Explication du Sermon sur la Montagne/Chapitre V. Qui êtes aux cieux, — Que votre nom soit sanctifié.

Œuvres complètes de Saint Augustin
Texte établi par Raulx, L. Guérin & Cie (p. 292-293).
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CHAPITRE V. QUI ÊTES AUX CIEUX. – QUE VOTRE NOM SOIT SANCTIFIÉ. modifier


17. Que le peuple nouveau, appelé à l’héritage éternel, emprunte donc la voix du nouveau Testament et dise : « Notre Père qui êtes dans les cieux » c’est-à-dire dans les saints et dans les justes. Car Dieu n’est point renfermé dans l’espace. Les cieux sont sans doute les corps les plus excellents de ce monde, mais ce sont des corps et ils ne peuvent être que dans l’espace. Et si l’on s’imagine que Dieu y réside localement comme dans la partie la plus élevée de ce monde, il faudra dire que les oiseaux ont plus de valeur que nous : car ils vivraient plus près de Dieu. Or il n’est pas écrit. Dieu est près des hommes haut placés, ou qui habitent sur les montagnes ; mais bien : « Dieu est près de ceux qui ont le cœur contrit » et la contrition est le propre de l’humilité. Et comme on donne au pécheur le nom de terre, quand on lui dit : « Tu es terre et tu iras en terre[1] » ainsi, par contre, on peut appeler le juste, ciel. En effet on dit aux justes : « Car le temple de Dieu est saint et vous êtes ce temple[2]. » Donc si Dieu habite dans son temple, et si les saints sont ce temple, on a raison d’interpréter : « Qui êtes dans les cieux » par : qui êtes dans les saints. Et cette comparaison est d’autant plus juste qu’on peut dire qu’il y a spirituellement autant de distance entre les justes et les pécheurs, qu’il y en a matériellement entre le ciel et la terre.
18. C’est pour exprimer cette pensée que, lorsque nous prions, nous nous tournons vers f0rient, le point de départ du ciel ; non que Dieu y habite et ait quitté les autres parties du monde, lui qui est présent partout, non d’une manière locale, mais par la puissance de sa majesté ; seulement l’esprit est averti par là de se tourner vers la nature la plus parfaite, c’est-à-dire vers. Dieu, puisque son corps qui est terrestre est tourné vers le corps le plus parfait, qui est le ciel. Il est en effet convenable et même très avantageux au progrès de la religion, que tous, petit ; et grands, aient de Dieu de justes idées. Voilà pourquoi il faut supporter ceux qui étant encore captivés par les beautés visibles, ne pouvant se figurer rien d’incorporel, et estimant nécessairement le ciel plus que la terre, croient que Dieu, dont ils se forment encore une idée matérielle, habite dans le ciel plutôt que sur la terre ; afin que, quand ils sauront un jour que l’âme l’emporte en dignité jusque sur le ciel ils cherchent Dieu dans l’âme plutôt que dans un corps même céleste ; et que, quand ils sauront la distance qui sépare les justes des pécheurs, eux qui n’osaient pas, dans leurs idées charnelles, placer le séjour de Dieu sur la terre, mais dans le ciel, désormais plus éclairés dans leur foi et dans leur intelligence, le cherchent dans les âmes des justes plutôt que dans celles des pécheurs. C’est donc avec raison que ces paroles : « Notre Père qui êtes dans les cieux » s’entendent du cœur des justes, où Dieu habite comme dans son temple. Par là aussi celui qui prie désirera voir résider en lui Celui qu’a invoqué, et dans cette noble ambition, il sera fidèle à la justice : ce qui est le présent le plus propre à fixer Dieu dans une âme.
19. Voyons maintenant ce qu’il faut demander. Nous avons vu quel est celui qu’on invoque et où il habite. Or la première de toutes les demandes est celle-ci : « Que votre nom soit sanctifié » ce qui ne veut pas dire que le nom de Dieu n’est pas saint, mais on demande qu’il soit regardé comme saint par les hommes ; c’est-à-dire que les hommes connaissent tellement Dieu qu’ils n’estiment rien plus saint que lui, rien qu’il faille plus craindre d’offenser. Et parce qu’il est écrit : « Le Seigneur est connu en Judée, son nom est grand dans Israël[3]» il ne faut pas croire que Dieu est moins grand ici et plus grand là ; mais seulement que son nom est grand là où on le prononce avec le respect dû à sa grandeur et à sa majesté. Ainsi son nom est saint, là où on le nomme avec vénération et crainte de l’offenser, et c’est ce qui arrive maintenant, quand l’Evangile, en se répandant encore chez les diverses nations, fait respecter le nom du Dieu unique par l’entremise de son Fils.

  1. Gen. 3, 19
  2. 1 Cor. 3, 17
  3. Ps. 75, 1