Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 8.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces intervalles doivent être relatifs au mode : ainsi après avoir fait l’accord parfait mineur, on sent bien que la basse ne doit pas monter sur la tierce majeure.

Toûjours par la même analogie, on doit préférer les intervalles qui sont les premiers engendrés, c’est-à-dire ceux dont les rapports sont les plus simples. Ainsi la quinte étant la plus parfaite des consonnances, la progression par quintes est aussi la plus parfaite des progressions.

On doit observer que la marche diatonique prescrite aux parties supérieures n’est qu’une suite de cette regle.

2°. Tant que dure la phrase, on y doit observer la liaison harmonique, c’est-à-dire qu’il faut tellement diriger la succession de l’harmonie, qu’au-moins un son de chaque accord soit prolongé dans l’accord suivant. Plus il y a de sons communs aux deux accords, plus la liaison est parfaite.

C’est-là une des principales regles de la composition, & l’on ne peut la négliger sans faire une mauvaise harmonie : elle a pourtant quelques exceptions dont nous avons parlé au mot Cadence.

3°. Une suite d’accords parfaits, même bien liés, ne suffit pas encore pour constituer une phrase harmonique ; car si la liaison suffit pour faire admettre sans répugnance un accord à la suite d’un autre, elle ne l’annonce point, elle ne le fait point desirer, & n’oblige point l’oreille pleinement satisfaite à chacun des accords, de prolonger son attention sur celui qui le suit. Il faut nécessairement quelque chose qui unisse tous ces accords, & qui annonce chacun d’eux comme partie d’un plus grand tout que l’oreille puisse saisir, & qu’elle desire d’entendre en son entier. Il faut un sens, il faut de la liaison dans la Musique, comme dans le langage ; c’est l’effet de la dissonnance ; c’est par elle que l’oreille entend le discours harmonique, & qu’elle distingue ses phrases, ses repos, son commencement & sa fin.

Chaque phrase harmonique est terminée par un repos qu’on appelle cadence, & ce repos est plus ou moins parfait selon le sens qu’on lui donne. Toute l’harmonie n’est précisément qu’une suite de cadences, mais dont, au moyen de la dissonnance, on élude le repos autant qu’on le veut, avertissant ainsi l’oreille de prolonger son attention jusqu’à la fin de la phrase.

La dissonnance est donc un son étranger qui s’ajoûte à ceux d’un accord pour lier cet accord à d’autres. Cette dissonnance doit donc par préférence former la liaison, c’est-à-dire qu’elle doit toûjours être prise dans le prolongement de quelqu’un des sons de l’accord précédent ; ce qui la rend aussi moins dure à l’oreille : cela s’appelle préparer la dissonnance.

Dès que cette dissonnance a été entendue, la basse fondamentale a un progrès déterminé selon lequel la dissonnance a aussi le sien pour aller se résoudre sur quelqu’une des consonnances de l’accord suivant : cela s’appelle sauver la dissonnance. Voyez Dissonnance, Consonnance, Préparer, Sauver.

La dissonnance est encore nécessaire pour introduire la variété dans l’harmonie ; & cette variété est un point auquel l’harmoniste ne peut trop s’appliquer ; mais c’est dans l’ordonnance générale qu’il la faut chercher, & non pas, comme font les petits génies, dans le détail de chaque note ou de chaque accord : autrement à peine évitera-t-on dans ses productions le sort d’un grand nombre de nos musiques modernes, qui toutes noires de triples croches, toutes hérissées de dissonnances, ne peuvent, même par la bisarrerie de leurs chants ni par la dureté de leur harmonie, éloigner la monotonie & l’ennui.

Telles sont les loix générales de l’harmonie ; car nous n’embrassons point ici celles de la modulation,

que nous donnerons en leur lieu. Il y a outre cela plusieurs regles particulieres qui regardent proprement la composition, & dont nous parlerons ailleurs. Voyez Composition, Modulation, Accords.

Harmonie se prend quelquefois pour la force & la beauté du son ; ainsi l’on dit qu’une voix est harmonieuse, qu’un instrument a de l’harmonie, &c.

Enfin en sens figuré on donne le nom d’harmonie au juste rapport des parties & à leur concours pour la perfection du tout : telle est l’harmonie de l’état, la bonne harmonie, c’est-à-dire la concorde qui regne entre des cours, entre des ministres, &c. (S)

Harmonie. On voit par un passage de Nicomaque, que les anciens approprioient quelquefois ce nom à la consonnance de l’octave. V. Octave. (S)

Harmonie figurée. Figurer en général, c’est faire plusieurs notes pour une. Or on ne peut figurer l’harmonie que de deux manieres, par degrés conjoints, ou par degrés disjoints. Lorsqu’on figure par degrés conjoints, on employe nécessairement d’autres notes que celles qui forment l’accord, des notes qui sont comptées pour rien dans l’harmonie ; ces notes s’appellent par supposition (V. Supposition), parce qu’elles supposent l’accord qui suit ; elles ne doivent jamais se montrer au commencement d’un tems, principalement du tems fort, si ce n’est dans quelques cas rares où l’on fait la premiere note du tems breve, pour appuyer sur la seconde : mais quand on figure par degrés disjoints, on ne peut absolument employer que les notes qui forment l’accord, soit consonnant, soit dissonnant. (S)

Harmonie. Ce terme, en Peinture, a plusieurs acceptions ; on s’en sert presque indifféremment pour exprimer les effets de lumiere & de couleur ; & quelquefois il signifie ce qu’on appelle le tout ensemble d’un tableau.

L’harmonie de couleur n’existe point sans celle de lumiere, & celle de lumiere est indépendante de celle de couleur. On dit d’un tableau de grissaille, d’un dessein, d’une estampe, le dessus considéré par rapport aux effets de lumiere, & non comme proportion & précision du contour : il regne dans ce tableau, ce dessein, cette estampe, une belle harmonie. Il sembleroit suivre de-là qu’harmonie conviendroit par préférence à la lumiere. Cependant lorsqu’on n’entend parler que de ses effets, on se sert plus volontiers de ces expressions : belle distribution, belle œconomie, belle intelligence de lumiere, beaux, grands effets de lumiere. Pour réussir à produire ces effets, il faut qu’il y ait dans le tableau une lumiere principale à laquelle toutes les autres soient subordonnées, non par leur espace, mais par leur vivacité ; & que les unes & les autres soient réunies par masse, & non éparses çà & là, par petites parties, formant comme une espece d’échiquier irrégulier ; c’est ce qu’on appelle papilloter, des lumieres qui papillotent.

A l’égard de la couleur, on dit quelquefois, ce tableau fait un bel effet, un grand effet de couleur ; mais l’on dit plus ordinairement, il y a dans ce tableau un bel accord, une belle harmonie de couleur, la couleur en est harmonieuse. Il est peut-être impossible de donner des préceptes pour réussir en cette partie ; l’on dit bien qu’il ne faut faire voisiner que les couleurs amies, mais les grands peintres ne connoissent point de couleurs qui ne le soient.

L’effet ou harmonie de lumiere & de couleur peuvent subsister dans un tableau, indépendamment de l’imperfection des objets qui y sont représentés : il pouvoit même n’y en point avoir ; c’est-à dire, qu’il n’y eût qu’un amas confus, un cahos de nuages, de vapeurs, enfin une sorte de jeu de lumiere & de couleur. Si l’on refusoit à cette production le nom de tableau, au moins crois-je qu’on pourroit lui ac-