Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines/Description d’un monstre humain, né à l’Hôtel-Dieu de Paris en août 1821, où l’on donne les faits anatomiques et physiologiques d’un genre de monstruosités du nom de podencéphale/§ III

Chez l’auteur, rue de Seine-Saint-Victor, no 33 (p. 229-246).
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Description d’un monstre humain né en août 1821, du genre podencéphale.

§ III. Des anomalies du système sanguin cérébral.

L’extrême réduction du cerveau quant à son volume, et l’état plus avancé d’ossification du crâne, sont le produit d’une seule et même cause, et dépendent réellement de la même anomalie, étant l’un à l’égard de l’autre, l’occasion et le motif d’une compensation. C’est cette théorie que M. Serres vient d’exposer dans un article sur le système sanguin des monstruosités animales[1] L’hypertrophie, dit-il, d’une partie organique, et l’atrophie d’une autre en correspondance, tiennent à l’antagonisme de leurs artères nourricières, quand il arrive à ces artères d’avoir le diamètre de leur calibre établi différemment qu’à l’ordinaire. M. Serres cite l’acéphale incomplet[2] (notre podencéphale) né à l’Hôtel-Dieu, dans la division de M. Petit, comme lui offrant une disposition de ce genre.

Pour rechercher en quoi consiste exactement cette disposition, nous aurons à rapprocher, des vaisseaux artériels cérébraux de notre monstruosité, les vaisseaux analogues de l’état normal, et à comparer leurs diamètres respectifs ; et, quoi qu’advienne, je ne me contenterai pas de donner ces résultats en me servant uniquement de termes numériques qui ne portent point à une assez vive impression. J’observe que les moindres changemens dans la grandeur relative des artères forment ici un point fondamental ; et, pour appeler sur cette circonstance l’attention que réclame l’importance que j’y trouve, je l’ai fait tracer sur la planche VI, ayant représenté l’état monstrueux fig. 2, et l’état normal fig. 3.

Des carotides.

Tout ceci repose sur le rapport interverti qu’a remarqué M. Serres entre la grandeur respective des deux carotides. Chez l’adulte, où le crâne et la face présentent une étendue proportionnellement égale, les deux carotides ont à peu près le même calibre : mais il nous convient, pour la rendre comparative, d’avoir cette proportion dans les premiers âges ; et chez l’enfant, où le crâne prédomine sur la face, la carotide interne est la plus considérable[3].

Des proportions inverses sont chez le podencéphale. La carotide externe (voyez i, fig. 2) a gagné en volume ; et l’autre branche, lettre j, est au contraire réduite à la moitié de son diamètre. Cette dernière est donc tout-à-fait restreinte et comme descendue à un état rudimentaire. De plus, tous les rameaux qui en dérivent partagent son sort, tout comme ceux de la carotide externe participent, chez le podencéphale, aux conditions de plus grand calibre de cette artère. Voyez aussi que la thyroïdienne inférieure s est beaucoup plus forte chez le podencéphale, fig. 2, que l’est cette artère (S, fig. 3) dans l’état normal.

Deux principales artères se distribuent dans l’encéphale : la carotide interne et l’artère vertébrale. Elles sont d’abord étrangères l’une à l’autre ; leur origine et leur trajet ne sauroient différer davantage : mais enfin elles aboutissent au même point, et, à partir de leur entrée dans le cerveau, ce sont deux sœurs, y prenant le rang et y remplissant également les fonctions d’artères cérébrales. Si l’anomalie que présente le podencéphale consiste à créer et à opposer un obstacle à la libre circulation de leurs fluides, l’anomalie atteindra au même degré l’une et l’autre de ces artères ; et c’est en effet ce que prouve notre monstruosité. Voyez (fig. 2, lettre h) à quel degré de petitesse se trouve réduite l’artère vertébrale.

Passons de la considération de ces vaisseaux à celle des organes dans lesquels ils se répandent, et nous observerons les mêmes rapports. Où se fait sentir chez notre monstre l’action ultrà-nourricière d’une plus forte artère, l’organe est agrandi ; où tout au contraire cette influence par le fait d’une plus petite artère devient moindre, l’organisation ne peut parcourir la série des développemens normaux.

Qu’on veuille bien y donner attention : ce qui est ici un cas d’anomalie, c’est-à-dire le développement inverse des deux carotides, est au contraire l’état normal des animaux, et principalement celui des mammifères à long museau ; et, pour nous porter de suite sur un exemple qui, sous le rapport du cerveau et de l’étendue des os crâniens, embrasse, dans toute leur exagération, les faits du podencéphale, nous citerons le crocodile.

Nous ne pouvons donner à tous ces faits leur valeur scientifique qu’en renonçant à les voir isolés, qu’en cessant d’en apprécier l’influence d’après les idées particulières et incomplètes que le système de nomenclature qui leur est consacré en porte à l’esprit. Oublier ce qui semble acquis et ce qui paraît si formellement décidé en anatomie humaine, est le seul moyen de nous élever à ce qu’il y a de plus général en organisation, eu égard à la division des carotides, comme de rechercher à quoi peut tenir le principe de leur distribution.

La carotide primitive (consultez son tracé que nous donnons exactement fig. 2) est comparable au tronc d’un arbre ascendant, et les subdivisions de cette artère, à ses branches. Si l’arbre est ascendant, sa direction lui vient de la bonne tenue de sa tige centrale, qui, tout en diminuant par le détachement des rameaux latéraux, reste toujours la plus volumineuse, et mérite ainsi d’être toujours distinguée comme la mère-branche. Revenons à l’artère : le tronc servant de point de départ est la carotide primitive b. Comme la plupart des corps organisés qui se ramifient, elle fournit deux branches : l’une à gauche et l’autre à droite (dans l’ordre conventionnel des descriptions anatomiques ; il faudrait dire, l’une antérieure et l’autre postérieure : mais qu’on me permette, pour plus de clartés, de lire ce qui est dessiné) : au nœud suivant, ce sont deux autres branches, et au troisième nœud, toujours en montant, ce sont encore deux branches, également l’une à droite et l’autre à gauche. Chacune de ces subdivisions a reçu des noms. Le premier partage, après la carotide primitive, a été nommé, savoir ; la prolongation du tronc i, carotide externe ; la branche de droite j, carotide interne ; et la branche de gauche s, thyroïdienne supérieure. L’embranchement suivant se compose d’un rameau à gauche, qui se bifurque en artère linguale l et en artère maxillaire inférieure m, et d’un rameau à droite q, l’occipitale postérieure ; enfin au troisième nœud la mère-branche, se prolongeant dans la temporale n, développe à droite l’auriculaire postérieure o et à gauche, mais plus profondément, la maxillaire interne. Le dessinateur a dû omettre cette dernière, que la préparation des parties ne lui a pas permis de voir.

Telles sont les ramifications naturelles de la carotide primitive, telle elle se propage chez tous les animaux, à l’exception de l’homme normal ; telle en ordonne la force d’impulsion émanée du cœur. Ainsi la carotide primitive forme un tronc commun et central qui se poursuit, sous sa condition première d’une mère-branche, jusque dans l’artère temporale, mais qui, à ses nœuds ascendans, prend successivement les noms de carotide primitive, carotide externe, et artère temporale.

Pour que le sang dévie de sa ligne d’ascension et qu’il vienne affluer en plus grande quantité sur un rameau latéral, il faut que ce résultat dépende d’un événement étranger, à quelques égards, à l’organisation : et j’ajoute, sans la moindre hésitation, que, dans le cas qui nous occupe, il n’y a point à douter que ce ne dépende des travaux de l’intellect. L’activité de l’esprit, croissant chez les hommes au fur et à mesure de leurs progrès dans la civilisation, rend le cerveau de plus en plus consommateur. Le sang abonde en plus grande quantité là où il nourrit, et s’épuise davantage : c’est dans un plus faible degré le phénomène dit inflammation. Le calibre de l’artère augmente où cette cause agit, et toujours en raison du flot sanguin qui s’y engage. Qui sait si l’hypertrophie de la carotide interne, et par conséquent celle du cerveau, ne sont point, chez l’homme d’aujourd’hui, comme les acquisitions de son domaine intellectuel, un des produits du temps, une acquisition elle-même rendue transmissible par voie de génération ?

La carotide interne, ainsi gouvernée par un ressort étranger, par une plus grande activité des fonctions cérébrales, prend plus de volume que sa mère-branche, de la même manière qu’une branche latérale d’un arbre gouverné pour produire du fruit, devient la plus forte par l’application du jardinier à détruire les tiges ascendantes, ou ce qu’il appelle les branches gourmandes. Le fluide nourricier, étant privé de se répandre en ligne droite, se fait jour sur les côtés.

Ces explications données, nous concevrons, sans la moindre difficulté, tout ce que notre podencéphale présente de si merveilleux en apparence. Un obstacle, et je n’en pourrai dire la nature qu’en terminant ces Mémoires, un obstacle s’oppose invinciblement au développement du cerveau.

L’action de cette cause perturbatrice consiste à ne laisser arriver dans les méninges qu’un nombre fort restreint de molécules cérébrales. Or nous avons vu, relativement au système sanguin, que le producteur s’accroît en raison des objets livrés à la consommation, et qu’il diminue dans le cas contraire. Le podencéphale est dans ce dernier cas. Il est donc de toute nécessité que le vaisseau producteur, que l’artère cérébrale soit d’un moindre volume. Cette conséquence se déduit rigoureusement ; mais, d’un autre côté, l’observation donne aussi ce fait. Ainsi, ce qui devait être se trouve être ce qui est.

Ce n’est là qu’un premier effet de la cause perturbatrice ; d’autres s’ensuivent, comme on va le voir. L’action de monstruosité qui pèse sur la carotide interne se réduit, au fond, à l’impossibilité où elle est de recueillir, à ses branches terminales, tout le sang qui y arrive dans l’état normal. Ainsi, il n’y a rien de changé à l’origine des vaisseaux : le cœur jouit de la même force d’impulsion : le calibre des vaisseaux aortiques reste le même. Mais voyez ce qui résulte cependant de tout ceci. La même somme de fluides nourriciers qu’à l’ordinaire entre et s’engage dans la carotide primitive, quand, à raison de la perturbation dont nous avons parlé plus haut, il ne s’en écoule qu’une bien faible partie par un de ses rameaux, la carotide interne.

Faudra-t-il admettre un reflux jusque dans le tronc aortique ? Ce n’est pas plus à supposer que celui des eaux d’une rivière vers leur source. Le cœur ne manquerait pas d’ailleurs d’en être affecté pathologiquement, et nous savons qu’il ne l’est pas. Une autre condition est donc seule possible : c’est qu’à l’embranchement d’où sort l’artère restreinte, l’autre branche accroisse son calibre d’une quantité qui compense la perte de l’artère réduite. Dès que tout le sang du vaisseau primitif doit s’écouler sans obstacle par toutes ses dérivations, il devient nécessaire en effet qu’un des rameaux, au plus prochain embranchement, prenne une extension supérieure au volume de l’état normal, l’autre rameau restant en deçà de sa capacité première.

C’est ce qui arrive à une rivière, quand, précipitant ses flots sur le cap d’une île, elle est, par cet obstacle, partagée en deux bras : les eaux, qui ne trouvent point à s’engager dans le petit bras, refluent dans l’autre, et deviennent pour les eaux de celui-ci une cause d’augmentation. Or, voilà en toutes choses ce que montre le podencéphale : la carotide interne étant plus petite, il n’est point uniquement arrivé que le canal de la carotide externe se soit maintenu dans ses proportions ordinaires ; le calibre de cette artère s’est en outre accru précisément de tout le volume dont l’autre branche avait éprouvé la perte. Ces rapports mutuels des artères méritent d’être vérifiés, et la comparaison des figures nos 2 et 3, rendues très-exactement, donne lieu de s’en assurer.

Cependant tout ceci ne devient possible que sous la condition d’effets subséquens, c’est-à-dire qu’en donnant lieu à de nouvelles anomalies. On sait que les artères font l’office de vaisseaux nourriciers, ce qui doit s’entendre de ce qu’une partie de leur fluide s’assimile à la substance des organes ; et j’ajoute que les observations qui suivent ne s’appliquent qu’à cette même partie élaborée et prochainement convertible en organes.

Le sang, venant à se distribuer inégalement entre les deux carotides, et à se porter avec un afflux plus considérable dans la carotide externe, ne parvient point aux extrémités de cette artère, que cet excès de principes nutritifs n’y exerce une grande influence, et n’amène en effet à chaque issue un plus grand développement des organes qui s’en alimentent.

Le derme et le système osseux sont les parties de la tête où se rendent les subdivisions de cette principale artère : par conséquent tout cet ensemble est nécessairement porté à un développement surpassant de beaucoup celui que présentent les dimensions normales. Et en effet cela saute tellement à la vue, qu’on ne peut fixer le podencéphale sans être frappé des traits de bestialité répandus dans toute sa figure. Je ne cite à dessein que celle-ci, parce qu’il semble, à un premier aperçu, que la face du moins s’est maintenue dans l’état normal. En y regardant attentivement, on voit au contraire qu’il n’en est rien, et l’on trouve en effet que tout y est exagéré en force, et s’y prononce par plus de saillie et par plus de largeur à la fois.

Cet être, né de parens de la race caucasique, a sa face prolongée comme celle des singes, même comme celle des singes des degrés inférieurs, puisque son angle facial tout au plus ne comporte qu’une ouverture de 45°. Le nez est épaté, les lèvres épaisses et avancées, les joues larges, le menton court et rentré ; l’œil est fort gros en apparence, parce qu’il est sorti pour les trois quarts de son orbite ; ce qui est produit par l’affaissement du coronal et par le renversement en arrière du bord orbitaire supérieur. Il en résulte pour la fosse oculaire une entrée dont le plan se distingue de celui de la face par une inclinaison de 45 degrés, ou, à l’égard du sujet, un axe de vision qui, au lieu de se prolonger en avant de lui horizontalement, se dirige plus haut sous ce même angle. Cette circonstance, remarquée par M. Serres, lui a rappelé une semblable dépression du coronal, qui constitue l’état normal de plusieurs reptiles ; celui, par exemple, des grenouilles et des caméléons. (Théorie, etc., page 194.)

Mais ce n’est pas à donner à la face plus d’étendue superficielle que se borne l’action plus intense de la carotide externe : l’hypertrophie de cette artère explique en outre l’hypérostose du crâne. Cette dureté des os, chez un fœtus, si grande que quelques os exigent l’emploi de la scie pour être divisés, avait, dès l’origine de ces recherches, fixé mon attention ; et sans penser alors que l’explication en serait acquise si prochainement, j’en avais parlé (pages 19 et 90), en annonçant seulement que je confirmais en ce point une observation déjà donnée par Van-Horne. Si nous trouvons en résultat que les os crâniens du podencéphale acquièrent rapidement une densité qu’ils n’eussent acquise que plus tard par l’action progressive des années, nous savons également que l’artère qui s’y distribue y porte une nourriture plus vivifiante.

La boîte cérébrale paraît, au premier aperçu infirmer ces résultats. En la voyant si petite et en même temps si largement ouverte à son sommet, on pourrait croire qu’elle n’est pas même terminée, et que par conséquent la carotide externe n’a eu sur elle aucune prise. Mais loin de là, comme on va le voir ; la boîte cérébrale est affaissée, parce que le cerveau en a gagné et en occupe la région supérieure ; et elle n’est pas fermée, parce que le cerveau qui est passé au delà des os du vertex, est ainsi devenu un obstacle à la réunion de ces pièces. C’est une seule, c’est toujours la même cause perturbatrice qui donne lieu à tous ces désordres. Mais d’ailleurs, malgré toutes ces traverses, la carotide externe remplit sa destination : car, si elle est privée de déposer ses élémens osseux en superficie, elle n’est pas moins occupée de les produire ; et alors c’est sur un même point qu’elle les dépose, dans une région très-circonscrite, en arrière du cerveau. Là, les élémens osseux sont accumulés en telle quantité (voyez fig. 7, lett. uvxy), que l’os en reçoit une épaisseur considérable ; et comme si ce n’était assez que ce résultat obtenu, comme s’il fallait qu’il fût satisfait à une plus ample consommation, les molécules osseuses pénètrent dans la substance même de l’os, viennent y remplir les vides de la partie réticulaire, et, en s’y amassant, donnent à l’os cette densité et cette solidité que j’avais signalées avec Van-Horne, sous le nom d’état éburné.

Ici le cercle des modifications du système sanguin, en ce qui touche notre podencéphale, est parcouru. Que de conséquences découlées d’une seule cause perturbatrice ? Le cerveau est-il primitivement placé sous une cloche (l’x de notre problème dans son état présent), cloche membraneuse qui l’empêche de profiter autant que de coutume ? la carotide interne n’y pourra verser, ne pourra offrir à sa consommation tout le sang qu’elle y porte ordinairement. Son calibre en sera diminué ; mais, en revanche, celui de la carotide externe augmentera sensiblement. Il adviendra qu’enfin, avec l’excès des fluides nourriciers charriés par cette artère agrandie, les organes, où se trouvera transportée cette surabondance, seront tuméfiés et portés à des dimensions hyper-normales. Or ces organes, avons-nous vu plus haut, sont le derme et le système osseux,

Aurions-nous voulu une plus favorable application de notre principe du balancement des organes ? Je ne crois pas possible de mieux trouver, Cet exemple contient une exposition de ce principe tellement démonstrative, qu’elle en fait tomber le caractère fondamental sous les sens. L’emprunt, comme on le voit, fait à un organe, qui en est appauvri, pour en enrichir un autre, ne peut jamais avoir lieu aux dépens d’un organe déjà produit. Les compensations s’établissent avant que les élémens formateurs se séparent du fluide général en circulation, quelquefois à l’origine des artères, mais le plus souvent à leurs points de terminaison.

Sur le principe du balancement des organes.

Je crois avoir été compris. Mais cependant quelques lecteurs désireroient-ils encore une exposition de ces idées plus claire et telle que les comparaisons les apportent à l’esprit, je ne me refuserai point à donner l’explication suivante.

Soit, par exemple, un appareil à injection contenant un litre de liquide : je suppose cet appareil terminé par une canule à deux bras, chaque embranchement de même diamètre, et chacun des bouts engagé dans des récipiens d’un volume égal et d’un litre aussi en capacité. L’appareil se vide-t-il ? c’est dans les deux récipiens, lesquels en sont à moitié remplis : et attendu que les liquides d’injection sont faits avec des matières qui, en se refroidissant, prennent une consistance solide, ces injections donnent finalement deux gâteaux d’une forme à laquelle les vases ayant servi de moule ont procuré la leur. Ainsi deux organes doivent, à l’égale répartition de leurs fluides nourriciers et à l’homogénéité de leur tissu vasculaire, leur parfaite identité, sous le rapport de leurs dimensions, comme sous celui de leurs formes.

Mais s’il arrive qu’à cet état régulier succède un ordre de choses qui contraigne un des bras du siphon de se resserrer de manière à ce que le liquide soit distribué, trois parties dans un des récipiens pour une seulement dans l’autre, nous aurons deux gâteaux de grandeur inégale. Dans ce cas, nous sommes fondés à prononcer que l’excès de volume de l’un suit de la diminution de l’autre, et qu’il s’est établi une compensation entre ces deux produits, parce qu’ils ne sauraient dériver d’une même source sans avoir préalablement opéré une sorte de balancement entre le volume de leurs masses.

Mais cela ne veut pas dire qu’après leur formation il puisse être emprunté à l’un des gâteaux de quoi fournir à l’accroissement de l’autre ; c’est avant qu’ils aient absorbé et qu’ils aient vu se convertir en leur nature les matières de l’injection, que ces sortes d’emprunts sont censés faits. Et dans le vrai, il tombe sous les sens que si une très-forte somme des élémens formateurs est employée dès l’origine du système circulatoire à produire un organe excessivement volumineux, il reste seulement à naître un organe atrophié, et tel enfin que le comporte l’action d’un moindre nombre de ces élémens à intervenir.

Ce balancement entre le volume des masses, que par contraction j’exprime par les mots de balancement des organes, est une loi générale de la nature vivante, une loi que vous saurez toujours reconnaître sans difficulté, soit que vous en considériez les applications dans les déviations qui vous donnent des monstres, puisqu’un organe n’arrive point à être monstrueusement développé qu’un autre n’en devienne rudimentaire ; soit que vous élevant à la contemplation de l’organisation régulière, vous aperceviez, dans le tableau mouvant de ces proportions, la raison de ces formes, variées à l’infini, sous lesquelles les espèces nous sont données. Car, vous n’en sauriez douter, si vous voyez chez de certains animaux de longs pieds, un corps plus robuste, une tête armée ou simplement ornée d’une manière extraordinaire, en un mot, un accroissement inusité, quels qu’en soient l’objet et la nature, croyez ces avantages rachetés par un sacrifice imposé ailleurs.

Il y a déjà long-temps que l’anatomie pathologique, comparant l’homme malade à l’homme en santé, avait vu et l’amaigrissement extrême d’un organe et tout à côté la prospérité désordonnée, accablante, et le plus souvent mortelle d’un autre : mais on n’avait encore saisi que quelques faits, dont il restait toujours à établir, et dont je crois, dans mes précédens écrits et dans celui-ci, avoir donné la condition générale.

  1. Essai sur une Théorie anatomique des Monstruosités animales, par M. A. Serres, chef des travaux anatomiques des hôpitaux, etc. Voyez Bulletins de la Société médicale d’émulation, recueillis par la Revue médicale, octobre 1821.
  2. M. Serres recourt à cette périphrase pour éviter l’emploi du mot impropre d’anencéphale, donné par les anatomistes occupés de pathologie à une classe entière d’acéphales, à ceux qui ont un cerveau rudimentaire. Il n’est en effet aucun de ces prétendus anencéphales où ne soient, dans une proportion plus ou moins grande, quelques parties encéphaliques. J’ai plus haut déjà regretté d’avoir conservé et adopté ce nom pour un genre d’acéphalie chez qui un liquide précurseur du cerveau tient lieu de cet organe : hydrencéphale eût été préférable.
  3. J’ai fait dessiner, fig. 3, ces artères sur un enfant nouveau-né, pour en donner l’état normal : on peut ainsi juger de leurs différences respectives. La carotide interne, lettre J, l’emporte d’un septième à peu près en volume sur la carotide externe I. J’ai fait aussi placer tout à côté, sur la même planche, fig. 4, un trait qui donne le rapport de ces mêmes parties chez un enfant de cinq ans. Les mêmes lettres b, i et j indiquent les mêmes artères carotides primitive, interne et externe. La différence entre ces deux dernières est très-considérable ; mais il est évident qu’un développement extraordinaire l’aura causée. J’ai supposé que cet enfant était mort d’une inflammation du cerveau : cependant des notes à son sujet, qui m’ont été remises, assignent une autre cause, la maladie du carreau.