L’Encyclopédie/1re édition/CONSONNANCE

CONSONNE  ►

CONSONNANCE, s. f. terme de Grammaire ou plutôt de Rhetorique. On entend par consonnance la ressemblance des sons des mots dans la même phrase ou période. Les consonnances ont de la grace en Latin, pourvû qu’on n’en fasse pas un usage trop fréquent dans le même discours, & qu’elles se trouvent dans une position convenable en l’un & en l’autre des membres relatifs. Par exemple, si non præsidio inter pericula, tamen solatio inter adversa. Apud Quintil. l. IV. c. iij. La consonnance entre solatio & præsidio, est également au milieu de l’une & de l’autre incise, elle y est placée comme un hémistiche, autrement elle ne seroit pas sensible. Voici un exemple de consonnance à la fin des incises, sine invidiâ culpa plectatur, & sine culpâ invidia ponatur, Id. ibid, En voici encore un autre exemple tiré du même chapitre de Quintilien, nemo potest alteri dare matrimonium, nisi quem penes sit patrimonium. Cette figure a de la grace, dit Quintilien, accedit & ex illæ figuræ gratia. Id. ibid. sur-tout quand la consonnance se fait sentir en des positions égales, in quibus initiæ sententiarum & fines consentiunt. Paribus cædant, & eodem desinant modo. Id. ibid.

Les Rhéteurs donnent divers noms à cette figure, selon la différente sorte de consonnance, & selon la variété de la position des mots : ils appellent paranomasie la consonnance qui résulte du jeu des mots par la différence de quelques lettres ; par exemple, inceptio est amentium haud amantium. Terenc. Andr. act. I. sc. jv. v. 13. c’est un projet d’insensés, & non de personnes qui s’aiment & qui ont le sens commun. Cum lectum petis, de letho cogita. En ces occasions la consonnance est appellée paranomasie de παρά, près, proche, & de ὄνομα, nom, c’est-à-dire jeu entre les mots, à cause de l’approximation de sons. Il y a encore similiter desinens, similiter cadens. Il suffit de comprendre ces différentes manieres sous le nom général de consonnance. L’usage de cette figure demande du goût & de la finesse. La ressemblance de sons en des mots trop proches, & dont il y en a plus de deux qui se ressemblent, produit plûtôt une cacophonie qu’une consonnance.

O fortunatam natam me consule Romam !


Cette figure mise en œuvre à-propos a de la grace en latin selon Quintilien ; mais pourquoi n’a-t-elle pas le même avantage en françois ? Je crois que c’est par la même raison que Quintilien dit que les hémistiches des vers latins sont déplacés dans la prose. Quand les Latins lisoient la prose, ils étoient surpris d’y trouver des moitiés de vers ou des vers entiers, qui y paroissoient comme suite du discours & non comme citation. Non erat locus his. Vitium est apud nos si quis poetica vulgaribus misceat. Quint. l. VIII. c. iij. c’est confondre les différens genres d’écrire ; c’est tomber, dit-il, dans le défaut dont parle Horace au commencement de sa poétique : Humano capiti, &c. Versum in oratione fari multo fœdissimum est. Id. l. IX. c. jv. Comme la rime ou consonnance n’entroit point dans la structure des vers latins, cette consonnance loin de les blesser flattoit l’oreille, pourvû qu’il n’y eût point d’affectation & que l’usage n’en fût pas trop fréquent ; reproche qu’on fait à S. Augustin.

Mais en françois, comme la rime entre dans le mécanisme de nos vers, nous ne voulons la voir que là, & nous sommes blessés, comme les Latins l’étoient, lorsque deux mots de même son se trouvent l’un auprès de l’autre : par exemple, les beaux esprits pour prix, &c. si Cicéron, &c. mais même, &c. que quand, &c. jusqu’à quand, &c. Un de nos bons auteurs parlant de la bibliotheque d’Athenes dit, que dans la suite Sylla la pilla, ce qui pouvoit être facilement évité en s’exprimant par la voix passive. Vaugelas & le P. Bouhours (Doutes, page. 273.) disent que nous devons éviter en prose non-seulement les rimes, mais encore les consonnances, telles que celle qui se trouve entre soleil & immortel.

Je conviens que ce sont-là des minuties auxquelles les lecteurs judicieux ne prennent pas garde. Cependant il faut convenir que si un écrivain évitoit ces négligences, l’ouvrage ne perdroit rien de sa valeur intrinseque.

J’ajouterai que les consonnances sont fort autorisées parmi nous dans les proverbes : qui langue a à Rome va : à bon chat ; bon rat : quand il fait beau, prens ton manteau ; quand il pleut, prens-le si tu veux : il flatte en présence, il trahit en absence : belles paroles & mauvais jeu trompent les jeunes & les vieux : qui terre a guerre a ; & amour & seigneurie ne veulent point de compagnie. (F)

Consonnance, en Musique, est, selon le sens propre de mot, l’effet de deux ou plusieurs sons entendus à la fois : mais on restraint ordinairement la signification de ce terme aux intervalles formés par deux sons dont l’accord plaît à l’oreille, & c’est en ce sens que nous en parlerons dans cet article.

De cette infinité d’intervalles dont les sons sont susceptibles, il n’y en a qu’un très-petit nombre qui forment des consonnances, tous les autres choquent l’oreille & sont appellés pour cela dissonnances ; ce n’est pas que plusieurs de celles-ci ne soient employées dans l’harmonie, mais c’est toûjours avec des précautions dont les consonnances, étant agréables par elles-mêmes, n’ont pas également besoin.

Les Grecs n’admettoient que cinq consonnances ; savoir, la quarte, l’onzieme qui est sa réplique, la quinte, la réplique de la quinte, & l’octave. Nous y ajoûtons les tierces & les sixtes majeures & mineures, les octaves doubles & triples, & en un mot les diverses répliques de tout cela, sans exception, selon toute l’étendue du système.

On distingue les consonnances en parfaites ou justes, dont l’intervalle ne varie point ; & en imparfaites, qui peuvent être majeures ou mineures. Les consonnances parfaites sont la quarte, la quinte, & l’octave. Les imparfaites sont les tierces & les sixtes.

Le caractere physique des consonnances se tire de leur production par un même son, ou si l’on veut, du frémissement des cordes. De deux cordes bien d’accord, formant entr’elles un intervalle d’octave ou de douzieme, qui est l’octave de la quinte, ou de dix-septieme majeure, qui est la double octave de la tierce majeure, si l’on fait sonner la plus grave, l’autre frémit & rend du son. A l’égard de la sixte majeure & mineure, de la tierce mineure, de la tierce majeure simple, & de la quarte, qui toutes sont des combinaisons ou des renversemens des précédentes consonnances, elles se trouvent entre les diverses cordes qui frémissent au même son.

Si je touche la corde ut, les cordes montées à son octave ut, à la quinte sol de cette même octave, à la tierce majeure mi de la double octave, & même aux octaves de tout cela, frémiront toutes en même tems. Voilà donc l’octave, la tierce majeure, & la quinte directes. Les autres consonnances se trouveront aussi ; savoir, la tierce mineure du mi au sol, la sixte mineure du même mi à l’ut qui est plus haut, la quarte du sol à ce même ut, & la sixte majeure du même sol au mi, qui est au-dessus de lui.

Telle est la génération de toutes les consonnances : il s’agiroit maintenant de rendre raison des phénomenes.

Premierement, le frémissement des cordes s’explique par l’action de l’air & le concours des vibrations. Voyez Unisson. 2°. Que le son d’une seule corde soit toûjours accompagné de ses harmoniques (voyez ce mot), cela paroît une propriété du son qui en est inséparable, & qu’on ne sauroit expliquer qu’avec des hypotheses qui ont leurs difficultés. 3°. A l’égard du plaisir que les consonnances font à l’oreille à l’exclusion de tout autre intervalle, on en voit clairement la source dans leur génération. Les consonnances naissent toutes de l’accord parfait produit par un son unique ; & réciproquement l’accord parfait se forme de l’assemblage des consonnances. Il est donc naturel que l’harmonie de cet accord se communique à ses parties, que chacune d’elles y participe, & que tout autre intervalle qui ne fait pas partie de cet accord n’y participe pas. Or la Nature qui a mis dans les objets de chaque sens, des qualités propres à le flatter, a voulu qu’un son quelconque fût toûjours accompagné d’autres sons agréables, comme elle a voulu qu’un rayon de lumiere fût toûjours formé de l’assemblage des plus belles couleurs. Que si l’on presse la question, & qu’on demande encore d’où naît ce plaisir que cause l’accord parfait à l’oreille, tandis qu’elle est choquée du concours de tout autre son ; que pourroit-on répondre à cela, si ce n’est de demander à son tour pourquoi le verd plutôt que le gris me réjoüit la vûe, ou pourquoi le parfum du jasmin m’enchante, tandis que l’odeur du pavot me fait peine.

Ce n’est pas que les Physiciens n’ayent expliqué tout cela ; & que n’expliquent-ils point ? mais que toutes ces explications sont conjecturales, & qu’on leur trouve peu de solidité quand on les examine de près ! Je ne m’attache ici qu’au sentiment le plus général pour en rendre compte au lecteur.

Ils disent donc que la sensation du son étant produite par les vibrations du corps sonore, propagées jusqu’au tympan par celles que l’air reçoit de ce même corps, lorsque deux sons se sont entendre ensemble, l’organe de l’oüie est affecté à la fois de leurs diverses vibrations. Si ces vibrations sont de même durée, qu’elles s’accordent à commencer & finir ensemble, ce concours forme l’unisson, & l’oreille, qui saisit l’accord de ses retours égaux & bien concordans, en est affectée très-agréablement. Si les vibrations de l’un des sons sont doubles en durée de celle de l’autre, durant chaque vibration du plus grave l’aigu en fera justement deux, & à la troisieme ils partiront ensemble ; ainsi, de deux en deux, chaque vibration impaire de l’aigu concourra avec chacune des vibrations du grave, & cette fréquente concordance qui constitue l’octave, selon eux moins douce à l’oreille que l’unisson, le sera plus qu’aucune autre consonnance. Après vient la quinte, dont l’un des sons fait deux vibrations tandis que l’autre en fait trois, de sorte qu’ils ne s’accordent qu’à chaque troisieme vibration de l’aigu ; ensuite la double octave, dont l’un des sons fait quatre vibrations pendant que l’autre n’en fait qu’une, s’accordant seulement à chaque quatrieme vibration de l’aigu : pour la quarte, les vibrations se répondent de quatre en quatre de l’aigu & de trois en trois du grave. Celles de la tierce majeure sont comme 4 & 5, de la sixte majeure comme 3 & 5, de la tierce mineure comme 5 & 6 ; & de la sixte mineure comme 5 & 8. Au-delà de ces nombres il n’y a plus que leurs multiples qui produisent des consonnances, c’est-à-dire des octaves de celles-ci, tout le reste est dissonant.

D’autres trouvant l’octave plus agréable que l’unisson, & la quinte plus agréable que l’octave, en donnent pour raison, que les retours égaux des vibrations dans l’unisson, & leur concours trop fréquent dans l’octave, confondent, identifient les sons au point d’empêcher que l’oreille n’en apperçoive la diversité : pour qu’elle puisse avec plaisir comparer les sons, il faut bien, disent-ils, que les vibrations s’accordent par intervalles, mais non pas qu’elles se confondent absolument, autrement au lieu de deux sons on croiroit n’en entendre qu’un. C’est ainsi que du même principe on tire à son gré le pour & le contre, selon qu’on juge que les expériences l’exigent. Qu’il me soit permis de faire quelques observations sur celui dont il s’agit ici.

Premierement, toute cette explication n’est fondée, comme on voit, que sur le plaisir qu’on prétend que l’ame reçoit par l’organe de l’oüie du concours des vibrations, ce qui dans le fond n’est déjà qu’une pure supposition : de plus, il faut encore supposer, pour l’établissement de ce système, que la premiere vibration de chacun des deux corps sonores commence exactement avec celle de l’autre, car si l’une précédoit un peu, elles ne concourroient plus selon le rapport déterminé ou peut être ne concourroient jamais, & par conséquent l’intervalle devroit changer, la consonnance n’existeroit plus ou ne seroit plus la même. Enfin, il faut supposer que les diverses vibrations des deux sons d’une consonnance frappent l’organe sans confusion, & transmettent l’accord au cerveau sans se nuire réciproquement ; chose qui me paroît impossible à concevoir, & que j’aurai occasion d’examiner ailleurs. Voyez Son.

Mais sans disputer sur tant de suppositions, voyons ce qui s’ensuit de ce système. Les vibrations ou les sons de la derniere consonnance, qui est la tierce mineure, sont comme 5 & 6, & la consonnance en est fort agréable. Que doit-il naturellement résulter de deux autres sons dont les vibrations seroient entre elles comme 6 & 7 ? une consonnance un peu moins harmonieuse à la vérité, mais encore assez agréable à cause de la petite différence des raisons ; car elles ne different que d’un 36e. Mais qu’on me dise comment il se peut faire que deux sons, dont l’un fait 5 vibrations pendant que l’autre en fait 6, produisent une consonnance agréable, & que deux sons, dont l’un fait 6 vibrations pendant que l’autre en fait 7, produisent une si affreuse dissonnance. Quoi, dans l’un de ces rapports les vibrations s’accordent de six en six, & mon oreille est charmée ; dans l’autre elles s’accordent de sept en sept, & mon oreille est écorchée ? Il y a plus, & je demande encore comment il se fait qu’après cette premiere dissonnance la dureté des accords n’augmente pas à mesure que les rapports des vibrations qui les forment deviennent plus composés ; pourquoi, par exemple, la dissonnance qui résulte du rapport de 89 à 90, n’est pas plus choquante que celle qui résulte de celui de 12 à 13. Si le retour plus ou moins fréquent du concours des vibrations étoit la cause du sentiment de plaisir ou de peine que me causent les accords, l’effet seroit proportionné à cette cause, & je n’y vois aucune proportion ; donc ce plaisir & cette peine tirent leur origine d’ailleurs.

Il reste encore à faire attention aux altérations dont la quinte & d’autres consonnances sont susceptibles sans cesser d’être agréables à l’oreille, quoique ces altérations dérangent entierement le concours périodique des vibrations, & que ce concours même devienne plus tardif à mesure que l’altération est moindre. Il reste à considérer que l’accord de l’orgue & du clavecin ne devroit offrir à l’oreille qu’une cacophonie d’autant plus effroyable que ces instrumens seroient accordés avec plus de soin, puisqu’excepté l’octave il ne s’y trouve aucune consonnance dans son rapport exact.

Voilà quelques objections qu’il eût peut-être été bon de résoudre avant que d’admettre un système, qui, bien qu’ingénieux, se trouve si manifestement contredit par l’expérience.

Un écrivain judicieux, qui nous a donné nouvellement des principes d’Acoustique, laissant à part tous ces concours de vibrations, a rendu raison du plaisir que les consonnances font à l’oreille par la simplicité des rapports entre les sons qui les forment. Selon lui, le plaisir diminue à mesure que les rapports deviennent plus composés ; & quand l’esprit ne les saisit plus, ce sont de véritables dissonnances. Mais quoique cette doctrine s’accorde parfaitement avec le résultat des premieres divisions harmoniques, quoiqu’elle soit très-bien soutenue & qu’elle s’étende facilement à d’autres phénomenes qui se remarquent dans les beaux arts, s’il se trouve qu’elle ne soit pas en tout d’acord avec l’expérience, s’il n’y a toûjours une proportion exacte entre les rapports des sons & le degré de plaisir ou de peine dont ils nous affectent, je dis que cette hypothese est fort vraissemblable, mais qu’il ne la faut pas regarder comme démontrée. Voyez Tempérament. (S)

Nous devons avertir ici que M. Briseux architecte, a donné depuis peu au public un traité, dans lequel il se propose de prouver que les proportions qu’on doit observer dans l’Architecture, sont les mêmes que celles qui reglent les consonnances dans la Musique. Nous en parlerons plus au long à l’article Proportion. (O)