Commentaire sur l’Épître de saint Paul aux Colossiens


Œuvres complètes
Traduction par M. Jeannin.
L. Guérin & Cie (11p. 101-177).

COMMENTAIRE

SUR L’ÉPÎTRE AUX COLOSSIENS.

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HOMÉLIE PREMIÈRE.

PAUL, APÔTRE DU CHRIST, PAR LA VOLONTÉ DE DIEU, ET TIMOTHÉE SON FRÈRE. – AUX SAINTS ET FIDÈLES FRÈRES EN JÉSUS-CHRIST QUI SONT A COLOSSES. – QUE DIEU VOTRE PÈRE ET JÉSUS-CHRIST NOTRE SEIGNEUR VOUS DONNENT LA GRÂCE ET LA PAIX. (CHAP. 1,1 A 3)
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Analyse.
  1. Date de l’épître aux Colossiens et de certaines épîtres de saint Paul.
  2. Explication des versets 4, 5, 6, 7 et 8 du chapitre I.
  3. Des divers genres d’amitié.
  4. La table des pauvres préférable à celle des riches.
  5. Honte et suites fâcheuses qui s’attachent à l’intempérance.
  6. Avantages de l’aumône.

1. Toutes les épîtres de Paul sont édifiantes ; mais celles qui sont datées de sa prison offrent surtout ce caractère : de ce genre sont les épîtres aux Éphésiens, à Philémon, à Timothée et l’épître actuelle : car cette épître aussi a été écrite, quand Paul était dans les fers, comme l’attestent ces mots : « Ce mystère pour lequel je suis dans les liens, afin que je le découvre aux hommes en la manière que je dois le découvrir ». (Col. 4,3-4) Mais cette épître semble postérieure à l’épître aux Romains. L’épître aux Romains a été écrite quand Paul n’avait pas encore vu Rome. Lorsque celle-ci a été écrite, au contraire, Paul avait vu Rome et touchait au terme de sa prédication. Voici la preuve évidente de ce fait dans son épître à Philémon, il dit : « Quoique je sois déjà vieux » (Phm. 1,9), en le priant pour Onésime. Dans cette épître-ci, c’est Onésime lui-même qu’il envoie, comme il le dit lui-même : « J’envoie aussi Onésime, mon cher et fidèle frère ». (Col. 4,9) Il l’appelle son cher et fidèle frère. Il prend aussi un ton plein de fermeté, en disant dans cette épître : « Demeurez inébranlables, dans l’espérance que vous donne l’Évangile que vous avez entendu et qui a été prêché à toutes les créatures qui sont sous le ciel ». Car la prédication durait déjà depuis un certain temps. C’est ce qui me fait croire aussi que cette épître a précédé l’épître à Timothée, qui a été écrite vers l’époque de sa mort, puisqu’il y est dit : « Quant à moi, je suis comme une victime qui a déjà reçu l’aspersion, pour être sacrifiée ». (2Tim. 4,6) Cette épître est plus ancienne que celle qui est adressée aux Philippiens. Elle semble dater des premières années de sa captivité à Rome. Pourquoi donc est-ce que je dis que ces épîtres offrent plus d’intérêt que les autres ? Parce qu’elles datent de sa captivité. Il fait comme ces héros qui prennent la plume, après avoir déposé le glaive, en se reposant sur leurs trophées. Cette captivité, il le savait bien, était sa gloire. « Le fils que j’ai eu quand j’étais dans les liens », écrit-il à Philémon. (Phm. 1,10) Par ces paroles, il nous engage à nous réjouir au sein même de l’adversité et de la détresse, loin de nous laisser abattre.

Philémon était là parmi eux. Car, en lui écrivant, il dit : « Paul à Archippe, le compagnon de nos combats » (Phm. 1,2) ; et dans l’épître aux Colossiens, on trouve ces mots : « Dites à Archippe » (Col. 4,17) ; cet Archippe était probablement chargé de quelque fonction ecclésiastique. Quant à Paul, il n’avait jamais vu ni les Colossiens, ni les Romains, ni les Hébreux, quand il leur écrivait. C’est un fait auquel il fait allusion en plusieurs endroits. Ici notamment écoutez-le : « Pour tous ceux qui ne me connaissent point de visage, et ne m’ont jamais vu » ; et plus bas : « Si je suis absent de corps, je suis néanmoins avec vous en esprit ». (Col. 2,1, 5) Il savait donc que sa présence était partout chose très importante, et même quand il est absent, il veut se faire passer pour présent. Quand il punit le fornicateur, il veut qu’on se figure qu’il assiste à la sentence : « Pour moi », dit-il, « étant absent de corps, mais présent en esprit, j’ai déjà porté, comme présent, ce jugement contre celui qui a fait une telle action » ; et ailleurs : « Je viendrai à vous et je sonderai non pas le langage, mais la vertu de ces hommes qui sont enflés de vanité » (1Co. 5,3 et III, 19) ; et ailleurs : « Non-seulement quand je suis présent parmi vous, mais surtout quand je suis absent ». (Gal. 3,18)

« Paul, apôtre de Jésus-Christ, par la volonté de Dieu ». Il est bon de dire d’abord quel est le sujet de cette épître. Quel est donc ce sujet ? Nous trouvons la réponse dans l’épître elle-même. C’était par l’intermédiaire des anges que les Colossiens voulaient avoir accès auprès de Dieu. Ils avaient encore plusieurs observances ou judaïques ou païennes que saint Paul veut abolir, et c’est pour cela qu’il dit dès le commencement de sa lettre : « Par la volonté de Dieu ». – « Et Timothée, son frère », dit-il. Ce Timothée était donc aussi un apôtre. Il était vraisemblablement connu des Colossiens. « Aux saints qui sont à Colosse », ville de Phrygie, voisine de Laodicée. Et « aux fidèles, frères en Jésus-Christ ». D’où vient, dit-il, je vous le demande, que vous êtes saint ? D’où vous vient ce nom de fidèle ? N’est-ce pas de ce que vous avez été sanctifié par la mort du Christ ? N’est-ce pas de ce que vous croyez au Christ ? Comment êtes-vous devenu notre frère ? Car ce n’est ni par vos œuvres, ni par vos paroles, ni par une conduite pleine de droiture que vous vous êtes montré fidèle. D’où vient, je vous prie, que tant de mystères vous ont été confiés ? N’est-ce pas à cause du Christ ? – « Que Dieu notre Père vous donne la grâce et la paix ! » D’où vous vient la grâce ? D’où vous vient la paix ? « De Dieu notre Père », dit-il. – Il n’a pas dit de Dieu, le Père du Christ. Je dirai à ceux qui poursuivent l’Esprit-Saint de leurs calomnies : D’où vient que Dieu est devenu le Père de ceux qui étaient des esclaves ? Qui a pu opérer ces merveilles ? Qui vous a rendu saint ? Qui vous a rendu fidèle ? Qui a fait de vous un enfant de Dieu ? Celui qui vous a rendu digne de foi, celui-là a été cause que l’on vous a tout confié.

2. Si nous portons le nom de fidèles, ce n’est pas seulement à cause de notre foi, c’est parce que Dieu nous a confié des mystères qui n’ont pas même été connus des anges avant nous. Mais Paul parle ici sans distinguer. « Nous rendons grâces à Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Il a l’air de tout rapporter au Père, pour ne pas les offenser d’abord. « Et nous le prions sans cesse pour vous ». non seulement son action de grâces, mais encore cette oraison perpétuelle montre sa tendresse pour ces hommes qu’il avait toujours devant les yeux sans les avoir vus jamais. « Depuis que nous avons appris quelle est votre foi en Jésus-Christ (4) ». Plus haut il a dit : « Notre-Seigneur » ; ici il dit : « Jésus-Christ ». C’est lui qui est Notre-Seigneur, dit-il ; mais il ne prononce pas le mot « d’esclaves » du Christ ; titre qui est pourtant le symbole de sa bonté pour nous : car c’est lui, dit l’évangéliste, qui délivrera son peuple du péché. (Mat. 1,21) « Depuis que nous avons appris quelle est votre foi en Jésus-Christ et votre charité envers tous les saints ». Il se concilie ses auditeurs et cherche à gagner leur bienveillance. C’est Epaphrodite qui lui a appris ce qu’il dit, et il envoie sa lettre par Tychique, en retenant Epaphrodite auprès de lui. « Et votre charité envers tous les saints ». Non pas envers tel ou tel, mais envers nous aussi. – « Dans l’espérance des biens qui vous sont réservés dans le ciel (5) ». Il est question des biens à venir. C’est un rempart qu’il leur donne contre les tentations, afin qu’ils ne cherchent pas ici-bas le repos et la tranquillité. Il ne fallait pas qu’on pût dire : Et que leur sert leur charité envers les saints, au milieu de leurs angoisses et de leurs douleurs ? Voilà pourquoi il s’écrie : Nous nous réjouissons à la vue des grandes et splendides récompenses que vous vous préparez dans le ciel. « Dans l’espérance des biens qui vous sont réservés », dit-il. C’est une récompense assurée qu’il leur fait entrevoir. « Dont vous avez déjà reçu la connaissance par la parole véritable de l’Évangile (3) ». C’est ici une expression de blâme. Cette parole, ils l’ont observée longtemps et ont fini par la négliger. « Dont vous avez déjà reçu la connaissance par la parole véritable de l’Évangile ». Il rend ici témoignage à la vérité évangélique et il a raison ; car l’Évangile, c’est la vérité pure. – « De l’Évangile ». Il ne dit pas : « De la prédication », mais il appelle l’Évangile en témoignage, leur rappelant sans cesse les bienfaits de Dieu ; il a commencé par leur donner des éloges ; puis il leur remet les bienfaits de Dieu en mémoire.

« Qui subsiste chez vous comme dans le monde entier (6) » : ce sont encore là des paroles flatteuses. « Qui subsiste » est une expression métaphorique. L’Évangile n’est point parvenu jusqu’à eux pour disparaître ; l’Évangile demeure et subsiste parmi eux. Puis, comme rien n’est plus capable d’affermir la croyance que d’avoir beaucoup de gens qui la partagent, il ajoute : « Comme dans le monde entier ». L’Évangile est partout, dit-il, partout il domine et règne. « Dans le monde entier il fructifie et croît, ainsi qu’il a fait parmi vous ». Il fructifie par ses œuvres ; il croît par les prosélytes qu’il fait, par les profondes raisons qu’il jette de tous côtés. Car les plantes aussi deviennent touffues, quand elles deviennent robustes. « Ainsi qu’il a fait parmi vous ». Il s’empare d’abord par la louange de l’âme de ses auditeurs, pour qu’ils ne s’éloignent de lui qu’à regret. « Du jour où vous avez entendu ». Ce qu’il y a d’admirable, c’est la rapidité avec laquelle vous êtes arrivés à la lumière, avec laquelle vous avez cru, avec laquelle vous avez porté des fruits. « Du jour où vous avez connu et entendu la grâce de Dieu, selon la vérité ». Ce n’est point par des discours, par des effets illusoires, c’est par des actes que vous l’avez connu. Voilà ce que signifie le mot : « L’Évangile fructifie ». Vous avez accueilli les signes et les miracles, et vous avez connu la grâce de Dieu. Puisqu’il vous a montré tout d’abord sa puissance, comment feriez-vous pour ne pas croire en lui ? « Comme vous en avez été instruit par notre très cher Epaphras, notre compagnon dans le service de Dieu (7) ». Il est vraisemblable que cet Epaphras avait prêché à Colosses : vous avez appris de lui l’Évangile, dit saint Paul. Puis, pour montrer que c’est là un maître digne de foi, l’apôtre dit : « Qui est un fidèle ministre de Jésus-Christ, pour le bien de vos âmes ».

« Et de qui nous avons appris aussi votre charité toute spirituelle (8) ». Ne doutez pas, dit-il, des biens à venir. Vous voyez que le monde change de face. Qu’est-il besoin de vous dire ce qui se passe chez les nations étrangères ? Sans parler de ces événements, ce qui se passe chez vous est bien digne de foi. « Vous avez connu », dit-il, « la grâce de Dieu par la vérité », c’est-à-dire, par les faits. Il y a donc deux motifs bien propres à raffermir votre espérance des biens à venir : c’est la croyance universelle, c’est votre propre croyance, et les faits sont d’accord avec les paroles d’Epaphras. « Qui est un fidèle » ministre, dit-il, c’est-à-dire, un ministre véridique. « Qui est un fidèle maître, pour le bien de vos âmes », c’est-à-dire, qui est venu à nous et « de qui nous avons appris votre charité toute spirituelle pour nous ». S’il est le ministre du Christ, pourquoi dites-vous que vous êtes amenés et gagnés à Dieu par le ministère des anges ? – « De qui nous avons appris aussi votre charité toute spirituelle pour nous ». Voilà une admirable charité, une charité ferme et stable. Les autres espèces de charité n’en ont que le nom. Il y en a quelques-unes de ce genre. Mais ce n’est pas là de l’amitié. Aussi un semblable attachement est-il loin d’être indissoluble.

3. Qu’ils sont nombreux les liens qui peuvent former l’amitié ! Les liaisons honteuses, nous les passerons sous silence ; car on ne peut pas nier que de semblables liaisons ne soient blâmables. Mais parlons, si vous voulez, de ces liaisons toutes naturelles qui s’offrent dans la vie. En voici quelques-unes : vous avez rendu service à un homme ; cet autre était lié avec votre famille. Cet autre s’est assis à la même table que vous ; c’est votre compagnon de voyage ; c’est votre voisin. Cet autre exerce la même profession que vous : encore cette amitié-là n’est-elle pas bien sincère, puisqu’elle contient un germe de rivalité jalouse. Quant à l’attachement qu’engendre la nature, c’est celui du père pour le fils, du fils pour le père, du frère pour le frère, de l’aïeul pour son petit-fils, de la mère pour ses enfants, de l’épouse pour son mari, si vous voulez. Tous ces genres d’attachement qui dérivent du mariage nous entourent en cette vie terrestre. Ils semblent plus forts que les premiers. Je dis : « Ils semblent », parce qu’ils sont quelquefois moins forts. Que de fois n’a-t-on pas vu des amis plus étroitement et plus franchement unis que des frères, que des fils et des pères entre eux ! Souvent un fils laisse son père sans secours, et le secours vient d’un inconnu. Mais l’amitié spirituelle, c’est la suprême amitié. C’est une reine qui étend son empire sur les siens, une reine brillante. Il n’en est pas de cette amitié comme de l’autre. Ce n’est pas un intérêt terrestre, ce n’est ni l’habitude, ni le bienfait, ni la nature, ni l’or qui l’engendre ; c’est d’en haut ; c’est du ciel qu’elle descend. Quoi d’étonnant, si elle n’a pas besoin du bienfait pour subsister, puisque les mauvais traitements eux-mêmes ne peuvent compromettre son existence ?

Voulez-vous savoir combien cette amitié l’emporte sur l’autre ? Écoutez Paul qui vous dit : « Pour mes frères, je voudrais être une victime soumise à l’anathème par le Christ ». (Rom. 9,10) Quel père voudrait s’exposer à un tel malheur pour son fils ? Écoutez encore cette parole : « Ce qu’il y aurait sans contredit de plus heureux pour moi, ce serait d’être dégagé des liens du corps, pour me réunir au Christ ; mais il est plus utile pour vous que je demeure encore en cette vie ». (Phi. 1,23-24) Quelle mère sacrifierait ainsi ses intérêts ? Écoutez encore l’apôtre : « Nous avons été », dit-il, « pour un peu de temps, séparés de vous de corps, mais non pas de cœur ». (1Th. 2,17) Un père outragé ôte à son fils sa tendresse ; mais le chrétien n’agit pas ainsi ; il va trouver ceux qui l’ont lapidé, pour les combler de bienfaits. Car il n’y a rien, non, il n’y a rien d’aussi fort que le lien spirituel. Celui qui vous est attaché par le bienfait, sera votre ennemi, quand vous cesserez de lui faire du bien. Celui que l’habitude enchaînait à vous, ne sera plus votre ami, quand la chaîne de l’habitude viendra à se rompre. La discorde et les querelles entrent-elles dans le ménage ? Voilà la femme qui laisse là son mari et qui ne l’aime plus. Le fils lui-même ne voit pas sans impatience que la vie de son père se prolonge. Mais, dans l’attachement spirituel, rien de semblable. Il n’a pas les mêmes chances de se rompre, parce qu’il ne repose pas sur les mêmes bases. Ni le temps, ni la longévité, ni les mauvais traitements, ni les médisances, ni le ressentiment, ni les outrages, rien en un mot ne peut l’attaquer ni le dissoudre. Voulez-vous en être convaincus ? Voyez Moïse priant pour ceux qui le lapident. (Exo. 17) Quel père en aurait fait autant pour le fils qui l’aurait lapidé ? Ne l’aurait-il pas, au contraire, accablé à son tour d’une grêle de pierres ? Appliquons-nous donc à serrer les nœuds de cette amitié spirituelle forte et indissoluble, et non les nœuds de cette amitié qui prend naissance au milieu des festins ; car, pour cet attachement vulgaire, il nous est interdit.

Écoutez cette parole évangélique du Christ : « Quand vous donnez un festin, n’invitez ni vos voisins ni vos amis ; invitez les pauvres et les estropiés ». (Luc. 14,12-13) Elle est bien vraie cette parole : elle nous promet, si nous la suivons, une grande récompense. – Mais vous ne vous sentez ni la force ni le courage de faire asseoir à votre table des boiteux et des aveugles. C’est peut-être pour vous une corvée que vous refusez nettement. Vous devriez pourtant ne pas vous y dérober ; mais enfin elle n’est pas nécessaire. Ne les faites point asseoir à votre table, soit ; mais envoyez-leur des mets de votre table. Quand on invite ses amis, on ne fait rien là de bien méritoire, et l’on reçoit ici-bas sa récompense. Mais quand on invite un pauvre et un estropié, c’est Dieu même que l’on a pour débiteur. Affligeons-nous, non de ne pas recevoir ici-bas notre récompense, mais de la recevoir sur cette terre ; car, si nous sommes payés sur cette terre, nous ne serons pas payés là-haut. Si les hommes nous paient, Dieu ne nous paiera pas ; si les hommes ne nous paient pas, c’est Dieu, qui nous paiera. Ne cherchez donc pas à faire du bien à ceux qui peuvent nous le rendre ; que nos bienfaits ne soient pas intéressés ; car ce serait là un froid calcul. Si vous invitez un ami, il vous en est reconnaissant jusqu’au soir, et cette amitié éphémère se fond avant l’argent du festin. Mais invitez un pauvre et un estropié, vous vous acquérez des droits à une reconnaissance éternelle, car c’est Dieu qui se souvient toujours, c’est Dieu qui n’oublie jamais qui devient votre débiteur. Quelle est, je vous le demande, cette petitesse, quelle est cette faiblesse de ne pouvoir s’asseoir, avec les pauvres, à la table du festin ? C’est, dites-vous, un convive malpropre et dégoûtant. Mettez-le dans un bain avant de le conduire à table. Mais il a des vêtements grossiers. Faites-lui-en changer et habillez-le proprement.

4. Ne voyez-vous pas ce que ce festin peut vous rapporter ? C’est le Christ en personne qui vient s’asseoir à votre table, et, quand il s’agit du Christ, vous usez de parcimonie ? C’est un roi que vous invitez et vous craignez ? Faites dresser deux tables : l’une pour cette foule d’aveugles, d’estropiés, de boiteux, d’hommes aux membres mutilés, qui s’en vont pieds nus et sans chaussures, avec une tunique usée ; l’autre pour les puissants, pour les généraux, pour les gouverneurs, pour les grands et pour les princes qui ont des habits précieux, de fins tissus de lin, avec des ceintures d’or. Sur la table des pauvres, point d’argenterie, peu de vin, juste ce qu’il en faut pour égayer le repas, des coupes et des vases en verre uni. Sur la table des riches au contraire, que toute la vaisselle soit d’or et d’argent ; qu’un homme ne suffise pas pour apporter cette table demi-circulaire ; que deux jeunes serviteurs aient de la peine à la faire mouvoir ; qu’il y ait une fiole d’or du poids d’un demi-talent, assez lourde pour que deux robustes esclaves puissent à peine la remuer ; rangez ces amphores avec symétrie, et que ces amphores soient en argent ou mieux d’un or massif fait pour éblouir les yeux ; que la table demi circulaire soit entourée de toutes parts de coussins et de tapis moelleux. Qu’il y ait là une foule de serviteurs empressés revêtus aussi d’ornements et d’habits splendides avec d’amples hauts-de-chausses. Qu’ils soient beaux ; que la fleur de la jeunesse brille sur leurs visages, qu’ils soient propres et d’un extérieur avenant.
Qu’à la table des pauvres au contraire, il n’y ait que deux serviteurs foulant aux pieds tout ce faste. Pour les riches, un service élégant et somptueux ; pour les pauvres, juste ce qu’il faut pour apaiser la faim et entretenir la gaieté. Est-ce bien tout ? Les deux tables sont-elles mises et dressées comme il faut ? manque-t-il quelque chose ? Je ne le crois pas ; j’ai passé en revue les invités, je me suis arrêté sur le luxe et la magnificence de la vaisselle, des tapisseries et des mets. Si nous avons omis quelques détails, nous les trouverons en continuant. Eh bien ! maintenant que les deux tables ont été mises et dressées comme il faut, à laquelle vous assiérez-vous, je vous le demande ? Quant à nous, c’est vers la table des aveugles et des boiteux que je me dirige : plusieurs d’entre vous choisiront peut-être la table des généraux, cette table où règne une gaieté brillante. Voyons quelle est celle de ces deux tables où l’on est mieux. Ne nous plaçons pas encore au point de vue de l’avenir. Sous ce rapport, la table des pauvres, la table de mon choix, est supérieure à l’autre. Pourquoi ? C’est qu’on y trouve le Christ, tandis qu’à l’autre il n’y a que des hommes : l’une est la table du maître, l’autre est celle des esclaves. Mais ce n’est point encore ce dont il s’agit ; voyons quelle est celle où l’on est le mieux, pour le moment. D’abord on est mieux à celle des pauvres, en ce sens qu’il vaut mieux manger à la table du roi qu’à celle des serviteurs. Mais omettons encore ce détail et examinons la chose elle-même. Moi et les autres qui avons choisi cette table, nous allons nous entretenir en toute liberté, tout à loisir et tout à notre aise. Quant à vous, convives de l’autre table, tremblants et craintifs, de peur de déplaire à vos commensaux, vous n’oserez pas même étendre la main, comme si vous étiez à l’école et non dans un festin, comme si vous étiez des enfants en présence d’un maître terrible.
À notre table, il n’en est pas ainsi. Mais, me direz-vous, l’honneur est ici pour beaucoup. Eh bien ! je me trouve plus honoré que vous. Vous qui partagez ce festin de princes, vos propos serviles font encore ressortir votre bassesse. Car la condition de l’esclave ne se trahit jamais mieux que lorsqu’il est assis à côté de son maître. C’est alors qu’il n’est point à sa place ; plus rabaissé qu’honoré par cette condescendance que l’on a pour lui, c’est alors surtout qu’il semble petit et abject. L’esclave, le pauvre peut avoir sa dignité ; mais il ne l’a plus quand il marche à côté de son maître. La bassesse, près de la grandeur, est toujours bassesse ; et le contraste, loin de l’élever, le rabaisse encore. Ainsi, vous qui êtes assis à la table des grands, le rang élevé de vos commensaux vous rend encore plus humbles et plus abjects ; mais il n’en est pas ainsi de nous. Nous avons sur vous le double avantage de l’honneur, et de la liberté, double avantage incomparable aux yeux d’un convive qui veut avoir ses aises. Car je préfère le pain de la liberté aux innombrables mets de la servitude, et, comme dit le livre des Proverbes (Prov. 15, 17) « mieux vaut manger des légumes à la table de la charité que de manger un veau gras à la table de la haine ». Quoi que disent ces grands auprès desquels vous êtes assis, vous êtes, sous peine de les choquer, obligés de leur accorder vos éloges, en vous conduisant comme des parasites, plus mal encore que des parasites. Les pauvres ont beau être méprisés, ils ont leur franc parler cependant : vous autres, vous ne l’avez même pas. Tel est l’état de bassesse et d’abjection où vous êtes : vous avez peur, vous tremblez, et vos commensaux ne daignent pas faire attention à vous. Le plaisir est donc banni de cette table des grands ; tandis qu’à l’autre ce n’est que contentement et joie.
5. Mais examinons le repas en lui-même. À la table des grands, il faut, bon gré mal gré, boire avec excès ; à la table des pauvres, on peut, si l’on veut, s’abstenir de boire et de manger. À la première de ces tables le plaisir que fait naître la sensualité est donc banni d’abord par la gêne, puis par le malaise qui suit la satiété. La plénitude est aussi funeste et aussi douloureuse que la faim. Que dis-je ? Elle est plus funeste encore. Qu’on me livre un homme, j’en viendrai plutôt à bout par les excès que par la faim. C’est qu’en réalité la faim est plus facile à supporter. Tel est capable de résister à la faim, durant vingt jours, qui ne résistera pas à deux jours d’excès. Ces paysans toujours en butte avec la faim sont bien portants et n’ont pas besoin des secours de la médecine ; mais ceux qui vivent dans l’orgie, n’y résistent qu’à force de remèdes, encore la débauche, devenue tyrannique, rend-elle souvent inutile l’art du médecin. Sous le rapport du plaisir qu’on y trouve, la seconde table a donc l’avantage sur la première. Car si l’honneur vaut mieux que la honte, la liberté que la dépendance, l’assurance que la crainte et l’effroi, la frugalité que l’intempérance qui se noie dans les délices, la seconde table, même au point de vue purement sensuel, vaut mieux que l’autre. Sous le rapport de la dépense, elle a encore l’avantage : elle est peu coûteuse, tandis que l’autre engloutit des sommes immenses.
Mais quoi ? n’est-ce qu’aux convives, n’est-ce pas aussi à l’amphitryon que cette table est plus agréable que l’autre ? Celui qui invite les grands s’y prend plusieurs jours à l’avance pour faire ses préparatifs ; il se donne nécessairement beaucoup de mal, beaucoup de peine, beaucoup de tracas ; il ne dort ni jour ni nuit ; il se met l’imagination à la torture ; il entre en pourparler avec les cuisiniers, avec les pourvoyeurs, avec ceux qui dressent la table. Quand le grand jour arrive, regardez-le bien : le voilà plus inquiet qu’un athlète qui va disputer le prix du pugilat. Il craint les accidents, les jaloux, les mauvaises langues. L’amphitryon des pauvres, au contraire, est libre de tout soin et de tout tracas ; il met lui-même la table ; il ne s’inquiète pas plusieurs jours d’avance. Et puis les grands ne savent pas longtemps gré à celui qui les invite, tandis que celui qui traite les pauvres est le créancier de Dieu ; il est plein d’espérance, et chaque jour il savoure la joie de ce festin. Le gré qu’on lui sait ne disparaît pas comme les mets. Il est plus heureux chaque jour que celui qui s’est gorgé de vin. Le meilleur aliment de l’âme en effet, c’est l’espoir, c’est l’attente du bonheur. Mais voyons la suite.
Au festin des grands, les cithares, les flûtes, les instruments de toute sorte font entendre leurs accords. Au festin du pauvre point de bruits discordants ; des hymnes et des psaumes s’élèvent dans les airs. Là ce sont des chants en l’honneur du démon ; ici c’est Dieu notre souverain maître que l’on bénit. Ici quelles actions de grâces ! Là quelle ingratitude ! quelle légèreté ! quel abrutissement ! Comment ! c’est Dieu qui vous nourrit, et, au lieu de le remercier de la nourriture qu’il vous donne, c’est le démon que vous invoquez ! Car tous vos concerts ne sont que des hymnes au démon. Quoi ! au lieu de dire : Vous êtes béni, ô mon Dieu, parce que vous m’avez nourri de vos biens, vous perdez le souvenir de ces biens comme un chien sans pudeur, et c’est le démon que vous invoquez ! Mais que dis-je ? Les chiens, qu’on leur donne ou non quelque chose, caressent les gens de la maison ; mais vous, ce n’est pas là ce que vous faites. Le chien caresse son maître, lors même que son maître ne lui donne rien, et vous aboyez, vous, contre la main qui vous nourrit. Le chien, quand une personne qui lui est antipathique, lui fait du bien, ne cesse pas, pour cela, d’être son ennemi et ne s’attache pas à elle. Et vous, à qui le démon a fait tant de mal, vous le faites figurer dans vos festins. Vous valez donc deux fois moins qu’un chien.
J’ai bien fait de citer l’exemple du chien à ces hommes dont la reconnaissance est toujours intéressée. Oui, rendez hommage aux chiens qui, même affamés, caressent leurs maîtres ; vous, si vous entendez dire que le démon a rendu quelques services à un homme, vous abandonnez aussitôt votre maître, ô serviteur plus déraisonnable qu’un chien ! Mais les courtisanes, dites-vous, font plaisir à voir. Le beau plaisir ! Dites plutôt qu’elles font honte à voir. Votre maison est devenue un mauvais lieu, un lieu d’orgies et de folies ; ne rougissez-vous pas de trouver du plaisir là-dedans ? Si vous goûtez ce plaisir en son entier, la honte et le dégoût qui en résultent n’en sont que plus grands. Comment n’en serait-il pas ainsi, lorsque vous faites de votre maison un antre de débauches où l’on se vautre dans la fange, à l’exemple des pourceaux ? Si l’on ne va pas jusque-là, on souffre davantage. Car la vue de ces courtisanes ne suffit pas ; elle ne fait qu’enflammer les désirs. Voulez-vous savoir à quoi tout cela aboutit ? Quand ces gens-là sortent de table, ils sont sans pudeur, ils sont irascibles, ils sont même pour les valets un objet de risée. Les serviteurs ont leur sang-froid ; les maîtres sont ivres. Quelle honte ! Mais parmi les pauvres, il ne se passe rien de pareil. Ils rentrent chez eux, après avoir terminé le repas par une action de grâces rendues au Seigneur ; ils sont joyeux quand ils se couchent, joyeux quand ils se lèvent ; ils n’ont pas à rougir ; ils n’ont aucun reproche à se faire.
6. Examinez maintenant ces illustres invités, vous verrez qu’ils sont au dedans ce que les autres sont au-dehors, c’est-à-dire aveugles, estropiés, boiteux. L’hydropisie et la fièvre attaquent le corps chez les autres ; chez eux elle attaque l’âme. Tel est en effet l’orgueil ; après le plaisir, l’âme est mutilée. Voilà ce que c’est que la satiété et l’ivresse ; l’âme ne sort de là qu’estropiée et boiteuse. Les pauvres, au contraire, sont au moral ce que les grands sont au physique. Leur âme est belle et parée. Car, lorsqu’on vit en rendant grâces au Seigneur, quand on ne demande que le nécessaire, quand on possède cette haute raison, voilà le bonheur dans tout son éclat ! Mais voyons comment tout cela se termine. Là règnent l’intempérance, le rire immodéré, l’ivresse, la bouffonnerie, l’obscénité dans les propos ; la présence des courtisanes bannit des entretiens toute pudeur. Ici règnent la douceur et la bienveillance. Celui qui invite les grands est cuirassé d’orgueil ; celui qui invite les pauvres n’écoute que l’humanité et son bon cœur. C’est l’humanité qui dresse cette table ; cette autre a été préparée par la vanité, par la dureté du cœur, fille de l’injustice et de la cupidité. Et cette vaine gloire, je le répète, aboutit à l’arrogance, à l’abrutissement, à la folie, fruits de la vaine gloire, tandis que l’humanité mène à remercier et à glorifier Dieu. Celui qui traite les pauvres reçoit ici-bas plus d’éloges ; tandis que l’autre est un objet d’envie, et est regardé comme le père commun des pauvres même que ses bienfaits n’ont pas atteints. Les victimes de l’injustice trouvent parmi ceux même que l’injustice a épargnés des êtres compatissants qui font cause commune avec eux contre l’homme injuste. De même ceux qui ont rencontré une main bienfaisante trouvent dans ceux-là même qui n’ont pas reçu de bienfaits des gens tout prêts à louer, à admirer avec eux le bienfaiteur. L’amphitryon des grands est exposé à tous les traits de l’envie ; l’amphitryon des pauvres voit tout le monde s’intéresser à lui, entend le concert des vœux que l’on fait pour lui.
Voilà ce qui se passe ici-bas ! Et là-haut, quand viendra le Christ, le bienfaiteur du pauvre comparaîtra devant lui avec assurance, et, devant l’univers entier, le Christ lui dira : « J’avais faim, et vous m’avez nourri ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli » (Mt. 25,35) ; et autres choses pareilles. À l’autre, au contraire, il dira : « Esclave méchant et paresseux » ; et puis : « Malheur à ceux qui s’étendent avec délices sur leurs couches moelleuses ; qui dorment dans des lits d’ivoire, qui boivent des vins délicats ! » (Amo. 6,4) Malheur à ceux qui, s’inondant de parfums exquis, croient à la durée de ces plaisirs éphémères ! J’avais mon but en vous tenant un pareil langage. J’ai voulu changer vos cœurs. J’ai voulu vous engager à chercher en tout votre intérêt véritable. Mais, me direz-vous, si je fais les deux ; si j’invite les grands et les pauvres ! Voilà les mots qui sont dans toutes les bouches ! Mais dites-moi : pourquoi donc, au lieu de diriger toutes vos actions vers un but d’utilité, les diviser ainsi ; pourquoi vous jeter d’un côté dans des dépenses inutiles, quand de l’autre vous dépensez utilement votre avoir ? Si, tout en semant, vous jetiez votre grain en partie sur la pierre, en partie sur un bon terrain, seriez-vous content et me diriez-vous : Qu’est-ce que cela fait si je sème à la fois au hasard et sur une bonne terre ? Pourquoi en effet ne pas jeter tout ce grain sur une bonne terre ; pourquoi diminuer ainsi votre profit ? Quand il s’agira d’amasser des richesses, vous raisonnerez, vous en amasserez de tous côtés. Et ici, pourquoi ne raisonnez-vous pas ? Et, s’il faut placer votre argent à intérêt, vous ne direz pas : Pourquoi ne pas placer « telle somme chez les riches, telle autre chez les pauvres ? » Vous placerez le tout le mieux possible. Ici donc, et quand il s’agit d’intérêts aussi grands, pourquoi êtes-vous moins sage ; pourquoi ne pas faire trêve aux folles dépenses, aux profusions inutiles ?
Mais ces dépenses que vous blâmez me profitent aussi. – Comment cela ? Elle me font des amis. Tristes amis que ceux qui le deviennent de cette manière ! Tristes amis que ces parasites qui hantent votre table, pour s’y gorger de vos mets ! Est-il rien de plus fade qu’une amitié qui jaillit d’une semblable source ! Ah ! ne faites pas une telle injure à un sentiment aussi admirable que la charité. Ne la faites pas sortir d’une racine aussi impure. – C’est comme si vous donniez à un arbre chargé de fruits, d’or et de diamants, non pas une racine aussi précieuse que ses fruits, mais une racine putréfiée. Oui, vous faites ici de même ; car si l’amitié s’engendrait ainsi, il n’y aurait rien de plus froid que l’amitié. Mais ces repas, ceux dont je parle, nous gagnent le cœur non pas des hommes, mais de Dieu, et, quand ils sont toujours les mêmes, c’est toujours le même ami qu’ils nous conservent. Semer son argent de côté et d’autre, c’est peut-être dépenser beaucoup, mais ce n’est rien faire qui vaille ; dépenser tout son avoir, comme je l’entends, c’est peut-être dépenser peu, mais, devant Dieu, c’est tout. Que l’on donne peu ou beaucoup, la question n’est pas là ; il s’agit de donner, selon ses moyens. Pensons à ces hommes dont l’un gagna cinq talents et l’autre deux ; pensons à la femme qui donna ses deux oboles ; pensons à la veuve du temps d’Élie. La femme aux deux oboles n’a pas dit : Qu’importe que je garde une obole, puisque j’en ai donné une ; elle a sacrifié tout son avoir. Et vous, avec toutes vos richesses, vous voilà plus parcimonieux que cette femme ! Ah ! songeons bien à notre salut et faisons l’aumône. Nous ne pouvons rien faire de mieux ; nous ne pouvons rien faire qui nous soit plus profitable. C’est ce que nous prouvera l’avenir, et déjà le présent nous le prouve. Vivons donc pour la gloire de Dieu, et faisons ce qui lui plaît, pour nous montrer dignes des biens qu’il nous a promis. Puissions-nous les obtenir par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel gloire, puissance et honneur, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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HOMÉLIE II.

C’EST POURQUOI, DEPUIS QUE NOUS AVONS SU CES CHOSES, NOUS NE CESSONS DE PRIER POUR VOUS, ET DE DEMANDER À DIEU QU’IL VOUS REMPLISSE DE LA CONNAISSANCE DE SA VOLONTÉ, EN VOUS DONNANT TOUTE LA SAGESSE ET TOUTE L’INTELLIGENCE SPIRITUELLE, AFIN QUE VOUS MARCHIEZ DANS LES VOIES DE DIEU D’UNE MANIÈRE DIGNE DE LUI, TÂCHANT DE LUI PLAIRE EN TOUT, PORTANT LES FRUITS DE TOUTES SORTES DE BONNES ŒUVRES ET CROISSANT EN LA CONNAISSANCE DE DIEU. (I, 9, 10)
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Analyse.
  1. Explication du chapitre I, versets 1 et 2. Paul commence presque toujours par louer ses auditeurs.
  2. Explication des versets 9, 10, 11 et 12. Dieu nous fait participer et nous rend dignes de participer à l’héritage des saints.
  3. Explication des versets 13, 14, 15. Dieu nous a arrachés à la tyrannie du démon. – Par une rédemption complète, le Christ nous a frayé le chemin de son royaume. – Titres du Christ.
  4. Grandeur des bienfaits de Dieu. – La vie de ce monde n’est qu’un mal. – Sources de l’incrédulité, la mollesse et la lâcheté.
  5. Le chrétien incrédule est pire et fait plus de mal que le païen.
  6. C’est pour s’étourdir lui-même, c’est pour faire taire sa conscience que l’incrédule repousse le dogme du jugement dernier et le dogme de la résurrection. Le fatalisme est une doctrine injuste, inhumaine et cruelle.

1. « C’est pourquoi », c’est-à-dire parce que nous avons connu votre foi et votre charité. Les espérances que nous avons conçues alors nous ont encouragé à demander encore à Dieu pour vous sa protection dans l’avenir. Dans les luttes on s’applique à exhorter les athlètes qui vont saisir la victoire. Ainsi fait Paul : il s’adresse à ceux qui ont le mieux réussi. « Du jour où nous avons appris ces choses », dit-il, « nous ne cessons de prier pour vous ». Oui, nous prions pour vous et ce n’est pas depuis un jour, ce n’est pas depuis deux ou trois jours. Il leur montre ici sa charité pour eux, et il leur fait entendre aussi qu’ils ne sont pas encore arrivés au but. C’est le sens de ce mot « qu’il vous remplisse ». Voyez ici sa prudence. Il ne dit jamais que tout leur manque ; il dit partout qu’il leur manque quelque chose encore. C’est le sens de l’expression « qu’il vous remplisse ». Puis il dit : « Tâchant de lui plaire en tout », par toutes sortes de bonnes œuvres ; puis encore : « Étant rempli de force en tout », et plus bas : Pour avoir, « en toutes rencontres, une patience et une douceur persévérante ». Ce mot « en toutes rencontres » est d’un homme qui rend justice à leurs progrès, sans proclamer encore leurs perfections. « Qu’il vous remplisse ». Il ne dit pas : Qu’il vous donne ; car cette connaissance leur a déjà été donnée. Il dit : « Qu’il vous remplisse », c’est-à-dire, qu’il perfectionne cette connaissance. Il y a ici une réprimande légère et un éloge qui, n’étant pas complet, ne les engage pas à se négliger. Mais comment seront-ils « remplis de la connaissance de la volonté de Dieu ? » Ils seront conduits à cette connaissance par le Fils de Dieu et non par les anges. Vous le savez, leur dit-il, il faut que vous y soyez conduits : il vous reste maintenant à apprendre pourquoi Dieu vous a envoyé son Fils. Si notre salut devait s’opérer par le moyen des anges, Dieu n’aurait pas envoyé, n’aurait pas livré son Fils. « En vous donnant », dit-il, « toute la sagesse et toute l’intelligence spirituelle ». Comme ils se laissaient abuser par les philosophes, il veut qu’ils acquièrent la sagesse spirituelle et non la sagesse humaine. Or, si pour connaître la volonté de Dieu, il faut avoir la sagesse spirituelle, pour connaître son essence, il faut de constantes prières. Et il leur fait voir ici depuis combien de temps il prie pour eux sans relâche. Tel est le sens de ces mots « du jour où nous avons appris ». Ces mots sont aussi la condamnation de ceux que cette longue prière n’aurait pas rendus meilleurs. « De demander à Dieu » et de demander avec un zèle ardent. Nous avons beaucoup prié, dit-il, et vous avez déjà connu quelque chose ; mais vous avez encore besoin d’en connaître beaucoup d’autres.
« Afin que vous marchiez dans les voies de Dieu, d’une manière digne de lui ». Il est ici question de la manière dont il faut vivre et agir, et c’est là un point sur lequel l’apôtre insiste toujours. Il ne sépare jamais la foi de la bonne conduite. « Tâchant de lui plaire en tout ». Cette expression est expliquée par la suivante : « Portant les fruits de toutes sortes de bonnes œuvres, et grandissant dans la connaissance de Dieu ». Si Dieu s’est révélé tout entier à vous, si vous avez reçu de lui cette connaissance sublime, montrez que votre conduite est à la hauteur de votre foi. Car cette foi nouvelle impose à ses adeptes un plan de vie magnanime, plus magnanime encore que l’ancienne loi. Quand on connaît Dieu, quand on a été trouvé digne d’être le serviteur, que dis-je ? le fils de Dieu, quelle vertu ne faut-il pas avoir ? « Que vous soyez en tout remplis de force ». Il veut ici parler des épreuves et des persécutions. Nous prions Dieu, dit-il, que vous vous sentiez plein de force, pour que vous ne tombiez pas dans l’abattement et le désespoir. « Par la puissance de sa gloire », c’est-à-dire, pour que vous ayez une ardeur proportionnée à l’éclat de sa gloire. « Pour avoir, en toutes rencontres, une patience et une douceur persévérante ». Ce qu’il dit là revient à ceci : Nous prions Dieu, en un mot, qu’il vous fasse la grâce de mener une vie vertueuse, une vie digne de votre plan de conduite, qu’il vous fasse la grâce de rester fermes, comme des athlètes qui puisent leurs forces dans le ciel. Il ne parle pas encore de leurs croyances ; il ne s’occupe que de leur vie où il ne trouve rien à reprendre, et après leur avoir donné la part d’éloges à laquelle ils ont droit, il en vient à les accuser. C’est la méthode qu’il suit toujours dans ses épîtres. A-t-il à reprendre ou à louer, il commence par l’éloge et finit par l’accusation. Il se concilie et gagne d’abord son auditeur ; il ôte à ses accusations tout caractère passionné, et montre qu’il voudrait toujours donner des éloges, mais que la nécessité lui dicte un autre langage. C’est ce qu’il fait dans sa première épître aux Corinthiens. (1Cor. 5) Après les avoir loués beaucoup de leur affection pour lui, il s’en prend à un fornicateur, et il en vient à les accuser. Dans l’épître aux Galates (Gal. 1), il suit une marche toute contraire. Mais que dis-je ? À bien examiner les choses, il fait sortir une accusation d’un éloge. Ne pouvant parler de leur bonne conduite, ayant à intenter contre eux une grave accusation, ayant affaire à des auditeurs corrompus qui pouvaient supporter les reproches, parce qu’ils étaient endurcis, il commence par les accuser en disant : « Je m’étonne » (Id. 6) ; c’est là un mot d’éloge. Plus bas il loue non leur conduite actuelle, mais leur conduite d’autrefois, en ces termes : « Vous étiez prêts, s’il eût été possible, à vous arracher les yeux, pour me les donner ». (Id. 4,15)
« Portant des fruits ». Il parle ici de leurs œuvres. « Remplis de force » pour résister aux épreuves, « pour avoir, en toutes rencontres, la patience et la longanimité ». Entre eux, ils doivent faire preuve de longanimité ou de douceur ; à l’égard des étrangers ils doivent faire preuve de patience. On fait preuve de longanimité ou de douceur envers ceux dont on pourrait se venger ; on fait preuve de patience à l’égard de ceux dont on ne peut se venger. Aussi ne dit-on jamais : « La patience » de Dieu, tandis qu’il est souvent question de sa longanimité ou de sa douceur, comme dans ce passage de saint Paul lui-même : « Méprisez-vous donc les trésors de sa bonté, de sa tolérance et de sa longanimité ? » (Rom. 2,4) – « En toutes rencontres ». Il ne s’agit pas d’avoir de la patience aujourd’hui seulement, et de ne plus en avoir ensuite. « Que Dieu vous donne toute la sagesse et toute l’intelligence spirituelle ». Autrement comment connaître sa volonté ? Cette volonté, ils croyaient la connaître ; mais leur sagesse n’était pas une sagesse spirituelle. « Afin que vous marchiez dans la vie d’une manière digne de Dieu ». Voilà en effet la meilleure ligne de conduite à suivre ! Voilà ce qui s’appelle le droit chemin. Quand on sera bien pénétré de la bonté de Dieu (et on en sera pénétré, en voyant qu’il nous livre son Fils), on aura plus d’ardeur pour le servir. D’ailleurs, nous ne nous bornons pas à demander pour vous la science ; nous demandons que votre conduite témoigne de vos lumières ; car celui qui sait et qui ne pratique pas, mérite toujours d’être puni. « Afin que vous marchiez dans la vie », dit-il. C’est-à-dire, telle est la ligne que vous devez suivre constamment et toujours. Il nous est aussi nécessaire de suivre le droit chemin de la vie que de marcher. Il appelle toujours la vie un chemin, un voyage, et avec raison. Il nous prouve que c’est là le plan de vie que nous devons nous proposer ; il n’a rien de commun avec la vie mondaine. C’est un grand mérite que cette vie selon Dieu. « Afin que vous marchiez dans la vie d’une manière digne de Dieu, et de bonnes œuvres en bonnes œuvres ». Afin que vous marchiez sans vous arrêter. Puis, en se servant d’une expression métaphorique, il ajoute : « Portant les fruits de la vertu, et grandissant dans la connaissance de Dieu ; afin que, grâce à la puissance de Dieu », vous deveniez forts, autant que l’homme peut être fort. « Par la puissance de Dieu ». Voilà une parole bien consolante ! Il n’a pas dit : La vertu, le pouvoir, mais la puissance » ; cette expression a plus de grandeur. « Par la puissance », dit-il, c’est-à-dire par la domination « de sa gloire » ; car sa gloire est partout toute-puissante. Il vous a consolés en vous disant qu’après avoir marché dans le déshonneur et dans l’opprobre, vous avez suivi ensuite une marche digne du Seigneur. Il s’agit ici du Fils de Dieu, souverain maître de la terre et du ciel, du Fils de Dieu dont la gloire règne dans tout l’univers. Il ne s’est pas borné à dire : Soyez forts ; il a dit : Soyez forts autant que doivent l’être les serviteurs d’un maître aussi fort. « En la connaissance de Dieu ». Il insiste sur cette connaissance ; car l’erreur consiste à ne pas connaître Dieu, comme il faut. Afin que vous croissiez, dit-il, dans la connaissance de Dieu. Quand on ne connaît pas le Fils, on ne connaît pas le Père non plus. Il faut donc apprendre à connaître Dieu ; car sans cela, de quoi sert la vie ?
« Pour avoir, en toutes rencontres, la patience et la longanimité, accompagnées de la joie. Rendant grâces à Dieu ». Puis, pour les exhorter, il ne rappelle pas ces biens encore cachés à leurs yeux, auxquels il a fait cependant allusion d’abord en ces termes : « À cause de vos espérances qui reposent dans le ciel » ; il leur rappelle ce qui s’est déjà passé. Car c’est sur le passé que repose l’avenir. Il suit cette méthode en plusieurs endroits. Car le récit de ce qui a eu lieu fait croire aux paroles de l’orateur, et éveille l’attention de l’auditoire. « Rendant grâces à Dieu avec joie », dit-il. C’est là une conséquence de ce qu’il a déjà dit : Nous ne cessons de prier pour vous, et de rendre grâces à Dieu de ce qu’il a fait pour vous. Vous voyez comme il en vient à parler du Fils de Dieu. Si nous rendons grâces à Dieu, avec tant de joie, c’est que ses bienfaits dont nous parlons sont grands. Il y a bien des motifs pour rendre grâces. On rend grâces, parce que l’on était dans la crainte. On rend grâces, même quand on est affligé. Voyez Job rendant grâces à Dieu au sein même de la douleur. Entendez-le, quand il dit : « Dieu m’a donné, Dieu m’a ôté ». (Job. 1,21) N’allez pas dire qu’il était insensible à ses malheurs et qu’il n’était pas dans l’affliction ; vous ôteriez à ce juste ce qui fait son plus grand éloge. Mais, ce n’est point ici par crainte, ce n’est point seulement parce que Dieu est notre maître, c’est tout naturellement que « nous rendons grâces à celui qui nous a rendus dignes d’avoir notre part dans cet héritage de lumière échu aux saints ». Ce sont là de grands bienfaits. Non-seulement Dieu nous a donné, mais il nous a rendus dignes de recevoir. Pesez ces paroles : « Celui qui nous a rendus dignes ». Un homme, même de la plus basse extraction, devenant roi, peut donner à qui bon lui semble un rang élevé ; mais rendre son favori capable de bien remplir sa charge, voilà ce qu’il ne peut faire ; car l’élévation du favori le rend quelquefois ridicule. Ah ! si le souverain nous donne en même temps la dignité, la capacité, l’aptitude, voilà des honneurs véritables ! C’est ainsi que Dieu agit, dit l’apôtre. non-seulement il nous donne le plus honorable héritage, mais il nous rend dignes de l’accepter.
3. Il y a donc ici un double honneur Dieu nous a donné ; Dieu nous a rendus dignes de recevoir le don. L’apôtre n’a pas dit seulement. « Qui nous a donné » ; il a dit : Qui nous a rendus aptes et propres à « prendre notre part dans l’héritage de lumière, échu aux saints ». Cela veut dire qu’il nous a mis au rang des saints. Mais ce n’est pas tout ; cela veut dire aussi qu’il nous a fait jouir des mêmes biens qu’eux. Car la part de l’héritage, c’est ce que chacun des cohéritiers reçoit. Il peut arriver en effet qu’on fasse partie de la même cité, sans jouir des mêmes avantages. Mais avoir la même part et ne pas jouir des mêmes biens, voilà qui est impossible. Il peut arriver encore qu’on ait à partager un même lot, mais que ce même lot ne soit pas également partagé. Exemple : nous sommes tous copartageants d’un même héritage ; mais la part de chacun de nous n’est pas la même. Mais ce n’est pas là ce que dit l’apôtre. Nous avons, dit-il, la même part au même héritage. Pourquoi ces mots de lot et d’héritage ? C’est pour montrer que nul homme ne doit à ses bonnes actions et à sa justice le royaume des cieux. Cet héritage est, pour ainsi dire, une bonne aubaine qui nous arrive. Nul homme, en effet, n’arrange assez bien sa vie pour être trouvé digne du royaume des cieux ; cet héritage est un pur bienfait de Dieu. C’est pourquoi il est dit : « Quand vous aurez fait tout ce qu’il faut » ; dites : « Nous sommes des serviteurs inutiles ; car nous n’avons fait que ce que nous devions faire ». (Lc. 17,10)
« Notre part dans l’héritage de lumière échu aux saints » ; c’est-à-dire « dans la connaissance de Dieu ». Il parle là, ce me semble, du présent et de l’avenir. Puis il nous montre le prix du don que l’on a daigné nous faire. Ce qu’il y a d’étonnant, en effet, ce n’est pas seulement qu’on nous ait jugés dignes d’un royaume ; il faut encore penser à ce que nous étions, car cela fait beaucoup. « C’est à peine, en effet, si quelqu’un voudrait mourir pour un juste ; peut-être néanmoins quelqu’un aurait-il le courage de mourir pour un homme de bien ». (Rom. 5,7)
« Qui nous a arrachés à la puissance des ténèbres », dit l’apôtre. Tous ces bienfaits, c’est à Dieu que nous les devons ; car le bien ne vient jamais de nous. « À la puissance des ténèbres », dit-il, c’est-à-dire à l’erreur, à la tyrannie du démon. Il n’a pas dit seulement : Aux ténèbres ; mais : À leur puissance. C’est que le démon avait sur nous un grand pouvoir, un pouvoir tyrannique. C’est un grand malheur déjà que d’être soumis à l’influence du démon ; mais c’est un malheur plus grand encore que d’être soumis à sa puissance. « Et nous a fait passer », ajoute l’apôtre, dans le royaume de son Fils bien-aimé ». Il ne suffit pas à Dieu de montrer sa tendresse pour nous, en nous délivrant des ténèbres. C’était déjà beaucoup ; mais nous introduire dans son royaume est bien plus encore. Voyez comme il a su multiplier ses dons. Nous étions dans l’abîme ; il nous en a délivrés, et non content de nous en délivrer, il nous a fait passer dans son royaume.
« Qui nous a arrachés ». Il ne dit pas : « Qui nous a soustraits » ; mais : « Qui nous a arrachés », pour montrer toute la grandeur de notre affliction et de notre misère, et toute la pesanteur de ces chaînes. Puis, pour faire voir combien tout est facile à la puissance de Dieu, il dit : « Il nous a fait passer » dans le royaume, comme on fait passer des soldats d’un lieu dans un autre. Il n’a pas dit : Il nous a « conduits », il nous a « placés », car alors nous n’y serions pour rien. Il « nous a fait passer », dit-il, ce qui montre que l’homme aussi y a mis du sien. « Dans le royaume de son Fils bien-aimé ». Il n’a pas dit : Dans le royaume des cieux ; il a donné plus d’éclat et de poids à son expression, en disant : « Dans le royaume de son Fils ». Quoi de plus flatteur pour l’homme ? Ailleurs, du reste, il dit aussi : « Si nous persévérons, nous régnerons avec lui ». (2Tim. 2,12). Il a daigné nous faire le même honneur qu’à son Fils. Et l’apôtre ne se contente pas de dire : « De son Fils » ; il dit : « De son Fils bien-aimé ». À cette épithète il joint les titres naturels de ce Fils : « Qui est l’image du Dieu invisible ». Mais il n’aborde pas tout aussitôt ce chapitre. Il parle d’abord du grand bienfait de Dieu. — De peur qu’on ne s’imagine que ce bienfait tout entier vient du Père, et que le Fils n’y est pour rien, il l’attribua dans son entier au Père et dans son entier au Fils. Le Père nous a fait entrer dans le royaume du Fils ; mais le Fils nous a mis en état d’y entrer. Que dit l’apôtre en effet ? « Qui nous a arrachés au pouvoir des ténèbres ». Expression qui se lie intimement à celle-ci : « Par le sang duquel nous avons été rachetés et avons obtenu la rémission de nos péchés ». Voici le mot par lequel, par le sang duquel » qui revient ici. Et il parle d’une rédemption pleine et entière qui doit nous empêcher de faillir et de redevenir mortel.
« Qui est l’image du Dieu invisible, et qui est né avant toutes les créatures ». Nous tombons ici sur des mots qui ont donné naissance à une hérésie. Nous différons donc notre explication et demain nous satisferons, sur ce point, votre curiosité. Mais s’il faut dire ici quelque chose de plus, avouons que l’œuvre du Fils est la plus grande. Comment cela ? C’est qu’en restant au milieu des liens du péché, nous ne pouvions entrer dans son royaume ; en nous délivrant, il nous en a facilité l’entrée, et ce sont ses bienfaits qui nous en ont frayé le chemin. Que dis-je ? En nous remettant nos péchés, il nous y a amenés. Voilà dès à présent un dogme bien établi.
4. En terminant, nous avons encore un mot à dire. C’est qu’après avoir reçu un si grand bienfait, nous devons toujours en conserver la mémoire, toujours réfléchir à cette faveur divine, aux maux dont nous avons été délivrés, aux biens que nous avons acquis, et alors nous serons reconnaissants, alors nous sentirons s’augmenter en notre cœur notre amour pour Dieu. Quoi donc ! ô homme, vous êtes appelé à un royaume, au royaume du Fils de Dieu, et vous tardez, vous hésitez, vous restez plongé dans la torpeur ! S’il vous fallait chaque jour vous élancer, à travers mille morts, à une pareille conquête, ne devriez-vous point braver tous les périls ? Pour obtenir une place de magistrat, il n’est rien que vous ne fassiez ; pour participer à la royauté du Fils unique de Dieu, vous n’êtes pas prêt à braver mille glaives menaçants, à vous précipiter au milieu des flammes ! Chose plus grave encore, au moment de quitter ce monde, vous vous lamentez, vous vous plaisez à demeurer en cette vie, tant vous tenez à votre corps ! Quoi donc ? La mort est-elle pour vous si terrible ? Ah ! j’aperçois la cause de vos craintes ; c’est que vous menez une existence molle et oisive. Quand la vie est amère, on voudrait avoir des ailes pour en sortir. Mais nous ressemblons à des poussins frêles et délicats qui voudraient toujours rester dans leur nid. Et cependant, plus nous y resterons, plus nous deviendrons faibles.
Qu’est-ce que cette vie en effet ? C’est un nid de paille et de boue. Vous avez beau me montrer vos grands édifices, vos palais tout brillants d’or et de pierres précieuses, je dirai toujours : Nids d’hirondelles que tout cela. À l’approche de l’hiver, tout cela tombe de soi-même ; or, j’appelle l’hiver ce jour qui n’est pourtant pas l’hiver pour tous les hommes. Ce temps-là, Dieu l’appelle le jour et la nuit c’est la nuit pour les pécheurs ; c’est le jour pour les justes. Moi donc, à mon tour, je l’appelle l’hiver. Si, pendant l’été, nous ne sommes pas élevés de manière à pouvoir nous envoler, quand l’hiver arrivera, nos mères ne nous accueilleront pas ; elles nous laisseront mourir de faim ou périr au moment où tombera notre nid. Toute cette demeure terrestre, Dieu va la nettoyer, comme l’hirondelle nettoie son nid et plus facilement encore. Dieu va tout détruire, tout rétablir, tout mettre à sa place. Ces âmes incapables de voler, ces âmes qui ne peuvent traverser les airs, pour aller à Dieu, et qui ont reçu une éducation trop basse et trop servile pour se confier à la légèreté de leurs ailes, ces âmes souffriront ce qu’elles doivent naturellement souffrir. Un nid d’hirondelle tombe-t-il, la couvée périt bientôt ; nous autres, nous ne périssons pas, mais nous sommes condamnés à des souffrances éternelles.

Oui, ce temps-là sera l’hiver, ce sera même quelque chose de plus terrible et de plus cruel que l’hiver. Alors point de pluies torrentielles ; mais des fleuves de feu : pas de ténèbres tombant des nuages ; mais des ténèbres indissolubles et profondes : point de ciel à voir, point d’atmosphère transparente ; un cachot plus étroit que le séjour des malheureux qui sont ensevelis dans les entrailles de la terre. Ces vérités, nous les répétons souvent, sans pouvoir convaincre certains esprits. Quoi d’étonnant ! si tel est l’effet de notre parole à nous, chétive créature, puisqu’on n’écoutait pas davantage les prophètes, non seulement quand ils abordaient de pareils sujets, mais quand ils parlaient de la guerre et de la captivité. Et Sédécias, convaincu par Jérémie, ne rougissait pas. Voilà pourquoi les prophètes disaient : « Malheur à ceux qui disent : Qu’elles s’accomplissent bien vite les œuvres de Dieu, afin que nous en soyons témoins, et que le conseil du Saint d’Israël s’exécute, pour que nous le connaissions ». (Isa. 54,19) Ne nous étonnons pas de ce langage. Les hommes qui existaient à l’époque de l’arche étaient incrédules aussi ; ils ne commencèrent à croire que lorsqu’il n’était plus temps. Les habitants de Sodome attendaient les événements et n’y crurent que lorsque la chose était inutile. Et pourquoi parler de l’avenir ? Ce qui se passe aujourd’hui en divers lieux, ces tremblements de terre, la destruction de toutes ces villes, qui s’y serait attendu ? Et pourtant ces catastrophes récentes étaient plus croyables que les désastres du temps passé, que le miracle de l’arche. Pourquoi ? C’est que les hommes d’autrefois n’avaient eu sous les yeux aucun précédent et ne connaissaient pas encore les saintes Écritures. Nous autres, au contraire, nous sommes instruits par d’innombrables exemples, par ce qui s’est passé de nos jours, par ce qui s’est passé jadis. Mais quelle a toujours été la source de l’incrédulité ? C’est la lâcheté et la mollesse. On s’occupe de boire et de manger ; on ne s’occupe pas de croire. Ce qui est conforme à nos désirs, nous le croyons, nous l’espérons ; mais les discours qui viennent heurter nos opinions ne sont pour nous que des bagatelles.

5. Mais ne donnons pas dans ce travers. Il n’y aura plus de déluge ; il n’y aura plus de ces châtiments qui font périr tant de monde ; mais c’est un commencement de supplice que la mort de l’homme qui ne croit pas au jugement. Qui est revenu de là-bas, s’écrie l’incrédule, pour nous dire et pour nous raconter ce qui s’y passe ? Homme incrédule, si votre langage n’est qu’une plaisanterie, votre langage est déjà un mal ; il ne faut pas plaisanter sur de pareilles matières. C’est plaisanter sur des sujets qui n’ont rien de plaisant et sur des choses périlleuses. Mais si vous parlez sérieusement, si vous pensez qu’au-delà de cette vie il n’y a plus rien, comment osez-vous vous dire chrétien ? Car je ne m’occupe point ici de ceux qui sont en dehors de notre religion. Pourquoi ce baptême que vous recevez ? Pourquoi entrer dans l’Église ? Est-ce que nous vous promettons de hautes dignités et des magistratures ? Non : tout notre espoir repose sur la vie future. Pourquoi venir à nous, si vous ne croyez ni aux saintes Écritures, ni au Christ ? Non : un tel homme n’est pas chrétien. Dieu me préserve de l’appeler ainsi ! Un tel homme est pire qu’un païen. Pourquoi ? Parce que tout en croyant à un Dieu, vous ne croyez pas en ce Dieu. La croyance du païen n’est pas une impiété ; lorsqu’on ne croit pas à l’existence du Christ, nécessairement on ne doit pas croire en lui. Mais il y a impiété, il y a même inconséquence à confesser que Dieu existe et à ne pas ajouter foi à sa parole. C’est un propos d’ivrogne, un propos inspiré par la sensualité, par la débauche et par l’intempérance que cette parole : « Mangeons et buvons ; nous mourrons demain ». (1Co. 15,32) Ce n’est pas demain, c’est au moment où vous parlez ainsi que vous mourez.

N’y aura-t-il donc, dites-moi, rien qui nous distingue des pourceaux et des ânes ? Car enfin, s’il n’y a ni jugement, ni récompense, ni rémunération, ni tribunal, pourquoi avons nous reçu la raison en partage ? Pourquoi sommes-nous les rois de la création ? Pourquoi commandons-nous aux créatures ? Pourquoi les créatures nous obéissent-elles ? Voyez-vous comme le démon nous presse de tous côtés, comme il nous pousse à méconnaître le don que Dieu nous a fait ? Il confond tout, les serviteurs et les maîtres. Comme un marchand d’esclaves, comme un esclave ingrat, il s’efforce de faire descendre un être libre à l’état de bassesse et d’abjection où tombe celui qui a offensé le Seigneur. On dirait qu’il veut supprimer le jugement ; il voudrait supprimer Dieu. Oui, le démon est toujours ainsi. C’est par fraude, par ruse, c’est en usant de pièges qu’il agit ; il n’agit pas franchement et de manière à nous mettre sur nos gardes. S’il n’y a pas de jugement, Dieu n’est pas juste ; c’est le langage de l’homme que je parle ici : et si Dieu n’est pas juste, il n’existe pas : enfin, si Dieu n’existe pas, tout est le jouet du hasard, il n’y a ni vice, ni vertu. Mais c’est là un langage que le démon ne tient pas ouvertement. Avez-vous bien vu le fond de la pensée de Satan ? Voyez-vous comme il voudrait faire de nous des brutes ou plutôt des bêtes féroces ou même des démons ? Ne l’écoutons pas. Oui, il y a un jugement, malheureux et infortuné que vous êtes. Et je sais bien pourquoi vous parlez comme vous le faites. C’est que vous avez bien des fautes sur la conscience ; vous avez offensé le Seigneur ; vous ne parlez pas en pleine liberté, en pleine franchise, et vous croyez pouvoir faire mentir la nature. En attendant, dit l’incrédule, je ne veux pas me mettre l’âme à la torture avec cette idée de la géhenne ; si elle existe, je me persuaderai qu’elle n’existe pas et je me plongerai dans les délices.
Mais pourquoi donc entasser fautes sur fautes ? Si vous croyez, pécheur que vous êtes, aux tourments de l’enfer, vous en serez quitte pour expier vos péchés. Mais si vous ajoutez à vos péchés le crime d’une incrédulité impie, vous serez puni en outre de cette incrédulité avec la dernière rigueur. Et ce qui aura été pour vous une triste consolation d’un moment, deviendra contre vous un chef d’accusation qui vous vaudra un supplice éternel. Vous avez péché, soit. Mais est-ce une raison pour exhorter les autres à pécher aussi, en leur disant qu’il n’y a pas de géhenne ? Pourquoi tromper les âmes simples ? Pourquoi décourager le peuple de Dieu et lui ôter la force de lever les mains au ciel ? Vous renversez tout, en tant que cela dépend de vous. S’ils vous écoutent, les gens de bien ne deviendront pas meilleurs ; ils tomberont dans la mollesse et dans l’inaction ; les méchants, de leur côté, persisteront dans le vice. Mais si nous corrompons les autres, obtiendrons-nous, pour cela, le pardon de nos péchés ? N’avez-vous pas été témoin des tentatives du démon pour faire tomber et pour terrasser Adam ? Le démon a-t-il obtenu son pardon pour cela ? Son supplice, au contraire, a été certainement aggravé. Ne fait-il pas tout ce qu’il peut pour que nous portions la peine non seulement de nos fautes, mais des fautes d’autrui ? Ne croyons donc pas, en entraînant les autres dans notre perte, adoucir notre sentence ; nous nous attirerons, au contraire, une condamnation plus lourde et plus cruelle. Pourquoi nous pousser dans l’abîme et nous perdre les uns les autres ? Ce sont là des habitudes sataniques. Homme, avez-vous péché ? Vous avez un Dieu bon et clément ; priez-le, suppliez-le, pleurez, gémissez, effrayez les autres et demandez qu’ils ne tombent pas dans les mêmes erreurs que vous. Qu’un esclave, après avoir offensé son maître, dise à son fils Mon fils, j’ai offensé mon maître ; toi, efforce-toi de lui plaire et ne fais pas comme moi ; cet esclave, dites-moi, n’obtiendra-t-il pas, jusqu’à un certain point, son pardon ? Ne parviendra-t-il pas à calmer, à fléchir son maître ? Mais si, tenant un tout autre langage, il fait entendre que son maître ne fera pas justice à chacun, que, pour lui, le bien et le mal se mêlent et se confondent, que dans sa maison, on ne sait pas gré aux esclaves de ce qu’ils font, que pensera le maître d’un esclave pareil ? Ne lui fera-t-il pas subir un châtiment plus rigoureux encore ? Oui, certes, et il aura raison. Le premier esclave trouvera une certaine excuse dans son repentir ; l’autre n’obtiendra point de pardon. À défaut d’autre exemple, suivez du moins l’exemple de ce riche qui, au milieu des tourments de l’enfer, disait : « Père Abraham, envoyez Lazare vers mes frères, de peur qu’ils ne viennent dans ce lieu de souffrances ». (Lc. 16,27, 28) Il ne pouvait en sortir, lui ; mais il voulait empêcher les autres d’y tomber. Renonçons donc à notre langage satanique.
6. Quoi, direz-vous, quand les gentils ou les païens nous interrogent, ne voulez-vous pas que nous nous occupions d’eux ? Mais quand, sous prétexte de vous occuper des gentils, vous jetez les chrétiens dans le scepticisme, c’est la doctrine de Satan que vous vous mettez en devoir d’établir. Ce sont des témoins que vous cherchez pour appuyer une doctrine à laquelle vous ne pouvez faire croire avec les seules ressources de votre esprit. Si vous êtes obligé de discuter avec un gentil, donnez donc à la discussion son véritable point de départ, recherchez si le Christ est Dieu et Fils de Dieu, et si ces prétendus dieux du paganisme ne seraient pas des démons. Cela une fois prouvé, tout le reste s’en déduit. Mais tant que vous n’avez pas posé le principe, il est inutile de discuter sur les conséquences. Avant d’avoir appris les axiomes, il est superflu et inutile d’arriver aux derniers corollaires. Ce gentil ne croit pas au jugement. Eh bien ! il est dans le même cas que vous. Les Grecs peuvent citer aussi beaucoup de philosophes qui ont traité cette matière. Ces philosophes séparent l’âme du corps ; mais enfin ils reconnaissent un dernier jugement. Et ce point-là est si clairement établi parmi eux, que personne n’en ignore, que les poètes et tous les écrivains s’accordent sur le tribunal et sur le jugement. Aussi, en général, les gentils en croient là-dessus leurs écrivains ; ni les juifs, ni qui que ce soit, ne doutent de cette vérité.
Pourquoi donc nous trompons-nous les uns les autres ? Vos mauvaises raisons, c’est à moi que vous les dites. Mais que direz-vous à Dieu qui a façonné les cœurs, qui connaît tous les replis de notre pensée, qui vit et qui agit en nous, dont la parole est plus perçante qu’un glaive à deux tranchants ? (Héb. 4,12) Car, à parler franchement ; quand vous commettez une faute, ne vous condamnez-vous pas vous-même ? Est-il au monde un homme qui ne se blâme lui-même, quand il agit avec tiédeur ? Est-ce une sagesse aveugle que cette sagesse qui fait que nous nous condamnons nous-mêmes, lorsque nous commettons une faute ? Car c’est là, oui c’est là une grande sagesse. En définitive donc, règle générale et universelle : quand on mène une vie vertueuse, qu’on soit gentil, qu’on soit même hérétique, on croit au jugement dernier ; quand on se traîne dans le vice, on n’admet presque jamais le dogme de sa résurrection. Et c’est ce que dit le Psalmiste : « Vos jugements se dérobent à ses yeux ». (Ps. 9,27) Pourquoi ? Parce que de tout temps les voies du Seigneur ont été méconnues. « Mangeons et buvons », disent les incrédules ; « car nous mourrons demain ». Voyez quelle bassesse et quelle abjection ! C’est au fond des verres que l’on va puiser cette parole dont on s’arme pour renverser le dogme de la résurrection. Ah ! c’est que l’homme ne veut pas absolument supporter le jugement de sa propre conscience. C’est ainsi que l’homicide se persuade qu’il échappera à la sentence, pour commettre un meurtre de sang froid. S’il avait comparu devant sa conscience, il y aurait regardé à deux fois, avant de devenir un assassin. Il sait bien ce qu’il fait, mais il simule l’ignorance, pour se soustraire aux terreurs et aux tourments de sa conscience ; autrement il se serait trouvé faible devant le meurtre. Ainsi les pécheurs savent bien que le péché est un mal, et ceux qui chaque jour roulent dans ce même cercle de maux, ne veulent pas le savoir, quoique leur conscience les reprenne. Mais n’écoutons pas ces hommes. Il y aura, oui il y aura un jugement et une résurrection, et Dieu ne souffrira pas que tant d’actions aient été faites en vain. C’est pourquoi, je vous en prie, fuyons le vice et cherchons la vertu, pour embrasser la véritable doctrine, en Jésus-Christ Notre-Seigneur.
Et pourtant, quel est celui de ces deux dogmes le plus facile à admettre, le dogme de la résurrection, ou celui du fatalisme ? Ce dernier dogme est plein d’injustice, plein de déraison, plein de cruauté, plein d’inhumanité ; l’autre est plein d’équité et de justice distributive, et pourtant ce n’est pas celui qu’on admet. La faute en est à notre paresse ; car il suffit de réfléchir, pour rejeter le fatalisme. Ces philosophes grecs qui font du plaisir le but de la vie, l’ont accepté ; mais tous ceux qui se sont attachés à la vertu, l’ont banni comme une doctrine insensée. Si telle a été le sort de cette doctrine chez les gentils, elle doit à plus forte raison disparaître devant le dogme de la résurrection. Voyez l’habileté du démon à se servir de deux moyens contraires. Oui ! pour nous faire négliger la vertu, pour introduire chez nous le culte de Satan, il y a introduit le fatalisme, et par deux voies différentes il est parvenu à son double but. Quelle raison pourra-t-il alléguer, l’homme qui n’ajoute pas foi à ce dogme admirable de la résurrection, et qui croit à toutes les absurdités des fatalistes ? Ne vous nourrissez donc pas, incrédules, de cette consolation que votre pardon vous sera accordé. Tournons-nous avec ardeur vers la vertu, et vivons réellement pour Dieu, en Jésus-Christ.

HOMÉLIE III. modifier


QUI EST L’IMAGE DU DIEU INVISIBLE, ET QUI EST NÉ AVANT TOUTES LES CRÉATURES. CAR TOUT A ÉTÉ CRÉÉ PAR LUI, DANS LE CIEL ET SUR LA TERRE, LES CHOSES VISIBLES ET LES INVISIBLES, SOIT LES TRÔNES, SOIT LES DOMINATIONS, SOIT LES PRINCIPAUTÉS, SOIT LES PUISSANCES ; TOUT A ÉTÉ CRÉÉ PAR LUI ET POUR LUI. IL EST AVANT TOUS, ET TOUTES CHOSES SUBSISTENT EN LUI. IL EST LE CHEF ET LA TÊTE DU CORPS DE L’ÉGLISE. (I, 15-18)

Analyse. modifier


  • 1. Discussion sur ces mots « qui est l’image du Dieu invisible ».
  • 2. Le Christ est le premier dans les cieux, le premier dans l’Église, le premier partout.
  • 3. Le Christ pacificateur universel.
  • 4. Les anges gardiens. Avantages de la paix. Suites terribles de la discorde.
  • 5. Les évêques sont les ambassadeurs de Dieu.


1. C’est aujourd’hui que je dois acquitter la dette dont hier j’ai différé le paiement, pour offrir, à vos âmes avides d’apprendre, le résultat de mes recherches. En parlant de la dignité du Fils, Paul, nous l’avons vu, s’exprime ainsi « Qui est l’image du Dieu invisible ». De quelle image parle-t-il, selon vous ? S’il est l’image de Dieu, à la bonne heure ! car il est Dieu et fils de Dieu. Or ce mot « l’image de Dieu », désigne une parfaite ressemblance ; il est donc, d’après cela, parfaitement semblable à Dieu. Si vous pensez qu’il s’agit ici d’une image humaine, osez le dire, et je vous laisserai là, comme on quitte un insensé. Mais pourquoi donc ne donne-t-on jamais à un ange le nom d’image ni de fils, tandis que ces deux noms sont souvent donnés à l’homme ? C’est que la sublimité de la nature des anges aurait pu jeter, à propos de ce double nom, le lecteur ou l’auditeur dans quelque croyance impie ; quand il s’agit de l’homme, nature humble et faible, cette double démonstration est sans danger et ne peut pas égarer même ceux qui voudraient s’égarer. Aussi l’Écriture emploie-t-elle hardiment ces noms comme des titres d’honneur pour les plus humbles créatures. Mais quand il s’agit d’une nature élevée, elle n’en use plus.
« Il est l’image du Dieu invisible », dit l’apôtre. Si Dieu est invisible, l’image de Dieu est donc invisible aussi comme Dieu ; autrement elle ne serait pas l’image de Dieu. Car, même pour nous autres hommes, il faut que l’image, en tant qu’image, soit en tout semblable au modèle, qu’elle en reproduise la forme exacte et tous les caractères. Mais, chez les hommes, cette parfaite ressemblance est impossible, parce que l’art humain est souvent incapable de l’atteindre, et n’y arrive même jamais à examiner les choses avec soin. Mais quand il s’agit de Dieu, l’image n’est jamais inexacte, l’image est toujours parfaite. Mais si le Christ est une créature, comment peut-il être l’image de celui qui l’a créé ? Un cheval n’est pas non plus l’image d’un homme. Et si l’image n’offre pas la ressemblance de l’Être invisible, qui empêche les anges d’en être aussi l’image ? Car eux aussi, ils sont invisibles, mais non pour eux-mêmes. Mais l’âme est invisible, et par cela même qu’elle est invisible, elle est aussi en quelque sorte l’image de Dieu. Oui, mais pas comme le Christ. – « Le premier-né de toutes les créatures ».
2. Mais quoi, me dira-t-on, il a donc été créé ? D’où tirez-vous cette conclusion ? je vous prie. De ce mot « le premier-né ». Mais remarquez donc qu’il n’y a pas : Le premier créé ; mais : Le premier engendré ; parce qu’il est dit le premier engendré, vous dites qu’il a été créé, que direz-vous, quand vous l’entendrez appeler notre frère ? Car, aux termes de l’Écriture, il est notre frère, et il est, en tout point, semblable à nous. Soutiendrons-nous donc pour cela qu’il n’est pas notre créateur et qu’il ne nous est supérieur ni en dignité, ni sous aucun autre rapport ? Où est l’homme sensé qui pourra tenir un semblable langage ? Ce mot de premier-né ne marque ni la dignité ni l’honneur ; il n’exprime que le temps. Si donc il n’a d’autre avantage que d’être né avant toutes les créatures, ce Dieu-Verbe sera de la même substance que les pierres, que le bois, et que toutes les autres créatures matérielles ; car l’apôtre dit « Né avant toutes les créatures ». Mais s’il est né avant toutes les créatures, direz-vous, c’est qu’il a été « créé ». D’accord, s’il n’avait que cette qualité-là, et si l’on ne signalait pas en lui d’autres rapports : « Il est le premier-né d’entre les morts » (Col. 1,18), « l’aîné entre une foule de frères ». (Rom. 8,29) Dites-moi, je vous prie, que veut dire ceci : Le premier-né d’entre les morts ? Vous ne direz pas qu’on l’appelle ainsi, parce qu’il est ressuscité le premier ; car l’apôtre n’a pas dit simplement : Des morts ; mais : D’entre les morts. Il n’a pas dit qu’il fut mort le premier ; il a dit qu’il avait été le premier-né d’entre les morts. Cela revient donc uniquement à dire qu’il est les prémices de la résurrection. Ce mot sur lequel on s’appuie ne prouve donc rien. Paul aborde ensuite le dogme en lui-même. Pour que ses auditeurs ne puissent s’imaginer que le Christ est postérieur aux anges, parce que sa venue a d’abord été annoncée par les anges, il montre que les anges n’ont jamais eu aucun pouvoir ; autrement ce ne serait pas le Christ qui nous aurait tiré des ténèbres : il fait voir en second lieu que le Christ est antérieur aux anges ; et ce qui le prouve, c’est que les anges ont été créés par lui. « Car tout a été créé en lui », dit-il, dans le ciel et dans la terre…
Que disent maintenant les disciples de Paul de Samosate ? Tout a été fait en lui. Car c’est la parole de saint Paul : « Tout a été fait en lui ». Saint Paul met en premier lieu ce qui est en question : « Ce qui est dans le ciel », et ensuite : « Ce qui est dans la terre ». Puis il ajoute : « Les choses visibles et les choses invisibles ». Les choses invisibles, par exemple l’âme ; les choses visibles, c’est-à-dire tous les hommes. Il laisse de côté ce que l’on accorde, pour établir ce qui est en question. Et il dit : « Soit les trônes, soit les dominations, soit les principautés, soit les puissances ». Ce mot « soit » entraîne tout. L’Esprit-Saint n’est pas au nombre des puissances. Mais Paul descend ici par degrés du plus au moins. « Tout », dit-il, « a été fait en lui et par lui ». – « En lui », veut dire ici « par lui » ; car cette dernière expression a été ajoutée pour expliquer la première. « En lui », quelle est la portée de ce mot ? Il veut dire qu’à lui se rattache toute substance ; non seulement il a tiré les créatures du néant, mais il les contient, il les maintient. Si elles étaient arrachées à sa providence, elles périraient. Mais il n’a pas dit simplement : Il les contient ; le sens de l’apôtre est plus fort ; il dit qu’elles dépendent de lui, qu’elles se rattachent à lui. Il suffit, pour qu’elles soient contenues et maintenues, qu’elles reposent, qu’elles s’appuient sur lui. C’est ainsi qu’il a placé comme une base de la création, cette qualité du Christ : Né avant toutes les créatures. Cela ne signifie pas que les créatures sont de la même essence que lui ; cela veut dire que toutes sont en lui et par lui. Ailleurs aussi, quand il dit : « J’ai jeté les fondements » (1Cor. 3,10), il n’est pas question d’essence, il est question d’un acte.
Pour que l’on ne s’imagine pas que le Christ joue simplement le rôle de ministre, saint Paul dit qu’il maintient l’univers, œuvre tout aussi grande que de le créer, œuvre encore plus grande, selon nous ; car la première n’est qu’une œuvre d’art, et la seconde n’a pas ce caractère ; car pour maintenir il faut être immortel. « Et il est avant tous », dit-il. Voilà un mot qui s’applique bien à Dieu. Que devient Paul de Samosate ? « Et toutes choses subsistent a en lui », c’est-à-dire, ont été faites en lui. Il retourne sans cesse les mêmes idées, en enchaînant les expressions, en portant à ses adversaires des coups multipliés qui renversent de fond en comble un dogme pernicieux. S’il a fallu tout cela pour terrasser Paul de Samosate, né si longtemps après saint Paul, combien Paul de Samosate n’aurait-il pas été plus hardi, si saint Paul ne lui avait pas répondu d’avance ? Et toutes choses », dit-il, « subsistent en lui ». Comment toutes choses subsisteraient-elles en lui, s’il ne subsistait pas avant toutes choses ? C’est pourquoi tout ce qui se fait par l’intermédiaire des anges est son œuvre. « Et il est la tête du corps de l’Église ». De la dignité du Christ l’apôtre passe à sa bonté. « Il est », dit-il, « la tête du corps de l’Église ». Il n’a pas dit de la « plénitude », quoique son expression ait le même sens ; mais il a voulu nous montrer combien il avait à cœur de se rapprocher de nous, puisque, malgré cette élévation suprême qui le met au-dessus de tout, il est ainsi attaché à ceux qui sont tellement au-dessous de lui. Car il est le premier partout : le premier dans les cieux ; le premier dans l’Église dont il est la tête ; le premier dans la résurrection. Tel est le sens de ce mot : « Afin qu’il soit le premier ».
3. C’est pourquoi il est aussi le premier en génération. Et c’est ce que Paul s’étudie surtout à démontrer. Car s’il a été prouvé qu’il existe avant tous les anges, il s’ensuit que toutes les œuvres des anges sont ses œuvres, et ont eu lieu par son ordre. Chose étonnante, saint Paul tend à nous montrer le Christ comme le premier partout même dans sa seconde naissance. Ailleurs il nous montre, dans Adam, le premier homme, et il a raison. Mais ici il entend par l’Église toute la réunion des hommes, tout le genre humain ; et le Christ est le chef, le premier de l’Église, et il est le premier de la création, selon la chair. Voilà pourquoi l’apôtre emploie ici le mot de « premier-né ». Que veut dire ici le « premier-né ? » Cela veut dire le « premier créé », ou celui qui est ressuscité le premier de tous, comme ailleurs, qui est avant tous. Ici saint Paul se sert du mot de « prémices », en disant : « Qui est comme les prémices et le premier-né d’entre les morts, afin qu’il soit le premier en tout », montrant par là aussi qu’il s’est fait semblable à nous. Ailleurs il ne s’est pas servi de ces expressions ; il a dit que le Christ est l’image du Dieu invisible, tandis qu’ici c’est « le premier-né d’entre les morts ».
« Parce qu’il a plu au Père que toute plénitude résidât en lui, et de réconcilier toutes choses avec soi par lui ; pacifiant, par le sang qu’il a répandu sur la croix, tant ce qui est sur la terre que ce qui est dans le ciel ». Tout ce qui est au Père est aussi au Fils, et plus même en quelque sorte, puisqu’il est mort pour nous et s’est uni à nous. Il se sert du mot « prémices », comme s’il parlait d’un fruit. Il ne parle pas expressément de la résurrection ; il emploie ici le mot « prémices », pour montrer dans le Christ le pontife qui nous a tous sanctifiés et qui a offert pour nous le sacrifice. Le mot de « plénitude » s’applique à sa divinité. C’est ainsi que saint Jean disait : « Nous avons tous reçu de sa plénitude ». (Jn. 1,16). Fils ou Verbe de Dieu, il est ainsi par essence et non par une opération quelconque. Saint Paul ne peut attribuer cette manière d’être et ces bienfaits qu’à la volonté du Père. Tel a été le bon plaisir du Père ; « il lui a plu aussi de réconcilier toutes choses avec soi par lui ».
Ne pensez pas que le Christ ait joué là le rôle d’un serviteur. « Avec soi », dit-il. Et ailleurs, dans l’épître aux Corinthiens, par exemple, il est dit que le Christ a réconcilié les hommes avec Dieu. Il a raison de dire : « réconciliés par lui ». (2Cor. 15) Cette réconciliation avait déjà commencé ; mais il fallait qu’elle fût parfaite, pour qu’ils ne fussent plus les ennemis de Dieu. Comment s’opère-t-elle ? C’est ce qu’il dit ensuite. Il parle non seulement de la réconciliation, mais du mode de réconciliation. « Pacifiant par le sang répandu sur la croix ». Nous étions des ennemis pour Dieu ; – il nous a réconciliés. Il y avait guerre ; – il a ramené la paix. « Pacifiant », dit-il, « par le sang qu’il a répandu sur la croix, tant ce qui est sur la terre que ce qui est au ciel ». C’est déjà beaucoup que cette réconciliation ; c’est un bienfait plus grand encore quand elle s’opère par l’intermédiaire de Dieu ; c’est plus encore, quand elle est scellée de son sang. Et par son sang versé sur une croix. Il y a donc là cinq choses admirables : une réconciliation, un Dieu qui l’accepte, un Dieu qui se sacrifie, la mort de ce Dieu, la mort sur une croix. Voyez comme il a rassemblé toutes ces merveilles. Pour que l’on n’aille pas confondre, pour que l’attention ne s’arrête point en particulier sur cette croix qui n’a rien de grand par elle-même, il dit : « Son sang qu’il a répandu « lui-même ». Qu’est-ce qui fait ici la grandeur du sacrifice ? C’est que Dieu opère le miracle, non par sa parole, mais en s’offrant lui-même, par sa réconciliation. Mais que veut dire ce mot : « Ce qui est dans le ciel ? » Car, pour ce qui appartient à la terre, cette pacification se conçoit. Elle était inondée de haines et de divisions, et chacun de nous était en guerre avec lui-même et avec une foule d’ennemis. Mais le ciel qu’avait-il besoin d’être pacifié ? Est-ce que là aussi il y avait guerre et combat ? Et cette prière : « Que votre volonté soit faite sur la terre, comme au ciel », que signifie-t-elle donc ? C’est qu’il y avait scission entre la terre et le ciel ; c’est que les anges faisaient la guerre aux hommes, en voyant Dieu abreuvé d’opprobres et d’outrages. Saint Paul dit que la paix est rétablie par le Christ ; dans le ciel et sur la terre. (Eph. 1,19) Et comment ? Voici ce qui se passa dans le ciel. Le Christ y transporta l’homme, il fit monter dans le ciel l’ennemi des anges, celui qu’ils abhorraient. non seulement il rendit la paix à la terre, mais il fit asseoir auprès des anges leur ennemi particulier, leur ennemi déclaré. De là une paix profonde. Les anges reparaissent sur la terre, depuis que l’homme à son tour a fait dans le ciel son apparition. C’est pour cela que Paul a été ravi au ciel, selon moi ; c’est pour rendre témoignage de l’ascension du Fils. Sur la terre la paix existe doublement : la terre est en paix avec le ciel ; la terre est en paix avec elle-même. Dans le ciel, la paix est une et toujours la même. Si le repentir d’un seul pécheur est un si grand sujet de joie pour les anges, que sera pour eux le repentir de tant de pécheurs ? La puissance divine a produit ces miracles. Pourquoi donc, dit-il, avez-vous confiance dans les anges ? Loin de vous mener au ciel par la main, loin de vous en donner accès, ils vous ont fait la guerre, et, sans cette réconciliation dont Dieu a été le médiateur, vous n’auriez jamais obtenu la paix. Pourquoi donc accourir vers les anges ? Voulez-vous savoir quelle était pour nous la haine, l’aversion éternelle des anges ? Ce sont eux qui ont mission de punir les Israélites, de punir David, de punir Sodome, de punir les hommes dans la vallée des larmes. Les temps sont bien changés. Ils ont entonné, sur la terre, un cantique d’allégresse, le Christ les a conduits vers nous ; le Christ nous a élevés jusqu’à eux.
4. Contemplez le miracle. Après avoir fait descendre les anges sur la terre, il a élevé l’homme jusqu’à eux. La terre est devenue le ciel, du moment où le ciel s’est ouvert pour recevoir la terre. De là cette action de grâces « Gloire à Dieu, dans le ciel, et paix, sur la terre, aux hommes de bonne volonté ! » (Lc. 2,14) Voici, dit l’Évangéliste, voici venir des hommes en paix avec Dieu. Qu’est-ce que cette paix ? La réconciliation. Le ciel n’est plus une muraille placée entre Dieu et l’homme. Autrefois c’était par le nombre des nations que l’on comptait les anges. (Deut. 32,8) Aujourd’hui ce n’est plus par le nombre des nations, c’est par le nombre des fidèles qu’on les compte. Voulez-vous vous en avoir la preuve ? Écoutez cette parole du Christ : « Gardez-vous de mépriser aucun de ces petits enfants. Leurs anges voient face à face mon Père qui est dans les cieux ». (Mt. 18,10) Tout fidèle en effet a son ange gardien, et dans les premiers temps tout homme vertueux avait aussi le sien, comme dit Job : « L’ange qui me soutient et qui me soulage, depuis ma jeunesse ». (Gen. 48,16) Si donc nous avons des anges gardiens, conduisons-nous sagement, comme si nous avions auprès de nous des surveillants ; car nous avons aussi près de nous le démon.
Voilà pourquoi nous prions en invoquant l’ange de paix ; car c’est toujours la paix que nous demandons. Rien en effet n’est comparable à ce bien. C’est la paix que nous demandons dans nos églises, dans nos prières, dans nos salutations, et le prêtre nous souhaite ce bien jusqu’à deux ou trois fois, en nous disant : « La paix soit avec vous ! » Pourquoi ? Parce que la paix est la mère de tous les biens, la matière et la source de toutes les joies. Voilà pourquoi le Christ a ordonné aux apôtres de dire, quand ils entrent dans une maison, cette parole, comme symbole de tous les biens : « Quand vous entrez dans une maison, dites : « Que la paix soit avec vous ! » (Mt. 10,12) C’est que, sans la paix, tout le reste est superflu. Et le disciple du Christ disait aussi : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix ». (Jn. 14,27) C’est la paix qui nous fraie un chemin vers la charité. Et le prêtre ne se contente pas de dire : « Que la paix soit avec vous ! » Il dit : « Paix à tout le monde ! » Car si nous sommes en paix avec l’un et en guerre avec l’autre, quel fruit retirerons-nous d’un pareil état de choses ? Dans le corps humain, si certains organes sont tranquilles et d’autres troublés, la santé est impossible ; elle résulte du bon ordre, de la bonne harmonie, du calme qui règne dans l’organisme entier : si tout n’est pas tranquille, si tout n’est point à sa place, il y aura un bouleversement général. Il en est de même de notre âme : si nos pensées sont tumultueuses, elle ne peut pas être en paix. C’est une si bonne chose que la paix ! Ceux qui la font naître, ceux qui la cimentent, portent le nom d’enfants de Dieu et ils le méritent. (Mt. 5,45) Le Fils de Dieu lui-même n’est-il pas venu sur la terre pour pacifier la terre et le ciel ? Si les enfants de Dieu sont pacifiques, ceux qui s’étudient à servir les révolutions sont les enfants du démon. Quoi ! déchaîner les dissensions et la discorde ! Et qui donc est assez malheureux pour cela ? Ah ! il n’y a que trop de gens qui aiment le mal, qui déchirent et qui percent le corps du Christ plus cruellement encore que les soldats avec leurs lances, et les juifs avec leurs clous. Car ces derniers enfin lui faisaient moins de mal ; les plaies qu’ils ont faites au Christ se sont cicatrisées. Mais ces membres que la discorde retranche de l’Église, si l’on ne parvient à les réunir bientôt, ils ne se réuniront jamais et resteront à jamais séparés du corps des fidèles. Quand vous voudrez faire la guerre à votre frère, songez que vous allez faire la guerre aux membres du Christ, et calmez votre fureur. Mais c’est un être abject, vil et méprisable… écoutez le Christ… « Ce n’est pas la volonté de mon Père qu’aucun de ces petits périsse ». (Mt. 18,14) Et ces paroles : « Leurs anges voient toujours face à face mon Père qui est dans le ciel ». (Ibid. 10) C’est pour lui que Dieu a souffert l’esclavage et la mort, et vous croyez que cet être dont vous parlez n’est rien ? Mais en combattant contre lui, c’est contre Dieu que vous combattez, en jugeant cet homme autrement que Dieu ne l’a jugé. Le prêtre, aussitôt qu’il entre, dit : « Paix entre tous ! » Quand il fait un sermon, quand il harangue les fidèles, il dit : « Paix entre tous ! » – « Paix entre tous ! » dit-il, en terminant le sacrifice. Et au milieu du sacrifice, il dit encore : « Que la grâce et la paix soient avec vous ! » N’est-il pas absurde, quand on nous recommande si souvent la paix, d’être toujours en guerre les uns avec les autres, de rendre guerre pour guerre et de combattre celui-là même qui nous offre sa paix ? Vous dites à cet homme : « Que la paix soit avec votre esprit ! » Et dehors vous le calomniez ! Hélas ! ces saintes et vénérables paroles ne sont plus que des symboles sans consistance. Hélas ! ce qui devait nous servir de drapeau n’est plus qu’un mot vide. Aussi ignorez-vous jusqu’au sens de ces mots : « Paix entre tous ! » Mais écoutez encore le Christ : Dans quelque ville, dans quelque bourg que vous entriez, « Entrant dans la maison, saluez-là : si cette maison en est digne, votre paix viendra sur elle ; si elle n’en est pas digne, votre paix reviendra à vous ». (Mt. 10,12, 13) Ce qui cause encore notre ignorance, c’est que nous ne voyons dans tout cela qu’une figure à laquelle nous ne faisons pas attention. Est-ce que c’est moi qui vous donne la paix ? C’est le Christ qui daigne vous parler par ma bouche. Quand nous n’aurions pas habituellement la grâce, nous l’avons pour nous adresser à vous. Si la grâce de Dieu a opéré dans une âme, dans un prophète, pour la dispensation de ses bienfaits, pour l’utilité des Israélites, il est clair qu’elle ne refusera pas d’opérer en nous et de nous soutenir.
5. Qu’on ne dise donc pas que je suis un être imparfait, vil, abject et de nulle valeur, et qu’on ne doit pas faire attention à mes paroles. Je suis tel que vous dites, en effet, mais Dieu, pour être utile à l’humanité, assiste d’ordinaire les créatures imparfaites. Et la preuve c’est qu’il a daigné parler à Caïn à cause d’Abel, au démon à cause de Job. à Pharaon à cause de Joseph, à Nabuchodonosor et à Balthasar à cause de Daniel. Les magiciens eux-mêmes ont obtenu le bienfait de la révélation, et Caïphe, tout meurtrier du Christ qu’il était, tout indigne qu’il était de la faveur divine, a eu le don de prophétie, pour la dignité du sacerdoce. C’est en considération de cette dignité qu’Aaron fut épargné par la lèpre. Pourquoi donc, en effet, je vous le demande, sa sœur a-t-elle été seule punie, quand il avait murmuré comme elle ? Ne vous en étonnez pas. Qu’un homme revêtu des dignités temporelles soit courbé sous le poids d’accusations innombrables, on ne le mettra en jugement que lorsqu’il aura déposé cette dignité, pour que l’opprobre ne rejaillisse pas sur elle. Il doit en être ainsi à plus forte raison pour l’homme revêtu d’un pouvoir spirituel, et qui, quel qu’il soit d’ailleurs, opère par la grâce de Dieu. Il doit en être ainsi ; autrement tout serait perdu. Mais une fois qu’il aura déposé le pouvoir, soit au sortir de la vie, soit durant cette vie même, il sera puni plus sévèrement que les autres. N’allez pas croire que c’est nous qui vous parlons ainsi. C’est la grâce de Dieu qui opère dans son serviteur indigne, non pas à cause de nous, mais à cause de vous.
Écoutez donc cette parole du Christ : « Si la maison en est digne, que votre paix descende sur elle ». Or comment peut-elle en être digne ? En vous accueillant, dit le Christ. « Mais s’ils ne vous accueillent pas, s’ils ne vous écoutent pas, en vérité, je vous le dis, la terre de Sodome et de Gomorrhe sera mieux traitée au jour du jugement, que cette cité ». (Mt. 10,13-15) Mais à quoi bon nous accueillir, si vous ne nous écoutez pas ? Quel fruit vous revient-il des honneurs que vous nous rendez, si vous ne faites pas attention à ce qu’on vous dit ? Voulez-vous nous rendre un témoignage d’honneur et de respect auquel nous tenions, et qui vous soit utile ainsi qu’à nous ? Écoutez notre parole. Écoutez saint Paul qui vous dit : « Je ne savais pas, mes frères, que ce fût un pontife ». (Act. 23,5) Écoutez aussi le Christ : « Observez », dit-il, « et faites tout ce qu’ils vous disent ». (Mt. 23,3) Ce n’est pas moi que vous méprisez, c’est le sacerdoce. Quand vous m’en verrez dépouillé, alors méprisez-moi, alors de mon côté je ne vous ordonnerai plus rien. Mais tant que nous occupons ce siège, tant que nous sommes à la tête de cette Église, nous avons l’autorité et le pouvoir, bien que nous en soyons indignes. Si le trône de Moïse était assez respectable pour faire écouter Moïse, il en est de même à plus forte raison du trône du Christ : c’est ce trône que nous avons reçu, c’est du haut de ce trône que nous vous parlons, depuis le jour ou le Christ a fait de nous son ministre de paix.

Les ambassadeurs, quels qu’ils soient, doivent à leur titre de grands honneurs. Voyez, ils pénètrent jusqu’au cœur d’un pays barbare ; les voilà seuls au milieu de tant d’ennemis ! Et pourtant, grâce à leur titre, tous ces ennemis les considèrent, tous ces ennemis les laissent partir et veillent à leur sûreté. Et nous aussi nous sommes envoyés en ambassade ; nous sommes les ambassadeurs de Dieu c’est là le titre que nous donne l’épiscopat. Nous venons donc à vous en ambassadeurs, pour vous demander la paix et pour vous en dire les conditions. Ce ne sont ni des cités, ni des mesures de froment, ni des esclaves, ni de l’or, que nous nous engageons à vous livrer. Nous vous promettons le royaume des cieux, la vie éternelle, la vue du Christ, et tant d’autres biens que nous ne pouvons énumérer, et que vous ne pouvez connaître, tant que nous sommes dans les liens du corps et de cette vie mortelle. C’est donc une ambassade dont nous nous acquittons. Et nous voulons être honorés, non pas pour nous, indignes que nous sommes, mais pour vous, pour que vous fassiez attention à nos paroles, pour qu’elles vous soient utiles, pour que nous ne trouvions pas en vous des auditeurs insensibles ou négligents. Ne voyez-vous pas comme on entoure les ambassadeurs, comme on se presse autour d’eux ? Eh bien ! Nous sommes accrédités par Dieu, pour lui servir d’ambassadeurs auprès des hommes. Si les paroles que nous sommes chargés de vous adresser vous blessent, ce n’est pas notre faute ; c’est notre épiscopat qui nous force à vous les adresser. Ce n’est pas tel ou tel homme qui vous parle ; c’est l’évêque : ne m’écoutez point ; mais écoutez l’ambassadeur de Dieu. Faisons donc tous nos efforts pour plaire à Dieu ; efforçons-nous de vivre pour sa gloire et de nous montrer dignes des biens promis à ceux qui l’aiment, par là grâce et la bonté, etc.


HOMÉLIE IV.


VOUS ÉTIEZ VOUS-MÊMES AUTREFOIS ÉLOIGNÉS DE DIEU, ET VOTRE ESPRIT, ABANDONNÉ A DES ŒUVRES CRIMINELLES, VOUS RENDAIT SES ENNEMIS. – MAIS MAINTENANT JÉSUS-CHRIST VOUS A RÉCONCILIÉS PAR LA MORT QU’IL A SOUFFERTE DANS SON CORPS MORTEL, POUR VOUS RENDRE SAINTS, PURS ET IRRÉPRÉHENSIBLES DEVANT LUI. (I, 21, 22)
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Analyse.
  1. Jésus nous a réconciliés par sa mort, pour nous rendre saints, si toutefois nous restons inébranlables dans l’espérance et dans la foi.
  2. Jésus intercède pour nous dans le ciel et continue à souffrir pour nous sur la terre, dans la personne de ses apôtres.
  3. Ne pas s’enquérir de l’année où le Christ est arrivé, mais du bien qu’il a fait.
  4. Les Juifs, sous Moïse, comparés à des enfants.Éloge de Moïse.

1. Il montre ici que le Christ a réconcilié avec Dieu ceux qui n’en étaient pas dignes. Dire qu’ils étaient en la puissance de l’esprit de ténèbres, c’est montrer toute l’étendue de leur malheur ; mais pour que l’on ne voie point dans cette puissance de l’esprit de ténèbres un joug nécessaire, saint Paul a ajouté : « Vous étiez autrefois éloignés de Dieu ». Il a l’air de dire ici la même chose ; mais il n’en est pas ainsi. Car ce n’est pas la même chose de délivrer celui qui était condamné par la nécessité à souffrir, et de délivrer l’homme qui s’était condamné à souffrir lui-même, de son plein gré. Celui-ci est digne de haine, l’autre est digne de pitié. Eh bien ! dit-il, ce n’était point malgré vous, ce n’était point par nécessité, c’était de votre plein gré, c’était bien volontairement que vous vous étiez séparés de lui. Vous étiez indignes de ses bienfaits, et il vous a délivrés. Et, tout en rappelant les choses du ciel, il montre que les inimitiés ne sont pas venues du ciel, mais sont venues de la terre. Car depuis longtemps déjà les anges voulaient la réconciliation ; Dieu la voulait aussi : mais vous ne la vouliez pas, vous. Et il montre que dans la suite des temps, les anges n’auraient rien pu faire pour les hommes, si les hommes étaient restés ennemis de Dieu. Ils n’auraient pu ni les persuader, ni, en les persuadant, les délivrer du démon. À quoi bon les persuader, en effet, si celui qui les tenait sous son joug n’avait pas été enchaîné ? À quoi bon l’enchaîner, si ses esclaves n’avaient pas voulu revenir à la liberté ? Il fallait donc la réunion de deux conditions dont ni l’une ni l’autre ne pouvaient être remplies par les anges, et ces deux conditions ont été réalisées par le Christ. C’était donc un plus grand miracle encore de persuader les hommes que de les affranchir de la mort. Le Christ tout seul pouvait accomplir ce dernier miracle ; l’accomplissement du premier dépendait à la fois de lui et de nous. Or, ce qui ne dépend que de celui qui agit, est toujours plus facile. C’est donc du premier de ces miracles que saint Paul parle en dernier lieu, parce qu’il est le plus grand. Il n’a pas dit simplement : Vous étiez les ennemis de Dieu ; il a dit : « Vous étiez éloignés de Dieu » ; ce qui indique une inimitié violente. Et non seulement ils étaient éloignés de Dieu, mais ils ne pensaient pas à revenir à lui. Il dit qu’ils étaient ses ennemis du fond du cœur, faisant voir par là que cette inimitié n’était pas seulement une affaire de choix et de réflexion. Mais que dit-il encore ? « Votre esprit était abandonné à des œuvres criminelles ». Vous étiez, dit-il, les ennemis de Dieu, et vous agissiez en ennemis à son égard.

« Mais maintenant Jésus-Christ vous a réconciliés par la mort qu’il a soufferte dans son corps mortel, pour vous rendre saints, purs et irrépréhensibles devant lui ». Il parle de la manière dont la réconciliation s’est opérée. Après avoir été frappé, flagellé et vendu, le Christ a subi la mort la plus honteuse. Il fait encore ici allusion au supplice de la croix, puis il mentionne un nouveau bienfait. Non seulement le Christ a délivré les hommes, mais, comme il l’a dit plus haut, il les a rendus propres à recevoir ses bienfaits. C’est ce qu’il fait entendre aussi, dans ce passage, par ces mots : « Pour vous rendre saints, purs et irrépréhensibles devant lui ». C’est qu’il a souffert pour les délivrer de leurs maux et pour les élever au plus haut rang, comme un être bienfaisant qui, après avoir délivré un coupable, le ferait monter au faste des honneurs. Non content de les mettre au rang de ceux qui n’ont pas péché, il les met au nombre de ceux qui ont fait les actions les plus grandes et les plus illustres : et, bienfait plus précieux encore, il les a rendus saints devant lui. Remarquez que ce mot irrépréhensible dit encore plus que pur de tout opprobre. Être irrépréhensible, c’est ne pas donner prise à la moindre accusation, au moindre blâme. Mais, après avoir rendu pleine et entière justice à ce Dieu qui a tout fait pour nous, en mourant pour nous, afin de fermer la bouche à ceux qui voudraient dire que nous n’avons plus rien à faire, il a ajouté : « Si toutefois vous demeurez ancrés et affermis dans la foi, et inébranlables dans l’espérance que vous donne l’Évangile (23) ».
Il les reprend ici de leur tiédeur. Il ne se borne pas à dire : « Si vous demeurez », car on peut demeurer debout, tout en chancelant et en s’agitant à droite et à gauche ; on peut encore rester debout, en tournant sur soi-même. Mais il faut rester, dit l’apôtre, « ancré, affermi et inébranlable ». Voyez quel luxe de figures ! C’est peu de ne pas chanceler ; il ne faut pas bouger. Il ne leur impose pas là des devoirs bien lourds, ni bien pénibles à remplir ; il recommande seulement la foi et l’espérance. Il veut dire : Soyez fermes dans la croyance que l’espérance des biens futurs repose sur la vérité. Il ne demande là rien d’impossible ; mais dans la vertu, il faut demeurer inébranlable. C’est ainsi que le devoir devient facile. « Dans l’espérance que donne l’Évangile qu’on vous a annoncé, qui a été prêché à toutes les créatures qui sont sous le ciel ». Or, quelle est cette espérance que donne l’Évangile, si ce n’est le Christ lui-même ? C’est lui qui est notre espoir et qui a opéré toutes ces œuvres. Celui qui met son espoir dans un autre, ne reste plus inébranlable ? Et pour lui, tout est perdu ; s’il ne croit pas en Jésus-Christ. « L’Évangile qu’on vous a annoncé », dit-il. Il les prend à témoin ; puis il prend à témoin l’univers entier. Il ne dit pas : « Qui est prêché », mais : « Qui a été prêché, qui a été cru », comme il l’a déjà dit en commençant et en invoquant une foule de témoins, pour affermir leur foi. Et « dont moi, Paul, j’ai été établi ministre ». Par ce moyen, il donne encore plus d’autorité à sa parole. « Moi, Paul », dit-il. Son influence était déjà grande ; son nom était partout célèbre ; il enseignait dans tout l’univers. « Maintenant, je me complais dans les maux que je souffre pour vous, et j’accomplis dans ma chair ce qui reste à souffrir à Jésus-Christ, en souffrant moi-même pour son corps qui est l’Église (24) ».
2. Voyez comme ce verset se rattache bien au précédent. Il semble s’en détacher ; mais il a avec lui une liaison intime. J’ai été établi ministre de l’Évangile, dit-il, c’est-à-dire, je viens à vous non pour vous apporter quelque chose de moi, mais pour vous annoncer ce qui émane d’un autre. Je crois donc que je souffre en son lieu et place, et, tandis que je souffre, je me complais dans mes souffrances, les yeux brillants d’espoir et fixés sur l’avenir ; et ce n’est pas pour moi, c’est pour vous que je souffre. Et « j’accomplis dans ma chair ce « qui reste à souffrir à Jésus-Christ ». Ce langage paraît ambitieux ; et pourtant il n’a rien d’arrogant, à Dieu ne plaise ! Il est plutôt empreint d’un ardent amour pour le Christ. Ses souffrances, dit-il, ne sont pas les siennes ; ce sont les souffrances du Christ. Il cherche, en parlant ainsi, à se concilier ses auditeurs. Ce que je souffre, dit-il, c’est pour lui que je le souffre : c’est donc lui et non pas moi qu’il faut remercier ; car c’est lui qui souffre. C’est comme si un homme envoyé auprès d’un autre, priait un tiers d’y aller à sa place, et comme si ce dernier disait : C’est pour un tel que j’agis. Saint Paul ne rougit donc pas d’appeler ses souffrances les souffrances du Christ. Car le Christ est mort pour nous, et même, après sa mort, il s’est montré prêt à supporter pour nous les afflictions. L’apôtre s’efforce de démontrer que c’est le Christ qui maintenant encore affronte le péril, dans l’intérêt de son Église, et il fait allusion à cette vérité, en disant : Ce n’est pas nous qui vous ramenons ; c’est lui qui vous ramène, bien que ce soit nous qui agissions. Car ce n’est pas à notre œuvre, c’est à la sienne que nous avons mis la main. C’est comme si une armée, commandée par un général bien capable de la défendre et de la protéger, venait à perdre son chef et trouvait pour le remplacer, jusqu’à la fin de la guerre, un lieutenant qui recevrait les blessures et les coups d’épée portés au chef de l’armée.
Et ce qui prouve que tout ce que fait l’apôtre, il le fait pour le Christ, ce sont ces paroles : « Pour son corps ». Il veut dire : Ce n’est pas à vous, c’est au Christ que je veux être agréable ; car je souffre pour lui ce qu’il devait souffrir lui-même. Quelle preuve que ces paroles ! Quel amour du Christ elles respirent ! C’est ainsi que, dans sa seconde épître aux Corinthiens, il disait : « Il nous a confié un ministère de réconciliation » ; et encore : « Nous sommes les ambassadeurs du Christ ; c’est Dieu qui vous exhorte, par notre bouche ». (2Cor. 5,18-20) C’est ainsi qu’il parle, en ce passage : C’est pour lui que je souffre. Il voulait par là attirer encore davantage ses auditeurs. C’est comme s’il disait : Votre débiteur est parti ; mais j’acquitte le reste de sa dette. Voilà le sens de ce mot : « Ce qui reste à souffrir ». Il veut montrer que, selon lui, Jésus-Christ n’a pas encore souffert pour nous tout ce qu’il avait à souffrir. Il dit encore que le Christ souffre, après sa mort, les maux qu’il peut encore avoir à supporter ; ce qui rappelle ce passage de l’épître aux Romains : « Il intercède encore pour nous ». (Rom. 8,34) Il montre que, non content de mourir pour eux, le Christ prodigue encore aux hommes des bienfaits sans nombre. Il tient ce langage, non pour s’élever lui-même, mais pour montrer que le Christ veille encore sur eux. Et il le prouve par ces mots qu’il ajoute : « Pour son corps ». Voyons comme le Christ a su nous rattacher à lui. Pourquoi donc recourir à l’intermédiaire des anges ? « Dont j’ai été établi le ministre », dit Paul. À quoi bon d’autres messagers ? C’est moi qui suis son ministre. Puis il montre qu’il n’a rien fait en son nom, puisqu’il n’est que ministre.
« Dont j’ai été établi ministre, selon la charge que Dieu m’a donnée pour l’exercer envers vous, afin que je m’acquitte pleinement du ministère de la parole de Dieu (25) ». – « La charge que Dieu m’a donnée ». Peut-être veut-il dire : Le Christ, en vous quittant nous a donné une charge à remplir auprès de vous, pour que vous n’eussiez pas l’air d’être complètement abandonnés ; car c’est lui qui a souffert ; c’est lui qui s’acquitte d’une mission. Peut-être veut-il dire : J’étais le plus zélé persécuteur des croyants, et Dieu a permis que je fusse persécuté à mon tour, pour donner plus d’autorité à ma prédication. Peut-être « cette charge que Dieu lui a donnée » est-elle la mission qu’il a, non de faire de grandes œuvres et des actions illustres, mais de répandre la foi et de conférer le baptême. Autrement, dit-il, vous n’auriez pas accueilli la parole de Dieu.
« Afin que je m’acquitte pleinement du ministère de la parole de Dieu », en la prêchant aux nations. Et il montre par là que leur foi est encore chancelante. « Afin que je m’acquitte pleinement ». Si les nations dispersées ont ouvert leurs âmes à des dogmes aussi profonds, ce n’est pas l’œuvre de Paul, mais l’œuvre d’une providence divine. Car moi, dit-il, je n’aurais pu opérer ce miracle. Après avoir exprimé cette grande idée que ses souffrances sont celles du Christ, il ajoute que s’il s’acquitte pleinement du ministère de la parole de Dieu, c’est là l’œuvre de Dieu. Et ici encore il fait entrevoir que s’ils sont capables d’entendre la parole divine, c’est une œuvre de la providence divine. Car Dieu ne fait rien à la légère. Quand il descend jusqu’à l’homme, c’est un haut sentiment d’humanité qui le guide. Et voilà pourquoi le Christ est venu maintenant et non autrefois. C’est ainsi que dans son Évangile il est dit qu’il a envoyé en avant ses serviteurs, afin que le Fils de Dieu ne fût pas à l’instant même immolé. Puisqu’on ne l’a pas épargné, en effet, quand il est venu après eux, on l’aurait épargné bien moins encore, s’il avait pris les devants. S’ils n’ont pas voulu écouter l’humble parole des précurseurs, comment auraient-ils pu écouter la doctrine sublime du Christ ? Que dit-il donc ? Est-ce qu’aujourd’hui encore les juifs et les gentils ne sont pas remplis d’imperfections ? Ah ! c’est là le comble de la faiblesse. Après tant d’années, après tant de preuves, être encore si imparfait, c’est être bien tiède.
3. Quand donc les gentils nous diront : Pourquoi le Christ n’est-il venu qu’à présent ? ne les laissons pas dire ; mais demandons-leur s’il n’a pas bien accompli son œuvre. S’il était venu dès le commencement, et s’il n’avait pas réussi, le temps n’aurait pas suffi pour l’excuser. Mais puisque son œuvre s’est accomplie, pourquoi nous parler du temps ? Quand un médecin soigne un malade et le guérit, on ne lui demande pas compte du traitement qu’il a appliqué. Quand un général a remporté la victoire, on ne lui demande pas compte de l’heure et du terrain qu’il a choisi. S’il n’avait pas réussi, on pourrait l’interroger. Mais, puisqu’il a réussi, il faut l’accueillir avec éloge. Que faut-il croire, dites-moi, vos raisonnements calomnieux ou cette œuvre si parfaite ? A-t-il remporté ou non la victoire ? dites-moi. A-t-il triomphé ou non de tous les obstacles ? Sa parole s’est-elle accomplie ou non ? Voilà ce qu’il faut examiner. Dites-moi : Si vous ne croyez pas au Christ, croyez-vous en Dieu ? Est-il vrai, je vous le demande, que Dieu n’ait pas eu de commencement ? Cela est vrai, me répondrez-vous. Mais, dites-moi ; pourquoi ne s’y est-il pas pris dix mille ans plus tôt, pour créer les hommes ? De cette manière, le monde aurait duré plus longtemps. Car si l’existence est un bien, mieux vaut la commencer plus tôt. Mais les hommes ont-ils donc perdu à ne pas exister plus tôt ? Non sans doute, et celui qui les a faits sait pourquoi. Autre question : Pourquoi n’a-t-il pas créé tous les hommes à la fois et en même temps ? L’aîné du premier homme a tant d’années ; l’aîné de l’homme qui naît plus tard en a moins ? Pourquoi a-t-il fait venir au monde les uns plus tôt, les autres plus tard ? Voilà des points vraiment dignes de faire question, sans mériter cependant de curieuses recherches. Mais pourquoi le Christ est-il venu plus tôt ou plus tard ? Il ne faut même pas le demander, car j’ai déjà dit pourquoi, et je ne pourrais que me répéter.
Figurez-vous l’humanité comme ayant une existence à elle : les temps primitifs sont l’adolescence du genre humain ; l’âge suivant est sa jeunesse ; les siècles de décadence sont sa vieillesse. Alors, quand l’âme possède toute sa vigueur, quand le corps a perdu la sienne et ne fait plus la guerre à l’âme, on est porté à la philosophie. Eh bien ! me dira-t-on, dans la pratique il en est tout autrement ; car nous instruisons les jeunes gens. Il est vrai, mais nous ne leur enseignons pas les hautes sciences, mais la rhétorique et l’éloquence : on étudie la philosophie, quand on est dans toute la force de l’âge. Voyez Dieu : c’est ainsi qu’il traite les juifs. Les juifs sont comme des enfants auxquels il adonné Moïse pour maître, et c’est pour eux qu’il trace cette loi qui est pour ainsi dire leur abécédaire, « cette loi qui n’offre que l’ombre des biens à venir, sans offrir l’image même des choses ». (Héb. 10,1) Nous achetons des friandises aux enfants, nous leur donnons quelques pièces de monnaie, à une seule condition, c’est qu’ils se rendront à l’école. Et Dieu aussi donne aux Hébreux richesses et plaisirs, et leur prodigue ses biens, en retour desquels il ne demande qu’une chose, c’est qu’ils écoutent Moïse. C’est pour cela qu’il les a mis entre les mains de ce maître. Il ne veut pas qu’ils le méprisent ; il veut qu’ils l’accueillent, comme un père bienveillant. Et voyez comme ce maître à lui seul leur impose. Ils ne disent pas : Où est Dieu ? Ils disent : Où est Moïse ? Il n’avait qu’à paraître pour se faire craindre. Quand ils font mal, voyez comme il sait les punir. Dieu voulait les abandonner, Moïse ne le permit pas. Ou plutôt, en cette circonstance, c’est Dieu qui fait tout. Dieu est le père qui menace ; Moïse est le maître qui demande, qui cherche à fléchir le père et qui dit : Pardonnez-moi ; je prends tout sur moi, à partir de ce moment. Ainsi le désert fut pour les Juifs une école. Semblables aux enfants qui, après être longtemps restés à l’école, demandent à se retirer, eux aussi avaient toujours les yeux tournés du côté de l’Égypte, et, les larmes aux yeux, ils disaient : Nous sommes perdus, c’est fait de nous, nous voilà morts ! Et Moïse brisa la table de la loi, après avoir écrit pour eux quelques mots destinés à leur servir d’exemple, comme ferait un maître qui, pour témoigner sa colère à un mauvais élève, jetterait des tablettes qu’il aurait mal écrites ; il a même le droit de les briser, sans que le père se fâche. Car cette table de la loi, Moïse s’était appliqué à l’écrire. Mais eux, sans s’inquiéter de leur maître, et distraits par d’autres pensées, ne gardaient ni modération, ni réserve, et, comme des enfants qui, dans une école, se frappent mutuellement, il leur permit de se frapper et de s’exterminer les uns les autres. Un maître donne une leçon à apprendre, et lorsqu’en la faisant dire, il voit que l’enfant a perdu son temps, il l’en punit. Par exemple les événements de l’Égypte étaient comme des lettres qui marquaient la puissance de Dieu. Il est vrai que ces lettres étaient des plaies et des fléaux, mais elles n’en montraient que mieux que Dieu punit ses ennemis : elles renfermaient un grand enseignement. En annonçant la punition des ennemis de Dieu, elles annonçaient aussi ses bienfaits à votre égard.
Les Juifs ressemblaient à ces écoliers qui prétendent savoir leur alphabet et qui, interrogés sur certaines lettres prises à part, ne peuvent pas répondre et sont battus. Ils prétendaient, eux, connaître la puissance de Dieu, et quand on les interrogeait sur des cas isolés de cette puissance, ils ne savaient rien et ils étaient châtiés. Avez-vous vu cette eau ? Elle doit vous rappeler l’eau de l’Égypte. Celui qui a pu changer l’eau en sang, peut aussi faire jaillir une source. C’est ainsi que nous répétons aux enfants : Quand vous verrez sur un livre la lettre A, souvenez-vous que cette lettre a figuré sur vos tablettes. Avez-vous vu une famine ? Souvenez-vous que c’est Dieu qui étouffe la moisson dans son germe. Avez-vous été témoins de guerres ? Souvenez-vous du déluge. Avez-vous vu ce grand peuple qui habite cette terre ? Il n’est pas plus grand que le peuple d’Égypte : Celui qui vous a tiré du milieu de ce peuple, saura bien vous sauver aujourd’hui que vous êtes loin de la terre d’Égypte. Mais ils ne savaient pas qu’on leur faisait subir un interrogatoire sur les éléments isolés de leur doctrine, et ils étaient châtiés. Ils ont mangé, ils ont bu et se sont révoltés. Ils ne devaient pas chercher la volupté dans la manne, puisqu’ils avaient appris que leurs maux venaient de la volupté. Ils faisaient comme ces enfants de bonne maison que l’on envoie à l’école et qui recherchent la compagnie des esclaves, et qui se font un jeu de les servir. Ils peuvent, à la table paternelle, se nourrir comme il faut et comme il convient à des gens bien nés, et ils préfèrent à la table de leur père, une ignoble table d’esclaves où règnent le tumulte et le désordre. C’est ainsi que les Hébreux cherchaient la terre d’Égypte. Et ils disaient à Moïse : « Oui, Seigneur, nous ferons et nous écouterons tout ce que vous direz ». (Ex. 24,7) Et, comme s’il se trouvait devant un père irrité qui voudrait se défaire de ses fils incorrigibles, le maître ne cessait de prier pour eux. Voilà ce qui arrivait souvent alors.
4. Pourquoi ce langage ? C’est parce que nous ressemblons en tout aux enfants. Voulez-vous voir combien les lois que l’on donnait aux Juifs étaient des lois d’enfants ? Lisez le Lévitique : « Œil pour œil, dent pour dent », dit-il. (Lev. 24,20) C’était ainsi qu’il fallait leur parler ; car rien n’est plus porté à la vengeance que l’enfant. Qu’est-ce que la colère, en effet ? C’est une éclipse de la raison ; c’est un mouvement tumultueux de l’âme ; or, comme cet âge manque surtout de réflexion et de raison, l’enfant se laisse dominer par la colère. Cela est si vrai, que s’il vient à tomber, il se frappe le genou en se relevant, il renverse son tabouret et parvient ainsi à calmer son ressentiment, à éteindre sa colère. Dieu traitait donc les Hébreux comme des enfants, en leur donnant la faculté d’arracher œil pour œil, dent pour dent, en immolant les Égyptiens et les Amalécites, leurs persécuteurs. Dans ses promesses, on croit entendre un père, à qui son enfant vient de dire : Papa, celui-là m’a frappé. Le père répond à son enfant : C’est un méchant ; n’ayons pour lui que de la haine. Tel est le langage de Dieu : Vos ennemis, dit-il, seront les miens, et je détesterai ceux qui vous détestent. (Ex. 23,22) Et, quand Balaam priait, leur abattement était bien celui de l’enfant. Les enfants ont peur d’un rien, d’un morceau de laine et autre objet semblable. Pour calmer leur frayeur, on leur met l’objet sous la main et on charge leur nourrice de leur montrer ce que c’est. Ainsi fit Dieu : Balaam était un prophète terrible, et pourtant la terreur des Hébreux se changea en audace. Dieu traitait les Hébreux comme des enfants qui viennent d’être sevrés et dont on remplit la petite corbeille de mille bonnes choses ; il leur prodiguait les biens et les douceurs. Comme l’enfant qui demande le sein, les Hébreux demandaient l’Égypte et les viandes de l’Égypte.
On ne court donc pas risque de se tromper en regardant Moïse comme le maître, le précepteur des Hébreux, et comme un maître plein de sagesse. Ce n’est pas en effet la même chose d’avoir à conduire des philosophes ou des enfants privés de raison. Voulez-vous un autre exemple ? Écoutez cette nourrice qui dit à son enfant : Aie bien soin de rassembler les plis de ta robe quand tu t’assieds. Ainsi faisait Moïse. Les enfants dont l’âme est encore sans frein, ressentent le pouvoir tyrannique de toutes les passions : c’est la vanité, c’est la cupidité, c’est l’irréflexion, c’est la colère, c’est l’envie qui les domine ; les Juifs aussi étaient esclaves de toutes ces passions ; ils conspuaient Moïse, ils le frappaient comme des enfants qui prennent des pierres, et auxquels on crie : Ne lancez donc pas de pierres, ils prenaient, eux aussi, des pierres pour les jeter à Moïse, leur père, et Moïse fuyait. Quand un père a quelque ornement, son enfant, auquel cet ornement fait envie, le lui demande : ainsi faisaient Dathan et Abiron, s’élevant contre le sacerdoce. C’était le peuple le plus envieux, le plus querelleur et le plus arriéré de tous les peuples en toutes choses. Le moment, dites-moi, était-il favorable pour l’arrivée du Christ ? Étaient-ils mûrs pour les leçons de la sagesse, ces hommes égarés par les passions, aussi effrénés dans leurs désirs que des coursiers fougueux, ces hommes esclaves des richesses et de leur ventre ? Mais tous les préceptes de sagesse du Christ auraient été perdus pour ces insensés, et ils n’auraient profité ni des leçons de Moïse, ni des leçons du Christ.
Un maître qui veut faire lire ses écoliers, avant de leur faire connaître leurs lettres, ne réussira même pas à leur apprendre leur alphabet. C’est ce qui serait arrivé à cette époque. Mais aujourd’hui, les temps sont bien changés. La grâce de Dieu a civilisé le monde et y a semé en abondance les germes de la vertu. C’est pourquoi rendons grâces à Dieu de toutes choses et ne soyons pas trop curieux. Nous ne connaissons pas le temps ; mais l’Être qui a fait le temps, l’ouvrier des siècles le connaît. Cédons-lui donc en toutes choses ; car c’est glorifier Dieu que de ne pas lui demander compte de ce qu’il fait. C’est ainsi qu’Abraham rendait grâces à Dieu, dans la persuasion où il était, dit-il, que Dieu est assez puissant pour tenir toutes ses promesses. (Rom. 4,24) Abraham se gardait d’interroger Dieu, même sur l’avenir ; et nous autres, nous lui demandons compte même du passé. Voyez quelle est notre folie, quelle est notre ingratitude ! Mais corrigeons-nous de ce défaut : loin de nous profiter, cette habitude nous porte un grand préjudice. Soyons reconnaissants envers Notre-Seigneur et glorifions Dieu, afin qu’en le remerciant de tous ses bienfaits nous soyons jugés dignes de sa miséricorde ainsi que de la grâce et de la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et pouvoir, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE V. modifier


LE MYSTÈRE QUI AVAIT ÉTÉ CACHÉ A TOUS LES SIÈCLES ET A TOUS LES ÂGES, A ÉTÉ DÉCOUVERT MAINTENANT À SES SAINTS. – AUXQUELS DIEU A VOULU FAIRE CONNAÎTRE QUELLES SONT, DANS LES GENTILS, LES RICHESSES DE LA GLOIRE DE CE MYSTÈRE QUI N’EST AUTRE CHOSE QUE JÉSUS-CHRIST REÇU DE VOUS ET DEVENU L’ESPÉRANCE DE VOTRE GLOIRE. – C’EST LUI QUE NOUS ANNONÇONS, REPRENANT TOUT HOMME ET INSTRUISANT TOUT HOMME EN TOUTE SAGESSE, POUR RENDRE TOUT HOMME PARFAIT EN JÉSUS-CHRIST. (CHAP. 1,26-28 JUSQU’AU VERSET 6 DU CHAP. II)

Analyse. modifier


  • 1. Degrés innombrables que les gentils ont dû franchir pour arriver à la connaissance du Christ.
  • 2. Trésors de la science du Christ ; ce que saint Paul demande à ses auditeurs, c’est une foi pleine et entière jointe à l’intelligence et à la charité.
  • 3. Quand il s’agit de croire aux mystères, la raison nous égare et la foi nous soutient.
  • 4. Contre ceux qui ne croient pas à la résurrection. Les mystères de la nouvelle loi ont dans l’ancienne loi et dans la nature des précédents qui nous préparent à y croire.


1. Après avoir dit les bienfaits que nous avons obtenus, comme autant de preuves de la bonté et de la grandeur de Dieu, il entre dans un autre développement et s’applique à faire voir que personne, avant nous, n’a connu Dieu. C’est ce qu’il fait dans l’épître aux Éphésiens, lorsqu’il dit : Ni les anges, ni les principautés, ni aucune autre vertu créée ne l’a connu ; il n’a été connu que du Fils de Dieu. (Eph. 3,5) C’est pourquoi il ne dit pas : Mystère inconnu, mais : Mystère caché. Quoiqu’il ait été découvert maintenant, ce mystère est ancien. Dieu voulait que les choses fussent ainsi dès le commencement ; pourquoi cela ? Saint Paul ne le dit pas encore. – « À tous les siècles », dit-il, « dès le commencement ». Et c’est avec raison qu’il donne le nom de mystère à ce que Dieu seul connaissait. Et ce mystère, où était-il caché ? En Jésus-Christ ; c’est ce que dit saint Paul dans son épître aux Éphésiens. (Eph. 3,9) C’est ce que dit le Prophète : « Vous existez depuis le commencement des siècles jusqu’à la fin des siècles ». (Ps. 89,2) – « Ce mystère a été découvert maintenant à ses saints ». Ce bienfait est donc tout entier une grâce de la Providence. « Il a été manifesté maintenant ». Il ne dit pas : S’est opéré ; mais : « A été manifesté à ses saints ». Il reste donc encore caché, puisqu’il n’a été découvert qu’à ses saints. Ne vous laissez donc pas tromper sur les motifs de Dieu qui sont inconnus. « Le mystère a été découvert à ceux à qui il a voulu le découvrir ». Voyez comme il sait toujours mettre un frein à leur curiosité. « À ceux à qui Dieu a voulu faire connaître, etc. » Dieu a eu ses raisons pour agir ainsi. Et, en parlant comme il parle, l’apôtre a voulu que les hommes reconnaissent l’empire de la grâce, au lieu de se glorifier de leurs vertus.
Que signifie cette expression : « Les richesses de la gloire de ce mystère chez les gentils ? » C’est une expression pleine de beauté et d’énergie. C’est un sentiment sublime ; ce sont de grandes images qui renchérissent les unes sur les autres. C’est employer, en effet, une grande image que de dire sans rien préciser : « Les richesses de la gloire de ce mystère chez les gentils ». Car c’est chez les gentils surtout qu’éclate la grandeur de ce mystère, et c’est ce que saint Paul dit ailleurs : « Quant aux gentils, ils doivent glorifier Dieu de sa miséricorde ». (Rom. 15,9) Oui, la gloire de ce mystère éclate chez les autres ; mais elle éclate surtout chez les gentils. Que des hommes, plus insensibles que des pierres, aient été tout à coup élevés au rang des anges par de simples paroles, par la seule opération de la foi, voilà où est la gloire, où est la splendeur du mystère ! C’est comme si, d’un chien famélique et galeux, hideux et difforme, gisant sur le sol sans pouvoir faire un seul mouvement, on faisait tout à coup un homme, pour faire asseoir cet homme sur un siège royal. Voyez, en effet : ils adoraient les pierres et la terre ; ils ont appris que l’homme vaut mieux que le ciel et le soleil, et que le monde entier doit être son esclave. Ils étaient captifs, dans les chaînes du démon ; tout à coup ils lui ont mis le pied sur la tête, ils lui ont commandé et l’ont flagellé. Ces captifs, ces esclaves des démons, sont devenus des natures divines, des natures d’anges et d’archanges. Ces êtres, qui ne savaient même pas ce que c’est que Dieu, sont allés s’asseoir sur le trône de Dieu.
Voulez-vous voir quels degrés innombrables ils ont franchis ? Ils ont dû apprendre d’abord que les pierres ne sont pas des dieux ; que la pierre, loin d’être dieu, est même au-dessous de l’homme, qu’elle est même au-dessous de la brute, qu’elle est même inférieure à la plante ; que c’était sur le dernier degré de l’échelle des êtres qu’ils avaient choisi leurs dieux ; que non seulement ni la pierre, ni la terre, ni l’animal, ni la plante, ni l’homme, ni le ciel, mais, pour monter plus haut, que ni la pierre, ni l’animal, ni la plante, ni les éléments, ni la matière qui est au-dessus de nous, ni celle qui est au dessous, ni l’homme, ni les démons, ni les anges, ni les archanges, ni aucune de ces puissances célestes ne doivent être pour le genre humain les objets d’un culte. Ils ont dû fouiller, pour ainsi dire, dans les abîmes de la science, pour apprendre que c’est le Maître de l’univers qui est Dieu, qu’il a seul droit à nos hommages, qu’il est beau de savoir bien régler sa vie, que la mort actuelle n’est pas la mort, que la vie d’ici-bas n’est pas la vie, que notre corps ressuscite, qu’il devient incorruptible, qu’il monte au ciel, qu’il parvient à l’immortalité, qu’il est à côté des anges auprès desquels il se trouve transporté. Cet être placé ici-bas, Dieu lui a fait monter et franchir tous les degrés pour le placer sur le trône : cet être qui était au-dessous de la pierre, Dieu l’a mis au-dessus des anges, des archanges, des trônes et des dominations. Oui, il a eu raison de dire : « Les richesses de la gloire de ce mystère ».
En comparaison de cette science, la Science des anciens philosophes n’était que folie : tout ce que les philosophes pourraient dire ici serait inutile. Car le style de Paul a ici une grandeur infinie : « Quelles sont », dit-il, chez les gentils, « les richesses de la gloire de ce mystère », qui est le « Christ résidant en vous ? » Les gentils devaient apprendre en outre que celui qui est au-dessus de tout, qui commande aux anges et qui étend son empire sur toutes les puissances, s’est abaissé jusqu’à devenir un homme, a enduré d’innombrables souffrances, est ressuscité et monté au ciel.
2. Voilà tout ce que renfermait ce mystère. Et, pour en faire l’éloge, il ajoute : « Qui est le Christ résidant en vous ». Mais s’il est en vous, à quoi bon aller chercher les anges, pour vous l’enseigner ? « De ce mystère ». Il y a d’autres mystères encore. Mais ce mystère-là est bien le mystère inconnu, le mystère admirable qui surpasse toute attente, le mystère qui était caché au monde. « Qui est », dit-il, « le Christ résidant en vous, l’espérance de votre gloire », le Christ que nous vous annonçons, en faisant descendre sa doctrine du ciel : c’est nous qui vous l’annonçons ; ce ne sont pas les anges. « C’est lui que nous prêchons, reprenant tous les hommes ». Nous ne vous commandons rien ; nous ne vous imposons pas la religion du Christ ; car c’est encore ici un effet de la bonté de Dieu, de ne pas tyranniser les âmes. Pour atténuer ce que ce mot « nous prêchons » peut avoir d’ambitieux, il ajoute : « Reprenant » tous les hommes. C’est la réprimande d’un père plutôt que celle d’un maître. « Que nous annonçons », dit-il, « reprenant tous les hommes et les instruisant dans toute la sagesse », ce qui veut dire, les instruisant dans toute espèce de sagesse ou leur parlant toujours avec sagesse. Il faut donc ici une sagesse accomplie ; car il m’est pas donné à tout le monde d’apprendre de tels mystères. « Afin que nous rendions tout homme parfait en Jésus-Christ ». Que dites-vous, Paul ? vous voulez rendre tous les hommes parfaits ? Oui, c’est là le désir le plus cher de l’apôtre. Quand même il ne réussirait pas, saint Paul veut guider tous les hommes vers la perfection. Oui, vers la perfection ; mais l’œuvre de Paul est encore imparfaite et elle le sera, tant que tous les hommes ne seront pas complètement sages. « Tout homme parfait en Jésus-Christ » ; non dans la connaissance de la loi, non dans la connaissance des anges ; car ce n’est pas là la perfection ; mais « en Jésus-Christ », c’est-à-dire dans la connaissance du Christ. Bien connaître les actions du Christ, c’est être plus sage que les anges. « En Jésus-Christ ».
« C’est aussi la fin que je me propose dans mes travaux et dans mes luttes ». Je ne poursuis pas mon œuvre, dit-il, avec mollesse et tant bien que mal ; je travaille, je lutte avec zèle, c’est-à-dire sans épargner mes veilles. Si je veille tant à vos intérêts, vous devez à plus forte raison me seconder. Puis il montre que Dieu est pour beaucoup dans ces travaux. « Avec l’aide de sa vertu qui agit puissamment en moi ». Il prouve que c’est là l’ouvrage de Dieu. S’il me rend fort et robuste pour accomplir cette œuvre, c’est qu’il veut que je l’accomplisse. Et voilà pourquoi il dit au commencement de ce chapitre : « Paul, par la volonté de Dieu ». Ce n’est pas là seulement le langage de la modestie ; c’est celui de la vérité. « Dans mes luttes », cela signifie qu’il a beaucoup d’adversaires.
Puis, du ton le plus bienveillant, il dit à ses auditeurs : « Je veux que vous sachiez quelle est ma sollicitude pour vous et pour ceux qui sont à Laodicée ». (Chap. 2,1) Et, pour que cet intérêt ne ressemble point à un témoignage de leur faiblesse, il l’étend aussi à d’autres, sans les reprendre encore. « Et pour « tous ceux qui ne me connaissent pas encore « de vue ». Langage admirable dont le sens est qu’il les voit toujours en esprit ! Il leur témoigne beaucoup d’affection, et c’est pourquoi il ajoute : « Afin que leurs cœurs soient consolés, en se trouvant unis par la charité, et qu’ils soient remplis de toutes les richesses de l’intelligence, pour connaître le mystère de Dieu le Père, et de Jésus-Christ, en qui tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés ».
Il s’efforce ici d’aborder le dogme, sans les accuser, ni sans les disculper tout à fait. Je lutte, dit-il, et pourquoi ? Pour qu’ils forment une masse bien compacte, c’est-à-dire pour qu’ils soient fermes et stables dans la foi. Mais il n’expose pas ainsi sa pensée ; il retranche de son discours toute parole accusatrice. Il veut qu’ils soient unis par la charité et non par la nécessité, ni par la violence. Car, je le répète, c’est toujours sans aigreur qu’il les exhorte ; et voilà pourquoi il dit : Je suis dans l’angoisse, parce que je voudrais les mener avec le lien de l’affection, sans les contraindre. Je ne veux pas qu’ils soient unis seulement de bouche, ni qu’ils s’unissent inconsidérément et sans réflexion ; je veux que leurs cœurs soient consolés, « étant unis par la charité, pour être remplis de toutes les richesses d’une parfaite intelligence », c’est-à-dire pour qu’ils ne soient plus en proie au doute, pour que leur foi soit pleine et entière. Car c’est de la plénitude de la foi qu’il s’agit ici. Le raisonnement peut bien produire aussi la conviction ; mais cette foi-là n’a aucune valeur. Je sais que vous croyez ; mais je veux que vous soyez pleinement convaincus, de manière à posséder non seulement la richesse, mais « toutes les richesses », de manière à posséder la foi pleine et entière. Voyez l’habileté du saint apôtre. Il ne dit pas : Vous avez tort de ne pas avoir la foi, dans toute sa plénitude ; il ne les a pas accusés. Il dit : Vous ne savez pas comme je voudrais vous voir remplis d’une foi intelligente. Car, puisqu’il a parlé de la foi, n’allez pas croire, ajoute-t-il, que je parle d’une foi aveugle et inutile. La foi que je vous demande, c’est la foi jointe à l’intelligence et à la charité.
« Pour connaître le mystère de Dieu le Père et de Jésus-Christ ». C’est le mystère de Dieu, d’y être amené par Jésus-Christ. « Et de Jésus-Christ, en qui tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés ». S’il renferme en lui seul tous ces trésors cachés, il est arrivé à point, en arrivant aujourd’hui sur la terre. Que signifient donc les reproches de quelques insensés ? Voyez comme il parle à ces hommes simples : « En qui sont renfermés tous les trésors » : c’est-à-dire qui connaît tout. – « Cachés ». N’allez pas croire, en effet, que vous les possédez tous. Ce n’est point à vos yeux seulement, c’est encore aux yeux des anges qu’ils sont cachés. C’est donc au Christ qu’il faut tout demander ; c’est lui qui donne la sagesse et la science. Par le mot, « les trésors de la science », il fait allusion à leur richesse ; par le mot « tous », à l’omniscience du Christ ; par le mot « cachés », à son privilège. « Or je dis ceci, afin que personne ne vous trompe par des paralogismes exposés d’une manière persuasive (4) ».
3. Ce que je vous ai dit, poursuit-il, a pour but de vous empêcher d’interroger les hommes sur de pareils sujets. « Afin que personne ne vous trompe avec des paralogismes présentés d’une manière persuasive ». Quelle n’est pas, en effet, la puissance du sophiste, si sa parole est persuasive ? « Car, si je suis absent de corps, je suis néanmoins avec vous en esprit (5) ». La suite des idées amenait ces paroles : Si je suis absent de corps, je connais cependant ceux qui voudraient vous tromper. Le verset finit par un éloge. « Voyant avec joie l’ordre qui règne parmi vous et la solidité de votre foi en Jésus-Christ ». L’ordre dont il parle, est un ordre bien établi. « Et la solidité de votre foi en Jésus-Christ ». Ici l’éloge est encore plus flatteur. Il n’a pas dit, votre foi ; mais : « La solidité de votre foi », comme s’il parlait à des soldats bien alignés et fermes à leur poste. Ce qui est ferme et solide est à l’épreuve de la fraude et de la tentation. Non seulement, dit-il, vous n’êtes pas tombés, mais nul ennemi n’a pu jeter le désordre dans vos rangs. Il s’offre à leurs regards, comme un chef présent parmi eux ; c’est le moyen de faire respecter la discipline. C’est quand les soldats restent fermes à leur poste que les rangs restent bien serrés. Ce qui fait la solidité d’un tout, c’est le rapprochement et l’union intime de toutes les parties de ce tout, et c’est ce qui a lieu dans une bonne muraille. Voilà l’œuvre de la charité. Les membres qu’elle unit étroitement forment un corps des plus solides. La foi produit le même effet, en ne permettant pas au sophisme de se glisser entre eux. Le sophisme est un élément de division et de ruine ; la foi est un gage de solidité et d’union. Puisque les bienfaits de Dieu dépassent la raison humaine, Dieu a fait sagement de nous donner la foi. Comment rester ferme, lorsqu’on demande des comptes à Dieu ?
Chez nous, ce sont les vérités les plus sublimes qui se passent du raisonnement et qui s’appuient sur la foi. Dieu est partout et nulle part. Quoi de plus contraire à la raison ? Chaque mot de cet axiome cache un écueil. L’espace, en effet, ne renferme pas Dieu ; aucun lieu n’est capable de le contenir. Il est incréé, il ne s’est pas fait lui-même ; il n’a pas eu de commencement. La raison acceptera-t-elle ces vérités, si la foi est absente ? Les propositions ne semblent-elles pas ridicules et plus insolubles que des énigmes ? Il n’a pas eu de commencement, il est incréé, immense et infini, voilà ce qui nous jette dans le doute et la perplexité. Il est incorporel ; c’est là que notre raison se perd. Dieu est incorporel : comment cela ? voilà un mot vide, un mot que l’esprit ne peut concevoir et qui ne lui représente rien. Car s’il représentait quelque chose, il représenterait notre nature et ce qui constitue le corps. Un pareil mot, la bouche le prononce ; mais l’esprit ne comprend pas ce que dit la bouche. Il ne sait qu’une chose, c’est que ce mot désigne un être qui n’a pas de corps. Mais pourquoi parler de Dieu ? Que signifie ce mot incorporel appliqué à l’âme qui est créée, renfermée dans notre corps et limitée ? Répondez ; montrez-moi le sens de ce mot. Mais vous ne le pouvez pas. Est-ce de l’air, que cette âme ? Mais l’air est un corps, bien qu’il ne soit pas solide ; et mille faits nous prouvent que c’est un corps élastique. Est-ce un feu ? mais le feu est un corps, et l’activité de l’âme est incorporelle. Pourquoi ? c’est qu’elle pénètre partout. Donc si l’âme n’est pas un corps, quelque chose d’incorporel se trouve donc compris dans un lieu, et par conséquent est circonscrit ; or, ce qui est circonscrit forme une figure, et les figures sont tracées avec des lignes, et les lignes appartiennent à des corps. Mais ce qui n’offre pas de figure, comment peut-on le concevoir ? Il n’y a là ni figure, ni forme, ni lieu. Voyez-vous quelle obscurité ?
Autres réflexions. Le grand Être n’a pas la capacité du mal ; mais il est « volontairement » bon ; donc il serait aussi capable du mal. Mais voilà ce qu’on ne peut dire, et loin de nous un pareil langage ! Est-ce volontairement ou malgré lui qu’il a été amené à posséder l’existence ? Voilà encore une question qu’on ne doit pas faire. Autre problème. Renferme-t-il la terre dans sa circonscription, ou ne la renferme-t-il pas ? S’il ne la renferme pas, c’est que c’est elle qui le renferme. S’il la renferme, c’est qu’il est infini dans sa nature. Et maintenant se borne-t-il lui-même ? S’il se borne lui-même, il n’est pas sans commencement par rapport à lui, bien qu’il le soit par rapport à nous ; on ne peut donc pas dire que par sa nature même, il n’a pas de commencement.
Partout des contradictions qui prouvent que nous sommes environnés de ténèbres, et que nous avons toujours besoin de la foi. Mais abordons, s’il vous plaît, de moins hautes questions. Cet Être suprême est capable d’action. Or cette action, quelle est-elle ? Est-ce un mouvement quelconque ? Il n’est donc pas immuable ; car ce qui se meut n’est pas immuable, puisque l’immobilité se change en mouvement. Mais cette essence se meut et ne reste jamais en place. Quel est son mouvement, dites-moi ? Chez nous il y a sept manières de se mouvoir ; on peut se mouvoir de bas en haut, de haut en bas, de dehors en dedans, de dedans en dehors, à gauche, à droite, circulairement ; sous un autre point de vue, il y a le mouvement qui augmente, celui qui diminue, celui qui commence, celui qui finit, celui qui change. L’essence suprême ne se meut-elle d’aucune de ces manières et se meut-elle comme l’âme ? Mais loin de nous cette pensée ! car l’âme se livre à une foule de mouvements déréglés. Vouloir, est-ce agir ? S’il en est ainsi, Dieu veut que tous les hommes soient bons et qu’ils soient sauvés. Comment donc cela n’a-t-il pas lieu ? Vouloir, n’est-ce pas agir ? Alors, pour agir, il ne suffit pas de vouloir. Et comment donc l’Écriture dit-elle : « Tout ce qu’il a voulu, il l’a fait ? » (Ps. 112,11) Et pourquoi le lépreux dit-il au Christ : « Si vous voulez, vous pouvez me purifier ? » (Mt. 8,3) Voulez-vous que je passe à d’autres questions ? Comment le monde a-t-il été tiré du néant ? Comment y retombe-t-il ? Qu’y a-t-il au-dessus du ciel ? et au-dessus de la région supérieure au ciel ? et au-dessus de l’espace supérieur à cet autre espace, et ainsi de suite, jusqu’à l’infini ? Qu’y a-t-il au-dessous de la terre ? la mer. Et au-dessous de la mer ? et toujours ainsi… Mais à droite et à gauche, ne sommes-nous point assiégés par le doute ?
4. Mais les yeux n’ont rien à faire là. Voulez-vous descendre un peu et aborder des sujets qui sont du ressort de la vue et de l’histoire ? Comment se fait-il, dites-moi, que Jonas ait vécu dans le ventre de la baleine ? La baleine n’est-elle pas un monstre privé de raison qui fait des bonds insensés ? Comment donc a-t-elle épargné ce juste ? Comment ce juste n’a-t-il pas étouffé, comment son corps ne s’est-il pas putréfié dans sa prison ? Si la mer est déjà dangereuse, ce séjour dans les entrailles d’un monstre, au milieu d’une atmosphère suffocante, était bien plus dangereux encore. Comment Jonas pouvait-il respirer ? Comment y avait-il là assez d’air pour faire vivre deux créatures ? Comment se fait-il qu’il soit sorti du ventre de la baleine, sain et sauf ? Comment pouvait-il parler, conserver son sang-froid et prier ? Tout cela n’est-il pas incroyable ? C’est incroyable, si nous consultons la raison ; c’est très croyable, si nous consultons la foi. Mais voici quelque chose de plus fort. Le blé dans le sein de la terre se gâte et repousse. Il y a là deux phénomènes merveilleux qui se combattent et qui triomphent l’un de l’autre. Ce blé préservé de la putréfaction, merveille ! ce blé qui se pourrit et qui repousse, merveille encore !…
Où sont ces hommes qui ne croient pas à la résurrection et qui disent : Comment tous ces ossements peuvent-ils se réunir ? et qui tiennent d’autres discours semblables ? Répondez : Comment se fait-il qu’Élie soit monté au ciel sur un char de feu ? (2R. 2,11) Le feu brûle, mais ne sert pas de véhicule. Quel est le secret de sa longue existence ? Dans quel lieu est-il ? Pourquoi ce miracle a-t-il eu lieu ?
Où Enoch a-t-il été transporté ? Se nourrit-il des mêmes aliments que nous ? Qui le retient loin de la terre ? Pourquoi cette translation ? Voyez là des leçons que Dieu nous donne l’une après l’autre. Il a ravi Enoch à la terre ; ce n’est pas là un grand miracle, mais c’est une leçon qui nous prépare à voir Élie enlevé au ciel. Il a enfermé Noé dans l’arche ; ce n’est pas non plus un bien grand miracle, mais c’est une leçon qui nous prépare à croire que Jonas a été enfermé dans le ventre d’une baleine. C’est ainsi que les faits de l’Ancien Testament ont eu besoin aussi de précédents et de symboles. Le premier degré d’une échelle conduit au second, et l’on ne peut arriver du premier au quatrième échelon sans mettre le pied sur les échelons intermédiaires. Il en est de même dans l’échelle des événements. Il y a des symboles qui annoncent d’autres symboles, témoin l’échelle vue par Jacob. Dieu se tenait sur le dernier échelon, et au-dessous de lui étaient les anges qui montaient ou descendaient.
On annonçait que le Père a un Fils : il fallait faire croire à cet article de notre foi. Où voulez-vous que j’en prenne les symboles ? Faut-il, pour vous les faire voir, descendre ou monter l’échelle ? Il fallait faire voir qu’il engendre sans diminution de sa substance : c’est pour cela que nous voyons tout d’abord un sein stérile qui porte des fruits. Mais remontons plus haut. Il fallait nous préparer à croire que Dieu engendra seul et de lui-même. A cet effet, nous voyons aussi paraître un symbole, obscur, il est vrai, comme l’ombre qui figure le corps ; mais enfin le symbole apparaît et devient plus clair avec le temps. L’homme, sans coopération, sans rien perdre de son être, engendre la femme. Et le mystère de l’enfantement d’une Vierge ne réclamait-il point aussi quelque symbole précurseur ? Eh bien ! avant que ce mystère ait lieu, nous voyons jusqu’à deux ou trois fois, nous voyons souvent un sein stérile porter des fruits. C’est là le type du mystère ; c’est le symbole qui nous prépare à y croire. Car si l’homme peut naître suivant un mode privilégié, à plus forte raison un être supérieur à l’homme. Il y a une autre génération qui sert aussi de type aux vérités de la foi : c’est notre régénération dans le Saint-Esprit. Le type de cette génération est aussi la femme stérile, car l’œuvre dont nous parlons n’est pas née du sang. Mais cette génération est à son tour le symbole de la génération céleste. De ces deux symboles, l’un montre que le Père engendre sans altération de sa substance, l’autre qu’il peut engendrer sans coopération.
Le Christ étend du haut des cieux sa domination sur toutes les créatures. Voilà encore un article de foi. Cette domination, l’homme l’exerce sur la terre. Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance » (Gen. 1,26), pour qu’il commande à tous les animaux privés de raison : les leçons de Dieu ne sont pas seulement des mots, ce sont aussi des faits. La distinction que la nature a mise entre les créatures, est marquée dans le paradis terrestre, où l’on voit que l’homme est le meilleur et le plus noble de tous les êtres de la création. Le Christ devait ressusciter. Voyez combien de signes concourent à annoncer cette résurrection : c’est Enoch, c’est Élie, c’est Jonas, c’est le miracle de la fournaise, c’est le déluge de Noé, ce sont les semences, les plantes, c’est la reproduction de tous les êtres animés. Comme c’est là le pivot de notre foi, c’est celui de tous les articles de notre foi qui a pour lui le plus grand nombre de symboles.
Cette providence qui gouverne le monde se révèle aussi dans toutes les choses d’ici-bas. Partout veille un œil prévoyant ; les troupeaux et toutes les choses d’ici-bas ont besoin d’un guide. Pour prouver que rien ne se fait au hasard, nous avons la géhenne, le déluge de Noé, le feu, l’exemple des Égyptiens engloutis dans les flots, ce qui s’est passé dans le désert. Le baptême aussi devait être annoncé par une foule de signes précurseurs : de là tous les miracles opérés au moyen de l’eau, les exemples innombrables de l’Ancien Testament, la piscine ; de là, et pour attester que tout ce qui n’est pas sain doit être purifié, le déluge lui-même et le baptême de saint Jean. Il fallait croire au sacrifice du Fils offert par Dieu le Père : eh bien ! c’est un homme qui le premier donne l’exemple d’un sacrifice pareil : cet homme est Abraham, le patriarche. Ainsi tous ces faits, il ne tient qu’à nous d’en trouver la représentation dans l’Écriture. Mais sans nous fatiguer, arrêtons-nous aux résolutions suivantes : Soyons fermes et stables dans notre foi ; montrons que notre plan de vie est bien réglé, afin que, rendant grâces à Dieu en toutes choses, nous soyons jugés dignes des biens promis à ceux qui l’aiment, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, aujourd’hui et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VI. modifier


DONC, SUIVANT L’INSTRUCTION QUE VOUS EN AVEZ REÇUE, MARCHEZ DANS LA VOIE DU CHRIST ET VIVEZ EN LUI. – ENRACINÉS A LUI, ÉDIFIÉS SUR LUI, APPUYÉS SUR LA FOI, COMME VOUS L’AVEZ APPRIS, CROISSANT DE PLUS EN PLUS DANS LA FOI, AU MILIEU DE CONTINUELLES ACTIONS DE GRÂCES. (CH. 2,6, 7-15)

Analyse. modifier


  • 1. Saint Paul attaque les pratiques superstitieuses des juifs et des gentils.
  • 2. Explication des mots : La plénitude de la divinité habite en lui.
  • 3. Dieu a déchiré l’acte de notre condamnation.
  • 4. Régénération par le baptême. Comparaison de l’homme régénéré par le baptême avec l’athlète.


1. Il commence par les prendre à témoin, en leur disant : « Suivant l’instruction que vous avez reçue ». Nous ne changeons rien à nos préceptes, leur dit-il ; ne changez donc rien à votre conduite. « Continuez à marcher dans sa voie, à vivre en lui » ; c’est lui en effet qui est la voie qui conduit à son Père, et non les anges ; car cette voie ne conduit pas au même but. « Enracinés », c’est-à-dire fixes et stables, ne flottant ni à droite, ni à gauche, mais « enracinés », parce que ce qui est enraciné, ce qui a pris racine ne peut être transposé. Voyez comme il emploie toujours le mot propre et comme toutes ses expressions sont bien appliquées ! « Et édifiés sur lui », dit-il, c’est-à-dire, fixant sur lui notre pensée, et « appuyés » sur lui, c’est-à-dire tenant à lui, comme l’édifice tient à sa base. Il montre que leur foi tombait en ruines. C’est ce que signifie le mot « édifiés ». C’est que la foi est un édifice qui a besoin d’être bien assis sur des fondements fermes et stables. Si le terrain n’est pas sûr, l’édifice chancelle ; si le terrain est sûr, mais si l’édifice n’est pas bien assis, il n’est pas plus solide. « Comme vous l’avez appris ». Autre preuve qu’il ne dit rien de nouveau : « Croissant de plus en plus en cette foi, au milieu de continuelles actions de grâces ». C’est le propre de la reconnaissance non seulement de rendre grâces, mais de rendre grâces avec effusion, avec plus d’effusion qu’on n’a appris à le faire, s’il est possible, et de tout son cœur. « Prenez garde que quelqu’un ne vous surprenne », preuve qu’il y a par là un voleur, un intrus qui s’introduit en cachette. Et il a raison de parler de surprise. Il y a par là un de ces malfaiteurs qui creusent sous les murailles pour les faire tomber. C’est son intérêt de poursuivre son œuvre de destruction, sans qu’on s’en aperçoive. « Par la philosophie ». Mais, la philosophie étant respectable à ses yeux, il ajoute : « Et par des raisonnements vains et trompeurs ». Il y a des fraudes salutaires dont nous avons plusieurs exemples et qui ne méritent pas le nom de fraudes. C’est celle dont Jérémie est victime, lorsqu’il dit : « Vous m’avez trompé, Seigneur ». (Jer. 20,7) Ici il n’y a vraiment pas de quoi crier à la fraude. Et la fraude au moyen de laquelle Jacob a surpris son père n’était vraiment pas de la fraude, c’était une trame providentielle. « Par la philosophie », dit-il, et « par des raisonnements vains et trompeurs, selon une doctrine humaine, selon les éléments du monde, et non « selon Jésus-Christ ».
Il blâme ici l’attention superstitieuse dont certains jours étaient l’objet, en parlant des éléments du monde, c’est-à-dire du soleil et de la lune. C’est ainsi qu’il disait dans l’épître aux Galates : « Comment vous tournez-vous vers ces éléments du monde impuissants et défectueux ? » (Gal. 4,9) Il ne parle pas spécialement de l’observation des jours ; il parle en général du monde, pour montrer combien ce monde et à plus forte raison ses éléments ont peu de valeur. C’est après avoir mis sous leurs yeux la multitude des bienfaits de Dieu, qu’il les accuse, pour donner plus de poids à l’accusation par le tableau des bienfaits, et pour convaincre ses auditeurs. C’est la méthode des prophètes ; ils montrent les bienfaits de Dieu pour aggraver la faute des pécheurs. Isaïe s’écrie : « J’ai engendré, j’ai exalté des fils, et ils m’ont méprisé ». (Is. 1,2) Et Michée : « Ô mon peuple, que t’ai-je fait, quelle douleur, quel chagrin t’ai-je causé ? » (Mic. 6,3) Et David : « Je t’ai exaucé dans une nuit d’orage ». (Ps. 80,8) Et dans un autre endroit : « Ouvre la bouche, et je la « remplirai de mes dons ». Partout, chez les prophètes, on trouvera cette méthode. Ainsi, quoi que pussent dire les imposteurs, il ne faudrait pas les écouter, et même, tout souvenir des bienfaits de Dieu mis à part, il faut fuir tous les pièges de ces raisonneurs. Lors même en effet que vous pourriez servir deux maîtres, il ne faut pas vous rendre esclaves de ces sophistes. Mais leurs raisonnements ne vous permettent pas de suivre le Christ et vous en détournent. Après avoir battu en brèche les observations superstitieuses des gentils, il attaque victorieusement la superstition des juifs. Car juifs et gentils se livraient à des observations superstitieuses ; seulement, la source de ces observations étaient la loi pour les juifs, la philosophie pour les gentils. Il commence par s’en prendre à ceux chez lesquels il y a le plus à blâmer. Que dit-il ? Il parle de ces observations qui n’étaient pas « selon le Christ ». — « C’est en lui, en effet, que toute la plénitude de la divinité habite corporellement (9). Et c’est en lui que vous en êtes remplis ; lui qui est le chef de toute principauté et de toute puissance (10) ».
2. « Parce que la plénitude de la divinité habite en lui », c’est-à-dire, parce que Dieu habite en lui. Mais n’allez pas croire que Dieu soit renfermé en lui, comme dans un corps. Il dit : « Toute la plénitude de la divinité corporellement. Et c’est en lui que vous en êtes remplis ». Il y en a qui prétendent que c’est l’Église qui reçoit son accomplissement de la divinité de Jésus-Christ, selon ce que saint Paul dit ailleurs : « Qui accomplit tout en toutes choses ». (Eph. 1,33) Le mot « corporellement » signifie que Jésus-Christ est à l’égard de l’Église ce que la tête est à l’égard du corps. Mais pourquoi n’a-t-il pas dit : La plénitude de la divinité qui est l’Église ? Quelques-uns prétendent que ces mots : « La plénitude de la divinité », désignent le Père : mais c’est à tort, parce que le mot « habiter », ne peut s’appliquer à Dieu, et parce que la plénitude n’est pas ce qui contient, mais ce qui remplit. « La terre et tout ce qui remplit la terre appartient à Dieu », dit le Psalmiste (Ps. 23,1) « Jusqu’à ce que toutes les nations qui remplissent la terre soient arrivées ». La réunion de toutes les parties, voilà la plénitude. Que veut dire « corporellement ! » Comme dans une tête. Pourquoi donc ces mots qui suivent : « Et c’est en lui que vous en êtes remplis ? » Que veulent dire ces mots ? Que vous n’êtes pas moins bien partagés que lui. Ce qui est venu habiter en lui, est venu habiter en vous. Paul en effet cherche toujours à nous associer au Christ ; c’est ce qu’il fait, quand il dit : « Il est ressuscité comme nous et nous a fait asseoir auprès de lui ». (Eph. 2,6) « Si nous persévérons, nous régnerons avec lui ». (2Tim. 2,12) « Ne nous donnera-t-il pas aussi toutes choses avec lui ». (Rom. 8,32) Il va jusqu’à nous donner le nom de cohéritiers du Christ. « Et il est le chef de toute principauté et de toute puissance ». (Id. 17) Celui qui est supérieur à tous, celui qui est la source de toute puissance et de toute principauté, ne nous est-il pas aussi consubstantiel ?
Puis il parle des bienfaits du Christ en termes admirables, plus admirables même que dans l’épître aux Romains. Car dans l’épître aux Romains, il dit : « La circoncision est celle du cœur qui se fait par l’esprit et non selon la lettre ». Ici la circoncision se fait « par le Christ ». – « C’est en lui que vous avez été circoncis d’une circoncision, qui n’est pas faite de main d’homme, mais qui consiste « dans le dépouillement du corps des péchés que produit la chair, et qui est la circoncision du Christ (11) » – Voyez comme il serre toujours de près la vérité. Il dit : Le dépouillement « absolu », et non pas « le simple dépouillement ». Ce terme « du corps des péchés » fait allusion à l’ancienne vie que menaient les fidèles avant leur conversion. Il tourne et retourne toujours et de mille manières les mêmes idées. C’est ainsi qu’il disait plus haut.
« Qui nous a arrachés à la puissance des ténèbres et nous a réconciliés avec Dieu qui s’était détourné de nous, afin que nous fussions saints et sans péchés ». (Col. 1,13) Ce n’est plus par le glaive, dit-il, que se fait la circoncision ; c’est par le Christ lui-même. Ce n’est pas, comme autrefois chez les Juifs, la main de l’homme, c’est l’esprit qui opère la circoncision ; et elle s’opère non sur une partie de l’homme, mais sur l’homme tout entier. Cela est un corps et ceci en est un autre ; mais pour le corps du vieil homme, il y a la circoncision charnelle ; pour vous, il y a la circoncision spirituelle qui n’a pas lieu comme chez les Juifs ; car ce n’est pas de votre chair que vous vous êtes dépouillés, c’est de vos péchés. Quand et comment ? Par le baptême. Et ce qu’il appelle circoncision, il l’appelle aussi sépulcre. Voyez comme il justifie ce qu’il vient de dire. Les péchés de la chair, sont ceux dont leur chair s’est rendue coupable. Cette circoncision nouvelle dont il parle est plus qu’une circoncision. Il ne se sont pas bornés à retrancher et à rejeter loin d’eux leurs péchés, ils les ont détruits, ils les ont anéantis. « Ayant été ensevelis avec vos péchés par le baptême, dans lequel vous avez été aussi ressuscités parla foi que vous avez eue en Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts (12) ». Il n’y a pas là seulement un tombeau ; voyez ce qu’il dit : « Dans lequel vous avez été aussi ressuscités par la foi que vous avez eue en Dieu qui l’a ressuscité d’entre les morts ». Et cela est juste. C’est la foi qui a tout fait. Vous avez cru que Dieu pouvait vous ressusciter et vous êtes ressuscités. Pour prouver que vous aviez raison de croire, il dit : « Qui l’a ressuscité d’entre les morts » ; puis il montre la résurrection baptismale : « Et lorsque vous étiez dans la mort de vos péchés et dans l’incirconcision de votre chair, il vous a fait revivre avec lui ». Car vous étiez soumis à la mort. Et quand même vous seriez morts, votre mort n’eût pas été imméritée. Voyez maintenant ce qu’ajoute saint Paul, pour montrer à ses auditeurs les peines qu’ils avaient méritées.
« Nous pardonnant tous nos péchés, il a effacé la cédule qui s’élevait contre nous par ses décrets, et il l’a détruite en l’attachant à sa croix ; et dépouillant les principautés et les puissances, il les a menés hautement en triomphe, à la face du monde (13-15)». – « Nous pardonnant », dit-il, « tous nos péchés ». Lesquels ? Ceux qui causaient notre mort. Mais les a-t-il laissés subsister ? Non, il les a anéantis. Il ne s’est pas borné à les effacer, il en a détruit jusqu’à la trace. « Par ses décrets ». Par quels décrets ? Par la foi. Il suffit donc de croire. Il n’a pas mis les œuvres à côté des œuvres, mais la foi à côté des œuvres. Après avoir parlé de la rémission, l’apôtre parle de l’abolition des péchés. « Et il a détruit la cédule », dit-il, il l’a déchirée violemment, « en l’attachant à sa croix ; dépouillant les « princes et les principautés, il les a menés hautement en triomphe, à la face du monde ». Jamais l’apôtre ne s’est élevé à cette hauteur.
3. Vous voyez avec quel soin il a détruit cette cédule. Nous étions tous soumis au péché et au châtiment ; il nous a délivrés de l’un et de l’autre, en se soumettant lui-même au supplice de la croix. C’est à cette croix qu’il a attaché la fatale cédule, et il a usé de son pouvoir pour la déchirer. Qu’est-ce que c’était que cette cédule ? Elle attestait peut-être ces promesses faites par les Juifs à Moïse : « Tout ce que Dieu a dit, nous le ferons et nous l’écouterons ». Peut-être témoignait-elle de l’obéissance que nous devons à Dieu. Peut-être encore était-ce un écrit qui se trouvait entre les mains du démon et qui conservait le souvenir de cette parole adressée par Dieu à Adam : « Le jour où tu mangeras du fruit de cet arbre, tu mourras ». (Gen. 2,17) Cet écrit était donc au pouvoir du démon. Jésus-Christ ne s’est pas contenté de nous le rendre, il l’a déchiré lui-même, comme un créancier qui fait volontiers à son débiteur remise de sa dette. « Dépouillant les principautés et les puissances ». Les puissances de l’enfer, soit que la nature humaine se fût revêtue d’un pouvoir satanique, soit que le Christ trouvant les hommes toujours prêts à employer ces puissances, leur ait ôté l’occasion de s’en servir, en devenant homme. Tel est le sens de ces mots : « Il les a menés hautement en triomphe ». Et le mot est juste ; car jamais le démon ne fut aussi humilié. Il s’attendait à posséder le Christ, et il perdit son empire sur tous les esclaves qu’il possédait, et, par la grâce de ce corps attaché à une croix, les morts ressuscitaient. Ce fut alors que le démon fut blessé, et cette blessure mortelle c’était ce corps mort sur la croix qui la lui faisait. Le démon était l’athlète qui croit avoir frappé son adversaire et qui reçoit lui-même le coup mortel.
C’est encore là une preuve qu’une belle mort, une mort tranquille et courageuse est un moyen d’humilier et de couvrir d’opprobre le démon. Le démon aurait tout fait, s’il l’avait pu, pour persuader aux hommes que le Christ n’était pas mort. La résurrection de Jésus-Christ devait être assez démontrée par les temps à venir, mais sa mort n’eût pu être en aucune façon démontrée, si elle ne l’eût été à l’instant même où elle avait lieu ; voilà ce qui explique pourquoi il est mort sous les yeux de tous, tandis que la même publicité n’a pas entouré sa résurrection ; le Christ savait que l’avenir devait en témoigner. Oui, c’est devant le monde entier que le serpent a été écrasé sur la croix, et voilà ce qu’il y a d’admirable. Que n’a pas fait le démon, en effet, pour que le Christ ne mourût pas ? Écoutez Pilate : « Prenez-le », dit-il, « et crucifiez-le vous-mêmes : car je trouve qu’il n’y a aucun motif pour le faire mourir ». (Jn. 19,6) Et les Juifs lui disaient : « Si tu es le Fils de Dieu, descends de la croix ». (Mt. 27,40) Mais la blessure était mortelle ; il ne descendit pas et il fut mis dans le tombeau. Il pouvait ressusciter aussitôt ; mais il fallait que tout le monde crût à sa mort.
Dans une mort ordinaire on peut ne voir parfois qu’une défaillance. Mais il n’en est pas de même ici. Les soldats ne lui brisèrent pas les jambes, comme ils firent aux autres ; il était donc manifeste pour eux qu’il était mort. Et ceux qui l’ensevelirent, firent aussi leur œuvre, au vu et au su de tout le monde ; voilà pourquoi les Juifs s’unissent aux soldats, pour sceller la pierre du sépulcre. Tout le monde travaillait à ce qu’il ne restât pas sur sa mort la moindre nuance de doute. Elle avait eu des témoins chez les ennemis du Christ, chez les Juifs. Entendez-les dire à Pilate : « Ce séducteur a dit qu’il ressusciterait dans trois jours ; faites donc garder le sépulcre ». (Mt. 27,63, 64) Et c’est ce qu’ils firent. Entendez-les dire ensuite aux apôtres : « Vous voulez faire retomber sur nous le sang de cet homme ». (Act. 5,38) Il n’a pas permis que le supplice de la croix continuât à être un supplice humiliant. Comme les anges n’avaient pas souffert ce supplice, Jésus-Christ voulut faire voir que sa mort avait sauvé le monde, car sa mort fut un duel. La mort frappa le Christ ; mais le Christ frappé anéantit bientôt sa mort : le cadavre détruisit la mort qui semblait immortelle, et cela à la face de l’univers. Et ce qu’il y a d’admirable, c’est que Dieu ne confia cette mission à personne et qu’il l’accomplit lui-même. Un autre acte fut donc passé, qui ne ressemblait en rien au premier.

4. Prenez donc garde d’être convaincus par votre propre témoignage, puisque nous avons dit dans ce billet que nous renoncions à Satan et que nous nous attachions à Jésus-Christ. Mais que dis-je ? Ce n’est pas là un billet ; c’est plutôt un traité et un pacte. Car ce n’est pas là une convention qui contient une peine ; il n’y est pas dit : Si telle chose arrive, si telle clause n’est pas remplie. Moïse a parlé comme le Christ en arrosant le peuple du sang sacré, et Dieu, dans cette circonstance aussi, promettait à son peuple la vie éternelle ; aux deux époques il y a pacte. Sous l’ancienne loi, il y a pacte entre le serviteur et le maître ; sous la nouvelle loi, il y a pacte entre deux amis. « Le jour où vous mangerez de ce fruit », dit Dieu à l’homme, « vous mourrez ». (Gen. 2, 17) Voilà la menace ! Mais aujourd’hui rien de tel. Là, comme ici, l’homme est nu ; là, après le péché et à cause du péché ; ici, pour être délivré du péché. L’homme des premiers jours est dépouillé de la gloire qu’il avait possédée ; l’homme d’aujourd’hui dépouille le vieil homme, avant de s’élever au-dessus de l’humanité, et il dépouille le vieil homme comme on se dépouille d’un vêtement. Il est frotté comme l’athlète prêt à entrer dans la lice. Il reçoit cette onction dès qu’il est né, et non peu à peu, comme le vieil athlète ; et non pas seulement sur la tête, comme les anciens pontifes. Autrefois, on vous frottait d’huile la tête, l’oreille droite et la main, pour vous exciter à bien écouter et à bien faire. Mais le nouvel athlète, on lui frotte toutes les parties du corps. Car il ne vient pas seulement s’instruire ; il vient combattre et s’exercer à la lutte. Il devient un autre homme. Car en confessant la vie éternelle, il confesse sa métamorphose.

Dieu a pris autrefois un peu d’argile et il a fait l’homme. Aujourd’hui ce n’est plus avec l’argile, c’est avec l’Esprit-Saint que Dieu fait l’homme : oui, c’est l’Esprit-Saint qui crée et façonne l’homme, comme il à créé et façonné le Christ, dans le sein de la Vierge. Il n’est plus question du paradis terrestre ; il est question du ciel. Et, en effet, parce que vous foulez la terre, n’allez pas croire que vous apparteniez à la terre. Vous avez été transporté au ciel. C’est là, c’est au milieu des anges que s’accomplit le mystère. Dieu prend là-haut votre âme entre ses mains, c’est là-haut qu’il la pétrit et qu’il la façonne, et vous êtes là devant son trône royal. Cette âme façonnée et régénérée par l’eau, reçoit le souffle de Dieu qui est en harmonie avec elle. Le nouvel homme, une fois formé, n’est pas livré aux bêtes, mais il est mis en présence des démons et du prince des démons. Alors Dieu dit à l’homme : « Foulez aux pieds les serpents et les scorpions ». Il ne dit plus : « Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance ». (Gen. 1, 26) Mais que fait-il ? Il donne à l’homme la qualité d’enfant de Dieu, d’un de ces enfants qui ne sont pas nés du sang, mais de Dieu même. N’écoutez donc plus le serpent ; car tout d’abord on vous apprend à dire : « Je renonce à toi », c’est-à-dire, quels que soient tes discours, je ne t’écouterai pas. Puis, de crainte qu’il n’emploie des instruments pour vous perdre, on ajoute : « Et à tes pompes, et à ton culte et à tes anges ». Dieu ne met plus l’homme au paradis terrestre, pour qu’il fasse du paradis terrestre sa demeure ; il lui donne pour domicile le ciel. Car, dès que l’homme s’est élevé jusqu’à ce séjour, il dit aussitôt : « Notre Père, qui êtes aux cieux, que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel ». (Mat. 6, 9, 10)

L’enfant ne s’agenouille point pour être sacrifié ; il n’y a là ni bûcher ni source. Mais c’est le Seigneur lui-même que vous possédez tout d’abord ; c’est à lui que vous vous unissez, à lui dont vous recevez le baptême, et le Seigneur est placé trop haut, pour que le démon puisse approcher de vous. Il n’y a pas là de femme que le démon puisse tromper, en profitant de sa faiblesse. « Il n’y a là », dit saint Paul, « ni homme ni femme ». (Gal. 3, 28) Si vous ne vous abaissez pas à descendre jusqu’au démon, il ne pourra monter jusqu’à vous ; car vous êtes au ciel, et le ciel n’est pas ouvert au démon. Il n’y a pas là d’arbre, dont le fruit ait la propriété de faire discerner le bien et le mal ; il n’y a que l’arbre de vie. La femme n’est plus tirée d’une côte de l’homme ; nous sommes tous tirés de la côte du Christ. Les hommes qui se frottent avec le suc de certaines plantes n’ont rien à craindre des serpents, et vous non plus vous n’aurez rien à craindre, quand vous aurez reçu cette onction sacrée ; vous pourrez saisir et étouffer le serpent, vous foulerez aux pieds les serpents et les scorpions. Mais à côté de ces dons précieux, il y a un châtiment sévère. Une fois qu’on est tombé du paradis, on ne peut rester en face du paradis, on ne peut retourner dans le séjour d’où l’on est tombé. Qu’a-t-on en perspective alors ? la géhenne et un ver rongeur aux replis immenses. Mais à Dieu ne plaise que quelqu’un d’entre nous encoure un pareil supplice ! Menons une vie vertueuse, étudions-nous à faire ce qui est bien, ce qui est agréable aux yeux de Dieu. Oui, rendons-nous agréables à Dieu, pour être à l’abri du châtiment et pour jouir des biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VII. modifier

QUE PERSONNE DONC NE VOUS CONDAMNE POUR LE MANGER ET POUR LE BOIRE, AU SUJET DES JOURS DE FÊTE OBSERVÉS EN PARTIE, DES NOUVELLES LUNES ET DES JOURS DE SABBAT, PUISQUE CES CHOSES SONT L’OMBRE DE CELLES QUI DEVAIENT ARRIVER, ET QUE JÉSUS-CHRIST EN EST LE CORPS. QUE NUL NE VOUS RAVISSE LE PRIX DE VOTRE COURSE, EN AFFECTANT DE PARAÎTRE HUMBLE PAR UN CULTE SUPERSTITIEUX DES ANGES, EN PARLANT DE CE QU’IL N’A POINT VU, ÉTANT ENFLÉ PAR LES VAINES IMAGINATIONS D’UN ESPRIT CHARNEL, ET NE DEMEURANT PAS ATTACHÉ A CETTE TÊTE D’OU DÉPEND LE CORPS ENTIER, QUI RECEVANT SON INFLUENCE PAR LES VAISSEAUX QUI EN JOIGNENT ET EN LIENT TOUTES LES PARTIES, S’ENTRETIENT ET S’AUGMENTE PAR L’ACCROISSEMENT QUE DIEU LUI DONNE. (CH. 2,16-19 JUSQU’À III, 4)

Analyse. modifier

  • 1. Ne pas se préoccuper des minuties. – Une nouvelle espèce d’hypocrites.
  • 2. Notre vie n’est pas de ce monde ; elle est cachée en Dieu. – Nous paraîtrons avec le Christ, dans la gloire.
  • 3-5. Portrait du nouvel homme. – Nouvelle vie que les chrétiens reçoivent dans le baptême. – De la fragilité de l’homme dans tous les états de la vie. – Contre le luxe effroyable des riches. – Le saint menace de les retrancher de l’Église.

1. Saint Paul avait dit vaguement : « Prenez garde que personne ne vous surprenne, selon une doctrine toute humaine ». Et plus haut encore il avait dit : « Je vous parle ainsi, pour « que personne ne vous trompe par des discours subtils ». Après s’être emparé de son auditoire, et réveillé les esprits, après avoir exposé les bienfaits du Christ et développé ce sujet par amplification, il exprime en ces termes une réprimande : « Que personne donc ne vous condamne pour le manger et pour le boire, pour des fêtes observées en partie, au sujet des nouvelles lunes et des jours de sabbat ». Vous voyez comme il rabaisse ces pratiques. Si vous êtes parvenus, dit-il, à faire ce qu’il y a d’essentiel, pourquoi vous astreindre à des minuties ? « Pour des fêtes observées en partie ». Expression de mépris ; car toutes les anciennes traditions n’étaient plus observées. « Au sujet des nouvelles lunes et des jours de sabbat ». Il n’a pas dit : Ne les observez pas ; mais : « Que personne ne vous condamne ». Il montre par là qu’ils avaient failli à cet égard ; mais ce n’est pas à eux qu’il s’en prend. Ne baissez pas la tête, dit-il, sous de pareilles condamnations. Mais ce n’est même pas là ce qu’il leur dit. Il s’entretient avec eux sans leur fermer la bouche, sans leur dire : Vous ne devez pas condamner ; car ce n’est pas à eux qu’il adresse directement sa réprimande. Il n’a pas dit : Au sujet de ce qui est pur ou immonde, au sujet de la fête des tabernacles, des azymes et de la Pentecôte ; mais : « Au sujet des fêtes observées en partie ». Ils n’osaient pas en effet observer entièrement ces jours, ou s’ils les observaient, ce n’était pas comme des jours de fête. « En partie », c’est-à-dire en grande partie tout au plus ; car le jour du sabbat lui-même n’était pas exactement et strictement observé.

« Puisque tout cela n’était que l’ombre de ce qui devait arriver », c’est-à-dire du Nouveau Testament, « et que Jésus-Christ en est le corps ». D’autres ponctuent ainsi : το δὲ ςῶμα Χριστου, Jésus-Christ en est le corps, c’est-à-dire la réalité. D’autres lisent ainsi la fin de ce verset : « Que personne, en usant de supercherie, ne vous dérobe le prix de la course, qui est le corps du Christ ». Le mot καταβραβευθῆναι, en effet, employé ici, à ce qu’on prétend, et employé ailleurs par saint Paul, se dit d’un prix mérité par un athlète, et décerné à un autre par supercherie et par surprise. Dans votre lutte contre le démon et le péché, vous avez le dessus. Pourquoi donner encore au péché le pouvoir de vous terrasser ? Voilà pourquoi saint Paul disait dans son épître aux Galates : « Tout homme qui se fera circoncire est obligé de garder toute la loi » ; et dans un autre passage : « Jésus-Christ a-t-il donc jamais été un ministre de péché ? » (Gal. 5,3, et 2, 17) Lors donc qu’il a excité leur courage par ces mots : « Que nul ne vous ravisse le prix de votre course », il reprend ainsi : « En affectant de paraître humble par un culte superstitieux des anges, en parlant des choses qu’il n’a point vues », étant enflé par les vaines « imaginations d’un esprit charnel ». Ces expressions, « en affectant de paraître humble, étant enflé », font voir que toutes ces démonstrations sont de la vaine gloire. Mais quel est au total l’esprit de ce passage ? C’est qu’il y avait des gens qui disaient que ce n’était pas le Christ qui devait nous amener à Dieu, mais les anges, parce que la faveur d’être ramené par le Christ est trop au-dessus de nous, pour que nous puissions l’obtenir. Voilà pourquoi l’apôtre s’arrête si souvent sur les bienfaits du Christ, et retourne cette vérité en tous sens : « C’est par le sang du Christ versé sur la croix que nous avons été réconciliés ». (Col. 1, 20) « Parce qu’il a souffert pour nous, parce qu’il nous a aimés ». (Eph. 2,4) Et leur attention était encore fixée sur cette vérité. Il n’a pas dit : En affectant d’être ramenés par les anges ; mais il a dit : En affectant le culte des anges. « En parlant de ce qu’il n’a point vu ». Car il n’a pas vu les anges, mais il affecte l’émotion d’un homme qui les aurait vus. Aussi saint Paul ajoute-t-il, « étant enflé par les vaines imaginations d’un esprit charnel ». Cet imposteur prend le masque de l’humilité, c’est-à-dire qu’il a un esprit purement charnel, et qu’il n’a que des vues mondaines. « Et ne demeurant pas attaché à celui qui est la tête », il a tout ce qu’il faut pour vivre et pour bien vivre. Pourquoi donc négliger la tête pour s’attacher aux membres ? Une pareille négligence, c’est la mort. « La tête d’où dépend le corps entier ». Qui que vous soyez, c’est là que vous pouvez puiser la vie, c’est là que vous pouvez vous rattacher. Tant qu’elle possède cette tête, l’Église tout entière s’entretient et s’augmente. Là, point d’arrogance ni de vaine gloire, point d’invention humaine. « D’où dépend le corps entier ». – « D’où » désigne le Fils de Dieu, « qui, recevant son influence par les vaisseaux qui en joignent et lient toutes les parties, s’entretient et s’augmente par l’accroissement que Dieu lui donne ». Accroissement selon Dieu, progrès résultant d’un bon plan de vie. Si donc vous êtes morts avec Jésus-Christ ; voilà le moyen terme de son raisonnement, et ce moyen terme est doublement fort. « Si vous êtes morts avec le Christ aux premières instructions du monde, pourquoi jugez-vous comme si vous viviez dans le monde ? » La conséquence n’est pas rigoureuse. Il aurait dû dire : Pourquoi vous soumettez-vous à ces instructions, comme si vous viviez dans le monde ? Mais que dit-il ensuite ? « Ne touchez pas à telle chose ; ne goûtez point à ceci ; ne prenez pas cela, parce que l’usage que vous feriez de toutes ces choses vous serait pernicieux ; ils vous parlent ainsi selon des maximes et des doctrines humaines ».

2. Vous n’êtes pas dans le monde, dit-il, comment se fait-il que vous vous soumettiez aux principes du monde, aux observations des hommes ? Et voyez comme il se joue d’eux. Ne touchez pas à telle chose, dit-il, ne goûtez pas de ceci, ne prenez pas cela, comme si c’étaient là de grandes privations, « parce que l’usage que vous feriez de toutes ces choses vous serait pernicieux ». Il rabaisse ici l’orgueil d’un grand nombre de docteurs, et il ajoute : « Selon les ordonnances et les maximes humaines ». Oui : quand même il s’agirait de la Loi cette loi, ancienne, depuis le temps, n’est plus qu’une doctrine humaine. Peut-être aussi tient-il ce langage parce qu’ils altéraient et interprétaient à tort et à travers cette loi. Peut-être encore fait-il allusion aux gentils. Tout cela, dit-il, n’est que croyance et doctrine humaine. – « Qui ont néanmoins quelque apparence de sagesse dans une superstition et une humilité affectée, dans un rigoureux traitement qu’on fait au corps, et dans le peu de soin qu’on prend de rassasier la chair (23) ». Ce n’est qu’une apparence de sagesse sans effet ; ce n’est donc pas la réalité. C’est pourquoi, bien que ce soit une apparence de sagesse, nous n’avons pour elle que de l’aversion. Nous voyons des hommes qui semblent pieux et modestes, qui semblent mépriser le corps ; mais ce sont là de faux-semblants. « Dans le peu d’honneur qu’on fait à la chair, et dans le peu de soin qu’on prend de la rassasier ». Dieu, en effet, a honoré la chair ; mais eux, ils en ont fait un usage peu honorable. Quand on en use suivant ses préceptes, c’est lui faire honneur, aux yeux de Dieu. Mais ils déshonorent la chair, dit saint Paul, en la privant, en lui ôtant tous ses ressorts, au lieu de laisser à la raison seule le soin de dominer la volonté charnelle.
« Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en haut ». (Chap. 3,1) Il les réunit au Christ, après avoir démontré plus haut que le Christ était mort. Voilà pourquoi il dit : « Si donc vous êtes ressuscités avec le Christ, recherchez les choses d’en-haut ». Point d’observations à faire sur ce texte. « Recherchez les choses du ciel où le Christ est a assis à la droite de Dieu ». Ah ! comme il sait élever nos âmes ! De quels nobles sentiments il anime ses auditeurs ! non seulement il leur ouvre le ciel, le ciel où est le Christ, mais il le leur montre assis à la droite du Père. Il leur fait perdre ensuite la terre de vue. « N’ayez de goût que pour les choses du ciel, et non pour celles de la terre ; car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ. Mais quand paraîtra le Christ qui est votre vie, vous paraîtrez aussi avec lui dans la gloire (2-4) ». Ce n’est point ici-bas, dit-il, que vous vivez ; il y a pour vous une autre vie. Il les force à se transporter dans les cieux ; il a à cœur de leur montrer qu’ils sont assis là-haut, qu’ils sont morts ici-bas, et de ce double état qui est le leur, il conclut qu’ils ne doivent pas rechercher les choses d’ici-bas. Non, vous ne devez pas les rechercher, si vous êtes morts ici-bas ; non, vous ne devez pas les rechercher, si vous êtes assis là-haut. Le Christ ne paraît pas, donc votre vie ne commence pas encore : votre vie est en Dieu ; elle est là-haut. Quand donc vivrons-nous ? Quand paraîtra le Christ qui est votre vie ; gloire, existence, délices, recherchez alors tout cela. Voilà comment il leur fraie le chemin du ciel, pour les détourner du relâchement et des plaisirs du monde. C’est une méthode qui lui est familière ; tout en s’appliquant à prouver, à établir une vérité, il passe à autre chose. À propos de ces fidèles qui prenaient part à la scène avant les autres, il s’élève à la contemplation des mystères. Il emploie un mode de réprimande qui fait un grand effet, parce que ses paroles ne font pas soupçonner la réprimande.
« Votre vie vous est cachée », dit-il. C’est avec Jésus-Christ que vous paraîtrez. Voilà pourquoi vous êtes éclipsés maintenant. Voyez comme il les transporte dans les cieux ! Car, je le répète, il s’attache toujours à leur montrer qu’ils ont les mêmes avantages que le Christ. Dans toutes ses épîtres, il s’arrange de manière à leur prouver qu’en toutes choses, ils sont ses associés, qu’ils sont avec lui en communauté pleine et entière. Si donc nous devons paraître un jour avec lui, ne nous affligeons pas de ne pas être encore honorés. Si la vie d’ici-bas n’est pas la nôtre, si notre vie est encore cachée, nous devons vivre ici-bas, comme si nous étions morts, « Un jour », dit saint Paul, « vous paraîtrez avec lui dans la gloire ». Oui, « dans la gloire » ; le mot est à sa place, le mot est juste. La perle aussi est cachée, tant qu’elle est renfermée dans le coquillage. Si donc nous sommes humiliés, si nous souffrons, ne nous affligeons pas. Notre vie n’est pas de ce monde ; nous sommes, sur cette terre, des hôtes et des étrangers. « Vous êtes morts », dit-il. Qui donc ferait la folie d’acheter des esclaves, de bâtir des maisons, de payer des vêtements précieux pour un cadavre enseveli ? Personne. N’agissons donc pas ainsi. Si notre unique but est de ne pas être dépouillés des biens du ciel, que notre unique but ici-bas soit d’être dépouillés des biens de la terre. Le vieil homme, en nous, a été enseveli ; il a été enseveli, non pas dans la terre, mais dans l’eau ; ce n’est pas la mort qui l’a détruit, c’est le destructeur de la mort qui l’a enseveli ; il n’a pas accompli la loi de la nature ; il a accompli l’ordre d’un Maître plus fort que la nature. On peut défaire l’ouvrage de la nature, on ne peut défaire l’œuvre accomplie par l’ordre de ce Maître. Heureuse sépulture qui réjouit tous les cœurs, qui réjouit les anges, les hommes et le Maître des anges ! Sépulture où il ne faut ni linceul, ni sépulcre, ni rien de semblable. Voulez-vous en voir le symbole ? Voyez cette piscine où un homme meurt, où un autre homme ressuscite ; voyez la Mer Rouge qui engloutit les Égyptiens pour livrer passage aux Israélites. Ce qui, pour les uns, est un sépulcre, devient, pour les autres, un berceau.
3. Ne vous étonnez pas si le baptême renferme à la fois la vie et la mort. Dites-moi la dissolution et la réunion ne constituent-elles pas deux phénomènes contraires ? C’est là une vérité évidente pour tout le monde. Eh bien ! le feu opère ces deux phénomènes ; il liquéfie et fait disparaître la cire ; il réunit les minéraux pour en faire de l’or. Ici donc encore le feu, après avoir détruit une statue de cire, produit de l’or ; car, avant le baptême nous étions d’argile ; après le baptême, l’argile s’est changée en or. Qu’est-ce qui le prouve ? Écoutez l’Apôtre lui-même : « Le premier homme vient de la terre, c’est une créature terrestre ; le nouvel homme vient du ciel, c’est une créature céleste ». (1Cor. 15,47) Il y a, je le répète, une grande différence entre la boue et l’or ; mais entre les choses du ciel et les choses de la terre, la différence est bien plus grande encore. Nous étions de cire et de boue ; car nous fondions à la flamme des passions plus rapidement que la cire au contact du feu, et la tentation avait, pour nous briser, plus de pouvoir que n’en a le caillou pour briser l’argile. Représentons-nous, si vous voulez, la vie de l’homme, sous l’ancienne Loi, pour voir si tout n’était pas alors terre et eau, si les choses humaines n’étaient pas sujettes au flux et au reflux comme l’Euripe, si tout, dans cet ancien monde, ne tombait pas et ne se dissipait pas comme la poussière.
Et, si vous voulez, jetons les yeux non sur ce qui se passait autrefois, mais sur ce qui se passe aujourd’hui. Est-ce que nous ne voyons pas que tout s’évanouit comme l’onde et la poussière ? Parlerons-nous des dignités ? Rien, au premier coup d’œil, ne semble plus digne d’envie. Et pourtant tout cela est plus fugitif que la poussière, aujourd’hui surtout. Ces magistrats, ces grands dignitaires dépendent de leurs courtisans, des eunuques, de ces hommes qui ne voient que l’argent, des colères du peuple, de l’indignation des grands. Cet homme qui, hier encore majestueusement assis sur son tribunal, était entouré de hérauts élevant la voix, cet homme que précédait sur la place publique un magnifique et nombreux cortège, cet homme-là est aujourd’hui dédaigné ; ce n’est plus qu’un être vil et abject que tout le monde abandonne. Le voilà dénué d’amis ; sa grandeur a été jetée au vent comme la poussière, elle a passé comme l’onde. Comme nos pieds soulèvent la poussière, ce sont les hommes d’argent, ces pieds de notre société, pour ainsi dire, qui portent les magistrats au pinacle. La poussière, quand elle s’élève, occupe dans les airs beaucoup de place, sans être elle-même beaucoup de choses ; il en est de même des dignitaires, et, comme la poussière, le tourbillon de la grandeur nous aveugle.
Et maintenant, voulez-vous approfondir ce qui fait ici-bas l’objet de nos désirs les plus vifs, la richesse ? Examinons-la dans tous ses détails. Elle apporte avec elle les plaisirs, les honneurs, la puissance. Examinons d’abord les plaisirs ; sont-ils autre chose que poussière ; ne sont-ils même pas plus fugitifs encore ? C’est là une volupté qui ne dépasse point le palais et qui n’arrive même plus jusqu’au palais, une fois que le ventre est plein. Mais les honneurs, dira-t-on, sont toujours agréables et flatteurs. Et qu’y a-t-il de plus amer que ces honneurs, fruits de la richesse ? Ces honneurs, qui ne sont le résultat ni du libre choix ni de la sympathie, ne sont pas pour vous ; on les décerne à votre fortune. C’est ce qui fait que le riche est l’homme du monde le moins honoré. Dites-moi, en effet, si on vous honorait parce que vous avez un ami, en déclarant que vous n’avez aucune valeur personnelle, mais qu’on est obligé de vous honorer à cause de votre ami, ne serait-ce pas vous faire le dernier des outrages ? Eh bien ! la richesse ne nous rapporte qu’ignominie, puisqu’elle est honorée plutôt que son possesseur et puisqu’elle est un signe de faiblesse plutôt que de puissance. N’est-il pas bizarre que, tout en nous regardant comme indignes de posséder cet amas de terre et de cendre qu’on appelle de l’or, on nous honore parce que nous le possédons. C’est là sans doute une bizarrerie. Et l’homme qui méprise les richesses n’a pas ces sentiments vulgaires ; mieux vaut, en effet, ne pas être honoré que de l’être ainsi. Dites-moi, je vous prie : si l’on venait vous dire : Vous ne méritez pas qu’on vous fasse honneur, mais je vous honore à cause de vos nombreux domestiques, ce langage ne serait-il pas tout ce qu’il y a de plus insultant ? Or, si c’est une honte de n’être honoré qu’à cause de ces serviteurs qui ont une âme comme nous, qui sont faits comme nous, n’est-ce pas à plus forte raison un déshonneur de devoir sa considération à un entourage encore plus vil, à des murailles, à des galeries, à de la vaisselle d’or, à des vêtements ? Voilà qui est vraiment ridicule et honteux. Mieux vaut la mort que de pareils honneurs.
Je vous le demande : si, au milieu de tout ce faste, vous couriez quelque danger, et si quelque être vil et méprisable s’offrait à vous pour vous en délivrer, votre situation ne serait-elle pas affreuse ? Que vous disiez-vous les uns aux autres à propos d’une certaine cité ? Je veux vous le rappeler. Notre ville offensa un jour son souverain, et le souverain ordonna qu’elle fût anéantie avec ses habitants, ses enfants et ses maisons. Car telle est la colère des rois ; ils usent, comme ils veulent, de leur pouvoir, tant il est vrai que le pouvoir est un grand malheur ! Notre ville était donc dans un péril extrême. Une ville maritime de notre voisinage intercéda pour nous auprès de l’empereur. Mais les habitants de notre cité disaient qu’une pareille intercession était pire que la ruine. Tant il est vrai qu’un pareil honneur est pire que l’ignominie ! Voyez, en effet, sur quoi repose souvent l’honneur humain. C’est l’œuvre de nos cuisiniers, et c’est à eux que nous devons en savoir gré ; c’est aussi l’œuvre de cet éleveur de porcs qui fournit au luxe de notre table ; c’est l’œuvre des tisserands, des cotonnadiers, de ceux qui travaillent les métaux ; c’est l’œuvre des pâtissiers et des gens de service.
4. Ne vaut-il donc pas mieux être privé de tous ces honneurs, que d’avoir des obligations à de pareils gens ? Mais, outre cela, je vais essayer de prouver qu’on s’avilit en s’enrichissant. Oui, la richesse donne au riche une vilaine âme : quoi de plus honteux ? Je vais vous faire une question. Je suppose qu’un homme ait le don de la beauté et qu’il soit doué d’une beauté supérieure. La fortune veut bien le visiter, mais à condition qu’elle remplacera, chez cet homme, la beauté par la laideur, la santé par la maladie, la juste proportion des membres par l’enflure et l’inflammation. Et, grâce à la fortune, voilà le nouveau riche qui est hydropique de tous ses membres ! Voilà son visage qui se gonfle et qui se boursouffle ! Voilà ses pieds qui atteignent à la grosseur de deux poutres ! Voilà son ventre qui est plus gros qu’un tonneau ! La fortune, en outre, abusant de son pouvoir, lui déclare qu’elle ne laissera pas aux médecins de bonne volonté, liberté pleine et entière de le soigner. Tout ce qu’elle peut faire, c’est de les laisser approcher du malade, à condition qu’elle les punira. Qu’y aurait-il de plus déplorable, je vous le demande, qu’une pareille condition ? Voilà pourtant ce que la richesse fait de notre âme. Comment donc serait-elle un bien ? Mais le pouvoir excessif que donne la richesse est encore pire que le mal. Car, ne pas même écouter les ordonnances des médecins, c’est encore pis que d’être malade. Eh bien ! tel est l’effet de la richesse : quand elle a produit l’hydropisie complète et l’inflammation de l’âme, elle éloigne les médecins.
Ne disons donc pas qu’ils sont heureux ces hommes revêtus d’un pouvoir excessif, et plaignons-les plutôt. Cet hydropique gisant sur son lit, que personne n’empêche de se gorger de boissons et de viandes malfaisantes, dirons-nous qu’il est heureux, parce qu’il peut prendre tout ce qu’il lui plaît ? Car le pouvoir de tout faire n’est pas toujours un bien, pas plus que les honneurs. Tout cela remplit l’âme d’orgueil et d’arrogance. Vous ne voudriez pas avoir en partage les maladies du corps en même temps que la richesse ; pourquoi donc faire si bon marché de votre âme pour laquelle non seulement la maladie, mais un autre châtiment encore est la suite de la richesse ? L’âme du riche, en effet, est attaquée de tous côtés par la fièvre et par l’inflammation ; et cette fièvre, personne ne peut l’éteindre. La richesse le défend, la richesse qui persuade au malade que ce qui fait son malheur doit le rendre heureux, la richesse qui lui souffle à l’oreille de ne supporter aucun avis et de n’écouter que ses fantaisies. Il n’y a que l’âme du riche, en effet, pour être en proie à mille fantaisies monstrueuses. Quelles idées puériles n’ont-ils pas ? Ils en ont plus que ces fous qui se forgent des monstres et des chimères, qui n’ont devant les yeux que Scyllas et que fantômes aux pieds de serpents. En comparaison d’un de leurs caprices bizarres, les Scyllas, les chimères, les hippocentaures ne sont rien ; un seul de leurs caprices est tout ce qu’il y a au monde de plus monstrueux. On croira peut-être que j’ai dû être bien riche moi-même, quand on me verra faire des riches une peinture si fidèle. On dit, car je veux d’abord prouver ma thèse par des exemples puisés chez les gentils, on dit, je le répète, qu’un de leurs princes efféminés poussa les raffinements du luxe jusqu’à ordonner à un sculpteur de lui faire un platane d’or, avec un ciel d’or au-dessus ; c’était sous ce platane qu’il s’asseyait, et cela, quand il faisait la guerre à une nation belliqueuse. Cette fantaisie ne vaut-elle pas les hippocentaures et les Scyllas ? Un autre faisait enfermer des hommes dans un taureau de bois. N’est-ce pas là encore la fable de Scylla ? Il y a encore un roi guerrier de l’antiquité auquel les richesses ont fait perdre sa qualité d’homme, pour le transformer en femme. Quand je dis « en femme », je devrais dire en brute et même en quelque chose de pis. Car les bêtes, si elles vivent dans les forêts, mènent du moins une existence conforme à leur nature, tandis que ce roi menait une vie bien plus abrutissante que les brutes.
Quoi donc de plus insensé que les riches ? Voilà l’effet de leurs passions effrénées ! Mais ne trouvent-ils pas de nombreux admirateurs ? Eh bien ! ces admirateurs deviennent aussi ridicules qu’eux. Les exemples ci-dessus, en effet, ne prouvent pas l’opulence, mais la démence. Ce fameux platane d’or est loin de valoir et d’égaler un platane naturel. Car ce qui est conforme à la nature a toujours plus de charme que ce qui est contre nature. Que voulais-tu faire avec ton ciel d’or, monarque insensé ? Voyez-vous combien la richesse nous égare ? Voyez vous comme elle gonfle l’âme d’orgueil, comme ; elle lui donne la fièvre ? On dirait que le riche ne sait pas ce que c’est que la mer et qu’il voudrait y marcher. Ne sont-ce pas là de pures chimères ? Eh bien ! il y a maintenant des riches qui ressemblent à ceux de l’antiquité et qui sont même beaucoup plus insensés. Ces amphores et ces marmites d’or, en effet, n’annoncent-elles pas la folie aussi bien que le platane d’or ? Que dire de ces femmes (j’ai honte de citer ce fait, mais j’y suis forcé), que dire de ces femmes qui ont des vases immondes en argent ? Ah ! vous devriez rougir de votre conduite. Le Christ a faim, et vous vous livrez ainsi à votre sensualité. Mais vous êtes fou et vous paierez cher votre folie. Puis vous demandez pourquoi il y a tant de voleurs, tant de parricides et tant de fléaux, quand vous êtes agités de toutes les fureurs du démon ! Avoir des tablettes d’argent n’est pas de la sagesse ; c’est du luxe. Mais faire faire eu argent des vases destinés aux plus vils usages, c’est du luxe, ou plutôt de la folie, ou plutôt de la fureur ; c’est même quelque chose de pis.
5. Bien des gens, je le sais, rient de mes paroles ; mais peu m’importe, si mes paroles portent leurs fruits. Oui, la démence et la fureur sont filles de la richesse. Si ces riches le pouvaient, ils feraient faire une terre d’or, des murailles d’or, peut-être même un ciel d’or et une atmosphère d’or. Quelle fureur ! quelle injustice ! quelle fièvre ! Voilà une créature faite à l’image de Dieu qui meurt de froid, et voilà les couvres qui vous occupent ! O quel faste ! et que pourrait faire de plus un insensé ? Trouvez-vous donc vos excréments assez précieux pour employer l’argent à les recueillir ? Je sais qu’en entendant ces paroles vous êtes frappés de stupeur. Mais les personnes qui devraient être frappées de stupeur sont celles qui commettent de pareils actes, et qui se rendent esclaves de pareilles manies ;, car il y a là de l’indécence, de la cruauté, de l’inhumanité, de la férocité et de la mollesse. Quel monstre, quel reptile, quel mauvais génie, quel démon peut être capable d’agir de la sorte ? A quoi sert le Christ ? A quoi sert la foi, si l’on suit l’exemple des païens ou plutôt du démon ? Si l’on ne doit point parer sa tête d’or et de perles, celui qui emploie l’argent au plus vil de tous les usages est-il excusable ? Ne vous suffit-il pas d’avoir déjà tant de meubles en argent, d’avoir des sièges et des escabeaux en argent, luxe déjà intolérable et insensé ? Mais partout aujourd’hui règne un faste inutile, partout la vanité ; la raison n’est plus de mode ; on n’aime que le superflu. Ah ! j’ai bien peur qu’en donnant de plus en plus dans toutes ces folies, les femmes ne deviennent de véritables monstres ; aujourd’hui probablement elles voudraient avoir des cheveux d’or. Avouez donc que mes paroles n’ont pu ni émouvoir ni réveiller vos âmes ; avouez que vous êtes plongés dans la concupiscence et que, si la honte ne vous retenait, vous tomberiez dans tous les excès. D’après ce qu’on ose déjà faire, je puis croire que les femmes voudront bientôt avoir des cheveux d’or, des lèvres, des sourcils de même métal, et qu’elles se doreront de la tête aux pieds.
Peut-être ne me croyez-vous pas ; vous croyez peut-être que je veux rire ; eh bien ! je vais vous raconter ce que j’ai appris, ce qui a lieu encore de nos jours. Le roi de Perse porte une barbe d’or ; des artistes habiles ont soin de garnir de lames d’or sa barbe naturelle, et c’est dans cet accoutrement qu’il se fait voir comme un phénomène. Gloire à toi, Jésus-Christ ! De combien de faveurs ne nous as-tu pas comblés pour guérir nos âmes ! De combien de folies monstrueuses ne nous as-tu pas délivrés ! Aujourd’hui donc j’élève la voix, non pour vous donner des avis, mais pour vous donner des ordres. M’entende qui voudra, et qu’on me désobéisse, si l’on veut. Mais je vous déclare que, si vous persistez dans votre conduite, je ne la supporterai plus, je ne vous accueillerai plus, je ne vous laisserai plus passer le seuil de ce temple. Qu’ai-je besoin, en effet, de cette multitude de malades que je cherche en vain à guérir de leurs manies ? Paul ne défendait-il pas aussi l’or et les perles ? Eh bien ! nous autres nous servons de risée aux gentils, et nous sommes la fable des païens. C’est aussi pour les hommes que je parle : voulez-vous venir à l’école du Christ, pour y apprendre la science de l’âme ? Déposez d’abord votre faste. C’est aux hommes et aux femmes que je m’adresse, et je ne souffrirai plus qu’on me désobéisse.
Jésus-Christ n’avait que douze disciples. Écoutez ce qu’il leur dit : « Et vous, ne voulez-vous point aussi me quitter ? » (Jn. 6,68) Car, si nous ne cessons de vous flatter, quand vous soulagerons-nous ? Quel progrès ferons-nous ? Mais il y a, dites-vous, d’autres sectes que l’on peut embrasser, en changeant de croyance. Une pareille objection ne me touche pas. « Mieux vaut un seul fidèle faisant la volonté de Dieu, que mille impies ». (Sir. 16,3) Car, je vous le demande, aimeriez-vous mieux avoir une foule d’esclaves fugitifs et voleurs qu’un seul esclave affectionné ? Oui, je vous le conseille et je vous l’ordonne : défaites-vous de ces ornements, de ces vases, donnez-en le prix aux pauvres et corrigez-vous de votre folie. Qu’on se révolte, si l’on veut ; qu’on m’accuse et qu’on me critique, si l’on veut : je n’excuse plus personne. Quand je comparaîtrai devant le tribunal du Christ, vous ne serez pas là pour me défendre, et vous ne pourrez pas me secourir, lorsque je rendrai mes comptes. C’est vouloir me corrompre que de me dire : Cet homme vous abandonnera, il passera à l’ennemi et embrassera une autre secte. C’est une âme faible ; descendez jusqu’à lui et pliez-vous un peu à sa faiblesse. Et jusques à quand faut-il user de condescendance ? C’est bon pour une fois, pour deux ou trois fois tout au plus ; mais ça ne peut pas toujours durer. Je vous le déclare donc de nouveau et je vous le proteste avec saint Paul : Si vous y revenez, je ne vous épargnerai plus (2Cor. 13,2). Quand vous vous serez corrigés, vous verrez tout ce que vous aurez gagné à écouter mes paroles. Je vous prie donc, je vous conjure de vous corriger ; je suis prêt, s’il le faut, à embrasser vos genoux et à me répandre en supplications. Que signifient cette faiblesse, cette sensualité, cette conduite qui outrage Dieu ? Car votre conduite n’est pas pour vous le bonheur ; c’est un outrage envers Dieu. Quelle est cette démence ? quelle est cette folie ? Quoi ! il y a tant de pauvres autour de l’Église, et l’Église qui possède dans son sein tant de riches enfants ne peut venir au secours du pauvre ! L’un meurt de faim, tandis que l’autre est ivre ! L’un emploie l’argent aux plus vils usages, tandis que l’autre n’a pas de pain ! Quelle est cette folie ? Quelle est cette férocité ? A Dieu ne plaise que nous soyons réduits, dans notre indignation, à punir votre désobéissance ! Puissiez-vous au contraire remplir tous vos devoirs avec résignation, avec plaisir, afin que nous vivions pour honorer Dieu, afin que nous évitions les peines de l’autre vie et que nous obtenions le bonheur promis à ceux qui aiment Dieu, par sa grâce et par sa bonté !

HOMÉLIE VIII. modifier


FAITES DONC MOURIR LES MEMBRES TERRESTRES QUI SONT EN VOUS, LA FORNICATION, L’IMPURETÉ, LES ABOMINATIONS, LES MAUVAIS DÉSIRS ET L’AVARICE QUI EST UNE IDOLÂTRIE. TOUT CELA ATTIRE LA COLÈRE DE DIEU SUR SES FILS INCRÉDULES, ET VOUS AVEZ COMMIS QUELQUEFOIS CES CRIMES, QUAND VOUS VIVIEZ AU MILIEU DE CES DÉSORDRES. (III, 5-7 JUSQU’A 15)

Analyse. modifier

  • 1. Il faut déposer le fardeau des mauvais penchants.
  • 2. Jésus-Christ doit être tout pour nous. – La charité est la première des vertus. – Sans la charité les autres vertus sont inutiles.
  • 3. La paix de Dieu est la seule qui soit vraiment solide ; il faut mortifier ses membres, en travaillant pour le ciel.
  • 4. Le mot « membres », dans saint Paul, veut souvent dire « passions ».
  • 5. Quand il faut rendre grâces à Dieu. – Pratiques superstitieuses.
  • 6. L’écriture sainte nous offre une foule d’exemples qui doivent nous exhorter à la résignation.


1. Mon dernier discours, je le sais, a heurté bien des susceptibilités. Mais que faire ? Vous connaissez les préceptes du Seigneur. Ce n’est pas ma faute. Que faire encore une fois ? Ne voyez-vous pas les créanciers jeter dans les fers leurs débiteurs récalcitrants ? Vous venez d’entendre saint Paul s’écrier : « Faites mourir les membres de l’homme terrestre qui est en vous, la fornication, l’impureté, les abominations, les mauvais désirs et l’avarice qui est une idolâtrie ». Qu’y a-t-il de pire que le genre d’avarice qui vous possède ? Mais que dis-je, c’est plus grave encore que de l’avarice ; c’est un usage insensé de l’argent. « L’avarice qui est une idolâtrie ». Voyez-vous où mène cette passion ? Ne vous irritez point de mes paroles. Car je ne voudrais pas me faire gratuitement et de gaîté de cœur des ennemis parmi vous. Mais je voudrais vous rendre vertueux ; je voudrais que vous vous fissiez, par votre vertu, une bonne réputation. Mon langage n’est pas celui d’un maître impérieux ; c’est l’expression de la tristesse et de la douleur. Pardonnez-moi, pardonnez-moi : je ne cherche pas le scandale ; mais je suis forcé de m’expliquer avec vous. Je ne vous parle plus du malheur des pauvres ; je vous parle de votre salut : Malheur, oui malheur à ceux qui auront refusé des aliments au Christ ! Qu’importe même que vous donniez des aliments à un pauvre, si vous vous plongez si avant dans le luxe et dans les délices ? La question n’est pas de savoir si vous donnez beaucoup, mais si vous donnez en proportion de ce que vous avez. La charité qui n’est pas à la hauteur de vos moyens n’est qu’une charité illusoire.
« Faites donc mourir », dit saint Paul, « les membres de l’homme terrestre qui est en vous ». Mais que signifient ces paroles ? N’avez-vous pas dit, ô apôtre, que nous étions ensevelis, circoncis, que nous nous étions dépouillés du corps des péchés que produit la chair ? (Rom. 6,4 ; Col. 2,11 et 3, 9) Que signifient donc maintenant ces paroles : « Faites mourir les membres de l’homme terrestre ? » Parlez donc sérieusement. Avons-nous maintenant des membres terrestres ? Non, il n’y a point contradiction entre les deux textes. Qu’après avoir nettoyé ou plutôt refondu une statue, qu’après lui avoir rendu son éclat primitif, un statuaire dise qu’elle a été dérouillée, il est vrai, mais qu’il faut se livrer à un nouveau travail, pour la dérouiller encore, il n’y aura pas contradiction dans son langage. Ce n’est pas la rouille déjà enlevée, c’est la rouille qui est survenue plus tard qu’il conseille d’enlever. Ainsi l’apôtre ne parle pas de la mortification première, ni des anciennes fornications, mais de celles qui surviennent plus tard. Mais, disent les hérétiques, voilà Paul qui calomnie la création ! N’a-t-il pas dit plus haut : « Pensez aux choses du ciel et non à celles de la terre ? » Et maintenant il vient nous dire : « Faites mourir les membres terrestres qui sont en vous ! » Je réponds que ces mots « les membres terrestres » signifient le péché et ne calomnient en rien la création. Oui, il donne aux péchés le nom de choses terrestres, soit parce qu’ils sont le fruit des pensées terrestres et qu’ils se commettent sur la terre, soit parce qu’ils montrent l’homme terrestre dans le pécheur. « La fornication, l’impureté », dit-il. Il passe sous silence les habitudes qu’il serait honteux de nommer ; le mot impureté dit tout. « Les abominations, les mauvais désirs », tout est compris dans ces termes généraux ; il y a là toutes les mauvaises passions : la haine, la colère, la sombre envie, et l’avarice qui est une idolâtrie.
« Puisque ce sont ces crimes qui attirent la colère de Dieu sur ses enfants incrédules ». Il a recours à bien des raisonnements pour les détourner du péché. Il leur expose les bienfaits qu’ils ont reçus, les maux de la vie future dont nous avons été délivrés, ce que nous étions alors, ce que nous sommes devenus, comment et pourquoi nous avons été délivrés. Tout cela devrait suffire pour ramener les pécheurs. Mais voici la raison la plus forte, raison terrible à entendre, mais qui est loin d’être inutile à dire : « Ce sont ces crimes qui attirent la colère de Dieu sur ses enfants incrédules ». Il n’a pas dit : « Sur vous » ; il a dit : « Sur ses enfants incrédules ». – « Et vous avez commis vous-mêmes ces actions criminelles, quand vous viviez dans ces désordres ». Éloge implicite ; il veut dire qu’ils n’y vivent plus. Ce langage s’applique au passé. « Maintenant déposez aussi vous-mêmes le fardeau de tous ces péchés ». Il commence, selon son habitude, par un terme général, tous ces péchés ; puis il les détaille : ce sont les mauvaises passions de l’âme. « La colère, l’aigreur, la malice, la médisance ; que les paroles déshonnêtes soient bannies de votre bouche. N’usez point de mensonge les uns envers les autres ». Que les paroles déshonnêtes soient bannies de votre bouche, ajoute-t-il énergiquement, car de telles paroles sont des souillures. « Dépouillez le vieil homme et ses œuvres. Revêtez-vous du nouveau qui se renouvelle en avançant dans la connaissance « de Dieu, étant formé à la ressemblance de Celui qui l’a créé ». Il est bon de rechercher ici pourquoi il désigne sous le nom de membres, d’homme et de corps, la corruption humaine, et pourquoi il désigne encore sous les mêmes noms la vie vertueuse. Si le péché c’est l’homme, pourquoi faire suivre le mot « homme » de ce mot : « Avec ses actes ? » Car il a déjà parlé du vieil homme, en montrant qu’il désigne par là non toutes les œuvres de l’homme, mais le péché. Le libre arbitre en effet est plus important que la substance, et c’est ce libre arbitre plutôt que la substance qui constitue l’homme. Ce n’est pas la substance de l’homme en effet qui précipite l’homme dans la géhenne ou qui le transporte dans le royaume des cieux, c’est le libre arbitre, et ce que nous aimons dans l’homme ce n’est pas l’homme, c’est telle ou telle qualité. Si donc le corps est la substance, et si la substance est irresponsable pour le bien comme pour le mal, comment le corps serait-il le mal ?
2. Mais qu’entend saint Paul par ces mots « Avec ses actes ? » C’est le libre arbitre avec ses œuvres. Il dit a le vieil homme », pour montrer sa laideur, sa difformité, sa faiblesse. Et quand il parle du nouvel homme, il a l’air de nous dire : N’attendez pas qu’il se conduise comme l’autre ; il se conduira tout autrement. L’homme marche, non pas à la vieillesse, mais à une jeunesse plus brillante que la première. Car plus il apprend, plus il profite, plus il croît en vigueur et en force, non seulement à cause de sa jeunesse, mais à cause du modèle sur lequel il se forme. La perfection est une création du Christ. A l’image du Christ, tel est le sens de ces mots : « A l’image de Celui qui l’a créé » ; car le Christ n’est pas mort vieux, et il était d’une beauté indicible.
Dans cette création nouvelle, « il n’y a ni homme, ni femme, ni circoncis, ni incirconcis, ni barbare, ni scythe, ni homme libre ni esclave ; mais Jésus-Christ est tout en tous ». C’est un troisième éloge adressé ici par saint Paul à ce nouvel homme. Il n’y a pour lui ni distinction de race, ni grade, ni distinction d’ancêtres. Rien n’est donné chez lui à l’extérieur ; il n’a pas besoin d’un relief étranger, et tous ces avantages sont des avantages extérieurs. La qualité de circoncis ou d’incirconcis, d’esclave, d’homme libre, de gentil, de juif, tout cela est une affaire de prosélytisme ou de naissance. Si ce sont là vos seuls avantages, vous ne possédez que ce que d’autres possèdent. « Mais Jésus-Christ », dit-il, « est tout en tous ». C’est-à-dire que Jésus-Christ nous tiendra lieu de tout, de dignité et de naissance, c’est-à-dire qu’il sera en nous tous. Peut-être aussi veut-il dire : Vous formez tous le Christ, puisque vous êtes son corps.
« Revêtez-vous donc, comme des élus de Dieu, saints et bien-aimés ». Il montre que la vertu est facile, pour qu’ils la conservent toujours et pour qu’elle fasse leur plus bel ornement. Il y a là tout à la fois un conseil et un éloge, et l’éloge donne au conseil beaucoup de force. Ils étaient saints, mais ils n’étaient pas des élus de Dieu ; maintenant ils sont saints, élus et chéris de Dieu. – « D’entrailles de miséricorde ». Il n’a pas dit : « De miséricorde », mais il s’est exprimé avec plus d’énergie en employant deux mots, au lieu d’un. Il n’a pas dit : Soyez entre vous comme des frères ; mais, ayez les uns pour les autres une tendresse paternelle. Ne me parlez plus des torts de votre prochain. Telle est la portée de ce mot « des entrailles de miséricorde ». Ces expressions remplacent le mot « pitié », qui, étant isolé, aurait eu quelque chose d’humiliant. « Revêtez-vous de bonté, d’humilité, de modestie, de patience. Vous supportant les uns les autres, vous remettant les uns aux autres les sujets de plainte que vous pouvez avoir entre vous, et vous pardonnant comme le Christ vous a pardonné ». Ici encore il spécialise : car la bonté est la source de l’humilité, et l’humilité est la source de la patience. « Vous supportant », dit-il, « les uns les autres » ; c’est-à-dire vous soutenant et vous remettant vos fautes les uns aux autres. Et voyez comme il atténue l’offense : « Les sujets de plainte que vous pouvez avoir. Et il ajoute : « Comme le Christ vous a pardonné ». C’est là un grand exemple qu’il leur offre toujours ; il cite le Christ pour les exhorter. L’offense dont il parle est peu de chose ; mais l’exemple qu’il cite nous engage à pardonner les offenses les plus graves. Voilà ce que signifient ces mots : « Comme le Christ ». Et cela veut dire non seulement qu’il faut pardonner, mais qu’il faut pardonner de tout son cœur, mais qu’il faut aimer l’auteur de l’offense. L’exemple du Christ amené ici amène toutes ces conséquences. Quand l’offense serait grande, quand il n’y aurait pas eu provocation de notre part, quand nous serions de grands personnages, quand l’auteur de l’offense serait un homme infime, quand il devrait nous offenser encore, peu importe. Nous devons même être prêts à mourir pour lui. Ces mots « comme le Christ » nous le commandent, nous devons persister dans ces sentiments jusqu’à la mort et même au delà, s’il est possible.
« Mais surtout ayez la charité qui est le lien de la perfection ». Vous voyez ce qu’il dit là. Il pourrait se faire que l’on pardonnât une offense sans pour cela en chérir l’auteur. Eh bien ! dit l’apôtre, il faut l’aimer. Et l’apôtre nous montre même ici comment on arrive à pardonner. C’est en étant bon, doux, humble, patient, aimant. Aussi a-t-il dit en commençant : « Les entrailles de miséricorde » ; ce qui comprend la charité et la pitié. « Surtout ayez la charité, qui est le lien de la perfection ». Ces paroles veulent dire : Tout cela ne sert de rien ; car tout peut se rompre, sans le lien de la charité. C’est elle qui réunit tout. Les meilleures choses, sans elle, ne sont rien ou ne durent pas. Dans un navire, les meilleurs agrès, s’ils ne sont pas bien assujettis, demeurent inutiles ; il faut dans une maison, que toutes les parties de la charpente soient bien unies ; dans le corps humain, la charpente osseuse a beau être vigoureuse, sa vigueur, sans les articulations, ne sert de rien. Quelles que soient vas bonnes œuvres, quelque soit le mérite de vos actions, tout cela, sans la charité, est en pure perte. Il n’a pas dit : La charité est le « faîte » de la vertu ; il a dit plus : La charité est un lien, chose plus nécessaire. Le faîte n’est qu’un degré de perfection ; le lien est ce qui embrasse et comprend les éléments de la perfection ; elle en est la racine. « Que la paix de Dieu, à laquelle vous avez été appelés dans l’unité d’un même corps, règne dans vos cœurs, et soyez reconnaissants ».
3. La paix de Dieu est une paix ferrite et stable. La paix humaine n’est pas durable ; elle ne ressemble pas à la paix de Dieu. Il a parlé de la charité en général ; maintenant il particularise. Car il y a une sorte de charité exagérée qui porte aux accusations téméraires, aux querelles, aux antipathies. Non, dit l’apôtre, non : ce n’est pas cette charité que je veux. Faites entre vous la paix, comme Jésus-Christ l’a faite avec vous. Comment vous l’a-t-il offerte cette paix ? De lui-même, sans rien recevoir de vous en échange. Mais que veulent dire ces mots : « Que la paix de Dieu règne en vos cœurs ? » Si deux pensées se combattent dans votre cœur, ne donnez pas à la colère la palme et le prix du combat ; que la paix remporte le prix. Si par exemple un homme est injustement outragé, l’outrage fait naître en son âme deux pensées, l’idée de la vengeance et celle du pardon qui luttent ensemble. Si la paix de Dieu est là pour décerner le prix de la lutte, elle couronne l’esprit de pardon et humilie l’esprit de vengeance. Comment cela ? En nous persuadant que Dieu est un Dieu de paix et qu’il a fait la paix avec nous. Ce n’est pas sans raison qu’il nous montre cette lutte entre l’esprit de pardon et l’esprit de vengeance, lutte dont notre cœur est le théâtre. Non, ce n’est pas la colère, ce n’est pas la discorde, ce n’est pas la paix humaine qui doit ici décerner le prix. La paix humaine est une paix vindicative et intolérante. Ce n’est point cette paix qu’il nous faut, dit l’apôtre, c’est la paix que le Christ nous a laissée. Il a tracé dans notre âme une arène où deux idées se combattent, et c’est la paix du Christ qui est chargée de décerner la palme. Puis vient cette exhortation : « A laquelle vous avez été appelés ». – « À laquelle », c’est-à-dire, « pour laquelle ». Il nous rappelle ainsi tous les biens dont la paix est la source. C’est pour elle qu’il vous a appelés, c’est à cause d’elle qu’il vous a appelés, afin que vous obteniez le prix dû à votre foi. Car pourquoi n’a-t-il fait de nous qu’un seul corps ? N’est-ce pas pour faire régner la paix ? N’est-ce pas pour nous fournir les moyens de vivre en paix tous ensemble ?
Pourquoi ne faisons-nous tous qu’un seul corps ? Qu’est-ce qui fait que nous formons un seul corps ? C’est la paix et réciproquement, c’est parce que nous ne faisons qu’un seul corps que nous sommes en paix les uns avec les autres. Mais pourquoi, au lieu de dire : Que la paix de Dieu triomphe, a-t-il dit : Que la paix règne ou décerne le prix ? C’est pour accréditer la paix, c’est pour ne pas permettre aux mauvaises pensées d’entrer en lutte avec elle, c’est pour qu’elles aient toujours le dessous. En outre, le mot de prix éveille l’auditeur. Car, si le prix est toujours décerné à la bonne pensée, l’effronterie de l’esprit du mal sera désormais inutile. L’esprit du mal sachant que, malgré tous ses efforts, malgré son impétuosité et sa violence, il n’obtiendra pas le prix, finira par renoncer à ses vaines attaques. Il a eu raison d’ajouter : « Et soyez reconnaissants » ; car la reconnaissance et l’honneur consistent à être pour nos compagnons d’esclavage ce que Dieu a été pour nous, à céder, à obéir à notre maître, à toujours rendre grâces à Dieu, soit qu’on nous outrage, soit qu’on nous frappe. Celui qui rend grâces à Dieu de ses souffrances, ne se vengera pas de l’homme qui lui aura fait du mal ; se venger, en effet, ce n’est pas rendre grâces. Ah ! ne soyons pas comme le créancier impitoyable qui réclamait impérieusement ses cent deniers. Ne nous exposons pas à être traité « d’esclave méchant ». (Mt. 18,32) L’ingratitude est le plus affreux de tous les vices, et ceux qui se vengent sont des ingrats.
Mais pourquoi parle-t-il d’abord de la fornication ? Car aussitôt qu’il a dit : « Mortifiez vos membres qui sont sur la terre », il ajoute : « La fornication » ; et c’est presque toujours l’ordre qu’il suit. C’est que la fornication est de tous les vices le plus tyrannique. Il l’a mis aussi en première ligne, dans son épître aux Thessaloniciens. Quoi d’étonnant, puisqu’il dit aussi à Timothée : « Conservez votre pureté » (1Tim. 5,22) ; et ailleurs : « Étudiez-vous à être en paix avec tout le monde, et vivez dans la sainteté sans laquelle nul ne verra Dieu ». (Héb. 12,14) – « Mortifiez vos membres », dit-il. Ce qui est mort, vous le savez, n’est plus qu’un objet d’horreur, d’abomination, de corruption. Si vous tuez les membres du péché, il ne reste bientôt plus rien de ce cadavre qui se corrompt et s’anéantit. Éteignez les ardeurs du péché, et ce n’est bientôt plus qu’un cadavre dont il ne reste rien. Il montre l’homme faisant ce que fait le Christ dans la piscine. Voilà pourquoi il appelle les péchés des membres, et il nous montre dans un style énergique l’homme fort qui les mortifie. Il a eu raison de dire : « Qui sont sur la terre ». Car c’est là qu’ils sont ; c’est là qu’ils se corrompent et qu’ils meurent bien plus complètement que les membres corporels. Notre corps n’est pas aussi terrestre que le péché ; car le corps humain est parfois revêtu d’un certain éclat ; mais le péché, jamais. Tous ces membres qui restent sur la terre, qui sont comme cloués à la terre, sont le siège des mauvais désirs. Que l’oreille, la main, l’œil ou un membre quelconque reste attaché à la terre, le ciel n’est plus rien pour lui. L’œil ne voit plus que le corps, la beauté physique, la figure, ce qui appartient à la terre ; en un mot, cela seul a du charme pour lui. L’oreille se délecte à de doux concerts, aux accents de la lyre et de la flûte ; elle se prête complaisamment à de honteux propos. Plaisirs terrestres que tout cela !
Quand saint Paul a transporté ses auditeurs auprès du trône de Dieu, il leur dit : « Mortifiez vos membres qui sont sur la terre ». On ne peut rester avec de pareils membres, dans la région céleste ; ils n’y ont que faire. Cette boue-là est pire que l’homme physique qui est aussi de la boue. Cette boue, en effet, devient de l’or. « Cette chair corruptible doit revêtir l’incorruptibilité ». (1Cor. 15,53) Mais la boue du péché, on ne peut pas la refondre pour forger de l’or. Voilà pourquoi il n’a pas dit : Qui appartiennent à la terre ; voilà pourquoi il a dit : « Qui sont sur la terre » ; car il peut arriver que nos membres n’appartiennent pas à la terre. Ceux qui s’attachent à la terre sont nécessairement sur la terre ; les autres, non. L’oreille qui n’entend pas les bruits de la terre et qui n’écoute que les bruits du ciel, l’œil qui perd le monde de vue, pour regarder en haut, ne sont point sur la terre. Elle n’est point sur la terre cette bouche dont les paroles n’ont rien de terrestre. Elle n’est point sur la terre cette main qui ne fait rien de terrestre, qui ne fait point le mal et qui ne travaille que pour le ciel.
4. Le Christ dit : « Si votre œil droit vous scandalise » par ses regards impudiques, « arrachez-le », c’est-à-dire déracinez toute mauvaise pensée. Tous ces mots, impureté, abominations, mauvais désirs, ont le même sens, le sens de fornication. 11 veut nous détourner de ce vice par toutes les expressions qu’il emploie. C’est qu’un pareil vice est une maladie de l’âme fort sérieuse ; c’est la fièvre, c’est la plaie de l’âme. Il ne dit pas « réprimez », il dit « mortifiez », anéantissez cette passion ; portez-lui des coups dont elle ne puisse pas se relever. Ce qui est mort nous l’enlevons ; un durillon est une partie morte, nous l’enlevons. Si nous tranchons dans le vif, nous souffrons ; mais si nous retranchons un membre mort, nous ne le sentons même pas. C’est ainsi que nous devons agir dans les affections et les maladies de l’âme qui rendent impure et font souffrir cette âme immortelle. Pourquoi l’apôtre appelle-t-il l’avarice une idolâtrie, nous l’avons dit souvent. Les passions les plus tyranniques sont l’avarice, l’intempérance et l’incontinence. « Elles attirent la colère de Dieu sur ses fils désobéissants ». Il parle ici de désobéissance, en les déclarant par là indignes de pardon, en montrant que c’est leur désobéissance qui les plonge dans l’abîme. « Et vous avez vous-mêmes commis ces actions criminelles, quand vous viviez dans ces désordres et quand vous vous laissiez persuader par les impies ». Il montre qu’ils ont encore un pied dans le vice ; mais il leur adresse un mot d’éloge, en leur disant : « Mais maintenant quittez aussi vous-mêmes tous ces péchés : la colère, l’aigreur, la malice, la médisance : plus de paroles déshonnêtes ». Pour ne pas les blesser, ce n’est pas sur eux, c’est sur d’autres qu’il fait porter ses reproches. Les médisances sont les mots blessants, les injures, de même que la malice est encore de la colère. Ailleurs, pour faire rougir ses auditeurs de leurs procédés, il leur dit : « Soyez les membres l’un de l’autre ». (Eph. 4,25) Il les représente comme devant former un seul homme ayant les mêmes sympathies et les mêmes répulsions. Dans le passage ci-dessus il se sert du mot « membres ». Dans cette épître il dit : « Tous les péchés », désignant ainsi tous les membres du vieil homme, le cœur par la colère, la bouche par la médisance, les yeux par la fornication, les mains et les pieds par l’avarice et par le mensonge, la pensée elle-même et le vieil esprit. Quant à la forme du nouvel homme, c’est une forme royale, c’est la forme du Christ. Saint Paul semble ici faire allusion surtout aux gentils, pour montrer que tous les membres de la société, les grands, comme les petits, sont les membres d’un même corps qui a une forme royale. La terre n’est que du sable ; mais elle perd sa première forme et devient or. La laine, quelle qu’elle soit, prend une nouvelle forme qui déguise la première. Il en est de même du fidèle. « Vous supportant les uns les autres », dit-il. C’est justice : supporte ton prochain et que ton prochain te supporte. C’est ce qu’il dit encore dans son épître aux Galates : Supportez le fardeau les uns des autres. (Gal. 6,2) « Et soyez reconnaissants », ajouta-t-il. (Col. 3,15) Partout il s’applique à recommander la reconnaissance, qui est la première des vertus.
5. Il faut donc, en toute circonstance et quoi qu’il arrive, rendre grâces à Dieu. Voilà la véritable reconnaissance. Lui rendre grâces dans la prospérité n’a rien de bien méritoire ; car c’est chose toute naturelle. Mais lui rendre grâces, quand nous sommes dans la détresse, voilà ce qu’il y a d’admirable. Lui rendre grâces de ce qui pousse les autres au blasphème, de ce qui les jette dans l’impatience, voilà la philosophie ! Agir ainsi c’est réjouir le cœur de Dieu, c’est humilier le démon, c’est déclarer que le malheur n’est rien. C’est à la fois rendre grâces à Dieu, emprunter la main de Dieu pour extirper le mal et terrasser le démon. Si vous vous montrez impatient, le démon, parvenu au comble de ses vœux, est là ; Dieu, blessé de vos blasphèmes et de vos outrages vous abandonne, en étendant, en augmentant votre plaie. Mais si vous rendez grâces à Dieu, le démon, voyant qu’il n’a rien à faire là, se retire, et Dieu, que vous honorez, vous honore davantage. L’homme qui rend grâces à Dieu de ses maux ne peut plus les ressentir. L’âme est heureuse de sa vertu ; la conscience est heureuse parce qu’elle chante ses propres louanges et sa victoire ; or la conscience, étant heureuse, ne peut être affligée. L’homme qui murmure sent peser sur lui le double fardeau de son malheur qui l’accable et de sa conscience qui le flagelle ; l’homme qui rend grâces à Dieu est couronné par sa conscience qui proclame son triomphe.
Qu’elle est sainte la bouche du juste qui rend grâces à Dieu, dans le malheur ! Le juste est alors un martyr. Comme un martyr, il est couronné. Car il a, lui aussi, à ses côtés un licteur qui lui ordonne de renier Dieu en blasphémant. Le démon le presse en tourmentant son âme et en jetant sur elle un sombre voile. Si, dans cette situation, le juste supporte la douleur, il reçoit la palme du martyre. Voilà par exemple un petit enfant qui est malade. Si sa mère rend grâces à Dieu, la palme du martyre lui appartient. Quel tourment pourrait égaler son chagrin ? Eh bien ! son chagrin ne peut lui arracher une parole amère. L’enfant se meurt ; elle rend de nouveau grâces à Dieu. Elle est devenue une vraie fille d’Abraham. Car, si elle n’a pas tué son enfant de sa propre main, elle s’est du moins réjouie de sa mort, ce qui est la même chose ; elle ne s’est pas irritée de se voir ravir celui que Dieu lui avait donné ; elle n’a pas eu recours à ces nœuds mystérieux, dont la superstition enseigne le secret. C’est le martyre qu’elle a souffert ; car elle a sacrifié son fils en pensée. – Mais quoi ? me dira-t-on, quel mérite a-t-elle eu à ne pas employer de pratiques superstitieuses, si ces pratiques sont inutiles, si elles ne sont que tromperie et enfantillage ? Mais il y avait des gens qui lui disaient que ces pratiques étaient efficaces, et elle a mieux aimé voir mourir son enfant que de sacrifier à l’idolâtrie. Ainsi cette femme a le mérite du martyre, qu’il s’agisse de ses propres souffrances ou qu’il s’agisse de voir souffrir un fils, un mari, ou un être quelconque qui lui est cher : la femme superstitieuse au contraire adore des idoles. Elle aurait, cela est évident, sacrifié aux faux dieux, si elle avait pu. Que dis-je ? Ce sacrifice a eu lieu. Elle a eu recours à des pratiques superstitieuses, à des nœuds mystérieux. Vous avez beau raisonner, vous qui employez aussi de semblables pratiques, vous avez beau dire : Nous invoquons Dieu, voilà tout ! et autres choses semblables. Vous avez beau dire que cette femme est une femme respectable, une bonne chrétienne : je vous réponds, moi, que vos pratiques superstitieuses sont de l’idolâtrie. Êtes-vous une vraie chrétienne ? Faites le signe de la croix et dites : Le signe de la croix, voilà mes seules armes, voilà le remède que j’emploie ; je ne connais pas d’autres moyens.
Dites-moi : si vous envoyez chercher un médecin et que ce médecin remplace les ressources de la médecine par des enchantements, lui donnerez-vous le nom de médecin ? Nullement ; car vous ne voyez pas autour de lui l’attirail de la médecine. Eh bien ! nous autres nous ne voyons pas dans ces pratiques l’attirail du christianisme. Il y a encore des femmes qui forment des nœuds figurant certains noms de fleuves, et qui osent se livrer à d’autres pratiques innombrables. Eh bien ! je vous le dis, je vous le déclare d’avance à vous tous : si je vous y prends encore, si quelqu’un retombe dans la superstition, qu’il s’agisse de nœuds, d’enchantements ou de tout autre sortilège, je ne l’épargnerai pas.
Il faut donc laisser mourir cet enfant, me direz-vous ? Si c’est garde semblables moyens que vous lui sauvez la vie, vous le faites mourir ; s’il meurt, parce que vous négligez de recourir à la superstition, vous le faites vivre. Quand vous voyez votre fils fréquenter des courtisanes, vous voudriez le voir enterrer et vous dites : de quoi sert qu’il vive ? Et quand vous voyez l’âme de votre enfant en péril, vous voulez lui sauver la vie, au prix de son salut ! Ne vous rappelez-vous pas ces paroles du Christ : Celui qui perdra sa vie pour l’amour de moi, la retrouvera, et celui qui voudra sauver sa vie, la perdra ? (Mt. 16,25) En croyez-vous le Christ, ou ces paroles ne sont-elles pour vous qu’une fable ? Si l’on vous disait : Conduisez votre enfant dans le temple des idoles et il vivra supporteriez-vous un pareil langage ? Non sans doute, et pourquoi ? C’est qu’on voudrait vous forcer à adorer des idoles, tandis qu’ici, dites-vous, il s’agit non pas d’idolâtrie, mais d’enchantements. Eh bien ! c’est là une invention de Satan, un piège du démon pour cacher ses fraudes et pour vous faire avaler le poison avec le miel ; sachant qu’il ne pourrait vous persuader sans prendre de détours, il a recours à des amulettes et à des contes de bonne femme. La croix n’est plus en crédit ; les caractères cabalistiques sont en grand honneur. On chasse le Christ pour faire entrer quelque vieille sorcière qui a le délire et qui est ivre. On foule aux pieds nos mystères, et le démon triomphe. Pourquoi, dites-vous, Dieu ne blâme-t-il pas formellement de semblables pratiques ? Mais que de fois n’a-t-il point blâmé chez vous l’emploi de pareils moyens, sans pouvoir vous persuader ? Maintenant il vous laisse à votre erreur. « Dieu », dit l’apôtre, « les a livrés à leur sens dépravé ». (Rom. 1,28) Un païen même, s’il est quelque peu sage, né supporterait pas ce genre de superstition. A Athènes, dit-on, un orateur populaire usa un jour de ces sortilèges ; un philosophe, son maître, l’ayant vu, le réprimanda, se répandit en plaintes, le critiqua amèrement et le tourna en ridicule. Et nous autres, nous sommes assez mal inspirés pour croire à ces bagatelles ! Pourquoi, me direz-vous, n’y a-t-il plus aujourd’hui personne pour ressusciter les morts et pour opérer des guérisons miraculeuses ? Pourquoi, je ne vous le dis pas encore. Mais je vous demanderai à mon tour pourquoi il n’y a plus aujourd’hui personne qui méprise la vie présente, pourquoi nous n’offrons à Dieu que des hommages intéressés ? Quand l’humanité était plus faible, quand il s’agissait de planter sur la terre l’arbre de la foi, il y avait beaucoup d’hommes qui opéraient des miracles. Mais aujourd’hui Dieu veut que nous soyons préparés à la mort, sans nous mettre sous la dépendance des signes. Pourquoi donc cet attachement à la vie présente ? Pourquoi ce mépris pour la vie future ? Dans l’intérêt de la vie présente, vous avez le courage d’encenser des idoles ; dans l’intérêt de la vie future, vous ne pouvez supporter la plus légère contrariété. Pourquoi cette différence ? Si les hommes ne sont plus ce qu’ils étaient autrefois, c’est que nous avons pris l’autre vie en dégoût, puisque nous ne faisons rien pour elle, tandis que, pour conserver la vie présente, nous acceptons toutes les souffrances. Que signifient encore ces momeries, ces opérations magiques par la cendre, par la suie, par le sel, et cette vieille magicienne qui arrive encore ? Voilà qui est honteux et ridicule ! Votre enfant, diton, a été fasciné.
6. Jusques à quand vous livrerez-vous à ces pratiques, à ces œuvres de Satan ? Les gentils ne se moqueront-ils pas de nous, quand nous leur vanterons les vertus de la croix ? Comment persuader ces hommes qui nous voient recourir à ce qui fait l’objet de leur risée ? Est-ce pour cela que Dieu nous a donné ses médecins et ses remèdes ? Mais quoi, dites-vous, si ces médecins ne le sauvent pas ? Si l’enfant s’en va ? Mais où va-t-il donc, je vous le demande, malheureux que vous êtes ? Tombe-t-il entre les mains des démons et de notre tyran ? Ne retourne-t-il pas au ciel vers son maître ? Pourquoi cette douleur ? pourquoi ces pleurs ? pourquoi ces larmes ? Pourquoi préférer votre enfant au Seigneur ? N’est-ce pas le Seigneur qui vous l’a donné ? Pourquoi êtes-vous assez ingrat pour préférer le don au donateur ? Mais je suis faible, dites-vous, et je n’ai point assez la crainte de Dieu. Car si, lorsqu’il s’agit des maux physiques, le plus grave empêche de ressentir le plus léger ; lorsqu’il s’agit de l’âme à plus forte raison, la crainte chasse la crainte, et la douleur la douleur. Votre enfant était beau, mais quel qu’il fût, il n’était pas plus beau qu’Isaac, et Isaac aussi était fils unique. C’était l’enfant de votre vieillesse. Le père d’Isaac l’avait eu aussi dans ses vieux jours. Mais il était si gracieux, si distingué ! Il ne l’était pas plus que Moïse qui charma les yeux d’une femme barbare, et cela, clans un âge où la grâce et la distinction n’ont pas encore eu le temps de percer. Pourtant cet enfant chéri fut jeté par ses parents dans un fleuve. Vous, du moins, vous l’avez devant vos yeux, vous le livrez à la sépulture et vous pouvez visiter son tombeau ; mais les parents de Moïse ignoraient s’il n’allait pas servir de pâture aux poissons, aux chiens ou à quelque monstre marin, et ils ne savaient pas encore ce que c’est que le royaume des cieux, ce que c’est que la résurrection.
Mais ce n’est pas le seul enfant que vous ayez perdu ; plusieurs de vos enfants l’avaient précédé dans la tombe. Ah ! vos malheurs n’ont pas été si soudains, si répétés, si déplorables que ceux de Job. Vous n’aviez pas appris déjà, étant à table, la ruine de votre maison et une longue suite de désastres. Mais c’était votre enfant chéri. Vous ne l’aimiez pas plus que Jacob n’aimait son fils, lorsqu’il apprit qu’il avait été dévoré par les bêtes féroces. Et pourtant il supporta son malheur, et les nouveaux malheurs qui vinrent encore le frapper. Le père pleura, mais il ne se conduisit pas en impie. Il se lamenta, mais il ne perdit pas sa résignation et se borna à dire : « Joseph n’est plus, Siméon n’est plus, Benjamin n’est plus ; tous les malheurs sont venus fondre sur moi ». (Gen. 42,36) Voyez-vous comme la voix impérieuse du besoin le força à exposer ses fils, tandis que la crainte de Dieu n’a pas sur vous autant d’empire que la faim ? Pleurez, je vous le permets, pleurez ; mais pas de blasphèmes. Votre fils, quel qu’il fût, ne pouvait être comparé à Abel, et pourtant Adam n’a rien dit qui ressemblât à un blasphème. Quoi de plus grave en effet qu’un fratricide ? Mais ce fratricide m’en rappelle d’autres. Ainsi Absalon ne tua-t-il pas Ammon son frère aîné ? (2Sa. 13) Le roi David aimait son enfant, et le souverain était là étendu sur la cendre. Mais il ne fit venir ni devin ni enchanteur. II y en avait cependant alors, et l’exemple de Saül nous le fait bien voir. Mais David se bornait à supplier Dieu. Imitez-le ; imitez ce juste ; dites, comme lui, quand votre enfant est mort : Il ne viendra pas à moi, mais j’irai à lui ; voilà de la sagesse ! Voilà de l’attachement ! Vous avez beau aimer votre enfant, vous ne l’aimez pas autant que David aimait son fils, quoique ce fils fût le fruit de l’adultère. Mais David pensait à la mère de ce fils, et vous le savez, l’affection que l’on a pour les parents, rejaillit sur les enfants. Or David avait tant d’affection pour ce fils, qu’il tenait à lui, bien qu’il fût pour lui un reproche vivant. Eh bien ! tout cela n’empêcha point David de rendre grâces à Dieu.
Quelle ne fut pas, croyez-vous, la douleur de Rébecca, lorsqu’elle vit Jacob menacé par son frère ? Pourtant elle ne voulut pas faire de chagrin à son mari, et fit partir son fils. Quand voles avez une affliction, songez à des afflictions plus grandes et vous serez consolé. Dites-vous à vous-même : Et si mon fils était mort sur le champ de bataille ? Et s’il avait péri dans un incendie ? Songeons à des malheurs plus graves que les nôtres, et nous serons consolés. Quels que soient nos malheurs, jetons nos regards sur ceux qui sont plus malheureux que nous. C’est ainsi que Paul exhorte ses auditeurs, quand il leur dit : « Dans vos luttes contre le péché, vous n’avez pas encore combattu jusqu’au sang ». (Héb. 12,4) Et ailleurs : « Vous n’avez encore eu que des tentations humaines ». Ayons donc les yeux fixés sur les infortunes qui surpassent les nôtres : nous en trouverons toujours, et de cette manière nous serons reconnaissants. Avant tout et en toutes choses, rendons grâces à Dieu ! C’est le moyen de nous calmer, c’est le moyen de vivre pour honorer Dieu et d’obtenir les biens qui nous sont promis. Puissions-nous les acquérir par la grâce et la bonté, etc.

HOMÉLIE IX. modifier


QUE LA PAROLE DU CHRIST HABITE EN VOUS ET REMPLISSE VOS ÂMES INSTRUISEZ-VOUS EN TOUTE SAGESSE ET EXHORTEZ-VOUS PAR DES PSAUMES, PAR DES HYMNES, PAR DES CANTIQUES SPIRITUELS, CHANTANT DE CŒUR AVEC ÉDIFICATION LES LOUANGES DU SEIGNEUR. QUOI QUE VOUS FASSIEZ, EN PARLANT OU EN AGISSANT, FAITES TOUT AU NOM DE JÉSUS-CHRIST, NOTRE SEIGNEUR, RENDANT GRÂCES PAR LUI A DIEU LE PÈRE ! (CH. 3,16, 17)

Analyse. modifier

  • 1. Comment faut-il témoigner à Dieu sa reconnaissance ? Il faut lire les saintes
  • 2. Les psaumes sont un beau livre de morale.
  • 3. Toujours parler, toujours agir au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur.

Écritures, et se résigner dans le malheur.
1. Après leur avoir persuadé qu’ils devaient se montrer reconnaissants envers Dieu, il leur montre le moyen qu’ils doivent employer pour cela. Quel est ce moyen ? C’est celui dont nous nous sommes d’abord entretenus. Et que dit l’apôtre ? « Que la parole du Christ demeure en vous et remplisse vos âmes ». Il est encore un autre moyen de témoigner à Dieu notre reconnaissance ; j’en ai déjà parlé. Ce moyen consiste, quand on est malheureux, à passer en revue, à regarder autour de soi ceux qui ont encore plus souffert que nous, et à rendre grâces à Dieu qui ne nous a pas éprouvés comme eux. – « Que la parole du Christ demeure en vous et remplisse vos âmes ». Cette parole du Christ, ce sont ses dogmes, ce sont ses avis, c’est sa doctrine où il nous montre le néant de la vie présente et de ses biens. Si cette vérité devient évidente pour nous, nous ne reculerons devant aucune difficulté. « Qu’elle habite en vous », dit-il, « et qu’elle remplisse vos âmes ». Il ne s’est pas contenté de dire : « Qu’elle habite en vous », il a ajouté : « Qu’elle remplisse vos âmes ». Écoutez tous tant que vous êtes, hommes du monde, vous qui avez une femme, qui avez des enfants. Voyez comme il vous recommande de lire les saintes Écritures et d’apporter à cette lecture non pas un esprit distrait et léger, mais une grande attention, une grande ardeur. Le riche peut supporter l’amende et bien des condamnations ; de même celui qui possède les dogmes de la sagesse peut supporter facilement non seulement la pauvreté, mais les autres malheurs ; il les supportera même plus facilement que le riche ne supportera l’amende. Car le riche, en payant l’amende, éprouve un dommage qui, multiplié, finirait par épuiser ses finances ; mais il n’en est pas ainsi de celui qui est riche en sagesse ; la raison et la droiture ne s’épuisent pas en faisant face aux événements ; elles subsistent toujours.
Et voyez l’intelligence du saint apôtre. Il ne s’est pas borné à dire : Que la parole du Christ soit en vous. Qu’a-t il dit ? Il a dit : « Que la parole du Christ habite en vous et qu’elle remplisse vos âmes. Instruisez-vous en toute sagesse et exhortez-vous les uns les autres ». Pour lui, la vertu c’est la sagesse, et avec raison. La sagesse, en effet, c’est l’humilité, c’est l’aumône avec ses sœurs ; les vices au contraire ne sont que folie. C’est une folie que la dureté du cœur. Aussi, en mille endroits, l’Écriture donne-t-elle au péché le nom de folie. « L’insensé a dit dans son cœur, il n’y a pas de Dieu » ; et ailleurs : « J’ai vu, dans ma folie, mes cicatrices se pourrir et se corrompre ». (Ps. 13,1 ; 37,6) Quoi de plus insensé en effet que cet homme bien vêtu qui voit avec indifférence la nudité de ses frères, qui nourrit une meute de chien et qui, dans son mépris, abandonne aux tourments de la faim un être fait à l’image de Dieu ; qui tout en étant persuadé du néant des choses humaines, y demeure attaché, comme si elles devaient durer toujours ? Si c’est là le comble de la folie, la droiture en revanche est le comble de la sagesse. Voyez en effet comment se comporte le sage : il est charitable, compatissant et bon, il reconnaît que nous sommes tous frères, il connaît le peu de cas que l’on doit faire de la fortune, il sait qu’il faut être plus économe de sa personne que de son argent. Tout homme qui méprise la gloire est donc philosophe, parce qu’il connaît les choses humaines ; car la science des choses divines et humaines, c’est la philosophie. Le philosophe sait donc faire la différence des choses divines et humaines. Il s’abstient de celles-ci, il s’occupe de celles-là ; il sait en toutes choses rendre grâces à Dieu ; il connaît le néant de la vie présente ; voilà pourquoi il ne se laisse ni enivrer par la prospérité, ni abattre par tes revers. Qu’avez-vous besoin de maîtres ? Vous avez la parole de Dieu. Où trouver un meilleur enseignement ? Souvent, par vaine gloire ou par jalousie, un maître vulgaire ne vous transmet qu’une partie de sa science.
Écoutez bien, vous tous qui vous préoccupez des choses de cette vie, et faites provision de ces livres qui contiennent les remèdes de l’âme. Si vous ne voulez pas en avoir beaucoup, procurez-vous du moins le Nouveau Testament, les Actes des apôtres, les Évangiles. Vous y trouverez des leçons bonnes en tout temps. S’il vous arrive un chagrin, ouvrez cette officine, vous y trouverez quelque remède qui adoucira votre douleur. Venez-vous à éprouver une perte d’argent, la mort est-elle à votre porte, perdez-vous quelqu’un des vôtres ? Jetez les yeux sur ces divins formulaires, pénétrez-vous en, retenez-les bien. La source de tous les maux, c’est l’ignorance des saintes Écritures. Les ignorer, c’est marcher sans armes au combat. Comment donc vous défendrez-vous ? Nous devons nous trouver heureux, si ces armes nous sauvent ; si nous ne les avons pas, comment donc pouvons-nous être sauvés ? Ne jetez pas sur nous tout le fardeau. Vous êtes nos brebis ; mais vous êtes des brebis douées de raison. Vous aussi vous avez à remplir bien des devoirs que saint Paul vous impose. Les disciples ne sont pas toujours disciples ; car apprendre toujours, c’est ne savoir jamais. Ne venez pas à nous, comme si vous deviez toujours apprendre ; autrement vous ne saurez jamais. Venez à nous en disciples qui cesseront un jour d’apprendre pour devenir des maîtres à leur tour. Dans toute espèce de science, dans toute espèce d’art, je vous le demande, est-ce que tous ceux qui étudient n’attendent pas un terme à leurs études ? Oui, tous nous nous fixons ce terme. Toujours apprendre prouve qu’on n’a rien appris.
2. Voilà le reproche que Dieu faisait aux Juifs. « Ces hommes qui, depuis leur plus tendre enfance jusqu’à la vieillesse, sont toujours à l’école ». Si vous n’aviez pas toujours attendu la leçon d’un maître, vous n’auriez pas toujours marché à reculons dans la voie du progrès. Si, en trouvant parmi vous des auditeurs ayant encore besoin d’apprendre, nous en avions trouvé d’autres complètement instruits, nos efforts au moins vous auraient profité. Vous auriez un jour cédé la place à d’autres disciples et vous nous auriez secondés. Je vous le demande : si des écoliers en étaient toujours aux éléments, ne donneraient-ils pas beaucoup de mal à leur maître ? Jusques à quand passerons-nous notre temps à disserter sur la vie humaine ? Il n’en était pas ainsi chez les apôtres. Ils passaient d’une contrée à une autre, laissant à de nouveaux disciples leurs disciples anciens pour maîtres. C’est ainsi qu’ils ont pu parcourir l’univers entier ; ils n’étaient pas attachés à un lieu. Dans votre opinion, que de frères n’avons-nous pas dans les campagnes qui, aussi bien que leurs maîtres, ont encore besoin d’être instruits ? Mais vous me tenez cloué près de vous. Car, avant que la tête soit bien guérie, il est superflu de s’occuper du reste du corps. Vous vous reposez de tout sur moi. Tandis que nous nous chargeons de vous instruire, vous devriez à votre tour vous charger d’instruire vos femmes et vos enfants ; mais vous nous laissez toute la besogne. Aussi nous avons beaucoup de peine. « Vous instruisant », dit-il, « et vous exhortant les uns les autres par des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels ». Voyez comme Paul rend la sagesse abordable et facile. La lecture de l’Écriture sainte est un travail très pénible et très sérieux. Ce n’est donc pas l’histoire qu’il leur donne à lire ; mais il leur donne des psaumes à chanter, pour qu’ils trouvent en chantant de quoi se distraire et tromper leur ennui. « Par des hymnes », dit-il, « et par des cantiques spirituels ». Aujourd’hui ce sont les chants du démon, c’est la danse que vos enfants affectionnent : c’est un goût qui leur est commun avec les cuisiniers, les pourvoyeurs et les saltimbanques. Il n’est plus question de psaumes ; on rougit de les chanter, on les trouve ridicules et l’on s’en moque. De là toutes sortes de maux. Tel terrain, tel fruit, en effet ; un terrain sablonneux et chargé de matières salines produira des fruits de la même nature que lui, et il en sera de même d’un terrain doux et gras. C’est ainsi que tout ce que l’on apprend est une source de bien ou de mal.
Apprenez à l’enfant à chanter ces psaumes si remplis de sagesse. Ils lui parleront tout d’abord de la modération et de la tempérance, ou plutôt ils lui diront avant tout, dès le commencement du livre, qu’il ne faut pas fréquenter les méchants. C’est par là que commence le Prophète, quand il dit : « Heureux l’homme qui s’éloigne des impies ! » (Ps. 1,1) Et il dit ailleurs : « Je n’ai pas pris place dans cette assemblée de la vanité ». – « Le méchant, en sa présence, a été comme s’il n’était pas ; ceux qui craignent le Seigneur sont glorifiés ». (Ps. 25,4 ; 14,4) Les psaumes renferment en outre une foule de préceptes sur la nécessité de fréquenter les gens de bien et de commander à sa sensualité, sur le désintéressement, contre l’avarice, sur le néant de la richesse et de la gloire, et autres semblables matières. Lorsque, dès son plus jeune âge, l’enfant aura été nourri de ces leçons, il recevra peu à peu un plus haut enseignement. Les psaumes renferment tout ; mais les hymnes n’ont rien de mortel. Lorsque l’enfant aura fait son apprentissage en chantent les psaumes, il apprendra les hymnes qui se rapprochent encore plus du ciel. Ce sont les hymnes, en effet, que chantent les puissances célestes. « Les hymnes n’ont rien de beau », dit l’Ecclésiastique, « en passant par la bouche du pécheur ». (Sir. 15,9) – « Mes yeux sont fixés sur les fidèles qui habitent la terre, afin qu’ils soient un jour assis avec moi dans le ciel ». – « Celui qui sacrifie à l’orgueil n’habite pas dans ma maison ». – « Il me servait en marchant dans la voie de la sainteté ». (Ps. 100,6 ; 7,2)
Tant il est vrai que vous devez veiller à ce que vos enfants ne se corrompent pas en fréquentant vos amis ou vos esclaves ; car nos enfants courent des dangers innombrables, quand nous les confions à des esclaves corrompus. Si, en effet, l’amour et la sagesse d’un père suffisent à peine pour les sauver, que sera-ce, si nous les confions à des esclaves n’ayant ni foi ni loi. Ces esclaves les traitent en ennemis et se figurent qu’ils trouveront en eux des maîtres complaisants, quand ils auront fait d’eux des insensés, des méchants et des vauriens. Occupons-nous donc, avant tout, de ces points importants, et occupons-nous-en avec soin. « J’ai aimé, dit le Seigneur, « ceux qui aiment ma loi ». Montrons-nous donc jaloux d’observer cette loi, et aimons ceux qui l’observent. Les enfants veulent-ils apprendre la tempérance et la modération, qu’ils écoutent ces paroles du Prophète : « Mes reins se sont remplis d’illusions » ; et celles-ci : « Tu chasseras de ta présence et tu perdras ceux qui se livrent à la fornication ». (Ps. 37,8 ; 72,27) Pour leur apprendre combien il est nécessaire de commander à sa sensualité, le psalmiste leur dira : « Et il a fait périr plusieurs d’entre eux qui avaient encore la bouche pleine ». (Ps. 77, 30-31) Il leur dira qu’il ne faut pas se laisser corrompre par les présents, en ces termes : « Quand la richesse affluerait entre vos mains, ne lui donnez pas votre cœur ». (Ps. 61,11)
Pour apprendre qu’il faut savoir maîtriser son orgueil, ils trouveront ce passage : « L’orgueil ne descendra pas avec lui sur ses pas ». (Ps. 48,18) Ils verront qu’il ne faut pas imiter les méchants : « Gardez-vous de prendre « les méchants pour modèles » (Ps. 36,1) ; qu’il faut mépriser les dignités : « J’ai été témoin de l’élévation de l’impie. Il était haut comme les cèdres du Liban ; je n’ai fait que passer, il n’était déjà plus » (Ps. 35,36) ; qu’il faut mépriser les biens de la terre : « Ils appelaient heureux le peuple qui possédait ces biens ; mais il n’y a d’heureux que le peuple qui a pour soutien le Seigneur notre Dieu ». (Ps. 143,15) « Ils verront que l’on ne pèche pas impunément, et que le pécheur reçoit son salaire. Tu rétribueras chacun selon ses œuvres ». Pourquoi la rétribution n’est-elle pas immédiate ? « C’est que Dieu, ce juge intègre, est à la fois fort et patient ». L’humilité est une vertu. « Seigneur, l’orgueil n’a pas enflé mon cœur ». (Ps. 130,1) L’orgueil est un vice. « Ils ont été jusqu’à la fin esclaves de leur vanité ». (Ps. 72,16) « Dieu résiste au superbe ». (Prov. 3,31) « Leur iniquité sortira de leur cœur gonflé d’orgueil ». (Ps. 72,7) Il est bon de faire l’aumône : « Il a dépensé ses biens, il les a donnés aux pauvres, sa justice est éternelle ». (Ps. 3,19) La pitié est chose louable : « Heureux l’homme qui a de la pitié et qui fait du bien ! » (Id. 5) On trouvera dans tes psaumes bien d’autres préceptes de morale. Il ne faut pas médire : « Je poursuivais ce détracteur qui médisait en cachette de son prochain ». (Ps. 100,5) Quant à cet hymne céleste que répètent là-haut les chérubins, il est connu des fidèles. Et les anges placés au-dessous des chérubins, que disent-ils ? Gloire à Dieu, au plus haut des cieux ! (Lc. 1,14) Donc après les psaumes viendront les hymnes qui offrent quelque chose de plus parfait. « Par des psaumes », dit l’apôtre, « par des hymnes, par des cantiques spirituels, chantant de cœur avec édification les louanges du Seigneur ». Cela veut dire que Dieu nous a dicté ces chants pour notre édification, ou que ces chants sont des cantiques d’actions de grâces, ou que nous devons nous avertir et nous instruire dans la grâce, ou que ces chants sont des dons de la grâce, ou enfin, autre explication, qu’ils ont été inspirés par la grâce de l’Esprit-Saint : « Chantant de cœur les louanges de Dieu ». Il ne faut pas se borner à chanter avec les lèvres ; il faut chanter avec le cœur.
3. C’est là ce qui s’appelle chanter pour Dieu ; autrement on chante pour lé vent qui emporte nos paroles. Ce n’est pas là, nous dit l’apôtre, une affaire d’ostentation. Même sur la place publique, vous pouvez vous tourner vers Dieu et chanter ses louanges sans qu’on vous entende. C’est ainsi que priait Moïse, et Dieu pourtant l’entendit, car voici les paroles de Dieu : « Pourquoi cries-tu vers moi ? » Pourtant Moïse ne proférait pas un seul mot ; la contrition dans le cœur, il faisait une oraison mentale ; aussi était-ce Dieu seul qui l’entendait. Rien ne nous empêche en effet de prier de cœur, en nous promenant, et d’élever notre esprit vers Dieu. « Quoi que vous lassiez », continue saint Paul, « en priant ou en agissant, faites tout au nom de JésusChrist Notre-Seigneur, rendant grâces par lui à Dieu le Père ». De cette manière, en invoquant le Christ, nous ne ferons, nous ne dirons rien de contraire à la vertu et à la pureté. Que vous mangiez, que vous buviez, que vous contractiez mariage, que vous voyagiez, faites tout au nom de Dieu, c’est-à-dire en invoquant son appui. Quoi que vous fassiez, adressez-lui d’abord votre prière. Quoi que vous disiez, que ce soit là votre préambule.
Voilà pourquoi le nom du Seigneur se trouve en tête de toutes nos épîtres. Ce nom-là porte toujours bonheur. Si des noms de consuls suffisent pour donner à un acte sa sanction, il en est de même à plus forte raison du nom du Christ. Peut-être aussi l’apôtre veut-il dire Agissez et parlez toujours au nom du Seigneur ; ne faites pas intervenir les anges avant et après vos repas, rendez grâces à Dieu. Avant (le dormir, à votre réveil, rendez grâces à Dieu. Allez-vous à vos affaires ? faites de même. Qu’il n’y ait dans votre conduite rien de mondain, rien pour la vie terrestre. Faites tout au nom du Seigneur, et tout vous réussira. Partout et toujours ce nom-là porte bonheur. S’il chasse les démons, s’il chasse les maladies, il porte bonheur à plus forte raison en tout le reste. Que veut dire : « Quoi que vous fassiez, en parlant ou en agissant ? » C’est-à-dire en priant, en faisant un acte quelconque. Écoutez Abraham, donnant, au nom du Seigneur notre Dieu, message à son serviteur ; voyez David tuant Goliath au nom du Seigneur ! C’est que ce nom est merveilleux et grand. Et. en laissant partir ses fils, ne leur dit-il pas : « Que mon Dieu vous donne sa grâce, quand vous serez devant cet homme ? » (Gen. 43,14)
En agissant ainsi, on s’assure l’appui de ce Dieu, sans lequel on n’ose rien entreprendre. Ce Dieu, que vous avez honoré, que vous avez invoqué, vous honore à votre tour, en faisant prospérer vos entreprises. Invoquez le Fils, et rendez grâces au Père. Invoquer le Fils, c’est invoquer aussi le Père ; rendre grâces au Père c’est rendre grâces au Fils. Ne nous bornons pas à retenir ce précepte ; mettons-le en pratique. Rien ne peut être mis en parallèle avec ce nom ; il produit toujours de merveilleux effets. « Votre nom est un parfum exquis ». (Cant. 1,2) Celui qui a adressé ces paroles à Dieu a été aussitôt en bonne odeur devant Dieu. « Nul ne peut confesser que Jésus est le Seigneur, sinon par le Saint-Esprit ». (1Cor. 12,3) Tant ce nom opère de miracles ! Ces mots, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, prononcés avec foi, produisent les plus puissants effets. En les prononçant, on crée un homme nouveau, on obtient toutes les grâces du baptême. Ce nom du Seigneur, ce nom qui commande aux maladies, devient une arme terrible. Voilà pourquoi le démon, jaloux du privilège que Dieu accorde à l’homme, a introduit le culte des anges. Oui, ce sont là des sortilèges du démon. Ne vous y prêtez point, qu’il s’agisse d’un ange, d’un archange, ou d’un chérubin ; car ces puissances, loin d’accueillir vos prières, les rejetteront, en voyant que vous humiliez Dieu. Je vous ai honoré, dit Dieu, et je vous ai dit : Invoquez-moi, et vous outragez Dieu. Ces paroles magiques prononcées avec foi, mettront en fuite les maladies et – les démons, et, si la maladie ne disparaît pas, ce n’est pas la faute du moyen que volis employez, c’est que ce n’est pas votre avantage. La gloire de votre nom est proportionnée à votre grandeur, dit l’Écriture. Par le nom du Seigneur, l’univers a été converti, le joug de la tyrannie a été brisé, le démon a été foulé aux pieds, les cieux ont été ouverts. Que dis je ? les cieux ! C’est par ce nom que nous avons été régénérés. Ce nom nous revêt de splendeur ; il fait les confesseurs et les martyrs. Regardons-le comme un magnifique présent, pour vivre dans la gloire, pour plaire à Dieu et nous rendre dignes des biens promis à ceux qui l’aiment, par la grâce et la bonté, etc.

HOMÉLIE X. modifier


FEMMES, SOYEZ SOUMISES A VOS MARIS, COMME IL EST BIEN RAISONNABLE, EN CE QUI EST SELON LE SEIGNEUR. MARIS, AIMEZ VOS FEMMES ET NE LES TRAITEZ POINT AVEC RIGUEUR. ENFANTS, OBÉISSEZ EN TOUT A VOS PÈRES ET A VOS MÈRES ; CAR CELA EST AGRÉABLE AU SEIGNEUR. PÈRES, N’IRRITEZ POINT VOS ENFANTS, DE PEUR QU’ILS NE TOMBENT DANS L’ABATTEMENT. SERVITEURS, OBÉISSEZ EN TOUT A CEUX QUI SONT VOS MAÎTRES SELON LA CHAIR, NE LES SERVANT PAS SEULEMENT LORSQU’ILS
ONT L’ŒIL SUR VOUS, COMME SI VOUS NE PENSIEZ QU’A PLAIRE AUX HOMMES ; MAIS AVEC SIMPLICITÉ DE CŒUR ET CRAINTE DE DIEU. FAITES DE BON CŒUR TOUT CE QUE VOUS FEREZ, COMME LE FAISANT POUR DIEU ET NON POUR LES HOMMES. SACHEZ QUE C’EST DU SEIGNEUR QUE VOUS RECEVREZ L’HÉRITAGE DU CIEL POUR RÉCOMPENSE ; C’EST LE SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST QUE VOUS DEVEZ SERVIR. MAIS CELUI QUI AGIT INJUSTEMENT RECEVRA LE SALAIRE DE SON INJUSTICE, ET DIEU NE FAIT POINT ACCEPTION DE PERSONNE. VOUS, MAÎTRES, RENDEZ A VOS SERVITEURS CE QUE L’ÉQUITÉ ET LA JUSTICE DEMANDENT DE VOUS, SACHANT QUE VOUS AVEZ AUSSI BIEN QU’EUX UN MAÎTRE QUI EST DANS LE CIEL. (III, 18 ; IV, 1-4)

Analyse. modifier


  • 1. Devoirs réciproques des maris et des femmes, des parents et des enfants, des maîtres et des serviteurs.
  • 2. Suite des devoirs réciproques. – Comment il faut prier.
  • 3. Prière d’un saint.
  • 4. La prison de Socrate et celle de Paul. – Paul est bien supérieur à Socrate. – Les parures mondaines sont des chaînes ; les chaînes de Paul sont une parure. – La plus belle parure, c’est la vertu. – Influence de l’éducation et de l’exemple.


1. Pourquoi l’apôtre ne fait-il point partout et dans toutes ses épîtres les recommandations qu’il fait ici ? Pourquoi ne trouvons-nous ces préceptes de saint Paul que dans cette épître, dans l’épître aux Éphésiens, dans les épîtres à Timothée et à Tite ? C’est que, dans les villes d’Éphèse et de Colosses, probablement les familles étaient divisées ; c’est que le mal était surtout chez elles dans ces discordes auxquelles il fallait remédier au moyen de la parole. Peut-être encore ce sont là des préceptes généraux. Cette épître offre du reste, et surtout dans ce passage, de grands points de ressemblance avec l’épître aux Éphésiens. Il n’en est pas de même des autres épîtres ; soit que, dans ces autres épîtres, il s’adresse à des villes pacifiques et à des hommes qui avaient besoin d’entendre de plus hautes leçons, soit que ces hommes, ayant déjà été consolés dans leurs tentations, n’aient plus besoin de ces préceptes domestiques. Cela me fait conjecturer que, dans ces villes, l’Église était solidement établie, et que saint Paul a gardé ces préceptes pour la fin. « Femmes, soyez soumises à vos maris, comme c’est raisonnable, en ce qui est selon Dieu ». C’est-à-dire, soyez soumises à vos maris, pour obéir à Dieu ; car cette soumission est votre parure. Il ne s’agit point en effet ici de cette soumission que l’on doit à un maître. Il ne s’agit pas seulement d’une soumission commandée par la nature, mais d’une soumission agréable à Dieu. « Maris, aimez vos femmes, et ne les traitez point avec rigueur ». Voyez comme les devoirs réciproques sont ici bien marqués. Il place de part et d’autre l’amour à côté de la crainte ; car celui qui aime pourrait, malgré cela, se montrer acerbe. Voici donc ce qu’il veut dire : Qu’il ne s’élève point de contestations entre vous ; car il n’y a rien de plus amer que ces contestations qui ont lieu entre mari et femme. Il n’y a rien de plus aigre que ces disputes qui surgissent entre personnes qui s’aiment. Car cette révolte du corps contre ses propres membres est la preuve d’une grande animosité.
Aimer est le devoir de l’homme ; obéir est celui de la femme. Si chacun met du sien, l’union entre les deux époux est ferme et stable. La tendresse du mari fait naître dans le cœur de la femme la sympathie et l’amour ; la soumission de la femme fait de l’homme un mari doux et clément. Et remarquez que la nature aussi a fait l’homme pour la tendresse, la femme pour la soumission. Quand l’être qui commande aime l’être qui obéit, tout va bien. Et le sentiment de la tendresse est plus impérieusement exigé de celui qui commande que de celui qui obéit. Car, à ce dernier, ce que l’on demande surtout, c’est la soumission. Cette beauté qui est l’apanage de la femme, ces désirs naturels à l’homme ne montrent qu’une chose ; c’est que tout cela est arrangé pour inspirer à l’homme l’attachement. N’abusez donc pas, ô maris, de la soumission de vos femmes pour vous montrer insolents ; et vous, femmes, ne vous montrez pas vaines de l’amour de vos maris. Que la tendresse de l’homme ne soit point pour la femme un sujet d’orgueil ; que la soumission de la femme ne soit point pour l’homme un motif de vanité. Si Dieu veut que la femme vous soit soumise, ô homme, c’est pour que vous l’aimiez davantage ; si Dieu veut que l’homme vous aime, ô femme, c’est pour alléger votre joug. Ce joug, ne le craignez pas ; être soumis à celui qui vous aime est une situation qui n’a rien de pénible. Et vous, homme, ne craignez pas d’aimer ; votre femme vous est soumise. La nature vous a donné une autorité nécessaire ; joignez-y le lien de la tendresse qui fait pardonner aux faibles.
« Enfants, obéissez en tout à vos pères et à vos mères ; car cela est agréable au Seigneur ». – « Cela est agréable au Seigneur », dit-il encore ici ; pour insister sur cette loi de l’obéissance, pour rendre les enfants respectueux et soumis. « Car cela est agréable au Seigneur ». Voyons comment saint Paul nous recommande de suivre toujours non seulement l’ordre de la nature, mais les préceptes de Dieu, si nous voulons être récompensés. « Pères, n’irritez point vos enfants, de peur qu’ils ne tombent dans l’abattement ». Voilà encore ici la soumission et la tendresse. L’apôtre n’a pas dit : « Aimez vos enfants » ; la recommandation serait inutile ; car la nature nous y force. Mais il rectifie le sentiment de l’amour paternel, en indiquant qu’il doit être d’autant plus vit que la soumission de l’enfant est plus grande. Nulle part il n’emploie, quand il s’agit de tendresse, l’exemple des maris et des femmes comme terme de comparaison. Quoi d’étonnant ? Écoutez ces paroles du Prophète : Comme un père qui a eu pitié de ses enfants, le Seigneur a eu pitié de ceux qui le craignent. (Ps. 13,13) Et Jésus-Christ dit aussi : « Quel est celui d’entre vous qui donnerait une pierre à son fils, quand son fils lui demande du pain ? Quel est celui a d’entre vous qui lui donnerait un serpent, quand il lui demande du poisson ? » (Mt. 7,9) – « Pères, n’irritez point vos enfants, de peur qu’ils ne tombent dans l’abattement ». Il s’est exprimé de la manière la plus propre à faire impression sur eux ; c’est un ordre aimable où il ne fait pas intervenir Dieu pour les émouvoir, il en appelle à leur affection : « N’irritez point vos enfants », c’est-à-dire, ne les aigrissez pas ; il y a des cas où vous devez leur faire des concessions. Il passe ensuite à un troisième commandement : « Serviteurs, obéissez à vos maîtres selon la chair ». Il y a aussi place pour l’affection entre le serviteur et le maître. Mais ce n’est plus l’affection qui résulte des liens naturels ; c’est une affection qui résulte des bons rapports entre celui qui commande et celui qui sert. Mais, comme dans une pareille situation c’est l’obéissance qui a la plus large part, c’est aussi sur l’obéissance qu’il insiste et qu’il appuie pour en faire jaillir ce sentiment que la nature fait éclore dans la famille. Aussi n’est-ce pas seulement la cause des maîtres, c’est celle des serviteurs eux-mêmes qu’il plaide auprès des serviteurs. Il veut qu’ils se rendent agréables à leurs maîtres ; mais il ne le dit pas explicitement, pour ne pas les humilier. « Obéissez », leur dit-il, « à vos maîtres selon la chair ».
2. Voyez comme il a soin de faire ressortir ces titres d’épouse, de fils, de serviteur, parce que ces titres leur marquent les devoirs qu’ils ont à remplir et leur commandent la soumission. Mais, pour ne pas humilier les esclaves il ajoute : « A vos maîtres selon la chair ». Ce qu’il y a de meilleur en vous, leur dit-il, votre âme, est libre ; votre esclavage n’aura qu’un temps. Soumettez donc votre corps à vos maîtres ; vous sentirez moins votre chaîne. « Ne les servant pas seulement lorsqu’ils ont l’œil sur vous, comme si vous ne pensiez qu’à plaire aux hommes ». Faites en sorte, dit-il, que cet esclavage qui vous est imposé parla loi, vous soit imposé parla crainte du Christ. Car si, loin des yeux du maître, vous remplissez envers lui tous vos devoirs, c’est l’œil vigilant de Dieu qui vous y oblige. « Ne les servant pas seulement lorsqu’ils ont l’œil sur vous, comme si vous ne pensiez qu’à plaire aux hommes » ; car cette pensée est une pensée pernicieuse. Écoutez le Prophète : « Dieu a dispersé les os de ceux qui songent à plaire aux hommes ». (Ps. 52,6) Voyez comme il les ménage, tout en leur donnant des règles de conduite. « Mais avec simplicité de cœur et crainte de Dieu ». Une conduite toute contraire n’est plus simplicité de cour ; ce n’est qu’hypocrisie et dissimulation ; le serviteur alors pense tout autrement qu’il n’agit ; quand son maître n’est plus là, le serviteur n’est plus le même. Et saint Paul ne dit pas seulement « avec simplicité de cœur », il ajoute « et crainte de Dieu ». Car la crainte de Dieu consiste à ne rien faire de mal, lors même que personne ne nous voit. Voyez-vous la règle de conduite qu’il leur donne ? « Quoi que vous fassiez », dit-il, « faites-le de bon cœur, faites-le pour Dieu et non pour les hommes ». C’est qu’il veut les mettre en garde non seulement contre l’hypocrisie, mais contre la paresse et la fainéantise. D’esclaves, il les rend libres, puisqu’ils n’ont pas besoin de la présence du maître. C’est ce que veulent d’ire ces mots « de bon cœur » ; ils signifient « avec bienveillance », non parce que l’esclavage vous y oblige, mais agissant en vertu de votre libre arbitre et de plein gré.
Et quelle sera leur récompense ? « Sachez », leur dit-il, « que c’est du Seigneur que vous recevrez l’héritage du ciel pour récompense ; c’est le Seigneur Jésus-Christ que vous devez servir ». C’est lui qui vous donnera votre salaire. Et voici la preuve que c’est Dieu que vous servez : « Celui qui agit injustement recevra la peine de son injustice ». Il confirme là ce qu’il a dit plus haut : Pour que ses paroles n’aient pas un faux air de flatterie, il recevra la peine de son injustice, dit-il ; c’est-à-dire, il sera châtié ; « car Dieu ne fait point acception de personne ». Qu’importe que vous soyez esclave ? Vous n’êtes point, pour cela, déshonoré devant Dieu. C’est aux maîtres que l’apôtre devait adresser ce langage, comme dans l’épître aux Éphésiens ; mais dans cette épître-là on dirait qu’il parle pour les maîtres qui étaient gentils. Qu’importe, en effet, que vous soyez chrétien, tandis que votre maître est païen ? Ce n’est pas ici une question de personne ; c’est une question de conduite. C’est donc avec bienveillance et de bon cœur que le serviteur doit faire son service.
« Vous, maîtres, rendez à vos serviteurs ce que l’équité et la justice demandent de vous ». Or, qu’est-ce que demandent la justice et l’équité ? Elles demandent que vous ne laissiez manquer de rien vos serviteurs ; elles demandent que vous ne les forciez point à avoir recours aux autres et que vous les récompensiez selon leurs travaux. On a dit qu’ils recevraient leur récompense de Dieu ; mais ce n’est pas une raison pour que leur maître les prive de leur salaire. Dans un autre endroit, saint Paul dit : « Ne les traitant point avec menaces ». (Eph. 6,9) Il voulait rendre les Éphésiens plus doux ; car, sous d’autres rapports, il n’y avait rien à dire contre eux. Ces mots : « Dieu ne fait point acception de personne », ont été dits pour les esclaves ; mais, en les leur adressant, il veut aussi que les maîtres les prennent pour eux. Quand nous disons, en effet, à une personne quelque chose qui s’appliquerait bien à une autre, c’est sur cette dernière personne principalement que tombe la réprimande. Vous êtes comme eux, dit-il aux maîtres. Vous avez, comme eux, un maître : « Sachez que vous avez aussi bien qu’eux un maître qui est dans le ciel ».
« Persévérez et veillez dans la prière, en « l’accompagnant d’actions de grâces ». Comme la persévérance dans la prière engendre parfois la lassitude, il leur recommande de veiller, c’est-à-dire, d’être attentifs à eux-mêmes et de ne pas se permettre les distractions et les divagations ; car le démon sait bien quels sont les fruits de la prière : il se tient donc là toujours aux aguets, et saint Paul sait, du reste, quelle froideur et quelle nonchalance on apporte souvent dans la prière. « Persévérez dans l’oraison », comme si l’oraison était un travail. « Veillez dans la prière, en l’accompagnant d’actions de grâces ». Regardez, dit-il, comme votre tâche et votre devoir de rendre grâces à Dieu par la prière, pour ses bienfaits évidents et cachés, pour ceux qu’il vous a prodigués sur votre demande et malgré vous, pour obtenir le royaume des cieux, pour éviter la géhenne, quand il vous afflige et quand il vous soulage. C’est ainsi que prient les saints ; c’est ainsi qu’ils rendent grâces à Dieu pour les bienfaits dont il comble tous les hommes.
3. Je me rappelle la prière d’un saint. Voici cette prière : Nous vous rendons grâces, Seigneur, pour tous les bienfaits dont vous n’avez cessé de nous combler, nous vos serviteurs indignes ; nous vous rendons grâces pour ces bienfaits, pour ceux que nous connaissons et pour ceux que nous ignorons, pour vos bienfaits visibles ou invisibles, pour le bien que vous nous avez fait par votre coopération ou par votre parole, pour celui que vous nous avez fait même malgré nous, pour celui que vous nous avez fait quoique nous en fussions indignes, pour les maux dont vous nous avez affligés, pour les consolations que vous nous avez données, pour les périls dont vous nous avez frappés, pour le royaume des cieux, notre héritage. Nous vous prions de nous conserver la pureté du cœur, la paix de la conscience, et de nous donner une fin digne de votre clémence. Vous, qui nous avez aimés au point de nous sacrifier votre Fils unique, daignez nous rendre dignes de votre amour, mettez la sagesse dans notre bouche ; remplissez-nous de votre force et de la crainte de Dieu ; vous qui avez sacrifié pour nous votre Fils : unique ; et qui avez envoyé votre Saint-Esprit pour la rémission de nos péchés, pardonnez-nous nos fautes volontaires ou involontaires, souvenez-vous de tous ceux qui invoquent votre nom avec la parole de la vérité, souvenez-vous de ceux qui nous veulent du bien ou du mal, car nous sommes tous des hommes.
Puis, après avoir adressé à Dieu la prière des fidèles, peur couronner l’œuvre, et afin de prier pour tout le monde, il s’arrêtait. Car Dieu nous a fait beaucoup de bien, même malgré nous ; il nous en a fait davantage encore, à notre insu. Car, lorsqu’il fait tout le contraire de ce que nous lui demandons, c’est évidemment parce qu’il nous fait du bien à notre insu. « Priez aussi pour nous ». Quelle humilité ! il les fait passer avant lui. « Afin que Dieu nous ouvre une entrée pour aborder le mystère du Christ ». Une entrée, c’est-à-dire la liberté de parler. Ah ! le courageux athlète ne leur demandait pas de prier Dieu pour qu’il fût délivré de ses liens ; mais, quand il était chargé de liens, il demandait aux autres de prier Dieu de lui accorder une faveur précieuse, la liberté de parler et de parler un sujet bien grand, à raison de la personne et de la matière, la liberté de parler « sur le mystère du Christ ». C’est là le plus cher de tous ses vœux. « Ce mystère pour lequel je suis dans les liens ».
« Et afin que je le découvre aux hommes en la a manière que je dois lé découvrir ». En toute assurance, en toute liberté et sans réticence, veut-il dire. Eh quoi ! Paul, tu es dans les liens et tu t’ériges en consolateur ? – Oui sans doute ; mes liens même rendent ma parole plus libre. Mais je demande à Dieu son secours. N’ai-je pas entendu dire au Christ : « Quand on vous livrera entre leurs mains, ne vous inquiétez pas de savoir comment vous leur parlerez et ce que vous leur direz ». (Mt. 10,19) Et remarquez cette image : « Une entrée pour aborder le mystère ». Voyez ce style sans faste et l’humilité du captif. Il voudrait amollir les âmes, mais il ne le dit pas, il demande seulement la liberté de parler en toute assurance. Ce qu’il en dit est pure modestie, c’est de l’humilité. Car cette liberté, il l’avait ; mais il veut la tenir de Dieu une seconde fois. Il montre dans cette épître, pourquoi le Christ n’était pas venu plus tôt, en appelant une ombre tout, ce qui l’avait précédé, ombre de la vérité dont le Christ est le corps. (Col. 2,17) Les hommes devaient d’abord s’accoutumer à l’ombre. Il leur donne en même temps une preuve éclatante de sa tendresse pour eux. C’est pour vous faire écouter la parole de Jésus-Christ que je suis chargé de liens, dit-il. Le voilà encore qui parle de ses liens, et c’est ce qui me fait aimer Paul, c’est ce qui éveille en sa faveur toutes mes sympathies. Ah ! que j’aurais voulu le voir ce saint captif, lorsque dans sa prison il écrivait, il prêchait, il baptisait, il catéchisait. Quelle que fût l’affaire qui s’agitât au sein de l’Église, c’était à Paul, dans les liens, qu’on en référait ; dans les liens, il possédait au plus haut degré le pouvoir d’édifier tout le monde. C’était alors qu’il était plus libre que jamais. « Afin qu’un plus grand nombre de mes frères, s’appuyant sur mes liens, osent prêcher hardiment et dans l’effusion de leurs cœurs la parole de Dieu ». (Phil. 1,14) Il proclame cette même vérité en ces termes : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort ». (2Cor. 12,10) Voilà pourquoi il disait encore : « Maison n’enchaîne pas la parole de Dieu ». (2Tim. 2,9)
Il était chargé de chaînes avec des malfaiteurs, des scélérats, des homicides, ce docteur universel. Celui qui est monté au troisième ciel, celui qui a entendu retentir à son oreille des paroles mystérieuses et ineffables était chargé de liens. Mais alors même sa course était plus rapide. Mais celui qui était chargé de liens était libre, et celui qui était libre était le prisonnier. Le premier faisait ce qu’il voulait ; le second ne pouvait ni lui faire obstacle, ni accomplir ses desseins. Que fais-tu, stupide geôlier ? C’est à un athlète spirituel que tuas affaire. La carrière où il dispute le prix n’est pas de ce monde. Il est au ciel, et l’athlète qui court dans la lice du ciel ne peut être ni enchaîné ni retenu par les liens terrestres. Ne vois-tu pas ce soleil ? Tâche d’enchaîner ses rayons et de l’arrêter dans sa course ; tes efforts seront inutiles. Comment donc pourrais-tu arrêter Paul ? C’est un ministre de la providence divine bien plus grand que le soleil ; car il apporte cette vraie lumière qui n’a rien de matériel. Où sont-ils ceux qui ne veulent rien souffrir pour le Christ ? Que dis-je, souffrir ! Ils ne veulent même pas sacrifier pour lui une obole. Paul aussi autrefois enchaînait les fidèles et les jetait en prison. Mais, depuis qu’il est serviteur du Christ, il ne se glorifie pas de ses actes, il se glorifie de ses souffrances. Et voilà ce que cette prédication a de merveilleux : c’est à la souffrance, ce n’est pas au péché qu’elle doit ses triomphes et ses progrès. A-t-on jamais vu de semblables luttes ? Dans cette lutte céleste, c’est la victime qui triomphe ; c’est le bourreau qui est le vaincu. C’est la victime qui est illustre, et c’est du cachot que la prédication s’élance pour soumettre le monde. Non, je ne rougis pas, dit Paul, je me glorifie au contraire de prêcher la parole du crucifié. Conclusion : L’univers entier abandonne ceux qui sont libres pour s’attacher aux captifs ; il se détourne des bourreaux pour honorer ceux qui sont chargés de chaînes ; il adore le crucifié et n’a, pour ceux qui l’ont mis en croix, que des sentiments de haine.
4. Ce qu’il y a d’admirable, c’est que le don de la prédication est accordé à des pécheurs, à des hommes simples, c’est en outre que tous les obstacles naturels, au lieu d’être des obstacles pour ces hommes, ne font que doubler leurs forces. Oui, loin d’être pour eux un écueil, leur simplicité ne fait que rendre plus éclatante la vérité de la parole qu’ils prêchent. Écoutez-le dire : « Et l’on s’étonnait de trouver en eux des hommes simples et sans instruction ». (Act. 4,13) Leurs chaînes, loin de les gêner, leur donnaient plus d’assurance. Les disciples étaient encore plus audacieux quand Paul était captif que lorsqu’il était libre. « Afin », dit-il, « qu’ils aient plus de courage pour prêcher la parole de Dieu ». Où sont-ils ceux qui prétendent que ce n’est pas là une prédication divine ? La simplicité et l’ignorance des apôtres ne suffisaient-elles pas pour donner un démenti à cette assertion ? Ces hommes simples d’ailleurs n’auraient-ils pas dû être intimidés ? Car vous savez qu’il y a deux choses qui retiennent le commun des hommes : la fausse gloire et la crainte. Or, si leur simplicité et leur ignorance les préservaient de la honte, ils auraient dû au moins trembler devant le péril qui les menaçait. Mais, dira-t-on, ils faisaient des miracles. Vous croyez donc aux miracles des apôtres. Si vous me dites au contraire qu’ils n’en faisaient pas, je vous répondrai que, de la part de ces hommes, le plus grand de tous les miracles, c’était de ramener les âmes, sans recourir aux miracles.
Socrate aussi, chez les Grecs, fut chargé de chaîne. Eh bien ! les disciples ne s’enfuirent-ils pas aussitôt à Mégare ? Sans doute ; car ils ne crurent pas à ce qu’il leur disait de l’immortalité de l’âme. Mais voyez ce qui se passe ici. Dès que Paul est jeté en prison, les disciples redoublent de courage et ils ont raison ; car ils voient que ses liens ne sont pas pour la prédication des entraves. Pouvez-vous enchaîner la langue en effet ? La persécution ne fait que la rendre plus libre. Pour arrêter un coureur, il faut lui lier les pieds ; pour arrêter l’évangéliste, il faudrait lui lier la langue. Entourez de chaînes les reins du coureur, il n’en est que plus ardent à la course ; enchaînez l’évangéliste, ses liens lui donnent encore plus d’assurance et de courage pour prêcher la parole de Dieu. Le captif a peur, quand il n’est qu’un captif ; mais le captif qui est en même temps un homme de cœur et qui méprise la mort, comment ferez-vous pour l’enchaîner ? Les persécuteurs de Paul n’enchaînaient, pour ainsi dire, que le fantôme de Paul ; c’était comme s’ils voulaient fermer la bouche à une ombre. Car c’était contre une ombre qu’ils combattaient. Paul, dans les fers, n’en était que plus regrettable pour ses amis, n’en était que plus respectable pour ses ennemis. Ses liens étaient pour lui le prix qui attestait sa grandeur d’âme et son courage. La couronne, loin d’amener la rougeur sur le front couronné, est pour ce front un ornement et un titre de gloire. Eh bien ! les persécuteurs de Paul lui tressaient une couronne avec ses chaînes. Car, dites-moi, pouvait-il redouter les fers, l’homme qui osait briser les portes de la mort, ces portes d’airain ?
Parlons, mes amis, parlons de ces chaînes que nous devons ambitionner, dont nous devons être jaloux. O femmes qui vous couvrez de colliers d’or, soyez jalouses des chaînes de Paul. La splendeur que votre collier jette autour de votre cou, les chaînes de Paul la répandait sur son âme. Mais si vous ambitionnez ces ornements, détestez les ornements mondains. Qu’y a-t-il de commun entre la lâcheté et le courage, entre l’éclat matériel et la sagesse ? les liens de Paul, les anges les respectent ; ces colliers sont un objet de risée pour le ciel. Les chaînes de Paul nous élèvent de la terre au ciel ; les ornements mondains nous font descendre du ciel sur la terre. Oui, ce sont ces ornements qui méritent le nom de chaînes ; les chaînes de Paul, au contraire, sont des ornements véritables. Ces colliers courbent l’âme et le corps à la terre, tandis que les chaînes de Paul sont une parure pour l’âme et pour le corps à la fois. En voulez-vous la preuve ? Dites-moi : de vous ou de Paul, quel est celui qui attirera le plus de regards ? Mais que dis-je ? L’impératrice elle-même, toute resplendissante d’or, ne serait pas un spectacle plus attrayant que Paul. Que Paul, chargé de fers et que l’impératrice entrent en même temps dans une église, tous les yeux se détourneront de l’impératrice, pour se fixer sur Paul, et ce sera justice. N’est-il pas plus curieux en effet de voir un homme supérieur à la nature humaine, un homme qui n’a rien d’humain et qui est un ange sur la terre, que de voir une femme parée ? Une femme parée ! Mais cela se voit partout, au spectacle, aux bains, à la procession. Un homme chargé de chaînes, au contraire, qui, en même temps, loin de se courber sous le poids de ses fers, y trouve son plus bel ornement, voilà un spectacle qui n’a rien de terrestre et qui est digne du ciel ! L’âme de cette créature entourée d’ornements terrestres fait attention à ceux qui la regardent ou qui ne la regardent pas : elle est pleine d’orgueil, elle est en proie aux inquiétudes et aux soucis, elle a pour liens des passions sans nombre. Mais, grâce à ses chaînes, Paul se trouve exempt d’orgueil et rempli d’allégresse ; libre de toute inquiétude, il lève vers le ciel des regards joyeux. Si l’on me donnait le choix, qu’est-ce que je préférerais, de Paul apparaissant et parlant du haut des cieux, ou de Paul apparaissant et parlant dans sa prison ? J’aimerais mieux voir Paul m’apparaître du fond de sa prison ; car c’est dans sa prison que les anges viennent le visiter. Les chaînes de Paul suspendent ses auditeurs à ses lèvres et servent en même temps de base à sa prédication. Tâchons donc d’en obtenir de semblables.
5. Pour cela, que faut-il faire ? Il faut briser et broyer ces colliers, ces ornements mondains. Ce sont des liens inutiles et même pernicieux, qui seront là-haut les marques de notre servitude. Ce sont les chaînes de Paul qui nous délivreront des chaînes du monde. La femme qui est chargée de ces chaînes mondaines, sera un jour condamnée à une prison éternelle et jetée dans un cachot, pieds et poings liés. Celle qui aura été chargée des liens de Paul, les portera autour d’elle comme une parure. Délivrez donc votre corps de ses liens, et le pauvre de la faim. Pourquoi river les fers dont le péché vous entoure ? Comment donc, direz-vous, puis-je river ces fers ? Eh ! quoi ! Porter de l’or, quand votre semblable meurt de faim, vous charger d’or pour satisfaire votre vanité, quand votre semblable n’a pas de quoi manger, n’est-ce pas river les chaînes dont vous charge le péché ? Revêtez-vous du Christ et non de cet or ; le Christ n’est pas où est le mammon d’iniquité, le mammon d’iniquité ne peut être où est le Christ. Ne voulez-vous donc pas vous revêtir du Roi de l’univers ? Si l’on vous donnait la pourpre et le diadème, n’aimeriez-vous pas mieux un tel présent que de l’or ? Et moi, ce ne sont pas les insignes de la royauté, c’est le roi en personne que je vous donne pour ornement. Comment donc, dites-vous, peut-on se revêtir du Christ ? Écoutez cette parole de Paul : « Vous tous qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous avez été revêtus de Jésus-Christ ». (Gal. 3,27) Écoutez ce conseil de l’apôtre : « Ne cherchez point à contenter votre sensualité, en satisfaisant à ses désirs ». (Rom. 13,14) On peut donc se revêtir du Christ, en ne cherchant point à contenter sa sensualité. Et quand on sera revêtu du Christ, on fera reculer le démon. Mais si l’on se revêt d’or, on deviendra un objet de risée même pour les hommes auxquels on imposerait le respect, en se revêtant du Christ.
Voulez-vous paraître belle et séduisante ? Contentez-vous de la parure naturelle que vous a donnée le Créateur. A quoi bon cet or et ces ornements qui affichent la prétention de corriger ce que Dieu a fait ? Voulez-vous paraître belle ? Revêtez-vous de charité, de bonté, de modestie, de pudeur, et dépouillez le faste. Les ornements que je vous indique sont plus précieux que l’or ; ils ajoutent à la beauté et changent en beauté la laideur même. Quand on voit la beauté jointe à la bonté, on est prévenu en sa faveur ; mais une méchante femme perd toute sa beauté ; car sa méchanceté choque les yeux de l’âme qui ne la voient plus telle qu’elle est physiquement. L’Égyptienne, femme de Putiphar, était parée, ainsi que Joseph ; lequel des deux était le plus beau ? Et notez bien que je ne parle pas ici de cette femme assise dans son palais, quand Joseph était plongé dans un cachot. Joseph, lors même qu’il était nu, avait pour vêtements sa continence et sa pudeur ; mais elle, avec toute sa parure, était encore plus laide que si elle s’était montrée toute nue ; car c’était une femme sans pudeur. Oui, avec tous vos vêtements dispendieux, ô femme, vous voilà plus laide que si vous étiez nue ; car vous avez dépouillé la pudeur.
Eve aussi était nue, et, quand elle se revêtit d’ornements, elle devint laide. Tant qu’elle resta nue, elle eut pour ornement la gloire de Dieu ; mais une fois revêtue de la livrée du péché, elle devint laide. Et vous aussi, vos ornements mondains vous enlaidissent. Votre luxe ruineux et excessif ne suffit pas pour mettre en relief votre beauté, et une femme parée peut sembler moins belle que si elle n’avait pas d’ornements ; je vais vous le prouver. Vous êtes-vous avisée parfois de vous habiller en joueuse de flûte, et n’était-ce pas là un costume déshonnête et indécent ? Pourtant c’était de l’orque vous portiez ; mais c’était justement tout cet or qui faisait votre honte. Tout ce luxe dispendieux, en effet, convient aux histrions, aux danseurs, aux acteurs tragiques, aux baladins, aux bestiaires ; mais une vraie chrétienne a une autre parure qu’elle a reçue de Dieu : cette parure, c’est le Fils unique de Dieu lui-même. « Vous tous, qui avez été baptisés en Jésus-Christ, vous êtes revêtus du Christ ». (Gal. 3,27) Dites-moi, je vous prie, si l’on vous donnait des vêtements royaux, et si vous échangiez cette parure contre la livrée abjecte d’un mercenaire, ne trouveriez-vous pas déjà votre châtiment dans votre bassesse ? Quoi ! vous voilà revêtue du Maître souverain des anges et du ciel, et vous restez attachée à la terre ! J’ai pour but ici de démontrer que cet amour excessif de la parure, est à lui seul, un grand mal, quand même il n’entraînerait avec lui aucune suite fâcheuse, quand même il serait innocent ; car, à lui seul, il nous dispose à la vanité et au faste.
Mais ce soin exagéré de notre parure produit en abondance les plus mauvais fruits : il engendre les soupçons, les dépenses inutiles, les médisances, la cupidité. Pourquoi ces ornements, je vous le demande ? Est-ce pour plaire à votre mari ? Parez-vous donc, quand vous restez chez vous. Mais c’est le contraire que vous faites. Si c’est à votre mari que vous voulez plaire, ne cherchez donc pas à plaire aux autres ; car en voulant plaire aux autres, vous ne pouvez plaire à votre mari. Vous devriez donc quitter votre parure, quand vous allez au marché, quand : vous allez à l’église. En d’autres termes, pour plaire à votre mari, vous – devriez recourir aux séductions des honnêtes femmes et non pas à celles des courtisanes. Car, je vous le demande, qu’est-ce qui distingue la courtisane de la femme légitime ? C’est que la première a pour unique affaire de charmer ses amants par sa beauté, tandis que la seconde dirige sa maison et partage avec son mari la vie commune et les soins de la famille. Peut-être – avez-vous une fille ? Eh bien ! servez-lui de sauvegarde ; les mœurs dépendent de l’éducation, et les filles imitent leur mère. Donnez à votre fille l’exemple de la modestie et de la pudeur ; que ce soit là votre parure ; méprisez tout autre ornement. Mais j’en ai dit assez. Que ce Dieu qui a fait le monde, chef-d’œuvre de beauté ; que ce Dieu qui nous a donné la parure de l’âme, nous serve aussi de parure et d’ornement ; qu’il nous donne pour vêtement sa propre gloire, afin que tout resplendissants de l’éclat de nos bonnes œuvres et vivant pour la gloire de Dieu, nous rendions gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit.

HOMÉLIE XI. modifier


CONDUISEZ-VOUS AVEC SAGESSE ENVERS CEUX QUI SONT HORS DE L’ÉGLISE, EN RACHETANT LE TEMPS ; QUE VOTRE ENTRETIEN, TOUJOURS ACCOMPAGNÉ D’UNE DOUCEUR ÉDIFIANTE, SOIT ASSAISONNÉ DU SEL DE LA DISCRÉTION, EN SORTE QUE VOUS SACHIEZ COMMENT VOUS DEVEZ RÉPONDRE A CHAQUE PERSONNE. (IV, 5-11)

Analyse. modifier

  • 1. Il faut être circonspect dans sa conduite et dans son langage ; il faut rendre à chacun ce qui lui appartient. – Affection de Paul pour ses frères.
  • 2. Paul recommande ses amis aux Colossiens.
  • 3. Humilité de Paul. – Il faut se réjouir – avec ceux qui se réjouissent, et pleurer avec ceux qui pleurent. – Il faut applaudir aux succès de ses frères, pour les partager.
  • 4. L’envie doit être foulée aux pieds.


1. Les conseils que le Christ donnait à ses disciples, Paul les donne ici. Que disait le Christ ? « Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Ayez donc la prudence du serpent et la simplicité de la colombe ». (Mt. 10,16) C’est-à-dire, prenez vos précautions, ne donnez jamais prise sur vous. S’il ajoute : « Avec ceux qui sont hors de l’Église », c’est que nous avons moins de précautions à prendre avec ceux qui sont nos membres qu’avec les étrangers. Entre frères, on se passe bien des choses, parce qu’on s’aime ; pourtant, même entre frères, il faut se tenir sur ses gardes ; mais il faut y être surtout avec les étrangers. Car autre chose est de se trouver au milieu de ses ennemis, autre chose est de vivre parmi ses amis. Après les avoir intimidés, voyez comme Paul les rassure. « En rachetant le temps », dit-il ; car le moment présent est court. S’il leur tenait ce langage, ce n’était point pour en faire des caméléons et des hypocrites, car l’hypocrisie est folie plutôt que sagesse. Mais il veut dire : Dans les choses indifférentes, ne donnez pas prise sur vous. C’est ce qu’il dit aux Romains : « Rendez à chacun ce qui lui est dû ; le tribut, à qui vous devez le tribut ; les impôts, à qui vous devez les impôts ; hommage à qui vous devez hommage ». (Rom. 13,7) Ne combattez que pour la parole de Dieu ; c’est cette parole seule qui doit vous donner le signal de la guerre. Car si, pour d’autres motifs, nous levions l’étendard de la guerre contre les étrangers, ce serait là une guerre sans profit pour nous, qui les rendrait pires qu’ils ne sont, et qui leur donnerait, en apparence, le droit de nous accuser ; par exemple, si nous ne voulions pas payer l’impôt et rendre hommage à qui de droit, si nous n’étions pas humbles. Voyez-vous comme Paul s’abaisse, quand il ne s’agit pas de la parole de Dieu ? Écoutez ce qu’il dit à Agrippa : « Je m’estime heureux d’avoir à plaider ma cause devant vous, parce que vous connaissez à fond les coutumes des Juifs et les questions qui s’agitent entre eux ». (Act. 26,2-3) S’il avait cru devoir humilier le souverain, tout aurait été perdu pour lui. Écoutez encore saint Pierre qui répond aux Juifs avec douceur : « Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ». (Act. 5,29) Et pourtant ces hommes, qui avaient fait le sacrifice de leur vie, auraient pu se répandre en outrages et tout oser. Mais s’ils avaient fait le sacrifice de leur vie, ce n’était pas pour courir après une vaine gloire ; car alors leurs insultes n’auraient été que de la jactance. Mais leur unique but était de publier la parole de Dieu et de parler en toute liberté et en toute assurance. Courir après la vaine gloire aurait été, de leur part, un acte d’impudence.
« Que votre entretien, étant toujours accompagné d’une douceur édifiante, soit toujours assaisonné du sel de la discrétion ». Cela veut dire que cette douceur et cette grâce de style ne doivent pas être employées indifféremment. On peut, en effet, parler avec urbanité et avec grâce, sans oublier pour cela la dignité du langage et les convenances. « En sorte que vous sachiez comment vous devez répondre à chaque personne ». Il ne faut donc point parler à tous nos auditeurs le même langage ; il faut savoir faire la différence des gentils et de nos frères. Parler autrement serait le comble de la folie.
« Tychique, mon très cher frère, ce fidèle ministre du Seigneur que nous servons tous deux, vous apprendra tout ce qui me regarde ». Ah ! que saint Paul est sage ! Dans ses lettres, il ne met rien qui ne soit nécessaire et urgent. C’est qu’avant tout il ne veut pas être prolixe. Puis il veut faire respecter son envoyé, il veut que cet envoyé ait quelque chose à dire. Il montre aussi l’affection qu’il a pour lui ; car autrement il n’en aurait pas fait son mandataire. Enfin, il y avait certains détails qu’il ne pouvait exprimer par lettres. « Mon très cher frère », dit-il. C’était donc pour lui un confident auquel il ne cachait rien. « Ce fidèle ministre du Seigneur que nous servons tous deux ». S’il est fidèle, il est incapable d’en imposer. S’il sert Dieu avec Paul, c’est qu’il a partagé ses épreuves. Il groupe ici tous les motifs qui peuvent l’accréditer auprès des Colossiens. « Et je vous l’ai envoyé, afin qu’il apprenne l’état où vous êtes vous-mêmes (8) ». Il leur donne par là une preuve de sa vive affection pour eux ; cette preuve, c’est le motif même du voyage de Tychique. C’est ainsi qu’il écrivait aux Thessaloniciens : « Ne pouvant y tenir plus longtemps, j’ai voulu rester seul à Athènes, et je vous ai envoyé mon frère Timothée ». (1Thes. 3,1, 2) Il l’envoie aussi, pour la même cause, chez les Éphésiens : « Pour qu’il s’informe de ce qui vous concerne et qu’il vous console ». (Eph. 6,22) Voyez ce qu’il leur dit : Je ne tiens pas à vous faire connaître ma situation, mais je veux connaître la vôtre c’est ainsi qu’il abdique toujours sa personnalité. Il fait allusion aussi à leurs épreuves en ces termes : « Afin qu’il vous console ». – « J’envoie aussi Onésime, mon cher et fidèle frère, qui est de votre pays. Vous saurez par eux tout ce qui se passe ici (9) ». C’est ce même Onésime, à propos duquel il écrivait à Philémon : « J’avais voulu le garder auprès de moi, afin qu’il me rendît quelque service, en votre place, dans les chaînes que je porte pour l’Évangile ; mais je n’ai voulu rien faire sans votre avis ». (Phm. 1,13) Puis vient un mot flatteur pour leur cité : « Il est de votre pays. Vous saurez par eux tout ce qui se passe ici. Aristarque, qui est prisonnier avec moi, vous salue (10) ».
2. Il fait là le plus bel éloge de cet Aristarque, qui avait été amené avec lui de Jérusalem. Le langage de Paul surpasse celui des prophètes. Les prophètes s’appellent des hôtes, des étrangers, des voyageurs ; Paul s’honore du nom de captif. Car c’était comme captif qu’il était promené çà et là et qu’il se voyait exposé à tous les outrages ; il était même plus maltraité que les prophètes. Les prophètes une fois pris par les ennemis recevaient du moins les soins que l’on donne à des esclaves que l’on regarde comme sa propriété ; mais lui, tout le monde le traitait en ennemi, on le frappait à coups de fouets et à coups de verges ; on l’accablait d’insultes, on le calomniait. C’était là une consolation pour ses auditeurs ; car lorsque le maître est persécuté comme eux, c’est un sujet, de consolation pour les disciples. – « Aussi bien que Marc cousin de Barnabé ». Cette parenté est, pour Marc une recommandation ; car c’était un grand homme que Barnabé. « Au sujet duquel on vous a écrit : s’il vient chez vous, recevez-le bien ». Ils l’auraient certainement bien reçu, sans cette recommandation. Mais Paul veut dire qu’il faut l’accueillir avec un zèle empressé, comme on accueille un homme supérieur. Qui avait écrit ? il ne le dit pas. – « Jésus aussi, appelé le juste, vous salue ». Ce Jésus était peut-être de Corinthe. Puis il enveloppe dans un commun éloge tous ces hommes dont il a déjà fait l’éloge en particulier. « Ils sont du nombre des fidèles circoncis. Ce sont les seuls qui travaillent maintenant avec moi, pour avancer le royaume de Dieu, et qui ont été ma consolation ». Il a, tout à l’heure, parlé d’un « compagnon de captivité ». Mais, pour ne pas abattre ses auditeurs, voyez comme il relève leur courage, en disant : « Ils travaillent avec moi pour le royaume de Dieu » ; c’est-à-dire, ils ont partagé mes épreuves, ils partagent mon œuvre glorieuse. « Ils ont été ma consolation ». Ils sont bien grands, puisqu’ils ont été les consolateurs de saint Paul. Mais remarquons la prudence de Paul : « Conduisez-vous avec sagesse envers ceux qui sont au-dehors, en rachetant le temps » ; c’est-à-dire, le temps d’aujourd’hui, c’est leur temps à eux ; le vôtre n’est pas encore venu : ne vous arrogez donc pas la souveraineté et l’autorité ; mais rachetez le temps. Il n’a pas dit : « Achetez », mais « rachetez le temps ».
Soyez dans ces dispositions, et, par là, faites en sorte que ce temps soit aussi le vôtre. Ce serait, en effet, de notre part le comble de la démence d’imaginer des prétextes de guerres et de discordes. Outre les périls inutiles et sans profit que nous aurions à braver, nous aurions le malheur d’éloigner de nous les gentils. Au milieu de nos frères, nous marchons avec assurance ; il n’en est pas de même, quand nous nous trouvons avec les gentils. Voilà pourquoi Paul écrivait à Timothée : « Il faut que ceux du dehors portent aussi sur vous un bon témoignage ». (1Tim. 3,7) Et il dit encore : « Il ne m’importe pas de juger ceux qui sont au-dehors ». (1Cor. 5,12) « Conduisez-vous », dit-il, « avec sagesse envers ceux qui sont au-dehors ». Les gentils, en effet, tout en habitant le même monde que nous, sont en dehors de l’Église ; ils sont en dehors du royaume et de la maison de notre Père. Il console en même temps ses auditeurs, en donnant aux gentils le nom d’étrangers. N’a-t-il pas dit plus haut : « Votre vie, à vous, est cachée en Dieu avec Jésus-Christ ? » Quand il paraîtra, cherchez la gloire, les honneurs et tous les biens. Mais ne cherchez rien de tout cela, pour le moment ; laissez tout cela aux gentils. Puis, pour qu’on n’aille point penser que saint Paul veut leur parler de la richesse, il ajoute : « Que votre entretien, toujours accompagné d’une grâce édifiante, soit assaisonné du sel de la discrétion, en sorte que vous sachiez comment vous devez répondre à chaque personne ». Il ne veut pas dire par là que vos paroles doivent être pleines d’hypocrisie, car l’hypocrisie n’est pas de l’aménité ; elle ne peut pas non plus servir d’assaisonnement à un entretien. Mais ne vous refusez pas à rendre hommage à qui de droit, si cet hommage est sans péril. Si les circonstances vous permettent de parler avec douceur, ne prenez pas cette douceur de langage pour de la flatterie. Rendez aux princes du monde tous les hommages possibles, pourvu que la religion n’en souffre pas. Ne voyez-vous pas Daniel honorer un impie ? Ne voyez-vous pas la sage conduite de ces trois jeunes hommes qui se présentent au roi, en déployant une franchise et un courage qui n’ont cependant rien d’âpre ni de téméraire ? Car l’âpreté et la témérité n’ont rien de commun avec la franchise, avec une noble assurance ; ce n’est que vanité.
« Afin que vous sachiez », dit l’apôtre, « comment vous devez répondre à chacun ». C’est qu’il ne faut pas parler à un prince comme à un sujet, à un riche comme à un pauvre. Pourquoi ? Parce que les princes et les riches, nageant dans la prospérité, ont l’âme faible et gonflée d’orgueil, ce qui nous oblige à nous incliner devant eux et à nous plier à leurs caprices. Les pauvres, au contraire, et ceux qui sont soumis à une puissance quelconque, sont plus forts et plus sages, ce qui fait qu’on peut leur parler avec plus de franchise, en ne s’attachant qu’à une chose, à rendre sa parole édifiante. Ce n’est point parce que l’un est riche et l’autre pauvre que vous rendez plus d’honneurs à l’un qu’à l’autre ; c’est à cause de sa faiblesse, que l’un se trouve élevé plus que l’autre… N’allez donc pas, sans motif, traiter un gentil d’homme abominable et l’aborder, l’insulte à la bouche. Mais, si l’on vous demande votre avis sur ses croyances, dites,'que vous les trouvez abominables et impies.
Si l’on ne vous interroge pas, si l’on ne vous force pas à parler, ne vous faites pas à la légère un ennemi. A quoi bon, en effet, soulever, sans aucun profit, des haines contre soi ? Cherchez-vous à instruire un auditeur sur la religion ? dites ce que le sujet vous force à dire, et rien autre chose. Si votre parole est assaisonnée du sel de la discrétion, en tombant dans une âme énervée, elle la guérira de sa mollesse ; en tombant dans une âme rebelle, elle en adoucira les aspérités. Ne choquez pas les oreilles de vos auditeurs, soyez agréable, sans mollesse ; joignez le charme du langage à la gravité. Soyez agréable, sans être importun ; point de fadeur, mais un style grave et charmant tout à la fois. Un langage trop austère fait plus de mal que de bien ; un langage trop plein d’agréments cause plus d’ennui que de plaisir. Il faut de la mesure en tout. Ne vous montrez pas triste et farouche ; c’est le moyen de déplaire. Ne soyez pas diffus et mou ; c’est le moyen d’encourir le mépris. Prenez ce qu’il y a de bon dans chaque genre, en évitant les excès ; faites comme l’abeille qui, en butinant les fleurs, puise dans ce calice des sucs doux, et dans cet autre des sucs sévères. Le médecin n’emploie pas indifféremment toutes sortes de matières ; il en est de même à plus forte raison du maître ; que dis-je ? les remèdes dangereux sont moins nuisibles au corps, que certaines paroles ne le sont à l’âme. Un gentil vient à vous, par exemple, et il devient votre ami. Ne lui parlez de religion que lorsqu’il est devenu votre ami intime et, même alors, n’entamez ce chapitre que peu à peu.
3. Voyez comme Paul parle aux Athéniens, quand il vient à Athènes ! Il ne leur dit pas O hommes criminels et abominables ! Il leur dit : « Athéniens, vous êtes, je le vois, religieux à l’excès ». (Act. 17,22) Mais, quand il faut prendre un ton sévère, il sait élever la voix et dit avec véhémence à Elyme : « Homme rempli d’astuce et de fausseté, fils du démon, ennemi de toute justice ». (Id. 13) Il y aurait eu de la démence à prendre ce ton-là avec les Athéniens ; il y, aurait eu de la pusillanimité à ménager Elyme. Quand, pour quelque affaire, vous comparaissez devant les magistrats, rendez-leur les honneurs qui leur sont dus. « Vous saurez par eux », dit-il, « tout ce qui se passe ici ». Il s’excuse de ne pas être venu en personne. Mais que veulent dire ces mots : « Tout ce qui se passe ici ? » Il fait allusion à ses chaînes et à tout ce qui le retient. C’est comme s’il disait : Si je vous envoie des messagers, moi qui voudrais tant vous voir, c’est que de puissants obstacles me retiennent loin de vous ; autrement, je n’aurais pas tardé un seul instant à venir moi-même. C’est ainsi qu’il prévient tout reproche. Apprendre aux Colossiens les épreuves qu’il subissait et le courage avec lequel il les supportait, c’était prouver qu’il méritait leur confiance, et c’était en même temps les encourager.
« J’envoie aussi Onésime, mon cher et fidèle frère ». Paul donne à un esclave le nom de frère, et avec raison, puisqu’il s’appelle lui-même l’esclave des fidèles. Rabaissons tous notre orgueil, foulons aux pieds l’arrogance. Il se donne le nom d’esclave, ce Paul qui est aussi grand que l’univers, et dont l’âme est toute céleste, et vous, vous êtes plein de hauteur ! Lui qui remuait un monde, qui tenait dans le ciel le premier rang, qui a mérité une couronne, qui est monté au troisième ciel, il donne à des esclaves le nom de frères, il les appelle ses compagnons de chaînes. Que dire de votre folie ? Que dire de votre arrogance ? Il fallait qu’Onésime fût bien digne de foi, pour que Paul le chargeât de son message ; aussi bien que Marc, « cousin de Barnabé, au sujet duquel on vous a écrit. S’il vient chez vous, recevez-le bien ». Peut-être avaient-ils reçu de Barnabé quelque mandat. « Ils sont du nombre des fidèles circoncis ». Il rabat ici l’orgueil des juifs et relève les esprits de ses auditeurs ; car il s’était fait moins de conversions chez les juifs que chez les gentils. « Et qui ont été ma consolation » ; ce qui montre que Paul avait été en proie à de cruelles épreuves. Quand on console une âme pieuse par sa présence et par ses entretiens assidus, c’est beaucoup de partager son affliction. Avec les prisonniers, pleurons comme si nous étions prisonniers. (Héb. 13,3) Si nous nous intéressons à leurs souffrances, nous partagerons leurs couronnes. Vous n’êtes pas descendu vous-même dans la lice, c’est un autre qui entre dans l’arène, c’est un autre qui lutte. Mais si vous voulez, vous pouvez partager sa couronne. Frottez d’huile cet athlète qui va combattre, soyez son ami, encouragez-le de la voix. Voilà ce qu’on peut toujours faire. C’était dans le seul but d’encourager ses auditeurs, que Paul leur parlait.
Et vous aussi, en toute circonstance, fermez la bouche aux médisants, entourez l’athlète de sympathies, accueillez-le avec empressement quand il sort de la lice ; c’est ainsi que vous partagerez ses couronnes et sa gloire. Sans avoir combattu vous – même, par cela seul que vous avez applaudi à ses travaux, vous vous y êtes associé en grande partie, car vous l’avez soutenu de vos sympathies ; et le plus grand de tous les avantages, c’est de se sentir soutenu. En effet, si ceux qui pleurent avec nous semblent partager notre chagrin et contribuent à l’adoucir, à plus forte raison ceux qui se réjouissent de notre succès augmentent le plaisir qu’il nous cause. C’est un grand malheur de ne trouver personne qui compatisse à nos souffrances. Écoutez cette parole du Prophète : « J’attendais quelqu’un qui s’attristât avec moi, et je n’ai trouvé personne ». (Ps. 68,21) C’est pour cela que Paul ici nous dit « de nous réjouir avec ceux qui se réjouissent, et de pleurer avec ceux qui pleurent ». (Rom. 12,18) Ajoutez à la joie de vos frères. Voyez-vous votre frère jouir de l’estime publique ? ne dites pas : S’il est estimé, tant mieux pour lui ! Pourquoi m’en réjouirais-je moi ? Ce n’est pas là le langage d’un frère, c’est le langage d’un ennemi. Si vous voulez, les avantages que possède votre frère, deviendront les vôtres ; vous n’avez qu’à ajouter à cette bonne renommée de votre frère ; au lieu de vous en affliger, vous n’avez qu’à y applaudir : C’est là une vérité évidemment prouvée parce qui suit. Les envieux, en effet, portent envie tout à la fois à ceux qui jouissent de l’estime publique et à leurs amis qui sont heureux de les voir estimés. Ils savent que ces amis sont estimés eux-mêmes à cause de cette généreuse sympathie, et que ce sont eux qui se glorifient le plus de la gloire de leurs amis. Ceux-ci, en effet, rougissent des pompeux éloges qu’on leur donne, tandis que ceux-là en sont tout heureux et tout fiers.
Voyez les athlètes ! A l’un la couronne, à l’autre la défaite. Quant à la douleur et à la joie, elle est pour leurs partisans et pour leurs ennemis qui bondissent et qui trépignent. Voyez comme il est beau de ne pas être jaloux ! La fatigue est pour un autre, et le plaisir est pour vous. Un autre a la couronne, mais c’est vous qui bondissez, qui trépignez de joie. Car, dites-moi, je vous prie, pourquoi ces transports de joie, quand c’est un autre que vous qui remporte la victoire ? Ah ! c’est qu’il y a, vous le savez bien, communauté de succès entre vous. Aussi n’est-ce pas à l’athlète que s’adressent les envieux ; ils cherchent seulement à rabaisser sa victoire, et c’est à vous qu’ils viennent dire : Vous voilà renversé ! vous voilà terrassé ! Un autre a donc combattu, et c’est vous qui avez la gloire. Si donc, quand il s’agit d’un avantage extérieur, il est si utile d’être exempt d’envie, pour s’approprier ainsi le succès d’autrui, que sera-ce quand il s’agira d’un triomphe spirituel, remporté sur le démon ? C’est alors que le démon est furieux contre nous, parce que c’est nous surtout qui applaudissons à sa défaite. Son âme, quelque noire qu’elle soit, connaît toute l’étendue de la joie que nous éprouvons. Voulez-vous attrister le démon ? réjouissez-vous, applaudissez-vous des succès de vos frères. Attristez-vous-en, si vous voulez faire plaisir à l’esprit du mal. La douleur que lui cause la victoire de votre frère est moins grande, quand vous en gémissez aussi. Vous passez de son côté, en vous séparant de votre frère, et vous êtes plus coupable encore que le démon. Ce n’est pas la même chose en effet d’agir en ennemi quand on est l’ennemi de quelqu’un, et de tenir envers quelqu’un une conduite hostile quand on est son ami. Dans ce dernier cas, on est plus son, ennemi, on est plus coupable qu’un ennemi déclaré. Votre frère s’est-il fait une réputation par sa parole ou par ses actes ? associez-vous à sa gloire, en montrant qu’il est de votre famille.
4. Comment faire, direz-vous ? Moi, je n’ai point acquis une pareille renommée. Ne parlez pas ainsi, taisez-vous. Si vous étiez près de moi, vous qui tenez ce langage, je vous aurais mis la main sur la bouche, pour empêcher l’ennemi de vous entendre. Souvent,.en effet, il s’élève entre nous des haines particulières que nous cachons à nos ennemis communs ; et vous, vous dévoilez au démon votre âme haineuse. Ah ! ne parlez pas, ne pensez pas, comme vous le faites ; dites au contraire : Cet homme illustre est un membre de moi-même sa gloire rejaillit sur le corps dont il fait partie. Mais pourquoi, dites-vous, les étrangers, ceux qui sont hors de l’Église, ne partagent-ils pas ces sentiments ? Pourquoi ? c’est que vous leur donnez le mauvais exemple. Ils vous voient rester étrangers au bonheur d’autrui, et ils y restent étrangers eux-mêmes. S’ils vous voyaient vous associer à sa gloire, ils n’oseraient se conduire comme ils le font ; et vous aussi, vous seriez illustre. Vous ne vous êtes pas fait un nom par votre éloquence, mais en félicitant votre frère, qui s’est acquis de la célébrité par sa parole ; vous avez obtenu plus de gloire que lui. Car si la charité est une chose si importante, si elle est la source de tous les biens, la couronne dont elle dispose vous est décernée. Votre frère remportera le prix de l’éloquence, et vous, vous remporterez celui de la charité. S’il montre la puissance de sa parole, de votre côté vous triomphez de la haine, et vous foulez aux pieds l’envie. Vous méritez donc mieux que lui la couronne ; vos travaux ont plus d’éclat que les siens ; vous ne vous êtes pas borné à triompher, de l’envie, vous avez été plus loin. Votre frère n’a remporté qu’une couronne ; vous en avez remporté deux qui sont plus brillantes que la sienne. Ces couronnes, quelles sont-elles ? Celle-ci, vous l’avez obtenue en triomphant de l’envie ; cette autre vous a été décernée par la charité. Car cette joie que vous cause le succès de votre frère prouve tout à la fois que vous n’avez point de jalousie dans le cœur, et que la charité a jeté dans votre âme de profondes racines.
Le triomphateur a souvent ses ennuis qui proviennent de quelque trouble intérieur, de la vanité par exemple ; mais vous êtes affranchi, vous, de tous ces troubles ; la vanité ne vous tourmente pas, et si vous vous réjouissez, c’est du bonheur d’autrui. Votre frère, dites-moi, a-t-il rehaussé l’éclat de l’Église, a-t-il fait des prosélytes ? S’il en est ainsi, faites encore son éloge, vous aurez deux couronnes, l’une pour avoir terrassé l’envie, l’autre pour avoir entendu la voix de la charité. Ah ! je vous en prie, je vous en conjure, écoutez-moi. Voulez-vous que je vous parle d’une troisième couronne que vous allez mériter ? Tandis qu’ici-bas les hommes applaudissent aux succès de vos frères, vous vous attirez là-haut les applaudissements des anges. Ce n’est pas la même chose, en effet, d’avoir une diction élégante et belle, et de triompher de ses passions. La gloire de la parole passe ; la gloire que l’on acquiert en domptant ses passions, est éternelle. La première vient des hommes ; la seconde vient de Dieu. Ici-bas, c’est devant tout le monde que le triomphateur reçoit sa couronne ; mais vous, c’est en secret que vous recevez votre couronne des mains de votre Père qui vous voit. Si l’on pouvait ouvrir la poitrine des hommes, pour lire dans leur âme, je vous montrerais l’âme de l’homme exempt d’envie, plus resplendissante que l’âme du triomphateur. Foulons donc aux pieds les aiguillons de l’envie ; veillons nous-mêmes à nos intérêts, ô mes chers frères, et nous nous couronnerons de nos propres mains.
L’envieux s’attaque à Dieu et non pas à l’homme qui est l’objet de son envie. Car, lorsqu’il voit que celui-ci est en faveur, lorsqu’à cette vue il se chagrine et s’irrite jusqu’à vouloir détruire l’Église, c’est contre Dieu qu’il combat. Dites-moi, en effet, voilà un homme qui est occupé à parer la fille d’un roi, et cette occupation lui vaut l’estime publique. Survient un envieux qui fait des vœux pour que la fille du roi compromette sa réputation, et pour que celui gui s’occupe de rehausser son éclat ne puisse plus travailler pour elle. A qui cet envieux tendra-t-il ses pièges ? Ne sera-ce pas au roi et à sa fille ? Il en est ainsi de vous qui portez envie à votre frère en Jésus-Christ ; c’est contre l’Église, c’est contre Dieu que vous combattez. N’y a-t-il pas, entre la gloire de votre frère et l’intérêt de l’Église, une connexion intime, et la chute de l’un n’entraîne-t-elle pas nécessairement celle de l’autre ? C’est donc une œuvre de démon que vous faites, puisque c’est au corps même du Christ que vous vous attaquez. Votre dépit et votre ressentiment s’allument contre un homme qui ne vous a rien fait, et contre le Christ en particulier. Qu’est-ce qu’il vous a donc fait, le Christ, pour que sa gloire et celle de sa jeune épouse vous offusque ? Mais voyez donc quel supplice vous vous infligez. Vos ennemis, vous les comblez de joie, et celui-là même dont vous voulez empoisonner les succès, vous le faites rire à vos dépens, puisque votre jalousie fait encore ressortir sa gloire et sa réputation. S’il ne la méritait pas, en effet, vous ne seriez pas jaloux de lui ; vous montrez chaque jour davantage à quel point le dépit vous dévore. J’ai honte de vous exhorter à ce sujet ; mais, puisque nous sommes encore si faibles, après les leçons que nous avons reçues, délivrons-nous donc du fléau de l’envie. Les éloges et l’estime que l’on accorde à votre frère vous aigrissent ! Pourquoi donc ajoutez-vous à sa gloire ? Vous voulez le tourmenter ! Pourquoi donc faire éclater votre dépit ? Pourquoi vous punir vous-même, avant de punir celui à la gloire duquel vous vous opposez ? Il y a là pour lui un double plaisir, un double triomphe, et pour vous un double tourment ; d’abord, vous le faites valoir, et c’est un plaisir bien amer pour vous que vous lui procurez ; puis, cette envie, qui fait votre tourment, fait sa joie.
Voyez quel mal nous nous faisons à nous-mêmes, sans le savoir. Cet homme est notre ennemi, mais pourquoi ? Quel mal nous a-t-il fait ? Ne faut-il pas songer après tout que par notre jalousie nous lui donnons plus de lustre et que nous nous punissons nous-mêmes ? Ce qui est encore un supplice pour nous, c’est de croire qu’il s’est aperçu de nos sentiments. Peut-être notre jalousie n’entre-t-elle pour rien dans la joie qu’il éprouve ; mais nous croyons qu’elle y est pour quelque chose, et nous en gémissons. Bannissez donc l’envie, car à quoi, bon ces blessures que vous vous faites à vous-même ? Songeons, ô mes chers frères, à cette double couronne qui attend l’homme exempt d’envie. Éloges de la part des hommes, éloges dé la part de Dieu, voilà ce qui lui est réservé. Réfléchissons aussi à tous les maux dont l’envie est la mère. C’est ainsi que nous parviendrons à étouffer ce monstre, à obtenir les éloges de notre Dieu, à obtenir l’estime des hommes, comme les autres. Si nous ne parvenons pas à nous faire une réputation, c’est que cette réputation ne serait pas pour nous un avantage. Mais, après tout, si notre vie a été employée pour la gloire de Dieu, il nous sera permis d’obtenir les biens promis à ceux qui l’aiment, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

HOMÉLIE XII. modifier


EPAPHRAS, QUI EST DE VOTRE VILLE, VOUS SALUE. C’EST UN SERVITEUR DE JÉSUS-CHRIST QUI COMBAT SANS CESSE POUR VOUS, DANS SES PRIÈRES, AFIN QUE VOUS DEMEURIEZ FERMES ET PARFAITS, ET QUE VOUS ACCOMPLISSIEZ PLEINEMENT CE QUE DIEU DEMANDE DE VOUS. CAR JE PUIS BIEN LUI RENDRE CE TÉMOIGNAGE QU’IL A UN GRAND ZÈLE POUR VOUS, ET POUR CEUX DE LAODICÉE ET D’HIÉRAPOLIS. (IV. 12, 13 JUSQU’A LA FIN)

Analyse. modifier

  • 1. Tendresse de Paul pour ses frères.
  • 2. Paul se glorifie de ses liens. – Ses liens nous servent de leçon.
  • 3. Bienheureux ceux qui pleurent !
  • 4. Les larmes doivent être l’accompagnement des prières et des admonestations.
  • 5. Le sacrement de mariage est le plus important de tous. – Jésus-Christ et l’Église y sont représentés. – Les courtisans et les baladins ne doivent point être admis à la célébration d’un mariage.
  • 6. C’est Jésus-Christ accompagné des anges qu’il faut inviter à la célébration des noces.
  • 7. Il faut donner à une jeune fille un mari probe et honorable plutôt que riche.


1. Au début même de cette épître, il recommande Epaphras, au nom de la charité. Car il a dit en commençant : « Epaphras, de qui nous avons appris aussi votre charité toute spirituelle ». (Col. 1,8) Il fait ressortir aussi la charité d’Epaphras, et lui concilie la bienveillance des auditeurs, quand il le leur montre priant pour eux. Il le recommande, en rapportant tout d’abord ce qu’il demande à Dieu ; car le respect qu’on a pour le maître est utile aux disciples. Il le recommande par ces mots : « C’est un d’entre vous ». Leur cité doit être fière de produire de tels enfants. « Il a prie sans cesse pour vous avec sollicitude ». Il ne se borne pas à prier, « il prie avec sollicitude », l’inquiétude et la crainte dans le cœur. « Je lui rends ce témoignage qu’il est plein de zèle pour vous ». Et Paul est un témoin digne de foi. « Il est plein de zèle pour vous », c’est-à-dire, il a pour vous beaucoup de tendresse et une ardente charité. – « Et pour ceux de Laodicée et d’Hiérapolis » ; il le leur recommande aussi. Il est vraisemblable qué les habitants de ces deux villes avaient déjà entendu parler du zèle qu’Epaphras avait pour eux ; mais cette lettre le leur apprenait encore. « Ayez soin », dit Paul, « que cette lettre soit lue aussi dans l’Église de Laodicée. Afin que vous demeuriez fermes et parfaits » (Col. 4,16), dit-il. Ces mots renferment une sorte de réprimande, un avis et un reproche sans amertume. Un homme peut être parfait, sans demeurer ferme dans la perfection ; il peut, par exemple, être parfaitement instruit, mais vacillant dans ses croyances. On peut aussi, tout à la fois, manquer de perfection et de fermeté, si, par exemple, on n’a qu’une science incomplète et une croyance mal assise. Voilà pourquoi Epaphras demande à Dieu pour les Colossiens la perfection et la fermeté. Voyez comme il leur rappelle indirectement ce qu’il a dit des anges et de la vie chrétienne ! « Afin que vous accomplissiez pleinement tout ce que Dieu demande de vous ». C’est qu’il ne suffit pas de faire la volonté de Dieu. Quand une âme est bien convaincue de la nécessité d’obéir à Dieu, toute autre volonté que celle de Dieu perd sur elle son empire ; autrement l’âme n’est pas pleinement convaincue. « Je lui rends ce témoignage qu’il est plein de zèle pour vous ». Il a du zèle, il en est plein. Il insiste sur le zèle d’Epaphras et sur l’ardeur de ce zèle. C’est ainsi que dans sa seconde épître aux Corinthiens, il dit : « J’ai pour vous un amour de jalousie, et d’une jalousie de Dieu ». (2Cor. 11,2)
« Luc le médecin, notre très cher frère, vous salue (14) ». C’est saint Luc, l’évangéliste. Ce n’est pas pour le rabaisser, qu’il le met ici le dernier ; c’est pour exalter Epaphras. Il y avait probablement d’autres personnes qui s’appelaient Luc. « Et Démas ». Après avoir dit : Luc, le médecin, il ajoute, « mon très cher frère ». C’est un bien beau titre que celui de très cher frère de saint Paul. « Saluez nos frères de Laodicée, et Nymphas, et l’église qui est dans sa maison ». – Voyez comme il les encadre dans un même souvenir, non seulement en les saluant tous ensemble, mais en envoyant cette épître qui doit leur être lue. Puis il accorde à Nymphas un souvenir spécial et flatteur, et il a ses raisons pour cela, il veut inspirer à ses auditeurs le désir de l’imiter. C’est un grand honneur qu’il lui fait de ne pas le confondre avec les autres. Pour voir que c’était quelqu’un de considérable que ce Nymphas, jetez les yeux sur sa maison, sur cette maison qui est une église. « Et lorsque cette lettre aura été lue parmi vous, ayez soin qu’elle soit lue aussi dans l’Église de Laodicée (16) ». Je crois que la lettre de saint Paul aux Colossiens contient des détails qui devaient intéresser les Laodicéens. Et ces derniers n’en retiraient que plus dé fruits. Les avis donnés par saint Paul à leurs frères de Colosse leur faisaient faire un retour sur eux-mêmes. « Et qu’on vous lise aussi la lettre des Laodicéens ». Quelques interprètes voient dans cette autre lettre, non pas une épître de saint Paul aux Laodicéens, mais une épître des Laodicéens à saint Paul, puisque l’apôtre ne dit pas : Ma lettre aux Laodicéens, mais, la lettre des Laodicéens. « Dites à Archippe : Prenez garde au ministère que vous avez reçu du Seigneur, afin que vous en « remplissiez tous les devoirs (17) ». Pourquoi ne s’adresse-t-il pas directement à Archippe ? Peut-être n’était-ce pas nécessaire, et suffisait-il de ce simple avis, pour ranimer son zèle. « Voici la salutation que j’ajoute ici, moi Paul, de ma propre main ». C’est là une preuve de tendresse sincère et du plaisir que devait causer aux Colossiens cette salutation écrite de la main de Paul. « Souvenez-vous de mes liens ». O liens consolateurs qui suffisent pour les exhorter en tout et pour les rendre plus forts ! Que dis-je ? En les rendant plus forts, ces liens les attachaient davantage à l’apôtre. « La grâce soit avec vous ! Ainsi soit-il ».
2. C’est un grand éloge, c’est l’éloge le plus magnifique de dire, en parlant d’Epaphras « C’est un des vôtres ; c’est un serviteur du Christ ». Saint Paul le représente comme un ministre de Dieu qui combat pour eux ; c’est ainsi qu’il se représente lui-même comme un ministre de l’Église, comme dans ce passage où il dit : « Je lui ai prêté mon ministère, moi Paul ». (Col. 1, 25) Il appelle Epaphras au partage de cet honneur. C’est son compagnon dans le service de Dieu, a-t-il dit plus haut. C’est un serviteur du Christ, nous dit-il encore dans ce passage. « C’est un des vôtres ». Il semble s’adresser à la cité qui est sa mère ; il semble dire à cette cité C’est là fruit de tes entrailles. Mais un panégyrique aussi explicite aurait déchaîné l’envie. Voilà pourquoi, afin de le recommander aux Colossiens, il s’appuie sur ce qui les intéresse personnellement. C’est le moyen de conjurer l’envie. « Il ne cesse, d’avoir pour vous », leur dit-il, « une tendre sollicitude ». Et cela, non pas seulement quand il se trouve avec nous ou avec vous ; car il n’y a pas chez lui d’ostentation. Il caractérise d’un mot le zèle et l’ardeur d’Epaphras. « C’est une tendre sollicitude ». Puis, pour que son langage ne soit pas suspect de flatterie, il ajoute : « Il a un grand zèle pour vous et pour ceux dé Laodicée et d’Hiérapolis ». – « Afin que vous demeuriez fermes et parfaits ». Ce n’est pas là de la flatterie ; c’est le signalement d’un maître respectable. Il faut que vous demeuriez fermes et parfaits, dit-il. En leur accordant l’une de ces deux qualités, il leur refuse l’autre. Il ne dit pas : Afin que vous soyez préservés de toute chute ; mais : « Afin que vous restiez fermes ».
Ces salutations font le bonheur de ces hommes qui, salués par leurs amis, se voient rappelés en même temps au souvenir de la cité. « Dites à Archippe de considérer le ministère qu’il a reçu de Dieu ». Il les met par là sous la dépendance absolue d’Archippe. Ils n’ont plus le droit de le critiquer, lorsqu’il les reprend, puisqu’ils lui donnent eux-mêmes plein pouvoir. Il est leur maître, et il n’est pas rationnel que les disciples se permettent de critiquer le maître. C’est donc pour leur fermer la bouche parla suitequ’il leur écrit. « Dites à Archippe : Prenez garde à votre ministère ». C’est le ton de la menace. Il dit de même : « Gardez-vous des chiens ». (Phil. 111, 2) « Prenez garde qu’on ne vous égare prenez garde que cette liberté dont vous jouissez ne soit une occasion de chute pour les faibles ». (Col. 2,8 ; 1Cor. 8,9) Voilà comme il parle toujours, quand il veut inspirer une crainte salutaire. « Prenez garde », dit-il, « au ministère que vous avez reçu de Dieu afin que vous le remplissiez dignement ». Il ne le laisse pas ; maître de ses actions. Il disait de même dans son épître aux Corinthiens : « Si je prêche l’Évangile de bon cœur, j’en aurai la récompense ; mais si je ne le fais qu’à regret, je dispense ce qui m’a été confié ». (1Cor. 9,47) – « Afin que vous accomplissiez pleinement, toujours avec zèle, tout ce que Dieu demande de vous ». Votre ministère, ce n’est pas de nous, c’est de Dieu même que vous le tenez. Et il les soumet au ministre de Dieu, en disant que c’est de Dieu même qu’il tient son ministère. « Souvenez-vous de mes liens. La grâce soit avec vous ! « Ainsi soit-il ». Il les affranchit de toute crainte. Leur maître a beau être chargé de fers ; la grâce vient l’en délivrer. Et c’est encore un effet de la grâce que cet aveu de Paul qui proclame sa captivité. Écoutez cette parole de saint Luc : « Les apôtres sortaient du conseil, pleins de joie ; ils avaient été jugés dignes de souffrir cet outrage pour le nom de Jésus ». C’est qu’il est vraiment honorable d’être, pour le nom de Jésus, abreuvé d’outrages et chargé de fers. N’est-ce pas un bonheur de souffrir pour celui qu’on aime et surtout pour Jésus-Christ ?
Cela étant, ne supportons pas avec peine les afflictions pour le Christ, mais souvenons-nous des liens de Paul, et qu’ils nous servent de leçon. Prêchez-vous par exemple la charité au nom du Christ, rappelez-vous les liens de Paul, et déclarez que, vous et vos auditeurs, vous seriez des misérables de refuser du pain aux pauvres, quand Paul s’est laissé charger de liens pour l’amour du Christ. Vous êtes fier de vos bonnes œuvres : souvenez-vous des liens de Paul, et vous verrez combien il est injuste que Paul soit chargé de liens, quand vous nagez dans les délices. Vous soupirez après les plaisirs songez à la prison de Paul : vous êtes son disciple, vous êtes son compagnon d’armes. Est-il rationnel que votre compagnon d’armes soit dans les fers, tandis que vous nageriez dans les plaisirs ? Vous êtes dans l’affliction, vous vous croyez abandonné : écoutez les paroles de Paul, et vous verrez que l’affliction n’est pas un signe d’abandon. Vous voulez avoir des robes de soie : souvenez-vous des liens de Paul, et vos robes de soie auront moins de prix à vos yeux que des haillons. Vous voulez que l’or brille sur vos vêtements souvenez-vous des liens de Paul, et cet or vous fera l’effet d’un brin de jonc desséché. Vous voulez orner votre chevelure et paraître belle pensez au dénuement de Paul dans sa prison, et vous serez éblouie par l’éclat des vertus des apôtres, et tous ces ornements mondains vous sembleront hideux, et vous gémirez profondément, et vous envierez à Paul ses liens. Vous prend-il fantaisie de mettre du fard, et de recourir à de semblables moyens pour peindre votre visage ? pensez aux larmes de Paul ; il a passé trois ans à pleurer, nuit et jour, dans sa prison. Que de pareilles larmes vous servent d’ornement ; elles donneront à votre visage un pur éclat. Je ne vous dis pas de pleurer sur les autres, je voudrais qu’il en fût ainsi, mais cette charité est au-dessus de vous. Tout ce que je vous demande, c’est de pleurer sur vos péchés. Vous avez donné l’ordre que votre enfant fût enfermé et vous êtes irritée : souvenez-vous de la prison de Paul, et votre colère s’arrêtera. Souvenez-vous que vous êtes du nombre des victimes, et non des bourreaux ; du nombre de ceux dont le cœur est brisé, et non pas de ceux qui brisent le cœur des autres. Votre joie se répand au-dehors, et vous poussez de grands éclats de rire : souvenez-vous des larmes de Paul, et vous gémirez ; ces larmes-là vous rendront bien plus belle. Vous avez vu ces hommes qui se livrent au plaisir et qui dansent : souvenez-vous des larmes de Paul. Est-il une source d’où l’eau jaillisse avec autant d’abondance que les larmes de ses yeux ? Il dit, ailleurs : « Souvenez-vous de mes larmes » (Act. 20,31), comme il dit ici : « Souvenez-vous de mes liens ». Et il avait raison de parler ainsi à ces prêtres qu’il faisait venir d’Éphèse à Milet ; car il parlait à des maîtres qu’il voulait rassembler autour de lui. Ici, au contraire, tout ce qu’il demande à ses auditeurs, c’est de savoir traverser les, épreuves.
3. Quelle source féconde pourrait être comparée aux larmes de Paul ? Serait-ce celle qui venait du paradis et qui arrosait toute la terre ? Mais ses larmes, à la différence de cette source, n’arrosaient pas la terre, elles arrosaient les âmes. Qu’on nous montre Paul pleurant et gémissant, ce spectacle sera bien préférable au spectacle de tous ces chants de théâtre, malgré leur élégance et leurs couronnes de fleurs. Je ne parle point ici de vous ; mais que l’on prenne sur la scène ou au théâtre un de ces débauchés qui ne ressentent d’ardeur que pour la beauté – physique, qu’on lui montre une vierge à la fleur de l’âge, plus belle et plus jolie que toutes ses compagnes, avec ses yeux doux et veloutés, avec des yeux souriants où la pudeur se mêle à la grâce, une vierge aux paupières soyeuses et frangées de cils d’ébène, une vierge au front pur et aux regards parlants, aux joues vermeilles comme le carmin et lisses comme le marbre ; puisque l’on me montre, à moi, Paul versant des larmes, je laisserai l’habitué du théâtre regarder la vierge, et je m’empresserai d’aller contempler Paul. Car c’est des yeux de Paul que jaillissent les rayons de la beauté immatérielle. La beauté matérielle transporte, brûle et enflamme le cœur de la jeunesse ; la beauté spirituelle apaise les sens. Quand on voit ces yeux qui pleurent, les yeux de l’âme deviennent plus beaux, on met un frein à Sa sensualité, on se sent rempli de sagesse et de commisération, un cœur de bronze est capable de s’amollir.
Ces larmes de Paul arrosent le sol de l’Église et engendrent des âmes. Ces larmes peuvent éteindre le feu qui dévore le corps et les sens ces larmes éteignent les traits enflammés de l’esprit malin. Songeons donc à ces larmes et nous nous rirons de tous les biens de la vie présente. C’étaient ces larmes que le Christ appelait des larmes bienheureuses, quand il disait : « Bienheureux ceux qui pleurent, parce qu’un jour ils seront dans la joie ». (Mt. 5,5) Voilà les larmes que versaient Isaïe et Jérémie. Isaïe disait : « Laissez-moi partir ; laissez-moi répandre des larmes amères ». (Is. 22,4) Jérémie disait. « Qui changera mes yeux en deux sources de larmes » (Jer. 9,1), comme si la source naturelle de ces larmes ne lui suffisait pas. Rien de plus doux que de pareilles larmes ; elles sont plus douces que le rire de la gaîté. Ils savent bien, ceux qui pleurent, quelle consolation on éprouve à pleurer. Ne demandons pas à Dieu d’éloigner de nous les larmes ; demandons-lui plutôt de pouvoir pleurer. Souvenons-nous de ces larmes et de ces liens pour avoir le cœur content, en pensant aux pécheurs. Les larmes de Paul coulaient donc sur ses liens ; mais la mort de ses bourreaux l’empêchait de goûter le charme de ces mêmes liens. Il pleurait sur ces bourreaux, en vrai disciple de Celui qui pleurait sur le sort des prêtres juifs, non pas parce qu’ils devaient le faire mettre en croix, mais parce qu’ils devaient périr. Non content d’agir ainsi, le maître exhorte ses disciples à l’imiter, en disant : « Ne pleurez pas sur moi, filles de Jérusalem ». (Lc. 23,28)
Oui, les yeux de Paul ont contemplé le paradis, ils ont contemplé le troisième ciel ; mais, selon moi, ils sont moins heureux encore d’avoir eu ce privilège que d’avoir versé les larmes, à travers lesquelles ils ont vu le Christ. Voilà ce qui a fait leur véritable bonheur ; car Paul lui-même se vante d’avoir joui de ce spectacle, en ces termes : « N’ai-je pas vu Jésus-Christ Notre-Seigneur ? » (1Cor. 9,1) Mais c’est un plus grand bonheur encore de pleurer, comme Paul pleurait. Beaucoup ont été admis à voir le Christ, et ceux qui n’y ont pas été admis sont aussi proclamés heureux par le Christ, qui s’écrie : « Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru ! » (Jn. 20,29) Mais peu de gens ont obtenu ce privilège. Si, en effet, pour travailler au salut de ses frères, mieux vaut rester sur cette terre que de trouver dans la mort un moyen de se réunir au Christ, il est encore plus nécessaire de gémir pour sauver ses frères que de voir le Christ. S’il est plus désirable d’être dans la géhenne pour ses frères que d’être avec le Christ, il est plus désirable aussi d’être séparé du Christ pour l’amour de ses frères que d’être avec lui. C’est ce que disait saint Paul « Pour mes frères, je voudrais être anathème et séparé du Christ ». (Rom. 9,3) À plus forte raison doit-on désirer d’être condamné aux larmes pour ses frères. Je n’ai pas cessé, dit l’apôtre, d’avertir chacun de vous, en pleurant. (Act. 20,31) Pourquoi ? Ce n’était point par crainte des périls. Mais, semblable à un ami qui, assis au chevet d’un malade, ignore comment tout cela finira, et qui pleure, parce qu’il tremble pour les jours de son ami, saint Paul pleurait sur les âmes faibles que ses avis ne pouvaient ramener. C’est ce que faisait le Christ, qui voulait voir si ses larmes seraient respectées. Rencontrait-il un pécheur, il l’avertissait. Le pécheur s’éloignait, en lui crachant au visage ; alors le Christ pleurait, pour le ramener à lui.
4. Souvenons-nous de ces larmes. C’est ainsi que nous devons élever nos fils et nos filles. Pleurons sur eux, quand nous les voyons en proie à la maladie du péché. O femmes, qui voulez être aimées, souvenez-vous des larmes de Paul, et gémissez ; ô femmes si heureuses aux yeux du monde, vous qui goûtez les douceurs de l’hymen et qui vivez au sein des plaisirs, souvenez-vous de ces larmes ; vous tous qui êtes dans le deuil, échangez vos larmes contre celles de l’apôtre. Ce n’était pas sur les morts qu’il pleurait ; c’était sur les vivants qui couraient à leur perte. Dois-je citer d’autres exemples ? Il pleurait aussi, Timothée, le disciple de l’apôtre, et voilà pourquoi saint Paul lui écrit : « Je me souviens de tes larmes, quand je veux goûter une joie sans mélange ». (2Tim. 1,25) Bien souvent aussi, c’est la joie qui fait couler les larmes. Alors c’est un plaisir, c’est un grand plaisir de pleurer. De pareilles larmes ne sont ni, brûlantes ni amères ; elles ne prennent point leur source dans une douleur mondaine ; de pareilles larmes sont autrement précieuses que les larmes arrachées par les plaisirs terrestres. Écoutez cette parole du Prophète : « Le Seigneur a entendu mes pleurs ». (Ps. 6,9) Les larmes sont-elles jamais inutiles ? N’ont-elles pas leur utilité dans les prières, dans les avis ? Nous les blâmons, nous autres, parce que nous ne savons pas nous en servir. Consolons-nous un frère d’une faute qu’il a commise ? pleurons et gémissons. Perdons-nous notre temps à conseiller un sourd qui court à sa perte ? pleurons encore. Ces larmes-là sont celles de la sagesse.
Mais que la pauvreté, la maladie et la mort ne fassent pas couler nos larmes ; car elles ne les méritent pas. Nous blâmons le rire hors de saison ; nous blâmons les larmes répandues mal a propos. La vertu ne se montre dans tout son lustre que lorsqu’elle est bien employée. Le vin a été donné à l’homme pour l’égayer et non pour l’enivrer ; le pain a été donné à l’homme pour le nourrir ; l’union des sexes a été donnée à l’homme pour propager son espèce. L’abus de tous ces dons est blâmable ; l’abus des larmes est blâmable. Posons, en principe, que les larmes ne doivent être employées que dans les prières et dans les admonestations ; dans ces deux cas, il faut appeler les larmes. Rien ne lave mieux les souillures du péché. De plus, elles rehaussent la beauté, en inspirant la compassion ; elles donnent à la physionomie une teinte grave et honnête. Rien de plus sympathique que des yeux en pleurs. L’œil est le plus noble et le plus beau des organes ; c’est l’organe de l’âme. A travers ces yeux en larmes, c’est l’âme que nous voyons pleurer et c’est ce qui cause notre émotion. J’ai un but, en vous tenant ce langage c’est de vous éloigner de ces noces, de ces danses, de ces chœurs où règne une licence qui est l’œuvre du démon. Voyez, en effet, ce que l’esprit du mal a imaginé. La nature elle-même écarte les femmes du théâtre et de ses peintures déshonnêtes ; voilà pourquoi le démon a introduit dans le gynécée des hommes efféminés et des courtisanes. Cet abus a été amené par je ne sais quelle loi nuptiale ; mais pourquoi parler de loi nuptiale ? Il a été amené par notre mollesse. O homme ! pourquoi agir ainsi ? Vous ne savez ce que vous faites. Vous vous mariez parce que vous voulez mener une vie honorable et avoir des enfants. Pourquoi donc ces courtisanes ? Pour égayer les noces, dites-vous. Mais n’est-ce pas une folie ? N’est-ce pas une insulte que vous faites à votre épouse et aux femmes que vous invitez ? Et si elles trouvent du plaisir à cela, c’est un plaisir honteux. Mais, si la vue de ces courtisanes éhontées et sans pudeur est un spectacle si magnifique, pourquoi n’en faites-vous pas jouir votre épouse, pourquoi l’en éloigner ?
Ah ! quelle infamie d’introduire chez vous des danseurs efféminés et toutes les pompes de Satan ! « Souvenez-vous des liens de Paul ». Le mariage aussi est un lien, un lien d’institution divine, tandis que la courtisane est le type de la dissolution. Il est d’autres moyens d’égayer les noces. On fait bonne chère, on fait toilette ; je ne le défends pas, pour ne point avoir l’air d’un sauvage. Pourtant Rébecca, ce jour-là, parut avec ses vêtements de travail. Mais enfin je vous permets ces extra. Mettez vos habits de fête ; livrez-vous à la joie en bonne compagnie. Mais à quoi bon de monstrueux plaisirs ? Quels propos entendez-vous sortir de la bouche de ces bouffons ? Vous rougiriez de les répéter. Quoi ! vous en rougissez et vous les provoquez ? Si vous admirez ces baladins, pourquoi ne faites-vous pas comme eux ? S’ils vous font rougir, pourquoi les forcer à parler comme ils parlent ? Il faut observer en tout les lois de la tempérance, de la modestie, de la dignité et de la décence, et, dans vos têtes, que voit-on ? Des baladins qui sautent comme des chameaux et des mulets. La jeune mariée ne doit connaître que le lit nuptial. Mais elle est pauvre, dites-vous. Eh bien, c’est pour elle une raison d’être modeste et honnête. La vertu doit lui tenir lieu de richesse. Mais elle ne peut apporter de dot. Pourquoi donc voulez-vous la pervertir et la rendre tout à la fois pauvre et méprisable ? Qu’elle ait auprès d’elle d’autres jeunes filles, ses compagnes ; qu’elle ait auprès d’elle de jeunes mariées dont elle va grossir le nombre, à la bonne heure ! et voilà qui est convenable. Il y a là, en effet, deux troupes ; la troupe des jeunes filles, la troupe des jeunes mariées. La première remet la fiancée entre les mains de la seconde. La fiancée est là, entre ces deux troupes : elle n’est plus jeune fille, elle n’est pas encore femme. Elle est en train de passer d’une classe dans une autre.
Mais pourquoi ces courtisanes ? Elles devraient, quand il y à un mariage, se cacher sous terre ; car leur métier est l’abus dégradant de l’union des sexes, et malgré cela, nous les admettons à nos noces ! Quoi que vous fassiez, vous vous gardez bien de prononcer même une parole qui pourrait être en contradiction avec ce que vous faites. Quand vous semez, quand vous mettez la vendange sous le pressoir, vous êtes sourd à toute parole qui peut faire une allusion quelconque à l’ivraie et au vin tourné. Et dans un moment où il faut du sérieux et de la modestie, vous amenez chez vous la lie de la société ! Êtes-vous occupé à composer un parfum ; vous éloignez de vous toute odeur malsaine. Eh bien ! le mariage est un parfum ; pourquoi cette boue nauséabonde que vous laissez entrer chez vous lorsqu’il se prépare ? Eh quoi ! cette jeune mariée danse, sans rougir, pour cette autre jeune fille qui lui fait vis-à-vis. Elle devrait cependant être encore plus sérieuse et plus modeste qu’elle, puisqu’elle sort des bras de sa mère et non d’une école de danse. Je dis même qu’une jeune fille ne devrait jamais figurer à un bal de noce.
5. Dans le palais d’un roi, les personnages de distinction se tiennent à l’intérieur et entourent la personne du souverain ; les autres se tiennent en dehors. Restez donc chez vous auprès de votre femme. Et vous, jeune femme, restez aussi maintenant chez vous, ne faites point parade de votre virginité. Il y a près de vous deux troupes ; l’une qui montre dans quel état elle vous remet entre les mains de l’autre, l’autre chargée de veiller sur vous. Pourquoi cette tache que vous imprimez à votre virginité ? Si votre extérieur est si peu décent, votre époux vous jugera sur votre extérieur. Car c’est toujours une honte d’avoir de mauvaises manières, fût-on la fille d’un roi. Qui vous empêche d’être digne ? Est-ce votre pauvreté ? Est-ce votre humble condition ? Mais une jeune fille, quand même elle serait esclave, doit avoir de la réserve. « Car, en Jésus-Christ, il n’y a ni esclave, ni homme libre ». (Gal. 3,28) Est-ce que le mariage serait un théâtre ? Non, c’est un mystère qui représente une grande chose. Si vous ne respectez pas le mariage, respectez au moins ce qu’il représente. « Ce sacrement est grand en Jésus-Christ et en l’Église », dit l’apôtre. (Eph. 5,32) C’est Jésus-Christ et l’Église qu’il représente, et vous amenez des courtisanes à la célébration de ce mystère !
Mais, dites-vous, si les jeunes filles, si les jeunes mariées ne dansent pas, qui donc dansera ? Personne. La danse n’est pas chose si nécessaire. Chez les gentils, la danse entrait dans la célébration des mystères ; mais nos mystères à nous demandent le silence, la décence et le sérieux, la réserve et la modestie. Un grand mystère est en train de s’accomplir ; hors d’ici les courtisanes ! Hors d’ici les profanes ! Mais quel est ce mystère ? Ce sont deux créatures humaines qui s’unissent pour n’en former qu’une seule. Pourquoi, à l’arrivée des deux époux, n’y a-t-il ni danses, ni bruit de cymbales ? Pourquoi ce silence profond ? Et quand ils s’approchent l’un de l’autre, en représentant non pas une froide image terrestre, mais l’image même de Dieu, pourquoi ce désordre qui jette le trouble dans l’assemblée et qui souille les âmes ? Voilà deux êtres qui viennent s’unir, pour ne faire qu’un seul être ! C’est un mystère de charité qui commence ! Tant qu’ils ne seront pas unis, tant qu’ils continueront à former deux êtres séparés, ils ne pourront donner la vie à une foule d’autres êtres ; leur union seule produira cet effet. Nous voyons, par là, combien l’union est puissante. Dès l’origine du inonde, le grand Ouvrier a fait deux créatures de la seule créature humaine qui existât. Et, pour montrer que cette séparation ne les empêche pas de ne faire qu’un, il n’a pas voulu que chacun des deux, en particulier et à lui seul, pût travailler à l’œuvre de la génération. Car l’un de ces deux êtres, quand il n’est pas joint à l’autre, n’est pas entier ; il ne forme que la moitié d’un tout. Et voilà pourquoi il est inhabile à procréer. Avez-vous fait attention au mystère du mariage ? Dieu s’est servi d’une créature humaine, pour en faire une autre, puis il a réuni ces deux créatures et n’en a fait qu’une. Voilà pourquoi on peut dire que c’est un seul être qui en produit un autre. Car le mari et la femme ne sont pas deux êtres distincts ; ils ne sont qu’une chair, et à l’appui de cette vérité, on peut citer bien des preuves. On peut citer. on peut citer Marie, la mère du Christ ; on peut citer cette parole : « Dieu les a faits mâle et femelle ». (Gen. 1,27)
Si l’un est la tête et l’autre le corps, comment formeraient-ils deux êtres séparés ? La femme, c’est l’écolière ; le mari, c’est le maître. Le mari, c’est le chef ; la femme, c’est l’être qui obéit. La manière dont elle a été créée vous fera voir qu’elle ne fait qu’un avec son époux ; elle a été tirée d’une côte de l’homme, et tous deux sont, pour ainsi dire, les deux moitiés d’un tout. Voilà pourquoi l’homme la regarde comme son aide. Voilà pourquoi la femme quitte père et mère pour s’attacher de préférence à l’homme auquel elle va s’unir, avec lequel elle va vivre. Et un père lui-même se plaît à établir son fils et sa fille, à serrer les nœuds de ce mariage qui va rendre à un être une partie de lui-même. Que de dépenses ! Quelle perte d’argent pour ce père, avant d’en venir là ! Mais qu’est-ce que cela fait ? Ce père serait inconsolable, s’il n’établissait pas ses enfants. Chacun d’eux, en effet, quand il reste isolé, est comme une chair séparée de sa chair ; c’est un être incomplet qui ne peut procréer ; c’est un être incomplet qui n’a pas encore organisé sa vie. De là ce mot du Prophète : « C’est le reste de ton âme ». (Mal. 2,15) Mais comment ne font-ils qu’une chair ? C’est comme si vous détachiez d’un lingot d’or ses parcelles, les plus pures pour les mêler à un autre lingot. De même ici, c’est la partie la plus onctueuse du sang de l’homme que le plaisir verse dans le sein de la femme où elle se trouve développée, en se mêlant aux germes que la femme fournit. Et l’enfant joue, entre le mari et la femme, le rôle de trait d’union. Voilà donc trois êtres qui ne font qu’une chair, et dont l’un sert de lien entre les deux autres. C’est comme si deux cités, divisées par un fleuve, étaient réunies en une seule par un pont. Dans la circonstance qui nous occupe, l’union est la même, que dis-je ? elle est plus intime. Car le trait d’union est de la même nature que les deux objets unis. Les deux êtres ne font donc qu’un seul être, comme le tronc accompagné des membres ne fait qu’un même corps avec la tête. C’est le cou seul qui les sépare ; encore les unit-il autant qu’il les divise, en se trouvant au milieu d’eux. C’est comme si un chœur, après s’être séparé en deux moitiés, se recomposait avec ses membres pris à droite et à gauche. Aussi ce mot : Ils ne feront qu’une chair, est-il exact. C’est leur enfant qui produit cette union intime. Mais que dis-je ? Quand même ils n’auraient pas d’enfant, ils ne formeraient pas encore deux êtres distincts. Et le motif en est clair. C’est la cohabitation qui confond ces deux individualités en une seule ; c’est le parfum qu’on jette dans l’huile et qui s’y incorpore, de manière à ne faire qu’un avec elle.
6. Bien des gens, je le sais, sont choqués de mes paroles. Mais ce qui m’a fait aborder ce sujet, ce sont les abus introduits par la débauche et par l’impudeur. Oui, la manière dont se font les noces, ces habitudes dépravées et corrompues dégradent le mariage. « Car les noces en elles-mêmes sont honorables, et le lit nuptial est immaculé ». (Héb. 13,4) Pourquoi donc avoir honte de ce qui est honorable ? Pourquoi rougir de ce qui est immaculé ? C’est aux hérétiques de rougir ; c’est à ceux qui amènent des courtisanes. Je veux purifier le mariage pour lui rendre sa noblesse, pour fermer la bouche à l’hérésie. On a déshonoré une institution qui est un présent divin,-qui est la source du genre humain ; on y a jeté du limon et de la boue. Purifions cette source, en appelant la raison à notre aide. Un peu de courage ! Quand on ne craint pas la boue, on ne doit pas en craindre l’odeur. Je veux vous montrer que ce n’est pas le mariage, mais l’abus que vous y introduisez qui doit vous faire rougir. Vous n’avez qu’une mauvaise honte et vous condamnez Dieu qui a institué le mariage. Je vais vous dire ce que c’est que ce sacrement de l’Église. C’est le Christ qui vient trouver l’Église, l’Église née de lui et à laquelle il s’est uni par des liens spirituels. « Car je vous ai fiancés », dit l’apôtre, « à cet unique époux qui est le Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge toute pure ». (2Cor. 11,2) Voyez comme il déclare que nous appartenons au Christ, que nous sommes les membres de ses membres, et la chair de sa chair.
Livrons-nous à ces réflexions et respectons ce mystère sublime. Eh quoi ! le mariage vous représente Jésus-Christ, et vous vous enivrez ! Dites-moi, si vous aviez devant vous l’image du souverain, ne la respecteriez-vous pas ? Ah ! sans doute, vous la respecteriez. On semble n’attacher aucune importance à la manière dont on se comporte quand on assiste à un mariage, et pourtant cette indifférence à des suites désastreuses. Ce ne sont qu’habitudes impies. « Point de paroles déshonnêtes », dit saint Paul, « point de paroles insensées ou bouffonnes ». (Eph. 5,4) Et pourtant, quand on assiste à une noce, on n’entend que propos déshonnêtes, insensés ou bouffons. Cette habitude est devenue un art qui fait honneur à celui qui l’exerce : oui, le vice est devenu un art. Et cet art, nous ne le pratiquons pas à la légère ; nous déployons, en l’exerçant, notre application et notre science. Et d’ailleurs, c’est le démon en personne qui commande et qui dirige ces troupes de bouffons. Car la débauche loge à la même enseigne que l’ivresse : là où circulent les propos obscènes, le démon prend toutes ses aises. A ces repas de noces, avez-vous bien le cœur, je vous le demande, d’invoquer le démon, en célébrant les mystères du Christ ? Vous me trouvez peut-être fâcheux et importun, car c’est encore l’effet de votre perversité extrême de tourner en ridicule l’austérité de vos censeurs. Eh ! n’entendez-vous pas saint Paul qui vous dit : « Quoi que vous fassiez, que vous mangiez ou que vous buviez, agissez toujours pour la gloire de Dieu ? » Vous, au contraire, vous vous occupez à dire de mauvais propos et des infamies. N’entendez-vous pas cette parole du Prophète : « Servez le Seigneur avec une crainte respectueuse et avec une allégresse mêlée de terreur ? ». (Ps. 2,11)
Vous, au contraire, vous vous plongez dans la mollesse. Ne pouvez-vous donc pas vous livrer à des plaisirs sans danger ? Voulez-vous entendre de mélodieux accords ? Certes vous n’en auriez pas besoin ; mais je me plie à votre faiblesse, si vous voulez ; au lieu des concerts de Satan, écoutez les concerts des anges. Voulez-vous voir des danses ? Contemplez celles des anges. Et comment faire pour les voir ? me direz-vous. Pour cela vous n’avez qu’à chasser tous ces musiciens, tous ces danseurs profanes. Alors le Christ viendra à vos noces ; or le Christ est toujours accompagné du chœur des anges. Il opérera, si vous voulez, des miracles, comme autrefois ; il changera encore l’eau en vin et fera d’autres prodiges. Cette joie dissolue, ces désirs qui bientôt vous laissent froids, se changeront bientôt en joie spirituelle. Voilà ce qui s’appelle changer l’eau en vin. Là où sont vos joueurs de flûte le Christ ne paraît pas ; mais entre-t-il dans la salle, il les chasse et opère des miracles. Quoi de plus choquant que ces pompes de Satan, où il n’y a que confusion, où, s’il n’y a pas confusion, il n’y a que honte et amertume ?
7. Rien de plus doux que la vertu ; rien de plus suave que la tempérance ; rien de plus désirable que l’honneur. Que les noces soient telles que je le demande, et l’on verra quel plaisir on y trouve. Faites bien attention aux conditions que je pose : pour une jeune fille, il faut, avant tout, chercher un mari qui puisse être à la fois son époux, son protecteur et son tuteur. Il y a là un corps sur lequel il faut mettre une tête. Ce n’est pas une esclave que vous donnez à un maître ; c’est votre fille à laquelle vous allez donner un époux. Ne cherchez ni la richesse, ni la splendeur de la naissance, ni l’éclat du berceau ; tout cela est superflu ; mais demandez chez l’époux de votre fille, la piété, la douceur, la véritable sagesse, la crainte de Dieu, si vous voulez que votre fille soit heureuse. En courant après la richesse, loin de faire le bonheur de votre fille, vous ferez son malheur ; car, de libre qu’elle était vous la rendrez esclave. L’or n’est point aussi doux que la servitude est amère. Ne cherchez donc pas tous ces vains avantages ; donnez à votre fille un mari de sa condition. Si la chose est impossible, cherchez un mari plutôt pauvre que riche, si vous ne voulez pas pour votre fille un maître, mais un époux.
Quand vous l’aurez bien choisi, quand vous serez décidé à lui donner votre fille, priez le Christ d’honorer cette union de sa présence ; il ne s’y refusera pas ; car c’est lui qui doit être présent dans ce mystère. Et priez-le de vous donner, pour votre fille, l’époux que vous demandez. Ne restez pas au-dessous de l’esclave d’Abraham qui, parti pour un si long voyage, sut deviner à qui il devait avoir recours et vit son entreprise couronnée d’un plein succès. Si vous flottez dans l’incertitude, si vous n’êtes pas encore fixé, ayez recours à la prière et dites à Dieu : Que votre volonté et votre prévoyance me viennent en aide. Reposez-vous sur lui de toute cette affaire. De cette manière, vous l’honorerez et il vous récompensera. Il y a ici deux chose à faire : il faut confier à Dieu les intérêts de votre fille ; il faut lui chercher un mari selon Dieu, c’est-à-dire un homme probe et honorable. Au moment de la célébration, n’allez pas de maison en maison emprunter des miroirs et des objets de toilette. Le mariage n’est pas une affaire d’ostentation ; vous ne menez pas votre fille à la parade. Contentez-vous des ressources que vous trouvez chez vous, invitez vos voisins, vos amis et vos parents ; invitez tous les gens de bien, tous les gens honnêtes que vous connaissez, et priez-les de se contenter de ce que vous leur offrez. Point de danseurs de profession : c’est une dépense superflue et peu honorable. Avant tout, invitez le Christ à ces noces, vous savez quels sont ses représentants ici-bas. Le bien que vous ferez, dit-il, au plus humble d’entre vous, c’est à moi que vous le ferez. (Mt. 25,45)
Ce n’est pas, gardez-vous de le croire, un ennui et une corvée d’inviter les pauvres pour l’amour du Christ ; mais c’est une corvée bien lourde d’inviter des courtisanes. Inviter les pauvres est un moyen de s’enrichir ; inviter les courtisanes est un moyen de se ruiner et de se perdre. Donnez à la jeune mariée, pour parure, non pas des robes enrichies d’or, mais des vêtements ordinaires dont la pudeur et la bonté rehaussent l’éclat. Au lieu de vêtements brodés d’or, qu’elle revête la pudeur et la décence, sans rechercher les parures mondaines. Point de bruit, point de désordre. Qu’on appelle le fiancé et qu’on remette entre ses mains la jeune fille. Que la sobriété, que la pure allégresse de l’âme règnent au festin. De telles noces seront la source d’une foule d’avantages et ne compromettront pas votre existence. Mais les noces, pour ne pas dire les parades matrimoniales d’aujourd’hui, de combien de maux ne sont-elles pas la source ? Le festin est terminé et, tout aussitôt, on s’inquiète, on a peur que quelque pièce d’argenterie prêtée ne se retrouve pas, et voilà la gaieté qui fait place à une insupportable inquiétude.
Mais cette inquiétude et ce chagrin, direz-vous, sont pour la personne chargée de l’ordonnance du repas. Ah ! la nouvelle mariée elle-même n’en est pas exempte. Que dis-je ? tous les désagréments qui surviennent ensuite, deviennent son partage. Cette ruine complète, quel sujet de tristesse ! Cette demeure livrée à l’abandon, quel sujet de chagrin l d’un côté le Christ, de l’autre le démon ; d’un côté l’allégresse, de l’autre l’inquiétude ; d’un côté le plaisir, de l’autre la douleur ; d’un côté la dépense, de l’autre rien qui y ressemble ; d’un côté l’opprobre et la honte, de l’autre la modération ; d’un côté l’envie, de l’autre absence complète de jalousie ; d’un côté l’ivresse, de l’autre la sobriété, le salut, la sagesse. Réfléchissons à tous ces détails et arrêtons-nous dans cette mauvaise voie où nous sommes soyons agréables à Dieu et montrons-nous dignes d’obtenir les biens promis à ceux qui l’aiment, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.
Traduit par M. BAISSEY.