Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre VIII. Rémission des péchés. — Pardon des injures.

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 295-296).
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CHAPITRE VIII. RÉMISSION DES PÉCHÉS. – PARDON DES INJURES. modifier


28. Vient ensuite la cinquième demande Et remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent. » Il est clair que dettes ici signifie péchés. On le voit parce que le Seigneur dit lui-même.« Vous ne sortirez point de là que vous n’ayez payé jusqu’au dernier quart d’un as[1] » ou encore parce qu’il appelle débiteurs ceux dont on lui annonce la mort sous les ruines de la tour et ceux dont Hérode a mêlé le sang à leur sacrifice. Il dit en effet qu’on les croit plus débiteurs, c’est-à-dire plus pécheurs, que tous les autres, et il ajoute : « En vérité, je vous le dis : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous de la même manière[2]. » Ce n’est donc point ici un ordre de remettre à des débiteurs une dette d’argent, mais de pardonner à celui qui nous a offensés. Le commandement de remettre une dette pécuniaire se rattacherait plutôt à ce qui a été dit ci-dessus : « À celui qui veut t’appeler en justice pour t’enlever ta tunique, abandonne-lui encore ton manteau[3]. » Et, d’après cela encore, ce n’est pas à tout débiteur pécuniaire qu’il faut remettre sa dette, mais seulement à celui qui ne veut pas rendre et autant qu’il est disposé à plaider : car, dit l’Apôtre, « il ne faut pas qu’un serviteur de Dieu dispute[4]. » Il faut donc remettre une dette d’argent à celui qui ne veut la payer ni volontairement ni sur réclamation. En effet il ne refuse de payer que pour deux raisons : ou parce qu’il n’a pas de quoi, ou – parce qu’il est avare et avide du bien d’autrui. Or dans l’un et l’autre cas c’est indigence ; là, de biens, ici, de volonté. Ainsi remettre à un tel débiteur c’est remettre à un pauvre, c’est faire une œuvre chrétienne, en partant de cette règle fine : Qu’il faut être prêt à perdre ce qu’on nous doit. Mais si on emploie toutes les voies de modération et de douceur pour se faire rendre, non pas tant par vue d’intérêt que pour corriger un homme à qui il est certainement dangereux d’avoir de quoi rendre et de ne pas rendre ; non seulement on ne pêche pas, mais on rend un grand service. Car on empêche cet homme de perdre la foi en cherchant à s’approprier l’argent d’autrui : perte incomparablement plus grande. D’où il faut conclure que dans ces paroles : « Remettez-nous nos dettes, » il n’est pas précisément question d’argent, mais de toutes les offenses que l’on peut commettre envers nous, même en matière pécuniaire. En effet celui-là vous offense, qui refuse de vous rembourser l’argent qu’il vous doit, quand il le peut. Et si vous ne lui remettez pas cette offense, vous ne pouvez pas dire : « Remettez-nous, comme nous remettons. » Si au contraire vous lui pardonnez, c’est que vous comprenez que cette prière impose le devoir de pardonner les offenses même en matière pécuniaire.

29. On pourrait sans doute encore ajouter que quand nous disons : « Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons » nous sommes convaincus de violer cette règle en refusant de pardonner à ceux qui nous le demandent, alors que nous demandons nous-mêmes pardon à un Père plein de bonté. Mais le commandement qui nous impose l’obligation de prier pour nos ennemis[5], ne s’applique pas à ceux qui nous demandent pardon : car dès lors ils ne sont plus nos ennemis. Or il est impossible de dire qu’on prie pour ceux à qui on ne pardonne pas. Il faut donc convenir qu’il est nécessaire de pardonner toutes les offenses commises contre nous, si nous voulons que notre Père nous pardonne celles dont nous sommes coupables envers lui. Quant à la vengeance, nous en avons, je pense, parlé assez longuement plus haut[6].

  1. Mt. 5, 26
  2. Lc. 13, 1-5
  3. Mat. 5, 40
  4. 2Ti. 2, 24
  5. Mt. 5, 44
  6. Liv. 1, ch. 19, XX