Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines/Description d’un monstre humain, né à l’Hôtel-Dieu de Paris en août 1821, où l’on donne les faits anatomiques et physiologiques d’un genre de monstruosités du nom de podencéphale

Chez l’auteur, rue de Seine-Saint-Victor, no 33 (p. 223-226).
§ I  ►
Description d’un monstre humain né en août 1821, du genre podencéphale.

DESCRIPTION

d’un monstre humain né a l’hôtel-dieu de paris en août 1821, où l’on donne les faits anatomiques et physiologiques d’un genre de monstruosités précédemment établi sous le nom de
PODENCÉPHALE.



Je n’ai entrepris de classer les monstres qu’après m’être bien convaincu que la variation de leur structure était renfermée dans de certaines limites, c’est-à-dire qu’après avoir acquis, par un examen attentif de leur organisation, la certitude que chaque somme de leurs vices de conformation constitue un ensemble de faits se correspondant, et dont le mode d’existence n’est pas moins assujetti à des règles que celui des organisations, réputées seules pour régulières.

Appuyé sur ces idées, à l’essence desquelles j’étais remonté, puisque j’avais enfin aperçu les monstruosités sous la dépendance ou de la non-production ou du déplacement de certains viscères, je n’ai pu toutefois, dans une très-récente occasion, me défendre de quelque surprise, et même un moment d’un peu d’hésitation, en me trouvant inopinément engagé à présenter publiquement une application de ces vues. Cependant je ne tardai pas à échapper à cette obsession qu’exercent long-temps encore sur nous le souvenir et les préjugés des premières études.

Voici dans quelles circonstances :

On vint me prévenir, dans la soirée du 27 août dernier (1821), qu’une femme était accouchée à l’Hôtel-Dieu d’un enfant monstrueux, et que MM. les docteurs Petit et Caillard, médecins de l’hospice, m’autorisaient à disposer de ce monstre sous la condition de procéder à sa dissection en présence des élèves. Empressé de répondre à ce témoignage de confiance, je me rendis, dans la matinée du lendemain, auprès de MM. Petit, Serres et Caillard, qui voulurent bien m’assister et m’aider de leurs conseils.

Mais, quand le sujet m’eut été remis, je demeurai persuadé qu’il s’appliquait à l’un des genres que j’avais établis dans mon premier écrit[1] sur les monstres. Bien que fixé sur cette idée, je vins cependant à réfléchir que ma détermination reposait uniquement sur la considération de deux crânes, lesquels à la vérité étaient une répétition parfaite l’un de l’autre : restreint à ces renseignemens, je balançai… Mais enfin ayant recueilli mes idées, je ne craignis plus de les exposer à l’auditoire.

C’était pour la première fois que je voyais un individu de mon genre podencéphale : j’avais sur les causes de cette monstruosité quelques idées qu’il me paraissait important de vérifier. Les relations et les calibres respectifs des artères cervicales étant les points que je voulais examiner, il devenait indispensable d’injecter d’abord. Je proposai en conséquence de renvoyer la dissection au lendemain, où le sujet serait disposé par des préparations qui le rendraient plus observable, et où je pourrais aussi faciliter ces recherches en produisant les deux crânes dont j’ai parlé plus haut.

Ainsi convenu, ainsi il fut exécuté ; car si je ne parus le second jour qu’un moment, appelé ailleurs par mes devoirs comme professeur, M. Serres voulut bien continuer, ou même donner entièrement la démonstration promise aux élèves. On avait paru curieux de savoir si des prévisions, acquises sur un aussi petit nombre de données, seraient justifiées : on vint à s’en convaincre, et l’on s’intéressa d’autant plus vivement à ce résultat, qu’on s’y était moins attendu.

Un crâne m’avait en effet suffi pour pressentir toutes les autres données d’organisation du genre podencéphale, pour en poser du moins quelques principaux caractères. Sa boîte osseuse ouverte à son sommet, la voûte de cette boîte affaissée et descendue jusque sur le plancher inférieur, des pièces de recouvrement comme transformées en parties de support, la disposition en étui des occipitaux et faisant connaître celle de la base du cerveau, c’est-à-dire faisant apercevoir le cerveau porté par une tige plus renflée, et comme par un pied plus élargi, d’où j’ai dérivé le nom de podencéphale ; enfin un état d’ossification plus avancé, où les os se montrent plus compacts et présentent un tissu éburné : telles sont les anomalies ou les élémens de monstruosité qui m’avaient déjà frappé, et que j’avais regardées comme des données suffisantes pour l’établissement du genre podencéphale.

Je puis maintenant ajouter à ces premiers aperçus : c’est ce que je me propose par la description suivante.

  1. C’est le premier article de ce volume : il avait déjà paru dans le tome 7 des Mémoires du Muséum d’Histoire naturelle, page 85. Comme cet article est devenu le point de départ de plusieurs publications récentes sur les monstres, sans avoir été cité, je vais lui donner la date qui lui appartient, en transcrivant le passage ci-après des procès-verbaux de la Faculté de médecine de Paris : « M. le professeur Geoffroy Saint-Hilaire (séance du 8 février 1821) prie la Faculté d’agréer un exemplaire tiré à part de son Mémoire sur la déformation du crâne de l’homme. » Voyez Bulletins de la Faculté de Médecine de Paris, année 1821, no 2, p. 356.