Vie, travaux et doctrine scientifique d’Étienne Geoffroy Saint-Hilaire/Chapitre VIII

CHAPITRE VIII.

TRAVAUX ET DOCTRINE DE GEOFFROY SAINT-HILAIRE EN ANATOMIE PHILOSOPHIQUE.
I. Caractère et difficulté des travaux synthétiques. — II. Caractère et but de la Philosophie anatomique. — Nécessité d’une réforme dans la méthode. — Point de départ de la Théorie des analogues. — III. Enchaînement des idées fondamentales de cette théorie. — Principe des connexions. — Organes rudimentaires. — Balancement des organes. — IV. Différence essentielle et indépendance réciproque de la Théorie des analogues et de la loi de l’Unité de composition. — V. Prédilection apparente de Geoffroy Saint-Hilaire pour les questions les plus difficiles. — VI. Détermination de l’opercule des Poissons. — VII. Découverte d’un système dentaire chez les Oiseaux. — VIII. Travaux sur les animaux articulés. — IX. Premiers travaux sur les Monstruosités. — X. Direction imprimée à la science par la Philosophie anatomique. — L’école de Cuvier, l’école de Schelling, et l’école de Geoffroy Saint-Hilaire.
(1816 — 1824).

I.

Deux fois, à douze ans d’intervalle, Geoffroy Saint-Hilaire avait eu à choisir entre ses travaux et des fonctions administratives ou politiques : deux fois son choix avait été le même. Aux électeurs lui offrant, sous la restauration, le mandat législatif, comme à Napoléon, premier consul, lui offrant une préfecture[1], sa réponse avait toujours été celle-ci : « À chacun sa position ; à moi la culture des sciences[2]. »

Deux fois aussi, son invariable fidélité à ses devoirs de savant, trouva une récompense digne d’elle. Après le premier refus, il conçut et composa ses célèbres Mémoires de 1806, véritable exorde de la Philosophie anatomique ; après le second, la Philosophie anatomique elle-même. Avait-il eu tort de penser que les hommes, fût-ce Napoléon lui-même dans toute sa puissance, ne sauraient l’élever aussi haut qu’il pouvait s’élever lui-même par la science ? Napoléon l’eût créé préfet ; il se créa chef d’école.

Le serait-il devenu, s’il se fût partagé entre la science et l’administration ou la politique ? Nous n’hésiterons pas à répondre : Non. Il est des recherches, par exemple celles de pure observation et plus généralement d’analyse, que l’on peut prendre, quitter, reprendre tour à tour : des travaux d’un autre genre, jetés au milieu de ceux-ci, en retardent le succès sans le rendre impossible. Il pourra même arriver que les uns deviennent, à l’égard des autres, et réciproquement, une sorte de délassement pour l’esprit, auquel la variété des occupations est, comme on le sait, presque aussi salutaire que le repos lui-même. C’est le secret de cette prodigieuse multiplicité de travaux, par laquelle des hommes, illustres à divers titres, ont étonné et étonnent chaque jour le public.

Mais, ce qui est vrai de ces recherches dans lesquelles un ensemble plus ou moins complet étant donné, on procède par voie de décomposition ; ce qui est vrai de recherches, consistant essentiellement dans une suite, dans une succession d’études partielles, ne saurait l’être des recherches synthétiques. Par cela même qu’elles suivent une direction inverse, elles supposent nécessairement des conditions inverses aussi. Plus d’étude partielle et successive ; mais bien l’étude, disons mieux, la méditation simultanée des divers éléments du problème. Comment, en effet, remonter des parties à l’ensemble, comment rattacher entre eux, par les liens de la théorie, ou ramener à leur loi commune un plus ou moins grand nombre de notions particulières, si la pensée ne les aperçoit et ne les saisit à la fois ; si toutes ne sont, pour ainsi dire, présentes en même temps devant elle ? Et comment est-il donné à l’homme de réaliser cette merveille de la plus noble de ses facultés, l’abstraction ? C’est Newton lui-même qui nous l’a dit : en y songeant toujours ; par la pensée patiente, plus puissante que le génie ; par l’effort continu, l’emploi combiné de toutes les facultés ; par le dévouement absolu, exclusif du savant, oubliant tout pour l’œuvre qu’il poursuit, et s’identifiant, pour ainsi dire, avec elle.

À ce prix, peut-être, mais à ce prix seulement, un jour viendra où, longtemps cherchée, longtemps entrevue, la vérité brillera tout à coup pour lui ; où, dans son esprit, de premières et douteuses lueurs se changeront, dit encore Newton, en une pleine et vive lumière ; où, au-dessus de ces innombrables détails, dédale sans fin, dans les replis duquel errent, sans règle et sans but, tant d’observateurs vulgaires, il apercevra le lien mystérieux qui unit les faits, leur loi commune, leur raison d’être ; où, au milieu de la diversité et de la complication infinies des effets, il découvrira la simplicité et l’uniformité des causes ; où sa main pourra inscrire, une fois de plus, dans l’histoire des sciences, cette sublime formule de Leibnitz, dernier mot de chaque branche des connaissances humaines et de la philosophie elle-même : la variété dans l’unité.

II.

En s’engageant dans ces voies nouvelles où il devait entraîner après lui plusieurs de ses contemporains et la plupart de ses successeurs, Geoffroy Saint-Hilaire savait-il jusqu’où il allait s’avancer ? Avait-il mesuré par la pensée toute la grandeur de l’œuvre qu’il osait entreprendre, toute l’étendue du dévouement qui lui serait nécessaire pour l’accomplir ? S’agissait-il pour lui d’un progrès ou d’une révolution dans la science ?

D’un progrès peut-être en 1806 et 1807 ; mais, sans nul doute, en 1817 et 1818, d’une révolution. Le nom seul qu’il inscrit en tête de ses travaux, le prouverait assez. Cette science, à la fois d’observation et de raisonnement, qu’il appelait d’abord une nouvelle anatomie générale[3], mots déjà bien significatifs, est maintenant la Philosophie anatomique.

Certes, dans un tel titre, il y avait, en 1818, bien de la hardiesse. C’est pour cela même qu’il convient à l’ouvrage qui le porte. La Philosophie anatomique, c’est la recherche des analogies, ajoutée, nous ne disons pas substituée, à la recherche des différences ; c’est, par là-même, la restitution à la science d’une moitié jusqu’alors négligée de son immense domaine. Or, dans ce cas, compléter la science, c’était à la fois lui assigner un but, l’armer d’une méthode, l’animer d’un esprit entièrement nouveau.

La recherche des différences est infiniment plus facile que celle des analogies ; elle devait donc précéder celle-ci. C’est, comparativement, une étude élémentaire, et cela à plusieurs titres : elle se borne à une méthode unique ; elle se contente de résultats d’un seul ordre ; elle place son but presque au point de départ de la science. Cette méthode, c’est essentiellement, et presque exclusivement, l’observation ; ces résultats, des faits, seuls éléments que puisse fournir directement l’observation ; ce but, l’enregistrement exact et régulier des faits et de toutes leurs circonstances, leur classement dans un ordre qui réponde, aussi fidèlement que possible, à leur degré de différenciation. À ce point de vue, le progrès consiste donc, d’une part, dans la multiplicité indéfiniment croissante des observations, et, de l’autre, corrélativement, dans le perfectionnement graduel de la classification, qui, les résumant toutes, et en étant l’unique lien, devient idéalement, comme le dit Cuvier, l’expression exacte et complète de la nature entière[4].

Ces résultats, Geoffroy Saint-Hilaire les adopte tous, mais il ne s’y arrête pas. Au point de vue de la recherche des analogies, observer, décrire, classer, n’est pas la science tout entière, mais le commencement de la science. Comme méthode, l’école nouvelle veut l’alliance, l’emploi successif de l’observation et du raisonnement. Comme résultats, elle admet deux ordres de notions : après les faits, leurs conséquences. Comme but, elle se propose la découverte elle-même des lois générales de l’organisation.

Tous ces progrès se lient et s’enchaînent : l’un quelconque, sans les autres, serait logiquement impossible ; et fût-il possible, il serait inutile. Essayons de le montrer.

La recherche des analogies, tel est, personne ne le contestera, le trait caractéristique de la Philosophie anatomique et plus généralement des travaux de Geoffroy Saint-Hilaire[5]. Est-ce à dire qu’avant lui on eût entièrement négligé les analogies des êtres ? Non, sans doute. Il en est de si évidentes qu’on ne saurait les méconnaître. Qui a jamais contesté l’analogie des doigts de l’Homme avec ceux du Singe, avec ceux même des Carnassiers, des Rongeurs, et plus bas encore dans l’échelle zoologique, des Sauriens et des Batraciens ? Qui a méconnu les rapports de la plupart de nos viscères avec ceux des diverses classes de Vertébrés ? Qui doute de l’existence du canal intestinal dans la presque-totalité des animaux ? Personne. Ces analogies, et une multitude d’autres, ont été admises dans la science depuis son origine ; et, au fond, c’est sur elles que repose toute la classification ; car un travail de différenciation suppose nécessairement, au point de départ, l’hypothèse d’une certaine communauté entre les êtres que l’on veut distinguer les uns des autres.

Toutes ces analogies évidentes étaient donc, au moins d’une manière implicite, universellement admises ; mais on n’allait pas au delà. Or, le caractère, l’essence même de toute science, c’est précisément de démontrer, à l’aide de ce qui est évident, ce qui ne l’est pas. Le fruit de la démonstration, a dit Bossuet[6], c’est la science. Au delà des analogies évidentes, et par elles, il y avait donc lieu d’en rechercher d’autres plus ou moins cachées, et d’essayer de les mettre en lumière.

Telle est l’œuvre dont Geoffroy Saint-Hilaire conçut la pensée, et qu’il entreprit de réaliser.

Mais à quelle condition était le succès ? Il le comprit bientôt : à la condition d’agrandir, de renouveler la méthode. Pouvait-on, par l’observation seule, passer des analogies évidentes, c’est-à-dire, visibles à nos yeux, perceptibles à nos sens, à ces analogies secrètes, accessibles à notre esprit seul ? Nullement. De là, la substitution nécessaire à cette méthode exclusive, insuffisante et antiphilosophique[7] qui régnait dans la science, d’une méthode plus large, essentiellement caractérisée par l’emploi combiné de l’observation et de la pensée : méthode éminemment rationnelle, et la seule qui mérite ce titre, puisque seule, elle fait intervenir à la fois, dans la recherche de la vérité, toutes les facultés par lesquelles il nous est donné de la connaître.

Faisons maintenant un pas de plus à la suite de Geoffroy Saint-Hilaire. Quelles règles avaient été posées avant lui pour la détermination des organes analogues ? Aucunes. Et comment en aurait-il existé ? À quoi bon des règles pour découvrir des analogies évidentes par elles-mêmes ? Chacun admettait celles dont il avait conscience, sans autre guide que ce sentiment propre et individuel que l’on nomme le tact du naturaliste. À chacun, par conséquent, sa mesure, sa règle, sa détermination arbitraire. Geoffroy Saint-Hilaire reconnut, au contraire, à peine entré dans la voie des analogies, la nécessité d’une marche rigoureuse ; et pour la première fois, furent posées, en anatomie comparée, des questions qui sembleraient logiquement avoir dû précéder toutes les autres. La solution à laquelle parvint Geoffroy Saint-Hilaire, fut, tous les zootomistes le savent, la Théorie des analogues.

Telle est l’origine de cette théorie. Elle fut inventée non pas, au moins directement, afin de donner à la science la grandeur philosophique qui lui avait manqué jusqu’alors, mais, essentiellement, afin de la rendre rigoureuse ; non pas, quoi qu’on en ait dit, pour donner libre essor aux spéculations abstraites ; mais, au contraire, pour les soumettre à des règles par lesquelles l’esprit devait être contenu, et par cela même soutenu.

La marche suivie par Geoffroy Saint-Hilaire est donc celle-ci :

De la nécessité de rechercher les analogies, résulte celle de l’intervention du raisonnement ; il l’introduit dans la science à la suite de l’observation. Aussitôt se fait sentir à lui le besoin de règles et de principes, inutiles quand la science n’avait ni la recherche des analogies pour but, ni le raisonnement pour instrument de découverte : il crée la Théorie des analogues, qui n’est autre chose que l’ensemble de ces règles et de ces principes[8].

Parfaitement logique dans son origine, cette théorie l’est-elle également en elle-même et dans ses résultats ? Nos lecteurs vont en juger.

III.

La chaîne des raisonnements qui l’ont fondée est celle-ci : Pourquoi certaines analogies sont-elles évidentes ? parce que la similitude porte à la fois sur toutes ou presque toutes les conditions d’existence des organes que l’on compare. Si, entre d’autres organes, il existe des analogies non évidentes, c’est, nécessairement, parce que ceux-ci se ressemblant par certaines conditions d’existence, différent en même temps par d’autres moins importantes, moins fondamentales que les premières. Nous disons moins importantes, car, si elles l’étaient plus, il est clair qu’il n’y aurait pas analogie réelle ; et si elles l’étaient autant, il resterait un doute insoluble.

De là, la nécessité logique de rechercher quelles conditions d’existence devront être regardées comme les plus importantes, les plus fondamentales, et servir de base aux déterminations.

Est-ce la fonction ? Non ; car tous les anatomistes savent, d’une part, que les mêmes organes peuvent remplir des fonctions très-différentes, et, de l’autre, que des organes très-différents remplissent la même fonction. C’est ainsi que les appendices latéraux des Articulés se montrent, tour à tour, organes locomoteurs, masticateurs, respiratoires, et aussi organes rudimentaires et sans fonction. Par contre, la respiration, selon les espèces, s’exerce par des poumons, par des branchies, par des trachées, par la peau elle-même, modifiée de mille manières.

Est-ce la forme ? Est-ce la structure ? Mais l’une et l’autre varient avec la fonction ; et même, c’est parce qu’elles varient, et comme elles varient, que varie la fonction ?

Est-ce la grandeur ? Est-ce la couleur ? Leurs modifications, même en ne comparant que des espèces voisines, sont innombrables.

Reste la position relative, la dépendance mutuelle, en un mot, la connexion des organes entre eux. Geoffroy Saint-Hilaire démontre sa fixité, et dans la Philosophie anatomique, comme dans ses Mémoires de 1806, il arrive à cette conclusion : Un organe est plutôt anéanti que transposé. Le Principe des connexions sera donc, comme il de dit lui-même, sa boussole[9] ; et c’est, guidé par lui, qu’il pourra, à travers toutes les métamorphoses que subit chaque organe dans la série animale, le suivre, le reconnaître sans hésitation, et le montrer, au fond, identique à lui-même sous les apparences les plus diverses.

Le Principe des connexions établi, un autre progrès en découlait nécessairement : la considération des organes rudimentaires. Quelle place leur étude tenait-elle jusqu’alors dans la science ? L’anatomie comparée, jusqu’alors essentiellement physiologique, pouvait-elle attacher quelque intérêt à des organes qui ne remplissent aucune fonction dans l’économie ? On les négligeait donc : c’est tout au plus si l’on daignait les mentionner, et même les conserver dans les musées[10]. Geoffroy Saint-Hilaire les restitua à la science. D’une part, il sentait le besoin de solutions rigoureuses ; or, en peut-il être, si l’on néglige une partie des éléments du problème ? De l’autre, faisant abstraction, dans la détermination des organes, et de leur grandeur et de leurs fonctions, et s’attachant à leurs connexions, comment n’eût-il pas fait entrer en ligne de compte des parties qui, pour être très-petites et sans fonctions, n’en ont pas moins leurs rapports déterminés et constants de position ? Geoffroy Saint-Hilaire devait donc les étudier, et il les étudia avec le même soin que toutes les autres. De là, la découverte d’un second principe, presque aussi important que le Principe lui-même des connexions. Au défaut d’un organe, on retrouve souvent les éléments réduits à l’état rudimentaire, et diversement groupés selon leurs affinités électives. En d’autres termes, les matériaux des organes survivent en quelque sorte aux organes eux-mêmes, et, où ceux-ci cessent d’exister, l’analogie ne cesse pas encore.

Un troisième principe, celui du Balancement des organes, vient après celui-ci dans la Philosophie anatomique, et complète la Théorie des analogues. « Un organe normal ou pathologique, dit Geoffroy Saint-Hilaire, n’acquiert jamais une prospérité extraordinaire, qu’un autre de son système ou de ses relations n’en souffre dans une même raison. » Ainsi, une augmentation, un excès sur un point, suppose une diminution sur un autre, et, comme le dit Gœthe, le budget de la nature étant fixe, une somme trop considérable, affectée à une dépense, exige ailleurs une économie.

Le lien qui unit cette loi avec les deux autres principes de Geoffroy Saint-Hilaire, est facile à apercevoir. Qu’est-ce qu’un organe rudimentaire ? Précisément un de ces organes qui ont été sacrifiés à d’autres ; sur lesquels, pour suivre la comparaison de Gœthe, la nature a fait une économie au profit d’autres parties. Avec un organe rudimentaire, on trouve, en général, un organe considérablement développé ; à côté d’une atrophie, une hypertrophie. Laquelle est cause ? laquelle est effet ? Nous l’ignorons le plus souvent ; mais si la question de causalité reste insoluble, le fait de la coexistence est certain et constant, et il ne pouvait échapper à Geoffroy Saint-Hilaire, d’autant plus préoccupé de l’étude des organes rudimentaires qu’on les avait davantage négligés jusqu’à lui. Ainsi fut conçu un principe qui, vérifié d’abord dans des cas extrêmes d’atrophie, puis étendu à tous les autres par l’observation, est devenu finalement une loi générale, embrassant, dans sa vaste étendue, les variations presque infinies des organes, ici très-volumineux et remplissant d’importantes fonctions ; là plus petits et réduits à des usages accessoires ; plus loin encore, presque effacés ou se dissolvant en leurs éléments constitutifs.

Le Principe du balancement est donc né de la considération des organes rudimentaires, et il a, conséquemment, sa source dans le Principe même des connexions, qui seul pouvait appeler de sérieuses études sur ces organes si longtemps négligés. Et en même temps que ces rapports de filiation lient le Principe des connexions à la Loi du balancement des organes, des rapports d’un autre genre les unissent entre eux : l’un est le complément nécessaire de l’autre ; le premier s’attachant à ce qu’il y a de plus fixe et de plus constant dans les organes, et montrant l’unité conservée au milieu de toutes les diversités apparentes ; celle-ci s’appliquant à ces diversités elles-mêmes, et nous révélant, sinon leurs causes, du moins leurs relations de coexistence.

Ainsi, dans la méthode de la Philosophie anatomique, tout se tient, tout s’enchaîne, et même par des liens multiples : liens de correspondance et d’harmonie, résultant du concours de toutes les vues de l’auteur vers un but commun ; liens de filiation qui rattachent l’un quelconque des principes de la détermination des organes aux deux autres, et tous ensemble à la nécessité, préliminairement reconnue, de la recherche des analogies et de l’intervention du raisonnement.

Et maintenant si l’on demande ce qui distingue la Philosophie anatomique et les travaux qui l’ont suivie, de ceux qui l’avaient précédée ; si l’on demande par quel caractère elle s’élève au-dessus des Mémoires, déjà si remarquables et si avancés, de 1806 et de 1807, nous pourrons le dire en deux mots : précisément par cet enchaînement éminemment logique[11] ; par l’union intime de tous les éléments, mutuellement nécessaires, de l’œuvre de Geoffroy Saint-Hilaire ; par leur fusion en un tout, dont chaque partie complète, explique et fortifie les autres, comme elle est par elles complétée, expliquée et fortifiée.

IV.

La nouvelle méthode de Geoffroy Saint-Hilaire a en même temps son point de départ et son but dans l’idée générale de l’Unité de composition organique. C’est par cette idée, préexistant dans son esprit, que l’auteur a été conduit à soupçonner et à rechercher, au delà des analogies évidentes, ces analogies plus ou moins obscures qu’une méthode rigoureuse pouvait seule mettre en lumière ; et cette méthode une fois trouvée, il s’en est aussitôt servi pour établir sur ses bases définitives la théorie de l’Unité de composition ; pour changer en une vérité démontrée, comme il le dit lui-même, ce qui n’était tout au plus jusqu’alors qu’une vérité de sentiment.

Il était presque inévitable que l’on confondît, à l’origine, deux conceptions qui se tiennent de si près ; qui dérivent l’une de l’autre ; qui émanent du même auteur, et datent de la même époque ; qui se sont produites dans les mêmes mémoires et dans le même livre, et s’y sont produites comme deux moitiés intimement unies d’une œuvre commune. C’était plus qu’il n’en fallait pour que quelques auteurs ne vissent en elles que des aspects divers d’une seule et même théorie, et que la Philosophie anatomique leur parût se résumer tout entière dans l’Unité de composition.

Cette erreur, si naturel qu’il pût être d’y tomber, n’en est pas moins très-grave. Si, en fait, et historiquement, la nouvelle Méthode et la Théorie de Geoffroy Saint-Hilaire s’unissent intimement, elles sont, au point de vue logique, non-seulement parfaitement distinctes, mais complétement indépendantes l’une de l’autre. La Méthode pourrait être impuissante à démontrer la Théorie, ou même fausse, sans que son impuissance ou sa fausseté entraînât comme conséquence la fausseté de celle-ci ; ce qui est évident de soi-même. Réciproquement, la Théorie pourrait être inexacte sans que la Méthode cessât d’être heureusement applicable aux faits ; seulement elle le serait dans un cercle moins étendu. Admettons, par hypothèse, que, bien loin que tous les animaux soient réductibles à un type commun, il y ait dans le règne animal autant de types irréductibles les uns aux autres, qu’il existe d’embranchements ; ce que soutiennent quelques zoologistes éminents ; supposons même qu’il y en ait autant que de classes, que d’ordres, que de familles, si l’on veut : la Méthode ne subsiste pas moins pour la recherche des analogies par lesquelles sera établie l’unité de chaque type spécial. C’est par elle, et par elle seule, que pourront être démontrées les lois plus ou moins restreintes, les formules partielles qui devront être substituées à la loi générale, à la formule unitaire de la Philosophie anatomique. Elle est donc, dans cette hypothèse même, la source commune de tous les rapports rationnellement déduits ; le lien de tous les faits de l’anatomie comparée.

Et non-seulement la Méthode et la Théorie de Geoffroy Saint-Hilaire peuvent être vraies indépendamment l’une de l’autre ; mais, vraies toutes deux, elles ne le sont, et ne sauraient l’être de la même manière. La vérité, la justesse de la nouvelle Méthode, est générale et absolue : le jour même où Geoffroy Saint-Hilaire, appelant le raisonnement à la suite de l’observation, a apprécié la valeur comparative des diverses modifications des organes ; le jour où il a rétabli dans la science la considération des organes rudimentaires ; où il a créé le Principe des connexions et la Loi du balancement des organes, tous ces progrès ont été aussi complétement, aussi pleinement acquis à la science, qu’ils le sont aujourd’hui, qu’ils le seront jamais. Et c’est pourquoi tous les travaux faits depuis la Philosophie anatomique sur la nouvelle Méthode, ont eu toujours pour but de la faire mieux comprendre, de l’étendre à divers ordres de questions, de la fortifier par l’adjonction de quelques principes de plus à ceux qui la constituaient d’abord, et jamais de donner, à l’égard de ceux-ci, un inutile complément de démonstration.

En a-t-il été de même de l’Unité de composition organique ? Quand, après plusieurs années de travaux, Geoffroy Saint-Hilaire se croit enfin en droit de proclamer comme une loi générale de la nature ce qui n’avait été jusqu’alors, pour lui, comme pour tous, qu’une vérité de sentiment ; quand il croit avoir touché le but depuis longtemps cherché, le voyons-nous, à ce moment, s’arrêter devant son œuvre, la considérer comme achevée ? Loin de là, il la poursuit avec une ardeur que le succès a rendue plus vive encore ; il cherche aussitôt, dans une nouvelle série de faits, une nouvelle série de preuves ; celles-ci obtenues, il s’avance encore vers d’autres, et toujours ainsi durant vingt années.

Et ce qu’il a fait, nous le faisons aujourd’hui ; nos successeurs le feront après nous, et ainsi, de siècle en siècle ; car, tant qu’il restera de nouveaux faits à découvrir (et comment les connaître jamais tous ?), il restera de nouvelles preuves à donner, comme on en donne chaque jour pour toutes les lois, à quelque science qu’elles appartiennent, qui sont déduites de l’observation. Toute loi de cet ordre, résumant, en effet, en elle un nombre illimité de faits, sa vérification, à l’égard de chacun d’eux, est nécessairement impossible : c’est un but dont on se rapproche sans cesse, sans l’atteindre jamais ; il est à l’infini, comme disent les géomètres.

Comment donc a-t-on établi, comment établira-t-on l’Unité de composition organique, et toutes les autres lois des sciences d’observation ? Par la seule voie qui soit ouverte à l’homme vers la connaissance de ces hautes vérités ; par la convergence de toutes les notions déjà acquises vers un résultat commun, vers une loi qui les embrasse toutes, et en devient l’expression généralisée ; par la corrélation exacte de ce résultat commun, de cette loi, avec toutes les circonstances, soit des faits antérieurement connus, soit surtout de ceux qu’elle-même, une fois trouvée, fait chaque jour prévoir, rechercher et découvrir.

Lorsque Geoffroy Saint-Hilaire a créé la théorie de l’Unité de composition organique, s’est-il fait illusion sur le caractère et la valeur des preuves auxquelles il avait recours ? Non, sans doute. Il savait qu’il raisonnait par induction, et qu’il ne pourrait jamais arriver à l’une de ces démonstrations absolues dont les sciences mathématiques ont seules le privilége.

Mais il savait aussi toute la puissance, toute l’autorité de l’induction, lorsqu’elle repose sur un nombre considérable de faits ; il savait qu’elle peut conduire à des vérités que la raison ne peut se refuser à admettre, quoiqu’elles ne soient, à parler mathématiquement, qu’infiniment probables ; que ces vérités doivent, par conséquent, être considérées comme démontrées ; et que c’est ainsi, et ainsi seulement, qu’ont pu être établies, et l’ont été, toutes les lois de la nature auxquelles le génie de l’homme s’est élevé depuis trois siècles.

Et s’il fallait repousser une loi par cela seul qu’elle repose sur une induction, par cela seul qu’après qu’une multitude de faits lui ont été ramenés, d’autres non encore découverts ou non encore suffisamment étudiés, restent à ramener à la loi commune, le Principe lui-même de la gravitation universelle, ce couronnement sublime de la philosophie naturelle, n’échapperait pas à cette logique faussement rigoureuse. On n’a pas prouvé, et l’on ne prouvera jamais par l’étude successive des astres répandus dans l’espace, ou même de ceux de notre système, que tous obéissent à la loi de la gravitation universelle, pas plus qu’on n’établira, par ce genre de preuves, que les animaux sont tous composés de matériaux réciproquement analogues. Et cependant qui conteste la généralité de la loi de Newton[12] ? Comment douter qu’elle s’applique à ces astres de notre système qui suivent dans le ciel une route encore indéterminée, à ceux même que l’œil humain n’a point encore aperçus, et, peut être, n’apercevra jamais, comme à ceux dont l’orbite est le plus exactement soumise au calcul ?

Après avoir essayé de montrer que la démonstration de l’Unité de composition est, au fond, du même ordre que celle de toutes les autres lois déduites de l’observation, ajouterons-nous qu’elle est aussi avancée ? Non, sans doute. Commencée à une époque toute récente encore, embrassant dans sa vaste étendue tous les faits de l’animalité, elle doit présenter, elle présente encore d’immenses lacunes ; bien des années, bien des siècles peut-être, s’écouleront avant que la loi de Geoffroy Saint-Hilaire puisse être complétement assimilée aux autres principes, plus simples au plus anciennement reconnus, qui règnent dans diverses sciences d’observation. Mais, du moins, il restera à celui même qui a commencé la démonstration l’honneur d’en avoir, dès le début, tracé le cadre tout entier, en abordant successivement la recherche des analogies entre les diverses classes du même embranchement ; entre deux embranchements différents du règne animal ; entre les conditions normales du règne animal, et les désordres, jusqu’alors sans limites et sans lois reconnues, de la Monstruosité elle-même. L’examen et la solution partielle de ces trois grands problèmes, c’est, en effet, toute la Philosophie anatomique ; leur solution complète, c’est et ce sera à jamais la science tout entière.

V.

Un lecteur superficiel, en parcourant les travaux publiés par Geoffroy Saint-Hilaire de la fin de 1816 à 1824, ne verrait peut-être en eux qu’une suite d’ouvrages et de mémoires détachés : il pourrait penser que l’auteur, se laissant aller, sans direction déterminée, au cours de ses idées du moment, aborde successivement les questions les plus diverses et les plus étrangères les unes aux autres. Au premier volume de la Philosophie anatomique, publié en 1818, et qui traite des organes respiratoires et du squelette des Vertébrés, on voit, en effet, succéder, en 1820 et 1821, plusieurs Mémoires : les uns sur les animaux articulés ; un autre sur les analogues du système dentaire chez les Oiseaux. Après ces Mémoires, vient en 1822, le second volume de la Philosophie anatomique, consacré à des recherches sur les Monstruosités humaines, et lui-même suivi, de 1823 à 1825, de Mémoires sur l’appareil reproducteur et sur le squelette des Vertébrés.

Qu’y a-t-il de commun entre toutes ces questions ? Rien, sans doute, avant Geoffroy Saint-Hilaire ; mais, depuis lui, et par lui, nous pourrions presque dire : tout. Ces deux volumes de la Philosophie anatomique, dont les sujets sont si différents qu’encore aujourd’hui on les rapporte parfois à des sciences distinctes, l’anatomie comparée et l’anatomie pathologique ; ces deux volumes, dont l’un, à l’origine, ne pouvait guère trouver de lecteurs que parmi les naturalistes, et l’autre parmi les médecins, sont, en réalité, la première et la troisième partie, fort avancées déjà et intimement unies, des trois, dont se compose essentiellement la démonstration de l’Unité de composition. Et la seconde se trouve précisément où elle doit être rationnellement : dans les mémoires publiés entre le premier et le second volume de la Philosophie anatomique. Une logique rigoureuse a donc réglé l’ordre dans lequel ont été composés cet ouvrage lui-même et les travaux qui le complètent.

Le choix des questions que l’auteur s’est proposé de résoudre, n’est pas moins rationnel que l’ordre dans lequel il les a abordées. Les plus difficiles sont toujours celles qu’il a préférées. On pouvait, il y a vingt ans, l’en blâmer : la prudence la plus vulgaire, eût-on pu dire, prescrit d’appliquer une méthode naissante encore, aux problèmes les plus simples, et de ne s’avancer que pas à pas vers les plus complexes. C’est ainsi que l’on procède en mathématiques et dans toutes les sciences qui, plus avancées que l’anatomie comparée, peuvent lui servir de modèles. Et c’est aussi de cette manière, ajouterons-nous, que l’on doit présentement procéder en anatomie philosophique. Mais, si Geoffroy Saint-Hilaire n’eût osé, à l’origine, s’affranchir des règles ordinaires de la méthode, où en serions-nous aujourd’hui ? Aux analogies qu’il avait découvertes dès 1801 et 1806, il en eût, d’année en année, ajouté un grand nombre d’autres ; mais qu’eussent prouvé ces faciles succès ? Supposons qu’il eût réussi, au prix des travaux de sa vie entière, à retrouver, sans nulle exception, chez tous les animaux de deux familles, de deux ordres, de deux classes voisines, les mêmes matériaux diversement modifiés ; que la démonstration de l’analogie, entre les êtres de ce groupe, eût été par lui portée jusqu’à l’évidence, nous devrions, sans doute, à l’auteur une série de résultats d’un grand intérêt, un exemple à suivre à l’égard des autres groupes du règne animal ; mais nous eût-il laissé une Méthode générale et l’Unité de composition ? Incontestablement non. De ce que deux groupes voisins peuvent être ramenés l’un à l’autre, conclure à la possibilité de réduire aussi à un type commun deux groupes distants l’un de l’autre dans l’échelle, ce serait évidemment conclure du moins au plus, et l’on sait comment les logiciens qualifient une telle manière de raisonner.

Si de la comparaison des petites différences, il n’y avait rien à déduire à l’égard des grandes, la marche inverse, dans un sujet trop immense pour être traité dans son entier par un seul homme, était la seule que l’on pût suivre. Point d’autre alternative que de rejeter dans un avenir indéfini la démonstration de l’Unité de composition, ou de l’aborder par son côté le plus ardu. Un esprit timide n’eût vu que le péril ; Geoffroy Saint-Hilaire ne le méconnut pas[13] ; mais il vit surtout le progrès, et il s’y dévoua.

On comprend maintenant pourquoi la démonstration de l’Unité de composition organique a été fondée sur la solution même de ces questions qui eussent semblé en devoir être le complément. Les épreuves les plus difficiles étaient les meilleures ; car elles étaient les plus décisives.

Voilà le secret de cette prédilection apparente de Geoffroy Saint-Hilaire pour ces questions que ses prédécesseurs avaient laissées complétement en dehors de leurs recherches, et que ses contemporains eux-mêmes n’avaient point posées. Plus on était d’accord pour les juger ou présentement inaccessibles ou absolument insolubles, plus il aura à cœur de les résoudre. Ainsi, de tous les appareils des Poissons, l’opercule était celui que l’on s’accordait à regarder comme le plus essentiellement propre au type ichthyologique ; il retrouvera, non cet appareil, mais ses éléments, chez les Vertébrés aériens[14]. Les Poissons sont muets, et le larynx, par cela même qu’on le définissait l’organe de la voix, ne pouvait exister chez eux : il réformera une définition qui n’est applicable qu’à un certain nombre de groupes du règne animal ; il la généralisera, et les pièces laryngiennes pourront être cherchées avec succès chez les Poissons[15]. Les Ovipares et les Vivipares étaient regardes comme deux groupes profondément séparés par les conditions essentiellement différentes de leurs appareils reproducteurs : c’est par l’étude de ces appareils mêmes qu’il entreprendra de ramener ces deux groupes à un type commun[16]. Les Oiseaux et une partie des Reptiles s’éloignent des autres Vertébrés par la substitution aux dents d’un bec corné : il fera la découverte, proverbialement impossible, d’un système dentaire chez les Oiseaux[17]. Voilà comment il prouvera l’Unité de composition à l’égard des Vertébrés ; et aussitôt, et même avant d’avoir porté jusque-là sa démonstration, il franchira les limites du premier embranchement zoologique pour arriver aux Articulés[18] ; puis celles de l’ordre normal lui-même, pour donner à ses comparaisons et à ses déductions toute l’extension dont elles sont rationnellement susceptibles[19].

Comment analyser tous les travaux que nous venons de rappeler, tous ceux par lesquels l’auteur les a complétés depuis ? Nous ne saurions même les énumérer tous ici[20], et nous devons nous contenter de citer quelques exemples. Nous choisirons, à ce titre, ceux où se montre surtout, dans la pensée de l’auteur, cette audace d’innovation qui était, nous croyons l’avoir établi, une nécessité de l’état de la science. Telles sont la détermination de l’opercule, la découverte du système dentaire des Oiseaux, les recherches sur les animaux articulés, et les premiers Mémoires sur les Monstres, véritable point de départ d’une science nouvelle, d’une autre anatomie comparée.

VI.

C’est sur la détermination des nageoires, du sternum, du crâne des Poissons, que Geoffroy Saint-Hilaire avait assis, en 1806 et 1807, les premiers fondements de la démonstration de l’Unité de composition organique : c’est à l’étude des autres parties de leur squelette, de leurs organes respiratoires, de leur opercule surtout, qu’il demande, dix ans plus tard, une confirmation de la vérité de sa théorie. La Philosophie anatomique commence donc précisément où s’arrêtent les Mémoires de 1806 et de 1807 : elle en est la suite immédiate.

Comment cette suite s’est-elle fait attendre si longtemps ? La première partie de la démonstration appelait si naturellement la seconde, qu’un intervalle de dix années, mis entre l’une et l’autre, étonne l’esprit et semble inexplicable. L’œuvre de Geoffroy Saint-Hilaire perdrait-elle ici ce caractère éminemment logique qu’elle nous a offert jusqu’à présent ? Lui-même, au commencement de la Philosophie anatomique, a repoussé ce reproche : ce qu’il pouvait, ce qu’il devait faire, il l’a fait : poser, dès 1806, le problème dans toute son étendue ; en porter dès lors la solution aussi loin que possible ; s’efforcer de la compléter, en y songeant toujours, jusqu’à ce qu’il l’eût obtenue.

Jamais savant ne fut plus fidèle à la maxime consacrée par les simples, mais sublimes paroles de Newton. Le point le plus difficile, le nœud de la démonstration de l’Unité de composition organique à l’égard des Poissons, c’est la détermination de l’opercule : Geoffroy Saint-Hilaire l’avait compris dès 1806[21] ; il l’avait dit en 1807[22] ; et nous avons la preuve qu’en 1808, sur les bords du Tage, qu’en 1809 et dans les années suivantes[23], il poursuivait, avec la plus vive ardeur, des travaux dont les Mémoires de 1806 et 1807 n’étaient véritablement que le prélude[24] Et sur les bancs mêmes de la Chambre des Représentants, au milieu des dangers de la patrie, il trouvait encore des moments pour suivre, dans sa pensée, ces vues que, sans son double enseignement, on eût pu croire depuis longtemps abandonnées.

Et après tant d’efforts inutiles, ce fut, comme il arrive si souvent aux inventeurs, par une illumination subite et en apparence spontanée de son esprit, qu’une solution lui apparut. Au milieu d’une conversation avec Cuvier, vers le commencement de 1817, il lui vint que les os de l’opercule ne sont autres que les os de l’oreille portés à leur maximum de développement. Cette pensée fut aussitôt communiquée à Cuvier : « C’est impossible, » lui répondit son illustre collègue. Mais un examen attentif des éléments de la question, amena bientôt Cuvier à d’autres idées. Et lorsque quelques mois plus tard, il rédigea le Rapport annuel sur les travaux de l’Académie, il n’hésita pas à déclarer que la nouvelle détermination de Geoffroy Saint-Hilaire, très-hardie sans doute, était peut-être, dans toute sa théorie, celle qu’il serait le plus difficile d’attaquer[25].

Voici, autant qu’il est possible de l’indiquer en peu de mots, comment Geoffroy Saint-Hilaire a conçu, et comment il a justifié sa détermination. Lorsqu’il avait comparé, en 1806 et 1807, les os crâniens des Poissons à ceux des Vertébrés supérieurs, il était resté, de part et d’autre, quatre pièces sans analogues reconnus ; d’une part, les quatre os operculaires ; de l’autre, les quatre os de l’oreille. Faire ce rapprochement, c’était presque poser cette question[26] : Ces quatre pièces ichthyologiques sans analogues ne seraient-elles pas précisément les représentants de ces quatre pièces, réputées propres aux Vertébrés supérieurs ? Mais que de différences entre les unes et les autres ! Combien de fois l’idée d’une analogie entre elles dut se présenter à Geoffroy Saint-Hilaire avant qu’il osât s’y arrêter ! Tout d’un coup le jour se fait dans son esprit : Oui, les différences sont immenses, mais elles portent toutes sur la grandeur, la forme et la fonction, non sur les caractères qui seuls peuvent servir de base à une détermination rigoureuse, les caractères de connexion ; et ceux-ci sont les mêmes de part et d’autre. La pièce ichthyologique que les auteurs nomment préopercule, s’articule avec la caisse, le temporal et le jugal ; et sur une apophyse qu’elle porte inférieurement, s’articule le condyle de la mâchoire inférieure : c’est donc le cadre du tympan. Et ainsi des autres pièces : chacun des osselets de l’oreille est le représentant rudimentaire, et par cela même appelé à des usages accessoires, de l’un des éléments si richement développés de l’appareil operculaire[27]. De plus, et par une conséquence nécessaire aussi du Principe des connexions, ce vaste canal respiratoire qui, chez les Poissons, met en communication la cavité branchiale et la bouche, retrouve son représentant dans ce canal étroit, mais semblablement disposé, qui, chez les animaux à poumons, porte le nom de Trompe d’Eustache. N’est-il pas singulier de voir cette détermination qui, en 1817, étonna à un si haut degré les anatomistes, en quelque sorte devinée par le simple bon sens public ? Le nom d’ouïes n’est-il pas donné de temps immémorial aux cavités respiratoires des Poissons ?

Geoffroy Saint-Hilaire n’est arrivé à sa détermination de l’opercule, qu’en faisant abstraction, selon le principe fondamental de sa nouvelle méthode, de la fonction des parties qu’il avait à comparer. Et cependant, la physiologie devait venir, quelques années plus tard, confirmer cette analogie, déduite des seuls caractères de la connexion. Quel est le nerf de l’appareil operculaire, le nerf qui se distribue à ses muscles et par conséquent préside aux mouvements respiratoires ? Le facial, porté ici, comme l’appareil auquel il se distribue, à son maximum de développement. Si la détermination de l’opercule est exacte, ce nerf doit, pour que les connexions soient conservées, pénétrant dans le conduit auditif interne, aller chercher, chez l’Homme et les animaux supérieurs, les osselets de l’oreille et leurs muscles. C’est ce qui a lieu en effet ; mais à cette similitude, théoriquement nécessaire, une autre des plus remarquables est venue s’ajouter : chez les Mammifères, chez l’Homme lui-même, le nerf facial, en même temps qu’il remplit d’autres usages, conserve en partie cette même fonction qu’il présente à son maximum de développement chez les Poissons : il reste nerf respirateur. Fait d’un haut intérêt, déduit par Charles Bell d’expériences sur les animaux vivants, vérifié en France, expérimentalement aussi, par M. Magendie, et bientôt confirmé par M. Serres, d’une part à l’aide d’observations pathologiques, de l’autre, comme une conséquence rationnelle de l’analogie de l’opercule avec les os de l’oreille.

« Si d’une part, dit à ce sujet l’illustre anatomiste[28], la découverte de M. le professeur Geoffroy Saint-Hilaire confirme les idées physiologiques de Charles Bell, de l’autre, ces vues physiologiques donnent à la détermination des os de l’opercule une certitude qui ne saurait être contestée. Ainsi ces deux sciences, l’anatomie comparative et la physiologie expérimentale, se prêtent un mutuel secours, s’éclairent réciproquement et se touchent par les points les plus éloignés, lorsque des méthodes philosophiques dirigent les observateurs dans leurs recherches. »

VII.

La détermination de l’opercule avait été le fruit d’une alliance intime entre l’observation et le raisonnement : dans la recherche du système dentaire des Oiseaux, le raisonnement intervint comme précurseur et comme guide de l’observation vers une découverte qu’elle seule pouvait faire.

Elle la fit en 1821, ou, pour mieux dire, elle confirma et établit, en fait, un résultat qui était, depuis quinze ans, dans la pensée de Geoffroy Saint-Hilaire. Dès l’année même où il avait eu l’heureuse idée d’étendre ses comparaisons au fœtus ; dès 1806, il avait trouvé chez la Baleine franche, à l’état fœtal, des germes de dents, placés dans une gouttière dont les maxillaires inférieurs sont alors longitudinalement creusés. Faire la découverte d’un système dentaire chez le fœtus de la Baleine, et le prévoir chez le fœtus de l’Oiseau, ce fut presque pour l’auteur une seule et même chose. Mais comment vérifier cette prévision ?

Geoffroy Saint-Hilaire avait rapporté d’Égypte une Autruche, morte au sortir de l’œuf : il l’observe ; il en examine les mandibules inférieures ; il y retrouve les mêmes gouttières que chez le fœtus de la Baleine ; mais, dans ces gouttières, point de dents.

N’en avait-il jamais existé ? Il fallait évidemment recourir à l’observation d’Oiseaux d’un autre âge ou d’une autre espèce. Plusieurs tentatives restèrent de même sans succès. Mais, en 1821, une Perruche à collier s’étant reproduite à Paris, deux œufs, parvenus au terme de l’incubation, furent remis à Geoffroy Saint-Hilaire, et les fœtus qu’ils contenaient, ayant pu être examinés à l’état frais, la découverte, attendue depuis tant d’années, fut enfin acquise à la science. Chacune des mandibules portait une rangée très-régulière de tubercules de forme variable, mais tous très-simples, non enchâssés dans les maxillaires. Ces tubercules recouvraient des bulbes ou noyaux pulpeux, parfaitement analogues aux noyaux sur lesquels se forment les dents, et dans lesquels des vaisseaux et nerfs, disposés en une sorte de cordon, pénétraient à travers l’os. Les tubercules ou dents étaient, chose singulière, en nombre impair à l’une et à l’autre mâchoire, dix-sept à la supérieure, treize à l’inférieure ; mais, à celle-ci, il existait outre les noyaux pulpeux des treize dents, une autre série de bulbes sphériques, ayant de même leurs cordons de vaisseaux et de nerfs, et tels que sont les germes dentaires chez l’Homme au troisième mois de la vie intra-utérine.

Le fœtus de l’Oiseau, avant d’avoir un bec corné, a donc des dents, et même, comme les fœtus de Mammifères, il a, pour l’une des mâchoires au moins, un double appareil dentaire. Mais que deviennent ces tubercules, ces noyaux pulpeux, primitivement si apparents ? La matière cornée du bec se forme sur ces noyaux pulpeux, comme sur les noyaux pulpeux des dents des Mammifères se dépose la matière éburnée. Ainsi, dit Cuvier, dans un lucide résumé du travail de son collègue[29], « un bec d’Oiseau représenterait ces dents que l’on appelle composées, comme sont, par exemple, celles de l’Éléphant, et qui consistent en une série de lames ou de cônes dentaires, coiffant chacun une lame ou un cône pulpeux, et réunis tous ensemble en une seule masse, par l’émail et le cortical : la différence ne consisterait que dans la nature de la substance transsudée par les noyaux, et dans l’absence perpétuelle d’alvéoles et de racines. »

Et encore, ajouterons-nous, cette triple différence entre le bec et les dents de certains Vertébrés, n’existe que si l’on considère celles-ci dans l’Éléphant ou dans telle autre espèce en particulier. Elle s’évanouit dès que l’on arrive à comparer, comme on doit le faire en anatomie philosophique, la série tout entière des espèces. Les alvéoles ne manquent-ils pas chez divers animaux ? Et, par exemple, les dents ne sont-elles pas chez les Squales, adhérentes aux gencives seules ? Le défaut de racines ne s’observe-t-il pas jusque dans la classe des Mammifères ? Et l’un de ceux-ci, l’Ornithorhynque, ne nous fournit-il pas un exemple de dents cornées, incontestablement plus semblables, par leur constitution physiologique et chimique[30], au bec des Oiseaux qu’aux dents calcaires des autres Mammifères ?

Les Oiseaux ont donc temporairement des dents, dans le sens spécial de ce mot ; ils en ont toujours, dans le sens le plus large et par conséquent le plus philosophique, le seul vrai, le seul admissible en anatomie comparée. Définirez-vous la dent un organe de mastication ? les dents de la plupart des Ovipares, celles des Cétacés eux-mêmes, ne seraient plus des dents. Direz-vous avec Cuvier que les dents sont des corps osseux, implantés dans les mâchoires ? que ferez-vous alors des dents non enchâssées, des dents des Squales et de tant d’autres, seulement adhérentes aux gencives ? La dent sera-t-elle seulement caractérisée pour vous par sa constitution anatomique et chimique ? Sera-ce simplement un corps dur, composé, comme les os, de phosphate calcaire ? vous aurez alors considérablement étendu le cercle ; mais la dent cornée de l’Ornithorhynque restera encore en dehors. Pour la comprendre, vous devrez faire abstraction de la structure comme de la disposition, de la fonction, et à plus forte raison de la forme et de la grandeur ; et dès lors, votre définition, basée principalement sur les caractères de connexion, et devenue générale, est applicable au bec de l’Oiseau comme à la dent cornée de l’Ornithorhynque.

Et maintenant est-il besoin de faire remarquer que les recherches sur le système dentaire des Oiseaux, ont eu deux résultats, fort inégalement brillants sans doute, et dont un seul a frappé tous les esprits, mais au fond d’une importance presque égale : la vérification, sur un point où elle semblait hors de tout espoir, de l’Unité de composition, et la sanction des principes posés par l’auteur pour la détermination des organes : en d’autres termes, la confirmation, d’une part, de la généralité de sa Théorie, de l’autre, de la rectitude, de la puissance de sa Méthode. C’est le sentiment de ce double progrès qui animait Geoffroy Saint-Hilaire, lorsqu’il se laissait entraîner à dire, lui si réservé d’ordinaire dans l’appréciation de ses propres travaux : « Si nous ne nous sommes pas abusé dans l’exposition des considérations précédentes, c’est ici le triomphe de la doctrine des analogues. »

VIII.

Nous arrivons à un travail dont la hardiesse étonne encore aujourd’hui : comment à l’origine n’en eût-on pas condamné la témérité ? Disons-le à l’avance : au milieu de l’orage qu’il souleva contre son auteur, une seule chose le surprit : c’est que la condamnation de ses idées ne fût pas d’abord unanime ; c’est qu’il se fût trouvé quelques esprits assez avancés pour les comprendre dès l’origine.

En 1818, Geoffroy Saint-Hilaire s’était cru en droit de dire : « Présentement que toutes exceptions disparaissent, on peut proclamer loi de la nature, l’Unité de composition organique pour tous les animaux vertébrés. » C’est ainsi que l’auteur, à la fin du premier volume de la Philosophie anatomique, résume et ce livre et les Mémoires de 1806 et 1807.

En 1821, quelques mois avant la découverte du système dentaire des Oiseaux, Geoffroy Saint-Hilaire avait eu le bonheur d’entendre Cuvier lui-même donner à ses vues, devant l’Académie des sciences, une adhésion très-explicite. L’anatomie comparative, rendue à sa dignité par l’esprit philosophique ; un grand mouvement imprimé à la science ; les rapports les plus délicats saisis ; une extrême hardiesse dans les conceptions, justifiée par des découvertes imprévues et en quelque sorte merveilleuses ; la détermination des parties extérieures et intérieures du thorax, presque entièrement obtenue ; le crâne des animaux vertébrés incontestablement[31] ramené à une structure uniforme, et ses variations à des lois : tel est le brillant tableau, dans lequel Cuvier, au moment où s’ouvre l’année 1821, retrace les progrès récemment accomplis par Geoffroy Saint-Hilaire, par lui-même[32] et par quelques autres zootomistes.

Ainsi, dès 1820, la démonstration de l’Unité de composition était assez avancée à l’égard des Vertébrés, pour que les anatomistes dussent porter au delà leurs pensées, et se poser cette question :

La Loi de Geoffroy Saint-Hilaire, vraie des Vertébrés, ne l’est-elle que de cet embranchement ?

Est-il possible de ramener de même à un type commun, par la Méthode de Geoffroy Saint-Hilaire, chacun des embranchements inférieurs du règne animal ?

Et si cela est, est-il possible d’aller plus loin encore, de déterminer, par une plus haute abstraction, les rapports communs des divers embranchements, et d’étendre la Loi de Geoffroy Saint-Hilaire au règne animal entier ?

Ainsi, à l’égard de chaque embranchement, il y avait deux problèmes à résoudre : comparer, au point de vue de la détermination des analogies, d’une part, les diverses classes de l’embranchement entre elles, de l’autre, l’embranchement lui-même avec les autres grandes divisions du règne animal.

De ces deux problèmes, Savigny avait, dès 1814, abordé le premier à l’égard des Articulés : dans un savant Mémoire sur la bouche de ces animaux, il en avait suivi les diverses pièces au milieu de leurs innombrables métamorphoses ; il les avait retrouvées et montrées partout identiques à elles-mêmes, et il était arrivé à cette conséquence générale : quelque forme qu’affecte la bouche des Insectes, elle est toujours composée des mêmes éléments. Savigny n’avait exécuté, on le voit, qu’un travail partiel, mais sur l’une des questions les plus difficiles de l’anatomie entomologique, et avec une fermeté, une rigueur de démonstration, que l’on ne saurait trop admirer dans une époque si voisine de l’origine de l’anatomie philosophique. Comment, les zootomistes ne se seraient-ils pas engagés dans cette voie si habilement ouverte ? Aux recherches de l’ami de Geoffroy Saint-Hilaire, de son illustre compagnon en Égypte, succèdent bientôt celles, plus générales, de l’un de ses élèves les plus distingués. De longues recherches sur toutes les parties dures des animaux articulés, sont entreprises par Audouin, à l’aide de la nouvelle méthode de détermination ; et dès le commencement de 1820, ce savant célèbre, si malheureusement et si prématurément enlevé aux sciences, proclame, comme le résultat le plus général de ses recherches, l’analogie de toutes les pièces du squelette, non plus seulement chez les Insectes, mais dans l’embranchement tout entier des animaux articulés[33].

Ainsi, parallèlement aux recherches de Geoffroy Saint-Hilaire et de ses successeurs sur les Vertébrés, s’est poursuivie depuis 1814 et se poursuit chaque jour encore, à l’égard des Articulés, une série ininterrompue de travaux dont le dernier mot est encore l’Unité de composition organique.

Mais qui osera aller plus loin et aborder le second problème ? Qui osera, au-dessus de la comparaison des Vertébrés entre eux et des Articulés entre eux, placer la comparaison générale des Vertébrés avec les Articulés ? Ce sera le créateur lui-même de la méthode de détermination, à l’aide de laquelle seule le succès, s’il est possible, sera obtenu[34].

Il fallait bien que celui qui avait commencé et poursuivi la démonstration à l’égard des Vertébrés, osât du moins la commencer à l’égard du règne animal tout entier. Il le fallait pour déterminer le degré de généralité de la loi de l’Unité de composition. Il le fallait encore, parce que l’anatomie des animaux articulés semblait fournir une objection d’une extrême gravité contre le Principe des connexions, et par conséquent contre la méthode nouvelle de détermination : la position du système nerveux, dorsale chez les animaux vertébrés, est, au contraire, inférieure au canal alimentaire dans les animaux articulés. C’est là, disait-on, une infraction évidente, une exception décisive à cette loi de la fixité des connexions, ordinairement observée par la nature[35].

Voilà le point de départ des recherches de Geoffroy Saint-Hilaire en 1819 ; en voici les deux résultats généraux, réduits à leur expression la plus simple :

Les anneaux des Articulés sont leurs noyaux vertébraux devenus extérieurs, comme le sont les côtes et le sternum chez les Chéloniens. La forme tubuleuse de ces vertèbres extérieures représente l’un des premiers états de la vertèbre chez l’embryon des animaux supérieurs ; état que les Poissons, certaines espèces à un degré très-marqué, conservent pendant toute leur vie, comme l’a montré Geoffroy Saint-Hilaire. Les Articulés, dit l’auteur, vivent donc au dedans de leur colonne vertébrale comme les Mollusques au sein de leur coquille, qui est pour eux une sorte de squelette contracté.

Les organes intérieurs sont en réalité, chez les Articulés, disposés selon le même ordre, et ils ont les mêmes relations que leurs analogues chez les Vertébrés. La différence est dans le rapport de l’ensemble de l’être avec le sol. Chez les Vertébrés la face ventrale du corps est la face inférieure. Chez les Articulés c’est précisément l’inverse : le dos est en bas et le ventre en haut. Donc, en retournant un Vertébré, vous le placez dans la même situation qu’un Articulé, et réciproquement. Double renversement que la nature nous présente dans quelques espèces exceptionnelles ; d’une part, chez quelques Poissons qui se tiennent habituellement sur le dos[36], par conséquent dans la station normale des Articulés ; et de l’autre, chez plusieurs Crustacés et Insectes aquatiques, qui nagent, comme disent les entomologistes, sur le dos, par conséquent, selon Geoffroy Saint-Hilaire, sur le ventre : leur anomalie reproduit précisément la station normale des Vertébrés, le cœur ou son représentant étant en bas, et le système nerveux en haut.

Les Articulés sont donc des Dermo-vertébrés, et ils ont une attitude inverse de celle des Vertébrés proprement dits : voilà en deux mots le résumé de la doctrine de Geoffroy Saint-Hilaire sur les animaux articulés.

Cette doctrine, qui la comprit d’abord ? Un médecin, Hallé, qui l’appuya de sa parole ; un physicien, Ampère, qui, en l’adoptant, tenta même, presque aussitôt, de la compléter : on se souvient encore de la vive sensation produite par son Mémoire, publié d’abord sous le voile de l’anonyme[37]. Les naturalistes ne vinrent qu’ensuite, et cela devait être : pour adopter, pour discuter même les idées si nouvelles de Geoffroy Saint-Hilaire, ne leur fallait-il pas vaincre le plus invincible de tous les obstacles, rompre avec d’anciennes habitudes d’esprit et de langage, faire en quelque sorte table rase ? Audouin, si bien préparé par ses propres recherches sur l’anatomie entomologique, en eut le premier le courage ; et, dès 1823, affranchi de l’autorité acquise des anciennes doctrines sans céder à l’entraînement des nouvelles idées, il appréciait, dans des articles remarquables par leur lucidité autant que par leur sage modération, la valeur des faits déjà produits par Geoffroy Saint-Hilaire à l’appui de ses déterminations, et la nécessité de preuves nouvelles sur plusieurs points capitaux.

Elles ne se sont pas fait attendre ; et si la composition vertébrale du squelette demande encore un complément de démonstration, la station renversée des Articulés est aujourd’hui, nous ne craignons pas de le dire, rigoureusement prouvée. L’anatomie philosophique a eu ici pour auxiliaires la physiologie et l’embryogénie ; et ce qu’elle avait annoncé et établi par la méthode qui lui est propre, ces deux dernières sciences l’ont mis en évidence, l’une expérimentalement, l’autre par l’observation.

On a reconnu depuis quelques années que chacun des cordons nerveux sous-intestinaux des animaux articulés est composé de doubles éléments, de deux cordons, l’un inférieur, l’autre supérieur. Quelles sont les fonctions de l’un et de l’autre ? Les expériences de M. Newport sur les Insectes, celles de M. Longet sur les Crustacés nous l’ont appris : le cordon supérieur donne naissance aux nerfs du mouvement, l’inférieur aux nerfs sensitifs. C’est l’inverse de ce qui a lieu chez les animaux vertébrés, où, comme chacun le sait, les racines postérieures sont sensitives et les antérieures motrices ; en sorte que l’expérience, comme l’ont fait remarquer déjà M. Doyère et M. Brullé, a donné précisément le résultat que l’on eût pu déduire a priori des vues de Geoffroy Saint-Hilaire.

Objectera-t-on que des expériences aussi délicates laissent toujours quelque incertitude sur leurs résultats[38] ? Nous l’admettrons ; mais voici une vérification embryogénique dont l’esprit le plus sceptique ne saurait contester la valeur. Herold suit, en 1824, le développement des Araignées ; Rathke, en 1829, celui de l’Écrevisse : un résultat singulier, facile à prévoir dans la théorie de Geoffroy Saint-Hilaire, les frappe l’un et l’autre : le jaune de l’œuf, le vitellus adhère à la région que tous les entomologistes avaient appelée dorsale, à celle que Geoffroy Saint-Hilaire avait dite ventrale. Geoffroy Saint-Hilaire avait donc eu raison contre tous : il reste constant que le dos d’un Articulé représente le ventre d’un Vertébré, et réciproquement ; et que chez l’un et chez l’autre, la position relative des organes étant semblable, la situation de l’ensemble est inverse. Ainsi, dit notre célèbre et regretté Dugès[39], la différence entre le Vertébré et l’Invertébré se réduit à une différence d’attitude.

Était-ce donc, ajoute, après un résumé de tous ces faits, l’un des zootomistes distingués que nous venons de citer, « était-ce donc par un simple effet du hasard que M. Geoffroy prédisait ainsi, nombre d’années à l’avance, des découvertes que nous devons ranger parmi les plus belles que l’on ait faites, dans ces derniers temps, en histoire naturelle ? Nous le voulons bien, pourvu qu’on nous accorde que c’est un de ces hasards qui ont mérite aux hommes dont l’humanité s’honore le plus, le titre sublime d’hommes de génie[40]. »

IX.

Après une tentative hardie de l’esprit comme après un effort violent du corps, il est dans notre nature de sentir le besoin du repos. Geoffroy Saint-Hilaire ira-t-il chercher, en de plus faciles travaux, le seul délassement qu’il connut jamais ? Non : il venait d’oser beaucoup : il osera davantage encore. Ses recherches sur les Articulés datent à peine d’une demi-année, on commence à peine à les comprendre, que l’auteur s’avance au delà : il entreprend de ramener à l’Unité de composition les Monstres eux-mêmes.

Il n’est point douteux que ce n’ait été là, à l’origine, le seul objet de ses recherches sur la Monstruosité : lui-même l’a dit plusieurs fois ; par exemple, de la manière la plus explicite, à la fin de la Philosophie anatomique : « Je venais d’imaginer une nouvelle méthode de détermination tant des organes que de leurs matériaux constitutifs, et il me parut que j’en connaîtrais mieux toute la valeur comme moyen d’investigation, si je parvenais à en faire l’essai sur ce qu’il y avait dans la nature de plus désordonné. »

Mais où Geoffroy Saint-Hilaire ne cherche qu’un complément de démonstration, il trouve une science tout entière à créer. Dès les premiers pas, il a reconnu que, chez les Monstres les plus anomaux, un grand nombre d’organes qui semblaient avoir disparu, ne sont que réduits dans leur volume et modifiés dans leur disposition ; il les a déterminés rigoureusement d’après leurs connexions, seules conservées au milieu de toutes leurs variations ; il a recueilli ainsi des preuves nouvelles et frappantes, à la fois à l’appui de la Loi de l’Unité de composition et de la nouvelle Méthode de détermination. Le but qu’il s’était d’abord proposé, est donc atteint, et il peut revenir à ses études ordinaires. Mais il n’hésite pas : la mine qu’il vient d’ouvrir est trop riche pour qu’il l’abandonne si tôt ; il poursuit son œuvre, et le second volume de la Philosophie anatomique est presque entièrement consacré à l’étude des phénomènes de la Monstruosité. Il a fallu, nous le verrons, bien des années pour que la tératologie fût constituée à l’état de science ; bien des années encore pour que, reliée, comme l’anatomie comparée, et plus directement encore, à l’embryogénie, elle vînt se placer entre l’une et l’autre, et les éclairer toutes deux. Mais, nous le demandons, parmi tous les progrès fondamentaux, accomplis depuis un quart de siècle, soit par Geoffroy Saint-Hilaire lui-même, soit par ses contemporains et ses successeurs, combien en est-il qu’il n’ait, ou pressentis, ou déjà en partie réalisés, au début même de ses recherches ?

Que le lecteur veuille bien jeter avec nous les yeux sur la Philosophie anatomique, et même, sans aller au delà, sur les trois premières des six parties[41] dont se compose cet ouvrage, et il répondra avec nous à cette question : Pas un seul peut-être.

L’organisation des Monstres est soumise à des règles, à des lois, et ces lois ne sont autres que les lois générales de l’organisation : quel auteur, venu après Geoffroy Saint-Hilaire, a donné de cette grande vérité une expression plus nette et plus ferme que celle que nous trouvons à la tête de son second Mémoire ? « Je n’admets pas plus de physiologie spéciale pour des cas d’organisation vicieuse, dit-il, que de physique particulière au profit de quelques faits isolés et laissés sans explication. Il y a Monstruosité, mais non pas pour cela dérogation aux lois ordinaires ; et il le faut bien, s’il n’y a à embrasser dans ces considérations que des matériaux toujours similaires. » La Monstruosité n’est donc pas un désordre aveugle ; ce n’est pas même un autre ordre également régulier : c’est, dans une autre série de faits, l’ordre même que nous admirons dans l’ensemble des espèces animales.

Par cela même, et c’est la première conséquence que déduit Geoffroy Saint-Hilaire, l’étude des Monstruosités qui, selon les anciennes idées, ne pouvait que satisfaire une vaine curiosité, revêt un caractère scientifique, et prend place à côté de l’étude des êtres normaux. « Quand les uns, s’écrie-t-il, ont tout dit, ou à peu près, faisons parler les autres ! » Et il montre aux observateurs, à côté de la zoologie normale, une zoologie pathologique, nouveau champla moisson la plus riche doit récompenser les efforts des travailleurs.

Dans cette zoologie pathologique, que nous appelons aujourd’hui Tératologie (alors elle n’avait pas même un nom), sera-t-il possible d’introduire la méthode et les classifications de la zoologie normale ? Dès son premier Mémoire, Geoffroy Saint-Hilaire affirme qu’on le pourra et qu’on le devra ; et, en dépit de mille objections qui s’élèvent autour de lui, il le prouve, comme, dans l’antiquité, le philosophe de Sinope prouvait le mouvement : en marchant. La classification des Monstres acéphales, présentée sous le titre modeste d’Essai, subsiste encore aujourd’hui en grande partie, et elle est le point de départ de tout ce qu’on a fait depuis dans cette direction.

L’auteur fait un autre rapprochement non moins heureux entre la zoologie normale et la zoologie pathologique. Il justifie le nom dont il s’est servi, en signalant la concordance des conditions des êtres normaux et de celles des Monstruosités. « Une anomalie pour une espèce, dit-il[42], retombe dans ce qui est la règle pour une autre. » Et l’Homme lui-même dévie rarement de son type régulier, sans que quelques-uns de ses organes présentent les dispositions normales de l’un des êtres placés au-dessous de lui dans la série.

Cette répétition fréquente des traits caractéristiques d’une espèce par les anomalies d’une autre, n’a pas plutôt frappé Geoffroy Saint-Hilaire qu’il en recherche et en découvre la cause générale : comment eût-elle échappé à celui qui le premier, et dès 1806, avait éclairé des vives lumières de l’embryogénie l’anatomie comparée elle-même ? Un Monstre est, pour lui, un être, chez lequel ne se sont point accomplies toutes les transformations qui devaient l’élever successivement à son type normal ; un être qui a subi un retardement de développement ; qui est, à quelques égards, resté embryon, comme si la nature se fût arrêtée en chemin pour donner à notre observation trop lente le temps et les moyens de l’atteindre. Idée fondamentale que Meckel avait déjà conçue depuis quelques années, mais au point de vue de la doctrine de la préexistence des germes, si vivement combattue à diverses reprises par Geoffroy Saint-Hilaire.

Ainsi, non-seulement la régularité fondamentale des Monstres est reconnue, mais leurs désordres méthodiques, comme les appelle Geoffroy Saint-Hilaire, sont ramenés à de simples inégalités dans le développement. Et, puisque telle est aussi la théorie des différences normales des espèces, on est également fondé à considérer la tératologie, comme une embryogénie permanente, ou comme une autre anatomie comparée. Ainsi, trois sciences d’abord cultivées isolément, sont désormais indissolublement unies, ou plutôt elles se confondent en une seule et même science dont les trois branches, se servant réciproquement de complément, d’explication et de criterium, devront chaque jour, ensemble et l’une par l’autre, s’élever d’un vol plus sûr vers de plus hautes vérités.

Voilà le résumé, non de tous les travaux tératologiques de Geoffroy Saint-Hilaire (nous reviendrons bientôt sur eux), non pas même du second volume de la Philosophie anatomique, mais des trois premiers Mémoires de cet ouvrage.

À cette question : Qu’est-ce qu’un Monstre ? la science répondait encore au commencement de ce siècle : Un jeu de la nature ; un être créé en dehors de toute règle, en l’absence de toute fin. Et la philosophie croyait pouvoir ajouter : C’est un échantillon de ces lois du hasard qui, selon les athées, doivent avoir enfanté l’univers ; Dieu les a permis pour nous apprendre ce que c’est que la création sans lui[43].

La Philosophie anatomique est venue, au contraire, répondre : Les Monstres ne sont pas des jeux de la nature ; leur organisation est soumise à des règles, à des lois rigoureusement déterminées ; et ces règles, ces lois sont identiques à celles qui régissent la série animale ; en un mot, les Monstres sont d’autres êtres normaux ; ou plutôt : il n’y a pas de Monstres, et la Nature est une.

X.

Résumons ce long Chapitre, et achevons de caractériser la Philosophie anatomique.

Il est donné à beaucoup d’hommes d’enrichir la science de faits nouveaux, à quelques-uns d’y créer des théories nouvelles, à un bien petit nombre d’y introduire un esprit nouveau. De ces trois genres de progrès, plus le dernier est d’un ordre élevé, et plus il échappe à l’appréciation équitable, soit des contemporains, soit de la postérité elle-même.

Celui qui vient dire aux hommes de son temps, à ses émules, engagés tous ensemble dans les mêmes voies : Quittez cette direction, et suivez-moi ! celui qui ose imprimer à la science un mouvement nouveau, par cela même qu’il va contre les doctrines régnantes, semble aller contre les principes : il subit le sort de tous les novateurs ; il est taxé de témérité, et la réforme qu’il propose, est repoussée.

Mais, avec le temps, la vérité triomphe : les hommes les plus avancés, puis les savants d’une portée ordinaire, puis les retardataires eux-mêmes, viennent au novateur, adoptent ses idées, entrent dans ses voies. Mais, au sein de son triomphe, et par son triomphe même, un autre danger le menace. Quand tous marchent avec lui, quand tous sont pleins de l’esprit dont il a animé la science, il peut arriver, après quelque temps, que cette direction, cet esprit, par cela même qu’ils sont devenus la direction, l’esprit de tous, et qu’on n’en comprend plus d’autres, semblent avoir été toujours ceux de la science. C’est une illusion, c’est un oubli dans lequel il est difficile de ne pas tomber. En cueillant les fruits d’un arbre, songeons-nous aux efforts de celui qui autrefois, quand nous n’étions pas encore, laboura péniblement le sol pour y déposer une précieuse semence ?

La Philosophie anatomique date d’un quart de siècle seulement : quelque chose de semblable n’arrive-t-il pas déjà pour elle ? Il y a, dans ce livre, un grand nombre de faits nouveaux, une théorie nouvelle, et un esprit nouveau. Ces faits, il n’est point de zootomiste qui ne les cite, et ne rapporte à Geoffroy Saint-Hilaire le mérite de leur découverte ; cette théorie, tous, aussi bien ceux qui la combattent encore, que ceux qui l’adoptent et l’admirent, en savent l’origine, et le nom de son auteur y reste attaché ; mais tous reconnaissent-ils également dans la Philosophie anatomique la source féconde de cet esprit nouveau, dont la science se montre de plus en plus animée ; de cet esprit d’induction et de généralisation qui a pénétré et pénètre chaque jour jusque dans les travaux de l’école la plus opposée à celle de Geoffroy Saint-Hilaire ?

Non, sans doute. À entendre plusieurs zootomistes, il semblerait que la Théorie de l’Unité de composition organique fût la Philosophie anatomique tout entière, et que cette Méthode nouvelle, caractérisée par l’alliance de l’observation et du raisonnement, ait toujours régné dans la science.

Si, quinze ans seulement, après les mémorables débats de Cuvier et de Geoffroy Saint-Hilaire, le sens en est déjà obscurci à ce point, que sera-ce après une longue suite d’années ? Que serait-ce du moins, si, dans les écrits du temps, ne subsistaient d’impérissables témoins, que nous avons, que l’on aura toujours le droit et le devoir d’interroger ? À quelque époque que ce soit, en les évoquant devant lui, l’historien de la science pourra se faire, par la pensée, spectateur de la lutte des deux écoles ; il pourra entendre par lui-même Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire exposant et défendant, de 1828 à 1832, leurs vues si contraires ; l’un voulant l’observation presque exclusive, l’exposé des faits et du détail de leurs circonstances[44] ; l’autre, la généralisation logique, l’emploi de nos plus belles facultés, le jugement et la sagacité comparative, aussi bien que de toutes les autres, afin qu’après l’établissement des faits viennent leurs conséquences scientifiques[45]. Il pourra voir, au moment de cette discussion si justement célèbre, la plupart des naturalistes se partager entre les doctrines des deux chefs d’école, quelques-uns aussi rester incertains, et attendre pour se prononcer le jugement de l’avenir. Il pourra, remontant à l’instant même de la publication de la Philosophie anatomique, se rendre compte de la sensation produite par elle dans le monde savant, et la voix des contemporains lui apprendra s’il s’agissait, en 1818 et en 1822, exclusivement de la théorie de l’Unité de composition, ou bien, avant tout, d’une direction nouvelle d’idées, de la création d’une méthode dont cette théorie, quelque fondamentale qu’elle soit, n’était que la conséquence et le fruit[46].

À ce point de vue, qui est celui de l’histoire, il n’y a, il ne peut y avoir doute : le grand, le suprême caractère de la Philosophie anatomique, de tous les travaux de Geoffroy Saint-Hilaire, de tous ceux de ses disciples, c’est l’émancipation de la pensée, trop longtemps enchaînée à la suite des faits et de l’observation.

En vain Schelling, avant Geoffroy Saint-Hilaire, avait tenté de s’ouvrir, par le seul effort de son esprit, l’accès des hautes régions de la science. Peu de naturalistes (aucun en France) l’avaient suivi dans les voies périlleuses où il s’avançait. Cuvier et son école, c’est-à-dire la presque-universalité des zoologistes, s’étaient même fait de son exemple une arme en faveur de l’observation presque exclusive.

Ainsi, deux écoles, non-seulement diverses, mais directement opposées, marchaient, en sens inverse, dans des voies où elles ne pouvaient, ni se rencontrer, ni se comprendre. Nous honorons, nous admirons les travaux de toutes deux ; mais, ni à l’une, ni à l’autre n’appartenait, ne pouvait appartenir la vérité tout entière.

Schelling et cette école célèbre des Philosophes de la nature dont il fut le fondateur et le chef, avaient pris pour guide l’imagination qui enfante des systèmes, et non le raisonnement, solidement appuyé sur les faits, qui seul crée les théories. Schelling avait osé dire : Philosopher sur la nature, c’est créer la nature. Et, pour lui, pour ses disciples, les faits étaient les conséquences de formules abstraites, et non les formules des généralisations logiques des faits[47].

Schelling donnait donc tout à la pensée, comme Cuvier et son école donnaient tout à l’observation[48]. L’un faisait la science grande comme la création elle-même ; mais il la composait d’hypothèses qui, dans la haute sphère où les tenait son abstraction, planaient, pour ainsi dire, au-dessus des faits sans les atteindre. Les autres, préoccupés seulement du besoin de rigueur dans leur méthode et de certitude dans leurs résultats, n’osaient s’élever au-dessus des faits, de peur de s’égarer en les perdant de vue, comme autrefois, les navigateurs, faute de boussole, se voyaient obligés de suivre timidement la côte.

Ainsi, d’une part, des hypothèses générales ne reposant pas sur les faits ; de l’autre, des faits dont les conséquences n’étaient pas déduites : un édifice suspendu sur le vide, et de solides fondements sans édifice.

L’école de Geoffroy Saint-Hilaire pense, comme celle de Cuvier, que le premier besoin de la science est la certitude, d’où la nécessité de l’observation. Mais, en même temps elle croit, comme celle de Schelling, que l’observation ne saurait donner qu’une idée étroite et imparfaite de l’ensemble du règne animal ; que, si elle suffit pour en retracer les traits épars, le raisonnement, la pensée seuls peuvent apercevoir cet admirable réseau de rapports et d’harmonies, qui unit entre elles toutes les parties de l’œuvre du Créateur.

Voilà ce qu’il y a de commun, et voilà aussi ce qu’il y a de profondément différent entre Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier, entre lui et Schelling. Comme Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire procède des faits et de l’observation, mais il ne s’y arrête pas : il cherche à en suivre les conséquences aussi loin qu’il le peut rationnellement. Comme Schelling et ses disciples, il cherche à s’élever à une conception générale de l’organisation animale ; mais il veut la faire dériver des faits, et non la déduire d’un type idéal, admis a priori[49].

De là la nécessité logique de l’emploi successif de l’observation et du raisonnement : l’une, élément de certitude ; l’autre, de puissance et de grandeur : l’une, source unique de la connaissance des faits naturels ; l’autre, de la découverte des rapports, des généralités, et finalement des lois de la nature. La science, comme elle a deux ordres de vérités à connaître, aura désormais deux méthodes. Après avoir recueilli tous les enseignements qu’il peut devoir au témoignage des sens, le naturaliste osera s’élever, par la pensée, vers de plus générales et de plus hautes vérités ; et dans cette lutte si inégale de l’esprit humain contre les difficultés infinies de l’étude des êtres vivants, il ne se présentera plus désarmé de ses plus nobles et plus belles facultés, et semblable au soldat qui, de peur de se blesser lui-même, aurait jeté ses armes sur le champ de bataille.

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  1. Voyez page 83.
  2. Paroles extraites de la lettre déjà citée ; voy. p. 200
  3. Mémoires de 1806.

    Le nom d’anatomie générale, si Bichat ne l’eût appliqué déjà à l’anatomie de texture, convenait mieux que tout autre à la nouvelle anatomie de Geoffroy Saint-Hilaire.

  4. Règne animal, tom. Ier, première édition, p. 12 ; et deuxième édition, p. 10
  5. Voyez les remarques déjà présentées sur les travaux, soit zootomiques (ch. V), soit zoologiques (ch. II, IV, et VI).
  6. De la connaissance de Dieu et de soi-même. chap. 1, §. XIII.
  7. C’est ainsi que Geoffroy Saint-Hilaire l’a lui-même caractérisée.
  8. Geoffroy Saint-Hilaire avait d’abord appliqué spécialement à l’une de ces règles le nom de Théorie des analogues ; l’usage auquel nous nous conformons ici, l’a depuis longtemps étendu à toutes.
  9. Philosophie anatomique, tom. Ier, p. xxxviij.
  10. Avant les travaux de Geoffroy Saint-Hilaire, les os rudimentaires (par exemple, les clavicules d’un grand nombre de Mammifères) étaient le plus souvent jetés comme inutiles, même dans le laboratoire d’anatomie comparée du Muséum. Un grand nombre de squelettes de la collection ont été ainsi rendus incomplets, et le sont encore.
  11. L’auteur en avait d’ailleurs senti la nécessité dès 1806, et déjà même il l’avait indiquée dans plusieurs passages de ses Mémoires.
  12. Nous n’ignorons pas que, tout récemment, un célèbre astronome anglais a douté que la loi de Newton s’étendit jusque sur Uranus. Mais qui a partagé ce doute ? Personne. On a pensé de toute part que les formules jusqu’alors admises pour Uranus, et non la loi, se trouvaient en défaut, et l’on a entrepris leur révision. Il en sera de cette difficulté que vient d’élever M. Airy, comme des objections de Clairaut au dix-huitième siècle ; elles semblaient fort graves d’abord ; à l’examen elles se sont évanouies, et le calcul ayant été rectifié, la loi s’est trouvé confirmée par une preuve de plus. L’histoire de l’astronomie offre plusieurs exemples semblables. (Nous avons cru devoir laisser cette note telle qu’elle a été écrite, huit mois avant l’admirable découverte de M. Le Verrier.)
  13. Le premier volume de la Philosophie anatomique a pour épigraphe ces mots de Cicéron : Cujusvis est hominis errare. Voyez aussi la Préface.
  14. Philosophie anatomique, tom. Ier.
  15. Ibid., tom. Ier.
  16. Ibid., tom. II, et Mémoires publiés en 1822, 1823 et 1827 dans les Mémoires du Muséum d’histoire naturelle, tom. IX, X et XV.
  17. Mémoire lu à l’Académie des sciences en 1821, et publié, avec additions, en 1824, sous ce titre : Système dentaire des Mammifères et des Oiseaux.
  18. Mémoires publiés en 1820 dans le Journal complém. des sciences médicales, nos de février, mars et avril, et réimprimés dans les Annales générales des sciences physiques de Bruxelles, même mois.
  19. Philosophie anatomique, tom. II.
  20. Voyez, à la fin de ce livre, la liste des ouvrages et mémoires de Geoffroy Saint-Hilaire.
  21. « Quand, il y a douze ans, dit-il dans le premier volume de la Philosophie anatomique (p. 15), je m’occupai de donner la détermination des os du crâne, il me parut, avant d’avoir apprécié les difficultés de cette entreprise, que je n’en éprouverais de réelles qu’à l’égard des pièces de l’opercule… Aussi je me proposai d’abord la recherche des os operculaires, et n’examinai ce qui était au delà et en deçà, que dans la pensée d’arriver pas à pas à ce qui me paraissait en ce lieu la principale et presque la seule anomalie. »
  22. Annales du Muséum d’histoire naturelle, tom. X, p. 342.
  23. Toutefois, vers 1812, l’auteur interrompit quelque temps ses recherches sur cette difficile question, et il eût presque voulu, lui-même nous l’apprend, l’écarter de sa pensée. « J’avais eu, dit-il, la faiblesse de considérer comme insurmontables les difficultés de mon sujet. »
  24. Expressions empruntées à l’un de ses écrits, inséré dans le tome XII des Mémoires du Muséum..
  25. « Du moins, ajoute Cuvier, en n’employant que la voie de comparaison. » Ces mots, fort obscurs, paraissent se rapporter à une objection que Cuvier a développée plus tard, et qui, sans doute, était déjà dans son esprit : Comment les os de l’oreille, que l’on voit décroître des Mammifères aux Reptiles, renaîtraient-ils, considérablement développés dans les Poissons, sous la forme d’opercules ? Geoffroy Saint-Hilaire a répondu à cette objection dans le tome XII des Mémoires du Muséum, et à d’autres dans le tome XI du même recueil.
  26. Spix, avant Geoffroy Saint-Hilaire, l’avait posée, et dès 1815, dans la Cephalogenesis, il avait hasardé une réponse affirmative. On lit, en effet, dans l’explication des planches, à la suite du chiffre qui correspond aux os operculaires : Malleus, stapes, incus. L’auteur n’entre d’ailleurs dans aucune explication : ce n’est donc pas une démonstration, mais une simple indication. Spix avait suivi, en 1809, avec beaucoup d’assiduité et d’intérêt, les leçons de Geoffroy Saint-Hilaire ; il était parfaitement au courant de la méthode du professeur, et il n’est nullement étonnant que le maître et l’élève se soient rencontrés dans une voie commune.
  27. Geoffroy Saint-Hilaire s’est depuis attaché dans plusieurs travaux, à confirmer et à préciser ses déterminations. Voyez particulièrement son grand travail sur la Composition de la tête osseuse de l’homme et des animaux (Annales des sciences naturelles, t. III, p. 173 et 245, 1824) ; travail dans lequel l’auteur considère le crâne comme composé d’éléments vertébraux. Les vertèbres sont, selon lui, au nombre de sept. On voit que l’auteur qui, partout ailleurs, se livre à la recherche des analogies existant entre les divers êtres, s’est occupé ici de cette classe particulière d’analogies que les Allemands ont appelées Homologies, c’est-à-dire, des analogies existant entre les diverses parties du même être. C’est le seul travail étendu qu’il ait fait dans cette direction.
  28. Anatomie comparée du cerveau, tom. Ier, p. 456.
  29. Analyse des travaux de l’Académie des sciences, pendant l’année 1821, p. 37.
  30. L’examen des dents de l’Ornithorhynque au point de vue chimique, a été fait en 1812 par notre célèbre chimiste M. Chevreul.
  31. « Personne n’en peut douter », dit Cuvier. Voy. son Rapport sur les travaux d’Audouin, qui a été inséré en entier dans les Annales générales des sciences physiques de Bruxelles, t. VII, p. 396.
  32. Outre son beau travail de 1812 sur la tête osseuse, Cuvier avait fait, sur la bouche des Poissons, des recherches qu’il résume ainsi dans son Analyse de 1814 : « On y retrouve au fond (dans la bouche des Poissons) toutes les pièces qui appartiennent à celle des Quadrupèdes. Mais quelques-unes y sont plus subdivisées, et une partie de leurs subdivisions y sont quelquefois réduites à une petitesse telle qu’elles n’y peuvent remplir leurs fonctions, et que l’on éprouve même de la difficulté à les apercevoir. »
  33. Voici en quels termes le rapporteur à l’Académie des sciences, M. Duméril, résumait, le 20 mars, le travail d’Audouin sur les parties dures des Articulés :

    « M. Audouin établit, comme une règle, qu’il existe dans le tronc un même nombre de pièces, et que les mêmes organes entrent dans leur composition ; que toutes les différences, même les plus anomales, sont toujours dues au développement plus ou moins grand de certaines de ces pièces. » Voy. les Annales des sciences physiques de Bruxelles, t. IV, p. 87.

    Dans un travail plus considérable sur le même sujet, présenté quelques mois après, Audouin a donné lui-même, comme conclusion générale, cette proposition : « Ce n’est que de l’accroissement semblable ou dissemblable des segments, de la réunion ou de la division des pièces qui les composent, du maximum de développement des uns, de l’état rudimentaire des autres, que dépendent toutes les différences qui se remarquent dans la série des animaux articulés. » (Annales des sciences naturelles, t. Ier, p. 116. Voyez aussi p. 112.)

    En citant ce passage dans son Histoire naturelle des Crustacés (t. Ier, p. 17), M. Milne Edwards ajoute : « Il n’est pas de notre sujet de démontrer ici l’analogie de structure qui existe entre le squelette extérieur des Crustacés et celui des Insectes ; mais l’étude comparative que nous allons faire de cet appareil dans les premiers, fournit un grand nombre de faits à l’appui de ce corollaire. » Plusieurs de ces faits sont d’un grand intérêt pour l’anatomie philosophique, et nous regrettons de ne pouvoir que renvoyer le lecteur à l’ouvrage où ils sont exposés.

  34. Geoffroy Saint-Hilaire avait à peine abordé ce problème, que Latreille l’abordait aussi, et proposait une solution fort différente de celle que venait de donner son collègue, mais également conforme à la doctrine de l’Unité de composition. Voici la conclusion du Mémoire de Latreille sur le Passage des animaux vertébrés aux invertébrés ; mémoire lu à l’Académie des sciences, le 10 janvier 1820 : « Considéré simplement à l’extérieur, un Crustacé décapode brachyure n’est qu’une sorte de Poisson dont la région operculaire ou jugulaire s’est agrandie en manière de thorax… ; dont l’autre partie du corps est divisée en segments, etc. » Voyez le Mémoire de Latreille, à la suite de son travail, intitulé : De la formation des ailes des Insectes, in-8o Paris, 1820 ; ou l’extrait inséré dans les Annales générales des sciences physiques de Bruxelles, tom. III, p. 250.
  35. Meckel le reconnaît, tout en insistant sur la gravité de l’objection. « La nature, dit-il, y met même une sorte de pédanterie (fast pedantisch). Voyez son System der vergleichenden Anatomie, tom. Ier, p. 21, 1821.
  36. Par exemple, le Gemel, Pimelodus membranaceus de Geoffroy Saint-Hilaire, qui a lui-même constaté ce fait, déjà connu des anciens Égyptiens.
  37. Dans le tome II des Annales des sciences naturelles, p. 295. — Deux articles complémentaires parurent quelques mois plus tard dans le même recueil, t. III, p. 199 et 453.
  38. Depuis que ceci est écrit, M. Mandl, dans ses recherches toutes récentes sur les mouvements des nerfs, a fait, chez la Sangsue, des observations qui concordent parfaitement avec les précédentes, et il a, de plus, reconnu que le renflement que l’on remarque à la racine antérieure, est, par sa structure, un véritable ganglion. « J’avais comparé d’abord le premier (le filet ganglionnaire), ajoute cet habile observateur dans une note qu’il a bien voulu nous communiquer, aux racines postérieures des Vertébrés, et le second aux racines antérieures. Mais l’examen détaillé m’a bientôt convaincu que chez la Sangsue, ce sont au contraire les racines antérieures qui portent le ganglion, et que les racines postérieures vont aux muscles. Ce fait, qui m’avait arrêté dans mes recherches, puisque je cherchais le contraire, s’accorde en réalité parfaitement avec tous les faits connus. En effet, les Sangsues marchent, comme tant d’autres Invertébrés, sur le dos… ; le système nerveux est donc renversé comme les autres organes ; ce qui est antérieur devient postérieur, et vice versa… Quelques expériences m’ont donné la conviction que les fonctions de ces filets correspondent à celles des racines des animaux supérieurs, en prenant pour base de comparaison le renversement indiqué. »
  39. Physiologie comparée, tom. Ier, p. 82. Voyez aussi le bel ouvrage de ce savant sur la Conformité organique.
  40. Doyère, Leçons d’histoire naturelle, p. 211.
  41. Pag. 5 à 102 ; p. 103 à 124, et p. 125 à 153.
  42. Il avait conçu cette idée, du moins pour quelques cas particuliers, dès 1800. Voyez plus haut, p. 138.
  43. Expressions de Chateaubriand dans le Génie du christianisme.
  44. Voyez plus haut, Chap. V, p. 127.
  45. Voyez plus haut, Chap. V, p. 128.
  46. Parmi les nombreux écrits dont la Philosophie anatomique, au moment de sa publication, a été le sujet, il en est deux que les noms de leurs auteurs nous prescrivent de citer de préférence, ceux de M. Flourens et de M. Frédéric Cuvier (tous deux insérés dans la Revue encyclopédique, 1819 et 1823, et de plus, le premier, publié à part, et traduit dans le Mercure grec par M. Piccolo).

    Nous citerons un passage de l’Analyse de la Philosophie anatomique par M. Flourens, le premier et assurément l’un des plus remarquables de ses ouvrages. L’auteur s’attache particulièrement à déterminer l’influence future du livre de Geoffroy Saint-Hilaire sur la physiologie et sur l’anatomie.

    « Il est également dangereux pour les sciences, dit M. Flourens, et d’accumuler sans cesse des matériaux sans s’élever à aucune idée générale, et de vouloir pour ainsi dire deviner ces idées, avant qu’elles soient sorties d’elles-mêmes des observations déjà acquises. La disposition d’esprit qui porte à ces deux écueils, est, comme on voit, tout à fait opposée : je l’appelle dans un cas l’esprit de précipitation, et dans l’autre l’esprit de routine. »

    L’auteur montre ensuite comment les Grecs imaginèrent au lieu d’observer, et comment les modernes sont surtout observateurs. « Le temps est venu, continue-t-il, de les avertir que des observations toutes nues finissent toujours par être stériles… La direction contraire (à celle de la recherche des analogies) pouvait perfectionner l’anatomie spéciale des divers animaux ; mais, par ses progrès mêmes, elle détournait de plus en plus d’une anatomie réellement comparative. On courait après les détails, et l’on s’éloignait à chaque pas des rapports généraux, les seuls néanmoins qui constituent les sciences, parce qu’ils ne sont que l’expérience généralisée. Cette contradiction affligeait les bons esprits, et il régnait parmi eux une hésitation générale que des observateurs superficiels prenaient déjà pour de l’impuissance… C’est au milieu de cette hésitation même qu’a paru tout à coup la Philosophie anatomique, ouvrage étonnant et destiné à faire partager désormais à l’anatomie comparée le titre, si honorable pour nous, de science française, que la chimie reçut du génie de Lavoisier, que Bernard de Jussieu mérita peut-être à la botanique, et que Cuvier a dès longtemps acquis à la zoologie. La publication de cet ouvrage fixera donc la date d’une direction nouvelle pour les études anatomiques. »

  47. « Ces philosophes ont voulu, a dit Cuvier dans un Rapport à l’Académie des sciences, non-seulement lier ensemble tous les êtres animés par des analogies successives, mais déduire a priori la composition générale et particulière des lois universelles de l’ontologie et de la métaphysique la plus abstruse. »
  48. Voyez plus haut, p. 127.
  49. Tel est le véritable caractère de la doctrine de Geoffroy Saint-Hilaire. Le Discours préliminaire et l’Introduction du tome Ier de la Philosophie anatomique, sont déjà écrits dans cet esprit. Se déterminer seulement d’après l’analogie, ou se rendre trop difficile sur les faits, ce sont, l’auteur insiste fortement sur cette vérité, ce sont deux extrêmes, deux écueils entre lesquels est la véritable route de la science. L’anatomie philosophique cherchera à ne point s’en écarter ; elle marchera par degré, s’efforçant de n’exagérer (chose difficile au début) ni la hardiesse, ni la prudence, et créant ainsi peu à peu sur l’ensemble de l’organisation une doctrine non imaginée a priori, mais découlant des faits observés.

    Dans le Discours préliminaire du tome II, Geoffroy Saint-Hilaire est plus explicite encore : « Dans l’ordre progressif de nos idées, c’est le tour présentement des recherches philosophiques, qui ne sont que l’observation concentrée des mêmes faits, que cette observation étendue à leurs relations, et ramenée à la généralité par la découverte de leurs rapports. » En s’engageant dans des voies aussi différentes de celles de Schelling, Geoffroy Saint-Hilaire a toujours professé la plus vive admiration pour les efforts des savants allemands. « L’Allemagne…, cette admirable nation…, » a-t-il dit, à l’occasion des Philosophes de la nature, dans l’un de ses derniers écrits.