Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines/Description d’un monstre humain, né à l’Hôtel-Dieu de Paris en août 1821, où l’on donne les faits anatomiques et physiologiques d’un genre de monstruosités du nom de podencéphale/§ V

Chez l’auteur, rue de Seine-Saint-Victor, no 33 (p. 265-287).
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Description d’un monstre humain né en août 1821, du genre podencéphale.

§ V. Des voies digestives.

De la correspondance de leurs anomalies et de celles du cerveau.

S’il n’est point de parties dans un corps organisé qu’elles ne soient engagées dans de mutuelles relations, ce ne peut être également et ce n’est point pour toutes dans le même degré. Parmi les systèmes le moins susceptibles de cette correspondance ou de cette sujétion réciproque sont, je crois, au premier rang, le cerveau et le canal intestinal. Qu’on interroge leur position respective, leur forme, leur composition ou leurs fonctions, on trouvera que ces organes ne sauraient différer davantage ; et qu’ils sont par conséquent, l’un à l’égard de l’autre, dans une sorte d’indépendance.

Cependant étendrions-nous cette conséquence aux cas monstrueux ? Nous venons de dire quelles sont chez les podencéphales toutes les anomalies du cerveau : nous en avons d’autres à faire connaître au sujet des voies digestives. Les unes seraient-elles occasionnées par les autres ? Telle est sans doute une question assez délicate.

Voudrait-on soutenir la négative ? on a à faire valoir, outre les raisons que fournit déjà l’indépendance des deux systèmes, qu’il n’existe de monstruosités qu’en vertu d’influences extérieures. Et, dans le vrai, plus nous avançons, plus nous avons sujet de nous convaincre qu’il n’y a pas de monstruosités sans l’intervention de brides émanées des membranes de l’œuf et dirigées sur le fœtus. Rien ne répugne en effet à ce qu’il existe deux ordres de brides à part, les unes en tête et les autres en queue, et, de cette manière, deux sortes de monstruosités tout-à-fait indépendantes, quoique réunies dans le même individu.

Tout en convenant de la valeur de cette argumentation, il n’y aurait cependant pas à en conclure avec certitude que le podencéphale pût exister sans l’alliance de ces deux ordres de monstruosités. L’un ne serait pas engendré par l’autre ; voilà seulement ce que prouverait l’indépendance des deux grands organes. Mais les deux ordres de monstruosités peuvent reconnaître pour cause une seule et même lésion, et, par exemple, une déchirure du chorion, et l’extravasion des eaux de l’amnios : n’y ayant plus de fluide interposé entre le fœtus et ses enveloppes, et l’utérus conservant son action compressive, c’est là un état de choses favorable à des adhérences, et par conséquent à la production de brides en plusieurs points des surfaces en contact.

Cependant il est douteux qu’une seule bride suffise à fixer le fœtus au placenta, et il l’est davantage que le tronc y puisse long-temps demeurer attaché par l’une de ses extrémités. Dans le petit nombre d’observations que nous avons recueillies à cet égard, c’est le fait contraire qui est constant. Il est de ces brides multipliées tout le long du dos chez l’anencéphale, et il en existe aussi plusieurs chez l’hypérencéphale de répandues sur la tête et sur la plupart des viscères thoraciques. Les brides en tête et en queue, dont nous avons retrouvé les traces sur le podencéphale, seraient donc nécessaires l’une à l’autre ; nécessaires, parce que l’une manquant expose l’autre à se rompre de bonne heure : événement effectivement capable de faire avorter la monstruosité, en la restituant à l’action du nisus formativus, et en ramenant de cette manière le fœtus aux conditions normales. C’est sous ce point de vue que nous rattachons les deux sortes de brides et par conséquent les deux ordres de monstruosités à un même fait, et que nous nous décidons à en regarder l’alliance comme obligatoire dans le podencéphale. Cette conjecture fondée, les caractères de notre monstre se composeraient tout aussi essentiellement des anomalies des viscères abdominaux que de celles du cerveau.

Cependant en quoi consistent ces anomalies ? Nous ne craindrons pas de nous étendre sur ce sujet.

De la division du canal intestinal.

Les voies digestives, n’ayant été primitivement considérées que dans une seule espèce, et chaque circonstance de longueur et de grosseur ayant par-là offert un égal sujet d’intérêt, furent dès-lors divisées d’une manière fort arbitraire. Ce qu’on a imaginé à cet égard n’est pas même applicable à tous les âges de l’espèce humaine, et s’applique bien moins encore à notre enfant monstrueux.

Une division qui puisse satisfaire à toute la généralité de la question, c’est-à-dire rester indépendante des variations que la diversité des âges et des espèces peut à chaque pas faire naître, doit être basée sur l’ordre du développement successif des parties, et par conséquent sur le principe qui le donne toujours à connaître, le principe des connexions. Dans ce cas, nous ne nous occuperons ni de l’entassement des intestins ni de leur superposition, qu’un refoulement plus ou moins efficace détermine au hasard. Nous verrons le système intestinal dégagé de ses entraves, hors des cloisons qui le circonviennent, et, selon cette abstraction, étendu sur une seule ligne.

La vésicule ombilicale, soit quelle se transforme par allongement en un tuyau membraneux, soit qu’elle crée un tel tuyau au contraire par jet, à la manière des cotylédons donnant la première tige d’un végétal, produit un premier intestin, qui dans quelques animaux disparaît avec elle, et qui dans d’autres acquiert de grandes dimensions. S’il disparaît, il en reste quelques vestiges, comme dans l’homme par exemple, où ce lambeau est connu sous le nom d’appendice vermiculaire du cœcum. De cette souche naissent deux autres tiges, dont l’une, après s’être diversement enroulée, finit par s’épanouir dans l’estomac, et dont l’autre, éprouvant le même entortillement, va se perdre dans une sorte de cloaque[1]. Je décris un fait général, et je m’éloigne de ce que donne l’anatomie humaine pour me porter sur la conformation plus commune des familles mitoyennes. À une troisième époque de formation, comme font les bourgeons qui s’élancent de leur mère branche, il naît de chaque bout un autre intestin. La tige de l’estomac se continue, et, allant s’ouvrir dans le pharynx, constitue proprement la voie nommée œsophage, tandis que le prolongement opposé et de même rang, non moins abondamment pourvu de fibres musculaires, devient le rectum. Celui-ci s’ouvre chez les ovipares dans une poche, le cloaque commun, comme l’œsophage dans le pharynx.

Devant me renfermer dans ce qui forme particulièrement le sujet de cet article, dans ce qui concerne spécialement le canal intestinal, je vois celui-ci, d’après ce qui précède, uniquement susceptible d’une seule et essentielle division, savoir, en intestin antérieur et en intestin postérieur[2].

Je fonde cette division sur une limite naturelle, sur un point d’intersection qui ne dépend ni du volume, ni du plus ou moins de séjour des matières alimentaires dans les intestins ; toutes choses qui n’exercent qu’une influence secondaire, mais qui l’exercent cependant avec assez d’efficacité pour faire varier la longueur et le diamètre des autres subdivisions du canal intestinal.

Cela posé, je considère le canal alimentaire comme naturellement partagé en deux intestins très-distincts, savoir, premièrement, depuis la fin de l’œsophage jusqu’à l’origine du cœcum, et secondement, depuis l’extrême pointe de celui-ci jusqu’au rectum.

Du cœcum en général.

Il est évident, d’après ce qui vient d’être dit, qu’en faisant dépendre une règle générale de la situation du cœcum, nous n’entendons accorder qu’à cette circonstance, et non au cœcum lui-même comme érigé en un intestin particulier, tout l’intérêt de cette observation. Cependant il y avait déjà sur ce sujet quelque chose de convenu. L’anatomie comparée, dressant des tables de rapport de toutes les parties du canal alimentaire chez les différens animaux, a eu aussi recours à la considération du cœcum pour lui servir de point de partage : mais elle a en même temps accordé au cœcum une existence à part ; elle l’a élevé au rang d’un intestin particulier. Je présenterai sur cela quelques observations.

Le seul point du cœcum qui véritablement importe à ces recherches est le lieu où il s’ouvre, et où il verse dans l’intestin antérieur. Il est la mère-branche qui pousse un rameau latéral, tout en continuant de fournir à son propre accroissement. On y remarque une nodosité qui prend en dedans le caractère d’une valvule, ou plutôt ce sont deux tuyaux, dont l’un est enté sur l’autre. Mais d’ailleurs le cœcum, comme on l’entend, n’a point en lui-même de caractère distinct, et par conséquent il ne saurait être considéré comme un organe particulier. Sa continuation sans la moindre altération avec le tube qu’il précède, sa texture et sa fonction, qui sont les mêmes, tout indique qu’il n’est qu’une partie de ce qu’on appelle le colon ou le gros intestin chez l’homme[3].

Ce qui mérite de fixer sur lui l’attention, c’est donc moins sa propre condition que la manière dont il s’abouche avec l’intestin antérieur. Et en effet l’anostomose des deux parties intestinales a-t-elle lieu bout à bout ? puisque le cœcum n’est au fond que le commencement de l’intestin postérieur, cette circonstance n’a d’inconvénient que de ne pas marquer assez fortement la soudure de l’un avec l’autre. On dit des animaux qui présentent ce caractère qu’ils manquent de cœcum. Ou bien le premier intestin est-il abouché avec le second par côté ? une portion plus ou moins considérable de celui-ci fait saillie, c’est-à-dire tout ce qui existe en deçà du point d’insertion. Ce rameau latéral, de ce qu’il forme un coude sans issue, un tuyau aveugle, a reçu le nom particulier de cœcum.

Vous pouvez par-là juger comment fut imaginé ce nom dans l’origine. Mais voyez comme, à son tour, la nomenclature gouverna, comme elle entraîna les esprits ! On crut à l’existence d’un organe tout-à-fait indépendant, et l’on en voulut connaître toute la valeur. On vint à remarquer chez les animaux herbivores que cet excédant du gros intestin offrait à la fois une longueur et un diamètre considérables. On rechercha quelles pouvaient être les fonctions d’une portion aussi étendue et aussi bien circonscrite. Et d’après le principe emprunté à la doctrine des causes finales, qu’il n’existe rien dans l’organisation qu’on n’y doive trouver en même temps une attribution préfixe, une utilité à y appliquer, on se permit les conjectures les plus bizarres, qui allèrent jusqu’à supposer que le cœcum était une poche disposée pour un genre particulier de rumination[4].

Ainsi donc, si je ne m’abuse, le cœcum n’aurait pas toute l’importance qu’on y a jusqu’à présent attachée : en sorte que les naturalistes, qui en avaient pris d’abord une autre opinion, sur la remarque que le cœcum est petit ou nul chez les carnassiers, et tout au contraire ample à l’excès chez les herbivores, seront forcés d’abandonner ce rapport, comme ne donnant lieu à aucune règle précise.

C’est dans les rongeurs que sont les cœcums les plus volumineux ; et l’un des principaux genres de cette famille, celui des loirs, en est privé. La plupart des plantigrades, les ours, les ratons, les hérissons, les musaraignes, les taupes, etc., tous animaux omnivores, n’en ont point, quand les espèces le plus décidément carnassières, les lions, les panthères, les loups, les hyènes, les genettes, les phoques, etc., en sont pourvus.

Le fait général qui avait séduit les naturalistes était que le cœcum grandissait comme augmentait dans les animaux leur disposition pour la nourriture végétale, et diminuait selon qu’ils avaient un goût plus déterminé pour la chair. Mais il fallait faire cette distinction ; cette variation de volume n’est point un fait spécial au cœcum : il n’est point un organe sui generis, un petit intestin accessoire, ainsi qu’on s’exprime sur lui en anatomie humaine. Mais, comme portion d’un autre, il prend sa part des modifications imposées à ce principal intestin, c’est-à-dire à celui dont il forme la tête.

En sa qualité de partie détachée, située en dehors de l’anastomose des deux sortes d’intestin, ses variations ne suivent nullement la loi qu’on avait cru y reconnaître. Nous pourrions en alléguer bien d’autres preuves que celles déjà ci-dessus données ; car le cœcum ne manque nulle part à la rigueur. Sa variation ne s’établit que sur le lieu où s’insère l’intestin antérieur : ou il offre une saillie de dix, vingt, quarante ou cinquante centimètres, ou il est intercallé et non apparent entre les deux intestins.

Mais, au surplus, l’observation que les naturalistes ont voulu particulariser au cœcum reste vraie, ramenée sur toutes les voies digestives : il est certain que le canal alimentaire est étroit et court chez les carnassiers, ample et long au contraire chez les herbivores.

Pour ne pas faire de cet article un épisode hors de proportion avec l’intérêt du sujet, j’omets plusieurs autres considérations recueillies dans les livres d’anatomie comparée. Le peu que j’ai dit autorise sans doute à regarder comme élevé à la généralité ce fait, qu’il existe sur la longueur du canal intestinal un point d’intersection par lequel l’intestin se trouve naturellement, chez tous les animaux vertébrés, divisé en deux parties. Je reviens au podencéphale.

Des anomalies du canal intestinal.

Pour obtenir, dans l’esprit de ces recherches, les faits et les rapports que peuvent donner les portions intestinales du podencéphale, nous comparerons ces parties non-seulement à leurs analogues dans un fœtus humain de son âge, mais de plus à celles de même ordre chez un rongeur, un gallinacé et un oiseau de proie.


Longueur du canal intestinal, savoir, 1o de la partie antérieure, depuis et y compris l’estomac jusqu’au point où cette portion s’abouche dans le cœcum[5], et 2o de la partie postérieure, depuis et y compris le cœcum jusqu’à sa terminaison.

Mesures en mètres, prises, savoir : intestin
antérieur.
intestin
postérieur.
estomac
à part.
cœcum
à part.
Sur le podencéphale
2,11 0,48 0,05 0,052
— un fœtus humain normal et à terme
2,79 0,53 0,08 0,055
— un lapin
5,26 2,81 0,30 0,750
— une poule
0,95 0,29 0,05 0,190
— une buse
1,40 0,22 0,03 0,005

L’intestin, répandu de l’estomac au cœcum, est chez le podencéphale à peu près d’un cinquième plus court que dans le fœtus normal. Notre tableau donne par approximation les rapports suivans : L’intestin antérieur est au postérieur comme l’unité est à 2 dans le lapin, à 3 dans la poule, à 4 dans le podencéphale, à 5 dans l’enfant normal, et à 6 dans la buse.

L’estomac du monstre participait davantage que l’intestin grêle au raccourcissement général, et surtout y participait plus en largeur qu’en longueur. Son plus grand diamètre était de deux centimètres, c’est-à-dire d’un sixième au-dessous de celui que donne l’estomac d’un fœtus à terme. Sa plus grande largeur commençait vers le cardia, et sa diminution avait ensuite lieu graduellement. Sous sa nouvelle forme, il présentait l’aspect d’un cœcum de rongeur.

L’intestin antérieur n’avait de remarquable que d’être de toutes manières plus petit que dans l’état normal.

Il en était tout autrement de l’intestin postérieur : rien à son aspect ne rappelait celui d’un fœtus humain nouveau-né. Ce n’était plus un tuyau vague, préparé, comme on le croit, dans un esprit de prévision, et n’existant chez le fœtus que pour ne prendre d’activité que dans la vie de relation. Cet intestin avait acquis d’aussi larges dimensions que chez les animaux herbivores, et il annonçait, par la quantité et la variété des substances dont il était rempli, qu’il n’était pas moins susceptible de ressort et de facultés. Le cœcum, qui surpasse ordinairement le colon en volume, présentait une proportion inverse ; ou plutôt, resté dans sa grosseur habituelle, c’était le colon qui avait pris une plus forte extension : presque partout large de quatre centimètres, il ne décroissait jamais au-dessous de trois.

Mais cela même était peu de chose en comparaison de l’avant-dernière portion intestinale. Je l’ai fait représenter, pl. VI, fig. 8, comme elle s’est offerte à l’ouverture de l’abdomen, et sans qu’il ait été nécessaire de la gonfler en la soufflant. Cette figure est donnée, réduite à moitié de grandeur naturelle. Sa longueur de a jusqu’en b est de treize centimètres, et sa largeur de six. Tout ce qui tient à la composition de cette poche participe à son excès de volume : ainsi les vaisseaux répandus à sa surface ont leur calibre augmenté dans une raison proportionnelle.

Au delà était enfin une dernière portion d’intestin, d’une texture, d’une composition et d’une épaisseur bien différentes ; allant se perdre sur la vessie, il importait de savoir de quelle façon. On en a donc fait l’ouverture, et c’est cet intestin fendu qui se voit, lett. s. La membrane interne était lâche et longitudinalement plissée : elle se trouvait revêtue d’une forte couche musculaire, dont les fibres, disposées pour la plupart annulairement, ne pouvaient se contracter sans faire de ce bout d’intestin un long sphincter.

Des substances contenues dans les intestins.

Les substances contenues dans l’intestin postérieur n’étaient point seulement remarquables par leur quantité, mais de plus par un caractère particulier, comme de différer de consistance et de forme au fur et à mesure qu’elles avaient cheminé dans l’intestin. C’était, dans le cœcum et dans le commencement du colon, de la matière fécale disposée par petits grains et rendue liquide par un mucus abondant, dans lequel cette matière, ainsi divisée, se trouvait baignée et comme dissoute. La couleur de ce brouet était verdâtre. Plus loin les petits grains se réunissaient, et formaient par leur association de petites balles, qui devenaient d’autant plus consistantes qu’elles étaient chacune moins entourées de mucus. Enfin, l’assemblage de ces matières continuant de plus en plus d’avoir lieu, c’était, au devant et dans la grande poche terminale, de plus grosses boulettes stercorales.

Ici un événement inattendu arrête nos regards. Ce n’est point uniquement par une accumulation de ces boulettes fécales que sont remplies et l’extrémité du colon et la grande poche qui le suit : ces boulettes n’occupaient dans la première partie qu’un quart, et dans la seconde qu’un vingtième de la capacité de cet intestin. Ce qui remplissait le surplus de cette capacité était du mucus, dans un état plus liquide au commencement de l’intestin, et au contraire d’une certaine consistance dans la grande poche. Cette consistance, dont l’état tremblotant de la gélatine peut donner une idée, procurait au mucus une forme si décidée, que cela allait jusqu’à présenter le caractère de l’organisation. C’étaient des colonnes, charnues en apparence, naissant de principaux troncs et se subdivisant en plus petits rameaux, comme la cime des arbres. Ces parties, jouissant de cette sorte d’organisation, étaient engagées dans la masse commune, soit à leur naissance, soit à leur terminaison. Il en existait plusieurs paquets dans une situation parallèle. Ceux-ci gardaient le même parallélisme à l’égard de l’intestin, les plus petits rameaux se dirigeant du côté du rectum.

Chaque groupe de colonnes renfermait au dedans de sa cime rameuse un noyau qui, s’il ne peut être absolument qualifié de moule préparateur de cet épanouissement, devait très-certainement du moins avoir contribué à cet arrangement comme support et peut-être comme absorbant. Ces noyaux sont les boulettes stercorales dont j’ai parlé plus haut. Elles étaient contenues sans avoir contracté d’adhérences ; car, extraites de leurs cellules, elles conservaient leur poli, ainsi que le faisaient les surfaces elles-mêmes étendues sur elles. Les couches externes des colonnes de mucus paraissaient tenir du caractère des membranes, et leur densité provenir d’une évaporation de parties fluides : enfin leur demi-transparence, leur blancheur tirant sur le cendré, et leur faible ténacité, rappelaient tout-à-fait les paquets musculaires des seiches, et généralement des mollusques testacés.

Cependant, pourrait-on objecter, ces matières, parvenues à ce degré de consistante et d’organisation, étaient-elles réellement du mucus ? Je n’en puis douter : j’ai cherché, et je n’ai pu réussir à les coaguler. M. Chevreul a bien voulu aussi les examiner, et les a bien décidément reconnues pour mucus.

Des subdivisions de l’intestin postérieur.

Ces faits établis, j’examine maintenant à quoi peuvent correspondre les subdivisions de l’intestin postérieur. Des trois parties principales que j’y ai reconnues, l’une, dont le cœcum n’est que le couronnement, répond évidemment au colon. Pour prononcer sur l’intermédiaire ou la grande poche a-b, et pour faire voir qu’elle est simplement une dilatation de la première, s’y montrant toutefois avec un caractère et une destination propres, je recourrai à ma méthode de détermination, dont je n’ai jamais inutilement employé la coopération. Je me porterai sur les analogues de cette organisation, élevés au maximum de composition, et dans lesquels par conséquent je pourrai voir chaque partie sans constriction, avec un développement intégral, et donnant ainsi distinctement ses conditions individuelles.

C’est chez les herbivores que sont les intestins les plus volumineux : ce qui n’existe pas chez eux sans y produire une différence caractéristique des familles. Ainsi la multiplicité des surfaces intestinales forme la considération distinctive des animaux aux quatre estomacs ou des animaux ruminans quant à la partie antérieure du canal alimentaire, et devient celle au contraire des solipèdes et des rongeurs quant à la postérieure. Sur cette réflexion et sans autres tâtonnemens, j’arrive ainsi sur les êtres qu’il m’importe d’examiner comme offrant une organisation portée au maximum de développement dans le point et relativement à la question dont je suis préoccupé.

Les secondes voies intestinales, les seules dont la grande poche a-b du podencéphale nous fasse désirer la détermination, présentent donc de très-grandes dimensions. Examinons-en les subdivisions, puisque leur grandeur respective les prive de se resserrer, et que, les mettant, malgré leur continuité, dans une indépendance entière, elle va nous les faire apparaître avec des formes et par suite avec des fonctions distinctes.

Les connexions sont naturellement données, lorsque l’intestin est détaché du mésentère et disposé sur une seule ligne : il n’est besoin que de reconnaître les points d’intersection, entre lesquels on puisse apercevoir des portions intestinales de structures et de diamètres différens. Ayant comparé de cette manière l’intestin post-cœcal d’un bœuf, d’un cheval et d’un lapin, voici les faits généraux que cette observation m’a donnés.

J’ai distingué un premier segment encore plus à son ampleur qu’à sa disposition en cul-de-sac. Ce n’est point uniquement le cœcum, comme on l’a défini jusqu’à présent, c’est-à-dire le prolongement du gros intestin que l’intestin grêle laisse en deçà du point où ils s’abouchent ensemble : c’est une poche très-parfaitement limitée, se composant, 1o du cœcum, selon l’ancienne définition, et 2o d’une autre partie d’égale étendue, placée de l’autre côté de l’intestin grêle ; c’est, dis-je, une poche cœcale, dans le centre de laquelle l’intestin grêle va s’insérer.

Après vient un second et plus long segment, le plus gros des intestins, d’un diamètre de beaucoup moindre cependant que la poche cœcale, laquelle, comme celle de l’estomac à l’égard de l’intestin anticœcal, devra toujours être examinée séparément. Ce second segment est remarquable par des étranglemens égaux et nombreux. Nommons-le canal bosselé.

La troisième portion est unie et étroite : c’est une sorte d’intestin grêle.

La quatrième se distingue au contraire à son renflement considérable ; elle forme dans le cheval une poche en proportion aussi volumineuse que celle du podencéphale.

Et la cinquième enfin est le rectum, qu’on reconnaît à sa tunique musculaire.

Ces portions intestinales offrent des conformations trop tranchées, pour que les fonctions n’en soient pas de même très-différentes. Si vous examinez le degré d’élaboration des matières contenues dans ces intestins, vous les trouvez excrémentitielles au premier degré, c’est-à-dire délayées et liquides dans la poche cœcale : car, à peine entrées dans le cœcum, elles développent tout à coup ce caractère. En y regardant attentivement, on les voit composées de petits grains roulant les uns sur les autres, moins encore parce qu’ils tiennent cette disposition de leur forme arrondie, que parce qu’ils sont baignés dans un mucus abondant.

Ce mucus est absorbé dans le canal suivant, que ses étranglemens font apparaître comme une série de petits moules sphéroïdaux : tout ce qui se porte dans ces secondes voies y est retenu quelque temps, et commence à s’y transformer en boulettes d’une certaine consistance.

Le troisième segment s’en tient à être un canal d’écoulement.

Les boulettes stercorales parviennent de là dans la quatrième partie plus évasée, dans une sorte de grande vessie, où elles attendent, pour leur expulsion, comme l’urine dans la vessie urinaire, que ce réservoir soit entièrement rempli.

On sait enfin ce que ces matières deviennent après avoir été refoulées dans le cinquième et dernier segment intestinal, le rectum.

Craignant de me laisser entraîner dans de trop longues digressions, je n’essaierai point de retrouver dans le podencéphale ces divers segmens. Je ne m’étais proposé que la recherche du caractère et de l’emploi de l’avant-dernier. Or, des considérations qui précèdent, je crois pouvoir conclure que la grande poche qui termine le colon du podencéphale a son analogue trouvée. Si dans les bœufs et les lapins on peut la méconnaître à la rigueur en voyant cette quatrième portion intestinale étendue en longueur, il n’en est pas ainsi du vaste réservoir que montre l’intestin du cheval : sa situation indique son usage. Ainsi le quart inférieur du colon est une véritable poche, une sorte de réservoir à part, où les matières fécales sont recueillies[6] jusqu’à ce que l’excès de leur accumulation provoque leur expulsion. De la monstruosité à l’état normal, il n’y a dans le vrai qu’une différence de grandeur. Le réservoir stercoral est plus allongé (il forme la moitié du colon) chez l’homme régulier ; et, si chez le podencéphale c’est une beaucoup plus grande capacité, absolument parlant, l’accumulation du mucus explique cette différence : car, où les contenus ne discontinuent pas d’abonder, s’ils sont d’ailleurs privés d’être rejetés en dehors, il est de toute nécessité que les contenans s’agrandissent[7].

Le dernier segment intestinal s du podencéphale est d’une détermination trop évidente, pour que nous jugions nécessaire de nous y arrêter long-temps. À son caractère de dernière portion, à son insertion sur le colon, aux plis longitudinaux de la membrane interne, et à l’épaisseur de sa tunique musculaire, on reconnaît le rectum.

Nous traiterons dans le huitième paragraphe de son mode de terminaison.

  1. En traitant plus bas de la subdivision du second tuyau intestinal, nous dirons ce qu’est cette poche.
  2. Oken (Esquisse d’un Système d’Anatomie, etc., Paris, 1821) divise les intestins en trois parties ; en pharynx, intestinale et intestin-gros. Les noms d’anticœcal et de post-cœcal seraient préférables. Mais doit-on se permettre de créer un adjectif quand la langue ne manque point d’équivalent ?
  3. Je lis dans le troisième volume des Leçons d’Anatomie comparée, page 467, le passage suivant : « Dans tous les mammifères qui n’ont qu’un cœcum, celui-ci ne semble qu’un prolongement du gros intestin, que le grèle laisse en-decà de son insertion avec ce dernier. »
  4. Un docteur en philosophie des universités d’Allemagne eut cette idée singulière. Il me faisait l’honneur de suivre mon cours de zoologie au Jardin du Roi, et il y avait été frappé de la simultanéité, chez la plupart des mammifères, des conditions du cœcum et de celles des organes de la mastication. Il crut pouvoir expliquer ces relations en attribuant un nouvel emploi au cœcum, celui de la panse chez les ruminans. Des lapins qu’il avait apprivoisés lui paraissaient rendre des déjections d’une nature particulière, qu’ils reprenaient, remâchaient et avalaient de nouveau. L’auteur, dès son arrivée en Allemagne, devait publier ces idées.
  5. C’est du cœcum, comme on l’a défini jusqu’à ce jour, et non de la poche cœcale, qu’il s’agit dans ces mesures.
  6. Le célèbre professeur, M. le docteur Richerand, a déjà attribué ce même usage à tout le colon. « Les gros intestins, dit-il dans l’ouvrage devenu classique qu’il a donné sur la physiologie, peuvent être considérés comme une sorte de réservoir destiné à contenir pendant un certain temps le résidu excrémentitiel de nos alimens solides, afin de nous soustraire à l’incommodité dégoûtante de le rendre sans cesse. » Voyez Nouveaux Élémens de Physiologie, 8e édition, t. 1, p. 254.
  7. Dans un enfant mort-né à la suite d’une imperforation de l’anus, Salomon Reiselius vit l’intestin colon fort enflé et rempli de beaucoup de matières noirâtres, qui y étaient renfermées comme dans un sac. Voyez Collection académique, partie étrangère, tom. 7, p. 607.