Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines/Description d’un monstre humain, né à l’Hôtel-Dieu de Paris en août 1821, où l’on donne les faits anatomiques et physiologiques d’un genre de monstruosités du nom de podencéphale/§ IV

Chez l’auteur, rue de Seine-Saint-Victor, no 33 (p. 247-265).
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Description d’un monstre humain né en août 1821, du genre podencéphale.

§ IV. Du système cérébro-spinal.

À juger de ce système sur ce qu’en a montré le podencéphale à sa naissance, ce ne sont que vestiges informes : la tige médullaire s’épanouit, à son sommet, en un bulbe diversement strié à la manière d’un champignon ; mais c’est surtout en voyant que les stries en sont transversales, qu’on hésite à donner à ce bulbe le nom de cerveau, qu’on hésite en effet à prendre pour cet organe, où chez l’homme régulier se manifestent, dans une étendue et avec un volume aussi extraordinaires, toutes les nobles conditions de son espèce ; à prendre, dis-je, pour l’analogue d’une formation organique, le fruit et le terme des plus grands efforts de la nature, ce rudiment si restreint, saillant au delà des occipitaux et y apparaissant en totalité, cette sommité du système cérébro-spinal privée de ses coiffes habituelles, de la réunion des parties osseuses dont se compose la boîte cérébrale.

Et cependant telles ne sont point encore toutes les anomalies de ce noyau encéphalique. Regardez plus attentivement, et voyez qu’il s’élève par-delà sa chambre, qu’il en a traversé les dernières limites, et qu’il est assis, pour ainsi dire, sur l’extérieur des pièces formant ordinairement sa coiffe supérieure.

Du crâne ouvert à son sommet.

Ce n’est point cependant que le crâne se soit ouvert exprès à son sommet : le cerveau y fait hernie, il s’y est extravasé en traversant l’espace non encore occupé, chez les nouveau-nés, par les pariétaux et les coronaux ; espace qu’on y désigne sous le nom de fontanelle. Ces os, qui, chez le podencéphale, sont favorisés dans leur développement par les afflux d’une puissante artère, tendent par conséquent à parcourir tous les degrés de leur ossification possible : mais ne pouvant se répandre autour du champignon que forme alors la tige médullaire, il faut qu’ils s’y établissent circulairement, et qu’ils y reproduisent une sorte de second trou occipital supérieur et parallèle au véritable.

Des dernières découvertes sur le cerveau.

Naguère, et à peine quelques jours ont été employés à ce perfectionnement de nos études ; naguère, nous n’eussions pu que nous étonner à ce spectacle, que signaler une aussi singulière dérogation aux lois ordinaires, qu’y apercevoir une difformité à confondre toutes nos idées : ou bien, si, à l’exemple des Curtius, des Sandifort et des Otto, nous eussions voulu rendre nos impressions et en perpétuer le souvenir par des descriptions minutieuses, il eût fallu nous borner, comme eux, à compter les mammelons observables, à en donner les formes ; en un mot, à en parcourir servilement tous les détails topographiques.

Combien notre position est aujourd’hui changée ! Depuis qu’un grand ouvrage sur le cerveau, embrassant et la série des espèces et celle des âges, est venu donner de plus larges bases à la science ; depuis que la nouvelle méthode de détermination a si heureusement appliqué ses moyens tout-puissans de recherches à l’investigation de chaque élément cérébral ; depuis qu’enfin nous avons été mis en mesure d’embrasser chacun de ces élémens tout aussi bien dans ses spécialités que dans ses conditions générales, nous pourrons faire mieux que de donner une stérile description des anomalies, ou, comme il est sans doute plus vrai de le dire, une stérile description de l’état incomplet du cerveau chez le podencéphale.

Que de questions se présentent à l’esprit que nous ne craindrons plus d’aborder ! Ce cerveau, d’une si extrême exiguïté, en quoi pourra-t-il être comparé à celui de l’état normal ? Serait-il composé de toutes ses parties, et chacune, par une réduction proportionnelle, ne serait-elle qu’également soumise à la même modification, qu’atteinte par la même imperfection ? ou bien, quelles portions en auraient été retirées, et quelles alors resteraient observables ? Nous avons vu, en traitant de l’anencéphale, que des eaux, tenant lieu chez ce monstre du système cérébro-spinal, s’étaient à toujours conservées par impuissance de développement, nous n’omettrons pas non plus une considération de cette importance. Tels sont et le champ de recherches qui s’ouvre devant nous et les nouveaux points de vue sous lesquels nous pouvons envisager notre sujet, depuis effectivement qu’il a été répondu aux questions de l’Académie des Sciences sur le cerveau, depuis que le travail de M. Serres, connu seulement encore du public, pour avoir obtenu le plus honorable suffrage, nous donne une détermination exacte et une description comparative de toutes les parties encéphaliques.

Ce qui peut aisément dérouter, au premier aspect du cerveau du podencéphale, c’est de le voir composé de mammelons étagés et assis transversalement les uns sur les autres. Mais nos souvenirs de l’hypérencéphale nous rassurent à cet égard : il paraît qu’un des effets des monstruosités est d’imprimer au cerveau une sorte de torsion. Ainsi, sans nous laisser prévenir par ce qui en est apparent à l’extérieur, nous examinerons le cerveau dès son origine, à partir de la moelle allongée.

Du système nerveux.

Mais d’abord nous ferons précéder ce que nous avons à dire du cerveau par quelques observations sur le système nerveux en général. En ce qui concerne ses rapports avec la moelle épinière, ce système, et celle-ci pareillement, étaient dans l’état normal. Rien de remarquable, par conséquent, à l’égard des ganglions cervicaux, pectoraux et abdominaux. La moelle épinière s’étendait, comme cela a lieu chez le fœtus à terme, jusqu’au niveau du corps de la deuxième vertèbre lombaire, et les faisceaux nerveux qui la terminent, ou la queue de cheval, n’offroient non plus rien de particulier. Les anomalies du système cérébro-spinal sont donc partielles, cantonnées pour ainsi dire : elles n’affectent que la sommité de ce grand appareil, en commençant l’exercice de cette influence à partir de la deuxième vertèbre du cou.

Nous avons plus haut remarqué (dans nos Mémoires sur l’Anencéphale) que les nerfs, et en particulier ceux des organes des sens, avaient leur volume accru plutôt que diminué, s’il arrivait à la partie médullaire d’être contrariée dans ses évolutions, d’être arrêtée dans ses développemens : le podencéphale est aussi dans ce cas. Et ce qui rentre dans l’objet de ces considérations, les renflemens pyramidaux et olivaires n’étaient pas apparens, bien que les nerfs qui naissent dans leur voisinage eussent leur disposition normale.

Du quatrième ventricule.

J’ai donné une attention particulière à la prolongation médullaire de l’encéphale logée en dedans des occipitaux, et je l’ai considérée comme une sorte de pied servant de support au cerveau indépendamment de la moelle allongée, d’où j’ai tiré le nom de podencéphale. Cette partie de la tige médullaire (Voy. fig. 6, lett. a.) est en effet dans une condition toute particulière soit en elle-même, soit dans ses rapports avec ses enveloppes osseuses.

En elle-même, elle constitue le quatrième ventricule, qui est large, surtout transversalement : elle se continue en avant comme à l’ordinaire, dans l’aquéduc de Silvius, remarquable par sa brièveté, et en arrière elle donne naissance au calamus scriptorius, qui, chez le podencéphale, se prolonge dans la moelle épinière, jusqu’au niveau de la deuxième vertèbre cervicale. Cet état de choses est la structure normale que M. Serres a observée chez certains reptiles, les batraciens par exemple, et chez la plupart des poissons. De cette manière, le quatrième ventricule entre dans le canal de la moelle épinière, lequel était très-ouvert à la partie supérieure de la région cervicale.

Dans ses rapports avec ses enveloppes osseuses, le quatrième ventricule montre la plus grande exigence : tout le fond du canal où il est établi n’est plus en ligne avec les os qui précèdent : il s’est opéré un mouvement de bascule qui, d’une part, a porté vers le haut les ingrassiaux et généralement tout le sphénoïde y (fig. 7), au point que, dans deux crânes, autres que celui du sujet ici décrit, les éminences de ces os s’élèvent par-delà le coronal, et qui, d’autre part, a rejeté tout-à-fait en bas les occipitaux et les rochers. Ceux-ci en effet, au lieu, ou de se relever, comme à l’ordinaire, pour marcher supérieurement à leur rencontre, ou de s’écarter et de s’étendre en ligne droite, sont, tout au contraire, infléchis et abaissés ; d’où il arrive que le basilaire x (fig. 7) est comme suspendu au-dessous du sphénoïde, que les sur-occipitaux u (occipitaux supérieurs) prennent en arrière une position verticale et parallèle, et que les rochers p et les ex-occipitaux v (occipitaux latéraux) occupent, dans une situation renversée, le lieu le plus bas, s’étendant extérieurement sur les os cervicaux jusqu’à déborder l’atlas.

C’est dans l’espace circonscrit par ces os que se trouve séparément renfermé le quatrième ventricule ou le premier renflement de la tige médullaire. Or ces os, ramenés à ce degré de petitesse, et aussi à raison de leur nombre, de leur disposition annulaire et de leurs services, rappellent assez bien le groupe, l’arrangement et l’emploi des élémens dont se compose une vertèbre. Ce rapport fut trouvé, dans le même moment, vers 1807, en France, par M. Duméril, et, en Allemagne, par M. Oken ; et tout ce qui a depuis été remarqué pouvant s’y appliquer, tend, aussi bien que l’observation précédente, à établir qu’il doit être approuvé.

Du cervelet.

Le cervelet (lettre b, fig. 6.) se voit au-dessus du quatrième ventricule : de ce qui précède, il suit qu’il n’occupe plus son bassin ordinaire, le fond des occipitaux : il a gagné en hauteur, et il déborde déjà tout le pourtour des os supérieurs. Il est, moins que le cerveau, éloigné de ses dimensions et conditions normales : son développement le ferait juger arrivé au degré qu’il prend entre le quatrième et le cinquième mois de la vie utérine. Il ne présente que trois sillons transversaux un peu distincts. Sa forme est celle d’un disque large et renflé, dont l’épaisseur est de 6 millimètres, et le plus grand diamètre de 37.

Les hémisphères de cet organe n’étaient pas apparens : on ne voyait pas encore les traces des processus vermiculaires, supérieurs et inférieurs ; ce qui établit qu’en effet le cervelet du podencéphale s’était arrêté au degré de formation de l’âge d’à peu près cinq mois. Son bord antérieur formait un croissant assez profond, dans lequel était logée la partie postérieure des lobes.

L’aquéduc de Silvius étant très-court, il n’y avait aucun vestige de la valvule de Vieussens, quoique la quatrième paire des nerfs existât : celle-ci s’implantait sur la partie latérale du processus cerebelli ad testes.

Des renflemens connus sous le nom de tubercules quadrijumeaux.

Au-devant de la quatrième paire et au-dessus de l’aquéduc de Silvius, on trouvait de chaque côté un bulbe creux, un peu affaissé et couvert par les côtés du croissant que forme le bord antérieur du cervelet. Avant les travaux de M. Serres, cette partie était indéterminée. Susceptible de métastase comme de métamorphose, rudimentaire chez l’homme et les mammifères, portée à son maximum de composition dans les ovipares, ses conditions générales et ses variations qu’occasionne la succession des développemens étaient ignorées : occupant le centre à peu près de l’encéphale, l’indétermination de cette partie rendait précaires, erronées, je puis dire, les déterminations de plusieurs autres. L’anatomie humaine en avait recueilli l’observation comme d’un fait isolé : et comme cette observation ne s’appliquait qu’à l’une des formes possibles, on était passé de là à un nom qui donnait l’expression de la forme observée, au nom de tubercules quadrijumeaux.

Il n’y avait dans notre podencéphale, que deux de ces tubercules, les bulbes que nous venons de décrire. J’en dois la détermination à M. Serres : lui seul encore a ce degré d’habileté nécessaire pour saisir ce Protée, quel qu’en soit le travestissement et en quelque lieu qu’il se retire. Cependant la diversité de position de ces tubercules indiquerait-elle une marche assez irrégulière pour faire craindre de devenir une sérieuse objection contre nos théories ? Je me hâte de rassurer à cet égard. Cette marche, comme vagabonde, dépose, au contraire, en faveur des connexions, puisque c’est à l’aide de ce principe que les tubercules ou jumeaux, ou quadrijumeaux, n’ont pu échapper à l’ardente investigation de mon célèbre et savant confrère. Les premiers formés, ils s’étendent d’abord à l’aise ; mais bientôt engagés, chez l’homme surtout, dans une lutte avec d’autres parties qui surviennent plus tard, ils se laissent dominer et recouvrir par celles-ci, eux cessant de croître, et celles-ci, au contraire, devant former les masses les plus considérables du cerveau. Tel est l’un des résultats les plus piquans de la nouvelle théorie, de l’ouvrage couronné.

Cependant, si nous avons trouvé chez le podencéphale les tubercules doubles au lieu de quadruples, et creux au lieu de solides, ils n’y sont autres que ce qu’ils doivent toujours être et ce qu’ils sont dans tous les embryons humains de l’âge de quatre mois : voilà encore ce que l’ouvrage précité nous a donné à savoir. Il nous faut donc constamment nous reporter à la même conclusion : le cerveau du podencéphale est une œuvre arrêtée à l’un des points de ses premières formations ; par impuissance ou défaut de nutrition, il n’a pu être produit au delà ; en un mot, il y a là interruption manifeste de développemens.

Des lobes cérébraux.

Immédiatement au-dessus de ces portions encéphaliques en sont d’autres, aussi au nombre de deux[1], sous forme de mammelons, aplaties et séparées par un sillon. Ces connexions connues, et le rapport que ces masses ont également avec le cervelet, les font aisément reconnaître pour les lobes cérébraux. Un point cependant pouvait donner lieu à douter : c’est la position toute contraire de ces masses, leur situation en travers du crâne. Mais nous n’avons vu là que le même fait déjà observé et expliqué chez l’hypérencéphale, mais porté ici à la vérité à une plus forte exagération. Ces lobes auront cédé à une action provenant de l’extérieur que nous avons déjà fait pressentir, et sur laquelle nous nous réservons toujours de nous expliquer plus tard. Entraînés de gauche à droite, ils auront oscillé sur leurs pédoncules : ceci frappe d’évidence.

On ne saurait non plus se méprendre sur la cause d’une plus forte torsion de ces lobes, si l’on se rappelle leur manière d’être à l’égard de l’hypérencéphale. Le cerveau du podencéphale, placé beaucoup plus jeune sous l’influence pathologique, d’une part y fournissait de trop petites parties, et de l’autre n’offrait point assez de consistance pour y opposer une résistance efficace.

Au surplus, ce mouvement de torsion avait évidemment disjoint les lobes en avant des tubercules : nous les avons trouvés isolés l’un de l’autre. Ce dernier fait forme une circonstance très-importante, comme devant aider à concevoir le mode de déformation que l’encéphale a éprouvée dans cette partie.

En effet, quoique les lobes cérébraux fussent appliqués l’un contre l’autre, il n’existait entre eux aucun des moyens d’union qui ont été remarqués dans l’état normal, et qui ont été décrits si soigneusement. Il n’y avait ni corps calleux, ni voûte à trois piliers, ni commissures antérieures et postérieures : et, par l’absence de ces parties, on juge de suite qu’il ne pouvait y avoir ni de troisième ventricule, ni même les grands ventricules latéraux. Ces lobes formaient en effet une masse solide : M. Serres y a reconnu une structure qu’il avait observée sur les lobes cérébraux des oiseaux et des reptiles.

Des nerfs se rendant aux organes des sens.

Il n’existait aucun vestige des nerfs olfactifs, et l’on en concevra aisément le motif, si l’on fait attention que ces lobes, ayant quitté leur position longitudinale, avaient de cette manière perdu leurs rapports avec l’ethmoïde et la chambre nasale.

Celle-ci offre les considérations les plus curieuses ; elle croît et s’établit solidement pour n’être jamais habitée, pour n’être jamais olfactive. Rien ne prouve mieux l’indépendance et de ce contenant et de son contenu ; en sorte que je ne suis surpris que d’une chose, c’est qu’on ait imaginé le contraire, tout en sachant que les élémens de ces deux parties organiques proviennent d’artères différentes. De ce que la carotide interne est mise dans l’impuissance de fournir à la production des tubercules olfactifs, ce n’est pas une raison pour que le travail de l’autre carotide, l’externe, soit suspendu ou empêché. N’avons-nous pas vu, dans le paragraphe précédent, que c’est le fait inverse qui a lieu ? Et en effet cette dernière artère pourvoit à la construction de la chambre nasale, quoi qu’arrive ; qu’il y ait ou non occupation de cette chambre par la partie nerveuse olfactive : mais celle-ci venant à manquer, elle y pourvoit comme le comporte cette absence. Ce ne sont plus que des murailles très-rapprochées, que des lames osseuses, épaisses, droites et verticales : la lame ethmoïdale qui les sépare les retient à distance. N’y ayant plus de membrane pituitaire qui se roule en cornet, les élémens osseux qui y sont disséminés et qui lui servent de soutien, tapissent les parois intérieures de la chambre nasale, de la même manière à peu près que des enduits sont employés à revêtir des cloisons d’appartemens.

Les nerfs optiques étaient très-développés, ainsi que les nerfs destinés aux muscles de l’œil, tels que les troisième, quatrième et sixième paires. Les ingrassiaux avaient un relief considérable, le trou optique était large, et la fente sphénoïdale devenait, par son écartement, ce large espace vide du fond de l’orbite visible chez les animaux.

Le nerf de la cinquième paire était beaucoup plus fort que dans l’état normal : le ganglion sphénopalatin avait surtout un volume qui dépassait d’un tiers celui qu’il a sur un fœtus à terme.

Le nerf grand hypoglosse avait aussi acquis un volume considérable, et il se trouvait ainsi en rapport avec le développement prodigieux de la langue.

Enfin le nerf acoustique et le nerf facial (portion dure de la septième paire) ne s’éloignaient pas de leur état normal.

Sur la nomenclature.

Tous les détails de ce paragraphe établissent, ce me semble, que les divers cas de monstruosités chez le podencéphale ne sont rien moins que mystères et désordres. Tout se réduit à cette combinaison bien simple d’un fœtus complet à tous autres égards, et défectueux seulement pour avoir, à neuf mois, le cerveau d’un embryon de cinq mois. Au lieu d’admettre qu’une circonstance dépendant de causes extérieures, qu’une lésion d’un caractère purement traumatique, auront étendu des brides placentaires sur le cerveau, et auront ainsi paralysé le développement de cet organe, on a préféré les suppositions les plus invraisemblables. On a vu fondre sur le fœtus, jouissant jusque-là d’une santé parfaite, les orages d’une maladie aiguë. Ces phénomènes morbides de l’être organisé, fort de la vie de relation, respirant dans l’air athmosphérique, et sachant se défendre de toutes les influences particulières à son monde extérieur, on les a attribués à un être ne participant encore qu’à la vie végétative, nageant dans un fluide et contenu dans une poche sans issue. On a enfin imaginé une hydropisie capable de dissoudre et de faire disparaître tout ou partie d’un cerveau jusque-là sain et entier. Des mots sont venus protéger cette manière de voir : car le nom d’hydrencéphalie trouvé, il parut qu’il ne dut plus rien manquer à la théorie.

Cette théorie, protégée si à propos par la nomenclature, s’est plus tard portée à son tour réformatrice de la nomenclature elle-même. On entendait autrefois, sous le nom d’acéphale, tous les monstres par défaut, c’est-à-dire ceux dont la tête était privée d’une ou de plusieurs parties. L’a privatif, dans acéphale, avait ainsi un sens bien déterminé. En faisant de ceci une question de grammaire, et en voulant que l’a privatif contienne une négation pour la tête entière, on a confondu toutes les idées. Les faits récemment découverts établissent effectivement que le nomenclateur a été, dans cette affaire, plus grammairien que physiologiste. Il n’admet que deux classes de monstres ; acéphales (sans tête), et anencéphales (sans cerveau). Mais tous ses acéphales ont une tête en miniature, un crâne engagé et caché entre les épaules ; et tous ses anencéphales ont un cerveau organisé comme ceux des premiers âges de la vie utérine, à l’exception cependant de l’espèce de monstruosité à laquelle j’ai, en particulier, donné ou plutôt conservé le nom d’anencéphale.

Ayant ainsi ramené la monstruosité du podencéphale à consister uniquement en une réunion hétérogène d’organes d’âges et de développemens différens, où la rangera-t-on dans la classification enseignée dans les écoles ? Parmi les anencéphales ? Il le faudra bien, et l’on y est contraint : car c’est bien moins un acéphale, selon la nouvelle acception de ce terme. Et c’est ce que je vis en effet pratiquer, le 28 août dernier, à l’Hôtel-Dieu : médecins, professeurs de clinique, élèves, je les entendis tous se donner, dans les mêmes termes, la nouvelle qu’il venait de naître un fœtus anencéphale.

Eh quoi ! il serait un anencéphale, un être sans cerveau, ce monstre où nous venons d’observer un cerveau simplement retardé dans l’ordre des développemens, un cerveau véritablement normal au fond !

Avant la réforme de la nomenclature, on n’eût pas été exposé à faire ainsi usage d’expressions démenties par les faits ; on eût annoncé cette naissance sous la désignation d’un fœtus acéphale, sans que ce pût devenir amphibologique. Personne ne s’y serait mépris, et chacun eût seulement entendu, sous cette qualification, un fœtus irrégulier par la privation d’une ou de plusieurs parties de sa tête.

La cause de ce désordre est manifeste. On s’est trop pressé : la nomenclature n’a pas suivi les faits, mais les a précédés. Les mots sont facilement inventés dans le cabinet ; les faits, au contraire, ne s’acquièrent que par un travail opiniâtre et persévérant.

Heureux encore quand cette création intempestive de mots n’est qu’une surcharge pour la science, comme dans un article récent, intitulé : Anatomie d’un chien cyclope et astome[2]. On a voulu dire : Chien à un seul œil et sans bouche. Pour le mot cyclope, il est devenu français ; mais à quoi bon la forme insolite du second qualificatif ? Si du moins l’emploi de la nouvelle méthode de détermination avait, dans cet article, compensé cet inconvénient ! mais on y a manqué l’observation du fait fondamental, en prenant les deux caisses de l’oreille, soudées ensemble, pour la mâchoire inférieure.

Sandifort le premier se servit du mot anencephalus dans l’esprit que fait connaître l’exemple précédent, pour exprimer adjectivement une circonstance d’organisation : c’est plus tard qu’on a abusé de ce nom, en l’étendant à toute une famille de monstres. Mais, au surplus, on doit en convenir, ces hésitations sont très-excusables. Les monstres ont formé, jusqu’à ce moment, une question qui n’était pas encore arrivée à maturité. Pour la traiter avec toute l’exactitude et toute la profondeur désirables, il fallait que beaucoup d’autres sentiers de la science fussent parcourus, et que surtout et en première ligne, les déterminations de toutes les parties encéphaliques eussent été données.

  1. Voyez ces lobes, lett. d et g, pl. VI, fig. 1, 2, 5 et 6. Le cerveau ayant éprouvé un mouvement de torsion de gauche à droite, ses parties se sont enroulées les unes sur les autres. Le lobe d, l’analogue du lobe droit, occupe la sommité, et se trouve comme assis sur son congénère g. Il en est de même du cervelet ; b, correspondant à sa portion droite, recouvre b′ ou la portion de gauche.
  2. Journal de Physiologie expérimentale, par F. Magendie D. M., tom. 1, p. 314.