Commentaire sur la deuxième Épître de saint Paul aux Thessaloniciens


COMMENTAIRE
SUR LA DEUXIÈME ÉPÎTRE AUX THESSALONICIENS.



ARGUMENT. – HOMÉLIE PREMIÈRE.

Analyse.

  1. Pour quels motifs saint Paul envoie aux Thessaloniciens cette seconde lettre. – Sur les imposteurs qui prétendent que la résurrection est un fait déjà accompli, qui fondent leurs enseignements sur la parole de l’apôtre lui-même. – De l’enseignement de Jésus-Christ à ses sujets.
  2. Contre l’orgueil qui vient de l’ignorance où l’on est de Dieu. – L’orgueil, commencement de tout péché. – Tourments que causent les passions mauvaises. – Vanité des choses humaines, qui ne sont que de purs songes.

1. En disant dans la première épître : « Jour et nuit nous désirons vous voir, et encore nous n’y résistons plus, et encore nous sommes restés seuls à Athènes, et j’ai envoyé Timothée » (1Thes. 3,10, 1, 2) ; par toutes ces expressions, il marque son désir de se rendre auprès de ceux de Thessalonique. C’est, à ce qu’il semble, parce qu’il n’a pas encore pu satisfaire son désir, c’est parce qu’il lui est impossible de leur communiquer de vive voix les enseignements dont ils avaient encore besoin, qu’il leur écrit cette seconde lettre, destinée à le remplacer auprès d’eux. Il n’était pas allé les voir ; c’est ce que l’on peut conjecturer des paroles de cette lettre même, où il dit : « Nous vous conjurons, mes frères, par l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». (2Thes. 2,1) Car dans la première lettre il leur disait : « Pour ce qui regarde les temps et les moments, il n’est pas besoin de vous en écrire ». (1Thes. 5,1) S’il avait fait le voyage, une lettre eût été inutile ; mais la question ayant été ajournée, il leur écrit. Il s’exprime ainsi, dans l’épître à Timothée : « Quelques-uns bouleversent la foi, en disant que la résurrection est déjà arrivée ». (2Tim. 2,18) Le but de ces prédicateurs de mensonges était, en étant aux fidèles toute grande et glorieuse espérance, de les décourager devant les fatigues. L’espérance redressait les fidèles, les empêchait de succomber aux maux présents. C’était, pour eux, comme une ancre que le démon voulût briser. Or, ne pouvant leur persuader gaie les choses futures n’étaient que des mensonges, Il s’y prit d’une autre manière ; il envoya de ces hommes perdus qui devaient lui servir à tromper les fidèles en leur insinuant que cette grande et glorieuse destinée avait reçu sots accomplissement. Et tantôt ces imposteurs disaient que la résurrection était déjà arrivée ; tantôt, que le jugement était proche, qu’on allait voir paraître le Christ ; ils voulaient envelopper jusqu’au Christ dans leurs mensonges. En montrant qu’il n’y a plus désormais ni rémunération, ni jugement, ni châtiment, ni supplice pour les coupables, ils voulaient rendre les oppresseurs plus audacieux, et enlever à leurs victimes toute énergie. Et ce qu’il y a de plus grave, c’est que, parmi ces imposteurs, les uns envoyaient des paroles qu’ils prétendaient sorties de la bouche de Paul ; les autres allaient jusqu’à fabriquer des lettres qu’il était censé avoir écrites.
Voilà pourquoi l’apôtre, pour s’opposer à ces hommes, disait : « Que vous ne vous laissiez pas ébranler ni par quelques prophéties, ni par quelques discours, ni par quelques lettres qu’on supposerait venir de nous ». – « Ni par quelques prophéties ». (2Thes. 2,2) Il indique par là les faux prophètes ; mais comment s’y reconnaître, dira-t-on ? par le signe qu’il donne. Aussi ajoute-t-il : « Je vous salue de ma propre main, moi Paul ; c’est là mon seing, dans toutes mes lettres j’écris ainsi. La grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous ». (Id. 3,17,18) Il ne dit pas que ce qu’il écrit soit son signe, car il est vraisemblable que d’autres aussi l’avaient imité, mais il dit : Je vous écris ma salutation de ma propre main. C’est ce qui se passe aujourd’hui encore parmi nous. La suscription des lettres montre qui les écrit. Maintenant il les avertit des maux dont ils sont infectés ; il les loue, pour le présent, et il tire de l’avenir les exhortations qu’il leur envoie. Il les avertit, en leur parlant du supplice, de la distribution des biens qui leur sont préparés ; il insiste sur ce point où il répand la lumière ; sans indiquer l’époque précise, il montre le signe qui fera reconnaître les derniers temps, à savoir, l’antéchrist. Pour procurer la certitude à l’âme faible, il ne suffit pas de lui parler simplement, il faut lui donner des signes et des preuves. Le Christ se montre plein de sollicitude à cet égard ; assis sur la montagne, il met un soin extrême à révéler à ses disciples tout ce qui concerne la consommation des temps. Pourquoi ? pour ne pas laisser le champ libre à ceux qui introduisent les antéchrists et les pseudo-christs. Lui-même donne beaucoup de signes ; il en donne un surtout et c’est le plus grand : Quand l’Évangile aura été prêché dans toutes les nations. Il donne encore un second signe pour qu’on ne se trompe pas sur son avènement : « Il viendra », dit-il, « comme l’éclair » ; il ne se cachera pas dans un coin ; on le verra partout resplendissant. Il n’a besoin de personne pour l’annoncer, tant sa splendeur éclate ; l’éclair aussi n’a pas besoin qu’on l’annonce. Jésus-Christ dit encore quelque part, en parlant de l’antéchrist : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m’avez pas reçu ; si un autre vient en son propre nom, vous le recevrez ». (Jn. 5,43)
Il donne aussi comme des signes de son arrivée, les calamités survenant coup sur coup, des malheurs inexprimables. Autre signe encore : la venue d’Élie. Or, à cette époque, les habitants de Thessalonique étaient dans le doute, et leur doute nous a été utile à nous-mêmes, car les paroles de l’apôtre ne devaient pas servir seulement aux hommes de Thessalonique, mais à nous-mêmes, pour nous délivrer de fables puériles et d’extravagances de vieilles femmes. N’avez-vous pas entendu souvent, dans votre enfance, certaines conversations sans fin, sur l’antéchrist et sur la génuflexion?. Ce sont des impostures que le démon fait entrer dans nos âmes encore tendres, de telle sorte que cette croyance se fortifie en nous, quand nous grandissons, et trompe nos esprits. Paul, parlant de l’antéchrist, n’aurait pas négligé ces fables, s’il y eût eu du profit pour nous à nous en parler. Ne cherchons donc pas de pareils signes, car il ne viendra pas ainsi, fléchissant les genoux. Mais, « s’élevant au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou adoré, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, voulant lui-même passer pour Dieu ». (2Thes. 2,4) Car, de même que c’est l’arrogance qui a causé la chute du démon, de même celui que le démon fait mouvoir, est rempli d’arrogance.
2. Aussi, je vous en prie, appliquons-nous tous à repousser ce vice loin de nous, afin de ne pas subir le même jugement, de ne pas encourir la même peine, de ne pas partager le même supplice. « Que ce ne soit point un néophyte », dit-il, « de peur qu’enflé d’orgueil il ne tombe dans la même condamnation que le démon ». (1Tim. 3,6) Ainsi, celui qui est enflé d’orgueil, sera puni de la même manière que le démon. « Car le commencement de l’orgueil, c’est de méconnaître le Seigneur ». (Sir. 1,14) Le commencement du péché c’est l’orgueil. C’est là le premier élan, le premier mouvement vers le mal ; peut-être en est-ce et la racine et la base. Le mot « commencement » veut dire, en effet, le premier élan vers le mal, ou ce qui le constitue : par exemple, si l’on disait que s’abstenir des mauvais spectacles c’est le commencement de la chasteté, cela signifierait le premier élan, le premier pas dans la voie de la chasteté. Si au contraire nous disons : Le commencement de la chasteté c’est le jeûne ; c’est comme si nous disions Voilà ce qui la fonde, ce qui la constitue. Ainsi, le commencement du péché c’est l’orgueil ; c’est par lui, en effet, que tout péché commence, c’est l’orgueil qui forme le péché. En effet, quelles que soient nos bonnes œuvres, ce vice les détruit ; c’est comme une racine quine permet pas aux plantes de prendre de la consistance. Voyez, par exemple, toutes les bonnes actions du pharisien, elles lui ont été inutiles parce qu’il n’en a pas coupé la funeste racine ; la racine a tout perdu et corrompu. De l’orgueil naissent le mépris des pauvres, la cupidité, l’amour de la prédominance, le désir d’une gloire insatiable. Un homme de ce caractère est porté à se venger de tous les outrages, car l’orgueil ne souffre pas les insultes qui viennent même des plus puissants, à plus forte raison celles qui viennent des plus faibles. Mais celui qui ne peut souffrir l’insulte, ne peut supporter aucun mal. Voyez comme il est vrai de dire que l’orgueil est le commencement du péché ; mais est-il bien vrai que le commencement de l’orgueil, c’est de méconnaître le Seigneur ?
Assurément, car celui qui connaît Dieu, comme il faut le connaître, celui qui sait que le Fils de Dieu s’est abaissé à un état si humble, celui-là ne cherche pas à s’élever ; celui, au contraire, qui ne sait pas ces choses, s’enfle et s’élève ; car l’orgueil le prédispose à l’arrogance. En effet, dites-moi comment ceux qui font la guerre à l’Église, peuvent-ils prétendre qu’ils connaissent Dieu ? N’est-ce pas là une folie orgueilleuse ? Et voyez dans quel précipice les jette l’ignorance où ils sont de Dieu ; car si Dieu aime un cœur contrit, en revanche il résiste aux superbes ; c’est aux humbles qu’il réserve sa grâce. Non, aucun malheur n’est comparable à l’orgueil ; de l’homme, il fait un démon, insolent, blasphémateur, parjure ; l’orgueil fait qu’on aspire au carnage ; car toujours l’orgueilleux vit dans les douleurs, toujours indigné, toujours chagrin, et rien ne peut rassasier la funeste passion qui le tourmente ; il verrait l’empereur incliné devant lui et l’adorant, qu’il ne serait pas rassasié, il lui faudrait plus encore. Plus les avares amassent, plus ils ont de besoins. De même pour ces âmes superbes ; de quelque gloire qu’elles jouissent, c’est pour elles une raison d’en désirer une plus grande ; la passion s’augmente (car c’est une passion). Or, la passion ne connaît pas la mesure ; elle ne s’arrête qu’après avoir tué celui qui la porte en soi. Ne voyez-vous pas combien de gens ivres, toujours altérés, car la passion mauvaise n’est pas un désir fondé sur la nature, mais une dépravation, une maladie. Ne voyez-vous pas que les affamés ont toujours faire ? Cette infirmité, comme disent les médecins, franchit toutes les limites de la nature ; ainsi ces investigateurs curieux et oisifs ont beau apprendre, ils ne s’arrêtent pas ; c’est une passion mauvaise, et qui ne connaît pas de bornes. Et ceux maintenant qui trouvent des charmes aux plaisirs impurs, ceux-là non plus ne s’arrêtent pas. « Car pour le fornicateur », dit l’Écriture, « toute espèce de pain est agréable » (Sir. 23,17) ; il ne s’arrêtera que quand il sera dévoré ; c’est une passion. Mais, si ce sont là des passions funestes, elles ne sont pas toutefois incurables, la cure en est possible, et beaucoup plus possible que pour les affections du corps ; nous n’avons qu’à vouloir, nous pouvons les éteindre. Comment donc ; éteindre l’orgueil ? Connaissons Dieu. Si notre orgueil provient de l’ignorance où nous sommes en ce qui concerne Dieu, la connaissance de Dieu chasse l’orgueil. Pensez à la géhenne, pensez à ceux qui sont bien meilleurs que vous, pensez à toutes les expiations que vous devez à Dieu, de telles pensées auront bien vite réduit, bien vite dompté votre esprit superbe.
Mais c’est ce qui vous est impossible ? Vous êtes trop faible ? Pensez aux choses – présentes, à la nature humaine, au néant de l’homme. A la vue d’un mort qu’on porte sur la place publique, des enfants orphelins qui le suivent, de sa veuve brisée par la douleur, de ses serviteurs qui se lamentent, de ses amis dans l’affliction, considérez le néant des choses présentes, qui ne sont que des ombres, des songes, rien de plus. Vous ne le voulez pas ? Pensez à ces riches qui ont péri dans les guerres ; voyez ces maisons de grands et illustres personnages, ces splendides demeures maintenant abattues ; pensez à toute la puissance qu’ils possédaient, dont il ne reste pas aujourd’hui un souvenir. Il n’est pas de jour, si vous voulez, qui ne vous présente de pareils exemples, des princes laissant leur place à d’autres, des richesses confisquées. « Un grand nombre de rois se sont assis sur la terre nue, et celui qu’on ne soupçonnait pas, a porté le diadème ». (Sir. 11,5) N’est-ce pas l’histoire de tous les jours ? Ne tournons-nous pas sur une roue ? Lisez, si vous voulez, nos livres, et les livres profanes (car les livres du dehors sont remplis de pareils exemples) si vous dédaignez nos Écritures par orgueil ; si les ouvrages des philosophes provoquent votre admiration, eh bien, consultez-les ; vous y trouverez des leçons, ils vous parleront des malheurs antiques, poètes, orateurs, maîtres de philosophie, tous les écrivains quels qu’ils soient. Partout, si vous voulez, les exemples se montreront à vous. Si vous ne voulez rien entendre parmi eux, considérez notre nature même, son origine, sa fin ; appréciez ce que vous pouvez valoir, quand vous dormez : n’est-il pas vrai que le moindre animal pourrait vous ôter la vie ? Que de fois un animalcule, tombant du haut d’un toit, ou crève l’œil, ou fait courir quelque autre danger ! Eh quoi ? n’êtes-vous pas plus faible que tout animal, quel qu’il soit ? Eh ! que me dites-vous ? que vous avez le privilège de la raison ? Eh bien, vous ne l’avez pas, la raison, et ce qui prouve qu’elle vous manque, c’est votre présomption. Qu’est-ce qui vous inspire votre fierté, répondez-moi la bonne constitution de votre corps ? Mais les animaux l’emportent sur vous. Et cela est vrai aussi des brigands, des meurtriers, des profanateurs de sépultures. Mais votre intelligence ? Mais l’intelligence ne se manifeste pas par la présomption ; voilà donc tout d’abord qui vous dépouille de votre intelligence. Sachons donc abaisser clos sentiments présomptueux, devenons modestes, humbles, doux et pacifiques car voilà ceux que le Christ regarde comme heureux avant tous les autres : « Bienheureux les pauvres d’esprit » (Mt. 5,3 ; et 11,29) ; et sa voix nous crie encore : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ». Aussi a-t-il lavé les pieds de ses disciples, nous donnant par là un exemple d’humilité. Appliquons-nous à profiter de tous ces discours, afin de pouvoir obtenir les biens promis par lui à ceux qui l’aiment, par la grâce et par la bonté, etc.

HOMÉLIE II. modifier


PAUL, ET SILVAIN, ET TIMOTHÉE, A L’ÉGLISE DE THESSALONIQUE, EN DIEU NOTRE PÈRE, ET EN JÉSUS-CHRIST, NOTRE SEIGNEUR. QUE DIEU NOTRE PÈRE ET LE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, VOUS DONNENT LA GRACE ET LA PAIX. (I, 1-8)

Analyse. modifier


  • 1. La grâce divine, bien inestimable. – Joseph et la femme de Putiphar ; Joseph comblé de la faveur de Dieu. – La foi défie les tempêtes, les déluges ne l’engloutissent pas. – Grande ressource, être bien uni, ne former qu’un corps.
  • 2. De la charité. – De l’imperfection de l’amour qui n’est pas l’amour divin. – De la patience dans les persécutions. – Nécessité des afflictions pour entrer dans le royaume de Dieu. – La rémunération future bien supérieure aux épreuves endurées.
  • 3. Réjouissons-nous des récompenses à venir, mais non de la punition certaine des méchants. – Sans perdre de vue, d’une part les châtiments, d’autre part, les récompenses, tout en méditant des vérités qui doivent servir à nous fortifier, excitons-nous à la vertu, par le seul amour de Jésus-Christ. – La crainte des châtiments, combien utile et salutaire.
  • 4. Utilité des entretiens sévères ; évitons les frivolités, les discours inutiles, la curiosité indiscrète, les médisances. – Mollesse des âmes qui ne peuvent supporter les discours sur l’enfer. – Paul les méprisait. Pourquoi ? – Les richesses ne sont pas des biens, la pauvreté n’est pas un mal, la pensée de l’avenir est tout.


1. La plupart des hommes ont recours à tous les moyens, font jouer toutes les machines, pour se mettre un peu en crédit auprès des magistrats, des personnes un peu haut placées ; on attache beaucoup de prix à leur faveur, on la convoite, c’est un bonheur de l’obtenir. Si la faveur dès hommes est d’un si grand prix, de quel prix sera la faveur de Dieu ? Voilà pourquoi, dans ses lettres, l’apôtre début, toujours par le souhait de la grâce de Dieu. Paul sait bien qu’avec cette grâce on n’a plus rien à craindre, que c’en est fait de tous les chagrins, de toutes les contrariétés. Voici qui vous fera comprendre cette vérité : Joseph était un esclave, un jeune homme sans expérience, très-simple, et tout à coup le voilà chargé d’administrer une maison, et c’était à un Égyptien qu’il devait ses comptes. Vous savez tous combien les gens de cette race sont portés à la colère, et surtout sont vindicatifs. Ajoutez à ces dispositions naturelles, une charge qui donne du pouvoir ; la colère est plus redoutable, parce qu’elle s’augmente avec le pouvoir. L’égyptien l’a bien montré. La maîtresse porte l’accusation ; le maître l’accueille, et cependant, s’il y avait eu violence, ce n’était pas sur ceux qui avaient le manteau entre les mains, mais sur celui qui avait été dépouillé. L’égyptien aurait dû dire : Vous n’aviez qu’à élever la voix, il aurait pris la fuite ; s’il se sentait coupable, il n’aurait pas attendu la présence de son maître. Toutefois de pareilles pensées étaient trop fortes pour cet homme ; il s’abandonna tout entier, aveuglément, à la colère, et jeta Joseph en prison ; tel était l’excès de sa démence. Et cependant les témoignages ne lui manquaient pas pour lui apprendre quelle était la sagesse, l’intelligence de Joseph ; mais cet égyptien était tout à fait dépourvu de raison, aussi ne fit-il aucun raisonnement. Eh bien, Joseph, avec un maître d’un caractère si misérable, Joseph chargé de tout le soin d’administrer la maison, lui, qui était un étranger, sans soutien, sans expérience, reçut à grands flots la grâce divine, et toutes ces épreuves furent comme non avenues ; il surmonta tout cela, et les calomnies de sa maîtresse, et les dangers qui menaçaient sa vie, et la prison ; enfin il arriva jusqu’au trône.
Eh bien donc, notre bienheureux Paul sait combien est grande la grâce de Dieu, et, voilà pourquoi il la souhaite à ceux qui recevront sa lettre. Il a aussi en tête une autre pensée : il veut qu’on fasse bon accueil à ce qu’il écrit ; il veut que, s’il réprimande, s’il gronde, on ne regimbe pas. Voilà pourquoi il leur parle, avant tout, de la grâce de Dieu ; il adoucit leur cœur ; il veut que, dans les afflictions, ils se souviennent de la grâce qui les a sauvés au `milieu d’épreuves plus difficiles, de telle sorte que, dans de moindres épreuves, ils ne désespèrent pas, qu’au contraire ils soient consolés. C’est ainsi que, dans un autre endroit, il leur disait : « Si, lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils, à plus forte raison, maintenant que nous sommes réconciliés, serons-nous sauvés par la vie de ce même Fils ». (Rom. 5,10)
« Que Dieu Notre Père », dit-il, « et le Seigneur Jésus-Christ, vous donnent la grâce et la paix. Nous devons, mes frères, rendre pour vous à Dieu de continuelles actions de grâces, comme il est juste ». Voyez quel excès d’humilité ! En disant : « Nous devons rendre des actions de grâces », voici la pensée, la réflexion qu’il leur suggère : Si ce n’est pas vous que les autres commencent par admirer pour vos bonnes œuvres, si c’est Dieu d’abord qu’ils admirent, à plus forte raison doit-il en être ainsi de nous. L’apôtre en outre élève leurs pensées ; ce qui arrive aux Thessaloniciens n’est pas fait pour provoquer, ni les larmes, ni les lamentations, loin de là, mais les actions de grâces adressées à Dieu. Si Paul bénit le Seigneur pour les biens décernés aux autres, quel sera le sort de ceux qui, loin de bénir le Seigneur, se laissent ronger par l’envie ? « Puisque votre foi s’augmente de plus en plus, et que la charité, que vous avez les uns pour les autres, s’accroît ». Et comment, me dira-t-on, la foi peut-elle s’augmenter ? Comment ? par les traitements rigoureux que nous endurons pour elle. Il est beau d’être solide, fixe dans ses pensées ; mais lorsque les vents soufflent avec violence, lorsque la tempête se précipite, lorsque les flots s’amoncellent de toutes parts, si alors nous ne chancelons pas, c’est l’infaillible marque de l’abondance, de la surabondance, du sublime essort de notre foi. De même qu’aux jours du déluge, de l’inondation, tout ce qui est pierre et tenant à la terre est submergé vite, tandis que ce qui s’élève vers le ciel, échappe au naufrage, de même la foi qui s’élève n’est pas engloutie. Voilà pourquoi l’apôtre ne dit pas simplement, « s’augmente », mais, « puisque votre foi s’augmente de plus en plus, et que la charité que vous avez les uns pour les autres, s’accroît ». Voyez quelle ressource, dans les afflictions, de former une masse compacte ; de se tenir serrés les uns contre les autres ; de là, en outre, une grande consolation. La charité molle et la foi sans énergie se troublent devant les afflictions ; au contraire, une foi et une charité énergiques se fortifient encore dans les épreuves. L’âme tourmentée par les douleurs n’en retire, si elle est faible, aucun profit ; l’âme forte y gagne un surcroît de force. Voyez la charité des premiers chrétiens ; ils n’avaient pas, pour un tel, un amour sans bornes ; pour tel autre, aucune affection ; leur affection était égale pour tous. C’est ce que l’apôtre fait entendre par ces paroles : « Et que la charité que vous avez les uns pour les autres ». C’est l’équilibre ; les chrétiens ne forment tous qu’un corps ; aujourd’hui même, nous voyons bien que beaucoup de personnes éprouvent la charité, ressentent l’affection, mais cette affection est une cause de dissentiment. Qu’arrive-t-il, dans le cas de deux ou trois amis ensemble ? Ces deux ou trois, ou quatre, étroitement unis, se séparent des autres, les abandonnant pour ceux qui font leur force, en qui seuls ils ont une confiance exclusive ; c’est le déchirement de la charité, ce n’est plus de la charité. Supposez que l’œil, qui doit veiller pour tout le corps, ne s’exerçât plus que dans l’intérêt de la main, se séparât de toutes les autres parties du corps, pour ne s’occuper que de la main, ne serait-ce pas la perte du corps entier ? Assurément. Il en est de même pour nous ; notre charité doit s’étendre à toute l’Église de Dieu. Si nous la concentrons sur un seul ou sur deux, nous nous perdons nous-mêmes, et nos amis, et tous les autres. Ce n’est pas là de la charité ; il n’y a là que division, séparation, déchirement, tiraillement. Une partie arrachée au corps humain aura beau posséder toute l’unité, toute la cohésion possible, cependant il n’y en a pas moins fracture, déchirement, vu que cette partie n’est pas unie au reste du corps.
2. Qu’importe que celui-ci, que, celui-là soit l’objet de votre amour passionné. L’amour est un sentiment humain ; si votre sentiment est plus qu’humain, si c’est en vue de Dieu que vous aimez, aimez tous les hommes, car Dieu nous commande d’aimer jusqu’à nos ennemis. S’il nous a commandé d’aimer jusqu’à nos ennemis, à combien plus forte raison ceux qui ne nous ont fait aucun mal. Mais je suis plein d’amour, me répond-on ; non, vous ne ressentez pas l’amour divin, ou plutôt vous ne ressentez aucun amour ; vous accusez, vous enviez, vous dressez des pièges. Où est votre amour ? Mais, je ne fais rien de pareil, me répond-on. Cependant, quand vous entendez médire, vous ne fermez pas la bouche du médisant, vous ne refusez pas d’ajouter foi à ses paroles, vous ne l’arrêtez pas ; quelle marque d’amour ! « Puisque la charité », dit l’apôtre, « que vous avez les uns pour les autres, prend tous les jours un nouvel accroissement, de sorte que nous nous glorifions en vous, dans les églises de Dieu (3, 4) ».
Dans la première épître, il dit que toutes les églises de la Macédoine et de l’Achaïe ont retenti du bruit de leur foi : « De telle sorte », dit-il, « qu’il n’est point nécessaire que nous en parlions, puisqu’ils racontent eux-mêmes de nous, quel a été le succès de notre arrivée parmi vous ». (1Thes. 1,8-9) Ici maintenant il dit : « De sorte que nous nous glorifions ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Dans la première épître, il dit : Ils n’ont pas besoin de nos leçons ; dans celle-ci, il ne dit pas Nous leur apportons l’enseignement, mais : « Nous nous glorifions ». Cela veut dire : Si, à cause de vous, nous rendons grâces à Dieu, si nous nous glorifions auprès des hommes, à bien plus forte raison vous convient-il de le faire pour les biens qui nous arrivent. Si, en effet, vos bonnes œuvres méritent que d’autres se glorifient, comment seront-elles, pour nous, un sujet de lamentations ? On ne peut pas le dire : « De sorte que nous nous glorifions en vous dans les églises de Dieu, à cause de la patience et de la foi que vous montrez ». Il prouve ici que beaucoup de temps s’est passé, car la patience suppose beaucoup de temps, plus qu’une simple durée de deux ou trois jours. Et maintenant il ne dit pas seulement, la patience ; il faut certes beaucoup de patience pour attendre, sans en jouir, des biens qui sont promis. Mais l’apôtre indique ici une plus grande patience. Quelle est-elle ? La patience au sein des persécutions. Ce qui prouve que c’est là la patience qu’il indique, c’est ce qui suit : « Dans toutes les persécutions et les afflictions que vous supportez ». En effet, ils étaient entourés d’ennemis, qui, de tous côtés, cherchaient à leur nuire, et la patience des fidèles, leur solidité était inébranlable.
Honte à ceux qui, pour s’assurer des protecteurs parmi les hommes, changent de croyances ; aux premiers jours de la prédication, des pauvres, obligés, de travailler tous les jours pour gagner leur vie, bravèrent les inimitiés de ceux qui gouvernaient l’État, des plus hauts dignitaires, des plus grands potentats ; on ne rencontrait pas un chrétien parmi les princes et les magistrats, et cependant ces premiers chrétiens supportaient une guerre implacable, et ne renonçaient pas à leur foi. « Qui sont les marques du juste jugement de Dieu (5) ». Voyez la consolation que l’apôtre leur ménage. Il a dit : Nous rendons grâces à Dieu ; il a dit : Nous nous glorifions auprès des hommes. Voilà de bonnes paroles ; mais ce que recherche avant tout l’affligé, c’est d’être délivré de ses maux, c’est de voir punir ceux qui l’affligent. Voilà ce que l’âme faible désire avant tout. Quant au sage, il n’en est pas de même. Que dit donc l’apôtre ? « Qui sont les marques du juste jugement de Dieu ». Il y a là deux idées indiquées, à savoir : la punition des méchants et la récompense des bons. C’est comme s’il disait Afin qu’en vous couronnant, afin qu’en les punissant, la justice de Dieu se manifeste. C’est en même temps une consolation qu’il leur adresse ; il leur montre que les sueurs et les fatigues qu’ils souffrent, demandent, et qu’il est conforme à la justice, qu’ils soient couronnés. L’apôtre leur parle d’abord de ce qui les concerne. En effet, quelque désireux qu’on soit de vengeance, ce sont d’abord les récompenses qu’on désire, voilà pourquoi il ajoute : « Et qui servent à vous rendre dignes du royaume de Dieu, pour lequel aussi vous souffrez ». Ces persécutions ne sont donc pas un effet de la puissance supérieure des persécuteurs, mais de la nécessité d’entrer par cette voie dans le royaume de Dieu. « Car, c’est par beaucoup d’afflictions », dit l’Écriture, « que nous devons entrer dans le royaume de Dieu ». (Act. 14,22)
« Si vraiment il est juste devant Dieu, qu’il afflige à leur tour ceux qui vous affligent maintenant, et qu’il vous console avec nous, vous qui êtes dans l’affliction. Lorsque le Seigneur Jésus descendra du ciel avec les anges, qui sont les ministres de sa puissance (6, 7) ». Ce « si vraiment », tient lieu ici, de parce que, expression que nous employons quand il s’agit d’une vérité incontestable qu’il est impossible de contredire ; c’est donc pour, il est tout à fait juste. S’il est juste, dit-il, devant Dieu qu’il les punisse, n’en doutons pas, il les punira ; c’est comme s’il disait : Si Dieu prend souci de ces choses, si Dieu s’en préoccupe. Ce « si vraiment » a la même valeur que si la chose était incontestable, comme s’il disait : Si Dieu déteste les méchants, pour forcer les auditeurs à dire que Dieu les déteste (ce sont là en effet des pensées sur lesquelles il n’y a pas le moindre doute) ; et de même ici, tout le monde est d’accord qu’il y a justice, car si cela est juste devant les hommes, à bien plus forte raison est-ce juste devant Dieu. « Qu’il afflige », dit-il, « ceux qui vous affligent, et qu’il vous console, vous qui êtes dans l’affliction ».
3. Eh quoi donc ? Est-ce que la rétribution est égale ? Nullement. Mais voyez comme il montre, par les paroles qui suivent, combien la rétribution est plus forte, combien la consolation dépasse les épreuves. Voyez, de plus, cette autre consolation : Partagez la rétribution, dit-il, avec ceux qui ont partagé l’affliction. C’est là en effet ce que signifie cet « avec nous ». Il associe, au partage des couronnes, ceux qui ont fait peu de chose, et ceux dont les œuvres sont innombrables, incomparables. Ce n’est pas tout, il marque le temps, et il le décrit de manière à exalter les âmes ; sa parole ouvre, pour ainsi dire, le ciel, et l’étale sous les yeux ; montre l’armée des anges, et présente un admirable tableau plein de consolations pour les affligés. « Et qu’il vous console, avec nous, vous qui êtes dans l’affliction, lorsque le Seigneur Jésus descendra du ciel et paraîtra avec les anges, qui sont les ministres de sa puissance. Lorsqu’il viendra a au milieu des flammes se venger de ceux qui ne connaissent point Dieu et qui n’obéissent point à l’Évangile de Notre-Seigneur Jésus-Christ (8) ». Si l’on est puni pour ne pas obéir à l’Évangile, quel sera le sort de ceux qui, non seulement n’obéissent pas à l’Évangile, mais vous affligent ? À quels tourments ne sont-ils pas réservés ? Mais maintenant, remarquez la prudence de l’apôtre ; il ne dit pas « Ceux qui vous affligent », mais « ceux qui n’obéissent pas » ; d’où il suit que, si ce n’est pas pour vous, c’est pour l’Évangile qu’il est nécessaire de les punir. Cette parole, c’est pour prouver ; avec plus de certitude, qu’il faut absolument les punir. Ce qui précède, c’est pour montrer qu’il faut que les fidèles soient honorés. La certitude du supplice qu’il annonce, les porte donc à la foi, et ce qui doit réjouir les fidèles, c’est que ces supplices sont la punition des maux qu’on leur a faits. Ces paroles s’adressaient à ceux de Thessalonique, mais elles nous conviennent à nous aussi. Donc, à l’heure des afflictions, méditons-les.
Ne nous réjouissons pas du supplice des autres parce qu’il nous venge, réjouissons-nous d’être nous-mêmes affranchis de la punition et du châtiment. Quel profit pour nous, lorsque les autres sont châtiés ? Ne souffrons pas, je vous en prie, dans nos âmes, de tels sentiments, mais que la royauté du ciel nous excite à la vertu. Sans doute, l’homme vraiment vertueux ne se décide ni par crainte, ni par amour de la royauté, mais par le seul amour du Christ ; ainsi faisait Paul. Mais nous, méditons sur les biens du royaume céleste, sur les douleurs de l’enfer, et sachons, par ce moyen-là au moins, nous former, nous instruire, nous porter à notre devoir. En présence de ce qui semble bon, de ce qui semble grand dans la vie présente, pensez à la royauté du ciel, et vous ne verrez plus qu’un néant ici-bas. En présence d’un objet terrible, pensez à l’enfer, et vous rirez ; quand un désir charnel pénétrera en vous, pensez au feu éternel, méditez en même temps sur le plaisir même du péché, plaisir qui n’a rien de réel, plaisir qui n’est pas même un plaisir. Si les lois de ce monde sont assez terribles pour nous détourner des actions coupables, à bien plus forte raison faut-il le dire de la pensée des choses à venir, du châtiment immortel, de la peine éternelle. Si la crainte qu’inspire un roi de la terre nous écarte de tant d’actions mauvaises, à combien plus forte raison la crainte du Roi éternel. Eh bien ! comment pourrons-nous l’entretenir toujours en nous, cette crainte ? Écoutons souvent l’Écriture. Si l’aspect seul d’un mort fait que notre cœur se serre, à bien plus forte raison la géhenne et le feu inextinguible, à bien plus forte raison le ver qui ne meurt pas. Pensons toujours à la géhenne, nous ne serons pas près d’y tomber. Voilà pourquoi Dieu nous menace de ce supplice. Si la pensée de ce supplice n’était pas pour nous d’une grande utilité, Dieu ne nous en aurait pas menacés ; mais cette pensée fait faire de grandes choses, et, comme un remède salutaire, la menace de Dieu l’applique à nos âmes. Ne méprisons pas l’utilité si grande qui en ressort pour nous ; pensons-y sans cesse, dans les dîners, dans les soupers. La conversation sur des sujets agréables n’est d’aucun profit pour l’âme, et ne fait que la rendre plus lâche ; mais la conversation sur des sujets sévères et dont l’idée importune, retranche le luxe inutile des pensées superflues, prévient le relâchement de l’âme et en ramasse les forces.
Les entretiens sur les théâtres et les acteurs ne servent de rien à l’âme, et ne font qu’ajouter à l’irréflexion, à la pétulance de la pensée. La curiosité qui recherche, qui fouille les actions d’autrui, jette souvent l’âme dans les périls ; mais parler de la géhenne, c’est s’affranchir de tout péril, et rendre l’âme plus sage. Mais vomis redoutez les paroles de mauvais augure ? Est-ce que votre silence éteindra la géhenne ? Est-ce que votre parole l’allumera ? Que vous parliez ou non, le feu s’embrasera. Ne cessons donc pas d’en parler, afin que vous n’y tombiez jamais. Il est impossible qu’une âme, inquiétée par la pensée de la géhenne, soit prompte à pécher. « Rappelez-vous votre dernière heure ; et vous ne pécherez pas pour l’éternité ». (Sir. 28,6) Il est impossible qu’une âme, qui redoute les comptes à rendre un jour, n’ait pas de répugnance pour les prévarications. La crainte, maîtrisant la pensée, n’y laisse rien entrer de mondain. Si les paroles qui rappellent l’enfer, abattent et répriment la pensée mauvaise, la raison qui a fait sa résidence dans les âmes, ne les purifie-t-elle pas plus encore que toutes les flammes ? Ne pensons pas à la royauté du ciel autant qu’à la géhenne, car la crainte a plus de force que la promesse ; et j’en sais un trop grand nombre qui dédaigneraient les biens incomparables, s’ils pouvaient s’affranchir de la punition. N’est-il pas vrai qu’il me suffit à moi-même de n’être pas puni, de n’être pas châtié ? Aucun de ceux qui ont la géhenne devant les yeux, ne tombera dans la géhenne ; aucun de ceux qui méprisent la géhenne, n’échappera à la géhenne. De même que chez nous ceux qui redoutent les tribunaux, ne sont pas conduits devant les tribunaux, tandis que ceux qui les méprisent sont surtout ceux que l’on y traîne ; de même pour la géhenne. Si les habitants de Ninive n’avaient pas redouté leur destruction, ils auraient été détruits ; mais pour l’avoir redoutée, ils n’ont pas été détruits. Si les contemporains de Noé avaient redouté le déluge, ils n’auraient pas été engloutis. Si les Sodomites avaient redouté la flamme, ils n’auraient pas été dévorés parla flamme. C’est un grand malheur de mépriser les menaces ; qui méprise les menaces, en éprouvera bien vite les effets. Rien n’est aussi utile que de s’entretenir de la géhenne ; voilà qui purifie les âmes, qui les rend plus blanches que l’argent le plus pur. Écoutez les paroles du Prophète : « Vos jugements sont toujours devant moi ». (Ps. 17,23) Le Christ aussi en parle sans cesse ; discours qui affligent l’auditeur, mais qui l’affligent pour sa plus grande utilité.
4. Car il en est ainsi dg tout ce qui noms est utile. Ne vous en étonnez pas, les médicaments, les aliments répugnent d’abord au malade, et ils lui sont utiles. Si nous ne supportons pas la rigueur des paroles, il est évident que nous ne supporterons pas l’affliction réelle ; si l’on ne supporte pas les discours sur la géhenne, évidemment quand la persécution viendra, l’on ne saura pas résister au feu et au glaive. Sachons donc habituer notre oreille à ces discours, préservons – nous, de la mollesse. Après les paroles, viendra pour nous la réalité. Habituons-nous à entendre des choses terribles pour nous habituer à supporter des choses Terribles. Si notre relâchement va jusqu’à ne pas pouvoir endurer des paroles, comment pourrons-nous tenir contre les rigueurs de la réalité ? Voyez quel mépris pour tous les mauvais traitements, pour les dangers survenant coup sur coup, manifeste le bienheureux Paul. C’est que ses méditations l’avaient porté jusqu’au mépris de l’enfer, pour se rendre agréable à Dieu. La réalité même de l’enfer lui paraissait peu de chose, pour l’amour du Christ ; et nous, en considération de nos intérêts, nous ne supportons même pas les paroles qui le rappellent. A peine avez-vous entendu quelques mots sur ce sujet, vite vous vous retirez. Je vous en prie, s’il y a en vous quelque charité, ne vous lassez pas, de semblables entretiens. Ces méditations ne sauraient en rien vous nuire, supposé qu’elles ne vous servent pas ; au contraire, je suis sûr qu’elles vous serviront, car l’âme se façonne selon les discours qu’elle entend. « Les mauvais entretiens gâtent les bonnes mœurs », dit l’apôtre, (1Cor. 15,33) D’où il suit que les bons entretiens les améliorent : Les entretiens sur des sujets terribles inspirent, la sagesse. L’âme est comme une cire : exposez-la au froid de certains discours, vous la pétrifiez, vous l’endurcissez. Au contraire, les discours fervents l’amollissent ; et quand elle est amollie, vous lui donnez la forme que vous voulez, et, vous y gravez la royale image.
Donc, bouchons nos oreilles aux discours inconsidérés, redoutons ce mal, d’où proviennent tous les maux. Si l’attention de notre âge s’exerçait uniquement à entendre les divines paroles, elle ne ferait pas attention aux autres discours, et n’y faisant pas attention, elle ne se porterait pas aux actions mauvaises. Car la route qui conduit aux actions, c’est la parole ; d’abord nous pensons, ensuite nous parlons, puis nous agissons. Grand nombre d’hommes, pleins de sagesse et de modération, ont commencé par les paroles honteuses pour arriver aux actions honteuses. Notre âme, en effet, n’est de sa nature ni bonne ni mauvaise ; c’est le libre arbitre qui la met tantôt dans tel état, tantôt dans tel autre. De même que la voile porte le navire partout où souffle le vent, ou plutôt, de même que le gouvernail transporte le navire, si le vent est favorable ; de même la pensée, si les bonnes paroles sont portées par un vent favorable, naviguera sans péril. Dans le cas contraire, la pensée fera souvent naufrage ; car, ce que sont les vents pour les navires, les paroles le sont pour les âmes ; partout où vous voulez, vous transportez et tournez votre pensée ; de là ce conseil de l’Écriture : « Que toutes vos paroles soient conformes à la loi du Très-Haut ». (Sir. 9,15) Aussi, je vous en, prie, quand les nourrices vous rendent vus enfants, ne les habituez pas à des contes de vieille femme ; mais, dès l’âge le plus tendre, qu’ils apprennent ce que c’est que le jugement ; gravons-leur dans l’âme ce que c’est que le supplice. Cette crainte, enracinée dans les cœurs, produit de grands biens. L’âme qui, dès les premières années de l’enfance, s’est pliée à cette attente, ne, secouera pas facilement ce guide dont elle a peur ; comme un cheval, docile au frein, l’âme qui, sent peser sur elle la pensée de la géhenne, marche d’un pas bien réglé, et toutes ces paroles seront conformes à son utilité, et ni jeunesse, ni richesse, ni perte ou abandon, ou quoi que ce soit, ne pourra lui nuire, si elle a cette raison solide assez forte pour résister à tout. Ces entretiens doivent être notre règle et notre frein, pour nous, pour nos femmes, nos esclaves, nos enfants, nos amis, et, s’il est possible, pour nos ennemis. Nous pouvons, avec ces entretiens, retrancher le grand nombre de nos péchés, et vivre, au milieu des afflictions, plus heureux qu’au sein de la prospérité, et je vais vous le prouver. Répondez-moi : Vous entrez dans une maison où se célèbre un mariage, et, pendant une heure, ce spectacle vous amuse, mais bientôt vous vous retirez, et le chagrin vous dessèche parce que vous, n’êtes pas aussi riche ; vous entrez, au contraire, dans une maison en deuil, et quelque riches qu’en soient les habitants, en vous retirant, vous vous sentez le cœur en repos, parce que ce que vous avez vu, ne vous a pas inspiré l’envie, mais vous a consolés de votre pauvreté.
Vous le voyez, la réalité vous montre que la richesse n’est pas un bien, que la pauvreté n’est pas un mal ; que ce sont choses indifférentes. Maintenant, parlez, je suppose, des plaisirs recherchés de la vie, vous heurtez l’homme qui n’a pas assez de ressources pour se les procurer ; parlez, au contraire, contre les délices, et, si vous le voulez, de la géhenne, la conversation est de nature à vous intéresser vivement, car cette pensée que les plaisirs délicats n’auront servi absolument à rien pour préserver du feu à venir, vous empêchera de les rechercher. Ce n’est pas tout, la pensée que ces plaisirs ne servent d’ordinaire qu’à irriter ce feu, non seulement vous empêchera de les rechercher, mais vous portera encore à les haïr, à les repousser loin de vous. Donc n’évitons pas les discours sur la géhenne, si nous voulons éviter la géhenne ; n’évitons pas la pensée du châtiment, si nous voulons n’être pas châtiés. Si ce riche, bien connu, avait pensé au feu de l’enfer, il n’aurait pas péché. C’est pour n’y avoir jamais pensé, qu’il y est tombé d’une chute si terrible. Réponds-moi, ô homme, il te faudra comparaître devant le tribunal du Christ. Quel sujet d’entretien peux-tu préférer à celui-là ? Si tu as un procès auprès d’un juge, tu en parles, non seulement pendant la nuit, non seulement pendant le jour, non pas quelques instants seulement, non pas une heure seulement, mais toujours, mais sans cesse ; tu ne parles que de ce procès ; et quand il te faudra rendre compte de ta vie tout entière, et subir un jugement ; tu ne peux pas même supporter ceux qui te rappellent ce jugement ? Eh bien, voilà pourquoi tout meurt, pourquoi tout est perdu, c’est que, pour avoir à nous présenter devant un tribunal humain pour des affaires de la vie présente, nous mettons tout en mouvement, nous adressons des prières à tout le monde, nous ne cessons pas un instant de nous inquiéter, de tout faire, en vue de ce procès ; et nous, les mêmes hommes, nous qu’attend le tribunal du Christ, au bout d’un temps bien court, nous ne faisons rien, ni par nous, ni par les autres ; nous n’adressons pas nos prières au juge, quoiqu’il nous donne assez de temps pour cela, quoiqu’il ne nous enlève pas du beau milieu de nos péchés, quoiqu’il nous permette, au contraire, de nous en dépouiller ; quoiqu’il fasse, par lui-même, tout ce que lui inspirent et sa bonté et sa clémence. Inutile sollicitude : et voilà pourquoi plus rigoureux est le châtiment. Mais loin de nous de le sentir par expérience. Aussi, je vous en conjure, revenons, maintenant du moins, à la sagesse ; ayons toujours la géhenne devant les yeux ; réfléchissons sur ces comptes à rendre de toute nécessité ; et puissent ces pensées nous faire fuir le vice, nous porter à la vertu, nous mériter les biens promis à ceux qui l’aiment, par la grâce et par la bonté, etc.

HOMÉLIE III. modifier


QUI SOUFFRIRONT LA PEINE D’UNE ÉTERNELLE DAMNATION, ÉTANT CONFONDUS PAR LA FACE DU SEIGNEUR ET PAR LA GLOIRE DE SA PUISSANCE, LORSQU’IL VIENDRA POUR ÊTRE GLORIFIÉ DANS SES SAINTS, ET POUR SE FAIRE ADMIRER DANS TOUS CEUX QUI AURONT CRU EN LUI. (I, 9, 2,5)

Analyse. modifier


  • 1. L’enfer, la géhenne n’est pas un supplice temporaire mais éternel. – Comment Dieu sera glorifié par les élus. – La gloire du fidèle, c’est l’affliction reçue à cause du Christ.
  • 2. De l’avènement du Christ, et de notre réunion avec lui. – Des imposteurs qui montraient des lettres supposées de saint Paul. – De l’antéchrist.
  • 3. De la nécessité où les fidèles mettaient l’apôtre de leur répéter, par écrit, ses enseignements donnés de vive voix. – L’effet de la prédication ne dépend pas uniquement des docteurs et des maîtres ; il faut l’attention de ceux qui reçoivent la parole et l’application de leur mémoire. – Des passions qui s’opposent à l’effet de la prédication.
  • 4. Contre l’avarice. – Les richesses et les épines ; les riches et les chameaux. – Il faut, par tous les moyens, extirper de nos âmes l’amour des richesses. – Contre les riches qui viennent s’étaler dans les églises. – Texte d’une verve admirable sur les riches qui croient faire grand honneur à Dieu. – De la lecture de l’Écriture sainte.


1. Grand nombre d’hommes ont bon espoir ; ce n’est pas qu’ils s’abstiennent du péché, mais c’est qu’ils regardent la géhenne comme moins rigoureuse qu’on ne le dit. Ils la croient plus douce que les menaces ne l’annoncent ; temporaire, non éternelle, et ils font là-dessus beaucoup de dissertations. Quant à moi, non seulement je ne la crois pas plus douce que les menaces ne nous l’annoncent, mais je la crois beaucoup plus terrible, et j’en puis donner un grand nombre de preuves, et conclure ce qui en est, des paroles mêmes qui nous annoncent la géhenne. Toutefois, je n’en veux rien faire, quant à présent ; il suffit de la crainte, inspirée par les seules paroles, quand même nous n’en expliquerions pas le sens. Non, l’enfer n’est pas temporaire : écoutez ce que dit Paul de ceux qui ne veulent pas connaître Dieu, qui ne croient pas à l’Évangile. Ceux-là seront punis d’une mort éternelle. Ce qui est éternel peut-il être temporaire ? « Confondus », dit l’apôtre, «, par la face du Seigneur ». Il indique par là la promptitude irrésistible du supplice. Ces riches si orgueilleux, il ne faut pas, dit l’apôtre, déployer contre eux un grand effort : il suffit que Dieu se présente et se montre, et les voilà tous eu proie aux châtiments, au supplice. La présence du Seigneur sera, pour les uns, la lumière ; pour les autres, le supplice.
« Et par la gloire », dit l’apôtre, « de sa puissance, lorsqu’il viendra pour être glorifié dans ses saints, et pour se faire admirer dans tous ceux qui auront cru en lui ». Que dites-vous ? Dieu sera glorifié ? Sans doute ; « dans tous ses saints », dit l’apôtre. Comment cela ? Quand ces orgueilleux, dit-il, verront ceux qu’ils frappaient, qu’ils méprisaient, qu’ils raillaient, se tenir auprès de Dieu, c’est alors qu’apparaîtra la gloire de Dieu, ou plutôt, et la gloire des élus, et la gloire de Dieu ; du Dieu, qui ne les a pas abandonnés, qui les a rendus glorieux et illustres ; et la gloire des élus, qui auront été jugés dignes d’un si grand honneur. Comme ils composent sa richesse, parce qu’ils sont fidèles, de même ils sont sa gloire parce qu’ils vont entrer dans la possession de ses biens. La gloire du bien suprême, c’est de pouvoir se répandre et se communiquer. « Et pour se faire admirer dans tous ceux qui auront cru en lui » ; c’est-à-dire, par le moyen de ceux qui auront cru en lui. Voici encore une fois le mot « dans », signifiant « par le moyen de ». C’est par le moyen de ces fidèles que Dieu se rend admirable. En effet, quand ceux qui étaient dans la misère, dans l’abjection, éprouvés par des maux innombrables et qui ont gardé la foi, sont élevés par lui à une gloire si éclatante, c’est alors que sa puissance se montre. Ils paraissaient abandonnés, et les voilà dans la jouissance, dans la plénitude de la gloire. C’est alors surtout que se montre toute la gloire de Dieu et sa puissance. Comment cela maintenant ? Écoutez les paroles qui suivent : « Puisque le témoignage que nous avons rendu à la parole a été reçu dans l’attente de ce jour-là. C’est pourquoi nous prions sans cesse pour vous ». Ce qui veut dire Quand on voit apparaître des fidèles qui ont souffert des maux sans nombre pour ne pas abandonner leur foi ; quand ils ont résisté ; quand ils ont cru, Dieu est glorifié, et c’est alors que se montre aussi la gloire des fidèles. Un grand nombre simulent la foi, aussi ne dites de personne qu’il est bienheureux ; attendez la mort ; car c’est en ce jour que se montrent ceux qui ont cru : « C’est pourquoi nous prions sans cesse pour vous, et nous demandons à notre Dieu qu’il vous rende dignes de sa vocation, qu’il accomplisse, par sa puissance, tous les desseins favorables de sa bonté sur vous et l’œuvre de votre foi (44) ».
« Qu’il vous rende dignes », dit l’apôtre, « de sa vocation », montrant par là qu’un grand nombre ont été rejetés. Voilà pourquoi il ajoute : « Qu’il accomplisse tous les desseins favorables de sa bonté ». Car celui qui était recouvert de bâillons, a été, lui aussi, appelé, mais il n’est pas resté fidèle à sa vocation. D’où il résulte que ce malheureux ne s’est trouvé que plus écarté de la chambre de l’Époux. Il y avait cinq vierges qui furent appelées. « Levez-vous », dit l’Écriture, « voici l’Époux » (Mt. 25,6) ; et elles s’apprêtèrent, mais elles ne sont pas entrées. Donc, pour bien faire entendre la vocation dont il parle, l’apôtre ajoute : « Et qu’il accomplisse tous les desseins favorables de sa bonté sur vous et l’œuvre de votre foi par sa puissance ». Voilà, dit-il, la vocation que nous cherchons. Voyez comme il leur insinue doucement la modestie. Il ne veut pas que l’excès des éloges les transporte, comme s’ils avaient fait de grandes choses, qu’ils tombent dans la négligence, et il leur montre ce qui leur manque encore dans ce genre de vie. C’est aussi ce qu’il écrivait aux Hébreux : « Vous n’avez pas encore résisté jusqu’à répandre votre sang, en combattant contre le péché ». (Heb. 12,4) — « Tous les desseins favorables de sa bonté », dit-il ; c’est-à-dire, son bon plaisir, ce qu’il est résolu à faire, ce qui est décidé ; c’est comme s’il disait : De telle sorte qu’il arrive ce que Dieu veut résolument, ce qui lui plaît, à savoir que rien ne soit défectueux en vous, que vous soyez comme il veut vous voir. « Et l’œuvre de votre foi ». Qu’est-ce à dire ? La force qui supporte les persécutions ; pas de relâchement, dit-il, pas de défaillance. « Afin que le nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit glorifié en vous, et que vous soyez glorifiés en lui, par la grâce de notre Dieu et de Notre-Seigneur Jésus-Christ (12) ».

2. Voyez : il a plus haut parlé de la gloire, il en parle encore ici. Il a dit qu’eux-mêmes sont glorifiés de telle sorte qu’ils puissent savourer cette gloire ; il dit maintenant, ce qui est beaucoup plus considérable, qu’ils glorifient Dieu même ; il dit qu’ils recevront cette gloire. Et maintenant, ce qu’il ajoute, c’est que, lorsque le maître est glorifié, les esclaves aussi sont glorifiés ; car ceux qui glorifient le maître, sont bien plus glorifiés eux-mêmes, et, par ce seul fait et indépendamment de ce fait. Qu’est-ce en effet que la gloire ? L’affliction reçue à cause du Christ, et partout il l’appelle la gloire ; et plus nous aurons supporté de honte et d’ignominie, plus nous mériterons l’illustration. Ensuite, montrant que cette illustration même est le don de Dieu, il dit : « Par la grâce de notre Dieu et de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». C’est à lui-même que nous devons la grâce de le glorifier en nous, de le voir nous glorifier en lui. Comment est-il glorifié en nous ? Par ce fait que nous ne lui préférons rien. Comment sommes-nous glorifiés en lui ? Par ce fait que c’est de lui que nous est venue notre force, le courage de résister à nos maux ; car, quand la tentation arrive, Dieu est glorifié, et nous sommes glorifiés en même temps. Les hommes le glorifient de ce qu’il nous a ainsi fortifiés ; les hommes nous admirent de ce que nous nous sommes montrés dignes du don de Dieu. Or, tout cela se fait par la grâce de Dieu.

« Or, nous vous conjurons, mes frères, par l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et par notre réunion avec lui, que vous ne vous laissiez pas légèrement ébranler dans votre sentiment ». (2Th. 2,1-2) Quand sera la résurrection ? Il n’en dit rien ; mais qu’elle ne viendra pas tout de suite, il l’affirme. « Et par notre réunion avec lui », dit-il, voilà une parole qui est aussi digne d’attention. Voyez comme elle prouve encore, en nous glorifiant, en nous exhortant à la vertu, que le Seigneur nous apparaîtra pour nous sanctifier tous. Il parle ici de l’avènement du Christ, et de notre réunion avec lui, car ces choses auront lieu ensemble. Il redresse les pensées, il leur dit de ne pas chanceler, de ne pas tomber trop vite dans l’incertitude. « Et que vous ne vous troubliez pas, en croyant, sur la foi de quelques prophéties, sur quelques discours, ou sur quelques lettres qu’on supposerait venir de nous, que le jour du Seigneur soit près d’arriver ». Il semble marquer ici qu’on portait une lettre supposée de Paul, qu’on se la montrait, en disant que le jour du Seigneur était proche ; qu’il en était résulté qu’un grand nombre de personnes étaient tombées dans l’erreur. L’apôtre veut donc prévenir ces égarements ; il écrit aux fidèles pour les raffermir, il leur dit : « Et que vous ne vous troubliez pas, en croyant sur la foi de quelques prophéties, sur quelques discours ». Ce qui revient à ceci : Quand même un prophète vous dirait cela, ne le croyez pas ; quand j’étais auprès de vous, je vous ai avertis, vous ne devez pas abandonner la foi qui vous a été enseignée. — « De quelques prophéties » ; il désigne par là les faux prophètes, parlant sous l’inspiration d’un esprit impur. Ces imposteurs, pour opérer la persuasion, n’avaient pas seulement recours à des raisonnements perfides, ce que l’apôtre indique en disant : « Sur quelques discours » ; mais, de plus, ils montraient une lettre supposée de Paul, qui appuyait leur dire ; voilà pourquoi l’apôtre ajoute : « Ou sur quelque lettre qu’on supposerait venir de nous ».

Donc, les voulant raffermir par tous les moyens, il leur dit : « Que personne ne vous séduise en quelque manière que ce soit, car ce jour ne viendra point que l’apostasie ne soit arrivée auparavant, et qu’on n’ait vu paraître l’homme de péché, cet enfant de perdition, cet ennemi de Dieu qui s’élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou qui est adoré, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, voulant lui-même passer pour Dieu (3, 4) ». Il parle ici de l’antéchrist, et il découvre de grands mystères. Qu’est-ce que « l’apostasie ? » C’est l’antéchrist qu’il entend par l’apostasie, parce que l’antéchrist doit en perdre un grand nombre qui feront défection. « Jusqu’à séduire, s’il était possible », dit l’Évangile, « les élus mêmes ». (Mat. 24,24) Il l’appelle de plus « l’homme de péché », car il en fera d’innombrables, et en fera faire aux autres de terribles ; il l’appelle de plus « cet enfant de perdition », parce qu’il faut que lui-même périsse. Maintenant, quel est-il ? Serait-ce Satan ? Nullement, mais un homme entreprenant l’œuvre entière de Satan. « Et qu’on n’ait vu paraître cet homme », dit le texte, « qui s’élèvera au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou qui est adoré ». C’est qu’en effet il ne conduira pas les hommes au culte des idoles ; mais ce sera un adversaire de Dieu ; il détruira tous les dieux, et il ordonnera qu’on l’adore lui-même, en place de Dieu ; et il siégera dans le temple de Dieu, non pas dans le temple de Jérusalem, mais dans le temple de l’Église, « voulant lui-même passer pour Dieu ». L’apôtre ne dit pas : Se disant Dieu, mais : Essayant de passer pour Dieu. Car il fera de grandes œuvres et montrera des signes admirables. « Ne vous souvient-il pas que je vous ai dit ces choses lorsque j’étais encore avec vous (5) ? »
3. Comprenez-vous la nécessité de répéter ces choses, et de les reproduire dans les mêmes termes ? En effet, ces fidèles à qui il avait donné de vive voix ces conseils, se trouvèrent avoir encore besoin d’avertissements. C’est ainsi qu’après l’avoir entendu parler sur les afflictions : « Car », dit-il, « lorsque nous étions parmi vous, nous vous prédisions que nous aurions des afflictions à souffrir » (1Th. 5,4), ils oublièrent de même ces paroles, et on le voit forcé de leur écrire pour leur rendre la fermeté. De même, après l’avoir entendu parler sur l’avènement du Christ, ils eurent encore besoin de ses lettres pour se maintenir dans les voies de la sagesse. L’apôtre s’adresse donc à leur mémoire ; il leur montre qu’il ne dit rien de nouveau, qu’il ne fait que reproduire ce qu’il a toujours dit. Voyez les laboureurs, ils ne jettent qu’une fois la semence, mais elle ne réussit pas toujours, il faut beaucoup de culture et de soins, il faut creuser la terre et recouvrir les graines que les oiseaux mangeraient. C’est notre histoire ; si le souvenir continué ne préserve pas ce que l’on a jeté dans nos âmes, tout se dissipe dans l’air. Le démon nous ravit la semence ; notre négligence la perd, le soleil la dessèche, la pluie la supprime ; les épines l’étouffent. C’est pourquoi il ne suffit pas de la jeter et de se retirer ; pour assurer le fruit, grand besoin est d’assiduité ; il faut chasser les oiseaux ; il faut retrancher les épines ; il faut amasser de la terre sur le sol pierreux ; il faut écarter, enlever tout ce qui est nuisible.
Mais, en ce qui concerne la terre, toute la tâche appartient à l’agriculteur, parce que la terre est inanimée, elle n’est que passive ; en ce qui concerne notre terre spirituelle, il en est tout autrement, tout ne dépend pas uniquement des docteurs et des maîtres. Si ce n’est pas la plus grande partie de la tâche qui appartient aux disciples, c’en est au moins la moitié. A nous à jeter la semence ; mais à vous à faire ce qui vous est dit ; à montrer, par vos actions, les fruits de votre mémoire ; à arracher les épines jusqu’à la racine. Les épines, c’est l’amour de l’argent, passion stérile,.hideuse, qui ne produit que d’inutiles douleurs, importune à ceux qui l’éprouvent, et non seulement stérile, mais, de plus, contraire à toute fructification. Voilà ce que sont les richesses ; non seulement incapables de porter des fruits pour l’éternité, mais gênantes, embarrassantes pour quiconque voudrait porter de tels fruits. Ce sont des êtres sans raison qui se nourrissent d’épines, des chameaux ; aliment pour le feu, somptuosité inutile, voilà ce que sont les richesses ; absolument inutiles, ne servant qu’à – embraser la fournaise, qu’à faire brûler ce feu du dernier jour, qu’à alimenter la déraison et toutes les passions qui troublent l’âme, la haine, la rancune et la colère. Tel est aussi le chameau qui mange les épines. Les personnes expérimentées dans ces sortes de choses, disent que parmi les animaux, nul n’est plus irritable, d’une colère plus méchante, nul n’est plus vindicatif que le chameau, tel est l’effet des richesses ; elles nourrissent le délire des passions. Quant à ceux qui ont la raison en partage, elles les piquent, elles les blessent ; c’est ce que font les épines. Cette plante est dure et âpre, elle naît d’elle-même. Voyons comment elle naît, afin que nous l’extirpions. Elle naît dans les lieux abrupts, pierreux, secs, où il n’y a aucune source. Quand il se trouve un homme âpre, d’un caractère raboteux, escarpé, c’est-à-dire inaccessible à la pitié, là on voit naître l’épine. Maintenant, les laboureurs qui veulent, extirper ce fléau n’emploient pas le fer, que font-ils ? Ils mettent le feu, c’est ainsi qu’ils purgent tout à fait la terre. En effet, il ne suffit pas de couper à la surface, en laissant la racine à l’intérieur ; il ne suffit pas d’arracher la racine, parce qu’il resterait dans la terre un élément qui suffirait pour la vicier, de même qu’un mal qui s’est attaché au corps, y imprègne ses restes. Il faut que le feu, attirant à la surface le poison des épines, l’aspire hors des entrailles de la terre délivrée. Comme une ventouse appliquée sur la chair, fait sortir tout ce qui viciait le corps, de même le feu fait sortir tout ce qu’il y a de vicieux dans les épines, et purge la terre.
A quel propos cette réflexion ? C’est qu’il faut, par tous les moyens ; extirper l’amour des richesses et purger notre âme. Nous avons à notre disposition un feu qui fait sortir ce poison de l’âme, c’est le feu de l’Esprit, allumons-le en nous, il ne détruira pas seulement les épines, mais il en desséchera le poison. Si nous les laissons en nous ; tous nos efforts d’ailleurs sont inutiles. Tenez, regardez, voici un riche qui entre ici, un homme ou une femme, peu importe ; son soin n’est pas d’entendre la parole de Dieu ; ce qui l’occupe, c’est la manière de se montrer, de s’asseoir avec fracas, avec une prétention glorieuse. Cette femme se demande comment elle surpassera les autres par la magnificence de sa toilette ; comment, par son extérieur, par son aspect, par sa démarche, elle excitera l’admiration, l’adoration de sa beauté. Et toutes ses pensées, et toutes ses inquiétudes ne vont que là ; une telle ou une telle m’a-t-elle vue ? Suis-je bien admirée ? Suis-je bien parée ? Et ce n’est pas là seulement ce qui la travaille, mais si ses vêtements allaient recevoir des taches, si sa robe allait être déchirée ; et voilà toute son inquiétude. Et maintenant l’homme riche fait son entrée pour s’étaler devant le pauvre, et le frapper par la pompe de son costume et le grand nombre de ses serviteurs ; ceux-là se tiennent auprès de lui, écartant le peuple, chose que cet orgueilleux ne daigne pas faire lui-même, chose tellement indigne d’un homme libre, que, malgré la vanité qui le gonfle, il n’ose pas faire cela lui-même, il s’en rapporte aux esclaves, qui lui font cortège. Car cette tâche exige qu’il y ait des esclaves, des esclaves impudents ; et quand ce riche est assis, le voilà aussitôt assailli par les inquiétudes domestiques tiraillant son esprit en tout sens ; l’orgueil qui le possède, déborde tout autour de lui. Et il croit faire grand honneur, et à nous et au peuple, qui sait ? et à Dieu peut-être, de ce qu’il est entré dans la maison de Dieu. Une pareille enflure n’est-elle pas incurable ?
4. Dites-moi, un homme va trouver un médecin et ne demande aucun service à ce médecin ; mais il estime que c’est lui qui fait honneur a la médecine, et il oublie de demander un remède à son mal, pour ne s’occuper que de sa toilette. Quel bien lui en reviendra-t-il ? Aucun, ce me semble ; or, maintenant je vous dirai la cause de tout cela, si bon vous semble ; on s’imagine que c’est auprès de nous qu’on vient, lorsque l’on vient ici ; on s’imagine que c’est nous qu’on entend, lorsque l’on entend notre parole ; on ne remarque pas, on ne réfléchit pas que c’est auprès de Dieu que l’on est venu, que c’est Dieu lui-même qui parle. En effet, quand le lecteur se lève et dit : « Voici ce que dit le Seigneur » ; quand le diacre, imposant silence, ferme toutes les bouches, ce qu’il en fait, ce n’est pas par égard pour le lecteur, mais par respect pour Celui qui, par l’organe du lecteur, parle seul au peuple. Si ces vaniteux savaient que c’est Dieu qui parle par le Prophète, ils rabaisseraient tout leur faste. Quand les magistrats leur adressent la parole, ces riches se gardent bien d’avoir des distractions ; à plus forte raison faut-il les éviter quand Dieu parle. Nous sommes ses ministres, ô mes bien-aimés ; nous ne vous disons pas nos pensées, mais les pensées de Dieu ; le ciel vous envoie chaque jour les lettres qu’on vous lit. Voyons, répondez-moi, je vous en prie ; nous sommes tous ici rassemblés. Je suppose que tout à coup arrive ici un homme avec une ceinture d’or, la tête haute, la démarche fière ; il se dit envoyé par un des rois de la terre ; il apporte une lettre pour entretenir la cité tout entière de choses de la plus grande importance. Est-ce qu’aussitôt vous ne vous tourneriez pas tous de son côté ? N’est-il pas vrai que, même sans la recommandation du diacre, vous feriez tous un grand silence ? Pour moi, je n’en doute pas : j’ai entendu lire, ici même, des lettres de l’empereur. Eh bien ! pour l’envoyé d’un souverain de la terre vous êtes tous attentifs, et, pour un envoyé de Dieu, lorsque du haut du ciel retentissent les accents du Prophète, aucun de vous ne veut être attentif ? Est-ce que vous ne croyez pas que c’est au nom de Dieu qu’on vous parle ? Nos épîtres viennent de Dieu. Sachons donc entrer dans les églises avec le respect convenable, écouter la parole avec un saint respect. A quoi bon y entrer, me dit celui-ci, si je n’entends pas une voix (lui me parle ? Voilà qui perd tout ; quel besoin avez-vous d’un prédicateur qui vous parle ? Ce besoin trahit notre lâcheté. Quel besoin avez-vous qu’on vous parle ? Tout est simple et facile dans les divines Écritures. Tout ce qui est de nécessité, y est visible. Mais vous cherchez des plaisirs pour vos oreilles. Voilà pourquoi vous voulez des discours. Car enfin, répondez-moi, quelle était la pompe des discours de Paul, et cependant il a converti la terre. Quel était l’ornement de la parole de Pierre, un homme sans lettres ?
Mais je ne sais pas, me répond-on, ce qu’il y a dans la divine Écriture ; pourquoi ne le savez-vous pas ? Est-ce de l’hébreu, est-ce du latin, est-ce une langue étrangère, est-ce que l’Écriture ne vous parle pas grec ? mais c’est obscur, me répond-on. Où est l’obscurité ? parlez ; ne sont-ce pas des histoires ? Vous comprenez celles qui sont claires ; interrogez-moi sur celles qui ne le sont pas. Il y a des milliers d’histoires dans l’Écriture ; dites-m’en une de celles qui sont obscures. Mais vous n’en ferez rien. Vains prétextes, excuses mauvaises. Mais entendre chaque jour, me réplique-t-on, les mêmes choses ! Qu’est-ce à dire, répondez-moi ? Et dans vos théâtres n’entendez-vous pas les mêmes choses ? Et dans vos courses de chevaux ? Et toutes les choses ne sont-elles pas les mêmes choses, et n’est-ce pas toujours le même soleil qui se lève ? Ne sont-ce pas toujours les mêmes aliments ? Je veux vous faire une question, puisque vous dites que vous entendez toujours les mêmes choses, répondez-moi : De quel prophète est le passage qu’on vient de lire ? De quel apôtre ou de quelle épître ? Vous ne sauriez le dire ; vous me faites l’effet, bien au contraire, d’entendre des nouveautés. Mais, voilà, quand vous voulez céder à l’indolence, vous dites : Ce sont toujours les mêmes choses ; et quand on vous interroge, vous montrez que vous n’avez rien écouté. Puisque ce sont les mêmes choses, vous devriez les savoir, mais vous n’en savez rien. État lamentable et digne de toutes nos larmes : celui qui forge l’argent, prend une peine inutile. Ce que vous auriez dû remarquer précisément, c’est que, parce que ce sont les mêmes choses, nous ne vous imposons aucun travail, nous ne vous disons rien d’étrange, nous ne varions pas. Mais soit, l’Écriture vous fait toujours entendre les mêmes choses ; mais nous, nous vous disons toujours des paroles nouvelles et qui doivent vous surprendre. En êtes-vous plus attentifs ? Nullement. Si nous disons : Pourquoi ne retenez-vous pas nos paroles ? vous nous répondez Nous n’avons entendu, qu’une fois, et comment est-il possible ; de tout retenir ? Si nous disons : Pourquoi n’êtes-vous pas attentifs quand on lit la sainte Écriture ? vous répondez : C’est toujours là même chose, et je n’entends que des excuses à la négligence et des prétextes. Mais ces excuses ne seront pas toujours de mise, le temps viendra où les lamentations seront superflues et inutiles. Loin de nous ce malheur ; mais, bien plutôt, faisons pénitence ; écoutons avec sagesse, avec piété, la parole ; appliquons-nous aux bonnes œuvres ; sanctifions tout à fait notre vie, afin d’obtenir les biens promis par Dieu à ceux qui l’aiment, par la grâce et par la bonté, etc. ==HOMÉLIE IV.==
ET VOUS SAVEZ BIEN CE QUI EMPÊCHE QU’IL NE VIENNE, AFIN QU’IL PARAISSE EN SON TEMPS ; CAR LE MYSTÈRE D’INIQUITÉ SE FORME DÈS A PRÉSENT : IL FAUT SEULEMENT QUE CELUI QUI LE RETIENT MAINTENANT, LE RETIENNE ENCORE, JUSQU’À CE QU’IL SOIT OTÉ DU MONDE, ET ALORS SE DÉCOUVRIRA L’IMPIE QUE LE SEIGNEUR JÉSUS DÉTRUIRA PAR LE SOUFFLE DE SA BOUCHE, ET QU’IL PERDRA PAR L’ÉCLAT DE SA PRÉSENCE. CET IMPIE QUI DOIT VENIR ACCOMPAGNÉ DE LA PUISSANCE DE SATAN. (II. 6, JUSQU’À III, 2)

Analyse. modifier


  • 1. Raisons de l’obscurité dont l’apôtre s’enveloppe en parlant de l’antéchrist. – Pourquoi Dieu suscitera l’antéchrist.
  • 2. De la sanctification qui conduit à la gloire. – De la foi due à la tradition de l’église. – Contre les hérétiques qui prétendent que le Fils est moindre que le Père. – Précepte d’humilité ; tout est l’œuvre de Dieu.
  • 3. De l’efficacité de la prière. – Paul a demandé aux fidèles de prier pour lui, l’orateur de Constantinople veut suivre l’exemple de Paul ; lui aussi se recommande aux prières des fidèles, mais qu’on ne t’accuse pas de prétendre se comparer à Paul.
  • 4. Combien l’église est intéressée à prier pour son chef. – Paroles touchantes du premier pasteur de l’église de Constantinople sur l’égalité d’honneurs et de biens entre son peuple et lui.


1. La première question à s’adresser, c’est d’abord que signifie « Ce qui empêche ? » On peut aussi se demander pourquoi Paul s’exprime d’une manière si obscure ? Que signifie donc cette expression : « Ce qui empêche qu’il ne vienne, afin qu’il paraisse », c’est-à-dire, où est l’obstacle ? Les uns disent que c’est la grâce de l’Esprit, les autres que c’est la puissance Romaine ; pour moi, je suis fort porté à prendre ce dernier sens, pourquoi ? C’est que s’il eût voulu dire l’Esprit, il ne l’aurait pas dit d’une manière obscure ; il aurait dit ouvertement que ce qui l’empêche devenir, c’est la grâce de l’Esprit, c’est-à-dire les dons de l’Esprit. Il serait d’ailleurs déjà arrivé, s’il devait arriver lorsque les dons de l’Esprit cesseraient, car il y a longtemps qu’ils ont cessé de se manifester aux yeux. Mais comme il veut parler de la puissance Romaine, il s’enveloppe d’énigmes et il s’exprime d’une manière obscure ; il ne voulait pas susciter des haines superflues, ni provoquer des dangers inutiles. S’il avait dit qu’on verrait bientôt la puissance Romaine détruite, on l’aurait sur-le-champ exterminé comme un homme pernicieux, et, avec lui, tous les fidèles vivant et combattant sous ses ordres.
Voilà pourquoi il s’exprime d’une manière obscure, pourquoi il ne dit pas nettement que cet antéchrist viendra prochainement, quoique d’ailleurs il dise l’équivalent. Que dit-il ? « Afin qu’il paraisse en son temps, carde mystère d’iniquité se forme dès à présent ». C’est Néron qu’il désigne, car c’est le type de l’antéchrist. Cet homme en effet voulait être regardé comme un Dieu, et l’apôtre a raison de dire « le mystère » ; car Néron ne rejetait pas tous les voiles comme doit le faire l’antéchrist ; il gardait encore quelque pudeur. Or, si, avant le temps de l’antéchrist, un homme s’est rencontré qui ne le cédait pas beaucoup à l’antéchrist pour la perversité, qu’y a-t-il d’étonnant que l’antéchrist doive bientôt paraître ? Voilà, donc pourquoi l’apôtre parle ainsi d’une, manière obscure. S’il ne s’est pas exprimé clairement, ce n’est pas qu’il eût peur, mais il voulait nous apprendre à ne pas exciter contre nous des haines superflues, quand rien ne presse. Ainsi, voici ce qu’il dit : « Il faut seulement que celui qui le retient maintenant, le retienne encore jusqu’à ce qu’il soit ôté du monde ». Cela veut dire : L’antéchrist viendra quand la puissance Romaine aura disparu, et l’apôtre a raison. En effet, tant que cette puissance inspirera la terreur, nul ne viendra s’y heurter ; mais une fois cette puissance détruite, ce sera l’anarchie, et l’antéchrist essaiera de prévaloir contre les hommes et contre Dieu. De même que, dans les âges passés, les empires ont été renversés, les Mèdes par les Babyloniens, les Babyloniens par les Perses, les Perses par les Macédoniens, les Macédoniens par les Romains ; de même Rome sera renversée par l’antéchrist, et l’antéchrist par le Christ, et il n’y aura plus d’empêchement ; c’est ce que Daniel nous enseigne avec une grande évidence.
« Et alors », dit l’apôtre, « se découvrira l’impie », et après ? Tout aussitôt, la consolation ; car l’apôtre ajoute : « Que le Seigneur Jésus détruira par le souffle de sa bouche, et qu’il perdra par l’éclat de sa présence, cet impie qui doit venir accompagné de la puissance de Satan ». Le feu s’attaquant de loin à de petits animalcules, même sans les approcher, de loin les saisit, les consume ; de même le Christ, rien que l’ordre, la présence du Christ, exterminera l’antéchrist ; il suffit que le Christ se montre, et tout cela périra ; pour arrêter le cours de la perfidie, il lui suffira d’apparaître. Maintenant ce n’est pas tout l’apôtre fait voir ce que c’est que l’antéchrist « Qui doit venir accompagné de la puissance « de Satan avec toute sa force », dit-il, « avec des signes et des prodiges trompeurs », c’est-à-dire qu’il fera voir sa force, sa puissance, mais rien de vrai, tout pour tromper. Ces prédictions de l’apôtre ont pour but de prévenir les erreurs de ceux qui existeront alors. « Avec des prodiges trompeurs », dit l’apôtre, c’est-à-dire, soit l’effet d’un pouvoir menteur, soit préparant le mensonge. « Et avec toutes les illusions qui peuvent porter à l’iniquité ceux qui périssent (10) ».
Mais pourquoi, me dira-t-on, Dieu a-t-il permis l’antéchrist ? Et quel est le dessein de Dieu ? Et quelle est l’utilité de la venue de l’antéchrist, puisqu’il se propose de, nous perdre ? Ne craignez rien, mon bien-aimé, écoutez la parole de Dieu même ; la force de l’antéchrist est dans ceux qui périssent, dans ceux qui, même s’il n’était pas venu, n’auraient pas accepté la foi. Quelle est donc l’utilité de son apparition ? C’est qu’elle fermera la bouche à ceux qui doivent périr. Comment cela ? Soit que l’antéchrist fût venu, soit qu’il ne fût pas venu, ces hommes n’auraient pas cru au Christ. L’antéchrist vient donc pour les confondre. Les incrédules auraient pu dire : C’est parce que le Christ se donnait pour Dieu, quoiqu’il ne l’ait dit nulle part ouvertement ; c’est parce que ceux qui l’ont suivi ont prêché sa divinité, c’est pour cela que nous n’avons pas cru ; parce que nous avons entendu dire qu’il n’y a qu’un Dieu d’où sortent toutes choses, voilà pourquoi nous n’avons pas cru. Eh bien, c’est ce prétexte que l’antéchrist leur enlèvera ; car, quand il viendra, ne commandant rien de salutaire, ne commandant rien que d’injuste et de contraire à toutes les lois, ils croiront en lui, rien que sur la foi de ces signes, de ces signes mensongers, et voilà ce qui leur fermera la bouche. Car, si vous ne croyiez pas au Christ ; à bien plus forte raison deviez-vous ne pas croire à l’antéchrist. Le Christ se disait envoyé par son Père, l’antéchrist vous dit le contraire ; de là ces paroles que le Christ prononçait autrefois : « Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne m’avez pas reçu. Si un autre vient en son propre nom, vous le recevrez ». (Jn. 5,43) Mais, diront-ils, nous avons vu des signes, des miracles. Mais le Christ en a fait de nombreux et de grands ; donc, à bien plus forte raison fallait-il croire en lui. Du reste, les prédictions n’ont pas manqué, annonçant cet impie ; cet enfant de perdition, annonçant qu’il doit venir, accompagné de la puissance de Satan ; pour le Christ, prédictions toutes contraires, c’est le Sauveur qui apporte des biens en foule. « Comme ils n’ont pas reçu la charité de la vérité ; pour être sauvés, bien leur enverra des illusions si efficaces qu’ils croiront au mensonge, afin que tous ceux-là soient jugés, qui n’ont point cru à la vérité, mais qui ont consenti à l’iniquité (11)».
2. « Soient jugés » ; il ne dit pas, soient punis. Il y a d’autres raisons encore pour lesquelles ils méritent d’être punis, mais l’apôtre dit « Soient jugés », c’est-à-dire, soient condamnés dans le jugement terrible, soient trouvés sans excuse. Quels sont-ils ? L’apôtre l’explique assez par ces paroles : « Qui n’ont point cru à la vérite, mais qui ont consenti à l’iniquité ». Par « la charité de la vérité », c’est le Christ qu’il désigne ; « parce que », dit l’apôtre, « ils n’ont « pas reçu la charité de la vérité ». Ces deux motifs expliquent la venue du Christ ; il est venu parce qu’il aime les hommes, et il est venu pour la vérité. « Mais qui ont consenti », dit l’apôtre, « à l’iniquité ». En effet, l’antéchrist est venu pour la perte des hommes, pour leur faire du mal ; car que ne fera-t-il pas ? Il jettera toutes choses dans la confusion et dans le trouble, pour accomplir les ordres d’en haut, et pour inspirer l’épouvante ; il sera terrible de toutes les manières, par son pouvoir, par sa cruauté, par l’injustice de ses exigences ; mais ne craignez rien, « sa force sera », dit l’apôtre, « dans ceux qui doivent périr ». – « Car Élie, à son tour, viendra aussi à cette heure, affermissant les fidèles ». (Mal. 4,5) Et c’est ce que dit le Christ : « Élie viendra, et rétablira toutes choses ». (Mc. 9,11) Voilà pourquoi il a été dit, à propos de Jean : « Dans l’esprit, et dans la vertu d’Élie ». (Lc. 1,17) Sans doute il n’a pas fait de signes et de miracles comme Élie : « Car Jean », dit l’évangéliste, « n’a fait aucun miracle ; mais tout ce que Jean a dit de celui-ci, était vrai ». (Jn. 10,41-42) Comment donc a-t-on pu dire « Dans l’esprit et la vertu d’Élie ? » Cela veut dire, qu’il se chargera du même ministère, et de même que Jean a été le précurseur du premier avènement, de même Élie sera aussi le précurseur du second avènement, avènement glorieux, et il est réservé pour cette heure. Donc, ne craignons point : Paul a frappé l’esprit de ses auditeurs ; cependant il n’a pas tant voulu inspirer la terreur et l’épouvante, que provoquer nos actions de grâces. Voilà pourquoi il ajoute : « Mais quant à nous, mes frères, chéris du Seigneur, nous nous sentons obligés de rendre pour vous à Dieu de continuelles actions de grâces, de ce qu’il vous a choisis comme des prémices pour vous sauver dans la sanctification de l’Esprit et dans la force de la vérité (12) ».
Comment Dieu a-t-il choisi pour le salut ? L’apôtre le montre en disant : « Dans la sanctification de l’Esprit », c’est-à-dire pour nous sanctifier, par l’Esprit et par la vraie foi ; car voilà ce qui renferme notre salut. Ce ne sont nullement les œuvres, nullement les vertus parfaites ; c’est la foi en la vérité. Nouvel exemple de « dans » au lieu de « par ». – « Dans la sanctification de l’Esprit », dit-il, « vous appelant à cet état, par notre Évangile, pour vous faire acquérir la gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ (13) ». Faveur insigne, le Christ regardant notre salut comme sa gloire ; la gloire de celui qui aime les hommes, c’est qu’il yen ait un grand, nombre de sauvés. Certes, il est grand Notre-Seigneur, de désirer à ce point notre salut ; il est grand aussi l’Esprit-Saint, qui opère en nous la sanctification. Pourquoi n’a-t-il pas mis d’abord la foi, mais la sanctification ? C’est – que là sanctification même nous laisse dans un grand besoin de la foi, afin que nous ne soyons pas ébranlés ; voyez comme l’apôtre nous montre que rien ne vient de nous, que tout est l’œuvre de Dieu.
« C’est pourquoi, mes frères, demeurez fermes et conservez les traditions que vous avez apprises, soit par nos paroles, soit par notre lettre (14) ». Passage qui prouve que tout l’enseignement n’était pas dans la correspondance par lettres, que beaucoup de points étaient communiqués de vive voix et cet enseignement oral aussi est digne de foi. Par conséquent regardons la tradition de l’Église comme digne de foi. C’est la tradition, ne cherchez rien de plus. L’apôtre montre ici qu’il y en a un grand nombre qui chancellent. – « Que Notre-Seigneur Jésus-Christ ; et Dieu notre Père, qui nous a aimés, et qui nous a donné par sa grâce une consolation éternelle, et une si heureuse espérance, console lui-même vos cœurs, et vous affermisse dans toutes sortes de bonnes œuvres et dans la bonne doctrine (15 ; 16) ». Encore la prière après l’exhortation ; voilà ce qui s’appelle vraiment porter secours et consolation : « Qui nous a aimés », dit-il, « et qui nous a donné par sa grâce une consolation éternelle, et une si heureuse espérance ». Où sont-ils maintenant ceux qui prétendent que le Fils est moindre que le Père, parce qu’on ne le nomme qu’après le Père, dans la cérémonie du baptême ? Voici en effet que nous Noyons ici le contraire ; l’apôtre dit d’abord « Que Notre-Seigneur Jésus-Christ » ; ensuite il ajoute : « Et que Dieu, et le Père de Notre-Seigneur, qui nous a aimés et qui nous a donné une consolation éternelle ». Quelle est-elle, cette consolation ? L’espérance des biens à venir. Voyez comme, par manière de prière, il excite leur pensée, en leur montrant les gages et les signes du soin ineffable de Dieu. « Console », dit-il, « vos cœurs, et vous affermisse dans toutes sortes de bonnes œuvres, et dans la bonne doctrine » ; c’est-à-dire, par toutes sortes de bonnes couvres et de bonnes doctrines. Car ce qu’il faut dire aux chrétiens, c’est de faire non seulement le bien, mais ce qui plaît à Dieu. Voyez comme il rabaisse leur orgueil. « Qui nous a donné », dit-il, « par sa grâce, une consolation éternelle et une si heureuse espérance ». Et en même temps il leur inspire une bonne espérance pour l’avenir. En effet, si la grâce de Dieu nous a procuré des biens si considérables, à plus forte raison nous en ménage-t-elle d’autres pour l’avenir. Oui certes, dit l’apôtre, je vous ai annoncé tout cela, et maintenant tout cela est l’œuvre de Dieu. C’est lui qui nous rassure, qui nous rend fermes, afin que nous ne devenions pas vacillants, chancelants ; à nous la faiblesse ; à lui la force. L’apôtre comprend donc ce qui concerne et les actions et les doctrines ; et il exhorte afin de raffermir ; car tant qu’on échappe aux agitations qui ébranlent, quoi qu’il arrive, on supporte tout avec une grande patience ; si, au contraire, l’âme est agitée, il n’en faut plus attendre d’actions bonnes ou généreuses. Comme la paralysie qui empêche l’action des mains, ainsi fait l’agitation dont est saisie l’âme qui manque de foi, et que ne soutient pas l’espérance d’un bien à venir. « Au reste, mes frères, priez pour nous, afin que la parole de Dieu se propage rapidement, et soit glorifiée partout, comme elle l’est parmi vous ». (2Thes. 3,1)
3. Il a prié pour eux, pour les voir se raffermir, et maintenant il leur demande à eux-mêmes de prier pour lui, non pour le mettre hors des dangers, car sa mission était de courir les dangers, mais : « Afin que la parole de Dieu se propage rapidement et soit glorifiée partout, comme elle l’est parmi vous ». A sa demande, il joint un éloge : « Comme elle l’est parmi vous », dit-il. « Et afin que nous soyons délivrés des hommes intraitables et méchants, car la foi n’est pas commune à tous (2 »). Paroles qui expriment les dangers du moment, et, en même temps, paroles d’exhortation. « Des hommes intraitables et méchants », dit-il, « car la foi n’est pas commune à tous ». Peut-être parle-t-il de ceux qui contredisaient la prédication, qui résistaient à la parole de Dieu, qui luttaient contre les dogmes ; c’est à eux, sans doute, qu’il fait allusion par ces paroles : « Car la foi n’est pas commune à tous ». Je ne crois pas qu’il fasse ici allusion à ses dangers ; il veut parler des contradicteurs qui lui suscitaient des embarras, comme Hyménée, comme Alexandre, l’ouvrier en cuivre « Car il a fortement combattu la doctrine que nous enseignons ». (2Tim. 4,15) Comme si quelqu’un faisant allusion à une noblesse héréditaire, disait qu’il n’est pas donné à tous de servir dans les palais des rois ; c’est ainsi ; qu’il parle des méchants dont il veut être délivré : Tels sont ceux, dit-il, auxquels la foi a été refusée, et en même temps qu’il parle ainsi, il réveille l’ardeur des fidèles. Ils étaient donc de grands personnages aux yeux de Dieu, s’ils avaient la confiance de délivrer leur docteur de ses dangers, et de lui rendre la prédication facile.
Eh bien, nous vous adressons la même prière, et que personne ne nous accuse d’un excès d’arrogance ; que personne de vous, par un excès d’humilité, ne nous prive d’un si précieux secours. Nous ne vous parlons pas en nous mettant à la place de Paul ; car ce que voulait Paul, c’était consoler ses disciples ; mais nous, ce que nous voulons, c’est obtenir un bien précieux et considérable, et nous croyons ardemment que, si vous voulez tous, d’un seul et même cœur, tendre vers Dieu vos mains en faveur de notre infirmité, tout nous réussira. Faisons ainsi la guerre à nos ennemis, par nos prières, par nos supplications ; si en effet autrefois on combattait ainsi contre des ennemis en armes, à bien plus forte raison devons-nous combattre de la même manière ceux qui n’ont pas les armes à la main. C’est ainsi qu’Ezéchias a mis en fuite le roi d’Assyrie ; c’est ainsi que Moïse a triomphé d’Amalech ; Samuel, des Ascalonites ; Israël, des trente-deux rois. Si, quand il fallait des armes, des combats, des batailles, répudiant leurs armes, ils avaient recours aux prières, combien n’est pas impérieuse, lorsque tout dépend des prières, la nécessité de prier ! Mais autrefois, me répondra-t-on, c’étaient les chefs du peuple qui priaient pour le peuple, tandis que vous, ce que vous voulez, c’est que le peuple prie pour son chef. Je le sais bien, c’est qu’alors ceux qui obéissaient étaient des misérables, vils, abjects, et c’était la confiance en Dieu, fondée uniquement sur la vertu du chef de l’armée, qui procurait à, tous le salut ; aujourd’hui, au contraire, la grâce de Dieu s’est augmentée ; parmi ceux qui obéissent, il en est beaucoup, il en est, c’est la grande majorité, dont la vertu dépasse la vertu de celui qui commande. Ne nous privez donc pas de votre secours dans le combat que nous soutenons. Soulevez nos mains pour qu’elles ne retombent pas ; ouvrez notre bouche, empêchez qu’elle ne se ferme ; priez Dieu, priez-le à ces intentions. Cette prière que je vous demande pour nous, produit un effet général qui est à votre avantage ; car c’est pour votre utilité que nous occupons notre place, et ce sont vos intérêts qui nous sollicitent. Voyez Paul disant aux Corinthiens : « Afin que la grâce que nous avons reçue, soit reconnue par les actions de grâces qu’un grand nombre rendront pour nous » (2Cor. 1,11) ; c’est-à-dire, afin que le Seigneur accorde sa grâce à un grand nombre. Si parmi les hommes il arrive que des condamnés soient conduits à la mort, que le peuple demande leur grâce, que, par égard pour la multitude, l’empereur révoque la sentence, à bien plus forte raison Dieu se laissera-t-il fléchir, non par la multitude, mais par la vertu, car nous avons affaire à un ennemi violent.
Chacun de vous n’a de souci, n’a d’inquiétude que pour ses intérêts propres, mais nous, ce qui nous inquiète, c’est l’intérêt commun. Nous sommes debout, soutenant tout l’effort de la guerre, car c’est nous qu’attaque le démon avec le plus de violence. En effet, dans les combats, ce que l’on cherche avant tout à terrasser, c’est celui qui conduit lés bataillons opposés. Voilà pourquoi ce concours de toutes les forces, sur un même point, les uns réunissant leurs boucliers, les autres faisant des, efforts tumultueux pour s’emparer du chef, et les boucliers qui l’entourent de toutes parts, s’unissent pour conserver sa tête. Écoutez les paroles que le peuple tout entier adresse à David (ce n’est pas que je me compare à David, ma démence ne va pas jusque-là ; mais je veux montrer l’affection du peuple pour son chef) : « Nous ne souffrirons plus que vous veniez à la guerre avec nous, de peur que la lampe d’Israël ne s’éteigne ». (2Sa. 21,17) Voyez comme ils tenaient à conserver le vieux roi. J’ai grand besoin de vos prières ; que, nul d’entre vous, je vous l’ai déjà dit, par excès d’humilité, ne me prive de cette ressource et de ce secours. Si nous méritons l’estime et la gloire, vos affaires aussi seront plus brillantes. Si l’enseignement découle de nous avec une salutaire abondance, c’est à vous qu’en ira la richesse. Écoutez le Prophète : « Est-ce que les pasteurs se paissent eux-mêmes ? » (Ez. 24,2) N’entendez-vous pas la voix de Paul réclamant perpétuellement ces prières ? Ne savez-vous pas que si Pierre à été arraché desa prison, c’est parce que des prières assidues se faisaient pour lui ? (Act. 12,5) Oui, c’est ma conviction, vos prières auront un grand pouvoir, étant faites avec une telle unanimité. Quel avantage précieux, et combien cela est au-dessus de notre infirmité, de nous approcher de Dieu, et de prier pour un si grand peuple ! Si je n’ai pas la confiance qu’il me faut, quand je prié pour moi-même, je l’ai encore bien moins, en priant pour les autres. Il n’appartient qu’à ceux dont la vie est pure et la gloire sans tache, d’implorer pour les autres la clémence et la bonté de Dieu. C’est le droit de ceux qui ont mérité pour eux-mêmes la divine miséricorde ; mais celui qui a personnellement offensé Dieu, comment peut-il le prier pour un autre ? Toutefois, comme je ressens pour vous, dans mes entrailles, une affection paternelle, comme l’amour ose tout, ce n’est pas à l’église seulement, mais dans ma demeure aussi que je, prie avant toutes choses pour le salut de vos âmes, pour la santé de vos corps, car il n’est pas de prières qui conviennent tant au prêtre que celles qu’il adresse à Dieu quand il l’aborde, quand il s’entretient avec lui des biens qu’il lui demande pour le peuple tout entier. Si Job. des le matin, adressait tant de prières pour ses fils selon la chair, combien devons-nous davantage en faire entendre pour nos fils selon l’Esprit
4. Et maintenant, à quoi bon ce discours ? C’est que, si nous, malgré notre indignité, nous élevons vers Dieu pour vous tous, nos supplications et nos prières, à bien plus forte raison devez-vous nous rendre la pareille. Qu’un seul prie pour le grand nombre, c’est une grande audace, et qui suppose beaucoup de confiance ; au contraire, qu’un grand nombre se réunissent, afin de prier pour un seul, il n’y a rien là qui choque la pensée. Chacun, en effet, se fie non en ses propres mérites, mais en la multitude, en l’unanimité, toujours si puissante aux yeux de Dieu ; c’est là ce qui le touche et ce qui l’apaise, « car en quelque lieu que se trouvent deux ou trois personnes assemblées en mon nom », dit le Seigneur, « je m’y trouve au milieu d’elles ». (Mt. 18,20) S’il se trouve avec deux ou trois personnes assemblées, à bien plus forte raison se trouve-t-il au milieu de vous. En effet, ce qu’un seul ne peut obtenir isolément, il l’obtiendra en priant avec la foule. Pourquoi ? C’est parce que, même où la vertu propre fait défaut, l’accord a une grande force, « car en quelque lieu », dit le Seigneur, « que se trouvent deux ou trois personnes assemblées ». – Pourquoi « deux ? » Comment, une personne priera en votre nom, et vous ne serez pas là ? – Je veux que tous soient réunis et non séparés. Donc fortifions-nous l’un l’autre, joignons notre charité, faisons-en un faisceau, que nul ne nous sépare. Si quelqu’un veut en accuser un autre, si quelqu’un a reçu un mauvais traitement, nous lui demandons d’oublier ce qu’il peut avoir sur le cœur soit contre le prochain, soit contre nous.
Voici la grâce que je vous demande : Si vous avez quelque chose contre nous, venez nous trouver, et recevez de nous notre excuse. « Reprenez votre prochain », dit l’Ecclésiaste, « sur ce qu’on l’accuse d’avoir dit, parce que peut-être il ne l’a point dit, reprenez-le sur ce qu’on l’accuse d’avoir fait, parce que peut-être il ne l’a point fait, et s’il l’a dit ou a fait, afin qu’il ne recommence pas ». (Sir. 19,13) En effet, ou nous nous excusons, ou nous sommes convaincus, et nous demandons notre grâce, et plus tard nous faisons nos efforts pour ne pas retomber dans les mêmes fautes. Voilà ce qui est utile, et pour vous et pour nous. Il vous arrivera peut-être, après avoir accusé sans raison, une fois que vous aurez compris la réalité des faits, de corriger votre jugement ; ou bien s’il arrive que nous ayons péché sans nous en apercevoir, nous nous en corrigerons en l’apercevant ; pour vous, il vous est funeste de juger témérairement, car un châtiment a été établi contre ceux qui prononcent une parole inutile. Pour nous, nous repoussons les accusations, aussi bien celles qui sont vraies, que celles qui sont mensongères ; les mensongères, en montrant qu’elles sont mensongères, les vraies, en ne nous y exposant pas davantage. Il est absolument nécessaire que celui qui a tant d’affaires à soigner, et ignore bien des choses, et pèche par ignorance. Si chacun de vous, ayant une maison à conduire, une femme, des enfants, des serviteurs, un peu plus ou un peu moins, dans tous les cas un bien petit peuple et facile à connaître, est exposé à une foule de fautes involontaires, soit qu’il ignore, soit qu’il veuille opérer quelque correction, à bien plus forte raison est-ce vrai de nous, qui sommes à la tête d’un si grand peuple.
Et que le Seigneur vous agrandisse encore et vous envoie ses bénédictions, sur les petits comme sur les grands. Car quelque accablante que soit la sollicitude que suscite un grand peuple, nous ne cessons pas pourtant de prier pour que notre sollicitude grandisse comme ce peuple, pour qu’il se multiplie, pour qu’il s’étende à l’infini. Les pères qui ont de nombreux enfants, et que souvent ces enfants tourmentent, ne consentent pourtant jamais à en perdre un seul. Entre vous et nous, c’est l’égalité, c’est le partage dès mêmes biens précieux.
Je n’ai pas une plus grande part, vous, une moindre part, à la table sainte ; vous et moi nous y participons également. Si je suis le premier, ce n’est pas une grande affaire ; parmi les enfants, l’aîné est le premier qui porte la main vers les mets, sa part toutefois n’en est pas plus grosse ; entre nous, c’est l’égalité, le salut, la satisfaction de nos âmes ; l’égalité d’honneur nous appartient à vous comme à moi. Je n’ai pas ma part d’un agneau ; vous, votre part d’un autre agneau ; c’est au même que nous participons tous ensemble ; c’est le même baptême pour vous et pour moi ; c’est d’un seul et même esprit que nous recevons tous lés dons ; c’est à la même royauté que nous prétendons, vous et moi ; frères du Christ au même titre, toutes choses nous sont communes ; en quoi donc ai-je plus que vous ? J’ai les soucis, les fatigues, les inquiétudes, les douleurs que je ressens pour vous ; mais rien de plus doux que cette douleur. Une mère souffrant pour son enfant, trouve des charmes dans cette souffrance ; elle est inquiète pour ses enfants et elle se fait une joie de ses inquiétudes. C’est que, si l’inquiétude est par elle-même une chose amère, quand on l’éprouve pour ses enfants, on y trouve des délices. Il en est un grand nombre de vous que j’ai enfantés, et ensuite sont venues les douleurs de l’enfantement. Qu’est-ce à dire ? Chez les mères selon le corps, les douleurs commencent et l’enfantement arrive ; chez nous, au contraire, les douleurs durent jusqu’au dernier soupir, dans la crainte que l’enfant ne devienne un avorton, et voilà ce qui cause nos alarmes ; car, si la génération vient souvent d’un autre, je n’en suis pas moins déchiré de soucis. En effet, nous n’engendrons pas de nous-mêmes, c’est l’œuvre uniquement de la grâce de Dieu. Mais si nous sommes deux pour produire l’enfantement par l’Esprit, vous aurez raison de dire que mes enfants sont les enfants de celui qui coopère avec moi, et que les enfants de celui qui coopère avec moi sont mes enfants. Méditez sur toutes ces choses, et donnez-nous votre main pour être notre gloire, et pour que nous soyons la vôtre, au jour de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Puissions-nous tous le voir avec confiance, en Jésus-Christ Notre-Seigneur.

HOMÉLIE V. modifier


MAIS DIEU EST FIDÈLE, ET IL VOUS AFFERMIRA ET VOUS PRÉSERVERA DU MALIN ESPRIT. POUR CE QUI VOUS REGARDE, NOUS AVONS CETTE CONFIANCE, EN LA BONTÉ DU SEIGNEUR, QUE VOUS ACCOMPLISSEZ ET QUE VOUS ACCOMPLIREZ A L’AVENIR CE QUE NOUS VOUS ORDONNONS. QUE LE SEIGNEUR VOUS, DONNE UN CŒUR DROIT, DANS L’AMOUR DE DIEU ET DANS LA PATIENCE DE JÉSUS-CHRIST. (III, 3 JUSQU’A LA FIN)

Analyse. modifier


  • 1. Dieu veut que nous unissions la prière et les œuvres. – Besoin que nous avons du secours de Dieu. – C’est par les œuvres que se prouve la sincérité de l’amour de Dieu. – De la patience qui attend Dieu ; de la patience qui supporte les afflictions.
  • 2. Du travail : celui qui ne veut point travailler ne doit point manger. – Besoin qu’éprouve saint Paul, après avoir prononcé des paroles sévères, d’en adoucir l’amertume. – De la manière dont la réprimande doit s’exercer entre frères.
  • 3. Contre la dureté envers les pauvres. – De la manière de s’avertir entre frères. – La paix est un grand bien. – De la signature de saint Paul, c’est un souhait, c’est une prière. – Du changement dans les mœurs : c’était un grand malheur autrefois, d’être séparé de la société des fidèles.

4 et 5. Il n’en est plus de même. – Du contact avec les corrompus de toute espèce. – De la société chrétienne et de l’union des premiers fidèles : Du refroidissement de la charité. – Devoir des maîtres et des docteurs ; devoir de tous. – Chacun peut être le docteur d’un autre et son docteur à lui-même. – De la vertu des esclaves, de l’édification produite par eux. Vive exhortation à tous de travailler au salut de tous. – Devoirs des pères de famille, des maris et des femmes.


1. Nous ne devons ni nous reposer uniquement sur les prières des saints, en demeurant inactifs nous-mêmes, courant au vice et n’entreprenant aucune action vertueuse ; ni, d’un autre côté, mépriser ce précieux secours tout en faisant le bien. Grande est la puissance, grande est l’efficacité de la prière que l’on fait pour nous, mais à la condition que nous agissions nous-mêmes. Voilà pourquoi Paul, en priant pour ceux de Thessalonique, leur inspire de la confiance par une promesse et leur dit : « Mais Dieu est fidèle, et il vous affermira et vous préservera du malin esprit ». Car s’il vous a choisis pour le salut, il ne mentira pas, il ne consentira pas à votre perte. Mais maintenant Paul veut prévenir la négligence qui s’endormirait, après avoir remis à Dieu tout le soin de cette affaire ; et voyez comme il exige leur coopération, il leur dit : « Pour ce qui vous regarde, nous avons cette confiance en la bonté du Seigneur, que vous accomplissez, et que vous accomplirez à l’avenir ce que nous vous ordonnons ». Dieu est fidèle, dit-il, et s’il promet de sauver, il sauvera, mais selon l’esprit de sa promesse. À quelles conditions, cette promesse ? Que nous ayons la bonne volonté, que nous écoutions sa voix : il ne nous sauvera pas d’une manière absolue, sans conditions pour nous, il ne sauvera pas des morceaux de bois, des pierres, des oisifs ; c’est encore avec raison que l’apôtre dit : « Nous avons cette confiance en la bonté du Seigneur », c’est-à-dire, nous croyons à son amour pour les hommes. Dans un autre ordre d’idées maintenant, il les rabaisse : tout dépend de Dieu. Si l’apôtre eût dit : Nous croyons en vous, t’eût été leur faire un grand éloge, mais il ne leur aurait pas enseigné qu’il faut tout rapporter à Dieu. Maintenant s’il leur avait dit : Nous avons confiance en la bonté du Seigneur qu’il vous gardera, sans ajouter : « Pour ce qui vous regarde » ; sans ajouter : « Que vous accomplissez, et que vous accomplirez à l’avenir ce que notas vous ordonnons », il leur aurait enseigné le relâchement, en renvoyant tout à Dieu et à sa puissance. Car s’il faut tout renvoyer à Dieu, il faut, en même temps, agir nous-mêmes, accepter les fatigues et les combats. Et l’apôtre montre ici qu’alors même que la vertu seule suffirait pour nous sauver, encore faut-il qu’elle ne soit jamais interrompue, qu’elle nous accompagne jusqu’à notre dernier soupir.
« Que le Seigneur vous donne un cœur « droit, dans l’amour de Dieu et dans la patience de Jésus-Christ ». Nouvel éloge qu’il leur adresse, avec une prière qui montre son intérêt pour eux. Il va les réprimander, il commence par les flatter, par disposer doucement leur cœur, en leur disant : J’ai confiance que vous écouterez ; en leur disant qu’il réclame d’eux des prières ; en leur disant que, de son côté, il demande pour eux l’abondance de tous les biens. « Que le Seigneur vous donne un cœur droit, dans l’amour de Dieu ». Il y a bien des causes qui détournent de l’amour, bien des sentiers qui vous entraînent au loin ; et d’abord la cupidité qui jette, pour ainsi dire, impudemment ses mains sur nos âmes ; qui les saisit, en les déchirant, et violemment les entraîne en dépit de tout ; ensuite la vaine gloire ; et souvent les afflictions, les tentations nous poussent hors du droit chemin. Aussi avons-nous besoin, comme d’un souffle favorable, du secours de Dieu ; il faut qu’il remplisse notre voile et nous reporte vers l’amour divin. Et ne me dites pas : Je l’aime plus que moi-même, ce sont des mots ; ce sont nos actions qui doivent montrer si vous l’aimez plus que vous-mêmes. Aimez-le plus que l’argent, et alors je croirai sans peine que vous l’aimez plus que vous-mêmes. Si vous ne méprisez pas les richesses à cause de Dieu, comment vous mépriserez-vous vous-mêmes ? Mais, que dis-je, les richesses ? Si vous ne méprisez pas l’avarice, ce que vous devriez faire, même en l’absence de toute prescription, de Dieu, comment vous mépriserez-vous vous-mêmes ? – « Et dans la patience de Jésus-Christ », dit l’apôtre. Qu’est-ce que cela veut dire : « Dans la patience ? » – Que nous souffrions avec patience ce qu’il a souffert ; que nous fassions ce qu’il a fait, ou bien encore que nous l’attendions patiemment, c’est-à-dire que nous soyons prêts. Il a fait des promesses considérables ; il vient lui-même juger les vivants et les morts ; attendons-le, ayons patience. En disant : « Patience », l’apôtre donne à entendre l’affliction, car c’est aimer Dieu que de souffrir avec patience, et de ne pas se laisser troubler. « Nous vous ordonnons, mes frères, au nom de Notre – Seigneur Jésus-Christ, de vous retirer de tous ceux d’entre vos frères qui se conduisent d’une manière déréglée, et non selon la tradition qu’ils ont reçue de nous (6) ». Ce qui veut dire : Ce n’est pas nous qui vous disons ces choses, c’est le Christ. Voilà, en effet, ce que signifie : « Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ », paroles qui montrent combien l’ordre est redoutable ; c’est par le Christ, dit-il, que nous vous ordonnons ; nulle part le Christ ne nous autorise à l’inertie : « De vous retirer », dit l’apôtre, « de tous ceux d’entre vos frères ». Ne me parlez ni de riches, ni de pauvres, ni de saints ; tout cela n’a rien à voir avec l’ordre. « Qui marchent », dit-il ; cela veut dire qui se conduisent « d’une manière déréglée et non selon la tradition qu’ils ont reçue de nous ». Il parle de la tradition par les œuvres ; c’est toujours là, au propre, la tradition qu’il entend. « Car vous savez vous-mêmes ce qu’il faut faire pour nous imiter, puisqu’il n’y a rien eu de déréglé dans la manière dont nous avons vécu parmi vous, et nous n’avons mangé gratuitement le pain de personne (7, 8) ». Quand même je l’aurais mangé, je ne l’aurais pas mangé gratuitement. « Car celui qui travaille, mérite sa récompense ». (Lc. 10,7) « Mais nous avons travaillé jour et nuit, avec peiné et avec fatigues, pour n’être à charge à aucun de vous ; ce n’est pas que nous n’en eussions le pouvoir, mais c’est que nous avons voulu nous donner nous-mêmes pour modèles, afin que vous nous imitiez. Aussi, lorsque nous étions avec vous, nous vous déclarions que celui qui ne veut point travailler ne doit point manger (9,10) ».
2. Voyez, dans la première épître, comme il s’exprime avec plus de douceur à ce sujet, par exemple, quand il dit : « Je vous exhorte, mes frères, à vous avancer de plus en plus, et à vous appliquer ». (1Thes. 4,10, 12) On n’y trouve nulle part : Nous vous ordonnons ; ni : Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; ce qui est redoutable et rempli de dangers ; mais : « De vous avancer », dit-il, « et de vous appliquer,» ; ce qui était une exhortation à la vertu, comme le : « Afin que vous vous conduisiez honnêtement ». (1Thes. 4,11) Ici, au contraire, rien de pareil ; mais : « Celui qui ne veut point travailler, ne doit point manger ». C’est qu’en effet, si Paul, qui n’avait pas besoin de travailler, qui pouvait vivre en prenant des loisirs, s’était assujetti à un si grand labeur, travaillait, et non seulement travaillait, mais travaillait nuit et jour, afin de secourir les autres, à bien plus forte raison d’autres devaient-ils imiter son exemple.
« Nous avons appris qu’il y en a parmi vous qui marchent d’une manière déréglée, ne travaillant point, se mêlant de ce qui ne les regarde pas (11) ». Ceci, dans l’épître qui nous occupe ; dans la précédente, il y avait « Afin que vous vous conduisiez honnêtement envers ceux qui sont hors de l’Église ». Pourquoi cette différence ? Peut-être n’y avait-il rien d’abord qui pût motiver une pareille observation ; ailleurs aussi, il disait : « C’est un plus grand bonheur de donner que de recevoir ». (Act. 20,35) Quant à cette expression : « Que vous vous conduisiez honnêtement », elle ne se rapporte pas à l’immodestie, à la dissolution des mœurs ; aussi ajoute-t-il : « Et que vous vous mettiez en état de n’avoir besoin de personne ». Mais, dans l’épître qui nous occupe, il parle d’une autre nécessité de faire ce qui est honnête, de faire ce qui est bien auprès de tous ; car en continuant, il leur dit : « Ne vous lassez point de faire ce qui est bien ». Il est de toute nécessité que celui qui ne fait rien, et qui peut travailler, s’occupe de ce qui ne le regarde pas. Or, l’aumône ne se donne qu’à ceux qui ne peuvent pas trouver leur subsistance dans le travail de leurs mains, ou à ceux qui enseignent, et dont tous les instants sont absorbés par l’enseignement : « Vous ne lierez pas », dit l’Écriture, « la bouche du bœuf qui broie le grain dans l’aire » (Deut. 15,4) ; et : « Celui qui travaille ; mérite sa récompense ». (Mt. 11,10) Celui qui travaille, reçoit son salaire ; il est évident que celui-là n’est pas inactif, il travaille, et comme son travail est grand, il en reçoit le salaire. Quant à celui qui ne fait rien, la prière et le jeûne ne lui tiennent pas lieu du travail des mains ; car, par travail, l’apôtre entend le travail des mains. Et pour ôter toute incertitude, il ajoute : « Qui ne travaillent point, et qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas ».
« Or, nous ordonnons à ces personnes, et nous les conjurons, par Notre-Seigneur Jésus-Christ, de manger leur pain, en travaillant, en silence (12) ». Après les avoir rudement frappés, il prend un ton plus doux : « Par Notre-Seigneur Jésus-Christ » ; c’est le ton de la persuasion, mêlé d’idées terribles « De manger leur pain, en travaillant, en silence ». Pourquoi ne dit-il pas : S’ils n’ont pas de mauvaises mœurs, s’ils ne vivent pas dans la dissolution, nourrissez-les ? Pourquoi cette double exigence, et du silence et du travail ? C’est qu’il veut que ces personnes-là gagnent leur vie par leur propre travail ; c’est là le sens de cette expression : « De manger leur pain », c’est-à-dire ce qu’elles ont gagné par leur propre travail ; non pas le pain d’autrui, non pas le pain mendié.
« Et pour vous, mes frères, ne vous lassez point de faire ce qui est bien (13) ». Voyez tout de suite les entrailles paternelles qui s’émeuvent ; il n’a pas pu pousser plus loin la réprimande ; par un changement de sentiment, il cède à la pitié ; mais voyez avec quelle prudence ; il ne dit pas : Ayez pitié d’eux jusqu’à ce qu’ils se corrigent, mais que dit-il ? « Pour vous, ne vous lassez point de faire ce qui est bien ». Retirez-vous, dit-il, loin des paresseux, et faites-leur des reproches. Cependant ne détournez pas les yeux, s’ils meurent de faim. Mais si, recevant de nous l’abondance, le paresseux demeure dans l’oisiveté, l’apôtre indique, pour le guérir, un remède où il y a de la douceur. Que dit-il donc ? Si, recevant de nous l’abondance, il demeure dans l’oisiveté, eh bien, dit-il, je vous ai indiqué un remède paisible : « Retirez-vous du paresseux » ; c’est-à-dire, ne lui permettez pas la confiance, la liberté de la parole auprès de vous ; montrez que vous êtes en colère. Ce moyen n’est pas à dédaigner. Voilà comment doit s’exercer, entre frères, la réprimande. Si nous avons vraiment le désir de corriger, nous ne pouvons pas dire que nous ignorons l’art de la réprimande. Répondez-moi, je vous en prie ; je suppose que vous avez un frère selon la chair, le laisseriez-vous mourir de faim ? Non assurément, j’imagine. Et de plus vous sauriez le redresser.
« Si quelqu’un n’obéit pas aux paroles de notre lettre (14,) ». Voyez l’humilité de Paul ; il ne dit pas : Celui qui désobéit, c’est à moi qu’il désobéit ; mais il fait entendre doucement cette pensée : « Notez-le », ce qu’il veut, c’est que la désobéissance ne soit pas cachée : « N’ayez point de commerce avec lui » ; ce qui n’est pas un châtiment léger. Il continue « Afin qu’il en ait de la confusion ». Et il ne veut pas que l’on aille plus loin. De même qu’après avoir dit : « Celui qui ne veut point travailler, ne doit point manger », de peur que les paresseux ne mourussent de faim, il a ajouté : « Pour vous, ne vous lassez point de faire ce qui est bien ». De même, après avoir dit : « Retirez-vous », et : « N’ayez point de commerce avec lui » ; de peur que ce malheureux ne fût retranché de la fraternité des enfants de Dieu (car celui qui est ainsi abattu, périra bientôt, ne sachant plus à qui parler avec confiance), il ajoute ce qui suit : « Ne le considérez pas néanmoins comme un ennemi, mais reprenez-le comme votre frère (15) » ; paroles qui montrent que la rigueur du châtiment qu’il lui inflige, consiste à le priver de la liberté qui s’exprime avec confiance.
3. Car, si c’est une honte d’être au milieu d’un grand nombre d’hommes, uniquement pour recevoir ce qu’ils vous donnent, lorsque les dons sont accompagnés de réprimandes, lorsqu’on se retire loin de celui à qui l’on donne, quelle honte, quel aiguillon pour l’âme ! En effet, si le don tardif, ou accompagné de murmures, brûle ceux qui le reçois vent (ne m’objectez pas ici les mendiants sans pudeur, nous ne parlons que des pauvres fidèles) ; si la réprimande doit encore s’ajouter à la honte, (lue ne ferait-on pas pour ne pas mériter ce supplice ? Ce n’est pas dans cet esprit de sage réprimande, c’est avec la colère d’un affront reçu, que nous outrageons, nous, les mendiants, et que nous les repoussons. Vous ne voulez pas donner : pourquoi tenez-vous à être blessant : « Avertissez », dit l’apôtre, « comme on s’avertit entre frères » ; n’outragez pas les pauvres, comme si c’étaient des ennemis. Quand on avertit son frère, on ne le fait pas en public, on n’affiche pas l’outrage ; on fait cela en particulier, avec beaucoup de circonspection, et l’on est affligé, tourmenté, on pleure, on gémit. Montrons-nous donc animés d’un fraternel amour, que la tendresse fraternelle dicte nos avertissements, ne soyons pas comme affligés de donner, mais comme affligés devoir que le pauvre agit contrairement à la loi. Quel profit pour vous de donner pour outrager ensuite ? Vous perdez le plaisir de donner. Et maintenant si vous refusez de donner, si vous infligez un outrage, quel mal ne faites-vous pas au malheureux, à l’infortuné ? Il s’est approché de vous dans la pensée de recevoir quelque don, et il vous quitte n’ayant reçu qu’une blessure mortelle, et ses larmes ont redoublé. Car si c’est la pauvreté qui le force à mendier, et si cette nécessité de mendier le couvre de honte, voyez combien rigoureux sera le supplice de ceux qui redoublent sa honte. « Celui qui outrage le pauvre, irrite celui qui l’a fait ». (Prov. 14,21) Car enfin que pouvez-vous répondre ? C’est à cause de vous que Dieu laisse le pauvre dans l’indigence, c’est afin que vous trouviez les moyens de vous guérir vous-mêmes, et vous outragez celui qui n’est pauvre qu’à cause de vous ? Quelle dépravation, quelle ingratitude ! « Avertissez » ; dit l’apôtre, « comme on s’avertit entre frères ». Il veut que, même après avoir donné, on ajoute l’avertissement ; eh bien ! nous qui, au contraire, ne donnons pas, et outrageons ensuite, quelle excuse pourrons-nous alléguer ?
« Que le Seigneur de paix vous donne sa paix, en tout temps et en tout lieu (16) ». Voyez : après avoir dit ce qu’il faut faire, il signe pour ainsi dire avec une prière ; il appose son seing à ce qu’il vient de dire, et ce seing est une prière, une supplication : « Vous donne », dit-il, « sa paix en tout lieu ». En effet, considérant les combats qui allaient résulter de la présente lettre probablement, les uns devant se montrer intraitables et les autres moins accommodants qu’on ne le voudrait, il a raison de faire cette : prière : « Vous donne », dit-il, « sa paix en tout temps » ; c’est là, en effet, ce qu’il cherche, à savoir qu’ils aient toujours la paix. Maintenant pourquoi : « En tout lieu ? » Il veut voir la paix partout, de telle sorte qu’il ne leur vienne d’aucun côté un sujet de dispute. Partout, en effet, c’est un grand bien que la paix, même auprès des gens du dehors. Écoutez-le disant dans un autre endroit : « Vivez en paix, si cela se peut, et, autant qu’il est en vous, avec toutes sortes de personnes ». (Rom. 12,18) Si nous voulons bien faire, rien n’est si utile que d’être pacifique, exempt de troubles, affranchi de toute haine, n’ayant aucun ennemi.
« Que le Seigneur soit avec vous tous ; je vous salue ici de ma propre main, moi Paul ; c’est là mon seing dans toutes mes lettres ; j’écris ainsi ; la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous. Ainsi soit-il ». Il dit que c’est là ce qu’il écrit de sa main dans toutes ses lettres, afin qu’on ne puisse pas les falsifier, grâce à ces paroles, qui sont comme une grande signature. « Je vous salue », désigne la prière qu’il fait entendre, montrant par là que tout alors était spirituel dans le commerce, et, quand il fallait saluer, on y regardait au profit des âmes, et le salut était une prière, et non simplement un symbole d’amitié. Et il terminait comme il avait commencé, les affermissant entre cette double muraille aux fondements solides et inébranlables ; il achevait son ouvrage en le consolidant. « La grâce », dit-il, « et la paix », en commençant ; et, pour finir : « La grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ soit avec vous tous. Ainsi soit-il ». C’est ce que le Christ disait de son côté à ses disciples : « Voici que je suis avec vous tous les jours jusqu’à la consommation des siècles ». (Mt. 28,20) Mais cela n’arrive qu’autant que nous le voulons. Il ne sera pas du tout avec nous, si nous l’écartons au loin. Je serai, dit-il, avec vous toujours. Donc, n’éloignons pas la grâce. Il veut que nous nous retirions de tous ceux d’entre les frères qui marchent d’une manière déréglée. C’était alors un grand malheur d’être séparé de la société des frères. Voilà donc le châtiment que l’apôtre inflige à tous. C’est dans le même esprit qu’il écrivait ailleurs aux Corinthiens : « Que vous ne mangiez pas même avec lui ». (1Cor. 5,11) Mais aujourd’hui, ce n’est pas une grande punition pour bon nombre de personnes. Tout est confondu et perverti. C’est avec des adultères, des libertins, des avares, que nous consentons, sans y regarder de si près, à nous rencontrer confusément. S’il fallait autrefois se retirer loin des paresseux, combien davantage fallait-il fuir les autres coupables ! Et ce qui vous prouvera la terreur avec laquelle on se voyait séparé de l’assemblée des frères, le grand profit qu’on recueillait des réprimandes bien reçues, c’est l’histoire de ce pécheur, empoisonné dans l’âme, arrivé au terme de la plus détestable corruption, coupable d’une fornication inconnue aux gentils, et ne sentant même pas son mal (c’est là le dernier degré de la perversité). Eh bien ! cet homme ainsi affecté fut touché, ramené, au point de faire dire à Paul : « Il suffit pour cet homme qu’il ait subi la correction qui lui a été imposée par votre assemblée ». (2Cor. 2,6) Par conséquent, raffermissez-vous dans la charité pour lui. En effet, à cette époque, un homme écarté de l’assemblée des frères était comme un membre violemment séparé du corps.
4. Et maintenant, voici ce qui fait que ce châtiment était alors si terrible, c’est qu’on regardait comme un grand bien d’être réunis. Comme on voit unis ensemble les habitants d’une même maison, les enfants d’un même père, ceux qui participent à une même table, telle était la vie commune aux saints de chaque église. Être déchus d’un telle communauté d’affections, c’était un malheur incomparable. Aujourd’hui au contraire on n’en fait aucun cas, parce qu’on ne fait aucun cas du bonheur d’être réunis. Autrefois, c’était un supplice, aujourd’hui la charité s’est refroidie et ce n’est plus un châtiment, et nous nous séparons sans y prendre garde, et cela vient du refroidissement des âmes, car la cause de tous les maux, c’est l’extinction de la charité. Voilà ce qui a ruiné, effacé tout ce qu’il y avait de vénérable, de gloire brillante dans l’Église, ce qui devrait faire sa parure et sa joie.
Grande est la force du docteur, quand il peut fonder sur ses vertus à lui, les réprimandes qu’il adresse à ses disciples. Aussi Paul disait : « Vous savez vous-mêmes ce qu’il faut faire pour nous imiter ». (2Thes. 3,7) L’enseignement doit résulter plutôt de la conduite que des paroles. Et maintenant qu’on n’accuse pas l’apôtre de vanité et de jactance, il a été forcé de tenir ce langage, utile dans l’intérêt de tous. « Puisqu’il n’y a rien eu », dit-il, « de déréglé dans la manière dont nous avons vécu parmi vous ». Ne voyez-vous pas l’humilité dans ces paroles, quand il parle de gratuité et de modestie ? « Et nous n’avons mangé gratuitement le pain de personne ». Il montre aussi sans doute, par ces paroles, que ces gens étaient pauvres. Et ne m’objectez pas qu’ils n’étaient pas tous pauvres, car Paul ici parle des pauvres, de ceux qui sont réduits pour vivre à travailler de leurs mains ; car plus haut il ne dit pas : Qu’ils reçoivent de leurs parents, mais : « Qu’ils travaillent pour gagner leur pain ». En effet, si moi, le héraut de la doctrine du Verbe, j’ai eu peur de vous être à charge, à bien plus forte raison celui-là doit-il avoir cette peur, qui ne vous est utile à, rien. En effet, on est alors tout à fait à charge ; on est à charge lorsque celui qui donne ne donne pas de grand cœur. Mais ce n’est pas là la pensée principale qu’il exprime, mais celle-ci, que ces personnes (celles qu’il accuse de vivre dans l’oisiveté) n’avaient pas la vie facile. Pourquoi ne travaillez-vous pas ? Si Dieu vous a donné des mains, ce n’est pas pour recevoir des autres, mais pour donner aux autres. « Le Seigneur », dit-il, « soit avec vous ». Prière que, nous aussi, nous pouvons faire, si nous accomplissons les actions du Seigneur. Écoutez le Christ disant à ses apôtres : « Allez et instruisez tous les peuples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer toutes les choses que je vous ai commandées, et assurez-vous que je serai a toujours avec vous jusqu’à la consommation des siècles ». (Mt. 18,19, 20) Paroles qui ne sont pas seulement pour eux, mais aussi pour nous, car que cette promesse ne s’adresse pas à eux seulement, c’est ce qui ressort évidemment de ces expressions : « Jusqu’à la consommation des siècles ». Cette promesse est donc aussi pour tous ceux qui suivent les traces du Sauveur.
Que dit donc le Seigneur à ceux qui ne sont pas des docteurs ? Chacun de vous peut être, s’il veut, sinon le docteur d’un autre, au moins son docteur à lui-même. Instruisez-vous vous-même le premier. Si vous vous instruisez de manière à observer ses commandements, vous aurez, par ce moyen, un grand nombre d’imitateurs jaloux. La lampe une fois allumée, peut en allumer d’autres sans nombre ; la lampe éteinte ne s’éclaire plus elle-même, et ne peut allumer d’autres lampes. Il en faut dire autant de la vie passée dans la pureté. Si notre lumière brille, nous ferons et des disciples et des docteurs sans nombre à notre exemple. Mes paroles ne seront pas aussi utiles à ceux qui m’écoutent, que le sera notre vie à tous. Soyez donc, vous n’avez qu’à le vouloir, un homme cher à Dieu, brillant de vertu, et prenez femme, car on peut même en ayant une femme être agréable à Dieu, même en ayant des enfants, et des serviteurs, et des amis. Un tel homme n’aura-t-il pas, je vous le demande, beaucoup plus de moyens d’être utile à tout le monde, que je n’en puis avoir ?
Pour ce qui est de moi, une fois ou deux fois dans le mois on m’écoutera, supposé même qu’on m’écoute une fois, et ce que l’on aura écouté peut-être le gardera-t-on jusqu’au seuil de l’église pour le perdre tout de suite après ; au contraire, le spectacle continuel de la vie d’un tel homme est un grand profit : on lui fait un outrage et il ne rend pas l’outrage. N’y a-t-il pas, dans cette clémence, dans cette douceur, quelque chose qui enfonce, qui grave la modestie et la pudeur dans l’âme de qui l’a outragé ? Le coupable n’avouera pas tout de suite l’utilité qu’il en aura recueillie ; la colère offusque son jugement ; la honte le couvre ; le sentiment de sa faute le retient ; toutefois, au fond du cœur, il est touché, et je dis qu’il est impossible que l’homme qui outrage, cet homme fût-il une bête brute, quand il, est en présence d’un homme plein de patience et de douceur, n’en recueille pas une grande utilité. La femme aussi a beaucoup à gagner à voir un homme paisible et modeste, à passer sa vie avec lui ; il en est de même de l’enfant. Donc, chacun de nous peut être un docteur. « Édifiez-vous », dit en effet l’apôtre, « les uns les autres, ainsi que vous le faites ». (1Thes. 5,11) Pesez ces paroles, je vous en prie. Voilà quelque dommage qui est arrivé dans votre maison ; votre femme est toute bouleversée, attendu qu’elle n’a pas grande force et qu’elle est mondaine. Eh bien ! que le mari soit philosophe, se moque du dommage éprouvé ; il la console, il la persuade ; elle opposera à cet accident la force d’une âme généreuse. Eh bien, je vous le demande, le mari ne lui sera-t-il pas beaucoup plus utile que tous nos discours ? Tout lé monde peut parler, c’est chose facile ; mais agir dans l’occasion, voilà ce qui est difficile. Voilà pourquoi ce sont les actions surtout qui corrigent l’humaine nature, et la remettent dans l’ordre. Telle ; est l’excellence de la vertu, qu’un esclave souvent a été utile à une maison tout entière, sans en excepter le maître.
5. Ce n’est pas sans raison, sans une vue profonde des choses, que Paul s’applique à leur recommander la vertu, l’obéissance envers les maîtres ; ce n’est pas tant pour assurer le service de ces maîtres, que pour prévenir les blasphèmes contre la parole de Dieu, contre la doctrine du Seigneur ; du moment qu’on cesse de la blasphémer, on l’admire. Et je sais nombre de maisons à qui a rendu de grands services la vertu des esclaves. Et maintenant si le serviteur, sous la puissance d’un maître, peut le corriger, à bien plus forte raison le maître peut-il corriger les serviteurs. Partagez-vous avec moi, je vous en prie, ce ministère. Je m’adresse à tous à la fois ; vous, de votre côté, adressez-vous à chacun en particulier, et que chacun prenne en main le salut de ceux qui l’entourent. Que ce soit le devoir des pères de famille de se mettre à la tête de leur maison, en ce qui concerne ces choses, qui le prouve ? Écoutez, voyez à qui Paul renvoie les femmes : « Si elles veulent s’instruire de quelque chose », dit-il, « qu’elles interrogent leurs maris dans leur maison » (1Cor. 14,35), et il ne les envoie pas consulter un docteur. Car, de même que dans les écoles il y a des élèves qui servent de maîtres ; ainsi, dans l’Église, l’apôtre ne veut pas que tous aillent déranger le docteur. Et pourquoi ? C’est que de grands avantages résultent de cette recommandation ; non seulement le docteur se trouve soulagé, mais chaque disciple prenant une part de ses soins, peut bientôt devenir docteur à son tour.
Voyez combien est grand le ministère de la femme : elle garde la maison, prend soin de toutes les affaires domestiques, surveille les servantes, les habille de ses mains ; elle vous rend père, elle vous arrache aux lieux de débauche, elle vous aide à observer la continence, elle émousse l’aiguillon de la nature. Eh bien, soyez à votre tour son bienfaiteur. Comment ? Dans les choses spirituelles, tendez-lui la main ; avez-vous entendu des paroles utiles, portez-les-lui, faites comme l’hirondelle, donnez la becquée à la mère et aux enfants. Quelle démence ne serait-ce pas, à vous, de prétendre à certains égards, au premier rang, de vouloir être le chef, et d’abdiquer en ce qui concerne la doctrine ? Le chef doit l’emporter sur ceux qu’il commande, non parce qu’il est plus honoré, mais parce qu’il est plus vertueux ; les honneurs qu’on lui rend, sont le fait de ses subordonnés ; ce qu’il faut attendre de celui qui commande, c’est l’éclat de la vertu. Vous jouissez des plus grands honneurs, vous n’y êtes pour rien, vous les avez reçus des autres ; si vous avez la splendeur de la vertu, c’est votre ouvrage uniquement à vous. Vous êtes le chef de la femme, eh bien, le gouvernement de tout le corps appartient au chef. Ne voyez-vous pas que la hauteur de la position ne constitue pas la supériorité de la tête sur le corps, autant que la prévoyance, autant que la mission qu’elle a de lui servir comme de pilote et de le gouverner ? Dans la tête, les yeux du corps et les yeux de l’âme ; c’est la tête qui possède la faculté de discerner et de juger, et le pouvoir de diriger. Et tout le corps est disposé pour lui obéir, elle est faite pour lui commander. C’est dans la tête que tous les sens ont leur principe et leur source ; dans la tête, les organes de la voix, la vue, l’odorat, le tact qui, de là, se répand partout ; dans la tête, la racine complexe des nerfs et des os. Vous voyez que le gouvernement qu’elle exerce lui donne une supériorité plus haute que l’honneur qu’on lui rend.
Et c’est ainsi que vous devez être les chefs de vos femmes. Ayons sur elles l’avantage, non des honneurs, mais des bienfaits. J’ai montré l’importance des bienfaits que nous recevons d’elles, mais il ne tient qu’à nous, dans l’ordre des choses spirituelles, de les payer de retour, et la victoire est à nous. Dans l’ordre des choses qui regardent le corps, impossible à nous de nous acquitter. Car que pourriez-vous dire ? Vous apportez une grande fortune ? Mais cette femme la conserve ; et ce soin qu’elle prend établit l’équilibre, et ce soin est une nécessité. Pourquoi ? Parce que nombre de riches, maîtres d’une grande fortune, faute d’une femme pour la conserver, ont tout perdu. Mais, pour les enfants, c’est un bien commun à vous deux, et c’est, de part et d’autre, l’égalité des bienfaits. Je me trompe, c’est la femme qui a, dans ce ministère, la part la plus pénible, c’est elle qui porte le fruit dans ses entrailles, et l’enfantement la déchire. Ce n’est donc que dans les choses spirituelles seulement que vous pouvez avoir sur elle la supériorité. Ne nous inquiétons pas d’acquérir des richesses, mais de conduire à Dieu les âmes qui nous sont confiées, de pouvoir les lui présenter sans crainte ; en les corrigeant, nous travaillerons pour nous-mêmes, de la manière la plus profitable. Celui qui en instruit un autre, n’y gagnerait-il rien, en retirera au moins la componction du cœur, en se voyant lui-même coupable des fautes qu’il reproche à autrui. Eh bien donc, puisque, par cette conduite, nous nous servons nous-mêmes en même temps que nous procurons le bien de nos femmes, et, par leur entremise, le bien de nos familles, puisque, par cette conduite, nous sommes assurés de plaire à Dieu, n’hésitons pas, appliquons-nous à sauver notre âme, à sauver les âmes de ceux qui nous servent ; préparons-nous, pour toutes nos œuvres, la grande rémunération ; amassons les trésors que nous transporterons dans la sainte cité, notre mère, dans la céleste Jérusalem ; puissions-nous n’en jamais déchoir ; brillants de la splendeur que donne la sagesse d’une vie consacrée à la vertu, puissions-nous être jugés dignes de voir Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, etc.
Traduit par M. C. PORTELETTE.