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Le Père Perdrix  [1]


DEUXIÈME PARTIE


chapitre iv


Que les beaux jours sont courts ! Ils vécurent l’un à côté de l’autre. Octobre s’adoucit vers sa fin et l’azur exhalait des nuages très doux qui voilaient le monde d’une intéressante mélancolie. Ils pouvaient encore s’asseoir sur le banc pendant la journée et restaient assis tous les deux, se frottant l’un à l’autre, et cueillant sur la rue, sur les maisons, sur les passants, des sentiments calmes qu’ils posaient à leurs pieds. Le Vieux ne regrettait que cela :

— Je regrette, mon ami, de ne pouvoir te donner que de la soupe et des pommes de terre. Tu ne sais pas ce qu’il aurait fallu ? Il aurait fallu que tu puisses aller manger chez eux et que tu viennes te reposer chez nous !

La pauvre Vieille leur faisait la cuisine, et ce n’était pas bien long de secouer la marmite, de remuer le seau d’eau et d’allumer quelque feu simple qui fumait avec âpreté parce qu’il n’y avait pas de soufflet dans la maison. L’hiver était plus commode à cause du poêle. À midi elle se servait d’une chaufferette, et ils mangeaient souvent du réchauffé de la veille. Elle était toute maigre, toute sèche et commençait à se casser dans les reins, non pas qu’elle devînt bossue, mais l’arête de son dos pointait et perçait sa robe. Car tout s’use à la longue et les vieux ustensiles gardent en leur peau plaintive on ne sait quelles fêlures qui craquent en une fois et les vident.

La mère de Jean vint un matin. Elle posait la main sur la poche de son tablier. Elle franchit les marches du seuil, avec l’air appesanti d’un bœuf dont les idées sont simples, et dit :

  1. Voir La revue blanche des 1er  et 15 mai, 1er  et 15 juin et 1er  juillet 1902.