Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines/Description d’un monstre humain, né à l’Hôtel-Dieu de Paris en août 1821, où l’on donne les faits anatomiques et physiologiques d’un genre de monstruosités du nom de podencéphale/§ XI

Chez l’auteur, rue de Seine-Saint-Victor, no 33 (p. 448-456).
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Description d’un monstre humain né en août 1821, du genre podencéphale.

§ XI. Détermination et caractères de quatre espèces de podencéphales.

Les abstractions qui peignent et qui portent à l’esprit l’ordre systématique et l’idéal des relations des principaux degrés d’organisation sont exprimées, dans le langage zoologique, par les mots d’espèce, genre, ordre, classe et règne. C’est en me proposant de faire une fidèle application de ces règles de la zoologie, que j’ai examiné les conditions d’existence de plusieurs sortes de monstruosités[1], que j’en ai assigné les caractères, et que j’ai déterminé ces diverses conditions comme pouvant se rapporter à treize genres distincts. Le podencéphale, avons-nous vu, forme l’un de ces genres.

Qu’un événement pathologique prive de son accroissement habituel la masse encéphalique, je suppose, et vienne surprendre l’embryon vers le milieu, soit quatre jours avant, soit quatre jours après, de son second mois fœtal, ii en résultera nécessairement une monstruosité de même sorte, et, dans ce cas, la monstruosité du podencéphale. Si c’est plus tôt que le quarante-cinquième jour, le cerveau est moins développé ; et si c’est plus tard, il l’est davantage. Mais le même trouble, s'appliquant à un organe qui ne doit plus se développer concurremment avec toutes les autres parties de l’être, et à qui il n’est dorénavant accordé que de participer au moindre titre possible à la vie commune, devient l’occasion et la raison d’une organisation, à laquelle il arrive conséquemment d’être toujours reproduite de la même façon. Nous n’aurons pas exactement le même être, mais ce sera du moins constamment le même fond d’organisation ; et nous n’y pourrons découvrir que cette latitude pour la diversité, en quoi consiste la variation des espèces du même genre.

Ainsi les mêmes élémens, troublés dans de certaines limites quant à l’âge du fœtus, étant réunis à tous les autres élémens organiques abandonnés eux seuls à l’action du nisus formativus, donnent une répétition assez uniforme de caractères, ou les caractères du genre : chaque degré, en dedans de ces limites, donne à son tour des caractères plus restreints, bien moins généraux, ou les caractères de l’espèce ; quand le même degré ou le même âge, se reproduisant et amenant à tous égards une toute semblable répétition des mêmes formes, permet de saisir tout au plus ces nuances légères qui différencient tous les individus d’une même espèce.

C’est à ces causes de variation que je crois devoir rapporter les différences d’organisation des quatre espèces de podencéphale que j’ai rassemblées et observées. On pense bien que ce n’est point un travail complet que je pouvais donner. À toute entreprise de comparaisons il faut de premières bases, et il n’est encore venu à l’esprit de personne de décrire les monstres systématiquement, comme ont fait les zoologistes à l’égard des animaux réguliers. Pour commencer ce travail, je me contenterai des crânes que j’ai sous les yeux. Ces matériaux me paraissent devoir suffire pour le moment : car, outre leurs propres caractères que l’observation y peut facilement apercevoir, ce que ces crânes présentent de capacités et de formes à l’intérieur donne une idée très-approximée du cerveau ; et c’est, comme on l’a vu plus haut dans le paragraphe du système cérébro-spinal, c’est, dis-je, l’organe le premier et le plus essentiellement atteint par les causes perturbatrices.

Je nomme les quatre espèces de podencéphale, podencephalus eburneus, podencephalus longiceps, podencephalus illustratus et podencephalus biproralis. Je les range ici dans l’ordre chronologique de leur déformation, c’est-à-dire relativement aux époques où je crois que chaque espèce a éprouvé les premiers symptômes de sa lésion organique. L’eburneus en aura été, si je ne me trompe, plus tôt affecté, et le biproralis plus tard.

Première espèce. Podencephalus eburneus.

M. le docteur Gall a fait graver le crâne de cette espèce dans son ouvrage intitulé : Anatomie et Physiologie du système nerveux (voyez pl. XIV, fig. 3, in-4o, 1810). Les observations suivantes ont eu pour objet l’original même de cette figure, dont M. Gall a bien voulu me permettre de disposer.

Ce crâne, vu par le sommet, est compris entre trois lignes égales (de 0m,070 de longueur) ; l’une prolongée d’un temporal à l’autre, et les deux autres de chaque temporal au point de l’articulation des inter-maxillaires. Les orbites étaient tellement surbaissés et le frontal si descendu sur la couche d’os inférieure, que les ingrassiaux et l’éminence derrière la selle turcique dépassaient en dehors le sommet de la tête ; mais, en revanche, les yeux étaient écartés et les jugaux fort rejetés latéralement. Je n’ai aperçu aucune trace d’inter-pariétaux. Avaient-ils été enlevés avec le derme, ou se trouvaient-ils confondus et soudés avec les frontaux ? Je l’ignore. Les pariétaux ne prolongeaient aucune de leurs parties l’une sur l’autre : c’étaient des os minces à surface peu étendue, écartés sur le côté ; et servant là de couvercles à une portion médullaire interposée dans une cavité propre, entre la fosse orbitaire et le rocher. L’ouverture du vertex du crâne, qui forme le principal caractère des podencéphales, correspondait pour sa configuration aux développemens d’un triangle rectangle dont l’hypothénuse avait plus de longueur que les deux autres côtés. De l’élévation du sphénoïde et de l’articulation singulière des rochers, il résulte trois espaces distincts pour contenir les masses encéphaliques ; deux supérieurs, qui ont pour plancher le rocher et pour plafond une petite portion des frontaux et des pariétaux, et un troisième vertical, intermédiaire et postérieur, qui est cloisonné intérieurement par le sur-occipital, et qui paraît n’être qu’une continuation du canal médullaire cervical. Ces trois espaces sont de capacité semblable.

J’ai donné à cette espèce le nom d’eburneus, parce que c’est chez elle que les os ont acquis une plus grande solidité. Ils sont compacts et durs au point de prendre un beau poli ; mais ce qu’ils ont gagné en solidité, ils l’ont perdu en dimension superficielle. Un autre exemplaire a fourni anciennement le même sujet d’observation à Wan-Horne.

Seconde espèce. Podencephalus longiceps.

Ce que je connais touchant cette espèce est conservé au Muséum anatomique des hôpitaux, établissement créé et dirigé par M. Serres : c’est un crâne, et celui-là même que j’ai fait graver pl. II, fig. 1 et 2.

Ce podencéphale a le plus grand rapport avec le précédent : cependant sa tête ne serait pas contenue entre les branches d’un triangle équilatéral, étant un peu moins longue entre les temporaux que d’arrière en devant ; c’est cette circonstance ou cette opposition de caractères que j’ai voulu exprimer par le nom de longiceps. Le frontal K, plus large, s’étend sur les ingrassiaux et les recouvre ; le pariétal T, également plus large, se prolonge sur la ligne du sur-occipital, et s’unit avec son congénère. J’ai déjà, dans mon premier mémoire, appelé l’attention sur la forme des inter-pariétaux S, bandelettes demi-circulaires. L’ouverture du vertex est moins grande, et forme un ovale un peu plus allongé d’avant en arrière. Enfin le sur-occipital U était plus épais et plus reculé en arrière ; d’où il s’en est suivi que l’espace vertical et intermédiaire que cet osselet circonscrit par derrière avait beaucoup plus d’étendue que les deux cavités supérieures interposées du rocher à la fosse orbitaire. Le cervelet devait moins que dans le précédent podencéphale participer aux conditions rudimentaires de toute la masse encéphalique, ou tout du moins l’emplacement qu’il remplit offrait-il plus de capacité.

J’ai fait représenter, pl. VI, fig. 7, cette cavité, que j’ai rendue visible au moyen d’une coupe longitudinale sur la ligne médiane : elle est circonscrite supérieurement par le pariétal T, postérieurement par le sur-occipital U, inférieurement par l’ex-occipital V, et antérieurement par le sous-occipital X. C’est dans une autre situation que sont ces pièces dans l’être régulier : une torsion du crâne en ce lieu explique ce changement. P est le rocher, et Y une portion du corps sphénoïdal. Cette coupe a l’avantage de montrer l’épaisseur de ces os. Ainsi ce qu’ils ont perdu en étendue superficielle, ils l’ont retrouvé dans une autre dimension : la même somme de molécules est donc toujours distribuée sur chaque pièce, quelle qu’en devienne la forme, soit dans les monstruosités, soit dans l’état normal.

Troisième espèce. Podencephalus illustratus.

Je devais ce nom à l’espèce que j’ai décrite en totalité : voyez les figures 2 et 5 de la planche VI, laquelle est toute consacrée à ce podencéphale. J’y ai d’abord voulu exposer et rendre avec soin les mamelons du cerveau ; mais je me suis de plus aussi proposé d’y donner les os du derrière de la tête. C’est donc dans cette vue, et principalement pour me ménager les moyens de caractériser ces os dans la circonstance présente, que je les ai fait mettre à nu, et même que j’ai indiqué, fig. 5, par des lignes ponctuées les détails de ceux qu’une couche supérieure de substance médullaire me privait d’apercevoir.

L’ouverture du vertex ressemblait, pour sa disposition triangulaire, à celle de la première espèce ; mais elle en différait par plus d’étendue. Le grand côté du triangle était de 56 millimètres, et chacun des deux autres côtés de 35. Les ingrassiaux paraissaient avoir été comme écrasés : non-seulement ils étaient descendus fort au-dessous du plan des çoronaux, mais, gênés dans leur développement par le poids ou par la résistance des parties supérieures, ils étaient aplatis. Ils sont exprimés en traits ponctués, fig. 5, lett. Œ.

Les frontaux K, comme les pariétaux T, étaient plus petits, surtout ces derniers, qu’on voit, fig. 2, réduits à l’état de deux bandelettes étroites, articulées par un bout avec le frontal, mais bien mieux attachées aux temporaux, que ces bandes bordent dans leur longueur : de cette manière, les pariétaux étaient rejetés latéralement, sans qu’aucune de leurs parties pût se porter de l’une sur l’autre. Les occipitaux UV et X étaient situés comme dans les espèces précédentes ; toutefois l’espace qu’occupait le cervelet présentait une étendue plus considérable. Enfin toute l’ossification avait moins de densité, principalement les os de la face.

Quatrième espèce. Podencephalus biproralis.

Le crâne d’après lequel j’établis cette espèce fait partie du Muséum anatomique du Jardin du Roi ; je n’en ai point fait prendre de dessin.

Un plus grand renflement de l’encéphale a donné plus d’étendue à l’ouverture du vertex. Il en est résulté, 1o que la cloison formée par les occipitaux est, à une distance proportionnellement plus grande en arrière, ce qui procure plus de longueur à la tête ; 2o que le sur-occipital, unique dans les autres podencéphales, est resté, dans le biproralis, comme aux époques des premières formations, partagé en ses deux élémens primitifs. Les deux sur-occitaux sont séparés par un intervalle de cinq millimètres. De cette circonstance et du nom de proral donné à l’ensemble des pièces quand elles sont soudées les unes avec les autres, nous nous sommes crus fondés à caractériser et à nommer cette espèce comme ci-dessus.

  1. Voyez plus haut, page 87 et suiv.