Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Adraste


◄  Adonis
Index alphabétique — A
Adriani (Jean-Baptiste)  ►
Index par tome


ADRASTE, roi d’Argos, fils de Talaüs et de Lysianasse[a], fille de Polybe, roi de Sicyone, s’acquit une grande réputation dans la fameuse guerre de Thèbes, où il s’engagea pour soutenir les droits de Polynice son gendre (A), qui avait été exclus de la couronne de Thèbes par Étéocle son frère[b], nonobstant les conventions passées entre eux. Adraste, suivi de Polynice et de Tydée son autre gendre, de Capanée et d’Hippomédon, fils de ses sœurs, d’Amphiaraüs son beau frère, et de Parthenopée[c], marcha contre la ville de Thèbes ; et c’est là cette expédition des sept Preux qui a été tant chantée par les poëtes. Ils y périrent tous, à la réserve d’Adraste que son cheval sauva. C’était un cheval d’importance nommé Arion ; il en faudra parler en son lieu. Cette première guerre fut suivie de quelques autres ; car Adraste, n’ayant pu obtenir les corps des Argiens qui avaient été tués devant Thèbes, eut recours aux Athéniens [d], qui, sous la conduite de Thésée, contraignirent le nouveau roi de Thèbes[e] à faire ce que souhaitait Adraste. Cette satisfaction ne termina point la guerre ; car les fils de ceux qui avaient si mal réussi dans la première expédition en firent une seconde dix ans après, qui fut nommée la guerre des Épigones (B), et qui se termina par la prise et le saccagement de Thèbes. Aucun des chefs n’y périt[f] excepté Ægialéus, fils d’Adraste. Ce fut une espèce de compensation pratiquée par la fortune[g]. Cette perte toucha si sensiblement Adraste, d’ailleurs affaibli par sa vieillesse, qu’il en mourut de chagrin (C) à Mégare[h], comme il ramenait l’armée victorieuse qui avait pris la ville de Thèbes. C’est une marque qu’il fut en personne à la seconde expédition (D), de quoi pourtant il n’y a guère d’écrivains qui aient parlé. Ceux de Mégare honorèrent beaucoup sa mémoire ; mais ce n’était rien en comparaison de ce que firent ceux de Sicyone (E). Ceux-ci lui dressèrent un tombeau au milieu de leur grande place, et lui instituèrent des fêtes et des sacrifices qu’ils célébraient chaque année pompeusement. On peut voir dans Hérodote comment Callisthène, tyran de Sicyone, fit cesser ces choses en haine des Argiens[i]. Il faut savoir qu’Adraste avait été roi de Sicyone[j], en vertu du testament de Polybe son aïeul maternel, chez qui il se réfugia une fois, se voyant contraint de sortir d’Argos (F), et que, pendant son règne, il rendit fort illustre la ville de Sicyone[k] par les jeux pythiques qu’il y établit[l]. Il y a des écrivains qui remarquent que son royaume héréditaire fut celui de Sicyone, et qu’il obtint celui d’Argos par élection ; la douceur de son naturel ayant été cause que ceux d’Argos le prièrent (G) de venir humaniser leur mœurs barbares. Homère ne dit pas tout cela, mais seulement qu’il régna en premier lieu à Sicyone [m]. Servius le dit aussi sur le VIe. livre de l’Énéide, et on lit la même chose dans Pindare [n] et dans son vieux scoliaste. Ordinairement on ne lui donne que deux filles, Argie, femme de Polynice, et Déipyle, femme de Tydée[o] ; mais il eut encore deux fils, Ægialéus et Cyanippus, et une fille qui s’appelait Ægialée, qui épousa Dioméde son neveu, fils de Tydée, et le chagrina extrêmement par ses impudicités. Quelques-uns disent qu’il fut le premier qui bâtit un temple à la déesse Némésis, et que de là vient qu’elle a eu le nom d’Adrastée (H). Mais je ne doute pas qu’ils ne le confondent avec un autre Adraste. Celui qui bâtit le premier autel à cette déesse, le bâtit sur la rivière d’Æsèpe, dans la Phrygie [p]. On ne trouve point que notre Adraste ait jamais été en Asie, et nous trouvons un roi de ce nom dans la Phrygie, au temps du siége de Troie[q]. Il vaut donc mieux attribuer l’établissement de ce culte de Némésis à un prince asiatique nommé Adraste, qu’à un roi d’Argos de même nom. Hérodote parle d’un Adraste qui se réfugia à la cour de Crésus, roi de Lydie, et qui tua par mégarde le fils de ce roi[r]. L’article de cet Adraste est assez bon dans le Dictionnaire de Moréri (I).

  1. Pausan., lib. II, pag. 50.
  2. Pausan., lib. IX, pag. 286.
  3. Hygin., cap. LXX ; Apollod., lib. III ; Diodor. Sicul., lib. V, cap. VI.
  4. Pausan., lib. I, pag. 37.
  5. Étéocle et Polynice s’étaient entre-tués.
  6. Hygin, cap. LXXI.
  7. Voyez la remarque (H).
  8. Pausan., lib. I, pag. 41.
  9. Herod., lib. V, cap. LXVII.
  10. Id. ibid., et Pausan., lib. II, pag. 50.
  11. Pindar. Nem., Ode IX.
  12. Scholiast. Statii, apud Barthium, tom. II, pag. 361, in hæc verba Statii, Thébaïdos, lib. II, vs. 179.

    ......Quis te solio Sicyonis avitæ
    Excitum infrenos componere legibus Argos
    Nesciat ?

  13. Homer. Iliad., lib. II, vs. 79.
  14. Pindar. Nem., Ode IX.
  15. Stat. Theb., lib. I, vs. 393.
  16. Antimachus apud Strabonem, lib. XIII, pag. 405.
  17. Homer. Iliad., lib. II, vs. 337.
  18. Herod., lib. I, cap. XXXV, et seq.

(A) Les droits de Polynice son gendre. ] Pausanias dit qu’Adraste avait marié sa fille avec Polynice, avant les disputes pour la succession de Thèbes[1] ; mais d’autres prétendent que ce mariage ne se fit qu’après que Polynice, exclus par son frère, se fut retiré chez Adraste. Ils content que Tydée s’y retira en même temps, et que ces deux réfugiés étaient couverts, celui-ci d’une peau de sanglier, celui-là d’une peau de lion ; ce qui fut cause qu’Adraste leur fit épouser ses filles, se souvenant d’un oracle[2] qui lui avait commandé de les marier avec un sanglier et un lion[3]. Le Supplément de Moréri dit faussement que Tydée, interrogé pourquoi il portait la peau d’un sanglier, répondit que c’était parce qu’Œnée son père était le vainqueur du sanglier de Calydonie. Il ne fit point cette réponse ; et ce n’était point Œnée, mais Méléagre qui avait tué ce furieux sanglier. On rapporte mal dans le même Supplément l’oracle qui avait été rendu à Adraste.

(B) La guerre des Épigones. ] Si l’on avait bien pris garde en composant le IIIe. volume de Moréri que cette guerre n’est postérieure à la précédente que de dix ans, on n’aurait pas traduit le mot d’Épigones, par ceux qui naquirent après le siége de Thèbes : on se serait contenté de dire : Ceux qui survécurent à leurs pères, ou bien on eût dit en général, les descendans des premiers chefs.

(C) Qu’il en mourut de chagrin. ] Le Supplément de Moréri lui impute de s’être jeté dans le bûcher de son fils, et cite Hygin. fab. 242 ; et Hérodote, liv. 5. Or il est à remarquer qu’Hérodote ne dit rien d’Adraste qui ait été employé dans cet article du Supplément. La seule chose que l’on pourrait soupçonner avoir été prise d’Hérodote est au commencement de l’article, en ces termes : Adraste fut obligé de se retirer en la ville de Sicyone, chez le roi Polybe, qui lui fit un bon accueil et lui donna sa fille Amphitée en mariage ; mais cela même est fort éloigné d’Hérodote, qui dit que Polybe laissa son royaume par testament à Adraste fils de sa fille. Voyez la remarque suivante. La citation d’Hysin est encore plus mauvaise ; car Hygin ne parle point là de notre Adraste, mais d’un autre qui fut père d’Hipponoüs, et qui se jeta dans le feu pour obéir à un ordre d’Apollon. Hipponoüs, par le même principe en fit tout autant. L’auteur de l’Index d’Hygin, dans l’édition d’Amsterdam en 1681, donne pour fils à Hercule cet Adraste et cet Hipponoüs ; et néanmoins il prétend que le même Adraste est le père d’Ægialée dont Hygin parle au chapitre LXXI, et qui est visiblement le beau-père de Polynice et le fils de Talaüs. C’est avoir malentendu ces paroles : Hercules Jovis filius ipse sese in ignem misit. Adrastus et Hipponoüs ejus filius, ipsi se in ignem jecerunt ex responso Apollinis[4].

(D) Qu’il fut en personne à la seconde expédition. ] Je puis joindre à Pausanias un second témoin, savoir Pindare qui dit positivement qu’Adraste, ayant recueilli les os de son fils, ramena heureusement l’armée à Argos[5]. Il ne le fait donc point mourir en chemin à Mégare comme fait Pausanias ; mais néanmoins, voilà deux autorités uniformes sur ce point-ci, qu’Adraste se trouva à la seconde guerre de Thèbes.

(E) En comparaison de ce que firent ceux de Sicyone. ] Le scoliaste de Pindare rapporte[6] que Dieutuchide soutient qu’on n’avait à Sicyone que le cénotaphe d’Adraste, et que son véritable tombeau était à Mégare[7].

(F) Se voyant contraint de sortir d’Argos. ] On a dit dans le Supplément de Moréri qu’Adraste fut chassé du royaume d’Argos par Amphiaraüs son beau-frère, et obligé de se retirer en la ville de Sicyone ; mais, par une négligence peu excusable on n’a cité personne qui ait dit cela : c’est donner bien du pays à courir à un lecteur qui veut avoir des garans. J’ai tant cherché qu’enfin j’ai trouvé une source dans Pindare, où j’ai vu qu’Adraste sortit d’Argos, et qu’il se retira à Sicyone à cause des attentats d’Amphiaraüs et à cause du renversement de la famille de Talaüs, laquelle n’avait plus la souveraine puissance[8]. Ce poëte ajoute qu’Adraste arrêta le cours de ce mal, et que le mariage d’Ériphyle avec Amphiaraüs fut le lien qui réunit les esprits par la pacification des troubles. Amphiaraüs n’était donc pas beau-frère d’Adraste quand ce dernier fut obligé de se retirer à Sicyone. Pindare ne dit point que ce prince fugitif ait épousé la fille du roi Polybe, ni que Talaüs ait été tué par Amphiaraüs ; mais l’un et l’autre de ces deux faits, dont le premier est si opposé à Hérodote, se trouvent dans le scoliaste de Pindare. Diodore de Sicile dit que le mariage d’Amphiaraüs avec Ériphyle sœur d’Adraste n’apaisa point les différens, puisqu’un peu avant la guerre de Thèbes ces deux beaux-frères disputaient encore à qui régnerait[9]. Ils furent divisés sur un autre point : Amphiaraüs ne voulait pas être de l’expédition, et Adraste souhaitait passionnément qu’il en fût. Ériphyle fut choisie l’arbitre de tous leurs démêlés, et donna gain de cause à son frère. Apollodore dit en partie la même chose quoique assez confusément[10]. Barthius a mal rapporté ce que dit Diodore de Sicile ; car il suppose qu’Ériphyle était fille d’Adraste[11]. La version latine de cet historien, imprimée à Bâle en 1548, dit faussement qu’Ériphyle adjugea la couronne à son mari.

(G) Ceux d’Argos le prièrent. ] Si M. Moréri avait su cela, il se serait bien gardé de dire qu’Adraste, après quatre ans de règne, quitta la ville de Sicyone sans qu’on en sache le sujet, et vint régner à Argos où il eut deux [12] filles, etc. Mais, quoi qu’il en soit, voici un morceau pour le Pyrrhonisme historique, les anciens appointés contraires sur les deux royaumes d’Adraste ; je veux dire sur l’ordre et le titre de la possession. Voyez l’article Talaüs.

(H) Et que de là vient qu’elle a eu le nom d’Adrastée. ] Le scoliaste de Pindare veut que ce nom ait été donné à la déesse Némésis à cause de la compensation dont j’ai parlé. Adraste avait été le seul des chefs qui ne périt point à la première guerre de Thèbes ; et son fils fut le seul des chefs qui périt à la seconde. Le contrepoids est beaucoup plus juste selon l’hypothèse de ceux, qui donnent toute la conduite de la seconde guerre aux Épigones ; mais ceux qui prétendent qu’Adraste y alla, et qui lui donnent la gloire d’en avoir ramené l’armée victorieuse, supposent nécessairement qu’il y commandait. C’était donc à lui à y périr, afin que la balance devînt égale entre lui et les six collègues qu’il avait eus la première fois.

(I) Est assez bon dans le Dictionnaire de Moréri. ] Je n’y ai trouvé que les petites fautes suivantes : 1°. On y fait Adraste fils de Gordius, au lieu de le faire fils de Midas[* 1], et petit-fils de Gordius, conformément à la traduction latine d’Hérodote. Je sais bien que le texte grec porte qu’il était fils de Gordius, et petit-fils de Midas[13] : mais je sais aussi, d’une part, que M. Moréri n’était pas homme à rectifier les versions par les originaux grecs ; et de l’autre, qu’il y a une leçon grecque conforme à la traduction. 2°. On ne devait pas supprimer que Crésus usa envers Adraste des cérémonies expiatoires que l’on employait pour la purification des homicides involontaires. 3°. Il ne fallait pas dire qu’Adraste se tua sur le corps du fils de Crésus, mais sur son tombeau : car Hérodote remarque que Crésus, ayant excusé et consolé le meurtrier, fit enterrer son fils. 4°. Enfin, il ne fallait pas citer Clio ou Li. Les noms des Muses donnés aux livres d’Hérodote ne servent de rien dans les citations, et principalement lorsqu’on fait un livre français d’un usage aussi populaire que le Dictionnaire de Moréri ; mais en tout cas il fallait achever l’évaluation de Clio à livre premier.

  1. * D’après cette critique de Bayle, les éditeurs de Moréri firent la correction qu’il demandait ; mais d’après un article inspiré dans le tome XI des Jugemens sur quelques Ouvrages nouveaux, les éditeurs de Moréri de 1759 ont rétabli : Adraste, fils de Gordius.
  1. Pausan., lib. IX, pag. 286.
  2. Il est dans le Scoliaste d’Euripide ad Phœniss., vs. 415. Voyez aussi Stace, Theb., l. I, vs. 395.
  3. Hygin., cap. LXIX. Apollodore, liv. III, dit que l’un d’eux portait sur son bouclier la figure d’une tête de sanglier.
  4. Hygini Fabul., cap. CCXLII.
  5. Pindar. Pyth., Od. VIII.
  6. Schol. Pindari in Nem., Od. IX.
  7. Dieutuchides, Historiæ Megaricæ, lib. III.
  8. Pindar. Nem. Od. IX.
  9. Diod. Sicul., lib. V, cap. VI.
  10. Apollod., lib. III, pag. 187.
  11. Barth. in Stat., tom. II, pag. 870. Voyez aussi pag. 914.
  12. Il fallait dire, trois filles et deux fils.
  13. Herod., lib. I, cap. XXXV.

◄  Adonis
Adriani (Jean-Baptiste)  ►