa foi aurait défailli. Mais si Pierre qui a tant aimé le Christ, qui a exposé mille fois sa vie pour lui, qui était toujours plus ardent que les autres apôtres, qui a été appelé bienheureux par le Maître et surnommé Pierre, parce qu’il avait une foi inébranlable et invincible, eût succombé et renié la foi, en supposant que le Christ eût permis au démon de le tenter autant qu’il le voulait, quel autre pourra résister sans le secours du ciel ? Aussi saint Paul dit : Dieu est fidèle et il ne souffrira pas que vous soyez tentés au-dessus de vos forces ; mais il vous fera tirer profit de la tentation même afin que vous puissiez persévérer. (1Co. 10, 13) non seulement il ne permettra pas, dit-il, que nous soyons tentés au-dessus de nos forces, mais même quand la tentation est proportionnée à nos forces, il est près de nous, nous soutenant, combattant avec nous, pourvu que nous apportions à la lutte ce qui dépend de nous, comme le zèle, l’espérance en lui, la reconnaissance, la force, la patience. Car ce n’est pas seulement dans les périls qui excèdent nos forces, mais encore dans celles qui ne les dépassent pas que nous avons besoin du secours d’en haut, si nous voulons résister avec courage. Ailleurs le même apôtre dit : Comme les souffrances du Christ abondent en nous, c’est aussi par le Christ que notre consolation abonde, afin que nous puissions nous-mêmes, par l’encouragement que Dieu nous donne, consoler aussi ceux qui sont sous le poids de toute sorte de maux. (2Co. 4, 5) En sorte que celui qui a consolé le paralytique, c’est celui-là même qui avait permis qu’il fût éprouvé. Mais voyez, après la guérison, quelle sollicitude il lui ; montre. Il ne le renvoie pas pour ne plus s’en occuper, mais le rencontrant dans le temple il lui dit : Voilà que vous êtes guéri, ne péchez plus de peur qu’il ne vous arrive encore pis. (Jn. 5, 14) Si c’eût été par haine qu’il, eût permis la tentation, il ne l’aurait pas délivré, il ne l’aurait pas prémuni pour l’avenir ; car lui dire de peur qu’il ne vous arrive encore pis, c’est vouloir prévenir les maux futurs. Il a mis fin à la maladie, mais non au combat ; il a chassé l’infirmité, mais non banni la crainte, afin que le bienfait ne fût pas oublié. Il est d’un médecin soigneux de ne pas seulement guérir les maux présents, mais de prémunir coutre les maux à venir ; c’est ce que fait le Christ, en fortifiant l’âme du paralytique par le souvenir du passé. Car, comme d’ordinaire nos maux disparaissent de notre mémoire presque aussitôt qu’ils nous ont quittés, c’est pour perpétuer ce souvenir, que le Christ dit : Ne péchez plus, de peur qu’il ne vous arrive encore pis.
3. La sollicitude et la douceur du Seigneur ne se montrent pas moins dans l’espèce de reproche qu’il adresse au paralytique, que dans la précaution qu’il prend de l’avertir. Car il ne divulgue pas ses péchés, il lui dit seulement que ce qu’il souffre, il le souffre à cause de ses péchés ; quels sont ces péchés, il ne l’a pas dit ; il n’a pas dit : tu as commis telle et telle faute, telle et telle iniquité, mais après l’avoir indiqué par ce simple mot : Ne péchez plus, et lui avoir dit une parole dont le souvenir le rendrait plus circonspect, il nous montre sa patience, son courage, sa vertu, en le mettant dans la nécessité de dévoiler tout son malheur et de parler de sa constance : car, dit-il, tandis que je viens, un autre descend avant moi ; mais quant à ses péchés, Jésus-Christ ne les découvre pas. Si nous voulons cacher nos iniquités, Dieu le désire bien plus encore que nous la guérison, c’est en public qu’il l’opère ; l’exhortation et le conseil, c’est en particulier qu’il les donne ; jamais il ne découvre nos fautes, à moins que quelquefois il ne nous y voie insensibles. Car lorsqu’il dit : Vous avez vu que j’avais faim et vous ne m’avez point donné à manger, que j’avais soif et vous ne m’avez point donné à boire (Mat. 25, 42), il le dit dans le temps présent pour que nous n’ayons pas à l’entendre dans le temps futur. Il menace, il démasque aujourd’hui afin de n’avoir rien à dévoiler au jugement, comme il a menacé de ruine la ville de Ninive précisément afin de prévenir cette ruine. S’il voulait publier nos péchés, il n’aurait pas annoncé qu’il les publierait ; mais s’il l’annonce, c’est pour que la crainte de la manifestation, sinon celle de la punition, nous ramenant à de sages sentiments, nous les effacions tous. C’est ce qui arrive au baptême ; il admet l’homme à ce bain salutaire sans faire connaître ses iniquités à personne, il ne rend public que le pardon, et quant aux péchés, personne ne les connaît que lui et celui à qui ils sont remis. C’est ce qui est arrivé en cette circonstance : il blâme le paralytique quand il n’y a pas de témoin ; ou plutôt ce n’est pas un blâme, c’est presque une apologie pour lui donner la raison dé cette longue affliction, lui dire et lui montrer que ce n’est pas en vain qu’il a voulu le faire si longtemps souffrir, il le fait souvenir de ses fautes et lui dit la cause de sa maladie : L’ayant trouvé dans le temple, dit l’Évangéliste, Jésus lui dit : Ne péchez plus de peur qu’il ne vous arrive encore pis.
Puisque nous avons retiré tant de profit de l’histoire de ce premier paralytique, allons nous instruire auprès de l’autre, celui dont parle saint Matthieu. (Mat. 9) Car, dans les mines, c’est aux endroits où l’on a déjà trouvé de l’or qu’on va plutôt fouiller de nouveau. Je sais que plusieurs de ceux qui lisent sans beaucoup réfléchir, pensent qu’il ne s’agit dans les quatre évangélistes que d’un seul et même paralytique, mais cela n’est pas. Renouvelez ici votre attention. Ce n’est pas ici une recherche inutile ; une solution convenable nous sera une arme de plus contre les Gentils, contre les Juifs et contre la plupart des hérétiques. Car tous reprochent aux évangélistes de n’être pas d’accord entre eux. Mais grâce à Dieu, ce reproche est entièrement faux ; si les auteurs sont différents, la grâce du Saint-Esprit est une, cette grâce qui a dirigé les évangélistes : or là où est la grâce du Saint-Esprit, là est l’amour, la charité, la paix, et non la guerre, la discorde, la lutte et le combat. Comment montrerons-nous que ce n’est pas du même paralytique qu’il s’agit ? Par bien des arguments tirés du lieu, du temps, des circonstances, du jour, enfin de la manière dont la guérison s’est opérée, dont le médecin est arrivé, dont le malade gisait abandonné. – À quoi bon cette démonstration, me dira-t-on ? N’y a-t-il pas beaucoup de miracles qui sont rapportés différemment par les divers évangélistes ? – Sans doute, mais autre chose est de parler d’une manière différente, autre chose de parler d’une manière contradictoire ; des différences ne sont pas des démentis : au contraire, dans ce que nous examinons, il n’y a que contradictions, si l’on n’admet pas que le paralytique de saint Matthieu n’est pas celui dont ont parlé les trois autres évangélistes. Et afin que vous compreniez mieux que parler d’une manière différente n’est pas parler d’une manière contraire, citons des exemples. Un évangéliste dit que Jésus porta sa croix, un autre que ce fut Simon le Cyrénéen, et il n’y a pas la de désaccord, pas d’opposition. – Mais ne sont-ce pas deux choses évidemment contraires que porter et ne pas porter ? – Non ; l’une a eu lieu aussi bien que l’autre. Quand on sortit du prétoire, Jésus portait sa croix ; plus loin, Simon la lui prit et la porta. De même pour les larrons, celui-ci dit que tous deux blasphémèrent contre Jésus, celui-là que l’un blâma les injures que vomissait l’autre. Et cependant il n’y a là rien de contradictoire. Pourquoi ? Parce que ces deux choses eurent lieu : au commencement tous deux insultaient Jésus ; mais quand il s’opéra de grandes merveilles, que la terre trembla, que les rochers se fendirent, que le soleil s’obscurcit, l’un des larrons se convertit, il devint meilleur, reconnut le Crucifié et confessa qu’il était Roi. Et afin de ne pas nous laisser croire que c’est par une nécessité, par une force intérieure qu’il agit ainsi, afin de ne pas laisser place au doute, l’Évangile nous le montre conservant jusque sur la croix sa méchanceté première, pour nous faire reconnaître que c’est de lui-même et de son propre mouvement qu’il change et que c’est la grâce de Dieu qui le rend meilleur.
4. Il y a, dans les évangiles, bien de ces passages qui paraissent opposés sans l’être en effet ; les faits rapportés par l’un se sont passés aussi bien que ceux qui sont racontés par l’autre ; seulement ils ne parlent pas du même moment : l’un dit ce qui a eu lieu d’abord, l’autre ce qui a eu lieu ensuite. Mais ici rien de semblable, et le grand nombre de circonstances rapportées ne permet pas même après l’examen le plus superficiel de douter que ces deux paralytiques ne soient différents. Ce serait un rude travail que de montrer, dans l’hypothèse opposée, l’accord complet des évangélistes entre eux ; s’il n’y a qu’un malade, tout est contradictoire : si vous en admettez deux, tout se concilie facilement.
Exposons donc les motifs qui nous font dire qu’il y a deux paralytiques différents. Quels sont-ils ? C’est à Jérusalem que l’un est guéri, l’autre à Capharnaüm : l’un près de la piscine, l’autre dans une petite maison, voilà pour le lieu ; le premier en un jour de fête, voilà le moment précisé ; l’un était malade depuis trente-huit ans, de l’autre il n’est rien dit de semblable, voilà pour le temps ; l’un en un jour de sabbat, voilà pour le jour ; et si le second avait été guéri un jour de sabbat, saint Matthieu n’aurait pas manqué de le dire, ni les Juifs présents d’en faire la remarque : car si déjà ils s’indignèrent d’une guérison qui cependant n’avait pas été faite un jour de sabbat, que n’eussent-ils pas dit s’ils avaient pu saisir ce prétexte pour accuser Notre-Seigneur ? Le dernier est apporté à Jésus-Christ, le premier c’est Jésus-Christ qui va le trouver, et il n’avait personne pour le secourir : Seigneur, dit-il, je n’ai personne (Jn. 5, 7), tandis que le second avait beaucoup de parents qui le descendirent même par le toit. Pour le premier, Jésus-Christ guérit son corps avant son âme, car c’est après l’avoir délivré de sa paralysie qu’il lui dit : Voici que vous êtes guéri, ne péchez plus. Pour le second, il n’en est pas de même : il guérit d’abord son âme, car il lui dit : Ayez confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis (Mat. 9, 2), et ensuite il le délivre de sa paralysie.
Maintenant que nous voyons avec évidence qu’il y en a deux, il nous reste à reprendre la narration tout entière, à voir comment s’est opérée la guérison de l’un, comment celle de l’autre, pourquoi toutes deux d’une manière différente, l’une le jour du sabbat, l’autre un autre jour, pourquoi Jésus vient vers l’un, tandis qu’il se laisse apporter l’autre, pourquoi dans un cas c’est le corps, dans l’autre l’âme qu’il guérit d’abord. Ce n’est pas sans motif qu’il agit ainsi, lui qui sait et prévoit tout. Attention donc et voyons d’abord quel est le médecin ! Si, lorsque les médecins doivent se servir du fer ou du feu pour quelque opération difficile, lorsqu’ils ont à pratiquer une incision ou une amputation sur un membre blessé ou infirme, si, dis-je, en pareil cas l’on s’empresse avec un intérêt curieux autour de l’opérateur et du patient, combien plus devons-nous le faire ici, puisque le médecin est plus grand, le mal plus grave, et que ce n’est pas l’art des hommes, mais la grâce de Dieu qui opère la guérison ? Là vous voyez la peau coupée, le pus qui coule, la pourriture qui sort ; quelle répulsion n’inspire pas un tel spectacle l quelle peine et quelle douleur cause non-Seulement la vue des blessures, mais la vue des souffrances des personnes ainsi traitées ! (Car qui serait assez insensible pour qu’en présence de pareils maux et au ; milieu de tant de gémissements, il ne fût pas ému, n’éprouvât pas de compassion et ne sentît pas son âme attristée ?) et cependant la curiosité nous fait supporter ce spectacle : ni rien de semblable ; on ne voit ni fer, ni feu, ni sang qui coule, ni malade qui souffre et gémisse ; la seule chose qu’il y ait, c’est là sagesse du médecin qui n’a pas. Besoin de ces secours extérieurs et qui se suffit à elle-même. Elle se contente de commander et tout danger disparaît.
Et si vous trouvez admirable que la guérison s’opère avec tant de facilité, il est plus étonnant encore qu’elle se fasse sans douleur, sans que les malades éprouvent aucune souffrance. Puis donc que le miracle est plus grand, la guérison plus entière et le plaisir des spectateurs exempt de toute tristesse, examinons de près, nous aussi, le Christ opérant cette guérison : Jésus étant monté dans une barque, traversa la mer et vint dans sa ville. Et voilà que des gens lui présentaient un paralytique gisant sur un lit, et Jésus voyant leur foi, dit à ce paralytique : Mon fils ayez confiance, vos péchés vous sont remis. (Mat. 9, 1-2) Leur foi le cède à celle du centurion, mais l’emporte sur celle du paralytique de la piscine. Le centurion n’attira pas le médecin chez lui, il ne lui amena pas non comme le malade, mais s’adressant à lui comme à Dieu, il lui dit : Prononcez seulement une parole et mon serviteur sera guéri. (Luc. 7, 75) Les gens du paralytique de Capharnaüm n’attirèrent pas non plus le médecin chez eux, et en cela ils sont égaux au centurion ; mais ils amenèrent le malade au médecin, et en cela ils lui furent inférieurs, parce qu’ils ne dirent point : Prononcez seulement une parole. Toutefois ils l’emportent encore sur le paralytique de Jérusalem ; celui-ci dit en effet : Seigneur, je n’ai personne qui, lorsque l’eau est agitée, me jette dans la piscine. (Jn. 5, 7) Quant aux premiers, ils savaient que le Christ n’a nullement besoin d’eau, de piscine ou d’autre chose semblable. Et cependant le Christ rendit la santé non-seulement au serviteur du centurion, mais encore aux deux derniers, et il ne leur dit point Quoique vous ayez montré moins de foi, vous n’en serez pas moins guéris ; seulement, il comble celui qui en a montré plus de louanges et de félicitations en disant : Je n’ai point trouvé en Israël même une telle foi. (Luc. 7, 9) Pour celui qui en montra moins, il se contenta de ne pas le louer, et ne refusa pas de le guérir, ni lui ni même celui qui ne montra aucune foi. Mais de même que les médecins, pour avoir guéri la même maladie, reçoivent des uns cent pièces d’or, des autres cinquante, de ceux-ci moins encore, de ceux-là rien ; de même le divin médecin reçut, pour ses honoraires, du centurion une foi grande et qu’on ne peut trop louer, du paralytique de Capharnaüm une foi moindre, de l’autre malade nulle foi, et ils n’en furent pas moins guéris tous trois. Pourquoi Jésus accorda-t-il ce bienfait à celui qui n’avait rien donné ? Parce que ce n’est point la négligence, ni l’indifférence, mais l’ignorance où il était à l’égard du Christ dont il n’avait entendu raconter aucune action ni grande, ni petite, qui lui fit montrer si peu de foi. Voilà pourquoi il n’en reçut pas moins un grand bienfait. C’est ce que l’Évangéliste nous indique par ces mots : Il ne savait pas qui il était (Jn. 5, 13), il ne le reconnut à la vue seule, que, quand il le rencontra pour la seconde fois.
5. Quelques-uns disent qu’il fut guéri, bien que ceux qui l’apportèrent eussent seuls la foi, mais il n’en est pas ainsi : Voyant leur foi, dit l’Évangile, tant de ceux qui l’apportèrent que de celui qui fut apporté. – Mais la foi de l’un ne peut-elle pas obtenir la guérison de l’autre, me direz-vous ? – Je ne le crois pas, à moins qu’un âge très-avancé ou une faiblesse extrême n’empêche de croire. – Comment donc, dans l’histoire de la Chananéenne, voyons-nous la mère qui croit et la fille qui est guérie, et dans celle du centurion le serviteur privé de la foi, guéri et sauvé par la foi de son Maître ? – Parce que les malades ne pouvaient avoir la foi. Écoutez les paroles de la Chananéenne : Ma fille est cruellement tourmentée par le démon, tantôt elle tombe dans le feu, tantôt dans l’eau. (Mat. 15, 22) Comment une fille qui était sous l’empire des ténèbres et du démon, qui ne s’appartenait pas, qui n’avait pas même la santé du corps, comment, dis-je, aurait-elle pu avoir la foi ?
Ce qui était arrivé à la Chananéenne arriva au centurion : son serviteur était couché dans sa maison ; ne connaissant pas le Christ, ne sachant pas qui il était, comment aurait-il pu croire à celui qu’il ne connaissait pas, de l’existence duquel il n’avait jamais eu le moindre soupçon ? Mais ici on ne peut pas dire la même chose, car le paralytique crut. – Et qu’est-ce qui le prouve ? – Ce fait seul, qu’il fut amené à Jésus. Ne vous contentez pas de savoir qu’il fut descendu par le toit ; mais pensez au sacrifice d’un malade qui consent à cela. Car vous savez combien les malades sont difficiles et chagrins, jusqu’à refuser les soins qu’on leur donne même sur leurs lits, jusqu’à préférer endurer toujours les douleurs de la maladie plutôt que de supporter les douleurs d’un moment que les remèdes entraînent après eux. Mais pour ce paralytique, il consentit à sortir de sa maison, à se laisser porter en public, à se montrer à une foule de spectateurs. On voit des malades qui aiment mieux mourir que de découvrir leurs maux. Il n’en est pas ainsi de ce malade ; il voit la foule rassemblée, les entrées inabordables ; eh bien ! il se laissera descendre par le toit. Tant l’amour est habile, tant la charité est féconde en expédients ! Celui qui cherche trouve, et à qui frappe on ouvrira. Il ne dit pas à ses proches : Qu’est-ce donc ? Pourquoi cette agitation, cet empressement ? Attendons que la maison soit vide, que la foule se soit écoulée. Rassemblés maintenant, ces hommes se disperseront tout à l’heure, nous pourrons voir en secret le prophète et le consulter sur cette maladie. Faut-il aux yeux de tous étaler mon malheur, me descendre par le toit malgré les souffrances que cela me causera ? Il ne fait aucune de ces réflexions, ni en lui-même, ni à ceux qui le portent, mais il regarde comme une gloire d’avoir tant de témoins de sa guérison. Et si cela nous montre sa foi, les paroles du Christ nous la montreront aussi. Quand il fut descendu du toit et introduit dans la maison, le Christ lui dit : Confiance, mon fils ; vos péchés vous sont remis. En entendant ces mots, il ne se fâche point, ne s’irrite point, ne dit pas à son médecin : Que me dites-vous ? Ne venais-je pas chercher une autre guérison que celle que vous m’offrez ? Mensonge que tout cela, dissimulation ! ce n’est qu’un prétexte pour déguiser votre impuissance. Vous remettez les péchés, parce que c’est chose qu’on ne voit pas. Sans rien dire, sans rien penser de tout cela, il reste, permettant ainsi à son médecin de le guérir par le moyen qu’il voudrait employer. Et si le Christ ne l’alla pas trouver, mais le laissa venir à lui, c’était encore afin de montrer son courage et l’ardeur de sa foi. De même qu’il alla trouver celui qui était paralytique depuis trente-huit ans, parce qu’il n’avait personne pour le secourir, de même il attendit que le paralytique de Capharnaüm, parce qu’il avait beaucoup de parents, vînt le trouver, voulant, par cette conduite différente, manifester la foi de celui qui fut apporté et l’abandon de celui qu’il alla trouver, le courage de l’un et la patience de l’autre, et il en agit ainsi surtout pour les spectateurs. Car les Juifs ne voyaient qu’avec peine et jalousie les bienfaits que recevait leur prochain, et ils blâmaient ces miracles tantôt à cause du jour de sabbat où ils étaient opérés, tantôt à cause de la vie des personnes qui en étaient l’objet. Si celui-ci était prophète, il saurait bien quelle est la femme qui le touche (Luc. 7, 39) ; ils parlaient ainsi, ne sachant pas que c’est le devoir du médecin de rechercher les malades et de les approcher, sans jamais les fuir ni les abandonner. C’est le reproche que Jésus leur adresse : Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecins, mais les malades. (Mat. 9, 12) Pour leur ôter tout prétexte, il commence par montrer combien sont dignes de guérison ceux qui viennent le trouver, à cause de la foi qu’ils manifestent. C’est par ce motif qu’il fait voir de l’un la résignation, de l’autre la foi bouillante et l’ardeur ; c’est pour cela encore qu’il guérit l’un un jour de sabbat, l’autre un autre jour, afin que voyant les Juifs accuser et blâmer le Christ sans avoir ce prétexte du sabbat, nous apprenions que ce n’était pas le zèle pour la loi qui les faisait parler, mais l’excès de leur haine. Mais pourquoi, sans commencer par guérir le paralytique, lui dit-il : Confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis ? Admirez sa sagesse. Les médecins ne commencent pas par traiter la maladie elle-même, mais par en enlever la cause. Si par exemple les yeux sont remplis d’humeur et de pus, le médecin, laissant là la pupille, s’occupe de la tête où est l’origine, la source du mal ; le Christ en agit de même et enlève d’abord la racine du mal. L’origine, la raison, la source du mal, c’est le péché. C’est le péché qui paralyse les corps, c’est le péché qui amène les maladies ; aussi Jésus-Christ dit en cette circonstance : Confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis; et en une autre occasion : Vous voilà guéri, ne péchez plus, de peur qu’il ne vous arrive encore pis, montrant ainsi que c’est le péché qui enfante les maladies. Au commencement, à l’origine de la création, c’est par suite du péché que la maladie se saisit du corps de Caïn. Car, après son fratricide, après ce grand crime, la paralysie s’empara de son corps : qu’était-ce que le tremblement qu’il éprouvait si ce n’est la paralysie ? Quand en effet la force qui réside dans le corps est devenue trop faible et ne peut plus soutenir tous les membres, elle les abandonne, et les membres tremblent et sont agités.
6. Saint Paul aussi nous enseigne cette vérité. Après avoir parlé aux Corinthiens d’un certain péché, il dit : c’est pour cela qu’il y a parmi vous beaucoup d’infirmes et de languissants. Ainsi le Christ fait d’abord disparaître la cause des maux, et par ces mots : Confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis, il relève le malade et réveille son âme engourdie : car sa parole est suivie d’effet ; elle pénètre jusqu’à la conscience, atteint l’âme, et lui rend une parfaite tranquillité. Car rien ne cause tant de joie, ne rend tant de confiance que de n’éprouver aucun remords. Confiance, mon fils, vos péchés vous sont remis. Là où les péchés sont pardonnés, il n’y a plus que des enfants d’adoption. C’est ainsi que nous ne pouvions pas appeler Dieu notre Père, avant que l’eau régénératrice n’eût lavé nos souillures, et quand nous avons reparu après l’immersion, ayant déposé ce fardeau, alors nous avons dit : Notre Père qui êtes aux cieux. Mais pourquoi, à l’égard de l’autre paralytique, n’en a-t-il pas agi de même et a-t-il commencé par guérir son corps ? Parce que la longue durée de sa maladie avait expié ses péchés : une grande épreuve peut nous délivrer du fardeau de nos iniquités : de Lazare il est dit qu’il a reçu les maux ici-bas et que dans le sein d’Abraham il est dans la joie ; et ailleurs nous lisons : Consolez mon peuple, parlez au cœur de Jérusalem, lui disant qu’elle a reçu de la main du Seigneur le double de ses péchés. (Isa. 40, 1-2) Et le Prophète dit encore : Seigneur, donnez-nous la paix ; car vous n’avez rien laissé impuni (Isa. 26, 12), montrant par là que les punitions et les châtiments nous obtiennent le pardon de nos péchés, vérité que bien des preuves nous démontrent.
Pour le paralytique de la piscine, Jésus-Christ ne lui a pas remis ses péchés, il l’a seulement prémuni pour l’avenir, parce que, ce me semble, ses péchés avaient déjà été pardonnés en considération de sa longue maladie ; ou, si ce n’est pas là le vrai motif, au moins dirai-je que, comme il n’avait pas une foi bien grande au Christ, Jésus commença par un prodige moindre, mais éclatant et visible, c’est-à-dire par lui rendre la santé du corps. Avec l’autre malade il n’agit pas de même ; mais comme il avait une foi plus grande, une âme plus élevée, il lui parle d’abord d’une maladie plus grave, pour les motifs que j’ai indiqués et en outre pour se déclarer l’égal du Père en dignité. De même qu’il ne guérit à Jérusalem un jour de sabbat que pour détourner les spectateurs de l’observance judaïque et afin que les accusations des Juifs lui fournissent l’occasion de se montrer égal à son Père, de même prévoyant en la circonstance présente ce qu’ils allaient dire, il parla comme il le fit pour en prendre occasion de montrer que sa dignité est égale à celle du Père. C’est une tout autre chose de tenir ce langage de lui-même sans que personne le blâme ni ne l’accuse, ou bien de le faire pour se défendre, quand les autres lui en fournissent le prétexte. La première manière eût choqué les auditeurs, la seconde excitait moins de haine, s’admettait plus facilement et c’est ainsi du reste que nous le voyons agir toutes les fois que, par ses paroles ou par ses œuvres, il se déclare l’égal de son Père. C’est ce que nous indique l’Évangéliste (Jn. 5, 16) en nous disant que les Juifs le blâmèrent non-seulement de ce qu’il avait violé le sabbat, mais encore de ce qu’il appelait Dieu son Père, se faisant égal à Dieu, ce qui était bien plus grave : c’est ce qu’il montrait moins par ses paroles que par ses œuvres. Pourquoi donc ces méchants, remplis de haine et d’envie, cherchent-ils partout l’occasion de le confondre ? Celui-ci blasphème, se disent-ils ? Personne ne peut remettre les péchés que Dieu seul. (Mrc. 2, 7) Là, ils le blâment d’avoir violé le sabbat, et leurs accusations lui donnant occasion, pour se défendre, de se déclarer égal à son Père, il leur dit : Ce que mon Père fait, je le fais aussi. De même ici, leurs critiques lui sont un sujet de se montrer égal à son Père. Car que disent-ils ? Personne ne peut remettre les péchés que Dieu seul. Ils ont eux-mêmes tracé cette limite, assigné cette règle, dicté cette loi ; il va les convaincre par leurs propres paroles. Vous avez dit que c’était le propre de Dieu de remettre les péchés : vous proclamez ainsi manifestement l’égalité du Christ avec Dieu. Ils ne sont pas du reste les seuls qui l’aient proclamé ; déjà le Prophète avait dit : Qui est Dieu comme vous ? puis il montre ce qui est propre à Dieu, en disant : Vous effacez les iniquités et faites disparaître les injustices. (Mic. 7, 18) Si donc vous voyez quelqu’un qui fait la même chose, il est Dieu, Dieu comme le premier.
Mais voyons comme le Christ les confond, avec quelle douceur, quelle modestie, quelle charité ! Et voici que quelques-uns des scribes dirent en eux-mêmes : celui-ci blasphème. (Mat. 9, 3) Ils n’avaient pas prononcé une parole, pas dit un mot, mais leur critique était encore cachée au fond de leur âme. Que fait le Christ ?
Il révèle publiquement leurs pensées secrètes ; avant de se montrer Dieu par la guérison du paralytique, il veut par un autre moyen leur faire voir la puissance de sa divinité. Dieu seul en effet peut révéler les pensées secrètes : Vous seul, dit le Prophète, connaissez les cœurs. Et voulez-vous voir que ce mot seul n’exclut pas le Fils ? Si le Père seul connaît les cœurs, comment le Fils pourrait-il pénétrer le secret des pensées ? Or il est dit qu’il, savait par lui-même ce qu’il y avait dans l’homme (Jn. 2, 25) ; et saint Paul, pour montrer que c’est le propre de Dieu de connaître les choses cachées au fond de la pensée, dit : Celui qui scrute les cœurs (Rom. 8, 27), montrant que c’est la même chose que de scruter les cœurs ou de s’appeler Dieu. Quand je dis Celui qui fait pleuvoir, je ne désigne que Dieu, et cela par une de ses œuvres ; quand je dis Celui qui fait lever le soleil, sans ajouter le mot Dieu, je n’en désigne pas moins Dieu par son œuvre : de même quand saint Paul dit Celui qui scrute les cœurs, il montre que ce ne peut être l’œuvre que de Dieu seul. Car si cette péri phrase n’avait pas pour nous désigner Dieu la même force que le mot propre, il ne l’eût pas employée seule. Si cet attribut lui était commun avec la créature, nous ne saurions pas qui il a voulu désigner ; la confusion aurait régné dans l’esprit des auditeurs. Afin donc de montrer que ce qui est propre au Père, appartient aussi au Fils, et que par conséquent tous deux sont égaux„ le Seigneur dit : Pourquoi pensez-vous mal en vos cœurs ? Lequel est le plus facile de dire : Vos péchés vous sont remis, on de dire : Levez-vous et marchez ? (Mat. 9, 4, 5)
7. Voici qu’il donne une seconde preuve que les péchés sont remis. II est bien plus grand de remettre les péchés que de guérir les corps, d’autant plus grand que l’âme est au-dessus du corps : si la paralysie est une maladie du corps, le péché est une maladie de l’âme ; mais si le premier miracle est plus grand, il n’est pas visible ; le second est plus petit, mais il se voit. Jésus va se servir du plus petit pour faire croire au plus grand, et afin de montrer que c’est par condescendance pour leur faiblesse qu’il en agit ainsi, il dit : Lequel est le plus facile de dire : Vos péchés vous sont remis, ou de dire : Levez-vous et marchez ? pourquoi, Seigneur, passez-vous d’un plus grand miracle à un plus petit ? Parce qu’un miracle : visible leur sera une démonstration plus claire qu’un miracle invisible. Aussi ne guérit-il pas le malade avant de ; leur avoir dit : Afin que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés : Levez-vous, dit-il alors au paralytique, et marchez (Mat. 9, 6) ; comme s’il disait : Pardonner les péchés est une merveille plus grande, mais à cause de vous j’en ajoute une moindre, puisque vous regardez celle-ci – comme preuve de celle-là. Dans une autre circonstance, il loua ces paroles du centurion : Dites seulement une parole et mon serviteur sera guéri ; car je dis ci celui-ci : va, et il va, et â celui-là viens, et il vient (Mat. 8, 8-9) Il le rassura par ses éloges ; dans une autre circonstance encore, il reprit les Juifs qui le critiquaient à propos du sabbat, lui reprochant de le violer, et il leur montra qu’il avait le pouvoir de changer les lois ; de même en celte occasion, lorsque les Juifs eurent dit-il se fait égal à Dieu, il s’attribue ce qui n’appartient qu’au Père, il les blâme, les réprimande, leur montre par ses œuvres qu’il ne blasphème point, et ainsi il nous fournit une preuve irrécusable qu’il a la même puissance que son Père. Mais remarquez comment il veut établir ce point fondamental que ce qui appartient au Père seul lui appartient aussi, à lui. Il ne se contente pas de guérir le paralytique, il dit en même temps : Afin que vous sachiez, que le Fils de l’homme a le pouvoir sur la terre de remettre les péchés; tant il met de soin et d’attention à montrer qu’il a la même puissance que son Père.
8. Tous ces enseignements, ceux que nous avons reçus hier et avant-hier, retenons-les avec soin, prions pour qu’ils se gravent inaltérables dans nos âmes, apportons-y tous nos efforts et attachons-nous Fans cesse à ces leçons. C’est ainsi que nous garderons ce que nous avons acquis déjà et que nous acquerrons plus encore ; et si quelque chose nous échappe parla suite, une instruction assidue nous le fera recouvrer. Et non-seulement notre intelligence ne sera nourrie que de doctrines saines et pures, mais nous surveillerons nos actions avec plus de soin et nous pourrons achever la vie présente dans la joie et la paix. Car toutes les souffrances qui agitent notre âme se calmeront facilement puisque le Christ est là et que celui qui l’approche avec foi obtient sans peine sa guérison. Souffrez-vous d’une faim continuelle, êtes-vous privé du nécessaire, êtes-vous quelquefois forcé de prendre votre repos avant d’avoir apaisé votre faim ? Venez ici, entendez saint Paul, nous disant qu’il a vécu dans la faim, la soif, la nudité, non un jour, ni deux, ni trois, mais toute sa vie (c’est en effet ce que signifient ces paroles : Jusqu’à cette heure nous souffrons la faim, la soif, la nudité). (1Co. 4, 11) Vous vous sentirez assez consolé en voyant dans mes instructions que, si Dieu vous laisse souffrir de la faim, ce n’est pas qu’il vous haïsse ou qu’il vous abandonne. Si c’était un effet de sa haine il ne l’aurait pas fait supporter à saint Paul, celui des hommes qu’il chérit le plus : il n’agit ainsi que par intérêt, par bienveillance, pour nous porter à une perfection plus grande. Votre corps est-il assiégé par la maladie et par mille autres maux, vous serez consolé en voyant ces deux paralytiques, et avec eux le grand, le noble disciple de saint Paul, qui vécut dans de continuelles infirmités, à qui la maladie ne laissa pas un instant de relâche, comme saint Paul nous l’apprend par ces paroles : Usez d’un peu de vin, à cause de votre estomac et de vos fréquentes infirmités (1Co. 4, 11), fréquentes, nous dit-il. Votre honneur est-il attaqué publiquement par la calomnie, et ses attaques sont-elles assez vives pour agiter et tourmenter votre âme, venez et écoutez : Vous êtes heureux, lorsque les hommes vous maudissent et disent faussement toute sorte de mal de vous ; réjouissez-vous et tressaillez de joie, parce que votre récompense est grande dans les cieux (Mat. 5,11-12) ; et alors votre tristesse disparaîtra et vous serez comblés de joie : Réjouissez-vous et tressaillez, lorsqu’ils vous injurieront. (Luc. 6, 22-23) Voilà comme il console ceux qui sont calomniés et voici comme il enraye les calomniateurs : Toute parole oiseuse que les hommes auront prononcée, ils en rendront compte (Mat. 12, 36), qu’elle soit bonne ou mauvaise. Avez-vous perdu votre épouse, votre fils, un de vos parents, entendez saint Paul gémissant sur la vie présente, appelant de tous ses vœux la vie future, affligé de se voir retenu ici-bas, et vous sentirez votre peine adoucie par ces mots : Je ne veux pas, mes frères, que vous soyez dans l’ignorance touchant ceux qui dorment, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font tous les autres qui n’ont pas d’espérance (1Th. 4, 12) Il ne dit pas touchant ceux qui sont morts, mais ceux qui dorment, pour montrer que la mort n’est qu’un sommeil. Lorsque nous voyons quelqu’un dormir, nous restons sans trouble, sans abattement, parce que nous savons qu’il se réveillera ; de même, lorsque nous voyons quelqu’un mort, nous n’éprouvons pas de trouble, pas d’abattement ; ce sommeil, pour être long, n’en est pas moins réellement un sommeil. Par ce mot de sommeil, il console les fidèles affligés et répond aux accusations des infidèles. Si vous pleurez d’une douleur inconsolable celui qui vous a quitté, vous ressemblez à cet infidèle qui ne croit pas à la résurrection. C’est avec raison qu’il pleure puisqu’il ne trouve dans l’avenir rien qui le rassure ; mais pour vous que tant de preuves ont dû convaincre de la réalité d’une vie future, pourquoi tomber dans le même découragement ? C’est pour cela qu’il dit : Je ne veux pas que vous soyez dans l’ignorance touchant ceux qui dorment, afin que vous ne vous attristiez pas, comme font les autres qui n’ont pas d’espérance.
Ce n’est pas seulement le Nouveau, c’est encore l’Ancien Testament qui nous présentera de douces consolations. En voyant Job après la ruine de sa fortune, la perte de ses troupeaux, la mort, non d’un, ni de deux, ni de trois de ses enfants, mais de tous, enlevés à la fleur de l’âge, en le voyant, dis-je, montrer tant de courage, fussiez-vous le plus pusillanime des hommes, il vous sera facile de maîtriser votre douleur et de la supporter. Car, vous, vous avez assisté à la dernière maladie de votre enfant, vous l’avez vu reposant sur son lit, vous avez entendu ses dernières paroles, recueilli son dernier soupir, fermé ses yeux et sa bouche. Et ce patriarche ne vit pas l’agonie de ses enfants, n’assista pas à leurs derniers instants ; tous ils n’eurent qu’un même tombeau, leur propre maison, et sur la même table ce fut un mélange informe de têtes brisées, de sang répandu, de poutres, d’argile, de poussière, de chairs broyées. Et pourtant après une si grande épreuve, il ne se laisse aller ni aux gémissements, ni au désespoir ; mais que dit-il ? Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a ôté, la volonté du Seigneur s’est accomplie : que le nom du Seigneur soit béni dans tous les siècles ! (Job. 1, 21) Que ces paroles soient les nôtres en toute circonstance ; quelque malheur qui nous arrive, perte de biens, maladies, épreuves, calomnies, affliction quelle qu’elle soit, disons toujours : Le Seigneur m’a donné, le Seigneur m’a ôté, la volonté du Seigneur s’est accomplie ; que le nom dit Seigneur soit béni dans toits les siècles ! Si telle est notre sagesse, nous ne souffrirons aucun mal, quand même nous endurerions mille tourments ; mais le gain nous sera plus grand que la perte, les biens que les maux ; par ces paroles nous nous rendrons Dieu propice et nous éloignerons notre ennemi : car, aussitôt que ces paroles sont prononcées, le démon s’enfuit, et, quand il s’enfuit, tout nuage de tristesse se dissipe, et en même temps toutes les pensées qui vous affligent s’évanouissent, et, en outre, vous vous assurez et les biens de la terre et ceux du ciel, témoin Job, témoins les apôtres qui, ayant méprisé pour Dieu les maux d’ici-bas, jouissent des biens éternels. Résignation donc ! en tout événement réjouissons-nous, rendons grâce à la bonté de Dieu, afin que nous passions dans la paix la vie présente et que nous obtenions les biens futurs, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit gloire, honneur, puissance à jamais, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.