Philosophie anatomique. Des monstruosités humaines/Description d’un monstre humain, né à l’Hôtel-Dieu de Paris en août 1821, où l’on donne les faits anatomiques et physiologiques d’un genre de monstruosités du nom de podencéphale/§ IX

Chez l’auteur, rue de Seine-Saint-Victor, no 33 (p. 413-425).
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Description d’un monstre humain né en août 1821, du genre podencéphale.

§ IX. Sur deux modifications particulières des organes génito-urinaires.

L’importance de la question que je discute et l’entraînement de mes idées m’obligent de recourir encore aux considérations suivantes, qui forment à proprement parler un appendice du septième paragraphe, ou du paragraphe concernant les organes génito-urinaires des mammifères et des oiseaux.

Des organes génito-urinaires de l’autruche.

Les organes génito-urinaires de l’autruche m’ont paru un moment inextricables : je suis toutefois parvenu à les déterminer et à les ramener à ce qui est chez les oiseaux. Déjà M. Cuvier (Anatomie comparée, t. 3, p. 548) en avait traité comme offrant une grande poche de figure ovale et servant de réservoir aux urines : il insista particulièrement sur deux sphincters placés au-devant du rectum, qu’il décrivit sous les noms d’anus interne et d’anus externe.

Cependant ce qui m’avait d’abord privé d’apercevoir chez l’autruche les conditions de son type de famille était principalement une plus grande richesse d’organisation : étudiée la dernière, elle me montra des organes dans un maximum de composition que j’essayai de retrouver, au moins en traces légères, dans d’autres oiseaux. Je vis que les deux sphincters ou les deux anus y existent en effet : mais la poche contenue entre ces deux termes (vestibule du rectum) diffère de capacité ; elle est de la plus grande étendue dans la poule, voyez pl. VII, fig. 4, lett. R, et dans le canard, mêmes planche et lettre, fig. 8. Nous devons nous rappeler que ces oiseaux ont, en revanche, leur vessie urinaire dans un état rudimentaire. L’autruche nous donne la clef de ces différences. Chez elle le vestibule du rectum n’est qu’une poche exiguë, une portion de cylindre dégagée et saillante, comme la partie avancée d’une cannelle ; mais cette poche occupe le centre d’une autre très-considérable, qui est précisément le réservoir urinaire. Ainsi les oiseaux qui ont le vestibule du rectum très-évasé n’ont qu’un rudiment de vessie urinaire, et ceux au contraire chez lesquels la poche vestibulaire est fort petite jouissent en revanche d’un réservoir à urines aussi considérable que l’est celui des mammifères. C’est donc ici, comme partout ailleurs, un effet de notre loi du balancement des organes, un ordre inverse et réciproque de la proportion de certaines parties correspondantes : une dimension est acquise d’un côté au préjudice d’une autre dimension, et vice versâ.

L’autruche, mais toujours dans des cas semblables, est sous d’autres rapports différente de la poule : ce sont toutes parties analogues, qui se ressentent également des changemens de grandeur relative que je viens de signaler. Je n’ajouterai rien de plus à cet égard, venant récemment de présenter en détail ces mêmes observations. J’engage à recourir à mon dernier mémoire, intitulé : Des organes génito-urinaires de l’autruche et du casoar : ce mémoire que je dois placer dans le neuvième volume du second recueil des professeurs du Muséum d’Histoire naturelle, sera accompagné d’une planche très-instructive.

J’observerai au surplus que les espérances que j’avais fondées sur ces recherches ne se sont pas réalisées : il n’y a à ce moment d’acquis pour les faits généraux que la connaissance de la différence proportionnelle de la vessie urinaire et du vestibule du rectum chez l’autruche et chez ses congénères. Si donc ces recherches ont cette utilité, qu’on acquiert par elles une certitude plus grande de ce qu’est la vessie urinaire chez le plus grand nombre des oiseaux (détermination pour la justification de laquelle la petitesse de cet organe n’avait pas laissé précédemment assez de prise), je ne retire cependant de ce travail aucun avantage sous le rapport d’un nouveau jour propre à éclairer l’importante question de la situation respective des parties. Chez l’autruche, aussi bien que chez tous les autres oiseaux, le rectum débouche dans la vessie ; et les urétères, tout au-devant de celle-ci, occupent une position relative absolument différente de ce qui est chez les mammifères.

Des organes génito-urinaires des monotrèmes.

Il est un autre système sexuel, celui des monotrèmes, dont les formes se font remarquer par un haut degré d’anomalie : c’est ce qu’on a d’abord ignoré, et ce qui rend problématique la détermination qu’on en a présentée. Cette détermination a été donnée à peu près dans le même temps, et inévitablement presque de la même manière, par les deux plus grands anatomistes d’Angleterre et de France[1], parce que, également préoccupés de l’idée que les monotrèmes appartenaient au groupe des mammifères, ils avaient dû conclure tous deux de cette supposition que les monotrèmes et les mammifères ne présenteraient aucune différence essentielle dans leurs organes sexuels. Ayant étudié les monotrèmes sous de nouveaux rapports, je ne partage pas l’opinion de ces maîtres de la science. Les monotrèmes ne sont, à mon avis, dans un rapport de famille avec aucune des quatre classes d’animaux vertébrés ; ils devront former une classe à part, bien qu’ils ne soient encore composés que de deux genres, les ornithorinques et les échidnés : car, quoi qu’il arrive à cet égard, on ne peut se refuser à les considérer, ainsi que l’a déjà fait mon célèbre et savant confrère M. de Lamarck[2], comme des êtres paradoxaux, tenant le milieu entre les mammifères et les oiseaux. Il convient en effet de les ranger dans une classe à part, si l’on veut, fixé sur le degré de leur composition organique, rester fidèle aux règles tracées par les affinités naturelles.

Dans le vrai, les monotrèmes sont des animaux ovipares. Nous tenons ce fait, du moins quant à l’ornithorinque, de MM. Hill et Jamieson. Tous deux ont pris à tâche de nous en informer, M. le docteur Hill, tout récemment revenu de la Nouvelle-Hollande, dans une lettre[3] qu’il a écrite de Liverpool, à sir G. Mackensie ; et M. le chevalier Jamieson, en prévenant son ami le célèbre entomologiste M. Macleay d’un prochain envoi d’œufs d’ornithorinque, qu’il lui destinait[4]. M. Hill attrapa une femelle pleine qu’il disséqua, et chez laquelle il observa un œuf de la grandeur d’un pois ; il ajouta savoir des naturels du pays que l’animal forme un nid pour y déposer deux œufs.

Ayant réfléchi sur la conjecture de M. de Blainville, qui, pour expliquer l’absence des mamelles chez l’ornithorinque, absence combinée avec d’autres faits de l’organisation des mammifères, faisait sortir les monotrèmes du sein de leur mère en état de se suffire sous le rapport de la nourriture[5], et trouvant dans une extrême étroitesse du bassin des raisons pour me refuser à admettre cette supposition, j’en étais venu à penser que les monotrèmes devaient se distinguer par un mode de génération qui rappelât à quelques égards celui des batraciens. C’est frappé de cette idée que j’écrivis en 1818 les annotations du premier volume de ma Philosophie anatomique, pages 495 et 502, et que dès lors je regardai les monotrèmes comme formant une classe intermédiaire entre les oiseaux et les mammifères.

J’ai sous les yeux un dessin très-soigné des organes sexuels d’un ornithorinque femelle, qu’a fait sur ma demande notre habile artiste M. Huet ; mais, en attendant que je trouve à l’employer, je vais décrire ces organes en faisant usage d’une figure des Transactions philosophiques, année 1802, pl. IV, no 2. Je dirai de plus quelles sont les rectifications ou les additions à ce travail, que je dois à une très-attentive observation.

Au delà du bassin et plongeant dans l’abdomen est une grande poche entièrement sphéroïdale (représentée ellypsoïdale par Hôme, et numérotée K). On l’a prise jusqu’ici pour la vessie urinaire ; et il faut avouer que c’est bien cela qu’indique sa situation, si l’on s’en rapporte à l’organisation des mammifères. Mais voici quelques motifs pour en douter et peut-être pour abandonner tout-à-fait cette détermination. C’est aussi en ce lieu la place de l’utérus des oiseaux ; les urétères n’y aboutissent pas, et ce sont au contraire les oviductus qui confinent à son unique ouverture[6]. Il y a exactitude dans le tracé des orifices des deux oviductus LL et de celui I de la grande poche.

Chaque orifice d’oviductus est gouverné par un froncis du derme, ou par un sphincter favorisant la sortie des produits de l’ovaire, et ne s’ouvrant au contraire à rien d’extérieur. Comme il plaît à l’animal, cette entrée, tenue bâillante, prend la forme de la bouche d’un entonnoir, ou bien, en se fermant, ne laisse plus apercevoir qu’une simple fente, laquelle même disparaît par l’emploi de deux lèvres extensibles qui se superposent l’une sur l’autre. Entre le froncis dont il vient d’être parlé et ces lèvres tout-à-fait extérieures, existent donc un petit espace et comme une sorte de poche vestibulaire.

J’entre dans ces détails pour en venir à un fait qui m’a paru aussi extraordinaire que je le crois susceptible d’une grande influence : c’est l’existence d’une bride tégumentaire occupant le travers de cette petite poche. Ainsi les produits de l’ovaire, traversant l’unique conduit d’un oviductus, trouvent, après avoir dépassé le froncis ou le sphincter interne, un diaphragme qui les oblige à se partager en deux moitiés semblables, et par conséquent à se répandre au dehors en s’écoulant par deux orifices. Ce diaphragme est si frêle, qu’il faut croire que ce n’est pas par un œuf bien consolidé qu’il se trouve heurté. Sans doute, ce sont des germes fort petits ou simplement des fluides albumineux qui traversent ces issues.

Nous avons vu plus haut que chaque oviductus a ses orifices au confluent de l’entrée de la poche sphéroïdale K. Serait-ce dans cette prétendue vessie urinaire, ou, selon notre nouvelle manière d’envisager cet organe, dans l’utérus, que les élémens de la reproduction se disposeraient pour prendre la consistance et l’apparence d’un œuf ?

Si je continue à lire l’organisation des appareils sexuels des monotrèmes sur celle correspondante des oiseaux, ce qu’une grande similitude des mêmes organes m’invite à faire, je nomme ad-uterum le canal O, donné pour utérus par M. Hôme ; appelant, au surplus, avec lui et comme lui les autres parties de l’oviductus, savoir, le tube de Faloppe, lett. N, et l’ovaire, lett. M.

Ce qui reste observable sur la ligne médiane appartiendrait à l’appareil de copulation. Ainsi à la suite des orifices des deux oviductus et de l’utérus existe une longue poche, ou mieux un long canal, qui va déboucher dans le rectum. Elle est très-certainement dans la dépendance de l’organe sexuel, puisqu’elle est entièrement remplie, durant l’acte de la copulation, par le pénis du mâle, et que nécessairement les produits consolidés de la génération la doivent traverser. C’est sous ce rapport que M. Hôme a considéré cette poche, d’où il s’est autorisé à la regarder comme un vagin. Voyez la lettre G.

Cependant c’est aussi dans ce canal qu’aboutissent les urétères. Je ne sais si c’est en appréciant cette circonstance que M. Cuvier a considéré ce long canal comme le col, à la vérité démesurément agrandi, de la vessie ; car, pour M. Cuvier, la grande poche sphéroïdale K est une véritable vessie urinaire. Ainsi ce qui est déterminé vagin par M. Hôme est regardé comme l’urètre par M. Cuvier : mais, de plus, j’entrevois comme possible une troisième détermination ; et en effet, si la grande poche sphérdïdale K est véritablement l’analogue de l’utérus des oiseaux, le canal G (vagin de Hôme, urètre de Cuvier) ne serait autre que la vessie urinaire elle-même. Ce canal est disposé comme un manchon, avec une issue à chaque bout ; mais c’est ainsi qu’est la vessie urinaire des oiseaux. La différence entre les deux familles consisterait en cela, que la vessie urinaire des oiseaux a son ouverture d’entrée dirigée sur le rectum, et l’ouverture de sortie sur le vagin, quand la vessie urinaire des monotrèmes aurait la première aboutissant sur l’utérus, et la seconde versant dans le rectum.

On ne pourra donner avec rigueur la solution de ces questions que quand on aura observé sur le frais toute cette singulière organisation. Espérons que l’utilité de pareilles observations[7] excitera le zèle des anatomistes que les fonctions de médecin ont fixé ou fixeront à la Nouvelle-Hollande.

Ce qui pourrait faire pencher pour les déterminations de M. Cuvier, c’est que la petite bourse par laquelle se termine chaque ad-uterum contient, en petit et comme dans un état de contraction, le syphon vaginal des didelphes. C’est du moins de cette manière que j’envisagerais la bride qui fait la traverse de cette petite bourse ; et l’on sait que l’existence simultanée des mêmes os surnuméraires du bassin chez les deux familles a déjà fait croire à l’affinité des monotrèmes avec les animaux marsupiaux.

Dans tous les cas et quelque détermination qu’on admette, l’anomalie de ces organes sera toujours considérée comme portée au plus haut degré : car le canal G est-il un vagin (ce dont il fait très-certainement fonction, soit quand le pénis du mâle s’y introduit, soit quand les produits génitaux s’en écoulent) ? il est de plus aussi un canal approprié aux urines, lesquelles ou le traversent, comme dans un urètre, ou s’y accumulent, comme dans une vessie urinaire.

Au contraire, considérera-t-on ce même canal G ou comme un urètre ou comme une vessie urinaire ? Le pénis du mâle y est reçu, et il n’est pas d’autre conduit pour la route à suivre par les œufs ou par les petits, si ceux-ci éclosent avant la mise-bas.

Pour compléter ce tableau, ajoutez cette autre considération, qu’il était vraiment impossible sur les données connues de l’organisation de pressentir, c’est que le canal G verse dans le rectum, et que par conséquent une portion des intestins participe à toutes les fonctions dépendantes des trois systèmes séminifères, urinaires et excrémentitiels.

Je ne me serais pas borné à indiquer comme la plus probable l’opinion de M. Cuvier, mais je me serais franchement prononcé pour elle, sans une circonstance qui procure à mon esprit la plus grande préoccupation ; c’est que, si la poche sphéroïdale K se trouve être une véritable vessie urinaire et le canal G son urètre, les oviductus viennent rompre les rapports nécessaires de ces deux organes en s’ouvrant entre la vessie et son long goulot. Je ne puis trop appeler l’attention sur ce fait ; il est fondamental en philosophie.

  1. M. Évérard Hôme, dans les Transactions philosophiques, année 1802 ; ce savant y traite d’abord de l’ornithorinque, p. 67 pl. IV, et plus bas de l’échidné, p. 348, pl. XII ; et M. Cuvier en 1805, Leçons d’anatomie comparée, t. 5, p. 366, pl. LI.
  2. Philosophie zoologique, 1809, t. 1, p. 145.
  3. Voyez l’Edimburgh philosophical, douzième numéro, avril 1822.
  4. Lettre de M. W. Sharp Macleay esqre, sous la date de Londres, 29 mai 1822.
  5. Bulletin des sciences, année 1818, p. 28.
  6. La nature du fluide contenu dans la poche sphéroïdale ferait cesser cette incertitude. Tous les fluides animaux se ramènent à deux principaux, le mucus et l’albumine : en les éprouvant par le feu, ils se distinguent, l’albumine en se coagulant, et le mucus en passant à une toute autre altération.
  7. Questions à répondre. Où sont reçues et contenues les urines ? Serait-ce dans la grande poche sphéroïdale située au delà de l’insertion des oviductus, poche K ? ou dans le long canal G, en-deçà des oviductus, et dans lequel versent les urétères ? ou bien dans le dernier de tous les compartimens, A, étant une dépendance du rectum ou le rectum lui-même ? Si c’est à un tout autre fluide que la grande poche sphéroïdale donne accès, examiner la nature de ce fluide en essayant de le coaguler par l’action du feu.