Poésie (Rilke, trad. Betz)/Livre d’images/D’une enfance
D’UNE ENFANCE
L’ombre semblait de la richesse dans la chambre,
où, engourdi, comme en secret, était assis l’enfant.
Et quand sa mère entra — c’est comme un songe —
dans le buffet vibra soudain un verre.
La chambre, sentit-elle, l’avait trahie ;
elle embrassa l’enfant : Es-tu ici ?…
Tous deux, des yeux, inquiets, cherchèrent le piano,
car certains soirs elle y trouvait un chant
où l’enfant se perdait étrangement.
Il était là, très sage. Son grand regard
à la main suspendu qui, ployée par l’anneau,
comme marchant contre la neige et la tourmente,
allait sur les touches blanches.