Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Amphiaraüs


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AMPHIARAÜS, l’un des plus grands prophètes du paganisme, était fils d’Oïclès, et arrière-petit-fils de Mélampus (A), qui avait reçu en don une partie du royaume d’Argos, pour avoir rendu un grand service aux femmes de ce pays-là[a]. Ce partage du royaume fut une semence de discorde, dont on remarqua les grands effets au temps d’Adraste, roi d’Argos, qui se vit contraint d’abandonner ses états, ne se pouvant maintenir contre la faction d’Amphiaraüs[b]. Celui-ci avait fait mourir Talaüs, père d’Adraste, et s’était saisi de la couronne [c]. On pacifia cette querelle par le mariage d’Amphiaraüs avec Ériphyle, sœur d’Adraste ; de sorte que ce dernier fut rétabli. J’en parle ailleurs[d] ; et cela sans oublier les nouvelles brouilleries où Ériphyle, qui fut choisie pour arbitre, décida en faveur d’Adraste, au préjudice de son mari. Le tour qu’elle fit à son époux pendant les préparatifs de l’expédition de Thèbes fut une vilaine action. Amphiaraüs, averti par son esprit prophétique qu’il périrait dans cette guerre, ne voulait pas y aller, et se cacha : mais sa femme, gagnée par un présent, découvrit où il était[e]. Il fallut donc que, malgré lui, il accompagnât les autres princes à l’expédition de Thèbes. Elle fut très-malheureuse, et il y périt d’une façon étonnante, car la terre ayant été entr’ouverte par un coup de foudre, il fut englouti dans cet abîme, avec son chariot (B). Ceux qui disent que ce malheur lui arriva le jour même que l’armée s’approcha de Thèbes[f] se trompent : il ne mourut que le jour de la retraite ; et le siége avait duré quelque temps. Cette funeste aventure a servi de thème à quantité d’écrivains ; d’où il est venu que les circonstances n’en ont pas été rapportées uniformément. Il y a eu des réflexions assez mauvaises sur cette espèce de mort (C). On a cru qu’Amphiaraüs sortit des enfers (D), et l’on a marqué la scène de sa résurrection [g]. Il fut mis au nombre des dieux : on lui consacra des temples : son oracle fut très-célèbre (E) : les jeux qu’on institua en son honneur[h] firent du bruit. On croit qu’il excella principalement à deviner par les songes (F) ; mais il ne se borna point à cela : il fut l’inventeur des divinations qu’on fait par le feu. Il conçut un ressentiment si vif contre sa femme, qu’il ordonna aux enfans qu’il avait eus d’elle de la tuer, dès que l’âge le leur permettrait[i]. On lui a donné de grands éloges, et entre autres celui-ci, qu’il travaillait à être honnête homme, et non pas à le paraître (G). Grand sujet à réflexions (H). Apollodore, si je ne me trompe, est le seul qui l’ait inséré dans le catalogue des Argonautes [j] ; car Apollonius, ni Hyginus, ni Valérius Flaccus, ne l’ont point fait. On le compte parmi les gens sages qui ont eu le malheur d’être engagés à des entreprises dirigées par des étourdis (I). C’est sans doute un sort déplorable, et qui n’est que trop commun. La manière dont il consola une femme qui pleurait la mort de son fils (K) demande une note. Je voudrais savoir le détail du procès que les partisans firent à ses prêtres (L). J’ai montré ailleurs[k] la nullité d’un raisonnement par lequel on voulait prouver la certitude de ses prophéties. Il laissa bien des enfans (M), dont l’un fut le fondateur de Tibur en Italie. Pline fait cette remarque, en rapportant des choses fort singulières touchant la longue vie des arbres.

  1. Voyez l’article de Mélampus.
  2. Pindarus, Od. IX Nemeor., p. 608.
  3. Voyez le Commentaire de Benoît sur Pindare, là même, pag. 608, 609.
  4. Dans la remarque (F) de l’article Adraste,
  5. Voyez l’article d’Alcméon, fils d’Amphiaraüs.
  6. Charles Étienne, et Lloyd, dans leurs Dictionnaires : Olivier sur Val. Max., liv. VIII vers la fin, et plusieurs autres.
  7. Voyez dans la citation (45).
  8. Voyez Benoit sur Pindare, Ode VII Olymp., pag. 143.
  9. Cela fut exécuté par Alcméon, son fils. Voyez son article.
  10. Apollodorus, lib. I, pag. 53.
  11. Dans la remarque (F) de l’article Mélampus.

(A) Il était arrière-petit-fils de Mélampus. ] Voici la généalogie d’Amphiaraüs. Son père Oïclès était fils d’Antiphates, fils de Mélampus, fils d’Amythaon, fils de Créthéus et de Tyro, qui était fille de Salmonée, qui comptait Deucalion pour son bisaïeul paternel[1]. C’est ce que vous trouverez dans Diodore de Sicile. Si vous consultez Homère[2], il ne vous mènera que jusqu’à Mélampus, père d’Antiphates, père d’Oïclès, père d’Amphiaraüs. Chacun de ces deux auteurs donne Mélampus pour le bisaïeul d’Amphiaraüs ; mais il n’est que son aïeul dans le scoliaste d’Eschyle, qui range ainsi les filiations : Amphiaraüs, fils d’Oïclés, fils de Mélampus, fils d’Amythaon, fils de Créthéus, fils d’Æole, fils d’Hellen, fils de Jupiter [3]. Souvenons-nous qu’Hypermnestra [4], fille de Thestius[5], était la mère d’Amphiaraüs, et qu’il y a des auteurs qui disent qu’il était fils d’Apollon[6]. Notez qu’on trouve dans Apollodore, aussi-bien que dans le scoliaste d’Eschyle, que Créthéus était fils d’Æole [7]. Il était donc frère de Salmonée, de Sisyphe, etc. Avant qu’il épousât Tyro sa nièce, elle avait eu de Neptune deux jumeaux, Pélias et Néleüs [8]. Il eut d’elle trois fils : Æson, Amythaon et Phères[9]. L’aîné fut père de Jason. Consultez Apollodore, qui vous apprendra qu’Amphiaraüs était parent de presque toutes les personnes illustres de la Grèce.

(B) Il fut englouti dans un abîme, avec son chariot. ] Pindare et Apollodore sont de ceux qui disent qu’un coup de foudre entr’ouvrit la terre, et que ce fut un coup de grâce de Jupiter ; car, sans cela, Amphiaraüs eût eu la honte d’être tué par Périclymène ; qui le poursuivait :

ὁ δ᾽Αμϕιἀρηϊ
σχίσεν κεραύνῷ παμϐίᾳ
Ζεὺς τὰν βαθύςερνον χθόνα,
κρύψεν δ᾽ ἅμ᾽ ἱπποις,
δουρὶ Περικλυμένου πρὶν
νῶτα τυπέντα μαχατὰν
θυμὸν αἰσχυνθῆμεν[10].

Amphiarao autem
diffidit fulmine adversùs omnia violento
Jupiter lato pectore terram,
occultavitque illum cum equis,
hastâ Periclymeni priusquàm
terga percussus, pugnacem
animum pudefieret.


Vous voyez là, et dans un autre passage du même poëte[11], qu’Amphiaraüs et son chariot tombent tout à la fois dans le précipice. C’est la tradition la plus commune[12] ; mais quelques-uns ne laissèrent pas de dire qu’il tomba de son chariot pendant le combat, et qu’ensuite le chariot fut transporté vide dans un autre lieu[13]. Ils se fondaient sur ce que le temple d’Amphiaraüs était un peu éloigné d’un certain village qui se nommait Harma, et qui ne portait ce nom qu’à cause de son chariot. Ils prétendaient que le temple fut bâti où le prophète mourut, et que le village Harma fut bâti où le chariot fut transporté[14]. Pausanias lui donne le nom de ville, et marque précisément qu’on la bâtit où l’on prétendait que la terre avait englouti Amphiaraüs et son chariot[15]. C’était la prétention des Tanagriens ; car ceux de Thèbes indiquaient un autre lieu, situé sur le grand chemin de Potnies à Thèbes, et environné de colonnes, et dont on contait deux beaux miracles : l’un, que les oiseaux ne se reposaient jamais sur ces colonnes ; l’autre, qu’aucune bête ne touchait à l’herbe qui croissait en cet endroit-là[16]. Étienne de Byzance, faisant mention de la ville de Harma, dit une chose entièrement opposée à la tradition, et à l’auteur même qu’il cite[17] ; car il assure que cette ville fut ainsi nommée, parce qu’on disait qu’Amphiaraüs, monté sur son chariot, s’y retira, et que les habitans ne voulurent pas le livrer à ceux qui le poursuivaient [18]. N’est-ce point prétendre qu’il sauva sa vie, et démentir une infinité d’auteurs, qui content qu’il fut abîmé dans les entrailles de la terre ? Le grand Saumaise s’est imaginé qu’il manque deux ou trois mots à cet article d’Étienne : c’est-à-dire, qu’après avoir fait mention du chariot d’Amphiaraüs on avait parlé de celui d’Adraste ; de sorte qu’il faut rapporter à ce dernier ce qui concerne le refus des habitans[19]. Cette conjecture est ingénieuse, et on la peut confirmer par un passage de Strabon, où il est dit que les habitans de Harma, dans la Béotie, sauvèrent Adraste, après que son chariot eut été brisé en ce lieu-là[20]. On ne peut point faire une semblable conjecture en faveur d’Eustathius. On doit dire sans hésiter, qu’il a écrit [21] que celui que les habitans de Harma sauvèrent était Amphiaraüs, et non pas Adraste.

Notez que Strabon est tombé dans une bévue que Saumaise n’a pas manqué de censurer : Ἐνταῦθᾳ δὲ που, καὶ τὸ Ἀμϕιαράειον ἐςὶ τετιμημένον ποτὲ μαντεῖον, ὅπου ϕυγόντα τὸν Ἁμϕιάρεων, ὡς ϕησὶ Σοϕοκλῆς,

Ἐδέξατο ῥαγεῖσα Θηϐαία κόνις,
Αὐτοῖσιν ὅπλοις, καὶ τετραρίςῳ δίϕρῳ[22].


Circa quem locum oraculum fuit Amphiaraï, olìm cultum : ubi fugientem Amphiaraüm, ut ait Sophocles,

« Thebanus hausit pulvis hiatu præpete,
« Arma et quadrigas absorbens simul et virum. »


Strabon veut prouver que l’oracle d’Amphiaraüs, au territoire d’Orope, était situé au même lieu où ce devin fut englouti par la terre : et il apporte en preuve deux vers de Sophocle, qui témoignent que la terre se fendit dans le territoire de Thèbes, pour engloutir Amphiaraüs et son chariot. Saumaise critique cela avec beaucoup de raison[23]. Isaac Vossius a pris le parti de Strabon ; mais, en cette rencontre, il a fait voir qu’une envie trop ardente de trouver des fautes dans les écrits d’un adversaire est un guide dangereux. Desinat quoque mirari, dit-il[24], quòd multi Oropum urbem in regione sive agro Thebano collocârint. Rectè enim hoc ab illis factum, cùm Oropus non sui juris, sed propria fuerit Thebanorum. Hoc manifestè Dicæarchus docetἡ δὲ πόλις Ὠρωπίων οἰκεία Θηϐῶν ἐςί. En premier lieu, la proposition de Dicéarque, prise généralement, et pour tous les temps, n’est point vraie. Orope fut un long sujet de dispute entre les Athéniens et les Thébains. Ceux-là en acquirent enfin pleinement la possession, après que Philippe de Macédoine eut pris la ville de Thèbes[25]. En second lieu, de ce qu’Orope appartenait aux Thébains, il ne s’ensuit pas qu’elle fût au territoire de Thèbes, in agro Thebano. Un auteur, cité par Plutarque, assure que la ville de Harma fut bâtie où se donna le combat entre les Argiens et les Thébains, et Amphiaraüs fut englouti[26]. C’est une faute de géographie, mais beaucoup moins ridicule que ce que conte le même auteur, que le jour qui précéda le combat, un aigle enleva la lance d’Amphiaraüs pendant que les généraux dînaient ensemble : l’ayant portée bien haut, il la laissa retomber : elle se ficha dans la terre, et devint un arbre. Τὸ δὲ παγὲν ἐν γῇ δάϕνη ἐγένετο. Ea terrâ infixa in laurum est mutata[27]. Voici des paroles du scoliaste de Stace, qui ont été critiquées : Civitas in illo loco post est condita, in quo hiatus terræ Amphiaraum recepit, quæ Amphiarma vocatur, ut Homerus ait, quòd illic currus quem Græci ἅρμα vocant deciderit, in quo etiam oraculum est quod græcè Amphiaraon vocatur. Barthius[28] prétend que ce scoliaste allègue mal à propos le témoignage d’Homère, puisqu’on ne trouve rien de semblable dans le livre de l’Odyssée où il est parlé d’Amphiaraüs [29]. Il ajoute, que peut-être le nom d’Homère est entré là par la faute des copistes, et que si l’on ne suppose point cela, il faut dire que le scoliaste a fait un péché de mémoire qui lui est assez familier, et à beaucoup d’autres : Vel alium ergò auctorem nominavit intruso nunc Homeri titulo Lutatius, vel errorem erravit nec ipsi insolitum, nec aliis paris momenti auctoribus infrequentem [30]. Cette critique n’est pas juste : il la fallait diriger ailleurs. Il fallait dire premièrement, que la ville qui fut bâtie où Amphiaraüs périt, s’appelait Harma, et non Amphiarma. Secondement, qu’Homère s’est contenté de la nommer, sans faire aucune remarque étymologique Ὀιτ᾽ ἀμϕ᾽ ἄρμα ἐνέμοντο, quique circum Harma habitabant[31]. En troisième lieu, que l’oracle de ce prophète n’était point à Harma.

Finissons cette remarque par un passage de Barthius, qui nous apprendra qu’on prétend que les païens ont fait allusion à l’aventure de Coré et d’Abiram : Placet non planè absurdam conjecturam veteris adnotatoris proponere, per hunc casum alludi à paganis scriptoribus ad vindictam divinam in sacerdotes hebræi populi, Datamum nimirùm et Abiramum, quos non ritè rebus sacris ministrantes Deus omnipotens coram omni illâ gente vivos ad inferos per hiatum terræ subitum dejecerit. Ei rei respondere nonnihil etiam posteriùs dicti vocabulum ; facilè enim ex Abiramo gentilium deliria Amphiaraum fecisse, quem, Israëlitâ gente jam eo loco remotâ, quo loco ista absorptio acciderit, consecrâsse postmodum, Satana instituente oraculum. Et indè cultum impii hominis aliorsùm longè latèque propagatum[32].

(C) Il y a eu des reflexions assez mauvaises sur cette espèce de mort. ] On a cru que l’ordre de la nature y avait été renversé : cet ordre, dis je, selon lequel les parties d’un composé qui se dissipe doivent retourner chacune en son lieu : par exemple, quand l’homme meurt, son âme doit s’envoler vers le ciel, d’où elle a été tirée, et son corps, pris de la terre, y doit retourner. Amphiaraüs n’avait point joui de ce bénéfice ; la terre l’avait englouti en corps et en âme : elle ne s’était pas contentée de reprendre ce qui lui appartenait, elle avait aussi retenu ce qui ne lui appartenait pas. Le devin Thiodamas lui en fait une espèce de reproche :

...... Liceat, precor, ordine belli
Pugnaces efflare animas, et reddere cælo.
Ne rape tam subitis spirantia corpora bustis.
Ne propera : veniemus enim quo limite cuncti
Quâ licet ire viâ[33].


Un commentateur dit là-dessus : Iniquitas manifesta Telluri hìc exprobratur, quâ animam Amphiaraï cum corpore egerit deorsùm[34]. Il venait de rapporter une doctrine d’Épicharme, qui est très-belle : L’homme avait été fait par l’assemblage de deux parties : elles se séparent, et chacune retourne d’où elle était venue, la terre à la terre, et l’esprit en haut : il n’y a rien là de mauvais. Καλῶς οὖν ὁ Ἐπίχαρμος συνεκρίθη, ϕησὶ, καὶ διεκρίθη, καὶ ἀπῆλθεν ὁθεν ἦλθε πάλιν, γᾶ μὲν εἰς γἄν, πνεῦμα δὲ ἀνώτι᾽ τῶν δὲ χαλεπὸν ; οὐδε ἓν. Præclarè igitur Epicharmus, concretum, inquit, fuit et discretum est, reditque undè venerat, terra deorsùm, spiritus sursùm. Quid ex his omnibus iniquum est ? Nihil[35]. On trouve cette pensée dans les écrits de plusieurs païens[36], et même dans les poésies de Lucrèce, comme je l’ai dit ailleurs[37]. C’était pour le moins connaître en gros la vérité : mais ceux qui s’imaginaient que l’âme d’Amphiaraüs n’avait pas joui de la liberté de se réunir à son principe, se trompaient grossièrement. Quand même elle n’aurait pas été immatérielle, mais de la nature des astres, elle aurait trouvé aisément une bonne issue pour remonter. Les poëtes qui dirent qu’il vivait encore quand il arriva dans les enfers, mettaient plus d’obstacles au retour de son esprit vers les régions célestes ; car il semble qu’il soit plus facile de gagner le haut, si l’on commence à y tendre un peu au dessous de la surface de la terre, que si l’on s’enfonce jusqu’au centre, avant que de commencer son vol vers le ciel : mais ces fantaisies poétiques sont trop éloignées du sérieux, pour mériter que l’on s’y arrête, et je crains que mes lecteurs ne trouvent mauvais que je copie ceci :

... Ecce altè præceps humus, ore profundo
Dissilit, inque vicem timuerunt sidera, et umbræ.
Illum ingens haurit specus, et transire parantes
Mergit equos, non arma manu, non frena remisit :
Sicut erat, rectos defert in Tartara currus[38].


À la vue des Parques, il vivait encore : elles ne rompirent le fil de sa vie qu’après avoir eu bien peur de voir ce prophète en chariot dans les pays infernaux :

......... Quin cominùs ipsa
Fatorum deprensa colus : visoque paventes
Augure, tunc demùm rumpebant slamina Parcæ[39].


On trouvera moins étrange que j’observe la contradiction où ce poëte s’est jeté. Il suppose qu’Amphiaraüs, un peu avant que d’être englouti, rendit à Phœbus les enseignes prophétiques, comme une chose qui ne pouvait pas être portée au royaume de Pluton :

Accipe commissum capiti decus, accipe laurus
Quas Erebo deferre nefas[40].


Ailleurs, il suppose que Phœbus avoue que son prophète descendit dans les enfers avec toutes les enseignes de sa charge :

...... Utinam indulgere precanti
Fata darent ! en ipse mei (pudet) irritus arma
Cultoris, frondesque sacras, ad inania vidi
Tartara, et in memet versos descendere vultus[41].


Barthius, qui a relevé cette faute, observe qu’il y en a plusieurs de même nature dans la Thébaïde de ce poëte : Hoc genus plurima connivet magnanimus hic vates, et duodecim tamen annorum limam referre vult suam Thebaïdem[42].

(D) On a cru qu’Amphiaraüs sortit des enfers. ] Quelques auteurs affectent de dire qu’il disparut : Ἀμϕιάραος δὲ χανούσης τῆς γῆς ἐμπεσὼν εἰς τὸ χάσμα μετὰ τοῦ ἅρματος ἀϕανὴς ἐγένετο[43]. Amphiaraüs verò dehiscente terrâ cadens in hiatum cum curru inconspicuus evasit. Apollodore ajoute cette raison : c’est que Jupiter lui donna l’immortalité : Ὁ δὲ σὺν τῷ ἅρματι…. ἐκρύϕθη καὶ Ζεὺς ἀθάνατον αὐτὸν ἐποίησεν.[44]. Is verò absorptus est et posteà nunquàm visus : illum enim Jupiter immortalitate donavit. Voilà qui peut obliger les hébraïsans à dire, que les païens ont fait allusion à l’histoire d’Énoch. Il y a d’autres auteurs qui ne biaisent point : ils supposent qu’Amphiaraüs mourut, et qu’il descendit actuellement au royaume de Pluton ; mais qu’ensuite il remonta aux régions supérieures. Ils indiquaient même le lieu par où fut faite son ascension. C’était une fontaine, proche du temple que ceux d’Orope[45] lui bâtirent. Le culte de cette fontaine était singulier : on n’y faisait point de sacrifices ; l’eau n’en était employée, ni aux purifications, ni à se laver les mains : seulement ceux qui guérissaient d’une maladie par le moyen de l’oracle jetaient une pièce de monnaie d’or ou d’argent dans cette fontaine. Ἔςι δὲ Ὠρωπίοις πηγὴ πλησίον τοῦ ναοῦ, ἣν Ἀμϕιαράου καλοῦσιν, οὔτε θύοντες οὐδὲν ἐς αὐτὴν, οὐ δ᾽ ἐπικαθαρσίοις ἢ χέρνιϐι χρῆσθαι νομίζοντες. Νόσου δὲ ἀκεσθείσης ἀνδρὶ μαντεύματος γενομένου, καθέςηκεν ἄργυρον ἀϕεῖναι καὶ χρυσὸν ἐπίσημον ἐς τὴν πηγήν· ταύτη γὰρ ἀνελθεῖν τὸν Ἀμϕιάραον λέγουσιν ἤδὴ θεόν[46]. Est etiam apud Oropios fons templo proximus, quem Amphiaraï nuncupant : ad quem neque divinam rem faciunt, neque aut ad lustrandum, aut ad manus lavandas, aquâ eâ uti fas putant : solùm, qui morbo oraculi monitu levati fuerint, signatum aurum argentumve more majorum in fontem abjiciunt. Hinc enim jam deum Amphiaraum adscendisse tradunt. Notez que tout le monde ne croyait pas la résurrection d’Amphiaraüs, et qu’on osait la nier en plein théâtre ; témoin ce vers allégué par Cicéron :

Audisne hæc, Amphiaraë sub terram abdite[47] ?

(E) On lui consacra des temples : son oracle fut très-célèbre. ] Les habitans d’Orope furent les premiers qui déifièrent Amphiaraüs. Ils lui bâtirent un temple à douze stades de leur ville, dans l’endroit où la terre s’entr’ouvrit, et l’engloutit et lui et son chariot[48]. Nous avons vu ci-dessus [49] qu’il y avait divers sentimens sur la véritable situation du lieu où il tomba dans un abîme. Quoi qu’il en soit, toute la Grèce se conforma au goût des Oropiens sur l’apothéose de ce prophète : elle convint que c’était au temple qu’ils lui bâtirent qu’il fallait consulter l’oracle de ce nouveau dieu[50]. Pausanias nous apprend qu’un Recueil d’oracles en vers hexamètres contribua fort à donner aux peuples une grande idée d’Amphiaraüs, parce que l’auteur de ce Recueil y inséra la réponse que ce devin avait donnée touchant la guerre de Thébes. C’était lui donner beaucoup de relief ; car l’on était prévenu de cette opinion, qu’anciennement il n’y avait que les personnes inspirées d’Apollon qui répondissent de vive voix aux consultans, je veux dire en forme d’oracle. Les autres devins ne s’occupaient qu’à expliquer, ou les présages des oiseaux et des victimes, ou les songes. Mais quelque avantage que cela donnât à notre Amphiaraüs sur ses confrères, on ne demeura point persuadé que sa véritable fonction dût être semblable à celle de la divinité de Delphes ; car on ne le consulta que pour recevoir en songe la réponse qu’il avait à faire. C’est une marque que, pendant sa vie, il s’adonna principalement à l’explication des songes. Voilà, ce me semble, le précis de la narration de Pausanias [51]. Je ne trouve point que Romulus Amasæus l’ait bien traduite, et j’aimerais mieux m’en fier à la version de Vigénère quoi qu’elle ne soit pas assez exacte. La voici : Jophon Cnosien, l’un des interpréteurs des oracles, publia ceux d’Amphiaraüs en vers hexamètres ; ce qui attira tellement les peuples, que tout soudain ils y accoururent de toutes parts. Car pas un des devins, hors mis ceux qu’anciennement la fureur d’Apollon esmouvoit, ne rendoit les oracles ; mais estoient tous, ou interprètes de songes, ou jugeoient les choses advenir par le vol des oyseaux, ou par les entrailles des bestes sacrifiées. Au moyen de quoy il semble qu’Amphiaraüs se soit principalemant addonné à la prédiction par les songes. Ce qu’on collige de cecy ; qu’après qu’il eust esté déifié, il institua cette manière de devinemens. il faut en premier lieu que ceux qui vont à l’oracle à lui, soient bien et deuëment purgez ; laquelle purgation ou nettoyement consiste à sacrifier comme il faut à ce dieu, et accomplir les cérémonies requises tant envers lui que tous les autres dont les noms sont là escrits. Cela fait, et ayant immolé un mouton, ils estendent sa peau en terre, et s’endorment dessus, attendans l’esclaircissement de leur fait, qui leur doibt apparoistre en songe[52]. Philostrate va nous apprendre quelques autres cérémonies que l’on observait en ce lieu-là. Les dieux, dit-il[53], sont coustumiers d’octroyer les oracles à ceux qui sont sobres. Car il se trouva une fois en Grèce un prophète appellé Amphiaraüs. J’estime (interrompt le roy) que vous voulez dire celuy qui fut fils d’Ioclée, et en s’en retournant de Thèbes fut englouty dedans la terre. Celui-là sans autre, respondit Apollonius, lequel jusqu’aujourd’huy rend des oracles au territoire athénien, et envoye à ceux qui l’en requièrent, des songes sur ce qu’ils luy demandent. Mais les prestres du lieu enjoignent à ceux qui viennent là se conseiller, de s’abstenir un jour entier de toute viande, et trois jours de vin ; à celle fin qu’ils puissent mieux en leur pensées pures et nettoyées concevoir et r’accueillir les raisons des choses qui leur seront manifestées en songe. Là où si le vin estoit un médicament propre à dormir, ce sage Amphiaraüs sans doubte l’auroit ordonné aux songeurs, et que, remplis jusqu’au regorger de mangeaille, et de ce breuvage comme une bouteille, ils descendissent en la plus secrette partie du temple où se rendoient de tels oracles. Prenez garde que Philostrate assure qu’au temps d’Apollonius l’oracle d’Amphiaraüs conservait encore sa réputation : cependant Plutarque confesse que tous les oracles de la Béotie [54], entre lesquels il met celui-là, avaient cessé[55]. Ne faisons point d’incident sur ce qu’Apollonius met cet oracle dans l’Attique, et non pas dans la Béotie, comme Plutarque. Ils parlent du même lieu ; mais comme le territoire d’Orope fut un sujet de contestation entre les Athéniens et les Thébains, ceux-là prétendant qu’il appartenait à la Béotie, et ceux-ci qu’il appartenait à l’Attique[56] : de la est venu que certains auteurs ont pu dire que de temple d’Amphiaraüs était dans la Béotie, et les autres qu’il était dans l’Attique. Clément d’Alexandrie, reprochant aux païens la cessation de leurs oracles, parle nommément de celui d’Amphiaraüs[57] : voilà donc un second témoin contre le héros de Philostrate. Disons en passant qu’il en fait mention dans un autre lieu, que son traducteur a perverti. Le voici : Ἢ τὸν Ἀμϕιάρεον τὸν σὺν τοῖς ἕπτα τοῖς ἐπι Θήϐας ςρατεύσασι μιᾷ γενεᾷ τῆς Ἰλίου ἁλώσεως πρεσϐύτερον ϕερόμενον. Aut Amphiaraüm, qui cum septem qui adversùs Thebas bellum gesserunt, fertur Trojâ captâ unâ generatione fuisse posterior : il fallait dire prior, [58].

Hérodote nous peut apprendre combien cet oracle était estimé ; car il dit que de tous ceux que Crœsus, roi de Lydie, fit consulter, il n’y eut que celui-là et celui de Delphes qui firent de bonnes réponses, et qui reçurent des dons magnifiques de la part de ce monarque[59]. Je m’étonne de ce qu’il observe que les dons envoyés par Crœsus à l’oracle d’Amphiaraüs furent mis au temple d’Apollon Isménien, dans la ville de Thèbes[60]. Pourquoi ne furent-ils pas consacrés dans le temple même d’Amphiaraüs ? Pourquoi, au défaut de cela, ne furent-ils pas portés dans toute autre ville, plutôt qu’à Thèbes, dont les habitans avaient encouru une note désavantageuse par rapport à cet oracle ? Car il leur était défendu de s’endormir dans le temple d’Amphiaraüs ; et c’était le seul moyen de consulter l’avenir en ce lieu-là. La raison pourquoi cette défense leur fut faite était qu’Amphiaraüs ayant offert aux Thébains, ou de leur servir de devin, ou d’être leur compagnon d’armes, ils choisirent le dernier parti. Vous trouvez toutes ces choses dans Hérodote [61], et avec une distinction si claire entre le temple d’Apollon Isménien, et celui d’Amphiaraüs, qu’il est fort étrange que Barthius ait pu dire qu’ils n’étaient pas différens[62]. Au reste, Hérodote raconte cela en parlant d’un Européen qui fut employé par Mardonius pour consulter les oracles de la Grèce. Il n’a point su par quel songe Amphiaraüs fit connaître à ce général du roi des Perses la mauvaise destinée qui l’attendait. Plutarque était mieux instruit là-dessus ; car il rapporte ce songe[63]. Il y a des auteurs qui disent qu’Amphiaraüs s’apparaissait aux consultans : Ἀμϕιάραος μὲν γὰρ καὶ Τροϕώνιος ἐν Βοιωτίᾳ καὶ Ἀμϕίλοχος ἐν Ἀιτωλίᾳ χρησμωδοῦσί τε ταὶ ϕαίνονται· οὗτοι δὲ πανταχοῦ τῆς γῆς διατάττουσιν ὥσπερ ἀςέρες περίπολοι.[64]. Je crois qu’ils veulent dire qu’il se faisait voir en songe. Quoi qu’il en soit, son oracle n’était pas moins révéré que celui de Delphes, ou que celui de Dodone, ou que celui de Jupiter Hammon ; c’est Valère Maxime qui le dit : Eadem gens summo consensu ad Amphiaraüm decorandum incubuit, locum in quo humatus est, in formam conditionemque templi redigendo, atque indè oracula capi instituendo. Cujus cineres idem honoris possident, quod Pythicæ Cortinæ, quod aheno Dodonæ, quod Hammonis fonti datur[65]. Cicéron n’en a pas dit tout-à-fait autant ; mais néanmoins il en a parlé avec éloge : Amphiaraüm sic honoravi fama Græciæ, deus ut haberetur, atque ut ab ejus solo, in quo est humatus, oracula peterentur[66].

Notez qu’il y avait à Corinthe un temple d’Amphiaraüs[67] ; mais n’ajoutez point de foi, ni à Pomponius Méla[68], ni à Solin[69], qui disent qu’il y en avait un à Rhamnus. Ils se trompent. Il n’était point là ; mais proche d’Orope, comme je l’ai déjà dit, et comme on le peut prouver par Dicéarque, par Strabon, par Pausanias, etc. Voyez Isaac Vossius, à la page 151 de son Commentaire sur Pomponius Méla.

(F) Il excella principalement à deviner par les songes ; mais…. il fut l’inventeur des divinations qu’on fait par le feu. ] À l’égard de cette invention, je ne puis citer que ces paroles de Pline : Aruspicium Delphus (invenit), ignispicia Amphiaraüs, auspicia avium Tiresias Thebanus, interpretationem ostentorum et somniorum Amphictyon [70]. Stace ne parle point de cela, quoiqu’il se plaise à parler souvent de l’habileté d’Amphiaraüs à deviner par plusieurs moyens :

Quis mihi sidereos lapsus, mentemque sinistri
Fulguris, aut cæsis saliat quod numen in extis,
Quandò iter, undè moræ, que sævis utilis armis,
Quæ pacem magis hora velit, quis jam omne futurum
Proferet, aut cum quo volucres mea fata loquentur[71] ?


C’est ainsi qu’il exprime les regrets de toute l’armée sur la mort de ce devin. Il dit dans un autre lieu :

.... Quantùm subit diversus ab illo
Qui tripodas laurusque sequi, qui doctus in omni
Nube salutato volucrem cognoscere Phæbo[72].


Je laisse plusieurs autres passages de la même force, et j’aime mieux observer que ce poëte n’insiste pas sur la principale propriété de ce devin : c’était de prédire par les songes, comme je l’ai déjà dit[73]. Il fut le premier qui s’abstint des fèves comme d’une chose qui nuisait à cette science[74]. Πρῶτος δὲ ἀπέσχετο κυάμων Ἀμϕιάραος, διὰ τῆν δἰ ὀνείρων μαντείαν[75]. Il ne sera pas inutile d’indiquer ici de quelle manière il devint prophète. Il entra dans une maison aussi ignorant qu’un autre des choses futures ; mais le lendemain il en sortit bien capable de les prédire. Cette maison demeura fermée depuis ce temps-là, et fut appelée fatidique. Elle avait, à l’égard des divinations, la même vertu que les poëtes attribuaient au Parnasse à l’égard des vers :

Nec in bicipiti somniâsse Parnasso
Memini, ut repentè sic poeta prodirem[76].


On y devenait prophète dans une nuit ; et c’était alors que l’on pouvait dire que le bien venait en dormant. Vous verrez dans le passage que je vais citer que ce changement d’Amphiaraüs se fit à Phthie[77]. Ὅπισθεν δὲ τῆς ἀγορᾶς, ἐςὶν οἶχος ὀνομαζόμενος ὑπὸ ϕλιασίων μαντικός· ἐς τοῦτον Ἀμϕιάρεως ἐλθὼν, καὶ τὴν νύκτα ἐγκατακοιμηθεὶς, μαντεύεσθαι τότε πρῶτον, ὡς οἱ Φλιάσιοί ϕασιν, ἤρξατο· τέως δὲ ἦν Ἀμϕιάραος τῷ ἐκείνων λόγῳ, ἰδιώτης τὲ καὶ οὐ μάντις· καὶ τὸ οἴκημα ἀπὸ τούτου συγκέκλειςαι τὸν πάντα ἤδη χρόνον[78]. In positicâ fori parte domus est, quam Phliasii Fatidicam nuncupant. In eam enim ingressus Amphiaraus (quemadmodùm ipsi narrant Phliasii) cùm noctem unam obdormisset, statìm divinare cœpit, cùm antè indoctus planè fuisset ; id cùm ità evenisset, in reliquum omne tempus occlusæ illæ ædes fuerunt.

(G) On lui a donné... entre autres éloges, qu’il travaillait à être honnête homme, et non pas à le paraître. ] Adraste, dans ses complaintes pour la mort d’Amphiaraüs, déclara qu’il avait perdu l’œil de son armée, un homme également propre à prophétiser et à se battre :

Ποθέω ςρατιᾶς
Ὀϕθαλμὸν ἐμᾶς, ἀμϕότερον,
Μαντίν τ᾽ ἀγαθὸν
Καὶ δουρί μάρνασθαι[79].

Desidero exercitûs
Oculum mei utrumque,
Vatem bonum,
Et ad pugnandum hastâ.


En effet, ce n’était pas un devin qui n’agît que de l’esprit : son bras était redoutable, et il excellait dans les exercices du corps. On prétend qu’il fit un carnage horrible des ennemis le jour qu’il mourut :

Ardet inexpleto sævi Mavortis amore,
Et fruitur dextrâ, atque animâ flagrante superbit.
Hic hominum casus lenire et demere fatis
Jura frequens, quantùm subitò diversus ab illo
[80] ............
Innumeram ferro plebem ceu lethifer annus,
Aut jubar adversi grave sideris immolat umbris
Ipse suis[81].


En un mot, c’était un prophète brave, et tel que le devait être celui qui joignait la royauté avec la science de l’avenir. Stace le nomme le roi prophète :

Jamque erit ille dies, quo te quoque conscia fati
Templa colant, reddatque tuus responsa sacerdos,
Talia fatidico peragunt solennia Regi[82].


Pour ce qui est de l’adresse dans les exercices où les Grecs se piquaient tant de remporter la victoire, il me suffira de remarquer que notre Amphiaraüs gagna le prix de la course et celui du disque aux jeux Néméens, que les généraux célébrèrent pendant qu’ils marchaient contre la ville de Thèbes[83]. Prenez garde à ces paroles de Stésichore :

Θρώσκων μὲν γὰρ Ἀμϕιάραος,
Ἄκοντι δὲ νίκασεν Μελέαγρος[84].

Saltu quidem me Amphiaraüs,
Jaculo verò superat Meleager.


Quant aux belles qualités de son âme, voyez le VIIIe. livre de la Thébaïde, et la tragédie d’Eschyle intitulée Ἕπτα ἐπὶ Θήϐας, Septem contra Thebas, dont je citerai un passage dans la remarque (I), et trois beaux vers dans la remarque suivante. Voyez aussi les éloges que l’on donne à sa modestie dans un fragment de l’empereur Julien [85].

(H) Sa maxime de travailler plus à étre honnête homme qu’à le paraître, est un grand sujet à réflexions. ] Rapportons d’abord le fait : Aristide « jamais, pour honneur qu’on lui fist ne s’esleva, ni pour rebut ou refus qu’il souffrist aussi ne s’abaissa, ni ne se troubla, ayant opinion qu’un bon citoyen se doit tousjours également tenir prest, et offrir corps et esprit à servir la chose publique, sans en espérer ou atendre aucun loyer mercénaire, ni d’argent, ni d’honneur et de gloire. Et pourtant, un jour que l’on prononçoit au théâtre certains vers de l’une des tragédies d’Æschylus, faits en la louange de l’ancien devin Amphiaraüs, dont la substance estoit telle :

Il ne veut point sembler juste, mais l’estre,
Aimant vertu en pensée profonde,
Dont nous voyons ordinairement naistre
Sages conseils, où tout le monde aborde ;

tout le monde jeta incontinent les

yeux sur Aristides, comme sur celui à qui véritablement, plus qu’à nul autre appartenoit la louange d’une si grande vertu : car il n’estoit pas seulement ainsi ferme et roide pour résister à faveur et à grâce seulement, mais aussi à ire et à haine semblablement ; pour ce que là où il estoit question de justice, amitié ne lui eust sceu rien faire pour ses amis, ni inimitié contre ses ennemis[86]. » Voilà le plus bel éloge du monde. Amphiaraüs était digne d’admiration s’il le méritait : Aristide, qui a paru le mériter, est un homme incomparable. Voici les paroles d’Eschyle à la louange d’Amphiaraüs, dans la tragédie intitulée Ἕπτα ἐπὶ Θήϐας, Septem contra Thebas, vers. 544 :

Οὐ γὰρ δοκεῖν ἀριςος, ἀλλ᾽ εἶναι θέλει.
Βαθεῖαν ἅλοκα διὰ ϕρενὸς καρπούμενος,
Ἑξ ἧς τὰ κεδνὰ βλαςάνει βουλεύματα.

Non enim optimus videri, sed esse volet.
Profundo mentis sulco fruens,
Ex quo sana germinant consilia.


Faisons quelques réflexions sur un sujet qui en peut fournir une infinité, et disons, 1°. que, si les païens n’ont point pratiqué la véritable vertu, ils l’ont du moins bien connue : car ils ont loué ceux qui, en faisant une belle action, ne se proposent pour récompense, ni un intérêt pécuniaire, ni l’approbation publique ; et ils ont méprisé ceux qui ont pour but, dans l’exercice de la vertu, la réputation, la gloire, l’applaudissement de leur prochain. Soyez désintéressé tant qu’il vous plaira quant au profit, à l’acquisition des richesses ou des charges, si vous ne l’êtes point quant à la louange, vous ne faites que ramper ; vous n’êtes point guéri de la maladie de l’amour-propre, vous n’êtes sorti que des piéges les plus grossiers, vous ne faites que porter une chaîne plus déliée : en un mot, vous vous trouverez dépeint dans le traité de M. Esprit, sur la Fausseté des vertus humaines. Appliquez à toutes les vertus la belle règle que Sénèque vous a prescrite par rapport à la libéralité ; elles seront véritables : mais sans cela elles ne le seront point. Voici la morale de ce philosophe ; il répond à cette objection : « Quoi ! celui à qui j’aurai fait du bien ne saura pas de qui il l’aura reçu ? » Quid ergò ! ille nesciet à quo acceperit ? Primùm nescint si hoc ipsum beneficii pars est : deindè multa alia faciam, multa tribuam, per quæ intelligat et illius auctorem. Denique ille nesciat accepisse se : ego sciam me dedisse. Parum est, inquis, Parum, si fœnerare cogitus ; sed si dare quo genere accipienti maximè profuturum erit, dabis : contentus eris te teste. Alioquin non benefacere delectat, sed videri benefecisse. Volo, inquis, sciat : debitorem quæris. Volo utique sciat : quid, si illi utilius est nescire ? si honestius, si gratius ? non in aliam partem abibis ? Volo sciat : ità tu hominem non servabis in tenebris ? Non nego, quoties patitur res, percipiendum gaudium ex accipientis voluntate : sin adjuvari illum et oportet, et pudet ; si quod præstamus offendit, nisi absconditur : beneficium in acta non mitto. Quidni ? ego illi non sum indicaturus me dedisse : cùm inter prima præcepta ac maximè necessaria sit, ne unquàm exprobrem, imò ne admoneam quidem ? Hæc enim beneficii inter duos lex est : alter statìm oblivisci debet dati, alter accepti nunquàm [87].

Ma deuxième réflexion est qu’il arrive rarement que le but d’être loué soit la fin unique de ceux qui ne se contentent pas du témoignage de leur conscience. Observez bien les personnes qui aspirent à ces deux choses, l’une d’être honnêtes gens, l’autre de le paraître, vous verrez que leur ambition ne se borne pas à joindre ensemble la réalité et les apparences de la vertu. La vapeur subtile de l’encens ne leur suit pas : ils souhaitent qu’il s’y mêle quelque chose de plus grossier. La réputation toute seule leur paraît une récompense trop spirituelle ; ils travaillent à l’incorporer avec les commodités de la vie, et ils font bientôt servir la louange et l’approbation à s’acquérir du crédit auprès de ceux qui distribuent les charges, et puis ils se servent de ce crédit pour s’enrichir ou pour contenter toutes leurs passions. Ainsi la plus sûre voie pour conserver la pureté de son âme, c’est de faire ce que l’on a dit d’Amphiaraüs et d’Aristide. Travaillez à être honnête homme ; que ce soit votre grand but : ne cherchez pas à le paraître ; car cette recherche a des suites plus dangereuses que vous ne pensez.

3°. On attribue à Socrate d’avoir dit qu’il n’y a point de plus court chemin pour parvenir à la vertu que de travailler à être tout tel que l’on veut paraître : Semper id egisti ut qualis haberi velles talis esses : quam viam ad gloriam proximam et quasi compendiariam Socrates esse dicebat [88]. Voici les paroles mêmes de Socrate : Συντομωτάτη τε καὶ ἀσϕαλεςάτη καὶ καλλίςη ὁδὸς, ὦ Κριτόϐουλε, ὅτι ἂν βούλῃ δοκεῖν ἀγαθὸς εἶναι, τοῦτο καὶ γενέσθαι ἀγαθὸν πειρᾶςαι[89]. Velim, ô Critobule, scias hanc esse brevissimam, securissimam, optimamque ad hæc omnia viam, in quocunque volueris bonus apparere, in eodem effici quoque bonus conari. Ce conseil est fort sensé ; car la passion de jouir d’une glorieuse apparence et d’obtenir l’applaudissement public est si forte et si commune parmi les gens même qui n’ont pas beaucoup d’envie d’être vertueux intérieurement, qu’on peut promettre de grands progrès dans la vertu à toute personne qui s’efforcera de mettre une parfaite conformité entre l’état réel de son âme et l’opinion qu’elle veut que l’on ait d’elle. Mais il faut avouer qu’il y a moins de désintéressement dans cette route que dans celle d’Amphiaraüs : Paroissez honnête homme, soyez-le ; jouissez d’une belle réputation, mais soyez-en digne : n’usurpez point l’estime de votre prochain. Voilà ce que conseillait Socrate : il ne voulait point priver de la fumée des éloges. Amphiaraüs vous aurait dit : Soyez honnête homme, et ne vous mettez point en peine si on le saura, si on vous en louera.

4°. Vous me direz que l’un ne va point sans l’autre, et que, puisqu’avec de fausses vertus, c’est-à-dire, avec l’adresse de couvrir d’une apparence d’honnête homme une mauvaise âme, on vient à bout d’obtenir une belle réputation, on l’obtient encore plus sûrement avec des vertus réelles. Vous conclurez de là qu’Amphiaraüs et ses semblables se faisaient honneur de mépriser une chose qu’ils savaient bien qui ne leur manquerait pas. Et moi je vous répondrai qu’assez souvent il est beaucoup plus facile d’être honnête homme que de passer pour honnête homme, et qu’il n’y a point de conséquence nécessaire de l’une de ces deux choses à l’autre, par quelque bout que vous commenciez. Vous n’avez besoin, pour être honnête homme, que de vaincre vos passions ; mais, pour le paraître, il faut combattre les passions d’autrui, et en triompher. Vous avez des ennemis artificieux et violens qui répandent contre vous cent sortes de médisances. Ceux qui les écoutent sont crédules, et deviennent de nouveaux distributeurs de calomnies : s’ils sont incrédules, ils forment des difficultés, et ils apprennent par-là à vos ennemis comment il faut proposer les calomnies, afin de les rendre plus vraisemblables. Vous ignorez quelquefois toutes ces machinations ; et quand vous les sauriez, ou en tout, ou en partie, pourriez-vous aller de lieu en lieu vous justifier ? Étant honnête homme, comme je suppose que vous l’êtes, pouvez-vous savoir les fourberies de vos ennemis, et les biais obliques par où il faut prendre les esprits vulgaires ? N’aimez-vous pas mieux laisser une populace dans l’erreur que d’employer tout votre loisir à disputer le terrain à des calomniateurs ? Votre vigilance suffirait-elle jamais à renverser ce que leur malignité bâtit sur des cœurs crédules, mal tournés, et infiniment plus flexibles au procédé de ces gens-là qu’à toute votre éloquence et à toutes vos raisons ?

On verra dans la remarque (L) de l’article de César, que la même louange qu’Eschyle donne à notre Amphiaraüs a été donnée par Salluste à Caton d’Utique.

(I) On le compte parmi les gens sages qui ont eu le malheur d’étre engagés à des entreprises dirigées par des étourdis. ] Peu importe que ce soit moi ou un autre qui fournisse les paroles du commentaire de ce texte. Il ne s’agit point ici de style, mais de faits, ou de pensées. Employons donc hardiment le vieux gaulois d’un commentateur de Philostrate[90] : Icy pouvons-nous remarquer et appercevoir l’un des eschantillons de nostre pauvreté et misère, qu’il faille que les prudens et bons personnages portent ainsi la folle enchère pour les insensez et pervers : qu’un fol estourdy de Tydeus, accariastre, querelleux, et escervellé perturbateur du repos public, nonobstant qu’il soit estranger, nonobstant toutes les belles remonstrances, toutes les prédictions et admonestemens du plus sage homme de la Grèce, et tenu mesme pour prophète, ait ainsi voix en chapitre et soit creu pour faire entreprendre une guerre non aucunement nécessaire, et qui leur retourne à perdition et ruine pour tous. Et si faut encore que ceux qui y contredisent avec de très-apparentes et plus que légitimes raisons, communiquent au péril et danger des esventez qui l’ont suscitée, voire en ayent leur première part : tant a tousjours accoustumé d’avoir de crédit le mauvais conseil desbauché par dessus celui qui est sain. Au moyen de quoi, non sans cause, ny à la vollée, s’exclame le poëte Eschyle en la tragédie des Sept à Thèbes, desplorant, soubs la personne d’Éthéocles, le bon et sage Amphiaraüs, en cette sorte :

Φεῦ τοῦ ξυναλλάσσοντος ὄρνιθος βροτοῖς
Δίκαιον ἀνδρα τοῖσι δυσσεϐεςέροις.
Ἐν παντι πράγει δ᾽ ἔσθ᾽ ὁμιλίας κακῆς
Κάκιον, οὐδὲν καρπὸς οὐ κομιςέος :


Et ce qui suit après.

« O le malheur, dit-il, qui associe un homme de bien à des mortels impies et détestables ! Il n’y a certes rien pire en tous les affaires du monde, que la meschante compagnie, dont l’on ne peut jamais rapporter aucun fruict… Ce devin-cy (le fils d’Oicleüs, dis-je,) prudent, juste, sincère, et dévot personnage, grand annonciateur des choses advenir, pour s’estre meslé avec des méchans présomptueux, privez de tout sens et entendement, qui s’efforcent de venir contre nous à tout un grand équippage (Jupiter le permettant ainsi) sera attiré quand et eux à une finale perdition et ruine. » Voilà ce que Vigénère dit. Il ne faut pas s’imaginer qu’Amphiaraüs espérât que les fautes des directeurs seraient réparées par la justice de la cause[91] : il était trop habile homme pour croire cela ; il savait qu’une guerre juste n’a pas moins de besoin qu’une guerre injuste de tous les secours humains qui font réussir[92], et que, ne les ayant pas au même point à peu près que les défenseurs de l’injustice, on succombe presque toujours. On le donne donc très-justement pour un exemple du sacrifice qu’il faut faire de sa vie, ou de sa prudence, à d’autres considérations, en quelques rencontres. Lisez ces paroles de Cicéron : Valuit apud me plus pudor meus quàm timor. Veritus sum deesse Pompeii saluti, cùm ille aliquandò non defuisset meæ. Itaque, vel officio, vel famâ bonorum, vel pudore victus, ut in fabulis Amphiaraüs, sic ego prudens et sciens ad pestem ante oculos positam sum profectus[93]. Au reste on a quelque sujet de reprocher à ce prophète la disproportion de ses lumières, et de l’en railler. Il prévit que, s’il allait à la guerre, il y serait tué ; mais il ne prévit pas qu’il y irait, et qu’en dépit de ses précautions on le contraindrait de s’engager à l’entreprise[94].

(K) La manière dont il consola une femme.... demande une note. ] Plutarque ayant parlé des raisons qui doivent être employées pour consoler ceux qui s’affligent de la mort prématurée de leurs enfans, ajoute[95] : « Et pour ce me semble-il qu’Amphiaraüs en un poëme ne reconforte et console pas impertinemment la mère d’Archimorus, laquelle estoit merveilleusement affligée et désolée pour la mort de son fils, qui lui estoit décédé en son enfance fort loin de maturité ; car il dit :

Il ne fut onc homme de mère né,
Qui n’ait esté en ses jours fortuné
Diversement : il met ores sur terre
De ses enfans, ores il en enterre,
Lui-mesme après enfin s’en va mourant :
Et toutesfois les hommes vont plorant
Ceux que dedans la bière en terre ils portent,
Combien qu’ainsi comme les espics sortent
D’elle, qui sont puis après moissonnez,
Aussi faut-il que les uns nouveaux nez
Viennent en estre, et les autres en issent.
Qu’est-il besoin que les hommes gémissent
Pour tout cela, qui doit, selon le cours
De la nature, ainsi passer tousjours ?
Il n’y a rien grief à souffrir, ou faire,
De ce qui est à l’homme nécessaire.


« Brief, il faut qu’un chacun soit en pensant en soi-mesme, soit en discourant avec autrui, tienne pour certain, que la plus longue vie de l’homme n’est pas la meilleure. » Il me semble que Plutarque a mal placé ces vers-là, puis qu’ils ne contiennent rien qui ait plus de relation à la mort des jeunes gens qu’à celle des autres. Je puis même dire que la comparaison des épis serait absurde, s’il s’agissait d’apaiser une affliction fondée sur la jeunesse de la personne que l’on pleurerait ; car, selon le train ordinaire, la moisson des grains ne se fait que quand ils sont mûrs. Il vaudrait mieux faire faire de l’attention à la destinée du fruit des arbres. Comptez les pommes quand elles sont en bouton, comptez-les ensuite chaque semaine, vous trouverez que leur nombre va toujours en diminuant. C’est beaucoup si la moitié se conserve jusqu’au temps de la cueillette. Quant au reste, les raisons d’Amphiaraüs sont assez bonnes ; mais elles m’ont rien que de commun : il conclut même par une maxime qui, dans un certain sens, est plus capable d’irriter le mal que de le guérir[96]. Nous verrons bientôt de quelle manière le philosophe Carnéade les critiquait.

Amyot n’a pas bien traduit ce grec de Plutarque, ὁ παρὰ τῷ ποιητῇ Ἀμϕιάρεως, par Amphiaraüs en un poëme. Cette version insinue manifestement qu’Amphiaraüs a fait un poëme ; mais le sens de Plutarque est qu’il y a un poëte qui a introduit Amphiaraüs se servant de ces raisons. Nous allons voir que c’est Euripide : Dicuntur nonnulli in mœrore, quùm de hâc communi omnium conditione audivissent, eâ lege nos esse natos, ut nemo in perpetuum esse posset expers mali, graviùs etiam tulisse. Quocircà Carneades, ut video nostrum scribere Antiochum, reprehendere, Chrysippum solebat laudantem Euripideum carmen illud :

Nemo mortalis est, quem non attingat dolor,
Morbusque : multi sunt humandi liberi ;
Rursùs creandi : morsque est finita omnibus.
Quæ generi humano angorem nequicquam afferunt.
Reddenda est terræ terra[97]. Tùm vita omnibus
Metenda ut fruges : sic jubet necessitas.


Negabat genus hoc orationis quicquam omninò ad levandam ægritudinem pertinere. Id enim ipsum dolendum esse dicebat, quòd in tam crudelem necessitatem incidissemus. Nam illam quidem orationem ex commemoratione alienorum malorum ad malevolos consolandos esse accommodatam[98]. Rapportons aussi la réponse qui a été faite à cette critique de Carnéade : Mihi verò longè videtur secùs. Nam et necessitas ferendæ conditionis humanæ, quasi cum Deo pugnare cohibet, admonetque esse hominem, quæ cogitatio magnoperè luctum levat : et enumeratio exemplorum, non ut animum malevolum oblectet, affertur, sed ut ille qui mœret, ferendum sibi id censeat, quod videat multos moderatè et tranquillè tulisse[99].

(L) Les partisans firent un procès à ses prêtres. ] Qu’il me soit permis d’appeler ainsi ceux qui levaient les tributs de la république romaine dans les provinces. Il y avait une loi qui exemptait de la taille les biens consacrés aux dieux immortels. Sur cela, les prêtres d’Amphiaraüs prétendirent à l’exemption, et soutinrent que les terres qui appartenaient à cette divinité n’étaient soumises à aucune taxe. Le texte de la loi est clair et précis en notre faveur, dirent-ils sans doute. Les partisans répondirent que ces terres n’étaient nullement dans le cas de la loi, puisqu’elles étaient consacrées à un homme mort, et qu’il est visible qu’une personne qui est morte n’est pas du nombre des dieux immortels. Quoique ce raisonnement leur fût suggéré par l’avarice et non par le zèle de la religion, chose que des partisans ne consultent guère quand il s’agit de leurs intérêts, il était pourtant si démonstratif, qu’il devait faire gagner leur cause. Je crois néanmoins qu’ils la perdirent. C’est dommage que toutes les pièces ne s’en soient pas conservées. Nous n’en connaissons que ceci : An Amphiaraüs deus erit, et Trophonius ? Nostri quidem publicani, cùm essent agri in Bœotiâ deorum immortalium excepti lege censoriâ, negabant immortales esse ullos, qui, aliquandò homines fuissent[100]. Si on les avait laissés faire, ils auraient mis à la taille la plupart des dieux, et en roture une infinité de terres sacrées ; car quels titres de divinité, ou d’immortalité, eût-on pu produire à l’épreuve de leurs exceptions ? Que n’eussent-ils pas obtenu au tribunal d’un intendant qui aurait eu ordre de favoriser leurs poursuites ? Il ne faudrait que mettre en parti la recherche des faux cultes, pour y voir bientôt une bonne réduction. Mais de tels partisans, où pourraient-ils être en sûreté ? Nous verrons ailleurs[101] combien a paru solide à plusieurs païens ce raisonnement : Il est mort ; donc il ne doit pas être adoré comme un dieu.

(M) Il laissa bien des enfans. ] J’ai fait l’article d’Alcméon et d’Amphilochus, qui étaient ses fils. Je ne trouve pas que les auteurs grecs qui nous restent aient parlé de Tiburtus, qui était aussi son fils ; mais ils font mention d’Eurydice, de Demonassa et d’Alcmène, filles d’Amphiaraüs et d’Ériphyle [102]. Voyons ce que Pline conte de Tiburtus : Tiburtes originem multâ ante urbem Romam habent. Apud eos exstant ilices tres, etiam Tiburto conditore eorum vetustiores, apud quas inauguratus traditur. Fuisse autem eum tradunt filium Amphiaraï, qui apud Thebas obierit unâ ætate ante Iliacum bellum[103]. Je crois que Pline nous conte là un mensonge : les trois chênes sous lesquels Tiburtus, fondateur de Tibur et fils d’Amphiaraüs, aurait été inauguré, eussent-ils pu vivre jusqu’au temps de Vespasien ? Notez que Solin prétend que Tiburtus était petit-fils, et non pas fils d’Amphiaraüs. Je rapporterai ses paroles dans l’article Tibur.

  1. Tiré de Diodore de Sicile, liv. IV, chap. LXX, pag. 257, 258.
  2. Homerus, Odyss., lib. XV, p. 460, 461.
  3. Schol. Æsch. in Septem ad Thebas, vs. 575.
  4. Pausan., lib. II, pag. 63
  5. Hygin, cap. LXX.
  6. Id. ibid.
  7. Apollod., lib. I, pag. 27, 43.
  8. Id. ibid.
  9. Id. ibid., pag. 45.
  10. Pindari Nemeor. Od. IX, pag. 611, 612. Voyez Apollodore, liv. III, pag. 193.
  11. Pind. Od. VI Olymp., pag. 98.
  12. Voyez Diodore de Sicile, liv. IV, chap. LXVIII.
  13. Strabo, lib. IX, pag. 278.
  14. Id. ibid.
  15. Pausan., lib. IX, pag. 296.
  16. Id. ibid., pag. 288.
  17. Il cite le IXe. livre de Pausanias.
  18. Steph. Byzantin. Voce Ἅρμα.
  19. Voyez les Notes de Berkelius sur cet endroit de Steph. Byzantin.
  20. Strabo, lib. IX, pag. 278.
  21. Eustathius in Iliad., lib. II, pag. 266.
  22. Strabo, lib. IX, pag. 275.
  23. Salmas. Exercit. Plin. in Solin., p. 167.
  24. Isaac Vossius in Pompon. Melam., p. 152.
  25. Pausan., lib. I, pag. 33. Voyez dans les Notes de Pinedo sur Étienne de Byzance, au mot Ὠρωπὸς, quelques passages qui prouvent que cette ville appartenait aux Athéniens.
  26. Trisimuchus, lib. III, de conditis Urbibus, apud Plutarch. in Parallelis, pag. 307.
  27. Id. ibid.
  28. Barthius in Stat. Theb., lib. VIII, vs. 297, tom. II, pag. 831.
  29. Odyss. XV, vs. 245.
  30. Barthius in Statii Theb., lib. VIII, tom. II, pag. 831.
  31. Homer. Iliad., lib. II, vs. 499.
  32. Barth. in VII lib. Thebad. Statii, vs. 784, pag. 773, tom. III.
  33. Statius, Theb., lib. VIII, vs. 323.
  34. Barthius in Statium, tom. III, p. 862.
  35. Plutarch. de Consolat., pag. 110.
  36. Voyez Barthius, qui en cite plusieurs dans son Commentaire sur Stace, tom. II, p. 284
  37. Dans la remarque (E) de l’article Prudence.
  38. Statius, Thebaïd., lib. VII, vs. 816.
  39. Id. ibid., lib. VIII, vs. 11.
  40. Id. ibid., lib. VII, vs. 784.
  41. Id. ibid., lib. IX, vs. 652.
  42. Barth. in Statium, tom. III, pag. 773.
  43. Diod. Siculus, lib. IV.
  44. Apollodorus, lib. III, pag. 193.
  45. Ville située entre l’Attique et la Béotie.
  46. Pausan., lib. I, pag. 33.
  47. Cicero, Tuscul. Quæstion., lib. II, cap. XXV.
  48. Pausanias, lib. I, pag. 33.
  49. Dans la remarque (B).
  50. Pausan., lib. I, pag. 33.
  51. Idem, ibidem.
  52. Vigénère sur l’Amphiaraüs de Philostrate, pag. 400 du Ier. tome.
  53. Philostrate, Vie d’Apollonius, liv. II, chap. XI, pag. 456. Je me sers de la traduction de Vigénère.
  54. Plutarch. de Oraculor. defectu, p. 411.
  55. Il excepte celui de Lebadie.
  56. Voyez Pausanias, lib. I, pag. 33 ; et Strabon, lib. IX, pag. 375.
  57. Clemens Alexandrin. in Protreptico, p. 9.
  58. Idem, Stomat., lib. I, pag. 334, C. Barthius sur Stace, tom. II, pag. 138, adopte la faute du traducteur, et l’impute à Clément d’Alexandrie.
  59. Herodot., lib. I, cap. XLVI et seqq.
  60. Id. ibid., cap. LII.
  61. Idem, lib. VIII, cap. CXXXIV.
  62. Barthius in Statium, tom. II, pag. 137.
  63. Plutarch. de Oraculorum defectu, pag. 412.
  64. Aristides, Orat. in Asclepiadas, apud Barthium in Statium, tom. II, pag. 138.
  65. Valer. Maximus, lib. VIII, sub fin.
  66. Cicero, de Divinat., lib. I, cap. XL.
  67. Pausan., lib. II, pag. 65.
  68. Pomponius Mela, lib. II cap. III.
  69. Solinus, cap. VII.
  70. Plin., lib. VII, cap. LVI.
  71. Statius, Theb., lib. VI, vs. 177.
  72. Id., ibid., lib. VII, vs. 706.
  73. Dans la remarque (F).
  74. Voyez la remarque (I) de l’article Pythagoras.
  75. Geoponicor. lib. II, apud Barthium in Statium, tom. II, pag. 137.
  76. Persius, in Prologo, vs. 8.
  77. Ville du Peloponnèse.
  78. Pausanias, lib. II, pag. 56.
  79. Pindar. Od. VI Olympion., vs. 26.
  80. Ce qui manque ici a été cité dans la remarque précédente, citation (72).
  81. Statius, Theb., lib. VII ; vs. 703.
  82. Id. ibid., lib. VIII, vs. 206.
  83. Apollodor. Bibliothec., lib. III, p. 189.
  84. Athen., lib. IV, cap. XXI, pag. 172.
  85. À la page 303 des Œuvres de Julien, édition de Leipsick, en 1696.
  86. Plutarchus in Vitâ Aristidis, pag. 320. Je me sers de la version d’Amyot. Voyez le même Plutarque dans ses Apophthegmes, pag. 186, et de Audiendis Poëtis, pag. 32.
  87. Seneca, de Benefic., lib. II, cap. X.
  88. Petrus Alcyonius, in Medice Legato priore, circa finem.
  89. Xenophontis Memorab., lib. II, p. 474, et de la traduction de Charpentier, pag. 160. Voyez aussi Platon, Epître IV, pag. 1274 ; les Offices de Cicéron, liv. II, chap. XII, p. 227 ; ce qu’a dit Postel dans l’Épître dédicatoire de ses Histoires Orientales sur ce vers de la XVIe. Épître du Ier. livre d’Horace :

    Tu rectè vivis, si curas esse quod audis.

  90. Vigénère, sur l’Amphiaraüs de Philostrate, pag. 403, 404 du Ier. vol., édition in-4°.
  91. Les Thébains avaient tout le tort dans cette guerre, et néanmoins ils eurent tout l’avantage dans le combat.
  92. Voyez la remarque (C) de l’article Brutus (Marc)
  93. Cicero, Epist. VI, lib. VI ad Familiar.
  94. Voyez le Commentaire sur la Vie d’Apollonius, traduite en français par Vigénère, liv. II, chap. XI, pag. 488.
  95. Plutarch. de Consolatione, ad Apollonium, pag. 110, 111. Je me sers de la version d’Amyot, tom. I, pag. 786.
  96. Voyez l’article Foulques, remarque (E).
  97. Le vers grec rapporté par Plutarque, de Consolatione, p. 110, et qui répond à ceci, est

    Ἐις γῆν ϕέροντες· τῆν δ᾽ ἀναγκαίως ἔχει.

    Barthius in Statium, tom. III, pag. 275, conjecture qu’il faut lire,

    Ἐις γῆν ϕέροντες γὴν, κ᾽ ἀναγκαίως᾽ ἔχει.

  98. Cicero Tusculan. Quæstion., lib. III, cap. 25.
  99. Idem, ibid.
  100. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. III, cap. 19.
  101. Dans la remarque (A) de l’article Trophonius. [Cet article n’existe pas.]
  102. Pausanias, lib. V, pag. 165.
  103. Plinius, lib. XVI, cap. XLIV.

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