Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Mélampus


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MÉLAMPUS, grand devin parmi les anciens païens, était fils d’Amythaon et d’Aglaïa (A). Il avoit un frère nommé Bias, auquel il témoigna en deux rencontres beaucoup d’affection, premièrement pour lui procurer une femme, en second lieu pour lui procurer une couronne. Nélée, qui régnoit à Pyle dans le Péloponèse, exigeait de ceux qui voulaient se marier avec sa fille, qu’ils lui amenassent les bœufs d’Iphiclus, qui en nourrissait de très-beaux dans la Thessalie. Mélampus, pour mettre son frère en état de faire à Nélée ce présent, entreprit d’enlever ces bœufs [a]. Il n’y réussit pas ; car ceux qui en avaient la conduite le firent prisonnier : mais comme il prophétisa dans la prison, et sur des choses dont Iphiclus lui demanda l’éclaircissement, il obtint pour récompense les bœufs qu’il voulait avoir [b]. Voilà comment il fut cause du mariage de son frère (B), et voici comment il lui acquit un royaume. Se voyant prié de guérir d’une maladie furieuse les Argiennes, il ne voulut point le faire sans stipuler qu’on lui donnerait la moitié du royaume d’Argos. On lui refusa cette condition ; mais comme la maladie s’augmenta on revint à lui, et on lui promit ce qu’il avait demandé. Il ne s’en contenta plus, il voulut aussi que l’on cédât à son frère le tiers du royaume ; on y consentit. Cette aventure est diversement racontée (C). Il fut le premier qui apprit aux Grecs les cérémonies du culte de Bacchus [c] : il n’en fut pas l’inventeur ; si l’on en croit Hérodote, il en acquit la connaissance par les conversations qu’il eut avec des Phéniciens (D). On prétend qu’il entendait le langage des oiseaux, et qu’il apprenait d’eux ce qui devait avenir (E). On veut même que les vers qui rongent le bois aient répondu à ses questions [d]. Cependant ceux qui lui bâtirent un temple [e] après sa mort, et qui lui offrirent des sacrifices, et célébrèrent sa fête toutes les années, ne lui attribuèrent aucune espèce de divination [f]. Je réfuterais facilement la pensée dont on s’est servi pour prouver qu’il a prédit certainement les choses futures (F). Si les poëtes ne s’étaient pas égayés sur ce qui lui appartient, on se serait contenté de dire qu’il était un habile médecin (G) ; et si Stace avait parlé historiquement, nous devrions croire que Mélampus parvint à une grande vieillesse (H). Il laissa des enfans [g]. Hésiode l’avait loué dans un ouvrage qui s’est perdu [h].

(A) Il était fils d’Amythaon et d’Aglaïa. ] Voyez dans la remarque (A) de l’article Amphiaraüs la généalogie d’Amythaon. Il serait très-inutile de la répéter ici. Je dirai seulement que la mère de Mélampus, nommée Aglaïa par Diodore de Sicile [1], se nomme Eidomène dans Apollodore [2], qui ajoute qu’elle était fille de Phère, fils de Créthéus [3].

(B) Voilà comment il fut cause du mariage de son frère. ] La relation de Pausanias, que j’ai suivie, n’est point conforme à celle d’Apollodore, que je m’en vais abréger. Bias demanda en mariage Péro, fille de Nélée. Plusieurs autres la demandaient en même temps. Nélée leur déclara qu’il ne la marierait qu’à celui qui amènerait les bœufs de Phylaque, gardés par un chien dont aucun homme ni aucune bête n’osait s’approcher. Bias implora l’assistance de Mélampus qui lui promit de lui amener ces bœufs, après avoir demeuré un an en prison. Il fut pris effectivement comme il tâchait de faire ce vol : on le chargea de chaînes, et on le garda étroitement. Il avait déjà passé près d’une année dans cette captivité, lorsqu’il entendit le bruit que faisaient des vers qui rongeaient la poutre du toit. Il leur demanda combien ils en avaient rongé : ils répondirent qu’il ne leur restait à faire que peu de chose. Là-dessus il demanda qu’on le transportât dans un autre lieu : on le fit, et peu après on vit tomber la maison. Phylaque admira cela, et ayant su que Mélampus était un très-bon devin, il le mit en liberté, et lui demanda de quelle manière son fils Iphicle pourrait avoir des enfans. Le prophète promit ce qui dépendait de sa science, pourvu qu’on lui accordât les bœufs. Il fit quelques cérémonies pour évoquer les oiseaux : un vautour se présenta, qui lui apprit que Phylaque châtrant des beliers avait laissé proche d’Iphicle le couteau encore sanglant, et qu’Iphicle saisi de peur prit la fuite, et ficha dans un arbre ce couteau ; qu’il l’en fallait retirer, et en ôter la rouillure et la faire boire dix jours de suite à Iphicle dans du vin. Mélampus fit ce que le vautour lui indiqua : Iphicle devint père de Podarces, et le devin amena à Pyle les bœufs qu’il fallait donner à Nélée ; après quoi il fit célébrer les noces de Bias et de Péro, et s’arrêta à Messène [4].

Observons deux choses après Pausanias : l’une est qu’en ces siècles-là le plus grand soin des gens riches était d’avoir quantité de bœufs et quantité de chevaux [5]. Que ce fut la passion du temps, il le prouve, 1°. par les conditions que Nélée stipulait des soupirans de sa fille ; 2°. par l’ordre qu’Eurysthée donna à Hercule de lui amener des bœufs d’Espagne ; 3°. par les conditions du combat entre Éryx et Hercule. Celui-là s’il était vaincu devait perdre son royaume, et s’il vainquait il devait gagner les bœufs qu’Hercule avait amenés d’Érythée ; 4°. par le présent de cent bœufs qu’Iphidamas, fils d’Anténor, fit à son beau-père en se mariant. La seconde observation de Pausanias est que ceux qui mariaient leurs filles exigeaient de leurs gendres un présent de noces [6]. Cela me fait souvenir de Saül, qui obligea David à lui apporter cent prépuces de Philistins [7]. Mais disons aussi que Pausanias fait un péché d’omission, qui nous empêche de juger exactement de celle affaire. On juge par son récit que la seule envie de posséder de beaux bœufs marque d’opulence fastueuse en ce temps-là, portait Nélée à exiger des amans de Péro qu’ils lui amenassent les bœufs d’Iphicle. Mais la vérité est qu’une autre passion le faisait agir de la sorte. Une partie des biens de Tyro sa mère avait été usurpée par Iphicle [8] : il voulait se dédommager et se venger. Voilà pourquoi il voulut que celui qui épouserait sa fille allât faire ce coup-là. Il n’y a guère de péchés d’omission qui ne fassent devenir trompeuse une histoire. Ce défaut règne dans presque tous les récits de l’ancienne mythologie. Le seul moyen d’en avoir de bons est de joindre ensemble les pièces que l’on trouve dispersées dans divers auteurs. C’est ce que Muret a pratiqué à l’égard de cette expédition de Mélampus ; et par ce moyen il en a donné une relation complète. Tirons-en les circonstances que Pausamias et Apollodore ont omises.

Mélampus fut servi dans la prison par un fort bon homme marié à une mauvaise femme. Il reçut mille honnêtetés de celui-là, et plusieurs mauvais traitemens de celle-ci. Les vers qui rongeaient la poutre ayant fait connaître que la maison tomberait bientôt, il fit semblant de se porter mal, et demanda qu’on le transportât ailleurs avec son lit. Le mari se mit devant, la femme derrière. Dès que le lit fut dehors presque tout entier la maison tomba, et écrasa cette femme : le mari ayant appris de Mélampus tout le secret de l’affaire, le fit savoir à Phylaque, qui en avertit Iphicle. Celui-ci ayant connu l’habileté et le dessein de Mélampus, lui fit bien des amitiés. Vous aurez mes bœufs, lui dit-il, pourvu que vous me fassiez avoir des enfans. Le devin lui donna bonne espérance ; il sacrifia, il marqua les régions des augures : toutes sortes d’oiseaux s’y rendirent, hormis le vautour ; mais aucun ne lui sut dire ce qu’il fallait faire pour mettre Iphiclus en état de rendre enceinte sa femme. Enfin le vautour se présenta et fut plus habile que tous les autres. Il indiqua la cause de la stérilité, et puis le remède. Phylaque, dit-il, se fâcha un jour contre son fils et le poursuivit l’épée à la main, et ne l’ayant pu atteindre il ficha son épée dans un poirier. Elle y est demeurée depuis ce temps-là enveloppée sous l’écorce. Vous la trouverez en un tel endroit, tirez-l’en, et faites boire la rouille dix Jours de suite à Iphicle dans du vin. La peur qu’il eut ce jour-là est la cause de son impuissance ; vous l’en guérirez par la recette que je prescris [9].

Cette narration sert de commentaire à quelques vers de Properce, qui méritent un peu de censure. Muret n’a point aperçu la faute. Properce, ayant dit que l’amour est une passion qui contraint les jeunes gens à tout endurer, le prouve par la prison de Mélampus.

Ac veluti primò taurus detractat aratra,
Mox venit absueto mollis ab arva jugo ?
Sic primo juvenes trepidant in amore feroces,

Dehinc domiti post hæc æqua, et iniqua ferunt.
Turpia perpessus vates est vincla Melampus,
Cognitus Iphicli subripuisse boves :
Quem non lucra, magis Pero formosa coëgit,
Mox Amythaoniâ nupta futura domo [10].


Cet exemple est mal allégué ; car ce ne fut point l’amour d’une fille, mais l’amitié fraternelle, qui porta Mélampus à s’exposer à la honte de la prison. Théocrite a servi de guide à Properce pour s’égarer. Il a mis aussi Mélampus entre les exemples de la force de l’amour.

Τὰν ἀγέλαν χὡ μάντις ἀπ᾽ Ὄθρυος ἆγε Μελάμπους
Ἐς Πύλον· ἁ δὲ Βίαντος ἐν ἀγκοίνῃσιν ἐκλίνθη
Μάτηρ χαρίεσσα περίϕρονος Ἀλϕεσιϐοίας.

Egit et vates Melampus armentum ab Othry monte
In Pylum. In amplexu verò Biantis jacuit
Pulcherrima Pero mater sapientis AlphesibϾ [11].


L’envie de placer une érudition a extorqué plusieurs choses mal à propos aux anciens poëtes. Ronsard et quantité d’autres, au XVIe. siècle, donnèrent dans cet écueil.

(C) Cette aventure est diversement racontée. ] J’ai suivi la narration d’Hérodote ; mais en voici une autre. Prœtus, ayant disputé le royaume d’Argos avec Acrise son frère, fut chassé du pays, et ne put se rétablir qu’à Tirynthe. Il eut trois filles qui devinrent folles en punition de quelque acte d’indévotion [12]. La fureur qui les saisit fut si enragée, qu’elles coururent les champs avec toutes sortes d’indécences [13]. Mélampus, qui savait non-seulement l’art de deviner, mais aussi la médecine, promit de les guérir, pourvu que leur père lui donnât la troisième partie de son royaume. Prœtus, trouvant que la guérison de ses filles lui coûterait trop, ne voulut point l’acheter à ce prix-là. Leur mal empira et devint contagieux : les autres Argiennes en furent tourmentées de telle sorte qu’elles tuaient leurs enfans, et s’en allaient dans les déserts. Le mal augmentant de jour en jour, Prœtus voulut payer le remède de Mélampus selon la taxe indiquée ; mais le médecin fit le renchéri, et demanda un autre tiers du royaume pour son frère. Cela lui fut accordé, car on craignit qu’un refus ne l’engageât à demander dans la suite une plus grande récompense. Il choisit les jeunes hommes les plus vigoureux, pour courir avec de grands cris après ces pauvres malades. On les poursuivit jusqu’à Sicyone : l’aînée des filles de Prœtus mourut en chemin, les deux autres furent purgées ; Mélampus en épousa l’une et Bias l’autre. Quelque temps après il naquit à Prœtus un fils qui s’appela Mégapenthes [14]. Notons qu’on a dit que Mélampus, outre une portion du royaume, demandait en mariage l’une des trois filles qu’il guérirait [15].

Voici une autre narration. Sous le règne d’Anaxagoras, fils d’Argéus, fils de Mégapenthes, les femmes furent attaquées d’une fureur si maligne, qu’elles coururent les rues et à travers champs. Mélampus les ayant guéries trouva Anaxagoras si reconnaissant qu’il reçut de lui les deux tiers de son royaume ; c’est-à-dire, que ce prince le partagea également avec lui et avec Bias. Depuis ce temps-là, le royaume d’Argos fut possédé par trois rois, jusques à ce que les descendans de Mélampus, et ceux de Pias manquèrent, ceux-là à la sixième génération, et ceux-ci à la quatrième. Les descendans d’Anaxagoras réunirent enfin les trois portions, et subsistèrent jusqu’à Cylarabes qui mourut sans enfans. Après quoi Orestes, fils d’Agamemnon, s’empara d’Argos [16]. Il y a une grande différence chronologique entre Pausanias et Apollodore, comme vous voyez.

Quelques-uns croient que la maladie de ces femmes n’était autre chose que la fureur utérine. C’est le sentiment de M. Menjot [17]. Leur imagination était si blessée, qu’elles croyaient être des vaches.

Prœtides implerunt falsis mugitibus agros :
At non tam turpes pecudum lamen ulla secuta est
Concubitus : quamvis collo timuisset aratrum,
Et sæpè in levi quæsisset cornua fronte [18].


Quoi qu’il en soit, les anciens rapportent qu’on employa des remèdes de religion pour guérir cette maladie. Pausanias conte que les filles de Prœtus se cachèrent dans une caverne, et que Mélampus les en tira par la force de quelques cérémonies secrètes, et de quelques expiations, et les fit venir à un village nommé Lusi, où il les guérit au temple de Diane. Ας ὁ Μελάμπους θυσίαις τε ἀποῤῥήτοις καὶ καθαρμοῖς κατήγαγεν ἐς χωρίον καλούμενον Λυσούς.... καὶ ἠκέσατο τῆς μανίας ἐν Ἀρτέμιδος ἱερῷ. Quas Melampus arcunis quibusdam sacris et expiationbus eduxit in vicum quos Lusos nuncupant.... et ab insaniâ liberavit in Dianæ templo [19]. Nous verrons ci-dessous [20] qu’il leur fit aussi prendre des remèdes.

(D) Les conversations qu’il eut avec des Phéniciens. ] Je veux dire avec Cadmus, et avec ceux qui l’accompagnèrent jusqu’en Béotie [21]. Observons deux fautes de Barthius : il dit que Plutarque assure que Mélampus enseigna aux Grecs plusieurs choses empruntées des Égyptiens [22]. Il est si faux que Plutarque dise cela, qu’au contraire il blâme Hérodote de l’avoir dit, et qu’il le taxe d’une maligne prévarication, comme ayant voulu dérober à la Grèce une partie de sa gloire [23]. Il faut savoir que les Grecs ne confessaient pas qu’en matière de religion ils eussent été les disciples des Phéniciens. Pausanias eut là-dessus une longue contestation avec un homme de ce pays-là [24]. La seconde faute de Barthius est de dire qu’Hérodote assure que Mélampus apporta d’Égypte les fêtes et le culte de Bacchus. De Bacchi sacris ex Ægypto in Græciam allatis ab Melampode, non tamen perfectis scribit etiam libro secundo Herodotus [25]. Il est faux qu’Hérodote dise que Mélampus ait voyagé en Égypte ; il suppose au contraire que Cadmus et ses compagnons, qui vinrent en Béotie, furent ceux qui instruisirent Mélampus. Il est bon de relever ces sortes de fautes, afin de faire connaître qu’il ne suffit pas d’avoir sous les yeux les auteurs qu’on cite, car si l’on n’examine de fort près jusqu’au moindre terme, on leur fait dire mille choses à quoi ils ne pensèrent jamais. Prenez bien garde que je ne nie pas absolument que notre devin ait voyagé en Égypte : je sais que les Égyptiens le prétendaient [26].

(E) On prétend qu’il entendait le langage des oiseaux, et qu’il apprenait d’eux ce qui devait avenir. ] J’ai déjà parlé de ceci en d’autres endroits [27] ; mais je veux qu’on voie ici les propres paroles d’Apollodore. Μελάμπους ἐπὶ τῶν χωρίων διατελῶν, οὔσης πρὸ τῆς οἰκήσεως αὐτοῦ δρυὸς, ἐν ᾗ ϕωλεὸς ὄϕεων ὑπῆρχεν, ἀποκτεινάντων τῶν θεραπόντων τοὺς ὄϕεις, τὰ μὲν ἑρπετὰ, ξύλα συμϕορήσας, ἔκαυσε· τοὺς δὲ τῶν ὄϕεων νεοσσοὺς ἔθρεψεν. οἱ δὲ, γενόμενοι τέλειοι, περιςάντες αὐτῷ κοιμωμένῳ τῶν ὤμων ἐξ ἑκατέρου, τὰς ἀκοὰς ταῖς γλώσσαις ἐξεκάθαιρον. Ὁ δὲ, ἀναςὰς, καὶ γενόμενος περιδεής, τῶν ὑπερπετομένων ὀρνέων τὰς ϕωνὰς συνίει· καὶ παρ ̓ ἐκείνων μανθάνων, πρὄυλεγε τοῖς ἀνθρώποις τὰ μέλλοντα· προσέλαϐε δὲ καὶ τὴν ἐπὶ τῶν ἱερείων μαντικήν, περὶ δὲ τὸν Ἀλϕειὸν συντυχὼν Ἀπόλλωνι, τὸ λοιπὸν ἄριςος ἦν μάντις. Melampus cùm ruri ageret, ac pro ipsius œdibus quercus esset, in eâque serpentium latebra esset, occisis à ministris serpentibus, cætera quidem reptilia congestis lignis concremavit, at serpentium pullos educavit : qui cùm ad justum corporis modum succrevissent, ipsum jam dormientent circumstabant, et ex utroque humero illius aures linguis extergebant. Tandem expergefactus, excitatusque, ac perterrefactus ; supervolitantium avium voces intelligebat, et quæ ab iis futura edocebatur, mortalibus prædicebat. Per haruspicinam prætereà vaticinari ab iis didicit. Ad hæc Apollini propè Alpheum obviàm factus, circà cætera vaticinandi peritissimus evasit [28]. Vous trouverez plusieurs recueils touchant cette faculté des serpens dans l’ouvrage que je vous indique [29].

(F) Je réfuterais... la pensée dont on s’est servi pour prouver qu’il a prédit... les choses futures. ] Voici le pivot de cette preuve. La réputation de ce devin ne se fût pas établie à durer pendant plusieurs siècles, s’il n’eût convaincu le monde par des expériences incontestables qu’il avait le don de prédire. Permultorum exemplorun et nostra plena est respublica et omnia regna omnesque populi, cunctæque gentes, augurum prædictis multa incredibiliter vera cecidisse : neque enim Polidæ, neque Melampodis, neque Mopsi, neque Amphiarai, neque Calchantis, neque Heleni tantum nomen fuisset, neque tot nationes id ad hoc tempus retinuissent Arabum, Phrygum, Lycaonum, Cilicum ; maximèque Pisidarum, nisi vetustas ea certa esse docuisset. Nec vero Romulus noster auspicato urbem condidisset, neque Accii Navii nomen memoriâ floreret tam diù, nisi hi omnes multa ad veritatem, et mirabilia dixissent [30]. Ce raisonnement est semblable à celui que Cicéron se fait objecter en faveur de l’Oracle de Delphes. Vous le pouvez lire dans les Pensées diverses sur les Comètes [31], avec quelques réflexions qui le réfutent. C’est là donc que je dois vous renvoyer pour la réponse au passage du IIe. livre des Lois. Il y a dans Cicéron une maxime qui pourrait venir au secours de ce passage. C’est celle où il pose que le temps fait évanouir les fictions, et confirme les jugemens qui sont fondés sur la nature. Opinionum commenta delet dies, naturæ judicia confirmat [32]. On pourrait inférer de là que les oracles, ayant subsisté plusieurs siècles, n’étaient pas une fiction. Mais réfutons Cicéron par Cicéron même. Il reconnaît au IIe. livre des Lois, que l’art des augures ne subsistait plus [33]. Il avait donc eu la destinée des opinions que l’esprit humain enfante : le temps, au lieu de le confirmer, l’avait détruit.

(G) Il était un habile médecin. ] Apollodore le fait inventeur des purgatifs, et les lui fait employer à la guérison des filles de Prœtus [34]. Μελάνπους...... μάντις ὢν τής διὰ ϕαρμάκων καὶ καθαρμῶν θεραπείαν πρῶτος εὑρηκώς [35]... Ταῖς δὲ λοιπαῖς τυχούσαις καθαρμοῦ σωϕρονῆσαι συνέϐη. Melampus......... vaticinandi cognitione insignis et qui potionandi expurgandique rationem primus invenit............ reliquæ verò repurgatæ resipuerunt. Servius observe qu’on le surnomma καθαρτής, c’est-à-dire le purgeur [36] : Mais n’appuyons pas sur cela, puisque ce même grammairien insinue que les purifications inventées par Mélampus, et employées pour les filles de Prœtus, appartenaient à la religion. Prœtidas ipse purgavit lustrationibus quas invenerat. Hoc dicit, convalescente morbo, nec medicinam prodesse nec religionem [37]. C’est-à-dire que, par ces paroles,

.........Cessêre magistri
Phillyrides Chiron, Amythaoniusque Melampus [38].


il faut entendre que les maladies, dans un certain état, sont au-dessus de la médecine, et au-dessus de la religion. Chiron est donc là représenté comme un médecin, pendant que Mélampus y est représenté comme le distributeur des remèdes surnaturels. Servons-nous plutôt du commentaire de Servius sur les Églogues de Virgile. C’est là que nous trouverons Mélampus sous un personnage mêlé, en partie médecin et en partie prophète. Il apaise Junon, et puis il fait prendre aux malades un certain médicament. Quas (Prætidas) Melampus............ placatâ Junone, infecto fonte ubi solitæ erant bibere, purgavit et in pristinum sensum reduxit [39]. Notez que καθαρμὸς signifie non-seulement une médecine purgative, mais aussi ce que nous appellerions un exorcisme, ou plutôt un formulaire de paroles magiques.

Il y a une espèce d’ellébore qui a causé de lui fut appelé Melampodium [40]. C’est une marque qu’il s’en servit, et l’on peut croire qu’il ne l’oublia pas dans la grande cure qui lui devait valoir un royaume. Néanmoins Pline ne nous dit rien qui insinue cela : il ne fait connaître Mélampus que du côté prophétique ; il ne lui attribue point la guérison des filles de Prœtus, et il dit qu’on l’attribue à un berger. Melampodis fama, divinationis artibus nota est. Ab hoc appellatur unum ellebori genus Melampodion. Aliqui pastorem eodem nomine invenisse tradunt, capras purgari pasto illo animadvertentem, datoque lacte earum sanâsse Prœtidas furentes [41]. Si Vossius [42] s’est fondé sur ce passage, pour dire que notre Mélampus guérit la fureur des filles de Prætus en mêlant de l’ellébore noir avec du lait de chèvre, il n’a pas été un fidèle rapporteur. Ce serait à lui à nous montrer ses garans. Il n’a rien à craindre sur ce qu’il censure Pierre Castellan et Jean Néander, d’avoir fait Mélampus postérieur à Empédocle. Ils ont commis en cela une bévue ; car Mélampus a vécu avant la guerre de Troie. Quant aux écrits que nous avons sous ce nom-là, ils sont supposés. Nous avons Melampi ex palpitationibus Divinatio, imprimé en grec, à Rome, l’an 1545. Ex nævis corporis Divinatio, imprimé en grec à Rome la même année, et en latin, à Venise, l’an 1552 (Nicolas Petréius est l’auteur de cette version), et en latin, et en grec, avec la métoposcopie de Cardan, à Paris, l’an 1658. Voyez Lindenius renovatus à la page 804. L’abrégé de la Bibliothéque de Gesner m’apprend que Melampus hierogrammateus scripsit de auguriis ex saltibus corporis quæ Augustinus Niphus in librum primum de auguris transtulit.

(H) Nous devrions croire qu’il parvint à une grande vieillesse. ] Slace suppose qu’Amphiaraüs fut associé avec Mélampus pour consulter les augures touchant la guerre de Thèbes :

.... Solers tibi cura futuri
Amphiarae, datur ; juxtaque Amythaone cretus
Jam senior sed mente virens Phœboque Melampus
Associat passus : dubiùm cui dexter Apollo
Oraque Cyrrhæâ satiârit largius undâ [43].


Mélampus était le bisaïeul d’Amphiaraüs : celui-ci avait alors plusieurs enfans, et un entre autres qui fut généralissime des Argiens dix ans après. Concluez de là que Mélampus eût été bien vieux. Mais les poëtes ne se font point un scrupule des anachronismes. Stace suppose dans un autre lieu que Thiodamas, fils de Mélampus, fut choisi pour succéder à Amphiaraüs dans l’intendance des augures. Il le représente comme le second dans cet art-là, mais néanmoins d’une modestie qui l’obligeait à se reconnaître indigne de la succession, tout de même que le fils d’un grand roi craint dans son enfance de ne pouvoir pas remplir les fonctions de feu son père.

Concilium rex triste vocat : quærumque gementes,
Quis tripodas successor agat ? quo proditæ laurus
Transeat ? atque orbum vitæ decus ? Haud mora, cuncti
Insignem famâ, sanctoque Melampode cretum
Thiodamanta volunt, qui cùm ipsa arcana deorum
Partiri, et visas uni sociare solebat
Amphiaraus aves, tantæque haud invidus artis
Gaudebat dici similem, juxtaque secundum.
Illum ingens confundit honos, inopinaque turbat
Gloria, et oblatas frondes submissus adorat,
Seque oneri negat esse parem, cogique meretur.
Sicut Achæmenius solium, gentesque paternas
Excepit si fortè puer, cui vivere patrem
Tutius, etc. [44].


Ferait-on de telles comparaisons si l’on savait que Thiodamas était frère de l’aïeul d’Amphiaraüs ? Ajoutez à cela que Stace était le seul, si je ne me trompe, qui donne un tel fils à Mélampus. Les deux qu’Homère lui a donnés s’appellent Antiphatès et Mantius [45]. Pour dire ceci en passant, c’est de ce dernier que le père d’Amphiaraüs était fils, si nous en croyons Pausanias [46]. Mais la commune opinion est qu’Antiphatès fut père d’Oïclès.

  1. Pausanias, lib. IV, sub fin.
  2. Idem, ibidem.
  3. Herodot., lib. II, cap. XLIX.
  4. Voyez la remarque (B).
  5. Il était dans une ville nommée Ægisthène, au pays de Mégare. Pausan., lib. I, sub fin.
  6. Καὶ θύουσι τῷ Μελάμποδι, καὶ ἀνὰ πᾶν ἔτος ἑορτὴν ἂγουσι· μαντεύεσθαι δὲ οὔτε δὶ ὀνειράτων αὐτὸν, οὔτε ἄλλως λέγουσι. Melampodi sacrum faciunt et festum diem quotannis celebrant : futura verò prædicendi neque è somniis neque ex ullâ ratione ei scientiam tribuunt. Idem, ibid,
  7. Voyez la remarque (H).
  8. Pausan., lib. IX, pag. 306.
  1. Diodor. Siculus, lib. IV, cap. LXX, pag. 258.
  2. Apollod., lib. I, pag. 45.
  3. Idem, ibidem, pag. 51.
  4. Tiré d’Apollodore, lib. I, pag. 47. Voyez aussi Homère, Odyss., lib. XV, pag. m. 462.
  5. Ἐσπουδάκεσαν δὲ ἄρα οἱ τότε πλοῦτόν τινα συλλέγεσθαι τοιοῦτον ἵππων καὶ βοῶν ἀγέλας. Fuit hoc præcipuum illis temporibus divitiarum studium luculenta habere equorum et boum pecuaria. Pausan., lib. IV, sub fin.
  6. Εδνα ἐπὶ τῆ θυγατρὶ ᾔτε ιτοὺς μνομένους. A filiæ procis sponsalitium munus deposcebat. Pausanias, lib. IV, sub fin.
  7. Ier. livre de Samuel, chap. XVIII, vs. 25.
  8. Voyez Muret, in Propertium, eleg. III, lib. II.
  9. Tiré de Muret, in Propert., eleg. III, lib. II.
  10. Propertius, eleg. III, lib. II.
  11. Theocrit., Eidyllio III, sub fin., pag. m. 25.
  12. Voyez, outre Apollodore, ubi infrà, Servius, in Virgil., eclog. VI, vs. 48
  13. Μετὰ ἀκοσμίας ἁπάσης, διὰ τῆς ἐρημίας ἐτρόχαζον. Omni dedecore per deserta discurrebant. Apollod., lib. II, pag. 85.
  14. Tiré d’Apollodore, lib. II, pag. 85 et sequent.
  15. Servius, in Virgil., eclog. VI, vs. 48.
  16. Tiré de Pausanias, lib. II, pag. 60.
  17. Antonius Menjotius, Dissertat. Pathol., part. I, pag. 122.
  18. Virgil., eclog. VI, vs. 48.
  19. Pausanias, lib. VIII, pag. 252, 253.
  20. Dans la remarque (G).
  21. Herodot., lib. II, cap. XLIX.
  22. Barthius, in Statium, tom. II, p. 834.
  23. Plut., de Malignit. Herodoti, pag. 857.
  24. Pausanias, lib. VII, pag. 230. Voyez, tom. VIII, pag. 542, citation (87) de l’article Jupiter.
  25. Barthius, in Statium, tom. II, pag. 834.
  26. Diodorus Siculus, lib. I, cap. XCVI, pag. m. 83.
  27. Dans la remarque (C) de l’article de Cassandre, tom. IV, pag. 486, et dans la remarque (B) de l’article Tirésias, tom. XIV.
  28. Apollodor., lib. I, pag. 47.
  29. L’Hiérozoicon de M. Bochart, liv. I.
  30. Cicero, lib. II de Legibus, folio 334. D.
  31. Pensées diverses sur les Com., num. 45.
  32. Cicero, de Naturâ Deorum. Voyez, tom. IX, pag. 108, citation (71) de l’article Launoi (Jean de).
  33. Dubium non est, quin hæc disciplina et ars Augurum evanuerit jam et vetustate, et negligentiâ. Itaque neque illi assentior, qui hanc scientiam negat unquàm in nostro collegio fuisse, neque illi qui esse etiam nunc putat. Cicero, lib. II de Legibus, cap. XIII.
  34. Apollodor., lib. II, pag. 85.
  35. Idem, ibidem, pag. 85.
  36. Servius, in Virgil., Georg., lib. III, vs. 550.
  37. Idem, ibid.
  38. Virgil., Georg., lib. III, vs. 549.
  39. Servius, in Virgil., eclog. VI, vs. 48.
  40. Plinius, lib. XXV, cap. V, pag. m. 389.
  41. Idem, ibidem.
  42. Vossius, de Philosophiâ, cap. XI, num. 17, pag. m. 84.
  43. Statius, Thebaid., lib. III, vs. 451.
  44. Idem, ibid., lib. VIII, vs. 275.
  45. Homerus, Odyss., lib. XV, pag. m. 462.
  46. Pausan., lib. VI, pag. 195.

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