« Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle/Latrines » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
m Contenu remplacé par « {{TextQuality|100%}}<div class="text"> {{NAD|L|Larmier|Lavabo|6}} <pages index="Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe s... »
 
Ligne 1 :
{{TextQuality|100%}}<div class="text">
{{NAD|L|Larmier|Lavabo|6}}
{| width=100% border="0"
| width=33%<pages styleindex="background: #ffe4b5"Viollet-le-Duc |- <center>< [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, Tometome 6,.djvu" from=166 fromsection=s2 to=173 tosection=s1 Larmier|Larmier]]</center>
<references />
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index alphabétique - L|Index alphabétique - L]]</center>
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 6, Lavabo|Lavabo]] ></center>
|-
|
| width=33% style="background: #ffe4b5" | <center>[[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index Tome 6|Index par tome]]</center>
|
|}
 
=== LATRINES ===
 
s. f. ''Privé, retrait''. Le mot ''latrines'' ne s’emploie qu’au
pluriel. On admet volontiers que nos aïeux, dans leurs maisons, palais et
châteaux, n’avaient aucune de ces commodités dont aujourd’hui on ne
saurait se passer (dans les villes du Nord au moins) ; et de ce qu’à Versailles les seigneurs de la cour de Louis XIV se trouvaient dans la nécessité de se mettre à leur aise dans les corridors, faute de cabinets, on en
déduit, en faisant une règle de proportion, que chez les ducs de Bourgogne ou d’Orléans, au XV<sup>e</sup> siècle, on ne prenait même pas tant de précautions<span id="note1" ></span>[[#footnote1|<sup>1</sup>]].
 
Cependant, si les châteaux du moyen âge ne présentaient pas des
façades arrangées par ''belle symétrie'', des colonnades et des frontons, ils
possédaient des latrines pour les nobles seigneurs comme pour la garnison
et les valets ; ils en possédaient autant qu’il en fallait et très-bien disposées. <span id=Coucy>À [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Coucy|Coucy]], les tours et le donjon du commencement du XIII<sup>e</sup> siècle
ont des latrines à chaque étage, construites de manière à éviter l’odeur
et tous les inconvénients attachés à cette nécessité. Les latrines du donjon
s’épanchent dans une fosse large, bien construite, et dont la vidange
pouvait se faire sans incommoder les habitants. Quant aux latrines des
tours, elles étaient établies dans les angles rentrants formés par la rencontre de ces tours et les courtines, et rejetaient les matières au dehors
dans l’escarpement boisé qui entoure le château.
 
Voici (1) un de ces cabinets donnant sur un palier A en communication
avec les salles et l’escalier. B est la courtine, C la tour. De B en D est
construit un mur en encorbellement masquant le siège E. En F est un
urinoir et en G une fenêtre. Le tracé H donne l’aspect du cabinet à l’extérieur, et le tracé I sa coupe sur AX. Là il n’y avait pas à craindre l’odeur,
puisque les matières tombaient dans un précipice.
 
<span id=Landsperg>La fig. 2 nous présente un cabinet qui existe encore intact dans le
château de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Landsperg|Landsperg]] (Bas-Rhin)<span id="note2" ></span>[[#footnote2|<sup>2</sup>]], et qui jette, de même que ceux des
tours de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Coucy|Coucy]], les matières à l’extérieur. Le siège d’aisances est entièrement porté en encorbellement sur le nu du mur. La figure A donne le
plan, la figure B la coupe, et la figure C la vue de l’encorbellement du
siège avec la chute en perspective. Comme il y avait lieu de se défier des
traits qui pouvaient être lancés du dehors, on observera que le constructeur a eu la précaution de placer une dalle de champ descendant en
contre-bas des deux corbeaux latéraux, afin de masquer complètement
les jambes de la personne assise sur le siège, composé d’une simple dalle
trouée. La nuit, il était d’usage de se faire accompagner, lorsqu’on se
rendait au cabinet, par un serviteur tenant un flambeau. Cette habitude
ne paraît avoir été abandonnée que fort tard. Grégoire de Tours rapporte
qu’un prêtre mourut aux privés pendant que le serviteur qui l’avait
accompagné avec un flambeau l’attendait derrière le voile qui tombait sur
l’entrée<span id="note3" ></span>[[#footnote3|<sup>3</sup>]] ; et dans les ''Mémoires'' de Jehan Berthelin, écrits vers 1545,
nous lisons qu’un chevalier du roi, logé à Rouen à l’hôtel du Cheval blanc,
« luy estant levé il se en alit aux pryvetz avec le serviteur dudit logis,
lesquels tous deux fondyrent et tombèrent dedens lesdits pryvets, et
furent tous deux noiez à l’ordure<span id="note4" ></span>[[#footnote4|<sup>4</sup>]]. » Dans les ''Cent nouvelles nouvelles'',
il est également question de personnages qui se font accompagner par des
serviteurs. Ceci explique pourquoi, dans les latrines du moyen âge, on
laissait une place large devant les sièges, ou souvent une sorte de couloir
assez long entre le siège et l’entrée.
</div>
[[Image:Illustration fig1 6 173.png|center|400px]]
<div class="text" >
Les fosses étaient l’objet d’une attention particulière de la part des
constructeurs ; nous en avons de nombreux exemples dans des châteaux
du moyen âge. Elles étaient voûtées en pierre, avec ventilation et pertuis
pour l’extraction. Mais c’est surtout dans la construction des latrines
communes que les architectes ont fait preuve de soin. Dans les châteaux
devant contenir une assez grosse garnison, il y a toujours une tour ou un
bâtiment séparé réservés à l’établissement des latrines. Il y avait au
château de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Coucy|Coucy]], entre la grand’salle et le bâtiment des cuisines, des
latrines importantes dont la fosse est conservée. <span id=Chauvigny>On voit des restes de
latrines disposées pour un personnel nombreux dans un des trois
châteaux
de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes C#Chauvigny|Chauvigny]] (Poitou). <span id=Langley>En Angleterre, au château de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Langley|Langley]]
(Northumberland), il existe un bâtiment à quatre étages destiné aux
latrines, lesquelles sont établies d’une manière tout à fait
monumentale.
On en voyait de fort belles et grandes au château de Marcoussis, à peu
près pareilles à celles de [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Index communes L#Langley|Langley]]. Les latrines du château de Marcoussis,
élevées au XIII<sup>e</sup> siècle, adossées à l’une des courtines, se composaient d’un
bâtiment étroit, couvert, mais dépourvu de planchers, et dont les
cabinets (3)<span id="note5" ></span>[[#footnote5|<sup>5</sup>]] communiquaient avec les étages des logis voisins au moyen des
portes et des passages B (voir la coupe transversale A). La fosse était en
C, et sa voûte était composée de deux arcs doubleaux entre lesquels
passaient les trois trémies de chute des trois étages de siéges. Ces siéges
étaient au nombre de quatre à chaque étage, et du sol D
(rez-de-chaussée)
au comble, posé à 1<sup>m</sup>, 00 environ en contre-haut de la fenêtre supérieure
E, il n’y avait pas de planchers. Ainsi la ventilation pouvait se faire facilement
et l’odeur n’était pas entraînée par les portes B dans les logis
voisins. En F, nous avons tracé la coupe du bâtiment parallèlement aux
siéges, et pour les laisser voir, nous avons supposé les appuis G en partie
détruits.
</div>
[[Image:Illustration fig2 6 174.png|center|400px]]
<div class="text" >
Au château de Pierrefonds, dont la construction date de 1400, il est
une tour, du côté des logements de la garnison, qui était entièrement
destinée aux latrines. Nous donnons (4) les tracés de cette curieuse
construction. En A est figuré le plan de la tour au niveau du sol extérieur
du château qui est le sol de la fosse ; en C est le pertuis d’extraction ; en
D, un ventilateur, et en E un massif de pierres de taille planté au milieu
de la fosse pour faciliter la vidange des matières. Le tracé B donne le plan
du premier étage (rez-de-chaussée pour la cour du château). Des salles G,
on ne pouvait arriver aux latrines que par le long couloir F, muni de
deux portes. La salle H possédait une suite de siéges en I et un coffre L
qui était la descente des latrines des deux étages supérieurs. La coupe
perspective faite sur BK fait voir, en M, la fosse avec le massif N et le
ventilateur O ; en P, les siéges du rez-de-chaussée ; en R, les siéges
du
premier étage, et en S les siéges du troisième. Pour faire voir les trémies
et tous les siéges, nous avons supposé les planchers enlevés. La dernière
trémie S se prolongeait, par une cheminée latérale, jusqu’au-dessus des
combles, de manière à former appel, et près du tuyau de prolongation de
cette dernière trémie était disposé un petit foyer pour activer cet appel.
Il faut bien reconnaître que beaucoup de nos établissements occupés par
un personnel nombreux, tels que les casernes, les lycées, les séminaires,
n’ont pas des latrines aussi bien disposées que celles-ci. Observons que,
grâce au pertuis latéral d’extraction de la fosse et au massif central, il
était très-facile de faire faire des vidanges fréquentes et promptes ; que
cette fosse contenait un cube d’air considérable ; qu’elle était doublement
ventilée, et que, par conséquent, elle ne devait pas dégager beaucoup de
gaz dans les pièces, lesquelles étaient ventilées par des fenêtres ; que
d’ailleurs toutes les entrées ménagées aux divers étages de cette tour
consistent en des couloirs longs, détournés, ventilés eux-mêmes et fermés
par des doubles portes.
</div>
[[Image:Illustration fig3 6 175.png|center|400px]]
<div class="text" >
Dans le même château, les latrines du grand logis seigneurial ou
donjon sont disposées, avec un soin extrême, dans une partie étroite des
bâtiments recevant de l’air de deux côtés, isolées et ouvrant les fenêtres
des cabinets au nord (voy. [[Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 5, Donjon|Donjon]], fig. 41, 42 et 43). Il
faut remarquer
que les jours des grandes latrines de la garnison que nous venons de
donner dans la figure précédente s’ouvrent également vers le nord. Ces
précautions minutieuses apportées à la construction de ces parties importantes
des habitations font place, vers la fin du XVI<sup>e</sup> siècle, à une
négligence
extrême. Mais c’est qu’alors on se préoccupait avant tout de faire
ce qu’on appelait de belles ordonnances symétriques ; que le bien-être
des habitants d’un palais ou d’une maison, ce que nous appelons le ''comfort'',
était soumis à des conditions architectoniques plutôt faites pour des
dieux que pour de simples mortels. En finissant, nous ne devons pas
omettre de prémunir nos lecteurs contre les récits d’oubliettes que font
tous les ''cicerone'' chargés de guider les amateurs de ruines féodales. Dix-neuf
fois sur vingt, ces oubliettes, qui émeuvent si vivement les visiteurs
des châteaux du moyen âge, sont de vulgaires latrines, comme certaines
chambres de torture sont des cuisines. Plusieurs fois nous avons fait
vidanger des fosses de château que l’on considérait, avec une
respectueuse
terreur, comme ayant englouti de malheureux humains ; mêlés à
beaucoup de poudrette, on y trouvait quantité d’os de lapins ou de lièvres,
quelques pièces de monnaie, des tessons et des momies de chats en
abondance.
</div>
[[Image:Illustration fig4 6 177.png|center|400px]]
<div class="text" >
 
<br /><br />
----
 
<span id="footnote1" >[[#note1|1]]: Cette négligence à satisfaire aux nécessités de notre nature physique était poussée
très-loin dans le temps où l’on songeait surtout à faire de l’architecture ''noble''. Non-seulement
le château de Versailles, où résidait la cour pendant le XVIII<sup>e</sup> siècle, ne
renfermait qu’un nombre tellement restreint de privés, que tous les personnages de
la cour devaient avoir des chaises percées dans leurs gardes-robes ; mais des palais
beaucoup moins vastes n’en possédaient point. Il n’y a pas fort longtemps que tous
les appartements des Tuileries étaient dépourvus de cabinets, si bien qu’il fallait
chaque matin faire faire une vidange générale par un personnel ''ad hoc''. Nous nous
souvenons de l’odeur qui était répandue, du temps du roi Louis XVIII, dans les corridors de Saint-Cloud, car les traditions de Versailles s’y étaient conservées scrupuleusement. Ce fait, relatif à Versailles, n’est point exagéré. Un jour que nous visitions,
étant très-jeune, ce palais avec une respectable dame de la cour de Louis XV, passant
dans un couloir empesté, elle ne put retenir cette exclamation de regret : « Cette
odeur me rappelle un bien beau temps ! »
 
<span id="footnote2" >[[#note2|2]]: Ce dessin nous a été fourni par M. Cron, architecte. Ce château date du
XII<sup>e</sup> siècle.
 
<span id="footnote3" >[[#note3|3]]: Lib. II, cap. XXIII.
 
<span id="footnote4" >[[#note4|4]]: ''Journal du bourgeois de Rouen ; Revue rétrospect. normande.'' Publ. par André
Pottier ; 1842.
 
<span id="footnote5" >[[#note5|5]]: D’après un ancien dessin en notre possession.