Poésie (Rilke, trad. Betz)/Livre d’images/Le jeune garçon

Traduction par Maurice Betz.
PoésieÉmile-Paul (p. 85-86).

LE JEUNE GARÇON

Je voudrais devenir un de ceux-là
qui passent dans la nuit sur des chevaux sauvages,
laissant flotter au vent de leur galop
les cheveux dénoués de leurs flambeaux.
Je voudrais être comme en barque, à la proue, et dressé,
grand, tel qu’un drapeau déployé ;
sombre, mais casqué d’or
changeant. Et en arrière,
dix hommes faits d’identiques ténèbres,
avec des casques pareils au mien,
blancs comme verre, ou sombres, vieux, aveugles.

Et l’un, debout auprès de moi,
du son de sa trompette élargirait l’espace,
dans un fracas d’éclairs.
Il soufflerait autour de nous la noire solitude
que nous parcourons comme un songe bref.
Les maisons dépassées retombent à genoux,
les rues béent et biaisent,
les places reculent, mais nous prenons tout,
et nos chevaux bruissent comme une averse.