Dictionnaire historique et critique/11e éd., 1820/Ampharès


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AMPHARÈS, l’un des éphores de Lacédémone, fut le principal instrument de la mort tragique du roi Agis. Nous avons dit ailleurs [a], comment, après le rétablissement de Léonidas son collègue, ce prince se réfugia dans un temple. Ampharès fut un de ceux qui l’y visitèrent familièrement, et qui lui tinrent compagnie, quand il sortait de cet asile pour aller au bain, et quand il retournait au temple. Un jour, en le ramenant du bain, Ampharès mit la main sur lui pour l’obliger à comparaître devant les éphores, et à leur rendre compte de sa conduite. Il le fit entrer par force dans la prison : les éphores et leurs assesseurs s’y transportèrent tout aussitôt pour faire le procès au roi. Il leur déclara qu’il n’avait eu autre dessein que de remettre les choses sur le pied que Lycurgue les avait mises, et qu’il ne se repentirait jamais d’un si beau dessein. Là-dessus on le condamna à la mort, et l’on ordonna aux sergens de le conduire au lieu du supplice[b]. Les sergens trouvèrent si étrange et si inouï que l’on mît les mains sur la personne d’un roi, qu’ils témoignèrent de l’aversion pour cet ordre [c] : il fallut que Democharès, l’un des amis d’Ampharès, fit lui-même cette fonction. Agésistrata, mère d’Agis, accompagnée d’Archidamia sa mère, était accourue aux portes de la prison, et demandait qu’il fût permis à ce prince de plaider sa cause devant le peuple. Cela fut cause que l’on hâta l’exécution. Dès qu’Agis eut été étranglé, Ampharès vint assurer Agésistrata, qu’on ne ferait point de mal à son fils, et qu’elle pouvait entrer pour le voir, si elle le souhaitait. La même permission fut accordée à la grand’mère : ainsi elles entrèrent toutes deux dans la prison. Ampharès fit d’abord pendre Archidamia, et puis fit entrer Agésistrata où l’exécution s’était faite. La première chose, qui se présenta à la vue de cette dame, fut le corps mort de son fils étendu par terre, et celui de sa mère qui était encore pendu. Elle aida les bourreaux à le dépendre, et l’étendit auprès du corps d’Agis ; et baisant son fils, s’écria qu’il s’était perdu, et qu’il les avait attirées dans ce précipice par sa trop grande débonnaireté. Ampharès, à l’ouïe de ces paroles, lui dit que puisqu’elle approuvait la conduite d’Agis, elle serait traitée tout comme lui. Agésistrata, sans s’étonner, tendit le cou au bourreau, pour être pendue, et se contenta de dire qu’elle souhaitait que toutes ces choses tournassent au bien et à l’avantage de la patrie[d]. Le peuple fut fort indigné d’une violence si extraordinaire : il en murmura ; mais il n’en fut autre chose. On vit alors la vérité d’une maxime qui a lieu en cent sortes d’occasions : On fait du bruit, et puis on se console. Rien ne poussa tant Ampharès à ce crime que l’envie de ne point rendre ce qu’Agésistrata lui avait prêté. Plutarque, de qui j’emprunte cet article, nous apprend ce qui fut dit sur le supplice du roi Agis (A). Je m’en vais le rapporter, comme je n’y suis engagé[e].

  1. Dans l’article Agis.
  2. Il était dans la prison même, et s’appelait Decas.
  3. Ἀποςρεϕομένους καὶ ϕεύγοντας τὰ ἔργον, ὡς ου θεμιτὸν οὐδε νενομισμένον βασιλέως σώματι τὰς χεῖρας προσϕέρειν. Avertentes se et refugientes facinus, ut nefarium et insolens, ut corpori regis quis admoveret manus. Plutarchus, in Agide, pag. 803, 804.
  4. Μόνον, ἔϕη, συνενέγκαι ταῦτα τῇ Σπάρτῃ. Tantùm sint hæc, inquit, ex usu reipublicæ spartanæ. Plutarch. in Agide, p. 804.
  5. Ci-dessus, à la fin de l’article Agis.

(A) Plutarque nous apprend ce qui fut dit sur le supplice qu’Ampharès fit souffrir au roi Agis. ] Ces trois exécutions ne consternèrent pas tellement le peuple, qu’il n’osât faire paraître qu’il en était extrêmement affligé, et qu’il haïssait Léonidas et Ampharès. On ne croyait pas que depuis que les Doriens étaient venus habiter au Péloponnèse, il se fût rien fait de plus atroce ni de plus abominable à Lacédémone ; car les ennemis même avaient beaucoup d’égard dans les batailles pour la personne des rois de Sparte : ils se détournaient par la vénération de leur majesté, quand ils les voyaient venir à eux ; et de là vint qu’en tant de batailles que les Spartiates avaient données aux autres peuples de la Grèce avant le règne de Philippe, père d’Alexandre-le-Grand, il n’y eut qu’un seul roi de Sparte qui fut tué[1]. On n’accordait pas aux Messéniens qu’Aristodème eût ôté la vie à Théopompus : on avouait seulement qu’il l’avait blessé. Agis est le premier roi de Lacédémone qui ait été mis à mort dans la ville : prince qui avait eu un très-beau dessein et très-digne de son pays, dans un âge qui fait que l’on excuse ceux qui font de fautes. Ses amis le blâmaient plus justement que ses ennemis : ses amis, dis-je, qui lui reprochaient d’avoir eu trop de honte et trop de douceur, et d’avoir sauvé Léonidas, et de s’être fié à d’autres. Les paroles de sa mère sont remarquables : Ἡ πολλήσε, ὦ παῖ εὺλάϐεια καὶ τὸ πρᾶον καὶ ϕιλάνθρωπον ἀπώλεσε μεθ᾽ ἡμῶν. Nimia tua te, fili, modestia, lenitas, et humanitas, nobiscum perdidit. Voilà ce que nous apprend Plutarque dans la vie d’Agis.

Je l’ai rapporté sans diminution et sans addition ; mais j’y joins à présent cette remarque : c’est qu’en parcourant bien l’histoire, on trouverait apparemment plus de princes renversés du trône, parce qu’ils étaient trop bons et trop faibles, que parce qu’ils étaient trop méchans. Ceux-ci trouvent plus de ressources dans leur propre méchanceté contre les machinations de leurs ennemis, que ceux-là dans la justice de leur cause et dans la fidélité de leurs peuples. Voyez la remarque (F) de l’article d’Édouard IV.

  1. Savoir : Cléombrotus à la bataille de Leuctres.

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