Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines/Description d’un monstre humain, né à l’Hôtel-Dieu de Paris en août 1821, où l’on donne les faits anatomiques et physiologiques d’un genre de monstruosités du nom de podencéphale/§ VIII

Chez l’auteur, rue de Seine-Saint-Victor, no 33 (p. 402-413).
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Description d’un monstre humain né en août 1821, du genre podencéphale.

§ VIII. Organes génito-urinaires du Podencéphale.

Nous avons comparé les organes sexuels des mammifères et des oiseaux ; rendons ce travail applicable au podencéphale. Puisque chez ce monstre les trois voies génitales, urinaires et stercorales aboutissent dans un même canal et viennent ensemble s’ouvrir au dehors, il est manifeste qu’en ce point aussi, la structure du podencéphale s’écarte également de celle des mammifères ; et comme toutes ces routes à ce confluent sont cependant soumises au système d’une vessie urinaire très-étendue, il l’est de plus que cette structure ne reproduit pas davantage toutes les circonstances qui caractérisent les organes sexuels et urinaires des oiseaux. Dans ce cas, le précédent paragraphe ne contiendrait qu’une exposition de faits étrangers au podencéphale, qu’une discussion générale, dont le résultat serait de porter à considérer le podencéphale comme exclu de toutes relations dans la nature vivante, comme entraîné dans une déviation constituant ainsi un désordre élevé à son comble.

Ce n’est point là ce que nous avons reconnu jusqu’à ce moment : les monstruosités ne s’écartent des formes de leur espèce qu’en revêtissant celles d’une autre : une anomalie dans un cas retombe dans ce qui est de règle ailleurs. Tout résultat contraire a donc lieu de nous surprendre, surtout quand il se lie à une question d’une toute autre et plus grande importance. Nous avons vu que l’anus du podencéphale est imperforé : son rectum, venant déboucher dans l’urètre, présente un déplacement de Parties que nous aurions supposé impossible d’après le caractère absolu que nous avons dit former l’essence de notre loi des connexions. J’en dois reproduire de nouveau l’observation ; car, d’après les antécédens qui ont décidé de ma direction dans les sciences, toutes mes recherches tendent constamment à l’établissement de cette proposition fondamentale, l’unité de composition organique. On a vu plus haut que je n’ai examiné les monstruosités qu’afin de vérifier si dans ces désordres d’organisation les principes sur lesquels se fonde ma méthode de détermination seraient susceptibles des mêmes applications qu’à l’égard de tous les autres cas des diversités normales. Qu’on juge alors combien il m’importait d’être attentif à un événement qu’un instant j’ai pu considérer comme constituant une exception à ces principes. Car il n’y a point à balancer : très-certainement, ou je dois prouver que ce n’est là qu’un effet d’apparence trompeuse, ou je ne pourrais continuer de ranger le principe des connexions au nombre de ces lois fondées sur un enchaînement nécessaire de faits qui naissent les uns des autres.

Les organes génito-urinaires du podencéphale tiennent et de ceux des mammifères et de ceux des oiseaux, et j’avais le plus grand intérêt à analyser tous les degrés de ces rapports. Il est évident que je ne pouvais me livrer au débrouillement de cette question qu’autant que ses élémens me seraient donnés avec rigueur ; et j’ai dû commencer par rechercher quels étaient au fond et essentiellement les organes génito-urinaires des mammifères et des oiseaux, soit dans l’une ou l’autre de ces classes, soit d’une manière générale pour toutes deux.

Du rectum.

Voici dans quels rapports sont entre eux les organes génito-urinaires du podencéphale. Après la poche a-b, pl. VI[1], fig. 8, vient l’intestin s, que j’ai décrit page 287, et que j’ai employé sous le nom de rectum, parce qu’il forme la dernière portion du canal intestinal. C’est une barrière à deux sphincters, l’interne existant au-dessous de la ligature l, et l’externe à l’entrée dans l’urètre. L’orifice de ce dernier est visible, lett. s, fig. 9. Ne serait-ce que le canal intra-valvulaire de l’anus, étendu et tiraillé par la vessie urinaire ? et faudrait-il considérer ce bout d’intestin comme le fait d’une organisation analogue soit au tube vestibulaire[2] qui termine l’oviductus, soit à l’espace compris entre l’hymen et les nymphes, qui chez la femme terminent le vagin ? Dans ce cas, la grande poche a-b, qui précède, ne serait autre que le rectum lui-même, dilaté à l’excès par la grande quantité des matières y accumulées. Nous manquons de sujets de comparaison ; et par conséquent il est difficile de se fixer avec une entière confiance sur l’une ou sur l’autre de ces manières de voir. Mais ce qui devra du moins nous intéresser ici, c’est l’insertion du canal s ; elle a lieu dans l’urètre, très-près de la vessie. Notre figure no 9 la présente du côté intérieur, et celle no 10 par derrière ; ce qui n’a pu avoir lieu, à moins que l’intestin ne détournât la prostate représentée lett. q, et ne se fit jour par delà.

Des organes urinaires.

Nous avons ouvert la vessie, fig. 9, pour y voir et l’entrée du rectum et celle des urétères. Ceux-ci y sont au nombre de trois : les deux congénères n et n′ et un troisième impair, lett. m ; ce dernier placé plus profondément. L’urétère m, fig. 8 est formé, comme à l’ordinaire, par un canal simple, lisse et étroit, quand au contraire les deux autres n et n′, fig. 8 et 10, sont, sous une forme intestinale, amples, flexueux et allongés. Les Annales médicales font aussi mention d’urétères surnuméraires : Tyson (dans les Transactions philosophiques, année 1769) en vit quatre sur le corps d’un enfant ; mais, ce qui n’était pas dans notre monstre, ils naissaient à quelque distance, l’un au-devant de l’autre, dans le rein, et se trouvaient renfermés dans une membrane commune pour aller déboucher sur la vessie ; savoir, à gauche, par un seul orifice, et à droite, par deux orifices distincts.

La circonstance d’urétères larges comme de petits intestins s’est aussi rencontrée. Lieutaud donne cette observation, en faisant remarquer qu’elle était liée, chez un sujet qui mourut à trente-cinq ans, à un défaut de vessie urinaire. Le rein du podencéphale, lett. R, fig. 8, était dans l’état naturel.

Enfin il n’arrive que trop souvent que le rectum vienne aboutir dans le canal de l’urètre chez les garçons, et dans le vagin chez les filles. Que ces routes de communication s’entr’ouvrent suffisamment, et il sera possible d’exister long-temps avec une aussi grave infirmité : ce fait est établi par la célèbre observation de Mercurialis, rapportée d’après une femme israélite qui a vécu un siècle. Ce même fait d’une femme sans anus, et qui rendait ses excrémens par la vulve, s’est aussi présenté à M. le docteur Fournier-Pescay. Voyez l’article Cas rares, que ce savant physiologiste a rédigé pour le premier Dictionnaire des sciences médicales.

De l’organe sexuel.

L’organe de reproduction du podencéphale n’était remarquable que par sa petitesse, principalement à droite. Nous avons fait figurer celui de gauche, où l’on voit distinctement le testicule A, l’épididyme E et le canal déférent I. Les testicules étaient appuyés sur l’anneau inguinal, et se trouvaient comme acculés sur ce passage, et prêts à sortir de l’abdomen.

L’organe de copulation présentait plus de différences : c’est une anomalie vraiment curieuse que nous allons décrire, et nous le ferons avec quelques détails. Le pénis du podencéphale ne se terminait pas, comme à l’ordinaire, par une partie conique et par un prépuce de beaucoup prolongé au delà : également cylindrique dans toute sa longueur, il se terminait par une lame légèrement gonflée ; privé de l’action des corps caverneux, on eût dit ce pénis constitué par un long prolongement du derme. J’ai désiré connaître ce qu’il y avait de réel dans ces apparences, et mes recherches ont rendu manifestes les faits suivans.

J’ai remarqué vers la région supérieure deux rubans minces, parallèles, et fixés en dedans et sur le derme par une cellulosité assez serrée. Ces rubans se distinguaient des parties tégumentaires par un tissu plus ferme et plus compacte. Naissant des os ischions et venant se perdre sur le gland, ils avaient la position des corps caverneux ; c’étaient ces corps eux-mêmes, mais privés de leur développement ordinaire, et tels qu’ils existent dans les premiers jours de la formation de l’embryon. Dans cet état d’un développement arrêté, ils reproduisaient l’organisation régulièrement rudimentaire du sexe femelle. Chez le podencéphale, et il en est ainsi chez tous les mammifères femelles, ces corps, ayant été privés de céder à l’action du nisus formativus, sont restés de simples cordons si exigus, qu’ils n’ont pas suffi pour remplir toute l’étendue du fourreau du pénis. Ce fourreau, dont l’accroissement dépend de la nutrition d’artères qui lui sont propres, et qui parvient alors à tout son développement normal, quelles que soient les restrictions imposées aux objets qu’il contient, reste évidé dans tout son intérieur : il est donc transformé en un long tuyau d’une assez grande capacité.

J’ai fait représenter, pl. VI, fig. 12, le pénis du podencéphale ouvert ; j’y montre non-seulement toute l’étendue de l’espace devenu libre à l’intérieur, mais de plus l’organisation des parois intérieures : tout ce tuyau est formé de replis parallèles, de véritables feuillets. La métamorphose est là devenue si grande, qu’on croit voir le vagin d’une femelle : toutes les conditions organiques d’un vagin, sa cavité et la texture de ses membranes, s’y rencontrent, ou plutôt s’y rencontreraient entièrement, si l’appareil était également rentré en dedans.

Ce cas pathologique répand ainsi quelques lumières sur la question de l’identité de l’organe de copulation dans les deux sexes chez les mammifères ; et en effet voici une partie de l’appareil que sa situation extérieure caractérise évidemment et porte à reconnaître pour le pénis, quand tous les détails de sa conformation tendent à le faire considérer comme un véritable vagin. Rien n’établit mieux, ce me semble, que c’est la grandeur et le volume démesurés des corps caverneux qui procurent chez les mâles, au fourreau tégumentaire, dernier canal des organes sexuels, ses dimensions d’une part excessives en longueur, et d’autre part, et afin d’en former la compensation, celles plus restreintes en largeur.

De semblables causes n’existant point chez les femelles, où en effet les corps caverneux sont dans l’état le plus rudimentaire, le dernier canal sexuel n’est dans le cas de différer de son analogue chez les mâles qu’en présentant des dimensions inverses. Il est beaucoup plus court ; mais, comme il y doit satisfaire au principe du balancement des organes, il est beaucoup plus large. Ainsi la grande dissemblance des sexes quant à leurs parties externes tient essentiellement à la grandeur respective des corps caverneux, tantôt remplissant toute l’étendue des dernières voies, tantôt n’en occupant qu’une très-petite partie.

Le pénis du podencéphale, indépendamment des remarques qui précèdent, n’en reproduit pas moins, s’il est étudié dans ses conditions les plus générales, tous les faits qui sont de l’essence d’un pénis à l’état normal : il n’y a d’altéré et de modifié que la forme de chaque partie. Ainsi les deux corps caverneux rudimentaires dont nous avons parlé plus haut viennent également se confondre dans un véritable gland. Celui-ci est seulement moins saillant, moins large, et de toutes manières plus petit. Nous l’avons fait représenter vu de face, fig. 11, et vu de profil, fig. 12. Il est recouvert de son prépuce comme à l’ordinaire, sauf que le prépuce n’a point assez d’étendue pour l’envelopper entièrement. Les mêmes figures expriment toutes ces circonstances, et retracent même le frein qui ne manque pas et qu’on peut apercevoir inférieurement, fig. 12.

Des faits qui précèdent, il suit que le podencéphale n’a de rapports avec les oiseaux que sous le point de vue qui nous avait frappés au commencement de ces recherches. Une seule issue, chez lui comme chez les oiseaux, aurait, si ce monstre eût vécu, aurait, dis-je, transmis les produits des trois voies stercorales, urinaires et génitales : mais d’ailleurs des moyens très-différens y eussent certainement pourvu. En conséquence, ces sujets d’observations se rapportent à deux organisations classiques, qui, en s’accordant accidentellement l’une et l’autre sur une même circonstance, se sont cependant maintenues dans les conditions de leur diversité originaire et classique.

La grandeur de la vessie urinaire et sa position inférieure sont le propre du podencéphale, tout aussi bien que de l’homme normal et des animaux mammifères. Nous avons vu que les oiseaux n’ont au contraire qu’une vessie urinaire dans un minimum de composition, c’est-à-dire qu’ils n’ont, si l’on considère les engagemens de celle-ci avec les organes de son voisinage, qu’une vessie dans des relations à lui permettre l’amalgame le plus bizarre, à lui permettre enfin de s’interposer comme un tube entre le rectum et le vagin.

Une anomalie des plus considérables, puisqu’elle ne se borne pas à une modification de forme et de fonction, résulte de ces données, et devient pour moi un sujet de sérieuses difficultés ; car elle semble s’annoncer comme une objection qui contredit l’universalité d’application de ma loi de connexions.

Le rectum, occupant le fond de la vessie chez les oiseaux, débouche dans le canal commun au-devant des urétères, et celui du podencéphale en arrière. Ainsi sont là manifestement des relations de parties dans un ordre inverse ; et c’est, je le répète, pour présenter l’explication d’aberrations aussi étranges que je me suis aussi longuement appesanti sur les faits de la précédente discussion.

J’ai cheminé ; et cette difficulté n’en a pris que plus de consistance. Cependant trouverai-je enfin à en donner une explication plausible, soit en étendant encore ces recherches, soit en examinant les deux systèmes les plus écartés de leur type qui touchent à cette question ; savoir : l’organisation de l’autruche, qui présente une assez forte modification de l’organisation des oiseaux, et le système des monotrèmes, qui s’écarte également à plusieurs égards de celui des mammifères ?

  1. Nous revenons sur la planche VI, pour ne plus nous occuper que d’elle dans ce qui va suivre. La figure 8 est diminuée et réduite à moitié de grandeur naturelle.
  2. Veuillez vous reporter à ce que nous avons dit de ce tube, et a l’explication que nous en avons donnée, page 380.