Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines/Description d’un monstre humain, né à l’Hôtel-Dieu de Paris en août 1821, où l’on donne les faits anatomiques et physiologiques d’un genre de monstruosités du nom de podencéphale/§ VI

Chez l’auteur, rue de Seine-Saint-Victor, no 33 (p. 288-320).
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Description d’un monstre humain né en août 1821, du genre podencéphale.

§ VI. De la nutrition intestinale du fœtus et de sa très-grande conformité avec la nutrition intestinale de l’animal adulte.

On a vu dans le précédent paragraphe que le colon et son vaste renflement, ou le réservoir qui le suit, étaient chez le podencéphale entièrement remplis de mucus et de matières excrémentitielles. Ce fait m’a paru de nature à beaucoup modifier nos idées sur la nutrition du fœtus, et peut-être même sur la nutrition en général. Entrerai-je ici sur ce sujet dans quelques détails ? J’y vois, d’un côté, l’inconvénient qu’une aussi grande discussion puisse, à cause du lieu, paraître déplacée : mais, d’un autre côté, pourquoi craindrais-je d’admettre dans l’histoire du podencéphale une discussion dont il fournit l’idée-mère, dont il est l’occasion et le point de départ ?

Du méconium.

Si j’en excepte les opinions où l’on suppose que le fœtus finit par avaler une partie des fluides[1] contenus dans l’œuf, je ne sache point qu’on ait imaginé d’attribuer au canal intestinal le moindre usage pendant la durée de la vie utérine. L’opinion la plus générale est que les intestins demeurent passifs tout ce temps ; et alors, dans cette hypothèse, le méconium que rend l’enfant peu après sa naissance ne serait qu’une vague transformation des sécrétions produites par les membranes muqueuses et par les organes biliaires.

Le podencéphale, en fournissant de nouveaux, faits à la question de la nutrition du fœtus, vient compliquer les élémens de ce problème ; ou plutôt, en donnant un nouvel essor à la pensée, il nous porte à quitter utilement les sentiers battus jusqu’ici. Car ce n’est point, absolument parlant, du méconium, un liquide visqueux et en très-petite quantité, que j’ai observé dans les gros intestins, mais des matières tout à la fois très-abondantes et très-bien caractérisées comme excrémentitielles. Or le canal intestinal n’a pu les amener à ce degré de résidu fécal que par une suite d’opérations, comme chez l’animal adulte. L’intestin du podencéphale aura donc joui d’une activité de même ordre, sous plusieurs rapports, que celle des intestins des animaux soumis au régime de la respiration aérienne. Par conséquent une véritable nutrition aura eu lieu dans les voies digestives du fœtus monstrueux.

Cependant quelle substance aura été là susceptible de chylification ? Mais, d’abord, quelle y avons-nous trouvée ? Nous l’avons dit plus haut, du mucus et des matières excrémentitielles. Remarquons que c’est ce qu’on trouve également chez le fœtus à l’état normal. Qu’avait donc alors donné d’extraordinaire la monstruosité ? Nous l’avons dit aussi plus haut, seulement une quantité beaucoup plus grande de ces substances, et surtout une quantité de mucus, telle que les voies digestives en ont été trouvées remplies, et ces voies elles-mêmes agrandies.

Menons cette discussion pas à pas. Que conclure de cette anomalie ? 1o À l’égard du mucus, qu’il était là un amas trop considérable de cette substance pour avoir été absorbé ; ce qui sans doute peut se traduire par ces mots, pour avoir été soustrait et assimilé ; 2o et à l’égard des matières excrémentitielles, qu’elles n’étaient qu’un résidu, un résultat de transformation, le produit enfin d’une vraie digestion.

Ainsi, sans y tendre de dessein prémédité, nous rentrons dans des considérations que l’on avait tenues dans le vague, parce que la théorie n’en avouait pas les conséquences toutes naturelles ; dans la considération de résultats qu’on s’était comme dissimulés, en les tenant presque cachés sous le masque d’un mot étranger, sous le nom de méconium[2]. Ce vague était favorable à plusieurs interprétations. Le physiologiste ne tenait aucun compte de l’origine et de la nature du méconium, pour rester invariable dans ses préoccupations touchant l’inertie du canal intestinal chez le fœtus, quand au contraire les anatomistes, et surtout les médecins praticiens, à qui ces idées théoriques importaient moins, sans préventions et tout à la réalité du fait, attachaient un sens déterminé au mot méconium. Il n’est point en effet de praticien qui, usant de ce terme, n’entende exprimer par-là la première déjection de l’enfant, et qui ne considère cette déjection comme un véritable résidu excrémentitiel.

Des sécrétions intestinales.

Défendons-nous de toutes préventions, et ces faits vont nous révéler toute leur portée. Des matières excrémentitielles existent dans les dernières voies intestinales, en très-grande quantité chez le podencéphale, et chez tous les fœtus à terme dans un moindre degré. Ces résidus supposent une digestion, et je ne crains point de dire que j’emploie ce terme dans son sens le plus absolu. Toute digestion suppose à son tour des alimens. N’arriverait-il dans les voies intestinales[3] absolument que du mucus, ce résultat ne me frapperait que sous un seul rapport, c’est qu’il me dispenserait de toutes recherches subséquentes. Je verrais tout trouvé cet aliment cherché.

Telle n’est cependant pas notre position. Il est chez le fœtus des glandes qui paraissent plus à sa convenance qu’à celle des êtres parvenus à la vie de relation. Le foie est plus particulièrement dans ce cas : non-seulement ce viscère est beaucoup plus volumineux dans les fœtus, mais il y paraît de très-bonne heure éloigné de cette indécision d’un organe qui essaie de se produire, dans une condition arrêtée. C’est tellement un organe de la constitution des fœtus, qu’on le voit acquérir de plus grandes dimensions au fur et à mesure que l’on descend davantage dans la série de l’organisation ; qu’on le considère successivement chez les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les poissons, les insectes et les mollusques. Or le foie sécrète en abondance un fluide, qui se verse aussi dans les intestins.

Du mucus.

Je ne puis encore considérer l’action de l’intestin sur ce fluide ; je dois une attention plus grande au produit le plus abondant, au mucus[4].

C’est, suivant moi, en avoir pris une idée par trop rétrécie que de l’avoir vu seulement sur toute l’étendue des membranes muqueuses entrer comme auxiliaire dans de certaines relations, s’employer à lubrifier les parties, à les tenir dans un état jugé nécessaire d’humidité, enfin s’interposer pour favoriser le glissement des pelotes alimentaires dans l’intestin. Je ne nie point ces usages, et je trouve tout simple que, là où le mucus s’accumule en si grande abondance, sa présence y donne lieu à plusieurs événemens : mais que ce soit afin d’être dispos pour tous ces petits services qu’il se produise, et qu’existent pour le produire les membranes muqueuses étendues sur toutes les dernières enveloppes de l’être en dedans et en dehors, voilà ce que je ne puis également admettre. C’est réduire à sa plus petite valeur l’un des principaux élémens de l’organisation, l’un des rouages les plus puissans de la machine.

Le mucus est un des principes immédiats des êtres organisés. Son principal caractère est d’être le premier degré des composés organiques. Les végétaux le donnent[5], et les animaux après une première révolution des fluides circulatoires. Il est plus abondant chez les plus jeunes, et par conséquent chez les fœtus ; et ce sera tout aussi bien en physiologie qu’en chimie qu’on ne tardera pas à le considérer comme le fond commun où puisent les membranes, et généralement tous les tissus employé comme contenans. Il est dans le cas de toutes les matières premières dont on forme nos étoffes. Les alimens deviennent lui, et lui[6] les organes solides. Il est l’objet final de la digestion, la substance assimilable par excellence.

On dit en physiologie « que le fœtus, étant beaucoup trop faible pour assimiler à sa propre substance des substances étrangères, reçoit de sa mère ses alimens tout préparés. » (Rich. Phys. 2., p. 443.) C’est voir de trop haut les choses, et s’exposer à les voir confusément ; c’est d’ailleurs généraliser un fait qu’une seule espèce, qu’une seule considération auraient donné. Pour le peu qu’on ait observé les animaux dans les premiers momens de leur existence, on sait qu’il n’est point d’êtres, si frêles qu’on les suppose, qu’ils ne produisent du mucus ; ou plutôt l’abondance de ce produit augmente en raison directe de leur plus grande débilité : et il n’est pas d’êtres non plus qui n’absorbent du mucus, qui ne s’en nourrissent, et qui ne jouissent par conséquent des facultés assimilatrices. Voyez le frai des batraciens : c’est par la production du mucus que s’annonce en lui le mouvement vital, et le mucus formé devient aussitôt la source où le nouvel être va puiser sa nourriture.

Du fœtus nourri par sa mère.

On n’aurait donc aperçu que des masses et que leurs conséquences sous un point de vue trop élevé, quand on a aussi donné cette autre généralité : « Le fœtus se nourrit en s’appropriant ce qui lui convient dans le sang que lui apportent les vaisseaux de la matrice. » (Rich. Phys. 2, p. 450.) Ce discernement du fœtus s’exerce peut-être plus décidément qu’on n’a ici cherché à l’établir. Et en effet ce qui lui convient ayant tout, c’est, si je ne me trompe, de se nourrir de sa propre substance. Le sang des vaisseaux utérins ne peut être et n’est réellement pour lui qu’un aliment de futur contingent, qui sans doute deviendra sien, mais qui ne l’est point encore devenu. Il approvisionne ses vaisseaux circulatoires ; mais il ne saurait être et n’est point immédiatement convertible en organes. Il ne devient assimilable enfin qu’autant que le fœtus lui fait subir en dedans de ses propres organes plusieurs sortes de transformations.

On sait de quelle façon le sang de la mère se distribue chez le fœtus : une partie passe par le foie, le surplus Va directement au cœur.

1o Sur le sang qui passe dans le foie. Ce fait ne m’intéresse pour le moment que sous le rapport de la sécrétion de ce viscère, exercée au profit des voies intestinales ; et encore mon cadre se refuse-t-il à ce que je traite la question dans toute son étendue. Je n’examinerai donc point ici si la bile est susceptible d’une vraie digestion, c’est-à-dire d’une opération qui aurait pour objet l’absorption de sa partie aqueuse et le rejet de ses parties salines et terreuses ; rejet dont la conséquence serait de fournir les matériaux du méconium. Je me borne à considérer la bile sous un seul point de vue, formant dans la question actuelle un sujet de première importance. Les sucs biliaires et pancréatiques, parvenus dans les voies intestinales, y deviennent une cause d’excitation ; ils en irritent les parois, et y promurent une précieuse et utile inflammation en y devenant l’occasion et le centre d’une congestion sanguine. Le sang, appelé par-là dans les membranes muqueuses, les abandonne bientôt en grande partie pour se répandre sur les surfaces intestinales, transformé, ou, comme on le dit, sécrété en mucus.

2o Sur le sang qui se rend au cœur. Par ce don que lui fait sa mère, le fœtus est seulement dispensé d’introduire en dedans de lui des substances empruntées au monde extérieur, des matières alimentaires d’une nature, relativement à lui, trop grossière. Ces substances, qui dans l’adulte sont d’abord des alimens bruts pour les voies digestives, deviennent, à la suite d’éliminations et de diverses autres élaborations, pour les voies circulatoires, des alimens plus divisés, liquéfiés, un vrai sirop alimentaire, une portion du sang. Ce n’est donc, en dernière analyse, qu’un aliment plus quintessencié. La différence du fœtus à l’adulte, eu égard à leur mode de nutrition, réside donc moins dans le degré de leur organisation que dans celui des mutations possibles de leurs substances alimentaires. Celles-ci se composent de deux parties distinctes ; les unes, vrais élémens terreux, non convertibles en organes, et les autres empruntées aux substances les plus susceptibles de transformation, comme l’air, l’eau et le feu, pour la plupart déjà tissées par l’organisation et par conséquent le plus éminemment assimilables. La digestion est le phénomène qui sépare les unes des autres : les premières, les élémens terreux, restent en très-grande partie dans, le canal intestinal, et s’y arrangent, réunies avec une petite quantité des secondes qu’une cohésion trop forte retient, s’y arrangent, dis-je, en matières excrémentitielles ; et les autres passent dans les voies de la circulation, et s’y changent en ce sirop alimentaire qui fait la partie principale du sang artériel.

Serait-il encore nécessaire d’établir ce fait par de plus grands développemens ? Voyez le fœtus dans un âge plus avancé, quand il se sera séparé de sa mère ; voyez-le enfant à la mamelle. C’est toujours par sa mère et de sa mère qu’il continue à être nourri : je puis ajouter, c’est presque de la même façon ; car c’est aussi par un sirop alimentaire, mais cette fois par un liquide que donnent les premiers actes de la digestion, et qui par conséquent ne participe pas au degré d’élaboration du sang distribué au fœtus : liquide dans un état intermédiaire, puisqu’il se compose à la fois et de parties propres à la sanguification et d’élémens terreux non encore dégagés.

Le fœtus, pour recevoir directement la nourriture de sa mère, n’est pas moins que l’enfant à la mamelle un être à part, un être agissant par des ressorts qui lui sont propres. Puisant à la même source, ils sont tous deux dans la même catégorie. L’individualité d’un embryon est en effet aussi franche au sein de l’utérus, où les vaisseaux de la matrice pourvoient à son alimentation, que celle d’un enfant, libre de tous liens, qui est nourri par des vaisseaux de glandes mammaires. Où se montre surtout cette condition d’indépendance, c’est dans les nouveaux rapports de ces êtres avec leurs alimens : ils ne peuvent les rendre capables de contribuer à leur accroissement, se les appliquer qu’en usant de leurs ressources personnelles, qu’en opérant une véritable digestion de ces alimens empruntés à la tige maternelle.

Ainsi, par une autre route, nous arrivons à dire, comme plus haut, il y a digestion chez le fœtus. Je ne crois pas qu’on puisse rien objecter contre cette déduction, que deux ordres de faits s’accordent si heureusement à donner.

De l’action de l’intestin durant la vie fœtale.

Mais, d’un autre côté, toute digestion a son siége dans le canal intestinal. Revenons donc à l’intestin, pour examiner ce qui s’y passe.

La bile, qui y est versée, devient, avons-nous dit, un centre de fluxion pour les membranes muqueuses. Je n’ai pas besoin de remarquer que le sang, en traversant diverses glandes et surtout les poumons, et en s’y dégageant des fluides qu’on sait que les glandes et les poumons séparent, s’est par-là préparé à ses derniers actes de transformation : il me suffit de savoir que les artères mésentériques, abandonnent dans les bourses muqueuses un sang qui s’y divise en sang veineux et en mucus.

Voilà donc nettement aperçu l’objet final des artères qui se distribuent à toutes les surfaces muqueuses, qui se rendent, soit aux plus extérieures des enveloppes, soit à celles qui se réfléchissent en dedans, et qui, étant une continuation de celles-là, deviennent les autres enveloppes renfermant aussi de ce côté l’animal adulte ; arrangement qui place l’être sous les conditions de structure d’un manchon ou d’un polype, et qui en montre toutes les surfaces intestinales, tout aussi bien que les cutanées, susceptibles de contact et de relations avec un grand nombre d’objets du monde extérieur. Le dedans du canal alimentaire correspond à l’intérieur du manchon, et la bouche et l’anus à ses deux entrées[7].

Les artères, en fournissant leurs derniers ramuscules aux surfaces muqueuses, viennent expirer sur les confins de l’être ; elles s’épuisent totalement en se séparant en deux parts.

Toute sécrétion entraîne en général la nécessité d’une bourse dans laquelle soit reçue la chose sécrétée. À l’égard de l’un des produits, cette bourse est parfaitement connue. Le sang artériel des surfaces muqueuses, moins le mucus, et, nous l’exposerons plus bas, toutes les provenances des digestions alimentaires qui s’y mêlent, deviennent le sang veineux : or tous ces produits ont leur système de vaisseaux absorbans ; c’est le système des vaisseaux veineux.

Cependant que devient le mucus, cette autre partie du sang artériel ? Il nous faut pour lui un consommateur non moins dévorant que l’est le système veineux à l’égard de l’autre part du sang artériel[8]. Nous n’ignorons pas que, pour n’avoir accordé qu’un rôle très-subordonné au mucus chez les animaux adultes, on s’est mis dans le cas de se peu soucier de ce qu’il pouvait devenir, et qu’on a supposé que, se combinant avec les alimens, il en suivait ultérieurement la destinée. Mais nos faits contredisent formellement cette doctrine. Ce n’est plus seulement dans le canal alimentaire et pour y favoriser le glissement de substances grossières ; ce n’est pas non plus uniquement dans d’autres voies qu’il soit nécessaire de lubrifier, que se trouve le mucus chez l’embryon. Cette substance abonde partout où sont les membranes muqueuses, davantage aux surfaces cutanées entourées des eaux de l’amnios, et que par conséquent il n’est pas besoin de lubrifier, que dans l’intestin, et davantage aussi dans les premiers temps de la vie utérine que dans les derniers. Il n’est pour le fœtus ni alimens fournis par le monde extérieur, ni évacuation de matières stercorales selon le mode d’expulsion possible chez les adultes.

Au contraire, tout porte à croire que le mucus, de la même manière que le sang veineux, retourne des confins de l’être où il s’est formé aux parties de centre, pour y devenir, chemin faisant, la matière assimilable, et pour les nourrir, en se répandant de dedans en dehors. Mais par quelles routes le mucus effectuerait-il ce retour ? et quels viscères en seraient l’objet, en deviendraient le lieu de dépôt ?

Il n’est point d’abondantes sécrétions sans de grandes poches qui en recueillent les produits, et qui les tiennent en réserve, afin que les consommations s’en puissent faire au fur et à mesure des besoins. La bile a sa vésicule, l’urine sa vessie, les matières excrémentitielles leur réservoir stercoral, les os leur périoste, etc. Le mucus, en quoi le sang artériel se résout en très-grande partie, et qui est de tous les produits organiques le plus abondant, plus qu’un autre, à raison même de cette abondance, semble plus impérieusement réclamer un pareil réservoir. L’analogie porte à cette supposition. Mais, d’abord, quelles voies lui seraient appliquées ? quelles filières auraient pour objet d’en favoriser la circulation ? Deux grands appareils sont également répandus partout, le système lymphatique, s’il reste liquide, et le système nerveux, si du calorique libre aux extrémités artérielles le faisait passer à l’état de fluide élastique. Aurons-nous à choisir entre l’un et l’autre ? Je ne crois pas ces questions absolument insolubles dans l’état présent des sciences : un fait de l’histoire du podencéphale met sur la voie.

Des relations du cerveau avec les intestins.

Quand je m’occupai du cerveau de ce monstre, sa petitesse me frappa. Je me demandai, à sa vue, où pouvaient avoir passé les élémens destinés à devenir le surplus de ce cerveau : car le podencéphale me paraissait alors, à tous autres égards, à peu près dans le cas de tous les fœtus à l’état normal. Entre plusieurs hypothèses d’après lesquelles je me proposai de diriger mes dissections et mes recherches, j’en adoptai une plus d’accord avec mes pressentimens. N’apercevant rien ailleurs d’irrégulier, je conclus que ce serait le propre système du cerveau, le système cérébro-spinal, qui auraient eu, sous un autre rapport et dans un autre lieu, à se ressentir de l’anomalie des parties antérieures et terminales. Je m’attendis à trouver que ce qui manquait au cerveau serait rendu par un excès de volume dans la colonne épinière, et j’allais en effet sur cette observation, en pensant voir la moelle épinière, comme aux premières journées de la formation du fœtus, d’une part allongée et continuée jusque dans les vertèbres sacrées, et de l’autre accrue latéralement. À mon grand étonnement, je trouvai au contraire la colonne épinière et la substance pulpeuse sans la moindre modification.

Cependant, pour la première fois que ma loi du balancement des organes était en défaut, devais-je y renoncer ? Je suis resté un certain temps dans cette perplexité. J’avais été fixé sur cette loi, non pas seulement pour l’avoir jugée l’expression fidèle de tous les faits de variation organique, mais de plus aussi pour l’avoir logiquement conclue de la condition même des développemens. En effet, s’il arrive à des élémens organiques de n’être pas reçus dans leurs bourses ordinaires, il faut nécessairement ou qu’ils s’introduisent en d’autres bourses, ou bien que ces élémens séjournent au lieu de leur naissance. Je ne voyais pas le podencéphale dans le premier cas, du moins pour le système cérébro-spinal ; mais il pouvait être dans le second. Je ne désespérai donc point d’un principe qui est donné avec tant de rigueur, et j’attendis d’avoir examiné les organes abdominaux pour me former une opinion définitive.

Or voici ce qui vint rétablir dans mon esprit ma loi du système des compensations. J’avais moins au cerveau, j’avais trop dans le colon. Ce trop plein du dernier, n’était-ce point ce qui manquait aux bourses dénuées du premier ? Je n’en vis point l’impossibilité, plusieurs voies de communication et de circulation existant entre l’intestin et le cerveau : ce fut assez pour que je ne condamnasse pas ma loi.

De la circulation des fluides assimilables.

Me voilà forcé, pour appuyer ces vues, de présenter une digression qu’il faudrait, non subordonner à une question particulière, mais placer au contraire en première ligne. En souscrivant à ce que la filiation et l’entraînement de mes idées exigent de moi en ce moment, je reconnais que je ne pourrai, avec tous les développemens et toutes les preuves désirables, donner dans un seul article l’ensemble de ces idées.

Ce ne peut être directement que le mucus se rend dans le système cérébro-spinal, en dedans d’enveloppes que l’on sait remplies par une toute autre substance. S’il y parvient, c’est nécessairement sous la condition de subir dans des filières intermédiaires plusieurs modifications, de s’y convertir en plusieurs autres élémens, et, en dernière analyse, de donner naissance à du fluide albumineux.

Qu’on veuille bien y réfléchir : les limites imposées à notre esprit font qu’il s’accommode préférablement de l’étude des spécialités, quand au contraire c’est une toute autre disposition qu’il nous faut apporter dans l’examen des hautes questions de la physiologie. Car, que nous devions considérer un seul objet, nous aurons à le voir au même moment et comme l’effet de premières causes et comme la cause d’effets subséquens. Ce n’est pas tout. Alors même que son existence est renfermée dans des intervalles de temps d’une durée inappréciable, sa production n’exige pas moins le concours d’un nombre considérable de rouages. Ainsi l’esprit doit s’appliquer à embrasser à la fois la simultanéité d’actions et les influences respectives de tous les corps moléculaires qui sont mis en mouvement dans les grands phénomènes physiologiques. Je rappelle ceci pour montrer que j’aperçois le but, bien que je m’en tienne à de simples indications.

Les vaisseaux veineux du tube digestif commencent où finissent les vaisseaux artériels : on peut donc assigner au sang une origine. Chaque ramuscule artériel fournit des matériaux qui, en outre d’une destination propre comme corps, font de plus l’office d’agens ; savoir : le calorique et le mucus. Les substances alimentaires, que des actes préparatoires ont déjà divisées et portées à une très-grande ténuité, n’ont presque plus d’efforts à faire pour être rendues à leur premier état moléculaire, c’est-à-dire à leur ancien état préexistant à toute végétation ou combinaison organique[9] ; il suffit pour cela que le calorique pénètre ces substances et les écarte, et que le mucus, agissant comme fluide dissolvant, en opère et en maintienne la dispersion. Les veines, comme étant les principaux moyens de l’absorption organique, s’emparent de ces molécules alibiles, et, avec elles, de quelques principes du sang artériel, tels que le principe colorant et autres. Voilà ce qui, mêlé à du sang veineux existant auparavant dans ces vaisseaux, constitue les matériaux de la prochaine sanguification ; phénomène que personne n’aurait encore embrassé sous son vrai point de vue, auquel concourent l’influence nerveuse et l’action dépurative de plusieurs organes glanduleux, et qui n’est entièrement réalisé qu’après que les élémens qui le produisent ont parcouru toutes les voies de la circulation veineuse. Ainsi, après la première demi-révolution des fluides circulatoires, il y a sang formé, c’est-à-dire sang artériel, sang assimilable, à partir du cœur, au sortir du ventricule gauche.

Le sang artériel, après la seconde moitié de sa révolution, arrive, avons-nous dit plus haut, dans les membranes muqueuses, pour s’y partager en mucus et en un résidu dont s’emparent les absorbans veineux. Le mucus, sous l’apparence d’un sang blanc, est donc un composé nouveau : matière alibile quintessenciée, c’est donc aussi du sang à un premier degré d’élaboration. Celui-ci, au terme de son entière circulation, est repris par un second ordre de vaisseaux absorbans, par les vaisseaux lactés. Si ce n’est pas d’abord du chyle, il le devient dans l’intérieur du canal thoracique, à l’aide de l’action nerveuse et de plusieurs autres circonstances appréciables. Ainsi ce qui doit immédiatement profiter aux organes est le produit des matières alibiles de la précédente digestion, et non de l’actuelle. Nous exposerons dans l’article suivant les phénomènes qui caractérisent cette dernière.

La physiologie s’est, je ne l’ignore pas, contentée jusqu’à présent d’une autre hypothèse sur l’origine du chyle : sa doctrine attribue au suc gastrique la puissance de diviser les matières alimentaires, et aux vaisseaux lactés celle de s’en emparer. Cependant on a examiné le chyle, et, sauf le principe colorant, un ou deux autres élémens, encore[10], on y a reconnu les matériaux du sang. On n’a donc point alors réfléchi à la difficulté qu’il y a pour qu’ipso facto des matières alimentaires, qu’on sait variées à l’infini, auxquelles il n’arrive guère d’autre changement dans l’intestin que d’être extrêmement divisées, éprouvent constamment le même mode de transformation, passent tout à coup à la qualité d’un fluide animalisé.

Ces questions occupent beaucoup en ce moment, mais peut-être d’une manière trop particulière. Des expériences très-ingénieuses ont été entreprises ; les faits se multiplient : mais cela ne suffit pas toujours. Pourquoi, dans le vrai, ne point prolonger davantage sa vue, l’étendre sur toutes les circonstances concomitantes ? Tant de faits nouveaux ne doivent pas rester inutiles, parce que, dominé par l’autorité de l’école, on n’osera point conclure avec eux contre une théorie dont cependant ils renversent les fondemens.

Ces réflexions sont particulièrement applicables à de savantes recherches[11] qui ont obtenu, au jugement de l’Académie des Sciences, l’accessit au prix de physiologie décerné en 1821, à l’ouvrage de MM. Tiedemann et Gmelin. Ces savans physiologistes ont fait avaler à des chiens et à des chevaux, tantôt des substances colorantes, tantôt des matières odoriférantes, ou quelquefois des substances salines mêlées avec les alimens. Les animaux ont été tués après un intervalle de huit, dix, ou douze heures, pour donner au canal thoracique le temps de se remplir. Évidemment MM. Tiedemann et Gmelin étaient partis de la supposition qu’ils trouveraient dans le chyle et dans les résidus excrémentitiels quelques traces de ces substances. Les faits ne répondirent nullement à leur attente. Dans les seize expériences qu’ils ont faites, et dont ils ont varié les procédés avec une rare sagacité, il ne leur est point arrivé de trouver le chyle altéré, tandis qu’ils ne manquèrent jamais d’observer des traces plus ou moins manifestes des matières colorantes, odoriférantes ou salines qu’ils avaient mêlées aux alimens, d’abord dans tout ou partie du canal intestinal, et ensuite dans diverses portions du système veineux, et même au delà, dans des organes ressortissant de ce système. La conclusion naturelle de pareils faits était sans doute que les produits de l’actuelle digestion ne se rendent point dans les vaisseaux lactés, mais qu’ils se partagent entre des voies intestinales et celles du système veineux.

Dirai-je présentement comment le mucus, introduit dans les vaisseaux lactés, s’élève, par l’action nerveuse, à l’état de chyle ; comment une partie de ce fluide s’emploie à renouveler le tissu cellulaire, et comment l’autre est délaissée sous la forme de lymphe, à titre de résidu, dans les vaisseaux lymphatiques ; comment les molécules vieillies du tissu cellulaire sont absorbées par le système veineux, et comment, reportées dans les voies artérielles, elles deviennent des matériaux plus avancés en organisation, plus animalisés, qui affluent les unes sur les muscles, et les autres sur le cerveau ? Tous ces points de haute physiologie ne sauraient être traités ici. Nous ne devons chercher en ce moment qu’à entrevoir la possibilité de la transformation du mucus en substance médullaire.

Ainsi ce ne serait que de proche en proche et qu’après diverses élaborations que le système cérébro-spinal recevrait le mucus en dedans de ses enveloppes : ce qui parviendrait dans ce système serait donc alors du mucus à un deuxième ou à un troisième degré d’organisation, non plus lui en nature, mais une autre substance dont il aurait fourni le fond, mais lui ouvragé… Je ne développerai point davantage ces idées. Je ne puis marcher qu’avec les faits, et ce n’est point ici le lieu d’exposer ceux beaucoup trop nombreux qui leur servent de fondement. Mais surtout je dois me garder d’un fâcheux écueil, et craindre de substituer au roman convenu de la physiologie sur ce point un roman qui ne serait avoué que de moi seul.

Heureusement que ces réflexions sont, jusqu’à un certain point, étrangères à l’objet de ce paragraphe : je puis sans inconvénient les écarter. Il me suffit de pouvoir faire le raisonnement suivant avec quelque confiance en sa justesse. Si le cerveau du podencéphale fût parvenu à l’état volumineux d’un cerveau normal, il ne fût pas sans doute arrivé au colon d’être rempli par tant de mucus, et d’avoir acquis de plus grandes dimensions pour le contenir.

Cet emploi du mucus nous ramène à notre première question : la sécrétion de cette substance est donc l’un des premiers et des plus précieux fruits de l’œuvre organique[12]. Toutes les surfaces muqueuses s’appliquent à le produire. Par conséquent l’intestin jouirait d’une sorte d’activité chez le fœtus, et par conséquent aussi la nutrition de ce premier degré de l’être animal par le moyen de ses voies intestinales serait présentement un fait acquis.

Sur l’identité des fonctions de l’intestin chez le fœtus et chez l’adulte.

Mais dans quelles limites venons-nous de circonscrire ces conclusions, quand nous pouvons les étendre davantage ?

De premières études nous avaient anciennement prévenus contre l’organisation, et n’avaient guère fait naître en nous qu’un sentiment de stérile admiration. Nous avions cru, et, pour ce qui nous reste encore à découvrir, nous croyons toujours, compliqué à l’excès et placé hors de la portée de notre intelligence ce que nous n’avions pu, ce que nous ne pouvons comprendre. Cependant de plus heureux efforts nous ont dans la suite avertis qu’à de certains égards nous nous étions trompés, et ils ne nous ont plus causé d’autre surprise que celle de trouver au contraire simple à l’excès ce que nous avions eu auparavant le tort de croire inextricable. C’est pénétré de ces idées que je n’eusse osé prendre de confiance dans ma nouvelle manière de concevoir la nutrition intestinale du fœtus, si mon explication eût dû se renfermer dans les faits de la vie utérine. Une théorie restreinte dans ses applications est rarement la représentation fidèle des phénomènes de la nature.

Je n’ai pu croire qu’il existât un mode particulier de nutrition pour le fœtus, et un autre différent pour la vie de l’adulte. Il n’y a qu’un fond commun pour tous les composés organiques, et, de même, qu’un ordre uniforme pour présider à leur arrangement Ainsi, sans admettre une diversité essentielle dans le mode de nutrition du fœtus et de l’adulte, sur le motif qu’il y a ingestion possible et obligée chez l’un, impossible et inutile chez l’autre, d’alimens solides dans l’estomac, je ne vois là qu’une différence dans les actes préparatoires. Cette introduction d’alimens venus du dehors crée dans l’exécution une difficulté qui, pour être surmontée, exige un rouage de plus ; lequel porte ainsi à plus de complication, et élève finalement l’être à un plus haut degré de composition.

Effectivement la nutrition des deux âges diffère beaucoup moins qu’on ne l’a cru jusqu’ici. Ce qui suffit, pour la ramener à l’identité, c’est que les artères mésentériques soient dans l’un et dans l’autre cas également entretenues dans une fluxion continuelle, et qu’elles déposent du mucus dans les voies digestives tout aussi constamment qu’abondamment. Or cette continuité d’actions et de versemens est incontestable. Ce qui l’assure chez le fœtus est l’irritation des membranes muqueuses par la bile ; et ce qui cause de même, mais à un degré supérieur, cette continuité d’actions chez l’adulte, ce sont ensemble la bile, qui alors prend cependant à l’événement une bien plus faible part, et la pelote alimentaire, qui y prend la part la plus considérable[13].

À ce moment la pelote alimentaire n’agit qu’en raison de sa masse, par un pouvoir simplement mécanique : car, en distendant l’intestin, elle entr’ouvre les pores des membranes muqueuses[14]. Le mucus s’écoule ; il se verse sur elle, et, venant à la baigner de toutes parts, il en favorise le glissement. Un second effort semblable au premier et de mêmes résultats ont lieu un peu plus loin dans l’intestin, et ainsi de suite sur tous les points du canal. En songeant au nombre des pelotes alimentaires qui se succèdent dans un temps donné et à l’étendue de l’intestin qu’elles ont à parcourir, on peut aisément se faire une idée de la prodigieuse abondance de mucus que sécrètent les intestins. C’est prodigieux, il est vrai ; mais, pour ne pas trop s’en étonner, qu’on réfléchisse à l’énorme dépense de matériaux invisibles que font à chaque moment les animaux par tous les actes vitaux, la respiration, la perspiration, toutes les sortes d’exhalation, et, par dessus tout, les incorporations.

Les versemens des artères mésentériques sont continuels : mais ces afflux ne sont possibles qu’autant qu’il est continuellement ajouté à la masse du sang. Ici cessent les identités à l’égard des deux âges que nous comparons, mais non encore, mais non jamais les analogies.

Les moyens de remédier à la déperdition du sang existent dans une dispensation périodique et abondante d’élémens reproducteurs. Ces élémens ne profitent à l’animal que quand il est parvenu à les accommoder à son essence.

1o Quant au fœtus. Rien de moins compliqué que ce qui se passe en lui à cet égard : les vaisseaux de sa mère dégorgent dans ses vaisseaux, par l’intermédiaire du cordon ombilical, un aliment dispensé de sanguification. Tout autant que les artères mésentériques consomment de sang au profit des voies digestives, il en est ajouté dans une même raison à l’aorte, leur tronc commun, par les afflux de la veine ombilicale.

2o Quant à l’être respirant dans l’air atmosphérique. J’ai déjà dit qu’un rouage de plus lui était nécessaire. Il ne reçoit plus rien du tronc sur lequel il s’est développé. Son monde n’est plus une cage utérine : mais, s’il jouit de plus de liberté dans le monde extérieur, il y est en proie à tous les besoins ; il doit, pour ne pas cesser d’être, y aller puiser des élémens régénérateurs, qui remplacent le sang consommé. Dans ce cas, des rouages préexistans à sa naissance entrent en jeu ; et, en effet, la portion antérieure de son canal alimentaire vient se mettre en rapport avec les choses de son nouveau domicile. Il a recours à des alimens non plus dispensés de sanguification, mais tenus au contraire de passer par une suite d’opérations pour se convertir en sang[15]. L’estomac, l’œsophage, le pharynx et la bouche, tels sont les principaux rouages mis en œuvre pour l’entretien de cette machine selon les nouvelles conditions de son existence.

L’identité n’est plus où est d’un côté dispense, et de l’autre obligation ; et cependant l’analogie l’entrevoit dans le lointain toujours subsistante : car la mère, qui s’est nourrie elle-même des choses du monde extérieur, n’a fait, à l’égard du fœtus, que dispenser celui-ci de soins qui eussent répugné à sa délicatesse. L’oiseau, qui dégorge dans le bec de son petit une nourriture qu’il a rendue comme chymeuse, n’agit pas différemment.

Corollaires.

J’ai abordé dans ce paragraphe plusieurs points d’une haute physiologie : mais, loin de regretter de ne m’être pas livré au développement des questions que je n’ai qu’à peine effleurées, je crains bien de m’y être étendu plus qu’il n’était convenable dans ce Mémoire.

Je terminerai par une dernière réflexion. Je me suis demandé, dans le premier article du § V, si les anomalies des viscères abdominaux dépendaient nécessairement de celles du cerveau, et j’avais cru entrevoir que les conditions de monstruosité du podencéphale se composaient tout autant des unes que des autres : n’ayant pu alors faire entrer dans cette discussion les dernières considérations qui viennent d’être exposées, ces conclusions étaient conjecturales et par conséquent données provisoirement. Mais présentement je ne puis douter que la co-existence de ces faits de monstruosité ne soit dans la relation d’un effet à sa cause.

  1. Des acéphales naissent sans bouche ou avec la bouche fermée : ils n’avalent point d’eaux d’amnios, et, par voie de conclusion, ni eux ni aucun autre fœtus.
  2. Μηκώνιον, de μηκων, pavot : le suc de pavot avait paru de couleur et de consistance semblables.
  3. L’estomac n’est encore qu’une de ces voies : sous le rapport des fonctions, il ne diffère en rien du reste de l’intestin.
  4. Ce produit, sécrété par les membranes muqueuses, a été examiné par les chimistes. MM. de Fourcroy et Vauquelin en donnent comme il suit les caractères physiques : « Cette humeur ressemble à une dissolution chargée de gomme ; elle s’épaissit à l’air, et s’y dessèche en lames ou en filets transparens et cassans sans élasticité : lorsqu’on l’étend dans son état épais, elle ne reprend pas sa première dimension. En la chauffant, on la voit se raréfier et s’élever en écume : elle ne se coagule pas par la chaleur, comme l’albumine, et ne se prend pas en gelée, comme la gélatine. Elle imite la corne quand elle est desséchée au feu. » Mémoire sur le mucus animal, Annales du Muséum, t. 12, p. 61.

    M. Berzélius a trouvé le mucus composé, sur mille parties : eau, 933 ; matière muqueuse, 53 ; muriate de potasse et de soude, 5 ; lactate de soude, 3 ; phosphate de soude, 3 ; etc.

  5. La sève diffère peu du mucus : les chimistes l’ont aussi trouvée presque entièrement formée d’eau. Elle contient en un quatre-vingt-dixième de sels à base de potasse et de chaux.
  6. La sanie blanche chez les animaux dits à sang blanc n’est peut-être que ce premier état du sang chez les animaux à sang rouge.
  7. Je puis étendre cette comparaison jusqu’au fœtus. Contenu dans les membranes de l’œuf, il répond au manchon renfermé dans son étui. Les artères aboutissent ou, en dedans de l’être, sur les membranes muqueuses de l’intestin, ou bien, en dehors, sur celles de la peau. Celles-ci chez le fœtus sont plus efficientes et nullement susceptibles d’évaporation, étant constamment baignées par les eaux de l’amnios : d’où il résulte que la peau du fœtus, de même que le dernier feuillet de l’intestin, se compose d’un réseau muqueux.
  8. À l’égard de la consommation du mucus qui se dégage à la peau, voici ce que MM. de Fourcroy et Vauquelin en rapportent : je ne sache rien de plus précis et de plus exact. « Les tégumens du corps, suite continue des membranes muqueuses internes, sont pénétrés comme elles du mucus. C’est lui qui, en se desséchant par l’évaporation à l’air, et à mesure qu’il sort en gouttelettes souvent visibles entre les sillons épidermoïdes, donne naissance à ces pellicules en petites écailles furfuracées qu’on enlève de dessus la peau, soit en la frottant à sec, soit en la plongeant dans un bain. C’est le même mucus qui paraît former, par son dessèchement, les plaques inorganiques de l’épiderme. » Annales du Muséum, t. 12, p. 65.
  9. On a beaucoup admiré l’idée qu’a eue Boerhaave de comparer le système digestif de l’animal au sol dans lequel les végétaux puisent les sucs nécessaires à leur existence, et les vaisseaux absorbans à de véritables racines intérieures. L’explication que je donne ici de la séparation des matières alimentaires établirait, si elle est fondée, que l’idée de Boerhaave ne contient pas seulement une vue d’analogie. C’est le fait lui-même que ce grand homme aurait aperçu, si en effet l’objet de la digestion est de ramener les alimens à leur première condition moléculaire.
  10. Mémoire sur l’hématose et le sang en général, par. M. le docteur Prout. Voyez Journal complémentaire du Dictionnaire des Sciences médicales, tom. 11, p. 132.
  11. Recherches sur la route que tiennent diverses substances pour passer de l’estomac et du canal intestinal dans le sang, par MM. Tiedemann et Gmelin. Paris, 1821.
  12. Ce résultat paraît avoir fait partie des théories médicales et physiologiques il y a plus d’un siècle : je l’apprends par quelques réflexions critiques de Fourcroy, consignées dans l’article cité plus haut. Ce célèbre chimiste y rappelle les opinions de l’ancienne école sur le mucus ou le corps muqueux, auxquelles les travaux de Fouquet et de Bordeu donnèrent depuis tant d’éclat et de vogue, et où l’on soutenait que cette substance remplissait les mailles du tissu cellulaire et servait à la nutrition. Fourcroy ne pense pas qu’on doive considérer ce fluide comme corps nourrissant : le mucus, ajoute-t-il, ne se montre jamais que sous la condition d’un résidu excrémentitiel. Jamais, c’est peut-être trop dire : ce n’est vrai, je pense, que dans quelques cas particuliers, comme quand le mucus forme l’humeur sécrétée des narines et des bronches, etc., ou quand il fournit le fond des fluides de la perspiration, les matériaux de la sueur.
  13. Ces différences tiennent encore à une autre cause. L’irritation des membranes muqueuses est d’autant moindre à l’intestin chez le fœtus, qu’elle est plus considérable à la peau. Or elle est continuellement entretenue aux surfaces cutanées par les membranes de l’œuf et les eaux de l’amnios, que les contractions de l’utérus font peser sans relâche sur ces surfaces.

    Ces eaux elles-mêmes ne seraient-elles pas un résultat des sécrétions muqueuses, au même titre que la sueur ? Leur augmentation successive dépendrait alors de ce qu’elles sont versées dans une bourse sans issue, les membranes de l’œuf ; et leur état de fluidité serait entretenu par un calorique abondant que ne saurait enlever, comme cela se passe à l’égard d’un animal adulte, le contact des corps environnans.

    Plusieurs physiologistes ont imaginé que les eaux de l’amnios se rendent dans l’intestin après avoir été avalées par la bouche. J’ai déjà dit plus haut que cela n’était point praticable pour les monstres qui naissent sans bouche, ou avec la bouche fermée. De ce nombre sont les stomencéphales et les triencéphales de mon système de classification. Les méats des autres organes des sens, ou ceux par où se termine le tube digestif, y suppléeraient-ils ?

    Quoi qu’il en soit, ce qui demeure certain pour moi, c’est que les organes des sens n’existent point seulement dans le fœtus, pour les services qu’ils auront à rendre un jour : ils y existent à cause d’eux-mêmes, comme étant une partie intégrante et indispensable de l’embryon, comme se trouvant nécessairement compris dans ses moyens d’action et de formation. Les organes des sens sont des portes, des routes, et en général des moyens de communication, dans la vie utérine comme dans l’autre vie, entre l’intérieur et l’extérieur de l’être ; dans la vie utérine, entre les fluides se rendant au système cérébro-spinal et ceux remplissant les membranes de l’œuf. Cela seul rend raison du prompt et considérable développement de ces organes, principalement de celui des yeux, qui, chez la plupart des oiseaux, forment, à un moment donné de l’incubation, le tiers de l’embryon en volume.

  14. Ou bien les déchire par petites fentes, que le mucus, le fluide assimilable par excellence, remplirait et rétablirait aussitôt.
  15. Voyez, sur tous les faits de cette conversion, le Mémoire déjà cité de M. le docteur Prout.