Sermon CXLVII. Transformation de saint Pierre.

Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CXLVII. TRANSFORMATION DE SAINT PIERRE[1]. modifier

ANALYSE. – La présomption avait porté saint Pierre à promettre au Sauveur une inviolable fidélité pour l’avenir, et le Sauveur abandonnant saint Pierre à lui-même, l’apôtre l’avait renié jusqu’à trois fois. Il profita de cet avertissement et lorsque Jésus-Christ lui demanda ensuite s’il l’aimait, il évita avec soin la présomption où il était tombé. Aussi le Seigneur lui promit-il alors la gloire du martyre, qu’il a effectivement subi avec tant de courage.

1. Vous vous souvenez que le premier des Apôtres, que l’Apôtre Pierre se troubla au moment de la passion du Seigneur. Oui, il se troubla par lui-même, mais le Christ le renouvela et le raffermit. Pierre en effet avait audacieusement présumé de lui-même, et timidement ensuite il renia son Maître. Il avait promis de mourir pour le Sauveur, quand le Sauveur devait auparavant mourir pour lui. Ainsi comme il s’écriait : « Je vous accompagnerai jusqu’à la mort ; – je mourrai pour vous ; » le Seigneur lui répondit : « Tu mourras pour moi ? En vérité je te le déclare : avant que le coq chante tu me renieras trois fois[2]. » Le moment arriva ; et comme le Christ était Dieu, tandis que Pierre n’était qu’un homme, on vit l’accomplissement de cet oracle : « J’ai dit dans ma frayeur : Tout homme est menteur[3]. » Si tout homme est menteur, observe l’Apôtre, Dieu est véridique[4]. Le Christ donc fut véridique et Pierre menteur.

2. Mais maintenant ? Le Seigneur l’interroge, comme vous l’avez remarqué durant la lecture de l’Évangile, et lui dit : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu plus que ceux-ci ? – Oui, Seigneur, répondit Pierre, vous savez que je vous aime. » Cette question lui fut adressée une seconde et une troisième fois, et comme à chaque reprise l’Apôtre répondait qu’il aimait, le Seigneur chaque fois lui confiait son troupeau. « Je vous aime. – Pais mes agneaux ; pais mes petites brebis. » Pierre seul recevait ce dépôt ; il figurait ainsi l’union des bons pasteurs, des pasteurs qui savent gouverner pour le Christ et non pas pour eux. Pierre aujourd’hui serait-il encore menteur ? Se tromperait-il en assurant qu’il aime le Seigneur ? Il dit vrai, car il dit ce qu’il voit dans son cœur. Quand il s’écriait : « Je donnerai ma vie pour vous », il présumait de ses forces pour l’avenir. Chacun peut savoir ce qu’il est au moment où il parle ; mais qui sait ce qu’il sera demain ? Pierre donc regardait dans son âme quand le Seigneur l’interrogeait, et conformément à ce qu’il y voyait, il répondait avec confiance : « Oui, Seigneur, vous savez que je vous aime. » Vous savez ce que je vous dis ; et ce que je vois ; ici dans mon cœur, vous le voyez aussi. – Toutefois il n’osa répondre précisément à ce que le Seigneur lui demandait. Le Seigneur en effet ne lui avait pas dit simplement : « M’aimes-tu ? » Il avait ajouté : « M’aimes-tu plus que ceux-ci ? » c’est-à-dire plus que ces autres disciples. Pierre ne put que répondre : « Je vous aime ; » il n’osa pas ajouter : « Plus que ceux-ci. » C’est qu’il ne voulut plus mentir. Il lui suffisait de rendre témoignage aux dispositions de son cœur ; il ne devait pas juger des dispositions du cœur d’autrui.

3. La vérité venait-elle alors de Pierre même ou du Christ dans la personne de Pierre ? Le Seigneur Jésus-Christ abandonna Pierre quand il lui plut, et Pierre ne fut plus qu’un homme ; il le remplit aussi de lui-même quand il lui plut, et Pierre fut véridique. Pierre dut cette véracité à la Pierre, à la Pierre c’est-à-dire au Christ [5]. Or, quand il eut pour la troisième fois répondu qu’il aimait le Christ et que pour la troisième fois encore le Christ lui eut confié ses humbles brebis, que lui fut-il annoncé ? Le Christ lui prédit son martyre. « Quand tu étais jeune, tu te ceignais toi-même et tu allais où tu voulais. Mais quand tu seras vieux, tu étendras les mains et un autre te ceindra et te portera où tu ne voudras pas. » L’Évangéliste nous expose ainsi quelle était la pensée du Christ. « Il parlait de cette manière, observe-t-il, pour indiquer par quelle mort il devait glorifier Dieu ; » c’est-à-dire pour indiquer que Pierre devait être crucifié pour le Sauveur, car c’est ce que signifie : « Tu étendras les mains. » Où est maintenant le renégat ? Le Seigneur Jésus ajouta : « Suis-moi ; » mais non dans le même sens qu’en appelant à lui ses disciples. Il disait alors : « Suis-moi ; » mais c’était pour s’instruire et c’est aujourd’hui pour être couronné. Pierre ne craignait-il pas la mort quand il renia le Christ ? Il craignait d’endurer ce qu’endura le Sauveur. Mais il ne doit plus craindre aujourd’hui ; car il revoit vivant dans son propre corps Celui qu’il a vu suspendu au gibet. Le Christ donc en ressuscitant lui a ôté la crainte de la mort ; et comme il lui a ôté cette crainte, il peut avec raison lui demander compte de son amour. La peur s’était manifestée par un triple reniement ; l’amour se révèle dans une triple confession. En reniant trois fois il avait abandonné la vérité ; et il proclame son amour en confessant trois fois.

  1. Jn. 21, 15-19
  2. Luc. 20, 33-34, 55-61 ; Jn. 13, 37-38 ; 17, 25-27
  3. Psa. 115, 11
  4. Rom. 3, 4
  5. 1Co. 10, 4