L’Encyclopédie/1re édition/ACCORD
ACCORD, s. m. en Droit, soit en matiere civile, soit en matiere criminelle, signifie un accommodement entre les parties contestantes, au moyen de ce que l’une des deux parties fait des offres que l’autre accepte. Ainsi l’on dit, les parties sont d’accord, pour dire qu’elles sont accommodées. V. Transaction.
Accords au plur. est synonyme à accordailles. Voyez ce dernier. (H)
Accord, en Peinture, se dit de l’harmonie qui regne dans la lumiere & les couleurs d’un tableau. On dit un tableau d’un bel accord. Il faudroit un peu diminuer cette lumiere pour l’accorder avec cette autre ; éteindre la vivacité de la couleur de cette draperie, de ce ciel, qui ne se distingue pas de telle ou telle partie, &c. (R)
Accord, en Musique, est l’union de deux ou plusieurs sons entendus à la fois, formant ensemble une harmonie réguliere.
L’harmonie naturelle produite par la résonance d’un corps sonore, est composée de trois sons différens, sans compter leurs octaves, lesquels forment entr’eux l’accord le plus agréable & le plus parfait que l’on puisse entendre, d’où on l’appelle par excellence accord parfait. Ainsi, pour rendre l’harmonie complete, il faut que l’accord soit composé de trois sons ; aussi les Musiciens trouvent-ils dans le trio la perfection harmonique, soit parce qu’ils y employent les accords en entier ; soit parce que dans les occasions où ils ne les employent pas en entier, ils ont du moins l’art de faire croire le contraire à l’oreille, en lui présentant les sons principaux des accords : comme dans les consonans, la tierce avec l’octave sous-entendant la quinte, la sixte avec l’octave sous-entendant la tierce, &c & dans les dissonans, la septieme avec la tierce sous-entendant la quinte, de même la neuvieme, &c… dans la grande sixte, la sixte avec la quinte sous-entendant la tierce, la quarte avec la seconde sous-entendant la sixte, &c. Cependant l’octave du son principal produisant de nouveaux rapports & de nouvelles consonances par les complémens des intervalles, (V. Complément.) on ajoûte ordinairement cette octave pour avoir l’ensemble de toutes les consonances dans un même accord. De plus, l’addition de la dissonance (Voyez Dissonance) produisant un quatrieme son ajoûté à l’accord parfait, c’est une nécessité, si l’on veut remplir l’accord, d’avoir une quatrieme partie pour exprimer cette dissonance. Ainsi quand on veut faire entendre l’harmonie complete, ce ne peut être que par le moyen de quatre parties réunies ensemble.
On divise les accords en parfaits & imparfaits. L’accord parfait est celui dont nous venons de parler, qui est composé du son fondamental au grave, de sa tierce, de sa quinte, & de son octave ; & en général on appelle quelquefois parfait tout accord, même dissonant, dont le fondamental est au grave. Les accords imparfaits sont ceux où regne la sixte au lieu de la quinte, & en général tous ceux où le son grave n’est pas le fondamental. Ces dénominations qui ont été données avant qu’on connût la basse fondamentale, sont fort mal appliquées. Celles d’accords directs, ou renversés, sont beaucoup plus convenables dans le même sens. V. Renversement.
Les accords se distinguent encore en consonans & dissonans. Les accords consonans sont l’accord parfait & ses dérivés ; tout autre accord est dissonant.
Cet accord constitue le ton, & ne se fait que sur la tonique. Sa tierce peut être majeure ou mineure, & c’est ce qui constitue le mode.
Aucun des sons de cet accord ne peut s’altérer.
La tierce, la quinte & la septieme de cet accord peuvent s’altérer.
Aucun des sons de cet accord ne peut s’altérer.
Je joins ici partout le mot ajoûté, pour distinguer cet accord & ses renversés des productions semblables de l’accord de septieme.
Cet accord ne se renverse point, & aucun de ses sons ne peut s’altérer. Ce n’est proprement qu’un accord de petite sixte majeure, diésée par accident.
C’est un accord de septieme, auquel on ajoûte un cinquieme son d’une tierce au-dessous du fondamental.
On en retranche ordinairement la septieme, c’est-à-dire la quinte du son fondamental, qui est ici la note mi ; & dans cet état l’accord de neuvieme peut se renverser, en retranchant encore de l’accompagnement
l’octave de la note qu’on porte à la basse.C’est l’accord dominant d’un ton mineur, au-dessous duquel on fait entendre la médiante ; ainsi c’est un véritable accord de neuvieme : mais il ne se renverse point, à cause de la quarte diminuée que donneroit avec la note sensible le son supposé porté à l’aigu, laquelle quarte est un intervalle banni de l’harmonie.
C’est un accord de septieme, au-dessous duquel on ajoûte un cinquieme son à la quinte du fondamental. On ne frappe gueres cet accord plein à cause de sa dureté, & pour le renverser on en retranche la neuvieme & la septieme.
C’est l’accord dominant sous lequel la basse fait la tonique.
C’est l’accord de septieme diminuée, sous lequel la basse fait la tonique.
Ces deux derniers accords ne se renversent point, parce que la note sensible & la tonique s’entendroient ensemble dans les parties supérieures, ce qui ne peut se tolérer.
Nous parlerons aux mots Harmonie, Basse fondamentale, Modulation, Composition, Dissonance, de la maniere d’employer tous ces accords pour en former une harmonie réguliere. Nous ajoûterons seulement ici les observations suivantes.
1. C’est une grande erreur de penser que le choix des divers renversemens d’un même accord soit indifférent pour l’harmonie ou pour l’expression ; il n’y a pas un de ces renversemens qui n’ait son caractere propre. Tout le monde sent l’opposition qui se trouve entre la douceur de la fausse quinte & l’aigreur du triton ; & cependant l’un de ces intervalles est renversé de l’autre : il en est de même de la septieme diminuée & de la seconde superflue, de la seconde ordinaire, & de la septieme. Qui ne sait combien la quinte est plus sonore que la quarte ? L’accord de grande sixte & celui de sixte mineure sont deux faces du même accord : mais de combien l’une n’est-elle pas plus harmonieuse que l’autre ? L’accord de petite sixte majeure au contraire n’est-il pas plus brillant que celui de fausse quinte ? & pour ne parler que du plus simple de tous les accords, considérez la majesté de l’accord parfait, la douceur de la sixte, & la fadeur de la sixte quarte, tous accords composés des mêmes sons. En général les intervalles superflus, les dièses dans le haut, sont propres par leur dureté à exprimer l’emportement & la colere ; au contraire les bémols, les intervalles diminués, forment une harmonie plaintive qui attendrit le cœur. C’est une multitude d’observations semblables, lorsqu’on sait s’en prévaloir, qui rend un Musicien intelligent, maître des dispositions de ceux qui l’écoutent.
2. Le choix des intervalles n’est gueres moins important que celui des accords, pour la place où l’on veut les employer. C’est par exemple, dans le bas qu’il faut placer les quintes & les octaves ; dans le haut, les tierces & les sixtes : transposez cet ordre, vous gâterez l’harmonie en laissant les mêmes accords.
3. Enfin on rend encore les accords plus harmonieux, en les rapprochant dans de petits intervalles plus convenables à la capacité de l’oreille ; c’est ce qu’on appelle resserrer l’harmonie, & ce que si peu de Musiciens savent pratiquer dans la composition de leurs chœurs, où souvent l’on entend des parties si éloignées les unes des autres, qu’elles semblent n’avoir plus de rapport entr’elles. (S)
Accord de l’orgue. Ce mot a deux significations ; premierement, il signifie la même chose que partition. Voyez Partition. Secondement, il signifie l’accord respectif de tous les jeux. C’est dans ce sens qu’il est pris dans cet article.
La partition est le fondement de l’accord : elle se fait sur le prestant qui tient le milieu entre tous les jeux de l’orgue. Quant au grave & à l’aigu, pour bien accorder, il est nécessaire d’être doüé d’une oreille extrèmement fine, ce qui s’appelle parmi les facteurs & les gens de l’art, avoir de l’oreille ; c’est un don de la nature qu’un Maître ne sauroit communiquer.
Après que la partition est faite sur le prestant (ou sur la flûte, s’il n’y a point de prestant à l’orgue) on accorde à l’octave en-dessous le bourdon de quatre piés bouché. Ensuite on accorde le huitieme pié ouvert à l’unisson du bourdon de quatre piés bouché, & à l’octave au-dessous du prestant ; on accorde ensuite la montre de seize piés à l’octave en-dessous du huitieme pié ouvert, du quatrieme pié bouché, & à la double octave en-dessous du prestant : on accorde ensuite le bourdon de seize piés à l’unisson de la montre de 16 piés, & à l’octave en-dessous du huitieme pié ouvert, du quatrieme pié bouché, & à la double octave en-dessous du prestant. Voyez la table du rapport des jeux, fig. 67, Planche d’orgue.
On accorde ensuite le grand cornet composé de cinq tuyaux sur le prestant seul. Il faut remarquer que le grand cornet n’a que deux octaves, & que des cinq tuyaux qui le composent, il n’y a que le dessus de flûte qui s’accorde à l’unisson des tailles & des dessus du prestant ; que les autres tuyaux, le dessus de bourdon, le dessus de nazard, le dessus de quarte nazard, & le dessus de tierce, s’accordent à l’unisson des jeux dont ils portent le nom. On accorde ensuite le cornet de récit & le cornet d’écho sur le prestant, comme on a accordé le grand cornet. On accorde ensuite la flûte sur le prestant seul, à l’unisson de laquelle elle doit être. Ensuite on accorde la double tierce à la tierce au-dessus du prestant, & sur tous les fonds de l’orgue. Ce qu’on appelle les fonds de l’orgue, sont tous les jeux de mutation plus graves que le prestant ; comme qui diroit les basses de l’orgue, dont le prestant tient le milieu, y ayant autant d’octaves dans l’étendue de l’orgue au-dessus & au-dessous des quatre dont le prestant est composé. On accorde ensuite le nazard sur les fonds & à la quinte au-dessus du prestant. Le gros nazard s’accorde aussi sur les fonds à l’octave au-dessous du nazard & à la quarte au-dessous du prestant. On accorde ensuite ensuite la quarte de nazard sur les fonds & avec la double tierce, & le nazard : ce jeu doit sonner l’octave du prestant. On accorde ensuite la tierce sur les fonds & la double tierce, dont elle doit sonner l’octave, & sur le nazard & la quarte nazard. Ensuite on accorde le larigot sur les fonds accompagnés de la double tierce du nazard, dont il doit sonner l’octave de la quarte nazard, de la tierce. On accorde ensuite la doublette sur tous les fonds : elle doit sonner l’octave au-dessus du prestant. Sur la doublette & les fonds on accorde les deux parties du plein jeu, la fourniture & la cimbale, dont on bouche les tuyaux des rangs que l’on n’accorde pas avec des plumes d’oie ou de pigeon, afin de les empêcher de parler, & de mieux entendre l’accord de ceux qu’on laisse libres. Ensuite quand un rang est accordé, on accorde le rang suivant, dont on ôte les plumes que l’on remet dans le rang accordé, s’il est nécessaire. Voyez Fourniture & Cimbale.
La pédale de quarte s’accorde sur les fonds & à l’unisson des basses du prestant.
La pédale de huit ou flûte s’accorde aussi sur les fonds & à l’unisson du huitieme pié ouvert, ou à l’octave au-dessous du prestant.
Lorsque tous les jeux de mutation sont accordés, on accorde les jeux d’anches, à commencer par la trompette que l’on accorde à l’octave au-dessous du prestant seul. Sur la trompette on accorde la cromorne à l’unisson, à l’octave au-dessous de la trompette. On accorde la bombarde à l’octave au-dessus de la même trompette ; on accorde le clairon qui sonne l’unisson du prestant. La voix humaine qui sonne l’unisson de la trompette s’accorde à l’octave au-dessous du prestant seul, & la voix angélique à l’unisson du même prestant. La trompette de récit qui n’a que deux octaves, sonne l’unisson des dessus de la trompette, dont elle ne differe qu’en ce qu’elle a le son plus net.
Les pédales des jeux d’anches s’accordent, savoir, celle de clairon à l’unisson des basses du clairon ; s’il y a ravalement au clavier de pédale, le ravalement descend dans le huitieme pié à l’unisson de la trompette.
La pédale de trompette sonne l’unisson des basses de la trompette ; le ravalement descend dans le seizieme pié à l’unisson de la bombarde.
La pédale de bombarde s’accorde à l’octave au-dessous des basses de la trompette, par conséquent elle sonne le seizieme pié ; s’il y a ravalement, il descend dans le trente-deuxieme pié. Voyez la table du rapport des jeux, Fig. 67. & pour le mélange des jeux, l’article Jeux, & pour leur construction, leurs articles particuliers.
On accorde tous les jeux de mutation avec les accordoirs représentés, Fig. 49. Planche d’orgue. dont on coëffe les tuyaux ouverts ou à cheminée, pour diminuer l’orifice du tuyau & le faire baisser de ton ; on enfonce au contraire les accordoirs dans les tuyaux, ce qui élargit leur ouverture quand on veut les faire hausser de ton. Dans un orgue bien accordé, la partition de chaque jeu doit être semblable à celle du prestant.