Sermon CXLVIII. Ananie et Saphire.

Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CXLVIII. Prononcé le dimanche après Pâques dans l’Église des vingt Martyrs. ANANIE ET SAPHIRE[1]. modifier

ANALYSE. – La mort temporelle infligée à Ananie et à Saphire est la punition de leur mensonge, et saint Augustin espère qu’ils sont préservés de la mort éternelle. Mais comme ce châtiment doit nous porter à accomplir fidèlement les vœux que nous avons faits à Dieu !

1. Pendant qu’on faisait la lecture dans le livre qui porte pour, titre : Actes des Apôtres, vous avez remarqué comment furent frappés ces chrétiens, qui après avoir vendu un domaine, détournèrent une partie du prix et mirent le reste aux pieds des Apôtres, comme si t’eût été la somme entière. Un mot suffit pour les faire expirer tous deux, l’homme et la femme. 2 en est qui regardent comme un châtiment trop sévère d’avoir fait mourir ces deux chrétiens parce qu’ils avaient soustrait de l’argent provenant après tout de leur propre bien. Ah ! ce n’est point le désir de posséder qui porta l’Esprit-Saint à agir ainsi, c’est le mensonge qu’il vont ut punir en eux. Car vous avez entendu ces paroles du bienheureux Pierre : « Restant entre tes mains, ne demeurait-il pas à toi ? et vendu, n’était-il pas encore en ta puissance ? » Si tu ne voulais pas vendre, qui t’y forçait ? Si tu ne voulais donner que moitié, exigeait-on le tout ? Mais en n’offrant que moitié, il ne fallait pas dire que tu présentais la somme entière et c’est pour l’avoir dit que tu es coupable de mensonge. Cependant, mes frères, ne regardons point comme un châtiment sévère cette mort temporelle, et plaise à Dieu que la vengeance ne soit pas allée plus loin ! Ces chrétiens en effet n’étaient-ils pas des mortels, ne devaient-ils pas mourir un jour ? Seulement Dieu voulut que leur mort servit à affermir la discipline, et il faut croire qu’il les a épargnés au-delà de ce monde, car sa miséricorde est immense.A propos de ceux qui traitaient indignement le corps et le sang du Sauveur, l’Apôtre saint Paul parle quelque part des morts que Dieu inflige par punition. « C’est pour cela, dit-il, qu’il y a parmi vous beaucoup d’infirmes et de languissants et qu’un assez grand nombre s’endorment ; » un assez grand nombre pour faire de salutaires impressions. Ils s’endorment, c’est-à-dire qu’ils meurent. La justice divine les frappait ; ils tombaient malades et mouraient. L’Apôtre ajoute ensuite : « Car si nous nous jugions, nous ne serions pas jugés par le Seigneur. Or quand le Seigneur nous juge, il nous corrige pour ne nous damner pas avec ce monde[2]. » N’est-ce pas ce qui est arrivé à Ananie et à Saphire ? Ils ont subi la peine de mort, pour n’être point condamnés à l’éternel supplice.

2. Que votre charité fasse maintenant la réflexion suivante. Si le Seigneur s’est montré si mécontent qu’ils eussent détourné une partie de l’argent qu’ils lui avaient promis, quand toutefois cet argent ne pouvait servir qu’à des hommes, quel n’est pas son courroux quand on fait vœu de chasteté et qu’on ne l’observe pas, quand on fait vœu de virginité et qu’on n’y est pas fidèle ? Ces vœux en effet sont pour Dieu et non pour des hommes. Qu’est-ce à dire, sont pour Dieu ? C’est que Dieu fait, des saints, sa demeure et le temple où il daigne habiter, et il veut que ce temple demeure inviolable. À la vierge, à la religieuse qui se marie, on pourrait donc appliquer ce que Pierre disait à propos de l’argent, et lui dire : Restant entre tes mains, ta virginité ne t’appartenait-elle pas, et n’était-elle pas en ta puissance, avant que tu en fisses vœu ? Quand toutefois on s’est conduit de la sorte, quand on a fait un tel vœu sans y être fidèle, on doit s’attendre, non pas à être corrigé par la mort temporelle, mais à être condamné aux éternelles flammes.

  1. Act. 5, 1-12
  2. 1Co. 11, 30-32