Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre VI. Que votre règne arrive. — Que votre volonté soit faite.

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 293-294).
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CHAPITRE VI. QUE VOTRE RÈGNE ARRIVE. – QUE VOTRE VOLONTÉ SOIT FAITE. modifier


20. Seconde demande : « Que votre règne arrive. » Le Seigneur lui-même nous apprend que le jour du jugement viendra quand l’Evangile aura été prêché à toutes les nations[1] ; ce qui touche à la sanctification, du nom de Dieu. Ici ces mots : « que votre règne arrive » ne signifient pas que Dieu ne règne pas maintenant. Mais, dira-t-on peut-être, cela signifie : « qu’il arrive » sur la terre. Comme si Dieu ne régnait pas sur la terre et n’y avait pas régné depuis la création du monde. Ce mot : « qu’il arrive » signifie donc : qu’il soit manifesté aux hommes. Car comme la lumière, quoique présente, n’existe pas pour les aveugles ni pour ceux qui ferment les yeux ; ainsi le règne de Dieu, quoique permanent sur la terre, est absent pour ceux qui l’ignorent. Or il ne sera plus possible à personne d’ignorer le règne de Dieu quand son Fils unique viendra du ciel d’une manière non seulement spirituelle, mais encore visible et sous forme humaine, juger les vivants et les morts[2]. Après ce, jugement, c’est-à-dire quand la séparation des bons et des méchants sera faite, Dieu habitera dans les justes de telle sorte qu’il n’auront plus besoin d’être instruits par un homme, mais que tous, comme il est écrit, « seront enseignés de Dieu[3]. » Ensuite la vie heureuse se complétera dans les saints pour l’éternité ; comme les anges du ciel très saints et très heureux, ils se sont éclairés de Dieu seul, et conséquemment sages et heureux, suivant que le Seigneur lui-même la promis aux siens : « A la résurrection, ils seront, dit-il, comme les anges dans le ciel[4]. »
21. Voilà pourquoi cette demande : « Que votre règne arrive » est suivie de celle-ci : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel » c’est-à-dire : comme votre volonté se fait dans les anges qui sont au ciel, de telle sorte qu’ils s’attachent à vous et jouissent de vous, saris qu’aucune erreur obscurcisse leur sagesse, sans qu’aucune misère trouble leur bonheur : ainsi se fasse-t-elle dans vos saints qui sont sur la terre, dont le corps est fait de terre et qui doivent être repris à la terre pour être transformés et rendus dignes d’habiter le ciel. C’est là aussi le sens de cette acclamation des anges : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté[5] » ils demandent que précédée de notre bonne volonté qui répond à l’appel, la volonté de Dieu s’accomplisse parfaitement en nous comme dans les anges du ciel, et qu’aucune adversité ne trouble notre bonheur qui est la paix. Ces paroles : « que votre volonté soit faite,» s’entendent aussi très bien dans ce sens : qu’on obéisse à vos commandements, sur la terre comme au ciel, c’est-à-dire chez un homme comme chez un ange. Car faire la volonté de Dieu c’est obéir à ses commandements, comme le Seigneur lui-même nous ledit : « Ma nourriture est de faire la volonté de Celui qui ma envoyé[6] » et en plus d’un endroit : « Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé[7] : » et encore : « Voici ma mère et mes frères ; et quiconque fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, et ma mère et ma sœur[8]. » Donc la volonté de Dieu est certainement faite dans ceux qui accomplissent la volonté de Dieu ; non parce qu’ils font que Dieu veuille, mais parce qu’ils font ce qu’il veut, c’est-à-dire agissent selon sa volonté.
22. Il y a encore un autre sens : « que votre volonté soit faite dans la terre comme au ciel » c’est-à-dire chez les pécheurs, comme chez les saints et les justes. Et ceci peut aussi s’entendre de deux manières : ou que nous prions pour nos ennemis, car peut-on considérer autrement ceux contre le gré desquels le nom chrétien et catholique se propage ? en sorte que ces paroles : « que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel » veuillent dire que les pécheurs fassent votre volonté comme les justes, et qu’ils se convertissent. Ou bien : « que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel » signifie que chacun soit traité selon ses mérites : ce qui arrivera au dernier jugement, quand les justes seront récompensés et les pécheurs condamnés, quand les agneaux seront séparés des boucs[9].
23. Une interprétation, qui n’est point déraisonnable, mais qui s’accommode au contraire parfaitement à notre foi et à notre espérance, c’est d’entendre, par ciel et terre, l’esprit et la chair. Quand l’Apôtre dit : « J’obéis par l’esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché[10] » nous voyons la volonté de Dieu s’accomplir dans l’esprit, c’est-à-dire dans l’âme. Mais quand la mort aura été absorbée dans sa victoire, quand ce corps mortel aura revêtu l’immortalité, ce qui arrivera à la résurrection de la chair, lors du changement promis aux justes, selon l’enseignement du même Apôtre[11] ; alors la volonté de Dieu sera faite sur la terre comme au ciel : c’est-à-dire, comme l’esprit ne résistera plus à Dieu, mais lui obéira et fera sa volonté ; de même le corps ne résistera plus à l’esprit ou à l’âme, qui est maintenant accablée par l’infirmité du corps et entraînée aux habitudes charnelles. Ce sera alors la paix parfaite dans la vie éternelle, en sorte que non seulement nous pourrons vouloir le bien, mais encore le faire. « Car maintenant, nous dit l’Apôtre, le vouloir réside en moi, mais accomplir le bien, je ne l’y trouve pas : » parce que la volonté de Dieu ne s’accomplit pas encore sur la terre comme au ciel, c’est-à-dire dans la chair comme dans l’esprit. Cependant la volonté de Dieu se fait dans notre misère, quand nous souffrons par la chair ce qui nous est dû en raison de la mortalité que notre nature a contractée par le péché : mais il faut demander que cette volonté se fasse sur la terre comme au ciel, c’est-à-dire que, comme notre cœur se complaît dans la loi, selon l’homme intérieur[12], ainsi, par la transformation de notre corps, aucune partie de nous-mêmes ne mette obstacle à cette complaisance, par des douleurs ou des plaisirs terrestres.
24. Nous pouvons encore, sans blesser la vérité, traduire ces paroles : « Que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel » par celles-ci : dans l’Église, comme dans Notre Seigneur Jésus-Christ ; dans la femme qui lui a été fiancée, comme dans l’Époux quia accompli la volonté du Père. En effet le ciel et la terre peuvent, en quelque sorte, être considérés comme époux, puisque la terre est fécondée par l’influence du ciel.

  1. Mt. 24, 14
  2. Rét. 1, ch. 19 n. 8
  3. Isa. 54, 13 ; Jean, 6, 45
  4. Mt. 22, 30
  5. Lc. 2, 14
  6. Jn. 4, 34
  7. Ib. 6, 38
  8. Mt. 12, 49-50
  9. Mt. 25, 33-46
  10. Rom. 7, 25
  11. 1 Cor. 15, 42,55
  12. Rom. 7, 18,22