Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre VII. Le pain quotidien.

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 294-295).
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CHAPITRE VII. LE PAIN QUOTIDIEN. modifier


25. La quatrième demande est : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Le pain quotidien signifie ici ou tout ce qui nécessaire aux besoins de cette vie, à propos de quoi le Seigneur ajoute : « donnez-nous aujourd’hui » conformément à l’ordre tracé ailleurs : « Ne pense pas au lendemain » ou le sacrement du corps du Christ, que nous recevons tous les jours : ou la nourriture spirituelle dont le même Seigneur nous dit : « Travaillez, non en vue de la nourriture qui périt » et encore : « Je suis le pain de vie qui suis descendu du ciel[1]. » Mais on peut examiner lequel de ces trois sens est le plus probable. Peut-être pourrait-on s’étonner que nous soyons obligés de prier pour obtenir ce qui est nécessaire à la vie du corps, comme la nourriture et le vêtement, par exemple, quand le Seigneur nous dit : « Ne vous inquiétez point de ce que vous mangerez, ni de quoi vous vous vêtirez. » Or, peut-on ne pas s’inquiéter de ce qu’on demande, alors que l’attention de l’esprit doit être fixée dans la prière sur l’objet de sa demande tellement que c’est à cela qu’il faut rapporter ce que le Sauveur a dit de la chambre dont on doit fermer les portes, et aussi ces paroles : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice et toutes ces choses vous seront données par surcroît ? » Évidemment le Seigneur n’a pas dit : cherchez d’abord le royaume de Dieu et cherchez ceci ensuite ; mais : « tontes ces choses vous seront données par surcroît. » Mais je ne vois donc pas comment on peut dire que quelqu’un ne cherche pas ce qu’il demande à Dieu avec la plus grande attention.
26. Quant au sacrement du corps du Seigneur pour ne pas soulever d’objection de la part des nombreux orientaux qui ne participent point chaque jour à la cène du Seigneur, bien qu’on l’appelle pain quotidien ; pour qu’ils gardent le silence, dis-je, et ne défendent pas leur opinion en s’appuyant sur l’autorité ecclésiastique, sous prétexte qu’ils font cela sans scandale, que les chefs des églises ne s’y opposent pas, et qu’on ne les taxe point de désobéissance, ce qui prouve que, dans ces contrées, ce n’est pas là le sens qu’on attache aux mots pain quotidien : autrement ceux qui ne le reçoivent pas tous les jours seraient regardés comme grandement coupables : pour ne pas discuter là-dessus, disons au moins que quiconque réfléchit doit voir clairement que le Seigneur nous a donné une forme de prière à laquelle nous ne pouvons, sans transgression, rien ajouter ni rien ôter. Cela étant, qui osera soutenir que nous ne devons réciter qu’une fois l’oraison dominicale ; ou que si nous devons la réciter deux ou trois fois, ce ne peut être que jusqu’à l’heure où nous participons au corps du Seigneur, et non pendant le reste du jour ? Car alors nous ne pourrions plus dire « donnez-nous aujourd’hui » ce que nous aurions déjà reçu, ou bien on pourrait nous obliger à recevoir ce sacrement vers la fin du jour.
27. Il ne nous reste donc plus qu’à entendre par pain quotidien la nourriture spirituelle, à savoir les préceptes divins, que nous devons méditer et accomplir tous les jours. Le Seigneur y fait allusion quand il dit : « Travaillez en vue de la nourriture qui ne périt pas. » Or cette nourriture s’appelle quotidienne maintenant, tant que cette vie mortelle se prolongera par la succession des nuits et des jours. En réalité tant que les affections de l’âme se portent. tour à tour en haut et en bas, c’est-à-dire tantôt aux choses spirituelles, tantôt aux inclinations charnelles ; comme un être qui est alternativement rassasié et pressé par la faim, elle a besoin d’un pain quotidien pour calmer la faim et restaurer ses forces abattues. Ainsi comme notre corps, tant qu’il est en cette vie, c’est-à-dire avant sa transformation, répare, par la nourriture, les forces qu’il a dépensées ; de même notre âme, souffrant une déperdition par les affections temporelles qui l’éloignent de Dieu, a besoin de se refaire par la nourriture des commandements. Or on dit : « Donnez-nous aujourd’hui » pendant tout le temps qu’on peut dire aujourd’hui, c’est-à-dire durant cette vie mortelle. Car après cette vie, la nourriture spirituelle nous rassasiera tellement pendant l’éternité, qu’on ne pourrait plus dire pain de chaque jour, vu que là, la mobilité du temps, qui fait succéder les jours aux jours et permet de dire chaque jour » n’existera plus. Il faut donc entendre ici ces mots : « Donnez-nous aujourd’hui » comme ces paroles du psaume : « Aujourd’hui si vous entendez sa voix[2] » qui, selon l’interprétation de l’Apôtre dans son épître aux Hébreux, signifient : « Pendant ce qui est appelé aujourd’hui[3]. » Cependant, si quelqu’un veut entendre cette demande de la nourriture nécessaire au corps, ou du Sacrement du corps du Seigneur, il faudra qu’il admette en même temps les trois sens : c’est-à-dire que nous demandons en même temps notre pain quotidien, ce qui est nécessaire à notre corps et le sacrement visible et invisible du Verbe de Dieu.

  1. Jn. 6, 17-41
  2. Ps. 94, 8
  3. Héb. 3, 3