Théorie mathématique de la lumière/2/Chap.10

Georges Carré (2p. 227-255).

CHAPITRE X


THÉORIE DE LA DISPERSION DE HELMHOLTZ

136. Dans tout ce qui précède, nous avons admis implicitement que le milieu étudié était homogène, et nous avons écrit nos équations comme si la vitesse de propagation était indépendante de la longueur d’onde Ceci est vrai, si la propagation s’effectue dans le vide, mais n’est plus exact si la propagation s’effectue dans un milieu réfringent. En se bornant au spectre visible, l’indice de réfraction ou rapport de la vitesse dans le vide à la vitesse dans le milieu, peut se représenter assez exactement par l’expression :

et étant des constantes.

En ajoutant un terme

cette formule représente encore assez bien la variation de l’indice dans le spectre ultra-violet.

Mais pour le spectre infra-rouge aucune de ces formules ne suffit.

Briot avait été conduit par des prévisions théoriques à penser que l’expression de devait contenir un terme en mais, les expériences sur le spectre visible n’ayant pas mis l’existence de ce terme en évidence, il fut amené à rejeter les vues théoriques qui avaient été son point de départ. Au contraire, pour bien représenter les phénomènes dans le spectre infra-rouge, il est nécessaire d’introduire ce terme.

La théorie doit encore rendre compte d’un autre phénomène : quand un rayon lumineux traverse un milieu, il s’affaiblit en général et l’expérience montre que cet affaiblissement dépend de la longueur d’onde Le spectre est parsemé de bandes ou de lignes obscures, souvent fort étroites qui occupent la place des radiations les plus affaiblies.

Enfin il faut expliquer les phénomènes de dispersion anormale
Fig. 32.
qui consistent en ce qui suit :

Si un faisceau de lumière blanche traverse un prisme creux, formé par des lames de verre à faces parallèles et contenant une dissolution de fuchsine, les rayons verts sont absorbés et remplacés dans le spectre par une bande obscure. Si la dispersion était normale en se déplaçant dans un certain sens d’une extrémité à l’autre du spectre, on trouverait le rouge, le jaune, la bande noire, le bleu et le violet (fig. 32). Au lieu de cela, on trouve le bleu, le violet, la bande noire, le rouge et le jaune. L’indice de réfraction ne croît donc pas constamment avec il croît du rouge au jaune, puis décroît et enfin croît du bleu au violet : la courbe qui représente en fonction de présente un maximum et un minimum.

Cette disposition anomale qui a été observée aussi sur d’autres corps paraît intimement liée à l’absorption.

137. Hypothèses de Helmholtz. — Helmholtz, remarquant qu’il n’y a pas de dispersion dans le vide, attribue ces phénomènes à l’action des molécules matérielles sur les molécules d’éther ; il cherche à tenir compte dans les équations du mouvement, de cette action en même temps que des actions mutuelles des molécules d’éther.

Soient la densité de l’éther, un élément de volume de cet éther : les composantes du déplacement, les projections sur les axes de la résultante de toutes les forces qui agissent sur l’élément (rapportées à l’unité de volume). Les équations du mouvement seront :

(1)

Les forces qui agissent sur la molécule d’éther sont de deux sortes : 1o  les forces qui proviennent des autres molécules d’éther : soit la projection de leur résultante sur l’axe des 2o  les forces provenant des molécules matérielles : soit la projection de leur résultante. Nous aurons :

se calculera comme dans le cas d’un milieu non dispersif (§ 12).

Pour trouver considérons une molécule matérielle de coordonnées et une molécule d’éther après le déplacement ces coordonnées deviennent :

et

L’attraction entre ces deux molécules étant supposée proportionnelle à une certaine fonction de leur distance sa projection sur l’axe des sera :

puisque est une fonction des différences etc.

Quand les molécules se sont déplacées, la distance et la force auront varié, et

D’où

Dans l’état d’équilibre, toutes les forces doivent avoir une résultante nulle : donc Il reste :

Ceci montre que doit être une fonction linéaire des différences etc.

Si nous supposons pour le moment le milieu isotrope, rien ne distingue une direction de l’autre, ne doit pas changer quand on change de signe à la fois et ou et donc, et :

de même

Comme rien ne distingue non plus les axes de coordonnées l'un de l’autre,

Helmholtz pose

(2)

et les équations du mouvement des molécules d’éther prennent la forme

(3)

Il introduit de cette façon trois nouvelles inconnues, il faut trouver, pour les déterminer, trois autres équations, ce seront celles qui représentent le mouvement des molécules matérielles.

Soit la densité de la matière :

se compose de deux termes : un terme provenant de l’action des molécules d’éther sur les molécules matérielles. En vertu du principe de l’action et de la réaction, ce terme est égal à et un autre terme représentant les actions des molécules matérielles l’une sur l’autre.

Helmholtz fait le calcul comme si, parmi les molécules matérielles, les unes participaient au mouvement de l’éther, et les autres restaient sensiblement immobiles. Les premières agiraient seules sur l’éther, on ne voit pas bien pourquoi. Les molécules immobiles, au contraire, exerceraient deux sortes d’action :

1o  Une espèce d’attraction sur les molécules mobiles, tendant à les ramener dans leur position d’équilibre. Cette action est analogue à celle des molécules matérielles sur les molécules d"éther que nous avons étudiée tout à l’heure. Nous avons trouvé comme expression de cette dernière

Par les mêmes considérations nous trouverions ici des expressions de la forme puisque le déplacement de l’une des molécules est nul.

2o  Les molécules immobiles exerceraient sur les molécules mobiles une sorte de frottement proportionnel à leur vitesse, etc. Donc

Les équations deviennent

(4)

Les systèmes (3) et (4) forment ainsi six équations qui définissent Ce que nous désignons par c’est donc non pas la densité de la matière totale, mais celle de la matière mobile seulement.

Le mouvement sera-t-il encore transversal ? Pour qu’il en soit ainsi, nous savons qu’il faut que

Différencions la première des équations (3) par rapport à la deuxième par rapport à la troisième par rapport à ajoutons et opérons de même sur le système (4) nous trouverons :

(5)

Ces relations montrent que, si à l’origine des temps

sont nuls, il en est de même de toutes leurs dérivées par rapport au temps : donc et sont identiquement nuls.

Par conséquent, si on part du repos, et sont toujours nuls.

Il en sera encore de même si le mouvement est périodique.

Posons en effet :

et ne dépendant que de

Nous avons vu déjà que, si la partie réelle de cette expression satisfait à des équations de la forme des équations (3) et (4), l’expression entière y satisfait également.

Nous aurons :

Substituons dans les équations (5)

Dans la seconde équation le coefficient de devant être nul, la première donne alors

Par conséquent, si le mouvement est périodique, il est transversal.

138. Cas particulier des ondes planes. — Supposons en particulier que :

c’est-à-dire que le déplacement soit parallèle à et ne dépende que de et de nous aurons une onde plane parallèle au plan des Le mouvement étant transversal ce qui se réduit à :

Les deux dernières équations de chacun des systèmes (3) et (4) sont satisfaites d’elles-mêmes, il reste seulement :

(6)

système de deux équations à deux inconnues.

Nous allons en particulier étudier les ondes planes périodiques ; nous chercherons donc à vérifier ces équations en posant :

Alors

Substituons dans les équations (6)

ou :

Posons pour abréger

La seconde équation devient

Multiplions les deux équations en croix, et s’éliminent il reste :

(7)

sera en général une quantité complexe. Posons

et la partie réelle de est :

est donc représenté par une fonction périodique de et de multipliée par une exponentielle ayant un exposant négatif proportionnel à la vibration est, par conséquent une vibration pendulaire dont l’amplitude décroît suivant une loi exponentielle à mesure que croît : il y a donc absorption. sera le coefficient d’absorption. En appelant la période de la vibration, nous avons :

si est la longueur d’onde dans le milieu considéré

étant la vitesse de la lumière dans le vide, l’indice de réfraction du milieu, la vitesse de la lumière dans ce milieu sera :

d’où

La partie réelle de est proportionnelle à l’indice de réfraction, et la partie imaginaire au coefficient d’absorption.

139. Hypothèses de Helmholtz sur l’ordre de grandeur des coefficients. — Pour simplifier la discussion, Helmholtz prend comme unité de temps la durée d’une vibration moyenne (celle de la raie D, par exemple), et comme unité de longueur la longueur d’onde de cette vibration dans le vide.

Grâce à ce choix, et sont finis, l’unité de vitesse est la vitesse de la lumière dans le vide et :

La théorie de Helmholtz se rattache au groupe des théories qui supposent la vibration perpendiculaire au plan de polarisation. L’élasticité est alors une constante qui dans notre système d’unités est égale à

En outre Helmholtz suppose que est fini, tandis que sont des infiniment petits du premier ordre, et un infiniment petit d’ordre supérieur ; mais cependant très grand vis-à-vis de sera par exemple un infiniment petit d’ordre

La valeur de est donnée par l’équation (7) :

est fini. est du premier ordre comme puisque est fini.

Dans le troisième terme, la partie réelle de est du premier ordre, la partie imaginaire d’ordre Posons :

sera une quantité finie puisque sont du premier ordre.

Alors

Tant que ne sera pas très voisin de la partie réelle sera du premier ordre : comme est du second ordre, le terme sera du premier ordre. Si au contraire devient très voisin de devient d’ordre et d’ordre

140. Explication de l’existence des raies. — Pour discuter les valeurs de nous allons construire la courbe dont les points ont pour coordonnées

l’allure de cette courbe nous fera connaître la manière dont varie avec

Dans ce but, construisons d’abord la courbe qui représente

L’hypothèse la plus simple que nous pouvons faire, c’est que n’est pas compris dans le spectre observable.

Dans ces conditions, est du premier ordre. — La partie réelle de est du premier ordre et la partie imaginaire qui est d’ordre est négligeable.

Le second membre est toujours positif puisque est le seul terme fini et est essentiellement positif ; donc est toujours réel et se réduit à il n’y a pas d’absorption sensible.

Ce second membre est une fonction rationnelle de et peut être décomposé en éléments simples :

d’où

Ces deux coefficients et sont essentiellement positifs, il en résulte que va constamment en croissant quand croît, les rayons dont la longueur d’onde est la plus courte seront les plus réfrangibles.

Supposons en particulier alors et :

Si correspond à une radiation située en dehors du spectre observable, en-deçà de l’infra-rouge, pourra se développer suivant les puissances croissantes de c’est-à-dire suivant les puissances croissantes de ce qui ne peut s’accorder avec les expériences. Si correspond à une radiation située au-delà de l’ultra-violet, se développera suivant les puissances de ou de ce qui est conforme aux observations.

Dans l’infra-rouge, l’expression de Cauchy développée suivant les puissances croissantes de n’est plus suffisante : il faut ajouter le terme de Briot en il suffit ici de supposer ou

D’après l’hypothèse que nous avons faite sur la quantité imaginaire étant négligeable, la courbe qui représente
Fig. 33.
diffère peu de l’axe des quantités réelles (fig. 33). Nous obtenons un spectre à dispersion normale.

141. Supposons à présent que corresponde à une radiation faisant partie du spectre observable.

Deux cas sont à distinguer :

1o  Nous considérons des points pour lesquels est notablement différent de nous faisons varier d’une part de la valeur qu’il prend à l’extrémité de l’infra-rouge jusqu’à d’autre part, de jusqu’à la valeur correspondant à l’extrémité de l’ultra-violet.

Dans ces conditions ne devient jamais nul. La partie réelle de est du premier ordre, la partie imaginaire qui est d’ordre est négligeable, nous retombons sur les formules précédentes.

est réel et la courbe s’écarte peu de — Si varie de à part de croît jusqu’à valeur qu’il atteint pour saute brusquement de à quand traverse la valeur et croît ensuite de à valeur atteinte pour

Dans les deux intervalles

la courbe diffère peu de l’axe des quantités réelles. Mais,
Fig. 34.
quand est très petit, les deux segments empiéteront en général l’un sur l’autre : autrement dit, les deux arcs de courbe se croiseront (fig. 34).

2o  Nous considérons des valeurs de comprises entre et est alors un infiniment petit d’ordre la partie réelle et la partie imaginaire sont alors toutes les deux d’ordre .

Nous pouvons prendre comme valeur approchée de le second membre dans lequel nous aurons remplacé par l’erreur ainsi commise sera très petite, puisque diffère très peu de et nous écrirons :


Fig. 35.

Les deux premiers termes sont constants, le troisième seul dépend de

Construisons le point qui représente la quantité complexe :

La partie imaginaire est constante et la partie réelle croissante avec le point décrira donc de gauche à droite une parallèle à l’axe des quantités réelles (fig. 35).

Construisons maintenant le point qui représente la quantité :

Pour l’obtenir, il faut faire un angle égal à l’angle et prendre tel que :

Le lieu de sera une circonférence décrite dans le sens de la flèche.

Il nous faut enfin construire le point

ce point décrira une circonférence dans le sens indiqué par la flèche (fig. 35). La partie de la courbe qui s’éloigne notablement de l’axe des présente donc sensiblement la forme d’une circonférence.

Par conséquent la courbe réelle possédera un point double et une boucle.

Le calcul montre que cette boucle existe tant que

Si ces deux quantités sont égales, on a un point de rebroussement. Si la première devient plus petite, le point double disparaît, le second membre de l’inégalité est fini, ce qui montre que doit être du même ordre que et quand la boucle existe.

La courbe en a même allure que la courbe en Soit en
Fig. 36.
effet le point qui représente (fig. 36).

Pour obtenir le point qui représente il faut mener la bissectrice de l’angle et prendre Quand décrit une courbe, avec point double il en est de même de et les points doubles se correspondent.


Fig. 37.

Les dimensions de la boucle sont variables. Si n’est plus très petit et notablement plus grand que la boucle est très petite. Quand la courbe s’éloigne de cela veut dire qu’il y a absorption, la boucle correspond à une bande noire. Si elle est peu prononcée, la perturbation est insignifiante et le spectre présente une dispersion normale (fig. 37).

Si la boucle est fortement accentuée (fig. 38), comme dans le cas d’un prisme de fuchsine, au-dessus d’une certaine valeur de c’est-à-dire pour la portion de la boucle située au-dessus d’une certaine parallèle à l’axe il y aura absorption. De en nous aurons l’infra-rouge ; de en le rouge ; de en le jaune ; de en le vert absorbé, d’où une bande noire ; de en le bleu ; de en le violet ; et, au-delà,
Fig. 38.
l’ultra-violet. En projetant sur l’axe des nous obtiendrons la variation de l’indice, et, comme le montre la figure, les couleurs rangées par ordre d’indice croissant se succéderont comme il suit :

Bleu, violet, (bande obscure), rouge, jaune.

142. Nous rendons compte par ces considérations de l’existence d’une seule bande obscure dans le spectre. Or les spectres observés présentent un très grand nombre de ces bandes obscures.

Dans notre analyse nous avons admis seulement trois sortes de molécules : les molécules d’éther et les molécules matérielles, les unes mobiles, les autres immobiles. Si, au lieu d’une seule espèce de molécules matérielles mobiles, nous en admettons plusieurs espèces, l’analyse nous expliquera la présence d’un plus grand nombre de bandes.

Supposons en effet qu’il y ait des molécules matérielles mobiles de espèces : soient les élongations des molécules de 1re , 2e, … e espèce.

Nous allons écrire les équations du mouvement en supposant qu’il y ait seulement deux espèces de molécules matérielles mobiles.

L’équation du mouvement de l’éther sera :

le premier terme du second membre provient de l’élasticité de l’éther, il se réduit à pour une onde plane parallèle au plan des Les deux autres termes représentent respectivement l’action des molécules matérielles mobiles de première et de seconde espèce.

Les équations du mouvement des molécules matérielles mobiles seront pour la première espèce :

et pour la seconde :

Posons, pour satisfaire à ces équations :

aura pour partie réelle l’indice de réfraction et pour partie imaginaire étant le coefficient d’absorption.

Il faudra que :

Remplaçons et par et dans la première équation, et tirons nous trouvons :

Pour discuter ce résultat, il faut, comme nous l’avons fait déjà, construire la courbe ayant pour abscisse et pour ordonnée

Nous construirons d’abord la courbe qui représente en faisant les mêmes hypothèses qu’au paragraphe précédent sur l’ordre de grandeur des coefficients.

Posons :

ou :

Tant que n’est pas voisin de la partie réelle de est du premier ordre, et la partie imaginaire qui est d’ordre supérieur peut être négligée.

est constamment positif et croissant avec Mais quand devient très voisin de on ne peut plus négliger la partie imaginaire : il y a absorption : la longueur d’onde pour laquelle correspond à une raie d’absorption. De la même manière, on montrerait que la longueur d’onde pour laquelle correspond aussi à une raie d’absorption.

La courbe diffère d’abord très peu de l’axe des puis au
Fig. 39.
voisinage de elle forme une boucle, elle se rapproche ensuite de forme une autre boucle au voisinage de et revient encore vers l’axe des (fig. 39).

Ce que nous venons de faire pour deux espèces de molécules mobiles, nous aurions pu le faire pour un plus grand nombre ; nous obtiendrons autant de boucles, et par suite, autant de raies obscures que nous considérerions d’espèces de molécules mobiles.

143. Difficultés de cette théorie. — Nous avons supposé que la densité de l’éther était finie, et la densité de la matière infiniment petite du premier ordre. C’est le contraire qu’on se figure habituellement : car on se représente en général l’éther comme une matière extrêmement subtile. Cette hypothèse paraîtra moins surprenante, si on remarque que et représentent non pas la masse entière de la matière, mais seulement celle de la matière mobile. Kirchhoff a aussi proposé de regarder et comme la densité d’atomes d’éther condensés autour des molécules matérielles.

Une autre difficulté tient à la présence de molécules immobiles. Nos équations ne tiennent pas compte des actions possibles de ces molécules sur l’éther. Nous avons supposé que les molécules mobiles de première espèce n’agissaient pas sur celles de seconde espèce, et réciproquement ; pour introduire ces actions, il suffirait d’ajouter un terme de la forme ce qui compliquerait les équations, mais n’en changerait pas la forme.

En ce qui concerne les molécules immobiles, nous allons voir qu’il est possible de les laisser de côté en introduisant en plus une espèce de molécules mobiles.

Écrivons les équations du mouvement pour trois sortes de molécules mobiles, sans molécules immobiles.

Ces équations ne contiennent que les différences etc. Si nous négligeons les termes en nous pourrons ramener, par un changement de variables, ces équations à la même forme que les précédentes.

Cette transformation sera analogue à celle que font les astronomes pour réduire le problème des trois corps. Considérons en effet trois astres, par exemple : le soleil, Jupiter et Saturne. Le problème comporte dix-huit inconnues, à savoir : les coordonnées et les vitesses de ces trois astres ; mais ce nombre peut être aisément réduit à , si l’on considère seulement les mouvements relatifs ; on rapporte ordinairement les deux planètes au soleil ; mais les équations ne conservent plus alors la forme canonique des équations de la Dynamique. Cette forme est au contraire conservée si on rapporte Jupiter au soleil, et Saturne au centre de gravité de Jupiter et du soleil. On peut faire ici quelque chose de tout à fait analogue. Il suffira de poser :

On peut supposer que le centre de gravité du système des trois molécules soit immobile c’est-à-dire, que

Tout se passera alors comme s’il n’existait que deux sortes de molécules mobiles. De ce que la théorie de Helmholtz nous conduit à des résultats conformes aux faits observés, nous ne pourrons donc conclure à l’existence de ces molécules immobiles.

On pourrait de même dans la deuxième équation remplacer par en admettant que la résistance est proportionnelle à la vitesse relative ; ce changement ne modifierait pas les résultats dans ce qu’ils ont d’essentiel ; car le rôle du terme en est seulement d’introduire un terme imaginaire qui n’acquiert une valeur sensible qu’au voisinage des valeurs remarquables de

Du reste, quelle que soit l’hypothèse que l’on fasse à cet égard, il est assez difficile de s’expliquer l’origine de ce frottement du moment où on se représente les molécules séparées les unes des autres.

144. Relation entre l’absorption et l’émission. — Quand un rayon traverse un milieu absorbant on dit souvent que le milieu absorbe les couleurs correspondant, à sa période propre de vibration, ce qui est conforme à la théorie de Helmholtz. Reprenons en effet l’équation :

Si l’éther n’existait pas, on aurait

d’où

de même pour les périodes propres du milieu sont donc données par les valeurs de qui correspondent aux raies d’absorption.

On suppose ordinairement que, quand le rayon lumineux traverse un milieu absorbant, les molécules matérielles, entraînées par celles d’éther entrent en vibration. S’il n’y a pas concordance entre les périodes, l’amplitude de ces vibrations reste très faible. S’il y a concordance, au contraire, l’amplitude va en croissant : les molécules matérielles absorbent de la force vive et leurs vibrations constituent la chaleur. D’après cette manière de voir, l’amplitude de l’élongation des molécules matérielles croît quand il y a absorption.

Dans la théorie de Helmholtz, l’amplitude d’élongation des molécules matérielles reste constante, mais il y a un frottement qui absorbe de la force vive et la transforme en chaleur.

Bien que la première conception ne soit pas facile à mettre en équation, il est probable qu’elle conduirait aux mêmes résultats que celle de Helmholtz, même en ce qui concerne la dispersion anomale, car dans nos équations le terme nous a servi seulement à exprimer l’existence de l’absorption.

Elle rendrait d’ailleurs, peut-être mieux que celle de Helmholtz, compte de l’émission des radiations par les corps qui les absorbent. Les molécules portées à haute température vibrent et communiquent leur énergie aux molécules d’éther.

Une partie des difficultés que nous avons rencontrées tiennent aussi à l’hypothèse particulière que nous avons faite sur la nature de l’onde : comme nous avons considéré une onde plane, remplissant tout l’espace, il ne peut y avoir rayonnement.

145. Théorie électromagnétique de la dispersion. — Nous savons qu’un excitateur possède une période propre et que, placé dans un champ électrique variable, il entre en vibration et devient un résonateur.

Pour expliquer les phénomènes de dispersion et d’absorption, on a supposé la matière parsemée de petits conducteurs susceptibles de jouer ainsi le rôle d’excitateurs et de résonateurs pour les oscillations extrêmement rapides qui constituent la lumière.

Voici quel avantage cette conception peut présenter. Dans la théorie de Helmholtz nous sommes obligés, pour expliquer l’existence de raies, d’imaginer espèces de molécules. Comme les raies sont extrêmement nombreuses, il nous faudrait admettre dans chaque molécule un nombre d’atomes extrêmement considérable.

Or les raies du spectre forment des groupes qui paraissent suivre des lois analogues aux lois des sons harmoniques, quoique beaucoup plus compliquées ; il semble donc qu’on devrait pouvoir trouver une relation qui permette de déduire une quelconque de ces raies des précédentes. Si cette relation existait, le nombre des raies et celui des atomes devraient être infinis, ce qui semble inadmissible.

Déjà ce problème avait frappé M. Brillouin, qui en avait cherché diverses solutions. La théorie électromagnétique aurait pu lui en fournir une nouvelle assez satisfaisante.

Le milieu est parsemé d’excitateurs de formes et de périodes diverses, répartis en un certain nombre de groupes, correspondant aux diverses sortes de molécules mobiles de Helmholtz.

Mais on sait qu’un excitateur est susceptible d’une infinité de vibrations dont les périodes obéissent à des lois analogues à celles des harmoniques d’une corde vibrante ; dans le cas des excitateurs linéaires, ces lois se réduisent à ces dernières.

Chaque groupe d’excitateurs donnera donc non pas une raie, mais une infinité de raies se succédant conformément à une certaine loi.

On retrouverait d’ailleurs, sauf cette différence, une théorie tout à fait analogue à celle de Helmholtz.

À chaque catégorie de ces excitateurs correspondra dans les équations une des composantes que nous avons appelées Les équations trouvées ont même forme que celles que nous avons écrites. Seulement l’interprétation des termes est différente ; en particulier les coefficients représenteraient les coefficients de self-induction des excitateurs, etc. ; les coefficients en représenteraient les capacités, etc.

Enfin, et c’est là un autre avantage de cette théorie sur celle de Helmholtz, les termes en ne soulèvent plus la difficulté que j’ai signalée plus haut. représentent alors les résistances de nos excitateurs, et l’énergie absorbée par ce que Helmholtz appelle le frottement n’est autre chose que la chaleur de Joule.

Les équations seraient d’une forme un peu plus compliquée que celles de Helmholtz, parce qu’il faudrait tenir compte de l’induction mutuelle des excitateurs. Mais rien de ce qui est essentiel ne serait changé. Il n’y a pas lieu du reste de faire un choix entre ces théories différentes. Ce serait très prématuré. J’ai voulu seulement, par cette discussion, montrer ce qui est essentiel dans les hypothèses de Helmholtz, et ce qui est secondaire.