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Le Père Perdrix
PREMIÈRE PARTIE
chapitre premier

Et le médecin disait :

— Dame ! mon pauvre père Perdrix, il vaut mieux que je vous le dise. Voilà un mois que vous portez vos lunettes noires et ça ne vous a rien fait. Que voulez-vous ? Raisonnez-vous. Il n’y a qu’un moyen, c’est de cesser complètement le travail, sans quoi le feu de la forge et toutes ces choses-là vous rendraient tout à fait aveugle. Des fois, le repos peut vous guérir sans drogue et sans opération. Mais continuez à porter vos lunettes.

C’est ainsi que Monsieur Edmond parla et il n’y avait pas moyen de le contredire, parce que les bourgeois sont si capricieux ! Il eût crié, comme une fois chez un homme de la campagne : Eh ! nom de Dieu, si vous ne prenez pas mes remèdes, vous crèverez ! Le père Perdrix répondit :

— Dame ! Monsieur, ça sera comme vous voudrez.

Et dès qu’ils furent seuls, la mère Perdrix commençait :

— Qui que ça veut dire, qui que ça veut dire ? Faut donc plus que tu travailles ! Eh ! là, mon Dieu, qui que tu vas faire ?

Mais le Vieux, qui n’était pas patient, cria :

— Enfin, fous-moi donc la paix !

Elle s’assit sur le petit banc. C’était une femme courageuse, qui ne pouvait pas rester en place, et elle était là, les deux poings au menton, donnant des coups de tête, le regardant, attendant, et se remuant quand même. Lui, sur sa chaise, les jambes écartées, les mains pendantes, contemplait le sol, et son chapeau aux bords abaissés lui servait d’abat-jour.

D’ailleurs il vaut mieux ne rien dire. Il s’amusait avec le coin de son sabot à gratter les carreaux qui, même dans les maisons bien balayées, gardent une pellicule de boue, et